V - L'ENCADREMENT DES ACTIVITÉS DE PRÉLÈVEMENT ET DE TRANSPLANTATION

1. Les conditions médicales du prélèvement : principes et pratiques

Certaines des règles fixées par la loi dans l'intérêt des donneurs et des receveurs sont approuvées sans réserve par les praticiens mais peuvent parfois créer des difficultés lorsqu'elles sont appliquées de façon excessivement stricte.

1.1. Séparation des compétences et collaboration des équipes

L'article L 671-10 a établi une séparation entre les médecins qui établissent le constat de la mort et ceux qui effectuent les prélèvements et les transplantations, les uns et les autres devant faire partie d'unités fonctionnelles ou de services distincts. Les praticiens ne contestent pas l'opportunité de ce principe qui garantit l'indépendance du diagnostic et la protection du donneur. Ils réaffirment par ailleurs leur opposition à toute séparation entre prélèvement et greffe car l'acte de prélèvement est le premier temps de la transplantation et la qualité de cette dernière est tributaire des efforts faits pour améliorer les techniques chirurgicales de prélèvement. Mais ils observent que l'application de la règle de séparation va souvent au-delà de l'intention du législateur et conduit à des cloisonnements -partiellement atténués par les coordonnateurs- qui s'opposent à la constitution d'équipes regroupant tous les personnels expérimentés d'un même hôpital qui unissent leurs efforts pour développer le prélèvement d'organes .

1.2. Anonymat et traçabilité

Le principe de l'anonymat entre donneur et receveur est posé par l'article L 665-14 qui permet toutefois d'y déroger en cas de nécessité thérapeutique. Il semble être interprété dans certaines régions de façon très extensive ; les préleveurs et transplanteurs qui souhaitent obtenir certaines informations urgentes sur les greffons et les donneurs (pour parer, par exemple, à des risques infectieux) sont, de ce fait, contraints d'emprunter des procédures longues et complexes transitant par l'EFG qui ne facilitent pas l'établissement de la traçabilité. La préservation de l'anonymat ne doit pas conduire à un déficit de l'information dès lors que des procédures internes permettent de séparer les données utiles au plan médical. Aussi est-il proposé d'appliquer le principe du " secret médical partagé " .

2. L'autorisation des établissements : une mise en oeuvre encore partielle

La mise en application de la loi est très variable selon que l'on considère les activités relatives aux organes ou celles qui concernent les tissus et cellules pour lesquelles de nombreux décrets font encore défaut.

2.1. Les prélèvements et transplantations d'organes

Les activités de prélèvement ne sont pas soumises à planification sanitaire et peuvent être exercées dans tout établissement de santé public ou privé, même à but lucratif. Sur ce point, la parution tardive du décret n° 97-306 du 1er avril 1997 n'a pas créé de solution de continuité, l'article 19 de la loi ayant permis, à titre transitoire, aux établissements précédemment agréés de poursuivre leur activité jusqu'à la décision de l'autorité administrative sur leur demande d'autorisation. Une première série de 222 demandes d'autorisation a été enregistrée au 31 mars 1998 alors que 195 autres au total étaient antérieurement autorisés. 161 centres ont demandé une autorisation pour les prélèvements d'organes et de tissus, 54 pour le seul prélèvement de tissus. Ces autorisations concernent les 29 centres hospitalo-universitaires, les 2 centres hospitaliers régionaux et 117 des 572 centres hospitaliers. Elles visent plus de 13 établissements de santé privés participant au service hospitalier, 11 établissements militaires et 16 établissements de santé privés.

Quant aux établissements habilités à effectuer des transplantations, ils sont soumis au droit commun des autorisations hospitalières avec deux limites imposées par la loi (être autorisé à pratiquer des prélèvements et assurer des activités d'enseignement médical et de recherche). L'arrêté du 31 juillet 1992 en avait fixé le nombre à 40 pour la greffe de rein, 26 pour la greffe de foie et 28 pour la moelle osseuse. Ils ont disposé d'un délai de six mois à compter de la promulgation de la loi pour déposer, en fonction de ces nouvelles conditions, une demande d'autorisation.

2.2. Les prélèvements, la conservation et l'utilisation de tissus et cellules

Sur ce point, de nombreuses dispositions réglementaires restent encore en suspens.

- S'agissant des prélèvements de tissus à des fins thérapeutiques , les conditions d'autorisation ont été fixées par le décret précité du 1er avril 1997. Encore convient-il d'observer que ce texte ne traite pas, comme il le fait par ailleurs pour les organes, des prélèvements sur personnes vivantes, alors que les articles L 672-7 et L 672-9 du Code de la santé publique, dont il découle, ne limitent nullement le régime d'autorisation dont ils fixent les principes aux seuls prélèvements effectués sur personnes décédées. Par ailleurs, le régime des cellules n'y est pas abordé .

- La loi reste inappliquée faute de textes réglementaires dans plusieurs domaines :

o les activités de greffe de tissus et de cellules : il s'agit des articles L 672-13 (pour les dérogations au monopole des établissements de santé accordées aux activités requérant une haute technicité ou nécessitant des dispositions particulières dans l'intérêt de la santé publique) et L 672-14 (relatif aux conditions techniques, sanitaires ou médicales et, en tant que de besoin, financières, auxquelles sont subordonnées les autorisations) ;

o les activités de conservation, transformation, distribution, cession, importation et exportation de tissus et cellules : sont ici concernés les articles L 672-10 (fonctionnement des banques de tissus et conditions dans lesquelles elles peuvent être gérées par des organismes privés à but lucratif) et L 672-12 (pour la fixation des règles, notamment financières et économiques, auxquelles sont subordonnées ces activités).

La Direction générale de la santé invoque plusieurs considérations pour expliquer ces retards :

o la nécessité, pour les cellules, d'élaborer un texte d'harmonisation entre différents régimes, actuellement préparé par la Direction des hôpitaux  ;

o les difficultés que pose la définition des activités de haute technicité, investissement et innovation ne coïncidant pas nécessairement ;

o les problèmes que soulève la fixation de tarifs pour la définition des règles financières et économiques.

Force est donc de constater qu'aucune évaluation ne peut être faite de la législation dans un domaine ayant d'importantes implications médicales, économiques et sanitaires.

3. La répartition et l'attribution des greffons : des règles clarifiées

L'élaboration des règles de répartition et d'attribution des greffons incombe à l'Etablissement français des greffes, qui les soumet pour homologation au ministre chargé de la Santé (article L 673-8). Des dispositions transitoires avaient été, dans un premier temps, établies par un arrêté du 6 novembre 1995.

Une commission nationale de consultation publique a été chargée par le secrétaire d'Etat à la Santé de mener une réflexion approfondie sur les règles de répartition et d'attribution des organes prélevés sur personnes décédées, sur les principes à respecter et les objectifs à atteindre dans le domaine des greffes et de présenter des propositions et recommandations en vue d'améliorer les règles existantes. Le rapport remis en juillet 1996 a proposé une clarification des critères (par l'élaboration de critères spécifiques pour les différents types d'organes, par l'harmonisation nationale des règles de priorité et des exceptions), l'obligation de déclarer les critères médicaux utilisés pour l'inscription sur la liste nationale et une meilleure répartition géographique des organes.

L'arrêté du 6 novembre 1996, entré en vigueur le 1er février 1997, prend en compte un certain nombre de ces propositions. Il existe désormais des règles communes pour le coeur, le poumon, le foie, l'intestin, le rein et le pancréas, avec quatre échelons de répartition : local, inter-régional, national et international. Chaque greffon est successivement proposé aux quatre échelons et dans le même ordre. Par dérogation, une proposition prioritaire du greffon peut être faite successivement au bénéfice de ceux dont la vie est menacée à très court terme, à ceux pour lesquels la probabilité d'obtenir un greffon est très faible, et enfin aux enfants. Ces priorités et leur échelon de mise en oeuvre sont précisés par les règles spécifiques à chaque type de greffon.

4. L'inscription des patients non résidents sur la liste d'attente

L'inscription des étrangers non résidents sur la liste nationale est admise, comme auparavant, par l'article L 673-8 du Code de la santé publique.

L'arrêté du 24 novembre 1994 a introduit certaines limitations à ce type de demande : le ministre de la Santé du pays de l'intéressé doit attester que la greffe ne peut y être effectuée et le directeur de l'établissement de santé, ayant tout avis favorable, doit vérifier que la prise en charge financière de l'intéressé est assurée. Il n'est pas certain que ces dispositions soient conformes au règlement de l'Union européenne relatif à l'application du régime de sécurité sociale aux travailleurs et à leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté. Dans son rapport déjà cité, la Commission de consultation sur les règles de répartition et d'attribution des organes estime que les non-résidents, par application du principe de non-discrimination, ne sauraient être exclus du bénéfice de la greffe sur le territoire français. Afin d'éviter que des équipes accroissent anormalement leur activité par l'inscription de non-résidents, elle suggère que l'EFG soit doté d'un pouvoir d'appréciation et de régulation.

Dans les faits, la commission note que, depuis le rapport de l'IGAS de 1992, " la situation est désormais revenue à de plus modestes proportions et ne présente plus de difficulté aiguë pour [ses] différents interlocuteurs qui se réfèrent au serment d'Hippocrate pour réfuter tout choix lié à la nationalité d'un malade avant de l'inscrire sur la liste d'attente " .

5. Circulation transfrontière, éthique et sécurité sanitaire : la nécessaire harmonisation européenne

Les dispositions réglementant l'importation et l'exportation d'organes, de tissus et de cellules n'entrent pas dans le champ de notre évaluation puisqu'elles résultent, pour l'essentiel, de la loi du 31 décembre 1992 modifiée et de la loi du 1er juillet 1998 relative au contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme. On rappellera par ailleurs que la loi du 28 mai 1996 portant DMOSS avait permis, par arrêté, au ministre chargé de la Santé de restreindre, suspendre ou interdire la transformation, l'exportation, la cession ou l'utilisation d'un élément ou produit du corps humain (article L 165-15.1 du Code de la santé publique) .

Pour autant, quelle que soit l'efficacité intrinsèque de ce dispositif, la question d'une harmonisation des différentes législations européennes, voire d'une véritable réglementation européenne, en matière de greffes de tissus ne peut aujourd'hui être éludée.

Dans l'avis qu'il a publié le 21 juillet 1998, le Groupe européen d'éthique des sciences et des nouvelles technologies auprès de la Commission européenne souligne que les prélèvements et la conservation de tissus ne sont réglementés que dans trois pays : la France, la Belgique et l'Espagne, et estime qu' " il n'est pas possible d'affirmer que la sécurité sanitaire des tissus est correctement assurée dans l'Union européenne " . Le GEE souligne le caractère éthique de l'impératif de sécurité sanitaire. A ce titre, il recommande d'élaborer des normes communautaires de qualité et de sécurité sanitaire des tissus humains. Il suggère, en outre, la création d'une structure européenne de sécurité sanitaire, en liaison avec l'Agence européenne du médicament. Cette proposition est complétée par celle d'un contrôle strict sur les activités des banques de tissus qui devraient être soumises à agrément dans tous les pays de l'Union européenne.

Les démarches françaises vont dans le même sens. Un mémorandum préparé en mai 1998 à destination de Bruxelles propose un certain nombre de règles communes avec des spécifications sur la sécurité, la traçabilité, les règles éthiques, les autorisations et les inspections par les Etats membres, les bases de données et les systèmes de vigilance. Ce texte propose aussi de distinguer les techniques " classiques " des techniques innovantes pour lesquelles une autorisation devrait être délivrée au niveau européen. Il suggère enfin la création d'une cellule d'expertise européenne qui aurait vocation à définir des normes, à donner des autorisations de procédés et de produits et à analyser les systèmes de vigilance.

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