II. UNE CROISSANCE DURABLE ?

Le raffermissement de la croissance à partir de 1997 est le résultat de la conjonction de plusieurs facteurs au premier rang desquels figure le desserrement des contraintes exercées par les politiques économiques. Les besoins de rattrapage ressentis par les agents économiques y ont également contribué d'autant que plusieurs éléments ont pu en favoriser l'accomplissement.

La durabilité de cette croissance, toujours vulnérable à des aléas extérieurs, dépend aussi de conditions domestiques que, sous différents aspects, la politique du gouvernement ne contribue pas à réunir.

A. UN RAFFERMISSEMENT DE LA CROISSANCE RÉSULTANT D'UNE CONJONCTION D'OPPORTUNITÉS

Le desserrement des politiques économiques et les besoins de rattrapage ressentis par les agents économiques sont à la source de la reprise puis de l'accélération de la croissance.

1. Le verrou d'une politique monétaire excessivement restrictive a sauté

Tous les épisodes de retournement de conjoncture à la baisse, de la fin des années 1980 jusqu'en 1995, partagent une caractéristique commune : la hausse des taux d'intérêt nominaux et réels à court terme suivie avec plus ou moins d'ampleur par celle des taux longs.

Taux d'intérêt à court terme

Pays

1961-73

1974-85

1986-90

1991-95

1996-99

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

Allemagne

5.8

6.8

5.7

7.1

3.3

9.5

7.2

5.3

4.5

3.3

3.3

3.5

3.0

France

5.7

11.0

8.7

8.2

3.5

10.4

8.6

5.9

6.6

3.9

3.5

3.6

3.0

Royaume-Uni

6.8

11.9

11.9

7.9

6.5

9.6

5.9

5.5

6.7

6.0

6.8

7.5

5.5

Eu-15

5.6

10.8

9.8

8.9

4.6

11.2

8.6

6.7

7.0

5.4

4.9

4.7

3.5

EUR-11

5.2

10.5

9.1

8.8

4.1

11.2

8.8

6.5

6.8

5.0

4.4

4.0

3.0

USA

4.5

8.6

7.0

4.6

5.5

3.5

3.1

4.7

6.0

5.5

5.7

5.5

5.4

Taux d'intérêt à long terme

Pays

1961-73

1974-85

1986-90

1991-95

1996-99

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

Allemagne

7.2

8.0

6.8

7.3

5.2

8.0

6.4

6.9

6.8

6.2

5.7

4.6

4.5

France

6.9

12.2

9.1

7.8

5.3

8.6

6.7

7.3

7.5

6.3

5.6

4.6

4.6

Royaume-Uni

7.6

13.0

9.9

8.5

6.4

9.1

7.3

8.1

8.2

7.8

7.0

5.7

5.0

Eu-15

7.1

11.7

9.8

8.9

5.8

9.8

7.8

8.2

8.6

7.3

6.2

4.9

4.7

EUR-11

6.9

11.2

9.6

9.0

5.6

10.0

7.9

8.1

8.6

7.2

6.0

4.7

4.6

USA

5.0

9.5

8.6

7.1

5.9

7.7

5.8

7.1

6.6

6.4

6.3

5.4

5.6

Le choc de l'unification allemande, les effets asymétriques des désordres intervenus sur les marchés de change ont conduit à des resserrements de la politique monétaire française sans autre motif que celui de maintenir un ancrage avec le mark.

D'autres pays ont choisi des politiques monétaires différentes tels que les Etats-Unis et, en Europe, le Royaume-Uni ou l'Italie, qui ont axé leur politique monétaire sur des préoccupations plus strictement internes. Leur capacité à adopter ultérieurement l'euro n'en a pas été affaiblie.

Le coût pour la croissance d'une politique monétaire excessivement restrictive a été illustré par plusieurs travaux dont celui récapitulé dans le tableau ci-après qui simule ce qu'aurait été la croissance en Europe si les taux d'intérêt à court terme y avaient été maintenus à un niveau inférieur de trois points par rapport à celui observé entre 1993 et 1995.

Une simulation des effets d'une autre politique monétaire
pour les années 1993 à 1995

Europe des Quinze

1992

1993

1994

1995

Taux d'intérêt réel Observé
à court terme (%) Simulé

6,5
-

4,5
1,5

3,5
0,5

4,0
1,0

Inflation (%) Observée
Simulée

4,7
-

4,1
4,2

3,2
3,5

3,0
3,3

Croissance (%) Observée
Simulée

0,9
-

- 0,5
1,3

2,9
3,6

2,5
2,3

Solde budgétaire (% PIB) Observé
Simulé

- 5,2
-

- 6,5
- 5,6

- 5,7
- 4,2

- 5,2
- 3,4

Note : Simulé = simulations à l'aide du modèle Mimosa d'une baisse de 3 points des taux d'intérêts nominaux maintenue pendant 3 ans (1993-1995). Taux d'intérêt à long terme et taux de change résultent des anticipations des taux courts futurs.

Il est remarquable que la convergence des taux d'intérêt vers le bas déclenchée en Europe par la perspective d'une réussite de l'euro se soit également accompagnée d'une accélération de la croissance.

Elle a favorisé plusieurs enchaînements favorables :

- l'appréciation du taux de change nominal du franc s'est interrompue, exerçant des effets heureux sur la compétitivité ;

- les restrictions au crédit provenant de son coût ; on a observé une reprise de l'endettement des agents privés comme le montre le graphique ci-dessous ;

Endettement intérieur

Glissement annuel en %



- l'ajustement budgétaire s'est trouvé simplifié, l'accélération de la croissance exerçant des effets dynamiques sur les recettes publiques et allégeant certaines charges dont, à hauteur d'environ 0,1 point de PIB par an, les dépenses d'intérêt qui avaient considérablement augmenté au début des années 1990.

Charges d'intérêt

(en % du PIB)

Pays

1970-73

1974-85

1986-90

1991-95

1996-01

1997

1998

1999 (1)

2000 (2)

2001 (2)

Allemagne

1,0

2,1

2,8

3,2

3,5

3,7

3,6

3,5

3,5

3,4

Espagne

0,3

0,6

3,8

4,6

4,2

4,8

4,4

3,7

3,5

3,4

France

0,9

1,7

2,7

3,3

3,5

3,7

3,6

3,3

3,1

3,2

Italie

2,0

5,6

8,5

11,2

8,0

9,4

8,1

6,8

6,4

6,0

Pays-Bas

2,8

4,1

6,0

5,9

4,6

5,1

4,9

4,4

4,0

3,6

Royaume-Uni

3,7

4,6

3,9

3,0

3,3

3,7

3,6

2,9

3,0

2,7

Eur.-15

1,7

3,1

4,7

5,3

4,6

5,1

4,7

4,1

3,9

3,7

Eur.-11

1,3

2,8

4,7

5,6

4,7

5,3

4,8

4,3

4,1

3,9

USA

2,2

3,4

5,1

4,9

4,0

4,5

4,2

3,8

3,5

3,2

2. L'assainissement budgétaire entrepris jusque dans le milieu des années 1990 a levé une contrainte forte

Le besoin de financement des administrations publiques qui atteignait 3,8 % du PIB en 1990 en Europe s'est creusé pour s'élever à 6,1 % du PIB en 1993 à la suite de la récession mondiale intervenue cette année-là. La reprise de l'activité en 1994, interrompue par une politique monétaire resserrée à la suite de la crise mexicaine, fut de trop courte durée pour produire un ajustement budgétaire significatif. Après avoir reculé à 5,4 points de PIB en 1994, le déficit public atteignait encore 5 % en 1995.

Les contraintes financières associées à une telle situation et renforcées par le niveau des taux d'intérêt ont justifié la conduite d'une politique budgétaire rigoureuse dont les effets économiques de court terme se sont révélés restrictifs.

Le recul impose de porter un jugement équitable sur cette politique :

- elle a permis de suspendre la dégradation des conditions financières qui s'était traduite par l'élévation des charges d'intérêt et par le sacrifice des générations futures du fait de la montée de la dette publique ;

- elle a rapproché les pays européens de l'équilibre budgétaire et donc d'une situation propice à des baisses de prélèvement à la satisfaction des nécessités d'un réglage conjoncturel en cas de ralentissement de la croissance ;

- elle a favorisé la détente monétaire et financière.

Les gouvernements d'aujourd'hui devraient savoir gré à leurs prédécesseurs d'une gestion sans laquelle l'urgence de l'ajustement budgétaire perdurerait dans un contexte persistant de tensions monétaires.

3. Des besoins de rattrapage dont l'accomplissement a été facilité par certaines circonstances

La période de croissance contrainte qu'a traversée l'économie française s'est accompagnée d'une faible évolution des composantes de la demande interne.

Au cours des années 1991 à 1997, la demande des ménages a été en moyenne peu dynamique.

Croissance en volume de la consommation finale des ménages

(en %)

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

0,7

0,9

- 0,6

1,2

1,2

1,3

0,2

Croissance en volume de l'investissement des ménages

(en %)

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

- 6,9

- 3,7

- 5,2

4,4

2,1

0,4

0,6

Il en est allé de même pour l'investissement des entreprises .

Croissance en volume de l'investissement des entreprises

(en %)

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

- 2,3

1,1

- 7,9

2,1

2

0,8

1,3

Ces évolutions n'ont pas été provoquées par une quelconque atonie des revenus des agents. Le revenu disponible brut des ménages s'est accru en valeur de 12,3 % entre 1993 et 1997 quand leur consommation n'augmentait que de 8,3 %. L'épargne des ménages a augmenté de 15,6 % quand leurs investissements ne s'accroissaient que de 7,8 %. Quant aux entreprises, leur taux de marge 1( * ) est resté globalement stable sur la période. En fait, les agents économiques ont privilégié un emploi de leur revenu dirigé vers l'épargne et se sont montrés réticents à s'endetter.

L'accélération de la demande intérieure après 1997 traduit un renversement de ces comportements plus que les effets d'une accélération des revenus.

Le taux de marge des entreprises est resté stable en moyenne en 1997, 1998 et 1999. Les gains de pouvoir d'achat du revenu disponible des ménages observés en 1997 et en 1998 sont venus à égalité d'une accélération des rémunérations nominales et des effets de la désinflation.

En bref, les conditions monétaires assouplies, les perspectives d'un ajustement budgétaire moins rigoureux, la désinflation et la stabilité du partage de la valeur ajoutée ont créé les conditions d'une accélération de la demande.

Les besoins de rattrapage ont ainsi pu s'exprimer.

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