III.  LE SECTEUR AGRO-ALIMENTAIRE DOIT ACCOMPLIR UNE NOUVELLE RÉVOLUTION

Pour survivre dans ce nouvel ordre alimentaire mondialisé, dans lequel le consommateur parviendra de plus en plus à faire prévaloir ses exigences individuelles, où les technologies nouvelles seront omniprésentes, les Industries agro-alimentaires devront effectuer de profondes transformations.

Penser que la seule obtention d'une qualification ISO 9000, le maintien du chiffre d'affaires à l'exportation, la conclusion de partenariats avec la grande distribution via notamment le développement des marques de distributeur, pourraient suffire au secteur agro-alimentaire français pour affronter les enjeux de la concurrence internationale, les bouleversements des mode de consommation, les impératifs de qualité et de sécurité sanitaire... serait un leurre.

Certes, il appartiendra à chaque entreprise de définir sa stratégie industrielle . Mais les transformations en cours expliquent un changement mentalité, de comportement de l'ensemble des acteurs du secteur agro-alimentaire ainsi que des politiques . Il ne s'agit plus de contraindre l'amont tout en subissant l'aval, mais de créer une véritable chaîne de valorisation. Il ne s'agit plus de rester isolé sur son marché intérieur ou de consacrer exclusivement son développement à l'export, mais au contraire de reconquérir le marché national pour être plus performant sur les marchés européens et internationaux. Il ne s'agit plus d'assurer la plus grande sécurité alimentaire et le minimum de qualité des produits, mais de parvenir à concilier en termes d'excellence qualité et sécurité pour le plus grand profit du consommateur. Il ne s'agit plus de dépenser un minimum du chiffre d'affaires à la formation des personnels et à la recherche-développement mais considérer que ces investissements sont les deux priorités du secteur agro-alimentaire. Il ne s'agit plus pour les pouvoirs publics d'être soit spectateur soit acteur des stratégies industrielles, mais de devenir un véritable arbitre à la fois soucieux du respect des règles et en mesure d'établir un dialogue permanent avec le secteur industriel.

Telles sont les conditions pour que s'impose, demain, notre industrie agro-alimentaire.

A. LA CONSTITUTION D'UNE VÉRITABLE CHAINE DE VALORISATION

L'industrie agro-alimentaire française doit parvenir à évoluer dans un environnement non conflictuel -tant vis-à-vis de l'amont que de l'aval- si elle veut valoriser pleinement ses atouts. La mise en place " d'un esprit de filière " doit ainsi lui permettre de se concentrer sur les enjeux qui sont les siens .

1. Un partenariat avec l'amont s'impose

Le secteur agro-alimentaire regrette souvent l'atomisation de l'offre et éprouve parfois des difficultés à trouver des produits correspondant à ses exigences.

Vos rapporteurs, tout en comprenant les difficultés que rencontrent les agriculteurs, et en les soutenant dans la plupart de leurs démarches, rappellent avec force la nécessité d'une organisation de la production et des différents filières. Il n'est pas normal que l'on se replie sur soi " les bonnes années " et qu'on en appelle à la solidarité nationale les " mauvaises ". Quel que soit le jugement que l'on porte sur l'organisation de la production, elle est aujourd'hui un impératif tant pour le monde agricole que pour le secteur agro-alimentaire : face à des groupements forts, les rapports entre les industries agro-alimentaires et l'amont seront appelés à se rééquilibrer. L'exemple néerlandais le prouve.

En outre, la généralisation d'une politique contractuelle entre les IAA et les agriculteurs et la présence d'un secteur coopératif puissant -dans lequel des méthodes de contractualisation spécifiques, comme Agriconfiance, sont mises en place avec les agriculteurs, doivent permettre de renforcer le partenariat entre le monde agricole et celui de l'agro-alimentaire.

Les deux premiers maillons de la filière alimentaire sont constitués par l'agriculteur et l'industriel, le second transformant 70 % globalement de la production du premier.

Les deux partenaires ont donc tout intérêt à coopérer, à renforcer leurs liens : affaiblir l'un des deux maillons, c'est fragiliser l'ensemble de la chaîne et donc sa propre structure.

Cette stratégie vaut tout autant pour les relations des industriels avec la distribution.

2. Le dialogue constant avec la distribution est une nécessité

La sophistication croissante des procédés industriels, l'importance grandissante de la collecte et de l'analyse de l'information, de la recherche-développement et de la communication, devraient, vraisemblablement, alourdir les coûts fixes à tous les niveaux du secteur agro-alimentaire.

Opérant sur des marchés plus segmentés, les entreprises seront confrontées à de plus en plus de risques. Cette montée parallèle des coûts et des risques devrait renforcer le souci pour les industries agro-alimentaires d'atteindre une taille critique : néanmoins cette concentration aura du mal à atteindre celle de la grande distribution. C'est pourquoi, l'un des traits marquants de l'organisation du secteur agro-alimentaire dans le futur pourrait être de renforcer les relations verticales, notamment en direction de la distribution. La segmentation de la consommation devrait conduire à une multiplication des créneaux et, par là même, imposer un resserrement des liens entre les différentes étapes de la filière : en effet la coordination verticale entre le secteur agro-alimentaire et son aval devrait lui offrir une garantie de débouchés et, éventuellement une couverture contre les risques de variation des prix.

Or, les relations entre ces deux acteurs se sont révélées souvent infructueuses, la grande distribution étant accusée d'exercer en permanence sa domination.

Vos rapporteurs sont conscients qu'une coopération ne se décrète pas
: les mesures législatives prises depuis un quart de siècle ne sont d'ailleurs pas parvenues à enrayer la domination des GMS dans le secteur alimentaire. Les dernières prévisions, notamment de l'OCDE, indiquent que si, en théorie, tous les maillons de la chaîne alimentaire semblent devoir tirer un avantage de la coordination verticale, dans la pratique, les rapports évoluent souvent en faveur de la distribution . En effet, dans un secteur où l'information sur la demande est appelée à devenir le " nerf de la guerre ", la proximité des consommateurs est et pourrait être un atout décisif en faveur des entreprises de distribution. Celles-ci auraient donc, de plus en plus, une " vocation naturelle " à organiser les relations verticales et à influer sur les décisions de production et de transformation, disposant des moyens d'orienter en leur faveur le partage des risques et des profits.

Vos rapporteurs prennent acte des récentes décisions du Gouvernement visant à organiser, d'une part, des tables rondes entre les différents partenaires de la filière et d'autre part, des assises de la distribution au début de l'année 2000.

Ils considèrent qu'au-delà d'une nécessaire réorientation de la politique industrielle du secteur agro-alimentaire dans le sens d'une meilleure réponse à la demande, reposant sur l'innovation technologique et de nature à permettre d'imposer la notoriété de leur marque, seul un changement d'état d'esprit des " grands " de la distribution pourra permettre de rééquilibrer le rapport de forces et d'évoluer dans un environnement moins conflictuel , à l'instar de ce qui se passe aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne ou en Europe du Nord.

Ils estiment, par exemple, essentiel que ces deux acteurs se partagent, équitablement les fruits de l'optimisation des relations logistiques.

Ils rappellent l'intérêt que peut présenter, dans les années à venir, le développement des ventes de produits agricoles et transformés via, notamment, le réseau Internet. En ayant un contact direct avec le consommateur, l'entrepreneur pourra se passer du réseau de distribution. On estime que ces modes de vente représenteront environ 10 % à 20 % du total des ventes de produits agro-alimentaires dans les deux années à venir. De telles opportunités permettraient sans aucun doute au secteur agro-alimentaire de renforcer son poids dans la chaîne alimentaire, notamment vis-à-vis des GMS.

Par ailleurs, vos rapporteurs approuvent les initiatives du secteur coopératif visant, d'une part, à améliorer la procédure d'urgence devant le Conseil de la Concurrence en cas de conflit, et d'autre part, à créer une instance à caractère public qui se donnerait pour mission de veiller à ce que soient pleinement utilisées les voies de droit d'ores et déjà existantes contre les abus de puissance d'achat.

B. LA MODERNISATION DE L'OUTIL INDUSTRIEL

L'avenir des industries agro-alimentaires passe aussi par une forte adaptation de l'outil industriel au sens large, c'est-à-dire incluant non seulement la recherche et l'innovation, mais aussi les capacités de financement du secteur agro-alimentaire ainsi que la gestion des ressources humaines.

1. S'engager dans une politique de recherche et d'innovation plus active

Le rôle de la recherche est de préparer l'avenir par la maîtrise des technologies nouvelles afin, dans le domaine de l'alimentaire, d'être en mesure de fournir des aliments suffisamment dotés en protéines et en chaînes carbonées. Cette recherche débouche sur de très nombreuses innovations dans le secteur agro-alimentaire, devant permettre aux IAA de conserver leurs parts de marché et d'en conquérir de nouvelles.

Le renforcement de la recherche et de l'innovation paraît donc indispensable au secteur agro-alimentaire français pour affronter, à armes égales avec ses concurrents, les défis de l'alimentation du XXI e siècle, aussi bien dans les pays industrialisés que dans les pays en développement.

De nombreux rapports font état de l'insuffisance de la recherche privée dans l'industrie agro-alimentaire : les chiffres varient d'une étude à l'autre mais s'élèvent en moyenne à 0,9 % de la valeur ajoutée des IAA, soit 340 millions d'euros (2,2 milliards de francs). En ajoutant les financements publics du budget civil de la recherche et du développement technologique (BCRD), qui comporte les dotations du ministère chargé de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie aux grands établissements de recherche tels l'INRA, le CEMAGREF, les moyens du ministère de l'agriculture et de la pêche et les crédits de l'AFFSA -au total environ 1 milliard de francs- on atteint le chiffre global de 1,2 à 1,4 %. Cette moyenne est à mettre en rapport avec celle de l'ensemble des entreprises industrielles françaises où la recherche privée représente près de 3 % de la valeur ajoutée. La recherche privée dans les IAA est donc près de quatre fois inférieure à celle de l'ensemble de l'industrie, ce qui fait des IAA françaises la " lanterne rouge " des industries françaises et européennes en matière de recherche , selon l'expression déjà consacrée par un avis du Conseil économique et social adopté le 26 avril 1989 sur le rapport de M. Jean Teillac.

Certes, ce constat varie fortement en fonction des secteurs (comme celui des semences) et des entreprises . Par exemple, Nestlé consacrerait jusqu'à 12 % de son chiffre d'affaires à la recherche. Néanmoins, depuis dix ans, la recherche dans l'agro-alimentaire reste nettement insuffisante : ne comptait-on pas seulement 1.100 chercheurs publics et 1.350 chercheurs privés en 1996 ? La recherche et le développement des IAA emploient moins de 3.000 personnes, soit seulement le double des effectifs de la recherche publique, aujourd'hui, oeuvrant dans le domaine alimentaire.

Aux Etats-Unis, le Bayh-Dole Act (lois sur les brevets) votée le 12 décembre 1980 a donné aux établissements de recherche le droit de devenir propriétaires des brevets résultant d'innovations issues de leurs laboratoires et ayant bénéficié de subventions du Gouvernement. Ce dispositif libéralise le système précédent, qui voulait que seul le Gouvernement puisse être propriétaire desdits brevets, et attire une masse croissante de chercheurs de tous les pays qui voient leur travaux valorisés : de 1989 à 1991, le nombre d'universités déployant des efforts pour transférer des technologies a été multiplié par dix.. Les Etats-Unis comptent augmenter ces dispositifs dans les années à venir en raison de leurs manque d'ingénieurs -on compte 5,4 %de jeunes diplômés aux Etats-Unis pour 18,9 % en France-. L'Europe et la France devront ainsi éviter une nouvelle fuite des cerveaux, les spécialistes de la valorisation, notamment dans le secteur de l'agro-alimentaire, étant en nombre insuffisant selon la plupart des experts.

Néanmoins, le défi pour la recherche agro-alimentaire est tout à la fois quantitatif et qualitatif. L'opposition entre tradition alimentaire et innovation technologique doit ainsi être surmontée. Les chercheurs doivent explorer parallèlement ces deux concepts afin de dégager de nouveaux champs d'investigation. En outre, les chercheurs doivent se rapprocher du monde économique, pour être à l'écoute des préoccupations et les traduire en programmes de recherche, et transférer leur savoir dans tous les domaines permettant la maîtrise de la qualité des produits : modélisation des processus physique, chimique et biologique de l'industrie agro-alimentaire, développement de méthodes d'analyse, mise au point de capteurs et de procédés de transformation, etc.

Les pouvoirs publics doivent accompagner ces efforts de recherche en multipliant les programmes interministériels pluriannuels, tels que " Aliment 2000 " lancé en 1993 : ce programme s'est donné pour objectif de renforcer les liens de l'industrie avec la recherche publique, dans les domaines du génie industriel alimentaire, des biotechnologies, de la qualité, de la nutrition et de la toxicologie. Vos rapporteurs suivront avec intérêt le déroulement du programme " Aliment qualité sécurité " (AQS) piloté par le ministère de l'agriculture et celui de la recherche, qui s'étale de 1998 à 2001, avec un budget prévisionnel de 9,15 millions d'euros (60 millions de francs).

De même, l'initiative lancée en septembre 1997 par le GIS-RIA (groupement d'intérêt scientifique de recherche pour l'industrie alimentaire), qui regroupe des scientifiques de onze organismes de recherche spécialisés et dont l'objectif est d'améliorer la concertation sur la recherche en agro-alimentaire est un exemple à suivre .

Comme le soulignait M. Victor Scherrer, le remède aux différents dysfonctionnements que connaît la recherche dans le secteur agro-alimentaire " est moins une question de moyens financiers que de coordination et de rationalisation des organes et dispositifs existants ".

Les industries agro-alimentaires, devenues des industries de " haute technologie ", confrontées à des filières toujours plus complexes, à l'explosion des connaissances scientifiques et aux exigences accrues des consommateurs, sont condamnées à relever le défi de la recherche : un sursaut est nécessaire de la part tant des industriels et des financiers que des pouvoirs publics.

L'une des explications avancées pour justifier la faiblesse de la dépense de recherche-développement est l'importance des sommes engagées dans l'innovation-produit, qui comprend l'étude de l'attente du consommateur, l'analyse des besoins, le design, le marketing... L'innovation-produit permet, par exemple, à une industrie alimentaire d'accroître sa croissance par une création de valeur ajoutée, à un challenger de se rapprocher du leader d'un marché...

En France, l'innovation-produit entraîne chaque année le lancement de 1.500 références, chiffre qui croît annuellement de 10 à 15 %.

L'innovation-produit nécessite des moyens importants : ainsi le budget de lancement d'un produit par une grande marque nationale est de 0,76 à 3,05 millions d'euros (5 à 20 millions de francs) pour la publicité, 0,76 à 4,57 millions d'euros (5 à 30 millions de francs) pour l'investissement industriel, 0,30 à 0,76 million d'euros (2 à 5 millions de francs) pour le référencement, 0,15 million d'euros (1 million de francs) d'études marketing et environ 0,46 à 0,61 million d'euros (3 à 4 millions de francs) pour la recherche-développement et les essais. Néanmoins, le succès s'avère très aléatoire : en effet, sur environ 500 idées, 50 concepts émergent et seulement 6 études technico-marketing sont entamées. Enfin, sur deux produits lancés, un produit nouveau seulement réussit. Sur ces nouveaux produits qui réussissent, seuls 30 % subsistent au bout de deux ans. Vos rapporteurs sont conscients du fait qu'il est beaucoup plus difficile de stimuler ou créer des envies chez le consommateur dans le domaine de l'agro-alimentaire -déjà largement exploré- que dans les produits informatiques ou de la hi-fi. Dans neuf cas sur dix, ce ne sont pas les équipes de recherche-développement qui sont à l'origine de l'innovation, mais le marketing qui a pris une importance essentielle avec l'avènement des GMS et le développement des marques.

Vos rapporteurs considèrent que, compte tenu de l'évolution du secteur agro-alimentaire, la nouveauté du produit devra de plus en plus céder la place à l'apport d'une plus grande valeur ajoutée, telles que la nutrition et surtout la sécurité.

Si les grands groupes sont contraints d'innover, les PME/PMI ne sont pas en reste. Néanmoins, en raison de la faiblesse des sommes que celle-ci peuvent consacrer à l'innovation-produit, vos rapporteurs souhaitent que les outils mis à la disposition des centres d'appui technique aux industries agro-alimentaires soient développés. Après l'utile réorganisation de l'Association des centres techniques pour l'industrie agro-alimentaire (ACTIA), ces centres techniques, comme le proposait le rapport de M. Michel Caugan de 1996, doivent continuer à regrouper leurs efforts pour pouvoir utilement créer des partenariats avec leurs homologues européens, qui ont souvent une taille nettement plus importante. En outre, la mise en réseau des centres techniques professionnels (loi de 1948), qui ont une vocation d'action nationale sur une profession, des centres régionaux qui fournissent aux PME un appui très rapproché et des centres techniques génériques qui se sont spécialisés dans une technique donnée 21( * ) , doit être accentuée. Nos PME pourront ainsi trouver, dans un rayon de 100 km autour de leurs implantations, les services d'analyse et d'information utiles à leur analyse et développement qui leur font souvent défaut.

Vos rapporteurs souhaiteraient, en outre, que soit étudier la possibilité pour les centres techniques agro-alimentaires de se doter de fonds propres afin d'être en mesure de mobiliser rapidement des capitaux en faveur des PMI/PME.

Par ailleurs, ils préconisent une évolution du crédit d'impôt recherche, à l'instar du système québécois : afin de conserver à ce dispositif un caractère fortement incitatif, et sans remettre en cause toutes les procédures, la mise en place d'une nouvelle assiette de calcul (valeur ajoutée ou dépenses totales en recherche par exemple) et de taux modulés pourrait inciter les entreprises à associer des partenaires scientifiques et techniques à leurs démarches d'innovation.

De même, la mise en place en faveur des particuliers de modes d'imposition favorables aux investissements dans les entreprises innovantes, comme aux Etats-Unis, serait un outil précieux de développement de la recherche.

Vos rapporteurs suivront avec intérêt l'application de la loi sur l'innovation et la recherche adoptée le 30 juin dernier 22( * ) qui pourrait s'avérer particulièrement intéressante dans le secteur agro-alimentaire.
En premier lieu, ce texte offre aux chercheurs publics la possibilité de conserver leur statut durant une certaine période dés lors qu'ils créent " une PMI ou une PME de l'avenir ". En second lieu, l'installation d'un incubateur -organisme public de recherche- permet à de petites entreprises de bénéficier de divers services (locaux, matériels...) qui constituent autant d'économies.

2. Gérer de façon dynamique l'emploi, composante essentielle du développement du secteur agro-alimentaire

L'image du secteur agro-alimentaire, dans le domaine social, est contrastée. D'une part, les industries agro-alimentaires constituent le troisième employeur de l'industrie française avec 10% de l'emploi industriel. L'emploi a d'ailleurs plutôt mieux résisté dans cette branche industrielle que dans d'autres durant les années 70-80. De plus, depuis deux ans, les industries agro-alimentaires sont créatrices nettes d'emplois, avec + 5.000 emplois en 1998. Enfin, on assiste depuis le début des années 1990, à une hausse de la qualification des postes.

D'autre part, l'agro-alimentaire est caractérisé par un taux d'encadrement assez faible, un niveau de qualification inférieur aux autres secteurs industriels, -la part des ouvriers étant de 61 % contre 37 % en moyenne dans l'ensemble de l'économie-, un pourcentage de jeunes peu important, et une formation professionnelle sous-développée avec des dépenses de 2,5 % de la masse salariale -contre 3,2 % en moyenne dans l'économie-. Par ailleurs, les métiers de l'industrie agro-alimentaire souffrent d'une mauvais image et ont la réputation d'offrir des conditions de travail difficiles -s'agissant d'un des secteurs où l'on travaille le plus la nuit et le week-end-.

Plusieurs outils ont été mis en place en matière de formation, dans ce secteur, depuis le milieu des années 90, tels, par exemple, les contrats d'études prospectives, le Fonds d'Assurance Formation des IAA et l'accord tripartite sur la formation professionnelle. Néanmoins, vos rapporteurs estiment qu'il est impératif, pour faire face aux enjeux du XXI e siècle, de prendre nettement plus en compte les questions de formation professionnelle . L'Etat, en la matière, doit jouer un rôle dynamique en encourageant notamment les plus petites entreprises à investir dans la formation de leurs personnels. La réticence de l'administration à renouveler pour la troisième fois l'accord pour les industries agro-alimentaires sur l'engagement de développement de la formation, qui avait connu un succès réel de 1995 à 1998, apparaît, à cet égard, regrettable.

Par ailleurs, l'amélioration des conditions de travail dans certains secteurs est indispensable.

En matière de réduction de la durée du temps de travail (RTD), vos rapporteurs tiennent à rappeler plusieurs évidences : tout d'abord, la RTD -et notamment le second projet de loi sur les 35 heures- doit tenir compte des spécificités de chaque secteur : ainsi, dans certains secteurs, les temps d'habillage et de déshabillage dépassent les trois heures par semaine en raison des normes d'hygiène. Doit-on imputer la totalité de ces heures sur le temps de travail ? En outre, certaines entreprises ont recours, de manière importante, aux contrats à durée déterminée en raison de la saisonnalité de leur activité, et ce souvent en plein accord avec les salariés. Doit-on empêcher strictement de telles pratiques, sans distinguer la nécessaire lutte contre la précarité du travail du bon fonctionnement d'entreprises qui ont pris la peine de négocier avec leurs salariés sur des bases légales et consensuelles ?

Par ailleurs, vos rapporteurs soulignent que tout renforcement en France de la législation sociale -au même titre qu'en matière d'environnement, de sécurité sanitaire et de qualité alimentaire- si légitime soit-il- conforte souvent la situation concurrentielle de nos partenaires européens et des pays tiers en augmentant les distorsions de concurrence.

3. Dégager des réelles capacités de financement

Les entreprises agro-alimentaires doivent faire face à des besoins croissants d'investissements, notamment face à l'explosion des dépenses de publicité, qui sont quasiment le double de celles consacrées aux investissements matériels estimés à environ 20 milliards par an. Ce secteur est, en outre, caractérisé par une rentabilité faible, des fonds propres insuffisants, une valeur ajoutée de 18,5% du chiffre d'affaires contre 30% dans les autres industries et un excédent brut d'exploitation de l'ordre de 7,8% contre 9 à 10% dans le reste de l'industrie.

Avec une moyenne inférieure à 5 %, l'autofinancement dégagé ne permet pas de couvrir convenablement la charge d'investissement, induisant un endettement important.

En outre, le taux d'endettement ramené aux fonds propres est supérieur de 5 points à celui de la moyenne de l'industrie et le poids des fonds propres dans le total du bilan n'atteint que 20 %.

Cette faiblesse est due à la structure du tissu industriel (les PME représentent plus de 60 % du chiffres d'affaires de la branche) mais aussi à l'insuffisance de capitalisation des résultats .

Pour un banquier, sur une échelle de risques, les industries agro-alimentaires appartiennent à la catégorie des " secteurs matures ", moyennement exposés avec un taux de défaillance de 1,5%, soit 2 fois plus bas que les autres secteurs. Néanmoins l'entreprise agro-alimentaire a une sensibilité importante aux crises cycliques d'autant plus forte qu'elle est proche de l'amont et que ses produits sont moins transformés. De plus, la difficulté à trouver un partenaire en fonds propres réside dans le fait que la croissance de l'activité agro-alimentaire se révèle relativement faible à court terme et dégage difficilement une bonne valorisation du capital investi.

Vos rapporteurs prendront, à titre d'exemple, les coopératives agro-alimentaires qui sont liées au territoire à la fois par leurs sociétaires et l'apport de leurs capitaux d'une part, par la nature de leurs activités et la provenance de leur matière première d'autre part.

Face aux besoins financiers nécessaires au développement des entreprises du secteur coopératif, vos rapporteurs proposent deux mesures : tout d'abord, la mise en place rapide -cette mesure figure dans la loi d'orientation agricole- de l'extension du champ de la dotation pour provision pour investissements aux parts sociales de la coopérative, lorsque celles-ci constituent la contrepartie d'un capital finançant les investissements nouveaux.

Par ailleurs, vos rapporteurs encouragent la mise en place d'un instrument destiné à drainer l'épargne des agriculteurs, sociétaires de coopératives ou fournisseurs d'industries agro-alimentaires. Cet outil, le plan d'épargne entreprise agricole (PEEA) permettrait de renforcer les liens amont-aval, d'augmenter les fonds propres de l'entreprise et constituerait un levier pour la mobilisation de fonds propres.

Par analogie avec le PEEP, le PEEA serait assorti d'un avantage fiscal (exonération fiscale liée au blocage de l'épargne). L'incitation fiscale est une élément intéressant qui ne sera pas toutefois déterminant dans le monde agricole. Il en résulte que la faisabilité du produit ne doit pas être étudiée du seul point de vue fiscal, mais également d'un point de vue industriel et financier. Quelle que soit la conception du produit, il ne pourra être utilisé que par des entreprises qui dégagent un minimum de rentabilité.

En second lieu, il faut prendre en compte la nécessité de recourir à des financements extérieurs , le recours systématique à l'autofinancement pouvant constituer, à terme, un frein dans le développement des industries agro-alimentaires. Dans de telles conditions, vos rapporteurs encouragent la multiplication des partenariats entre le secteur agro-alimentaire et le système bancaire qui restent encore trop insuffisants . De même, le développement de l'introduction en bourse -1 % du total des industries agro-alimentaires sont cotées - et celui d'organes financiers spécialisés dans le capital risque est un impératif, notamment pour les PME.

Les pouvoirs publics ont , en la matière, un rôle déterminant à jouer : de multiples financements existent (fonds européens, aides régionales...) mais sont trop souvent méconnus. Il est vrai que l'érosion de la prime d'orientation agricole depuis plus de dix ans n'est guère encourageante. Vos rapporteurs constatent et regrettent la baisse constante et régulière des crédits de politique industrielle qui ne représentent qu'à peine 0,2 % du budget du ministère de l'agriculture. C'est d'autant plus dommageable que la réforme de la PAC, en réduisant les mécanismes de garantie et soutien des prix, a transféré vers les IAA une responsabilité accrue en matière de valorisation des productions agricoles.

Vos rapporteurs constatent que les collectivités locales sont de plus en plus appelées au chevet des entreprises . Si elles ne peuvent, ni ne doivent, se substituer au choix de l'entreprise, les partenaires locaux seront néanmoins appelés à jouer un rôle croissant en faveur des industries agro-alimentaires implantées sur leur territoire. L'information des IAA sur l'ensemble des dispositifs qui sont à leur disposition est, en outre, une nécessité.

C. PLACER LE CONSOMMATEUR AU CENTRE DE LA STRATÉGIE ALIMENTAIRE

Le primat donné à la sécurité sanitaire , de la qualité alimentaire et de l'environnement dans la production agro-alimentaire apparaît comme une exigence légitime et irréversible . Néanmoins, elle entraîne un surcoût évident pour le secteur agro-alimentaire. Ainsi, il est impératif que ces objectifs puissent s'imposer non seulement en France mais aussi en Europe et au niveau international. En effet, ignorer cet aspect conduirait tout simplement à condamner à moyen terme ce secteur d'activité.

1. Un dialogue nécessaire et transparent entre tous les acteurs de l'alimentation

La prise en compte de la sécurité sanitaire des aliments, le développement d'une véritable politique de qualité et l'intégration de l'environnement dans toute stratégie industrielle nécessitent non seulement l'implication des professionnels du secteur agro-alimentaire, des organismes certificateurs indépendants, mais aussi et surtout des pouvoirs publics : la coopération de tous ces acteurs doit déboucher sur un dialogue permanent. Les récentes crises alimentaires ont démontré les effets néfastes d'une confrontation soit entre industrie et pouvoirs publics, soit au sein même des pouvoirs publics. La gestion commune des crises est une nécessité . La nouvelle organisation du ministère de l'agriculture qui date de juillet 1999 avec notamment la création du service des politiques industrielles et agro-alimentaires correspond parfaitement à cette logique de partenariat 23( * ) . Si les pouvoirs publics ont l'entière responsabilité de l'élaboration de la réglementation, du contrôle et des sanctions éventuelles, les industries agro-alimentaires sont en mesure de mettre en place des processus de sécurité et de qualité alimentaires validés et contrôlés par les pouvoirs publics. De ce dialogue devrait naître un esprit de coopération qui se révélera d'autant plus efficace lors d'incidents alimentaires. Ceux-ci pourront être mieux analysés, mieux gérés et faire l'objet d'une information à la fois transparente et objective. Vos rapporteurs ne souhaitent pas instaurer un système qui conduirait à maintenir le consommateur à l'écart : ce temps est largement révolu. Mais la diffusion d'une fausse information est tout autant préjudiciable pour l'entreprise et les salariés que pour le consommateur, qui n'a plus de repère.

Le groupe de travail propose un dialogue permanent entre scientifiques, experts, professionnels, consommateurs et représentants des administrations sur les nouveaux enjeux du XXI e siècle pour notre société, notamment dans le domaine des technologies nouvelles. Ce dialogue pourrait passer par des partenariats avec des organismes comme l'Institut français pour la Nutrition ;

Par ailleurs, il serait souhaitable que les conseils économiques et sociaux régionaux se saisissent du sujet des biotechnologies , afin de l'analyser et de l'expliquer de manière objective dans chaque région française : cette décentralisation de la Conférence de consensus permettrait à tout un chacun de s'informer, de s'impliquer et de donner son avis sur cette délicate question. Comme l'ont indiqué MM. Le Fur et Rouvillois du Conseil Economique et Social, les industriels des biotechnologies se sont affranchis des règles démocratiques : la sanction a été à la hauteur de l'erreur. Il est désormais aujourd'hui impératif de renouer le dialogue.

Enfin, vos rapporteurs estiment urgent de mettre en place les mesures préconisées par M. Philippe Demarescaux , Directeur Général de Rhône Poulenc, qui permettent de substituer au carbone fossile (pétrole) du carbone agricole dans de nombreux domaines (lubrifiants, détergents, solvants chimiques, cosmétique...). Ces mesures entraîneraient, d'une part, un développement important des débouchés industriels des produits agricoles et, d'autre part, constitueraient un nouveau moyen de présenter de façon bien différente l'intérêt des biotechnologies, notamment vis-à-vis de l'opinion publique.

2. L'alimentation, une priorité pour l'Europe

Alors que les échanges agro-alimentaires français s'effectuent, pour plus des deux tiers avec l'Europe, l'alimentation doit devenir une " priorité européenne ", notamment en ce qui concerne la sécurité sanitaire. Vos rapporteurs se félicitent de l'annonce de M. Romano Prodi, Président de la Commission européenne, de la prochaine création d'une agence alimentaire indépendante européenne.

Cette agence pourrait être l'une des options proposées par le Livre Blanc sur la sécurité alimentaire que la Commission européenne doit présenter d'ici la fin de l'année devant le Conseil des Ministres et au Parlement européen.

En outre, vos rapporteurs sont convaincus de la nécessité de définir, dans les plus brefs délais, le concept de principe de précaution afin de l'appliquer avec précaution.

Vos rapporteurs sont conscients de l'impérative nécessité du principe de précaution , qui nécessite, lors de sa mise en oeuvre, que les acteurs mis en cause fassent le plus rapidement possible la preuve de l'inocuité des produits concernés pour la santé des consommateurs . Néanmoins, si le contenu et les modalités de ce principe ne devaient pas être plus clairement définis, la France et l'Europe pourraient être confrontées dans les mois à venir à des contentieux excessivement lourds. En effet, le coût pour une entreprise d'une contamination ou d'une présomption de contamination peut se chiffrer de 75.000 euros (près de 0,5 million de francs) à 15.200 euros (1 million de francs) pour une " petit sinistre " et de 15,2 euros (100 millions de francs) au double (soit 200 millions de francs) pour un accident important. Il faut y ajouter la perte de confiance des consommateurs dans ce produit. Dans un tel contexte, les autorités réglementaires doivent s'assurer de la pertinence de leurs mesures, car en cas de préjudice lié au déclenchement d'une alerte par suspicion inexacte d'un danger, les entreprises pourraient demander à être dédommagées.

Vos rapporteurs sont d'ailleurs très attachés aux trois principes corollaires du principe de précaution : proportionnalité, compensation et adaptation . Le premier principe exige le respect d'une proportionnalité entre le préjudice subi par la collectivité et la mesure de précaution prise à l'égard de l'entreprise (retrait de lots, information importante sur les médias...). Le deuxième principe nécessite, en cas d'erreur grave d'analyse de la part des autorités de contrôle vis à vis de l'entreprise, la réparation du préjudice subi, du moins financièrement. En effet, le dommage causé à une marque alimentaire peut entraîner sa disparition, phénomène difficile à évaluer précisément. Enfin, le troisième principe consacre le caractère parfois non permanent des règles mises en place au nom du principe de précaution, qui doit pouvoir s'adapter à un nouvel environnement. La découverte de certains faits, l'analyse de données scientifiques et la régularisation de situations particulières peuvent entraîner la levée des mesures qui se sont imposées par le passé. Le principe de précaution n'a pas vocation à s'appliquer en permanence, il doit pouvoir s'adapter à l'évolution de l'environnement. Vos rapporteurs savent parfaitement qu'il est difficile d'expliquer à l'opinion publique un changement de politique sanitaire, surtout dans le domaine de l'alimentation. Néanmoins, si les dispositions prises au nom du principe de précaution deviennent permanentes sans prise en compte des changements postérieurs au déclenchement de ce principe, celui-ci risque d'être vidé de sa substance et devenir un principe général de suspicion.

Vos rapporteurs seront très attentifs aux conclusions de M. le Professeur Kourilsky et Mme le Professeur Viney, qui devraient être rendues prochainement au Premier Ministre. Ce rapport doit clarifier le sens et la portée du principe de précaution au regard du droit actuel -en France, en Europe et dans le monde-, préciser les conséquences potentielles au regard du développement de la science et de ses applications et en mesurer l'impact sur les régimes de responsabilité.

Il apparaît, par ailleurs, indispensable que l'Europe simplifie et modernise sa législation alimentaire et parvienne à élaborer une réglementation homogène. Ainsi, dernièrement, les représentants des professionnels du secteur de la viande se sont avérés dans l'incapacité de se mettre d'accord sur l'étiquetage obligatoire européen, qui pourrait être repoussé à 2001-2002. Or, cet échec ne provient pas de considérations purement techniques : certains Etats ont émis la possibilité d'abandonner la traçabilité et, en tout état de cause, refusent qu'elle soit obligatoire. Alors que la France s'impose, depuis environ un an, un étiquetage sur la viande bovine -opération qui a un coût important afin de garantir la traçabilité- une grande partie des professionnels des Etats membres -soutenus par leur administration- refusent d'appliquer ce principe. Pendant que la France étiquette, ces industriels gagnent des parts de marché, les gains de compétitivité étant réels.

Si des premiers pas ont été faits par la nouvelle Commission européenne, beaucoup reste à faire pour placer réellement le consommateur au centre de la politique alimentaire de l'Union européenne.

3. Pour un cycle de négociations large et global

• Dans le cadre de l'internationalisation croissante des échanges agro-alimentaires, la prise en compte des exigences des consommateurs en termes de sécurité et de qualité alimentaire ainsi qu'en matière d'environnement constitue un impératif majeur non seulement pour les consommateurs eux-mêmes mais aussi pour les industriels français de l'alimentation. En effet, la multiplication de ces normes a un coût croissant pour le secteur agro-alimentaire de notre pays.

En termes d'accès au marché, la croissance des échanges mondiaux de produits agricoles et agro-alimentaires a été de 5 % par an entre 1990 et 1997 pour atteindre près de 600 milliards d'euros en 1997. Alors que l'Union européenne a tenu ses engagements en matière d'ouverture des contingents tarifaires, l'évolution des parts du marché mondial montre que la libéralisation des marchés agricoles a essentiellement profité à certains pays en développement : l'Europe occidentale a perdu 4,3 % de parts de marché et l'Amérique du Nord 0,7 % au profit de l'Amérique latine (+ 2,3 %) et de l'Asie (+ 2,2 %), les parts de l'Afrique, du Moyen Orient et de l'Europe centrale restant constantes. Pour l'Union européenne, cette baisse est particulièrement sensible dans les céréales et les produits laitiers.

C'est dans ce contexte que l'agenda intégré (" built-up agenda ") prévu par l'accord de Marrakech impose de rouvrir à partir de 2000 les discussions commerciales relatives à l'agriculture et aux services. La France souhaite aussi continuer à traiter les sujets " classiques " de commerce industriel (tarifs, obstacles techniques au échanges). Vos rapporteurs jugent nécessaire, comme le Gouvernement, d'introduire de " nouveaux sujets " essentiels dans la mesure où ils apparaissent de plus en plus comme des éléments de la compétitivité globale des puissances (normes environnementales, normes sociales, droit de la concurrence, propriété industrielle, règles sur l'investissement).

C'est pourquoi l'Europe, et plus particulièrement la France, milite pour un cycle large de négociations.

Les Etats-Unis, au contraire, font de l'agenda intégré la priorité absolue du prochain cycle de négociations commerciales multilatérales, à laquelle s'ajouteraient des discussions sur les tarifs industriels limités à quelques secteurs ciblés.

M. Victor Scherrer, dans son rapport au Conseil économique et social en 1998, indique que " la mondialisation apparaît comme une réalité à laquelle la filière agro-alimentaire ne peut se soustraire, mais qui appelle la vigilance concernant les règles du jeu : c'est à ce prix que l'ouverture des économies pourra être source de croissance et d'emplois " .

Vos rapporteurs souhaitent, en outre, que les prochaines négociations s'achèvent sur un engagement unique. Cette démarche implique, qu'en l'absence d'accord global sur l'ensemble des secteurs définis à Seattle; la France n'accepte pas d'accord séparé . Si la notion de " récoltes précoces " -c'est-à-dire l'obtention de résultat, sur certains sujets dès la Conférence de Seattle- avancée par les américains n'est pas à exclure sur des thèmes consensuels, vos rapporteurs refusent que certains secteurs, comme l'agriculture, la pêche ou l'agro-alimentaire, soient considérés comme " une monnaie d'échange " et fassent l'objet d'accords spécifiques, comme cela fut le cas dans le passé.

D. ASSURER UN ÉQUILIBRE ENTRE LES MARCHÉS

La contribution du secteur agro-alimentaire à l'excédent commercial français est une réalité, notamment en direction des pays européens.

Vos rapporteurs estiment néanmoins que le développement des industries agro-alimentaires passent non seulement par la consolidation de ses positions sur les marchés communautaires mais aussi par la conquête des marchés émergents et de la préservation du marché intérieur.

1. Un marché intérieur à préserver

Dès lors qu'une entreprise agro-alimentaire est parvenue, au prix d'efforts importants, à capter un marché extérieur, elle est souvent tentée de développer prioritairement ses échanges sur ce nouveau marché. Or, les crises internationales, survenues notamment en 1998 en Russie et en Asie, sont parfois le révélateur d'un mauvais positionnement géographique. En effet, à trop vouloir exporter, les industries agro-alimentaires ne doivent pas se détourner du marché français. Ce désintérêt relatif pour le marché intérieur n'est pas l'apanage des grands groupes même si les PME/PMI, disséminées sur l'ensemble du territoire, sont souvent plus centrées sur leur marché régional qu'à l'export. Ce problème concerne en fait l'ensemble du tissu industriel français, l'ouverture du marché communautaire ayant fortement encouragé un grand nombre d'entreprises proches des frontières à effectuer un chiffre d'affaires croissant sur les marchés étrangers. La majorité des industriels tournés vers l'export qui ont été auditionnés par le groupe de travail ont confirmé l'importance, pour leur entreprise, d'écouler un minimum de production en France, afin tout à la fois de se préserver des changements de la situation internationale et des problèmes de sécurité sanitaire et, en même temps, d'approvisionner, à des coûts moindres -notamment sur le plan logistique-, le marché français.

2. La consolidation nécessaire du marché européen

Le secteur agro-alimentaire français réalise plus de 70 % de ses exportations vers l'Union européenne : ce marché constitue un atout majeur pour les industries agro-alimentaires en raison, notamment, des modalités tarifaires.

Sans négliger ses productions agricoles de base, la France doit s'efforcer d'exporter des produits à haute valeur ajoutée qui valorisent d'autant mieux les efforts des branches industrielles.

Les récentes statistiques sur le commerce agro-alimentaire français apparaissent préoccupantes , la présence française en Europe ayant légèrement décliné depuis cinq ans .

En effet, si nos soldes commerciaux avec l'Allemagne, premier partenaire de la France dans le secteur agro-alimentaire, l'UEBL et l'Italie sont excédentaires, ils ont connu en 1998 une légère chute. En outre, le déficit avec les Pays Bas se creuse sensiblement puisqu'il dépasse les 1,52 milliards d'euros (10 milliards de francs), soit 0,61 milliard d'euros (4 milliards) de plus qu'en 1997. Notre solde avec l'Espagne, après avoir connu une très vive progression jusqu'en 1993, n'a cessé de s'éroder pour tomber à 60,98 millions d'euros (0,4 milliards de francs) en 1997 et laisser place à un déficit de 30,49 millions d'euros (0,2 milliards) au terme de l'année 1998.

Vos rapporteurs considèrent que les industries agro-alimentaires françaises doivent absolument renforcer leurs exportations sur le marché communautaire, qui constitue encore aujourd'hui une zone de prédilection.

3. Profiter des opportunités sur les marchés émergents

Depuis le début des années 1980, les parts de marché à l'international des produits de l'agro-alimentaire des pays de l'OCDE ont subi une érosion lente, mais régulière : cette baisse provient de l'arrivée des nouveaux exportateurs de produits agro-alimentaires tels que la Malaisie, la Thaïlande....

Les exportations françaises des industries agro-alimentaires vers les pays tiers (hors zone communautaire) ne représentent que 28,5 % des exportations totales : l'Asie absorbe 20,5 % des exportations françaises, l'ALENA, 18 %, les PECO, 12 %, le Proche et le Moyen-Orient, 11,5 % et l'Afrique du Nord et l'Afrique sub-saharienne, chacune près de 10 %. Enfin, les exportations françaises vers les pays du Mercosur représentent moins de 4 % des exportations totales françaises des produits agro-alimentaires vers les pays tiers.

Certes les crises russe et asiatique ont mis en exergue les dangers liés à la recherche " à tout prix " de nouveaux marchés en dehors de la zone intra-communautaire, ainsi que la fragilité qui découlerait d'une dépendance excessive d'un petit nombre de clients.

Néanmoins, à l'aube d'une mondialisation croissante des échanges et face à l'augmentation sensible de la demande de pays émergents dans le domaine alimentaire au XXI e siècle, vos rapporteurs sont convaincus de l'utilité, pour les industries agro-alimentaires françaises, de diversifier leurs échanges en direction de l'Asie (Chine et Inde), et de l'Amérique latine (Brésil, Argentine, Chili).

Vos rapporteurs prendront ainsi l'exemple de l'Inde qui offre, à travers une implantation locale, d'immenses possibilités aussi bien dans le secteur laitier que dans celui des fruits et légumes.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que l'exportation de produits agro-alimentaires constitue aussi la promotion d'un modèle d'alimentation.

Si les grandes entreprises de l'agro-alimentaire servent souvent de " locomotive " pour de tels projets, les PME/PMI doivent s'organiser et créer des partenariats pour conquérir ces marchés difficiles mais prometteurs.

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