2. La concurrence

a) Le régime juridique

Sur le plan juridique, les problèmes de concurrence donnent lieu à deux types de réglementations, l'une porte sur le contrôle des concentrations économiques, l'autre porte sur le contentieux des pratiques anticoncurrentielles.

La loi du 30 septembre 1986 a institué dans ce domaine un régime dérogatoire au droit commun de la concurrence. Ce régime juridique est largement centré sur le dispositif anti-concentration élaboré en faveur du pluralisme, et met en place un partage de compétence entre le conseil supérieur de l'audiovisuel et le conseil de la concurrence.

L'article 41-4 de la loi du 30 septembre 1986 dispose que " le Conseil de la concurrence veille au respect du principe de la liberté de la concurrence dans le secteur de la communication audiovisuelle, selon les règles et dans les conditions prévues par l'ordonnance n° 89-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, à l'exception de son titre V. Il recueille dans le cadre de cette mission, en tant que de besoin, les avis du Conseil supérieur de l'audiovisuel ".

Le titre V de la loi du 1er décembre 1986 traite de la concentration économique qui relève ainsi exclusivement, dans la communication audiovisuelle, du dispositif anti-concentration mentionné ci-dessus, dont l'application appartient au conseil supérieur de l'audiovisuel.

Ce partage entre le CSA et le conseil de la concurrence peut paraître a priori assez rationnel, si ce n'est que certaines dispositions de la loi du 30 septembre 1986 paraissent attribuer au CSA une compétence plus étendue que la seule l'application du dispositif anti-concentration :

- l'article premier précise qu'il veille à favoriser la libre concurrence (al. 4) ;

- l'article 17 dispose qu'il adresse des recommandations au gouvernement sur le développement de la concurrence dans les activités de communication audiovisuelle (al. 1) et qu'il est habilité à saisir les autorités administratives ou judiciaires compétentes pour connaître des pratiques restrictives de la concurrence et des concentrations économiques 50( * ) (al. 2) ;

- l'article 29 prévoit qu'il accorde les autorisations d'utiliser les fréquences hertziennes terrestres pour la diffusion de services de radiodiffusion sonore au regard de la nécessité d'éviter les abus de position dominante ainsi que les pratiques entravant le libre exercice de la concurrence (al. 8).

b) L'intensification des problèmes

La diversification des acteurs, des marchés et des ressources de la communication audiovisuelle d'une part, la tendance à l'intégration des groupes désireux de renforcer leurs positions de marché d'autre part, exacerbent la concurrence et multiplient les différends soumis aux autorités compétentes, différends qu'il est souvent demandé au législateur de trancher en modifiant la loi dans le sens des intérêts de telle ou telle partie.

La description des occasions de conflits demanderait une étude ciblée de l'économie de la communication audiovisuelle, qui n'entre pas dans le propos de ce rapport. On se contentera de relever l'existence de deux catégories de problèmes : l'accès des opérateurs au public d'une part, aux contenus d'autre part, qui suscitent toutes sortes de pratiques anticoncurrentielles favorisées par l'intégration assez poussée des diffuseurs.

L'accès au public a deux aspects, l'accès aux moyens de diffusion et l'accès aux parcs de décodeurs. On peut illustrer ce type de problèmes avec l'exemple d'un éditeur de programmes souhaitant créer des chaînes numériques. La diffusion de ces chaînes par satellite ou leur distribution sur les réseaux câblés peut être empêchée par un opérateur de bouquet satellitaire ou un câblo-opérateur lié à un éditeur concurrent ou lui-même éditeur de programmes. C'est un des problèmes que pose l'intégration verticale des opérateurs. L'intégration verticale peut aussi faire obstacle à la commercialisation d'un bouquet satellitaire empêché d'accéder au parc de décodeurs contrôlé par l'opérateur d'un bouquet concurrent. De multiples configurations anti-concurrentielles sont imaginables à partir de ces cas de figure.

L'accès aux contenus (fictions cinématographiques et audiovisuelles, programmes sportifs, pour les éditeurs de chaînes ; chaînes de télévision pour les opérateurs de bouquets et les câblo-opérateurs) donne aussi lieu à différentes pratiques anticoncurrentielles dont on n'entreprendra pas de dresser ici l'inventaire.

c) Pistes

Un des problèmes majeurs que pose le droit de la concurrence dans l'audiovisuel paraît être l'inapplication du droit commun de la concurrence en matière de concentration économique. Le dispositif anti-concentration institué par la loi du 30 septembre 1986 a un objectif essentiellement politique, comme on l'a vu. Il ne permets pas de traiter l'ensemble des problèmes que la concentration horizontale est susceptible de provoquer sur les marchés de la communication audiovisuelle. Ainsi, comme on l'a déjà noté, aucune disposition légale n'interdit à une chaîne de télévision de contrôler la totalité du marché sur lequel elle opère. La loi du 30 septembre 1986 ne prévoit rien à cet égard. Il est vrai cependant que certaines concentrations sur ce marché peuvent avoir des effets sur le marché de la publicité, auquel est applicable le droit commun de la concurrence. C'est ainsi que le Conseil de la concurrence a pu être saisi de certains rachats d'entreprises de communication audiovisuelle. D'autres questions entrent dans le champ du droit de la propriété intellectuelle et peuvent être résolues par ce biais. Ces palliatifs ne peuvent cependant résoudre les questions de fond que pose la concurrence sur les marchés de la communication audiovisuelle.

Auditionné par le groupe de travail le 25 février dernier, M. Frédéric Jenny, vice-président du conseil de la concurrence, estimait ainsi que le dispositif légal actuel ne permettait pas de contrôler la " puissance de marché " des entreprises, et estimait que la solution qui consisterait à confier l'ensemble des problèmes de concurrence intéressant l'audiovisuel au conseil supérieur de l'audiovisuel serait insatisfaisante.

En effet, notait-il en substance, certaines expériences étrangères démontrent la difficulté qu'éprouve le régulateur à appliquer le droit de la concurrence dans le domaine dont il a la charge. Il lui est en effet difficile d'éviter le phénomène de " capture réglementaire " qui conduit à une interprétation laxiste de la réglementation. On observe ainsi, dans le cas français, que la loi de 1986 a prévu la saisine du conseil de la concurrence par le CSA quand ce dernier constate l'existence de pratiques anticoncurrentielles. Or aucune saisine n'a jamais eu lieu. De fait, le contrôle des " positions de marché " nécessite une analyse économique extrêmement fine qui n'est pas forcément à la portée d'un organisme régulateur parfois plus sensible à la logique économique défendue par le opérateurs qu'aux objectifs de la liberté de la concurrence. C'est pour ces raisons que l'Italie a confié à son conseil de la concurrence le contrôle des entraves à la concurrence et celui de la concentration économique sur les marchés de l'audiovisuel, la concentration de la propriété du capital restant contrôlée par le régulateur de la communication audiovisuelle. Quand une opération pose simultanément les deux types de problèmes, il y a rapprochement et accord entre les deux autorités.

Que conclure de ces observations ? Le contrôle de la " puissance de marché " paraît une piste à explorer. On peut envisager de confier au conseil de la concurrence l'application à la communication audiovisuelle du titre V de l'ordonnance du 1er décembre 1986. On peut aussi envisager d'introduire dans le dispositif anti-concentration spécifique de la loi du 30 septembre 1986 les limites de détention de parts de marché selon des critères d'audience et de recettes publicitaires. Cette seconde option s'inscrirait dans la logique actuelle de la loi du 30 septembre 1986, qui confond les instruments de garantie du pluralisme et ceux de la liberté de la concurrence.

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