1. INTRODUCTION

L'étude du fonctionnement de l'UEM nécessite une bonne compréhension des caractéristiques et des différences des marchés du travail des pays de l'UE. Cette première partie précise ces caractéristiques en se focalisant plus particulièrement sur cinq pays : l'Allemagne, la France, l'Italie, le Royaume-Uni et les Pays-Bas. Les éléments d'analyse comparée s'appuient également sur les autres pays de l'UE, la Norvège ainsi que les Etats-Unis et le Japon, pour élargir la perspective.

On distingue ici quatre grands domaines « institutionnels » qui permettent de caractériser le fonctionnement du marché du travail : le mode de négociation des salaires, le degré de protection de l'emploi, l'importance des revenus de remplacement et l'existence de politiques actives d'emploi. Dans chacun de ces domaines, une brève analyse théorique permet de comprendre comment les caractéristiques structurelles peuvent se traduire en termes de salaires et d'emploi. Sont présentés ensuite différents indicateurs permettant une comparaison des pays européens. Une telle démarche analytique est justifiée par l'ampleur et la complexité du sujet. Mais elle ne doit pas faire perdre de vue la logique d'ensemble du fonctionnement de chaque système d'emploi national et les interactions (complémentarités ou au contraire substitutions) qui existent entre les différentes composantes. Une synthèse est donc présentée en dernière section.

Cette analyse repose sur des informations obtenues pour la plupart auprès de la Commission européenne (DGV), de l'OCDE et du Bureau international du travail. Afin de rendre compte quantitativement d'éléments particuliers, parfois qualitatifs, nous avons attribué des « notes »20 ( * ) aux différents pays. Celles-ci nous ont alors permis de construire des indicateurs synthétiques qui ont été, dans la mesure du possible, comparés aux indicateurs élaborés par d'autres chercheurs. Surtout, les informations de base à partir desquelles ils ont été construits sont disponibles en annexe. Une telle démarche de quantification a deux avantages. Tout d'abord, elle nous aide à mettre en évidence ce qui distingue le plus les marchés du travail européens les uns des autres. D'autre part, elle sera d'une grande utilité lorsque nous tenterons d'identifier quelles caractéristiques du marché du travail sont susceptibles d'expliquer les différences d'ajustement des salaires (objet de la deuxième partie de l'étude).

Encadré 1 :

Institutions du marché du travail et modèles du marché du travail : quelques liens théoriques

Le marché du travail est le lieu où se concrétise l'échange entre l'offre de travail des ménages et la demande de travail des entreprises. En concurrence parfaite, et lorsque les grandeurs nominales sont parfaitement flexibles, le prix du travail (le salaire réel) s'ajuste pour assurer le plein emploi. Si l'offre d'emploi est excédentaire, les travailleurs sans emploi proposent leurs services pour un salaire inférieur à celui des travailleurs en place. Si au contraire, la demande d'emploi est excédentaire, les entreprises peuvent augmenter l'offre en proposant de meilleures rémunérations. Ce schéma théorique où le chômage n'apparaît jamais ne permet pas d'expliquer la persistance dans le temps de demandes d'emploi non satisfaites.

Deux amendements ont été apportés au cadre walrasien d'équilibre concurrentiel pour mieux rendre compte de la réalité du fonctionnement du marché du travail. Tout d'abord, en raison de coûts d'ajustement (coût de catalogue,...) ou de réglementations (contrats valables sur une période fixe), les prix, les salaires et l'emploi ne peuvent s'ajuster instantanément aux modifications de l'environnement économique. Les interactions entre les différentes sources d'inertie structurelle de l'économie, en particulier celles du marché du travail mais aussi du marché des biens et des capitaux, peuvent expliquer la rigidité des salaires réels et la persistance du chômage à moyen terme.

Une seconde manière de rendre la représentation du marché du travail plus réaliste consiste à identifier les éléments du processus de fixation des salaires susceptibles d'éloigner l'économie de l'équilibre walrasien sous-jacent. L'élément central de cette approche est que le pouvoir de négociation des salariés ayant un emploi est supérieur à celui des demandeurs d'emploi. Ainsi, à l'équilibre, le salaire se fixe à un niveau supérieur de celui de l'équilibre concurrentiel. Le chômage est alors en partie le reflet de l'incapacité des demandeurs d'emploi à faire pression sur les salaires des travailleurs en place. Les salaires s'avèrent alors peu sensibles au taux de chômage.

Trois théories peuvent expliquer une telle situation : la théorie du salaire d'efficience, la théorie des insiders et ousiders et les modèles d'appariement entre offres et demandes de travail.

Selon la théorie du salaire d'efficience, les entreprises disposent d'une information imparfaite sur les caractéristiques et les intentions des travailleurs. Elles sont alors prêtes à payer un salaire élevé pour attirer et conserver les meilleurs salariés, et pour inciter ceux-ci à travailler efficacement. Le chômage qui résulte d'un niveau de salaire supérieur à celui compatible avec le plein emploi, renforce en retour l'incitation à l'effort pour les travailleurs ayant un emploi. Ceux-ci ne sont pas directement à l'origine du niveau et de la rigidité des salaires, puisque ce sont les entreprises qui fixent les rémunérations. Dans ce cadre théorique, les caractéristiques du marché du travail qui « protègent » les salariés contre le risque de licenciement réduisent l'incitation individuelle à travailler efficacement et poussent les entreprises à proposer des salaires plus élevés. Les dispositions permettant aux entreprises d'avoir plus d'information et de mieux sélectionner les travailleurs embauchés (comme par exemple la durée des périodes d'essai) jouent dans l'autre sens.

La théorie des insiders-outsiders s'intéresse au pouvoir de négociation des travailleurs ayant un emploi (les ins id ers) relativement à ceux qui n'en ont pas (les outsiders ). Ce pouvoir vient du fait que les entreprises n'ajustent pas l'emploi immédiatement, ceci pour plusieurs raisons. Il peut exister des contraintes administratives sur les licenciements. Par ailleurs, l'ajustement de l'emploi a un coût. Des indemnités sont versées en cas de licenciement et le recrutement nécessite un effort de recherche et de formation de la part des entreprises. Tous ces éléments limitent la substituabilité entre les insiders et les outsiders . Les premiers usent de leur situation pour obtenir des augmentations de salaires plutôt que des embauches nouvelles. De leur côté, les outsiders doivent proposer des salaires nettement plus faibles pour espérer intéresser les entreprises. L'existence de revenus de remplacements généreux peut conduire les outsiders à préférer rester sans emploi.

Lorsque la représentation des insiders est collective, le résultat de la négociation dépend de l'objectif des représentants du personnel. A moins que les syndicats ne visent exclusivement la résorption du chômage, et donc négocient une baisse du salaire ramenant à l'équilibre walrasien, les négociations collectives conduisent à un niveau de salaire supérieur au niveau d'équilibre. Le pouvoir de négociation des syndicats vient, comme précédemment, des coûts d'ajustements de l'emploi que supportent les entreprises, mais il est renforcé par le droit syndical, notamment la menace de faire grève. Le rôle et le pouvoir des syndicats est donc susceptible de rendre les salaires moins sensibles au déséquilibre sur le marché du travail.

Enfin, le comportement des oustsiders , essentiellement l'intensité avec laquelle ils recherchent du travail, est au coeur des modèles d'appariement. La générosité des allocations chômage, la durée de chômage, mais aussi les contraintes à la mobilité sont autant de facteurs susceptibles de diminuer l'intensité de la recherche d'emploi des chômeurs. En conséquence, la position des insiders est moins disputée que ne l'indique le niveau du chômage.

Si les éléments caractérisant le fonctionnement non-concurrentiel du marché du travail font partie des explications potentielles de la persistance du chômage à long terme, ils s'accompagnent aussi d'une moindre sensibilité des salaires au déséquilibre sur le marché du travail (chômage), et certains d'entre eux à un ajustement plus lent de l'emploi à l'activité. Ils sont donc susceptibles d'expliquer la rigidité des salaires et de l'emploi telles que nous les mesurons dans la deuxième partie du rapport.

* (1) 20 L'OCDE effectue plutôt des classements de pays. Il nous a toutefois semblé que la perte d'information pouvait être conséquente puisqu'il n'est alors pas tenu compte des « distances » entre chaque pays, qui sont pourtant généralement disponibles pour les éléments de base (durée de préavis, indemnités licenciement, par exemple).

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