IV - LES PRÉLÈVEMENTS SUR PERSONNES DÉCÉDÉES

1. L'organisation du consentement selon la loi de 1994 : une construction juridique complexe traduisant une volonté de conciliation entre solidarité collective et volonté individuelle

La démarche du législateur s'est fondée, comme on l'a déjà indiqué, sur une double préoccupation : faire face à la pénurie d'organes -notamment dans le domaine de la transplantation hépatique où l'efficacité thérapeutique des greffes est avérée- et rétablir, entre médecins et donneurs potentiels, un lien de confiance qui passe par le respect des intentions du défunt, le corps ne pouvant être considéré comme un matériau dans lequel on puise à volonté.

La loi de 1994 n'a pas remis en cause la présomption de consentement, reflet d'une démarche utilitariste qui sous-tendait déjà le droit antérieur. On notera d'ailleurs que cette présomption ne constitue pas une spécificité française. D'autres législations la consacrent et elle est également présente dans les textes européens et internationaux qui traitent des prélèvements et transplantations d'organes (notamment résolutions du 11 mai 1978 du Conseil de l'Europe et du 13 mai 1991 de l'Assemblée de l'Organisation mondiale de la santé).

Cependant, le principe du consentement présumé trouve, dans la nouvelle législation, un champ d'application plus limité que dans la loi Caillavet où il couvrait les prélèvements d'organes effectués sur le cadavre de toute personne, quelle que fût sa condition de son vivant, excepté le cas d'un prélèvement sur mineur ou incapable en vue d'une greffe, pour lequel était requis le consentement du représentant légal. Quant au témoignage de la famille, son recueil, non prévu par la loi, n'avait été organisé que par une simple circulaire du 3 avril 1978.

La loi de 1994 exclut la présomption de consentement :

o lorsque l'intéressé a fait connaître son refus de son vivant : un rôle essentiel mais non exclusif est dévolu à cet effet au registre national automatisé. Il remplace le registre spécial dont la loi Caillavet avait prévu le dépôt dans chaque établissement hospitalier concerné et qui n'était que très rarement utilisé. A défaut d'une volonté exprimée par l'inscription sur ce registre (ou par tout autre moyen), le médecin " doit s'efforcer de recueillir le témoignage de la famille " ;

o lorsque le prélèvement en vue d'une greffe s'applique à une personne décédée qui était mineure ou majeure incapable : le consentement écrit et exprès de chacun des titulaires de l'autorité parentale ou du représentant légal est alors nécessaire ;

o lorsque le prélèvement a lieu à des fins exclusivement scientifiques : la loi distingue ici les autopsies cliniques (en vue de rechercher les causes de la mort) dont la famille est simplement informée, et les autopsies scientifiques pour lesquelles le consentement doit avoir été exprimé, soit directement par le défunt, soit par le témoignage de la famille qui peut donc jouer ici un rôle plus déterminant que pour les prélèvements à des fins thérapeutiques. On verra plus loin les critiques adressées par les anatomopathologistes à cette distinction qu'ils jugent artificielle et préjudiciable à la pratique des autopsies.

Fruit de compromis élaborés au cours des navettes et jusqu'au stade de la commission mixte paritaire, l'économie de la loi se ressent de cette gestation difficile et recèle même une apparente contradiction puisque les prélèvements à visée scientifique, soumis selon les deux premiers alinéas de l'article L 671-7 au régime du consentement présumé, se voient appliquer, pour certains d'entre eux, celui du consentement exprès par le premier alinéa de l'article L 671-9. Cette construction juridique hésitante n'a pas été sans créer quelques difficultés d'interprétation qui ont compliqué la mise au point des textes d'application.

2. L'application de la loi : une mise en oeuvre tardive et certains effets critiqués

2.1. Les prélèvements à visée thérapeutique : des résultats à ce jour difficilement mesurables

2.1.1. Un impact psychologique limité, dans l'attente d'une information large et méthodique du public

Du côté des responsables et praticiens de la transplantation, on estime que les nouvelles dispositions ont été bien accueillies, tant par les personnels médicaux que par l'opinion. Le professeur HOUSSIN considère que la loi a, sans aucun doute, contribué à rétablir la confiance du public et à lui donner une perception positive du don et de la greffe d'organes. Les personnels, sensibles dans un premier temps aux contraintes de l'encadrement de leurs activités, commencent maintenant à en ressentir le bénéfice.  Ces appréciations se retrouvent chez le professeur CHARPENTIER comme chez les praticiens entendus le 17 septembre 1998 à la Maternité régionale de Nancy.

Pour autant, ces réactions positives ne trouvent pas encore de traduction chiffrée dans les statistiques de la transplantation d'organes. Certes, comme le souligne M. HOUSSIN, on note, pour les cornées, une remontée des prélèvements au niveau antérieur à la crise et une stabilisation de la chute des dons d'organes en 1995-1996 . Mais les oppositions au prélèvement, qui étaient passées de 15 % en 1991 à 34 % en 1994 et à 35 % en 1995, se maintiennent à ce pourcentage en 1996.

Cela étant, l'opinion semble très majoritairement favorable au don d'organes à visées thérapeutiques. Selon une enquête menée en 1998 par le Centre régional juridique de l'Ouest auprès de 226 personnes, 87 % d'entre elles fournissaient sur ce point une réponse positive, mais 65 % estimaient être insuffisamment informées sur les besoins en greffons et l'utilisation qui en est faite et 77 % déclaraient ignorer la législation en vigueur. Le manque de transparence du milieu médical est souvent critiqué et le soupçon de trafic d'organes reste présent dans beaucoup d'esprits.

L'article L 665-12 interdit la publicité mais autorise l'information en faveur du don (distinction qui n'est pas toujours d'un maniement aisé) et en confie la responsabilité au ministre chargé de la Santé. L'EFG, qui doit en assurer la mise en oeuvre, a conçu une campagne d'éducation sanitaire sur le prélèvement et la greffe, articulée en fonction de trois types de public selon le calendrier suivant :

o secteur hospitalier1996

o professions médicales et paramédicales1997

o grand public1998

La mise en place du registre automatisé a conduit à reporter cette dernière étape en 1999, ce qui présente l'inconvénient, non négligeable en terme de communication, d'organiser l'information sur l'expression du refus avant la promotion du don.

Il serait en tout état de cause souhaitable que cette information du grand public associe le ministère de la Santé et celui de l'Education nationale qui pourrait faire prendre conscience aux Français, dès leur plus jeune âge, de l'importance et de la nécessité du don d'organes. Il est également indispensable qu'une synergie s'instaure ou se rétablisse avec les associations d'intérêt public, telles que France-Adot, qui accomplissent depuis de nombreuses années un important travail sur le terrain et disposent des réseaux indispensables à la réussite de toute action de promotion. Dans cette perspective, il pourrait s'avérer utile de leur confier le droit, non reconnu actuellement par la loi, de participer officiellement aux campagnes d'information.

2.1.2. La lente mise en place du registre national automatisé

- Le décret d'application de l'article L 671-7, alinéa 2, instituant le registre national automatisé a été publié le 30 mai 1997 , soit près de trois ans après la promulgation de la loi. Ce retard est dû, pour une large part, aux difficultés d'interprétation des articles L 671-7 et L 671-9 relatifs aux modes d'expression du consentement et, singulièrement, au contenu de la notion de prélèvement à des fins scientifiques qui semble soumis à deux régimes distincts selon que l'on se réfère à l'un ou l'autre de ces articles.

Le premier projet soumis au Conseil d'Etat avait limité l'expression du refus par inscription sur le registre aux prélèvements opérés à des fins thérapeutiques, excluant ainsi de ce mode d'expression les prélèvements opérés dans le but de rechercher les causes de la mort ainsi que les autres prélèvements à des fins scientifiques.

Tout en reconnaissant que les dispositions des articles L 671-7 et L 671-9 sont d'une interprétation difficile en raison des contradictions et des ambiguïtés qu'elles comportent, le Conseil d'Etat, s'appuyant sur les travaux préparatoires, a estimé que l'article L 671-9 devait être interprété comme impliquant que le refus de prélèvement ayant pour but la recherche des causes du décès peut être exprimé par une inscription sur le registre automatisé. Il a en outre considéré que, dès lors que les prélèvements à des fins scientifiques ne peuvent, selon le même article, être opérés sans le consentement du défunt, l'application cohérente de la loi conduisait à prévoir que l'absence de consentement à de tels prélèvements pouvait se manifester aussi de manière certaine, du vivant de l'intéressé, par l'inscription d'un refus sur le registre.

Conformément à ces observations, l'article 2 du décret dispose que toute personne majeure ou mineure, âgée de 13 ans au moins, peut s'inscrire sur le registre afin d'exprimer son refus d'un prélèvement sur son corps après son décès, soit à des fins thérapeutiques, soit pour rechercher les causes du décès, soit à des fins scientifiques, soit dans plusieurs de ces cas.

Il n'en demeure pas moins qu'une contradiction apparente subsiste entre la lettre de la loi, qui impose un consentement exprès pour les prélèvements à visée scientifique, et le décret, qui ouvre l'accès, dans ce cas, à un mode d'expression de refus qui ne devrait jouer que pour les prélèvements soumis à la présomption de consentement. A n'en pas douter, une remise en cohérence du règlement et de la loi passera nécessairement par une clarification de cette dernière. On verra plus loin qu'elle est par ailleurs souhaitée pour des motifs de fond.

- La mise en service du registre , installé à Marseille, s'est faite le 7 juillet 1998, par la distribution, dans les 22 000 officines pharmaceutiques, de 2 millions et demi de brochures fournissant tout à la fois des informations sur le don d'organes et de tissus, un formulaire d'inscription et une carte de donneur. L'EFG s'efforce ainsi de corriger la tonalité négative que revêtirait une campagne axée exclusivement sur l'expression d'un refus.

Au total, 11 millions de brochures seront diffusées dans l'année tant auprès des officines que des hôpitaux et des associations, ainsi que chez les médecins généralistes. Le coût de l'opération est de 7,5 millions de francs, somme qui comprend l'investissement informatique (2 MF), la saisie des données -on en prévoit 250 000- (1 MF), la réalisation des documents (3 MF) et leur routage (1,5 MF).

Les inscriptions ont été saisies à partir du 21 juillet et le registre est consultable par les praticiens depuis le 15 septembre. Trois mois après son ouverture, 15 000 refus avaient été enregistrés.

Il est évidemment impossible de porter dès à présent une appréciation sur le fonctionnement de ce dispositif et les incidences qu'il pourra avoir sur l'évolution des dons. Les enseignements qui peuvent être tirés des systèmes en vigueur dans d'autres pays européens doivent être interprétés avec prudence en raison, d'une part des données socioculturelles propres à chacun d'entre eux, d'autre part du fait que la plupart des registres mis en place permettent l'expression alternative d'une adhésion ou d'un refus : c'est le cas de la Hollande, de la Grande-Bretagne et de la Belgique. Dans ce dernier pays, cependant, on constate que seuls les partisans du refus, qui ne représentent que 1 à 2 % de la population, se sont manifestés, la Belgique présentant par ailleurs aujourd'hui, par application du consentement présumé, un excédent d'organes qu'elle met à la disposition des patients étrangers. Le Portugal qui a mis en place, en 1995, un registre qui, comme en France, ne recueille que les refus, a comptabilisé 36 000 inscriptions (soit 0,3 % de la population) alors que le taux de prélèvement y est de 20 par million d'habitants.

Avant même qu'une évaluation du système puisse être effectuée, des opinions s'expriment, soit pour en contester radicalement l'opportunité (c'est le cas de France-Adot qui le juge inutile, pénalisant, incomplet, voire inconstitutionnel), soit pour y apporter des aménagements : l'un d'entre eux pourrait consister, à l'instar des pratiques étrangères évoquées ci-dessus, à élargir le registre national afin de permettre à toute personne qui le désire d'exprimer son opinion, que celle-ci soit en faveur ou en défaveur des dons d'organes. Peut être invoqué ici le succès des fichiers de donneurs volontaires de moelle osseuse qui rassemblent 4 millions de personnes dans le monde dont 85 000 en France. Cette réforme aurait en outre l'avantage de satisfaire, à texte inchangé, l'exigence énoncée par l'article L 671-9 alinéa 1 qui impose, on l'a vu, pour tout prélèvement scientifique, que le donneur ait, de son vivant, exprimé directement son accord. Celui-ci n'en a pas actuellement la possibilité et la création d'un registre élargi permettrait de résoudre ce problème .

2.1.3. Le témoignage de la famille : les aménagements souhaitables

L'inscription au registre ne constituant qu'un mode d'expression parmi d'autres , il demeure fréquemment nécessaire de solliciter le témoignage de la famille qui s'apparente en fait, dans bon nombre de cas, à un véritable pouvoir de décision. Plusieurs remarques et suggestions ont été faites à propos de l'accomplissement de cette démarche :

o La notion de " famille ", très restrictive et qui exclut notamment le concubin, ne doit-elle pas être remplacée par celle de " proches " qui figurait à l'origine dans le projet de loi et avait été écartée au cours des travaux parlementaires faute d'un contenu juridique assez précis ? Si l'interprétation libérale suggérée à l'époque par les rapporteurs tend à prévaloir dans la pratique, mieux vaudrait mettre les termes de la loi en accord avec cette dernière.

o L'exigence d'une information préalable et complète de la famille sur la pratique des greffes, les besoins en organes, la restauration du corps, mériterait d'être formellement imposée.

o Mme le professeur THOUVENIN souligne la faible portée juridique de l'article L 671-7 enjoignant au médecin de " s'efforcer " de recueillir le témoignage de la famille. Elle juge souhaitable que la recherche du consentement associe aux médecins des représentants des associations qui se consacrent à la défense des droits des patients. Il manque, selon elle, dans le dispositif actuel, un médiateur chargé de représenter les donneurs .

2.2. Les prélèvements médico-scientifiques : la loi compromet-elle la pratique des autopsies ?

2.2.1. La lettre et l'esprit des textes

Les conditions laborieuses dans lesquelles fut mise au point la rédaction définitive des articles L 671-7 et L 671-9 du Code de la santé publique expliquent, si elles ne les justifient pas totalement, les obscurités qui en rendent malaisée l'interprétation littérale.

Alors que l'article L 671-7 semble soumettre les prélèvements à des fins scientifiques dans leur ensemble à la règle du consentement présumé, l'article L 671-9 distingue deux catégories auxquelles il applique un régime différencié :

o les prélèvements ayant pour but la recherche des causes du décès relèvent de la présomption de consentement. La famille est simplement " informée des prélèvements effectués " sans que le texte précise à quel moment doit se faire cette information ;

o la présomption est en revanche écartée pour les autres prélèvements à visée scientifique qui ne peuvent être pratiqués sans que le consentement du défunt ait été exprimé, soit directement, soit par le témoignage de la famille. Le texte n'entoure la manifestation de ce consentement d'aucun formalisme et l'on a vu par ailleurs qu'il ne peut être matérialisé par une inscription au registre national automatisé puisque ce dernier ne prend en compte que des refus.

Bien qu'elle soit quelque peu cryptée par cette formulation byzantine, l'intention du Parlement, telle qu'elle ressort des travaux préparatoires, n'en était pas moins claire : il s'est agi de rétablir entre les médecins et la famille la confiance affaiblie par des erreurs et des dérives constatées au cours des dernières années. Il convenait donc que les familles soient informées avant tout prélèvement destiné à rechercher les causes du décès et qu'elles puissent traduire, pour les autres types de prélèvement, la volonté du défunt si celle-ci ne s'est pas exprimée de son vivant.

Ces dispositions suscitent, chez les anatomopathologistes et les neuropathologistes, un certain nombre de critiques que le professeur GOT a exprimées dans un rapport remis en mars 1997 au secrétaire d'Etat à la Santé et qu'il a reprises à l'occasion de son audition du 30 septembre 1998.

2.2.2. Débat sur des dispositions contestées

Les critiques formulées peuvent être analysées en deux points :

o la loi ne tient pas compte de la réalité médico-sociale ;

o bien qu'imparfaitement appliquée, elle contribue à la régression d'une activité -l'autopsie- indispensable au progrès des connaissances médicales.

- Sur le premier point , le professeur GOT note tout d'abord que la loi se refuse à employer le terme d'autopsie pour ne parler que de prélèvements. Du fait de cette lacune, un médecin pourrait actuellement pratiquer une autopsie sans effectuer de prélèvement chez une personne ayant déclaré avant sa mort son opposition à toute atteinte à son cadavre. " Il est donc possible de respecter la lettre de la loi sans respecter l'intégrité du cadavre. "

D'autre part, la division des prélèvements scientifiques en deux catégories n'a pas de sens pour les professionnels. Il est presque toujours possible d'affirmer que les recherches paraissant purement scientifiques au premier abord vont contribuer à préciser les causes de l'affection qui a finalement entraîné la mort. " Une pathologie mortelle est un enchaînement d'événements mettant en jeu des séquences causales qui s'intriquent étroitement et permettent de soutenir, sans la moindre mauvaise foi, que l'on recherche la cause du décès tout en faisant de la recherche. "

La famille ne devrait fournir qu'un témoignage sur la volonté présumée du défunt, mais les travaux préparatoires lui confèrent un véritable pouvoir de décision appuyé sur la conviction qu'elle ne souhaitera pas s'opposer aux prélèvements dans l'immense majorité des cas. Or, tous les sondages menés dans les différents pays européens démentent ce pronostic, sauf en néonatalogie où le désir des parents de connaître les causes du décès reste prédominant.

- Sur le second point , le rapport GOT s'appuie sur une enquête auprès de la totalité des services d'anatomie pathologique pratiquant des autopsies médico-scientifiques.

S'agissant de l'application des nouvelles dispositions , cette enquête fait apparaître une très grande diversité des situations. Sur 121 centres qui ont précisé leurs pratiques en 1996 :

o 75 (62 %) ont respecté la loi : les médecins demandeurs avaient prévenu la famille que des prélèvements seraient pratiqués ou s'étaient engagés à le faire et les documents administratifs avaient été modifiés en ce sens. Ces établissements ont effectué 37,3 % des autopsies.

o 46 (38 %) ont continué à appliquer les dispositions de la loi de 1976, ne renonçant à faire l'autopsie que si la famille (ou le patient lors de l'hospitalisation) avait manifesté activement son opposition à sa réalisation, sans que cet avis soit sollicité. Ils ont réalisé 62,7 % des autopsies.

Le rapport note en outre que, " confrontés aux difficultés d'application de la loi et à ses ambiguïtés, certains pathologistes ont sollicité l'avis de leur tutelle, en particulier en écrivant à la Direction générale de la santé pour avoir des instructions précises sur les modalités de mise en oeuvre du texte et sur l'interprétation des dispositions paraissant contradictoires. Ils n'ont obtenu aucune réponse. "

M. GOT met en évidence une régression globale des autopsies -le total comptabilisé en 1996 (3 914) étant inférieur au nombre d'autopsies pratiquées en 1980 dans les services de l'Assistance publique/Hôpitaux de Paris (5 791). Sans l'imputer exclusivement à la loi de 1994, il observe que les hôpitaux qui l'appliquent strictement indiquent une réduction moyenne de 61 % et conclut : " Les médecins limitent progressivement leur recours aux autopsies, préférant ne pas les demander plutôt que d'avoir à les faire dans les conditions prévues par la loi. Le résultat est une diminution inquiétante des recours à cette forme de contrôle de qualité relevant de la sécurité sanitaire. "

La pratique des autopsies est indiscutablement en chute libre mais, comme le remarque le professeur LEMAIRE qui porte, en tant que chef d'un service de réanimation, un regard un peu différent sur la réforme de 1994, il s'agit d'un phénomène mondial dont les causes sont diverses .

o Phénomène mondial : les Etats-Unis, pris communément comme référence, ont vu passer le pourcentage des autopsies de 50 à 12 % en 50 ans et l'autopsie n'est plus, depuis 1970, un critère de qualité pour les établissements de soins américains. A l'hôpital Henri-Mondor, 15 % des décès étaient suivis d'une autopsie en 1992 ; cinq ans plus tard, alors que l'application de la loi n'était toujours pas effective dans cet établissement, le taux n'était plus " spontanément " que de 7 %.

o Causes diverses : " l'amélioration et la sophistication des techniques diagnostiques pre mortem (imagerie, endoscopie, biopsies, biologie) et aussi une modification majeure de l'activité médicale anatomopathologique, tournée désormais vers les techniques les plus modernes, la pratique des autopsies devenant alors, pourquoi ne pas l'écrire, singulièrement démotivante [...] Cette évolution a déjà eu une conséquence importante : la reconversion des laboratoires d'anatomopathologie, dont l'activité, absolument essentielle au fonctionnement de nos hôpitaux aujourd'hui, est maintenant tournée quasi exclusivement vers l'analyse morphologique et biologique des prélèvements effectués sur les patients vivants (biopsies, examen des pièces opératoires, cytologie). "

Pour ce qui concerne la neuropathologie, réanimateurs, anatomopathologistes et cliniciens s'accordent, en tout état de cause, sur un point : l'autopsie traditionnelle conserve une réelle utilité pour le diagnostic de certaines affections neurodégénératives (maladie d'Alzheimer, maladie de Parkinson), inflammatoires (sclérose en plaques) ou transmissibles (maladie de Creutzfeldt-Jakob). Le recueil des prélèvements post mortem a un rôle de veille sanitaire, comme on le voit aujourd'hui pour la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Il permet de contrôler la qualité du diagnostic et, enfin, d'effectuer des recherches (notamment sur les causes de la maladie d'Alzheimer ou le mécanisme de la sclérose en plaques).

Il sera donc nécessaire, sans remettre en cause les principes de transparence et de liberté du consentement qui ont guidé le législateur en 1994, d'introduire plus de cohérence et de clarté dans le dispositif juridique en séparant clairement l'autopsie, dont les finalités sont très spécifiques, des prélèvements à fin thérapeutique. Lors de son audition, le professeur GOT a proposé de permettre à tout individu majeur d'exprimer sa volonté sur le fichier national, d'une part pour des prélèvements à visée thérapeutique, d'autre part pour des prélèvements à visée médico-scientifique, dans des conditions assurant la stricte confidentialité de l'information. Les ressources de l'informatique permettent, selon lui, la mise en place et la gestion d'un tel fichier. Le débat est ouvert. Il appartiendra au Parlement de trancher.

2.3. Les prélèvements post mortem de tissus et cellules : un encadrement qui reste à préciser

L'article L 672-6, alinéa 1, renvoie à un décret en Conseil d'Etat le soin de fixer les situations médicales et les conditions dans lesquelles le prélèvement de tissus et cellules et la collecte de produits du corps humain sur une personne décédée sont autorisés.

Ce texte n'est pas encore paru mais l'on peut s'interroger sur la portée limitée que semble lui assigner la Direction générale de la santé. Il s'agirait, selon cette interprétation, d'établir la liste des tissus pouvant être prélevés à coeur arrêté. Aux termes du décret du 24 mai 1994 et d'un arrêté du même jour maintenus temporairement en vigueur sur ce point par le décret du 9 octobre 1997 relatif à la sécurité sanitaire, cette liste comprend la cornée, l'os cortical et la peau. Certaines demandes, émanant notamment du Conseil de l'ordre, visent à y adjoindre les os, les tubes vasculaires, les valves cardiaques, les tendons et les nerfs. Si le texte prévu par l'article L 672-6 n'a pour objet que de mettre cette liste à jour, on pourrait considérer que l'urgence de sa parution était un peu moins pressante et admettre, avec la Direction générale de la santé, que l'exigence en cette matière d'un décret en Conseil d'Etat est sans doute excessive.

Cependant, la finalité réglementaire doit être sensiblement plus large si l'on se réfère aux travaux préparatoires et, en particulier, aux considérations exprimées par le rapporteur MATTEI qui furent à l'origine de la rédaction de cet article. M. MATTEI avait mis en évidence les risques de contamination auxquels exposait la greffe de tissus faute d'un contrôle, par définition impossible, trois mois après la période de séroconversion. Il rappelait à ce propos les cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob à la suite de l'utilisation d'hormone de croissance prélevée sur des cadavres . Tout à fait acceptable en matière de transplantation d'organes, lorsque le pronostic vital est réservé, ce risque ne peut être pris pour une greffe de tissus qui ne le met pas en jeu.

" De façon générale ", ajoutait le rapporteur, " il est vivement souhaitable de favoriser la recherche et l'utilisation de matériaux de synthèse plutôt que de généraliser, par facilité, l'utilisation de tissus humains. " On notera d'ailleurs que ce secteur des biomatériaux est en pleine expansion. Un rapport d'une intercommission de l'INSERM l'estimait en avril 1996 à 3 milliards de francs, soit 0,5 % des dépenses de santé. On pose désormais " en routine " 80 000 hanches artificielles et environ 30 000 prothèses de genou chaque année.

Dès lors, il semble bien conforme à l'attente du législateur que des précisions soient apportées par le texte d'application sur les types de prélèvement autorisés -qu'ils soient opérés à coeur battant ou à coeur arrêté- eu égard aux risques potentiels et aux ressources alternatives offertes par les matériaux de substitution.

Sur deux points, en revanche, les décrets sont venus aligner les tissus sur les organes alors que la loi ne le prévoyait pas expressément. Il s'agit :

o du principe de séparation entre les médecins qui établissent le constat de la mort et ceux qui pratiquent le prélèvement (décret n° 96-1041 du 2 décembre 1996) ;

o de l'obligation d'assurer la restauration décente du corps (décret n° 97-306 du 1er avril 1997 et arrêté du même jour homologuant les règles de bonne pratique).

L'importance de ces règles ne justifierait-elle pas qu'elles soient réintroduites dans le corps même de la loi ?

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