5. Conflits en Transcaucasie - Intervention de M. Jean SEITLINGER, député (UDF), rapporteur - Intervention de Mme Josette DURRIEU, sénateur (Soc) (Mardi 22 avril)

M. Jean SEITLINGER, député (UDF), rapporteur pour avis de la commission des relations avec les pays européens non membres, présente les observations suivantes :

" Madame la Présidente, mes chers collègues, je prends la parole pour la dernière fois au nom de la commission des relations avec les pays européens non-membres qui est en voie de disparition puisqu'elle n'existera plus à la fin de cette semaine. Cette commission a été créée en 1950, pour veiller aux intérêts des non membres, non représentés au Conseil de l'Europe. En 1956, c'était une commission générale, sous le nom de commission des Nations non représentées, puis des pays non représentés, enfin, en 1970, elle est devenue la commission des relations avec les pays européens non membres ; surtout, bien sûr, avec les Assemblées législatives nationales de ces différents pays.

Durant toute cette période, elle a dû se borner à des rapports sur la situation dans les pays d'Europe centrale et orientale, à des actions telles que la publication de listes de prisonniers politiques, dont certains d'ailleurs ont pu obtenir leur libération grâce à l'activité de la commission. Elle s'est prononcée, à l'époque aussi, pour la coopération culturelle Est-Ouest.

La date importante qui a marqué un tournant, non seulement pour la commission mais aussi pour notre Assemblée, fut le 11 mai 1989, quand fut voté à l'unanimité, par notre Assemblée, la création du statut d'invité spécial, à l'initiative de notre collègue député libéral suisse, Peter Säger, président de la commission. Ce statut a permis aux nouvelles démocraties d'Europe centrale et orientale d'être admises, mais pas à part entière. Néanmoins, ces démocraties ont pu intégrer le forum démocratique du Conseil de l'Europe sans un grand délai d'attente.

C'est ainsi que le Président Björck a pu, de cette tribune, en février 1992, déclarer que, grâce à ce statut, le Conseil de l'Europe s'était établi durablement sur la scène politique européenne.

Sous la présidence de David Atkinson, notre collègue britannique qui a succédé à Peter Säger à la présidence de la commission, quinze pays ont obtenu le statut d'invité spécial. M. Atkinson a également fait procéder à de très nombreuses auditions concernant, notamment, la Roumanie, et aussi et surtout, l'Azerbaïdjan, l'Arménie et la Géorgie.

Moi-même, j'ai accédé à cette présidence en janvier 1995 et nous avons poursuivi l'élargissement. En particulier, nous avons enregistré l'adhésion, à part entière, de la Fédération de Russie le 28 février 1996. A présent, quarante Etats sont membres du Conseil de l'Europe, cinq sont encore invités spéciaux et la commission a donc été favorable à la délivrance de ce statut à vingt-trois Etats. Il est vrai que deux l'ont perdu dans l'intervalle.

Je veux donc rendre hommage à mes prédécesseurs, Peter Säger et David Atkinson ; particulièrement au premier qui, par son initiative lucide, a permis cette politique du statut d'invité spécial. Je remercie aussi Guy Dufour qui est à mes côtés et qui a été, tout au long de ces années, le collaborateur de notre commission.

Je me devais de faire cette introduction parce que c'est la dernière occasion que j'ai pour remercier les membres de cette commission, ceux qui ne sont plus des nôtres, et ceux qui encore, jusqu'à ce matin à 8 heures, ont encore participé activement à nos travaux.

Dans notre dernier rapport, après notre visite en Géorgie, il y a quelques semaines, nous avons évoqué les conflits en Transcaucasie, région située entre la Turquie et la Russie, deux pays membres à part entière de notre Assemblée. Ces deux conflits ne sont pas de même nature, mais font l'objet d'un même rapport, parce que leur règlement doit reposer sur les mêmes principes, sur les mêmes normes de Droit International que sont l'inviolabilité ou l'intégrité des frontières, les garanties de sécurité, souvent par des forces multinationales, le statut de large autonomie pour l'Abkhazie et le Haut-Karabakh, et enfin, le droit de retour des réfugiés et leur réintégration.

Ce dernier point n'est pas la moindre exigence que nous devons formuler car il faut savoir que pour ces trois pays qui comptent au total 12 millions d'habitants, il y a entre 1,3 million et 1,5 million de réfugiés. Cela signifie qu'un dixième des habitants sont des déracinés. Nous avons pu nous rendre compte sur place dans quelles conditions difficiles ils font face.

L'exposé des motifs, bien évidemment, n'est pas le document soumis au vote. Seule la résolution fera l'objet d'une approbation. Nous ne sommes pas des médiateurs entre les différentes thèses des historiens, car je sais que, sur ce point, certains de nos collègues de ces pays ne sont pas d'accord. Il y a forcément parmi eux différentes thèses. Nous ne sommes pas ici pour faire l'histoire, pour remonter à des siècles avant Jésus-Christ. Nous sommes confrontés à une actualité, à une situation latente de conflit avec 1,5 millions de réfugiés. Nous devons essayer de notre mieux de trouver des solutions. Nous savons, bien sûr, que la clé n'est pas uniquement parmi nous. Néanmoins, nous pouvons contribuer à la trouver.

S'agissant de l'Abkhazie, qui est un problème interne à la Géorgie, nous sommes allés à Soukhoumi et nous avons rencontré M. Ardzinba. Nous avons pu constater la purification ethnique à laquelle il a procédé après l'arrêt des combats, le cessez-le-feu de mai 1994. J'ajoute qu'il a également fait détruire systématiquement les maisons et les récoltes.

Dans un document, en réponse à nos questions, nous avons constaté qu'il existait des éléments raisonnables pour une négociation. Mais sur un point essentiel, la réponse n'est pas satisfaisante : il s'agit du retour des réfugiés ; M. Ardzinba ne veut pas qu'il y ait à nouveau une prépondérance démographique de population non abkhaze. Bien sûr, cela est inacceptable.

Depuis 1988, le Haut-Karabakh a connu des conflits dramatiques avec près de 20 000 morts. Le cessez-le-feu est intervenu en mai 1994 et il est respecté des deux côtés.

Dès 1992, l'OSCE a créé le Groupe de Minsk. En 1994, à Budapest, lors d'une réunion, il a demandé la présence de forces multinationales mais le Conseil de Sécurité n'a jamais donné suite à cette proposition. Il n'a pas donné mandat à des forces de l'ONU pour se rendre dans le Haut-Karabakh alors qu'elles sont présentes en Abkhazie mais uniquement avec un mandat d'observation donc sans armes.

Pour essayer de lever ce blocage, une réunion a eu lieu à Luxembourg entre les deux Présidents. Le Président de l'Azerbaïdjan, M. Aliev, et le Président de l'Arménie ont chacun nommé des représentants personnels, qui se rencontrent afin d'essayer de faire avancer les choses.

Pour notre part, nous avons aussi organisé, en janvier, un séminaire, qui a permis aux différentes délégations de ces pays de s'exprimer.

Il faut également mentionner le Sommet de Lisbonne, en décembre 1996, qui a réuni les chefs d'Etat et de gouvernement de l'OSCE. Ce sommet s'est conclu par une déclaration de M. Flavio Cotti, président de l'OSCE, qui a été acceptée par cinquante pays, mais pas par le Président de l'Arménie.

Ce que nous pouvons dire, c'est que ces pays, parce qu'ils sont voisins sont condamnés à vivre ensemble et donc obligés de pratiquer l'école de la tolérance, de manière que cette région, au passé si riche, puisse à nouveau redevenir la route de la soie ou, de manière moderne, la route du pétrole.

De toute façon, ne soyons ni trop exigeants ni trop impatients : ces pays n'ont que cinq ans d'indépendance. Dans l'histoire des peuples, c'est très court, et nous ne devons pas juger en occultant ce fait. Nous devons faire confiance à ces pays et les aider afin qu'ils trouvent rapidement la voie de la paix et de la coopération. "

Mme Josette DURRIEU, sénateur (Soc), intervient dans le débat en ces termes :

" L'état de guerre persiste dans les pays dont nous parlons. En Abkhazie, c'est évident. Au Haut-Karabakh, il y a encore eu des morts ces derniers jours.

La situation économique dans ces pays est désastreuse. En Abkhazie, nous avons pu constater récemment, avec la délégation de la commission, que c'était le cas : la situation est comparable à celle de la Bosnie. J'ai visité la Bosnie, je n'ai pas vu de différence.

Le nombre des personnes déplacées se chiffre par centaines de milliers, et probablement plus d'un million pour l'ensemble de ces pays.

Mon propos aura trait essentiellement à la Géorgie et à l'Abkhazie. Je ne souhaite pas, volontairement, l'élargir à l'Ossétie ou à l'Adjarie.

Je résumerai mon propos en trois points.

Premier point : il y a urgence à établir un règlement politique. Les principes communs, vous les avez tous avancés : les frontières, la sécurité, une large autonomie, le droit de retour des réfugiés.

A propos de l'Abkhazie, je voudrais rappeler un certain nombre d'éléments que peut-être nous ignorons trop en Europe.

La guerre a commencé en août 1992 ; le cessez-le-feu est intervenu en juillet 1993 ; il a été rompu après cette date par les Abkhazes ; un exode massif a eu lieu, déplaçant 120 000 personnes, venues s'ajouter aux 70 000 qui étaient déjà parties ; plus de 200 000 personnes ont donc quitté l'Abkhazie.

La destruction qui a suivi cet exode est totale. Et je me dois d'insister sur cet événement : la composition ethnique dans cette région de la Géorgie est complètement inversée. Oui, on peut parler de "nettoyage ethnique", de "purification", au même titre que pour la Bosnie, mais on ne le précise pas.

L'atteinte aux droits de l'homme est caractérisée. Les Abkhazes ont une certaine légitimité, mais leur cynisme est absolu. Aucun retour n'est possible : 311 personnes sur près de 250 000 réfugiés qui ont quitté ce pays. L'horreur et la douleur, nous les avons vues à Tbilissi, le lendemain, en visitant les camps de réfugiés.

Le second point de mon intervention concerne le rôle de la Russie, un rôle réel et direct. Oui, il faut rappeler ce rôle pour la Géorgie : en novembre 1992, des forces russes participent à la guerre et repoussent les Géorgiens - cela a été dit ; en juillet 1993, la Russie participe au cessez-le-feu ; mais il sera rompu par les Abkhazes ; en septembre 1993, la Géorgie entre dans la CEI ; en octobre 1993, la Géorgie demande l'assistance militaire de la Russie ; en 1994, un accord de coopération est signé avec la Russie sur des bases russes en Géorgie ; en 1995, a lieu le blocus de l'Abkhazie.

Oui, le rôle de la Russie dans la guerre et dans la paix est évident. Par conséquent, son rôle sera essentiel, aux côtés de l'ONU et de l'OSCE, pour assurer la sécurité, parce qu'elle est garante dans le Caucase de la stabilité, mais aussi de l'instabilité, qui relève de sa responsabilité.

Enfin, oui, cette région du Caucase existe. Elle constitue un trait d'union entre l'Asie et l'Europe. C'est une zone d'intérêts communs entre trois Etats, intérêts culturels, géographiques, historiques et surtout économiques et stratégiques. La politique du pétrole est un instrument de politique étrangère et le tracé des pipe-lines du Kazakhstan à la Caspienne et à la Mer noire est un enjeu et un objet de transactions, un objet de récompenses, un objet de sanctions.

Oui, cette région a le droit d'exister sur ses richesses, ses valeurs. Elle est l'Europe. Je souhaite l'adhésion rapide de ces trois Etats afin qu'ils soient vite parmi nous. "

M. Jean SEITLINGER, député (UDF), reprend la parole en sa qualité de rapporteur de la commission des relations avec les pays européens non membres, pour répondre aux orateurs en ces termes :

" Madame la Présidente, notre collègue David Atkinson aura reconnu dans le paragraphe 10 du projet de résolution son initiative sur le plan de paix. Certes, nous y avons ajouté les mots "à terme", et l'intervention du président Bársony montre que le "terme" n'est pas encore venu où nous pourrons constituer une Assemblée parlementaire commune aux trois pays du Caucase.

Tel est notre souhait, tel est notre voeu ardent, mais il est clair aussi qu'il appartient aux trois pays concernés de répondre à cette invitation et de nous accompagner.

Le Conseil de l'Europe se veut impartial, a dit ce matin M. Igitian. C'est notre culture. Nous nous efforçons à l'impartialité. Nous essayons d'être conciliants, sans sacrifier pour autant les principes qui sont les nôtres : respect des droits de l'homme, démocratie parlementaire pluraliste et état de droit.

M. Igitian a demandé : " comment espérer apporter une réponse politique en quelques heures de débat ? " Nous n'apportons pas de réponse politique au sens de solution, nous rappelons le cadre dans lequel doivent se dérouler la négociation et s'établir la solution. Le cadre, ce n'est pas nous qui l'inventons : c'est celui des normes du droit international, qui sont - dois-je le rappeler ? - l'inviolabilité des frontières, l'autonomie de certains territoires concernés et la réinstallation des réfugiés. Ce sont des exigences sur lesquelles nous ne pouvons pas transiger.

Mme Severinsen et Mme Durrieu se sont prononcées contre toute mention à l'Ossétie du Sud et l'Adjarie. Je crois qu'il n'y a pas lieu de citer encore d'autres zones d'éventuels conflits - nous avons déjà suffisamment de soucis avec l'Abkhazie et le Haut-Karabakh. Par conséquent, là ou il n'y a pas de conflit, de demande d'indépendance, il faut, certes, toujours veiller au respect de certains statuts d'autonomie, au respect de l'identité des différentes régions, mais dans un cadre national.

Sous le bénéfice de ces observations, nous allons pouvoir examiner ce texte qui est un compromis, le reflet d'une tentative de conciliation. Il n'est sans doute pas parfait, mais je suis sûr que les participants aux travaux de la commission, tant le 7 avril, à Paris, que ce matin, voudront bien reconnaître que nous avons essayé, dans un large esprit de conciliation, d'élaborer un texte acceptable par toutes les parties, de manière à faire avancer ce difficile problème que l'OSCE, qui en est saisie depuis 1992, n'a pas encore réussi à résoudre.

Nous disons très modestement que nous souhaitons y contribuer. Nous espérons que cet appel à une coopération indispensable, cet appel à l'écoute de l'autre, à l'école de tolérance dont parlait M. Bársony, soit entendu.

Evidemment, Messieurs, vous n'avez accédé à l'indépendance que depuis cinq ans, et nous devons ne pas être trop impatients à votre égard. Nous devons aussi faire preuve de compréhension. Si nous faisons chacun un bout de chemin, nous devrions nous retrouver autour de ces normes qui devraient vous permettre de faire partie de la famille européenne. "

Au terme du débat, la résolution 1119 contenue dans le document 7793, modifiée par des amendements, est adoptée.

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