2. Une " alchimie mystérieuse " qui vide l'autorisation budgétaire de son sens

Un interlocuteur de votre commission d'enquête a qualifié la gestion des personnels de l'éducation nationale d' " alchimie mystérieuse " , voulant souligner par cette expression le fait qu'elle est l'objet d'une suite complexe de réactions et de transformations dont la nature relève davantage de l'occulte que de la raison.

Le caractère " alchimique " de la gestion des personnels intervient au cours du processus de transformation des emplois inscrits en loi de finances en emplois attribués aux établissements scolaires.


Lors du vote par le Parlement de la loi de finances, les emplois sont détaillés par corps et par grade dans le budget de l'enseignement scolaire. Puis le ministère délègue des emplois aux rectorats, non pas par corps et par grade, mais de façon indifférenciée. Cette délégation intervient donc sans prise en compte de la présentation des emplois retenue par le " bleu ". En outre, elle n'est pas soumise au visa du contrôleur financier central. A ce stade, on ne connaît déjà plus vraiment la réalité des emplois délégués aux rectorats par rapport aux effectifs budgétaires.

Au niveau déconcentré, les emplois vont subir une nouvelle transformation. En effet, la dotation d'emplois reçue par les recteurs va être transformée en une dotation globale horaire affectée à chaque chef d'établissement. C'est à ce stade du processus, lorsque l'on passe d'emplois indifférenciés à une dotation globale horaire, que l'" alchimie " devient mystérieuse : en effet, les recteurs créent alors des emplois et, ce faisant, vont au-delà du nombre d'emplois qui leur a été délégué.

La transformation des emplois indifférenciés qu'ils ont reçus de l'administration centrale en dotation horaire globale nécessite de calculer le rendement de chaque emploi, c'est-à-dire le nombre d'heures d'enseignement assuré par un emploi donné. Ce calcul est déterminé sur des données de l'année précédente. Or, à moyen terme, le taux de rendement des emplois augmente, c'est-à-dire qu'un même nombre d'élèves nécessite un nombre d'enseignants croissant, un enseignant étant chaque année présent moins de temps devant les élèves. Les recteurs vont donc pondérer les emplois qu'ils ont reçus en délégation par un nombre d'heures d'enseignement plus grand que celui que les enseignants peuvent effectivement assumer : par ce procédé, ils créent des emplois.

Enfin, les établissements transforment leur dotation globale horaire en postes pédagogiques sur la base desquels sera réalisé le mouvement national des enseignants.

A chaque stade de la transformation des emplois, le nombre d'emplois autorisés par la loi de finances est accru en raison de marges de sécurité que se donne chaque échelon administratif : un recrutement excessif au niveau de l'administration centrale, des heures d'enseignement supplémentaires au niveau des rectorats.

Au bout du compte, apparaissent des enseignants qui ne peuvent être immédiatement affectés sur un poste : il s'agit des titulaires académiques. Ces derniers constituent le nouveau volant de flexibilité du système éducatif dont l'apparition est liée à la décision de ne plus recourir à des maîtres auxiliaires. Il semble donc que l'éducation nationale ne puisse se passer de variables d'ajustement engendrées par le fonctionnement du système lui-même. Ce point sera développé avec plus de détails dans le chapitre suivant.

Votre commission d'enquête ne peut que vivement déplorer les anomalies et les irrégularités portées à sa connaissance : les enseignants affectés dans un établissement sans support budgétaire, les enseignants affectés sans poste sur des regroupements d'heures supplémentaires, des enseignants affectés à des tâches autres que l'enseignement, des enseignants rémunérés à plein temps pour des services partiels.

L'" alchimie ", si elle est mystérieuse, devient surtout coûteuse.

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