N° 451

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000

Annexe au procès verbal de la séance du 29 juin 2000.

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires culturelles (1) à la suite d'une mission d'information chargée d'étudier le fonctionnement de la Bibliothèque nationale de France ,

Par MM. Philippe NACHBAR et Philippe RICHERT

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : MM. Adrien Gouteyron, président ; Jean Bernadaux, James Bordas, Jean-Paul Hugot, Pierre Laffitte, Ivan Renar, vice-présidents ; Alain Dufaut, Ambroise Dupont, André Maman, Mme Danièle Pourtaud, secrétaires ; MM. François Abadie, Jean Arthuis, André Bohl, Louis de Broissia, Jean-Claude Carle, Gérard Collomb, Xavier Darcos, Fernand Demilly, André Diligent, Jacques Donnay, Michel Dreyfus-Schmidt, Jean-Léonce Dupont, Daniel Eckenspieller, Jean-Pierre Fourcade, Bernard Fournier, Jean-Noël Guérini, Marcel Henry, Roger Hesling, Pierre Jeambrun, Roger Karoutchi, Philippe Labeyrie, Serge Lagauche, Robert Laufoaulu, Jacques Legendre, Serge Lepeltier, Mme Hélène Luc, MM. Pierre Martin , Jean-Luc Miraux, Philippe Nachbar, Daniel Percheron, Jean-François Picheral, Guy Poirieux,  Jack Ralite, Victor Reux, Philippe Richert, Michel Rufin, Claude Saunier, René-Pierre Signé, Jacques Valade, Albert Vecten, Marcel Vidal.

Archives et bibliothèques.

INTRODUCTION

Mesdames,

Messieurs,

Faut-il détruire les quatre tours de Tolbiac ?

Telle est la question iconoclaste qui vient à l'esprit quand on évoque la Bibliothèque nationale de France et le handicap que représente pour les personnels et les lecteurs le nouveau site François-Mitterrand-Tolbiac qui, conçu à l'origine comme une bibliothèque virtuelle, abrite aujourd'hui près de treize millions d'ouvrages.

Quand on ajoute aux inconvénients liés au parti pris architectural les errements du système informatique et les mécomptes qu'il a entraîné pour bon nombre de chercheurs, il apparaît indispensable de s'interroger sur les modalités de fonctionnement de ce qui a été le plus important des grands travaux et de ce qui est aujourd'hui, si l'on se réfère à des critères budgétaires, la première institution culturelle de France. Il convient de rappeler que l'enveloppe d'investissement consacrée à la BNF s'est élevée à 7,9 milliards de francs et que son coût pour le budget de l'Etat représentait en 2000 un milliard de francs.

Au-delà des propos alarmistes et des descriptions caricaturales, votre commission des affaires culturelles a souhaité tirer un premier bilan de la BNF, deux ans après son ouverture totale au public.

Ce bilan s'inscrit dans le prolongement des travaux déjà conduits par la commission depuis le lancement du projet de construction d'" une très grande bibliothèque d'un type entièrement nouveau " 1 ( * ) . Face aux polémiques suscitées par les options scientifiques et architecturales retenues en 1988, la commission avait déjà en 1990 désigné une mission chargée d'étudier l'organisation et le fonctionnement des grandes bibliothèques anglo-saxonnes.

Soucieuse de faire la part des inévitables problèmes liés au rodage d'un établissement de cette dimension et des handicaps structurels dont il est affligé, votre commission avait entendu le 7 avril 1999 M. Jean-Pierre Angrémy, président de la BNF, puis s'était rendue sur le site Tolbiac le 16 juin 1999.

A la suite de ses premières analyses dont M. Philippe Nachbar avait rendu compte dans son avis sur les crédits consacrés à la culture par le projet de loi de finances pour 2000, la commission a estimé souhaitable d'approfondir l'examen des conditions de fonctionnement de la BNF et a désigné les membres de la mission le 25 janvier dernier.

La BNF, fruit d'un projet ambitieux mais nécessaire pour assurer la modernisation de la Bibliothèque nationale, supporte aujourd'hui les conséquences des multiples atermoiements et revirements qui ont marqué sa genèse. Le bâtiment du site François-Mitterrand-Tolbiac apparaît comme le lourd héritage d'une histoire chaotique où l'innovation technologique devait triompher de toutes les difficultés.

Après des débuts extrêmement difficiles, résultat de la précipitation qui présida à sa réalisation, la BNF, grâce à la mobilisation de ses personnels, a su surmonter beaucoup des dysfonctionnements apparus à l'origine. Certaines difficultés irréductibles demeurent : il était sans doute un peu naïf de penser qu'en construisant une bibliothèque en forme de livres, on apportait une solution définitive aux problèmes de stockage et de communication de collections d'une aussi vaste ampleur que celles de la Bibliothèque nationale.

Aujourd'hui, le nouveau bâtiment fonctionne et le service rendu au public connaît de très significatives améliorations qu'il importe de souligner.

Cependant le projet annoncé en 1988 ne se résumait pas à la construction d'un nouveau bâtiment et la BNF n'a pas pour seule vocation d'être une BN modernisée.

Parmi les missions qui lui sont attribuées par le décret institutif de 1994 2 ( * ) , la BNF doit faire face à son rôle de gardien vigilant des collections nationales. En ce domaine, beaucoup reste à faire : la vocation encyclopédique qui lui est conférée impose une politique coûteuse de maintien à niveau des collections et la modernisation des collections spécialisées n'est pas encore engagée. Au-delà, l'établissement public doit assurer les nouvelles missions qui lui ont été confiées alors que les mutations technologiques qui affectent le secteur de l'édition et les nouveaux modes de transmission des données lui impose un effort permanent d'adaptation ; la mise en réseau du patrimoine documentaire national n'est encore qu'à l'état d'ébauche et la politique de numérisation doit être activement poursuivie.

Loin de vouloir instruire un procès, la mission a souhaité contribuer à la réflexion engagée pour doter la BNF d'une stratégie à la hauteur de l'effort budgétaire consenti par la Nation.

I. LE TRIBUT DU PASSÉ

Conçu pour abriter une bibliothèque d'un genre nouveau, largement fondée sur le recours aux nouvelles technologies de l'information et de la communication, le bâtiment construit sur les bords de Seine n'apparaît pas adapté aux missions de l'institution qu'il abrite aujourd'hui.

A. UN BÂTIMENT VICTIME DES VISCISSITUDES DU PROJET DE " TRÈS GRANDE BIBLIOTHÈQUE "

1. Un bâtiment conçu autour d'un projet ambitieux et imprécis

L'annonce par le président François Mitterrand, le 14 juillet 1988, de la décision de construire une nouvelle bibliothèque est intervenue alors que des projets de modernisation de la Bibliothèque nationale étaient en cours d'élaboration.

En effet, le quadrilatère de la rue de Richelieu se trouvait confronté à d'insolubles difficultés de fonctionnement et pâtissait de l'étroitesse des moyens budgétaires qui lui étaient alloués. Face à cette situation, plusieurs solutions avaient été envisagées.

M. Emmanuel Leroy-Ladurie, alors administrateur général de la bibliothèque nationale, prônait la création d'une " BN-bis " qui supposait un déménagement complet des collections à l'image de la solution retenue pour la British Library qui venait d'abandonner les anciens locaux du British Museum, tandis qu'un rapport de M. Francis Beck, remis au ministre de la culture en juin 1987, préconisait une " décentralisation lourde " de la Bibliothèque nationale. Dans ce projet, n'auraient été maintenus rue de Richelieu que la conservation des collections déjà en place, leur exploitation et leur communication aux lecteurs, des sites installés en banlieue ou en province accueillant les nouvelles entrées.

Dans ce contexte, la décision du Président de la République ouvrait la voie à une modernisation profonde de la Bibliothèque nationale, sans toutefois que soit précisé dans quelle mesure la nouvelle institution en héritait. Il s'agit là d'une ambiguïté qui explique sans doute la difficile genèse de l'actuelle bibliothèque nationale de France.

En effet, le projet présidentiel, s'il s'inscrit dans la réflexion engagée sur l'avenir de la Bibliothèque nationale, apparaît également comme une décision de rupture .

Le Président de la République souhaite, en effet, construire " une bibliothèque qui puisse prendre en compte toutes les données du savoir dans toutes les disciplines et surtout qui puisse communiquer ce savoir à l'ensemble de ceux qui cherchent, de ceux qui étudient, de ceux qui ont besoin d'apprendre, toutes les universités, les lycées, tous les chercheurs qui doivent trouver un appareil modernisé, informatisé et avoir immédiatement le renseignement qu'ils recherchent... On pourra connecter cette bibliothèque nationale à l'ensemble des grandes universités de l'Europe ". Il conclut en relevant que " nous aurons alors un instrument de recherche et de travail qui sera incomparable " .

Ce projet dont les termes ont été précisés par une lettre du Président de la République au Premier ministre en date du 23 mars 1989, allait bien au delà de la mission dévolue à la Bibliothèque nationale aux termes de son statut de 1983 3 ( * ) et constituait à plusieurs titres une innovation :

- d'une part, sa vocation encyclopédique (" couvrir tous les champs de la connaissance ") traduisait le souci de remédier aux lacunes de la Bibliothèque nationale dont les collections étaient traditionnellement plus tournées vers les humanités que vers les disciplines scientifiques et juridiques ;

- d'autre part, la nouvelle institution devait être un instrument de démocratisation de la connaissance (" être à la disposition de tous " ), en s'ouvrant à un public plus large que celui des chercheurs, grâce à des salles de lecture comportant un grand nombre d'ouvrages en libre accès ;

- enfin, le recours aux nouvelles technologies de transmission de données devait permettre à la nouvelle bibliothèque de fonctionner en réseau avec d'autres institutions, qu'il s'agisse de bibliothèques ou d'universités, et d'être accessible à distance.

Le rapport confié à MM. Michel Melot, alors directeur de la bibliothèque publique d'information du Centre national d'art et de culture Georges Pompidou, et à Patrice Cahart, inspecteur général des finances, remis au Premier ministre en décembre 1988, qui était destiné à préciser le programme du projet en vue du concours d'architecture, soulignait néanmoins l'imbrication nécessaire qui demeurait entre la nouvelle institution et la Bibliothèque nationale puisqu'il est alors question de décharger cette dernière de la gestion du dépôt légal et d'une partie de ses collections.

Cependant, le rapport se limitait à définir de grandes orientations pour cette bibliothèque dont la conception et la préparation de la réalisation étaient confiées en janvier 1989 à l'association pour la Bibliothèque de France, présidée par M. Dominique Jamet.

Le conseil des ministres du 12 avril 1989 définit les grands axes du projet et, notamment, précisa que la Bibliothèque de France recevrait les documents publiés après 1945 et serait un lieu privilégié de communication au public de la production audiovisuelle qu'elle aurait, avec d'autres organismes, vocation à conserver. Par ailleurs, est décidé qu'elle comprendra à côté de salles réservées aux chercheurs une vaste salle de lecture publique.

Enfin, le principe d'une implantation parisienne est retenu : l'emplacement choisi est un terrain de 7 hectares, situé dans le XIIIe arrondissement en bordure de Seine, offert par la Ville de Paris et destiné à être intégré dans une zone d'aménagement concerté (ZAC). Le calendrier de réalisation est ébauché : choix de l'architecte en juillet, début des travaux en 1991 et achèvement en 1995, échéances qui reprenaient au demeurant celles fixées dès 1988 par le chef de l'Etat.

Ces échéances constituent sans doute, avec la localisation du projet, le seul aspect du projet qui ne devait pas être modifié : en dépit des retards pris par le chantier, la réception des travaux fut effectuée le 23 mars 1995 et l'inauguration des bâtiments eut lieu le 30 mars 1995 ; la réception des travaux avait un caractère largement fictif et la cérémonie se déroula dans des bâtiments vides en raison des retards enregistrés dans la réalisation de la bibliothèque elle-même.

2. Un choix architectural hâtif

La brièveté des délais imposés pour sa réalisation explique que le projet architectural ait été arrêté avant que ne soient définies les missions de la nouvelle Bibliothèque de France.

En avril 1989, sous l'impulsion du secrétariat d'Etat aux grands travaux, fut organisé un concours international d'idées afin de choisir l'architecte du nouveau bâtiment. Ce concours se déroula sur la base d'une simple esquisse de programme et en l'absence de toute définition précise des besoins et des contraintes liés à l'utilisation du bâtiment.

250 dossiers de candidature furent présentés. Le choix du jury se porta sur le projet de M. Dominique Perrault.

Avec le recul permis par le temps, il apparaît que ce projet approuvé par le président de la République accordait plus de place à l'esprit de la nouvelle bibliothèque qu'à ses exigences bibliothéconomiques, qui restaient au demeurant encore très floues.

S'il est désormais trop tard pour le regretter, il convient de rappeler que la composition du jury, dont les compétences des membres ne sont pas ici en cause et qui comptait de nombreux architectes, ne comprenait aucun bibliothécaire. A cet égard, les propos tenus par M. Dominique Perrault sont éloquents 4 ( * ) : " Ma priorité n'était pas de concevoir une bibliothèque mais de résoudre un problème d'urbanisme ". Cela se passe de commentaires quand on considère que cinq ans après l'achèvement des travaux, ce problème n'est toujours pas résolu.

Beaucoup de difficultés dans la conduite des opérations mais également beaucoup de critiques auraient sans doute pu être évitées grâce à une association plus large de la communauté scientifique comme des personnels de la Bibliothèque nationale à la conception du projet.

La précipitation qui prévalut alors a eu pour conséquence de faire se chevaucher les études de programmation et de maîtrise d'oeuvre. Emile Biasini, secrétaire d'Etat aux grands travaux, put expliquer ainsi cette entorse aux règles élémentaires de la commande publique : " Je crois à une démarche (...) qui consiste à mettre en communication immédiate l'architecte et les programmateurs pour l'étude progressive de l'objectif. C'est une création continue et commune de spécialistes venus d'horizons différents où l'enrichissement naît de la dialectique constante entre les existences, les possibilités et les capacités ".

Cette méthode, qui privilégiait la rapidité et faisait le pari de l'innovation technologique pour surmonter les contradictions, aurait sans doute été fructueuse si le projet avait, dès l'origine, été mieux défini. Or, cette audacieuse dialectique se heurta aux nombreuses polémiques que suscita le projet, aux revirements qu'elles imposèrent comme aux difficultés techniques rencontrées au cours du chantier. La démarche retenue explique donc pour une large part l'inadaptation du bâtiment aux missions attribuées à la BNF. A l'évidence, c'est au détriment de l'efficacité que fut respecté le calendrier.

3. Un projet controversé

Au fur et à mesure des travaux, la perspective de créer " une très grande bibliothèque d'un type entièrement nouveau " pour reprendre les termes du décret créant l'établissement public constructeur 5 ( * ) s'éloignait : les aspects les plus novateurs du projet furent abandonnés, aboutissant à faire de la nouvelle institution l'héritière modernisée de la Bibliothèque nationale.

Si la construction du site Tolbiac apparaît comme le plus important des grands travaux, il est sans aucun doute également celui qui fut le plus controversé ; les critiques dont il fut la cible obligèrent l'établissement public en charge de la réalisation du projet à en modifier des aspects fondamentaux.

En effet, la mise au point du programme scientifique comme le choix du parti architectural ont nourri de 1989 à 1993 de nombreuses polémiques et controverses qui suscitèrent des retards mais aussi des revirements dans la conduite du projet.

Un projet scientifique controversé

La remise en cause de la césure des collections à partir de 1945 , césure décidée par le gouvernement et le Président de la République dès le mois d'avril 1989, obligea l'architecte à prévoir des espaces de stockages pour 13 millions d'ouvrages, au lieu des 4 millions initialement prévus. Ce changement d'échelle majeur se répercuta inévitablement sur l'organisation interne des bâtiments et plus particulièrement sur les conditions de stockage des livres qui s'en trouvèrent compliquées.

Cette nouvelle orientation, obtenue grâce à une mobilisation -souvent virulente- de la communauté scientifique mais également de la Bibliothèque nationale qui avait été écartée de fait des instances dirigeantes de l'établissement constructeur, déclencha elle-même d'autres polémiques sur les solutions à retenir pour résoudre les difficultés soulevées par cet afflux de livres. Au terme de ces débats, aux silos envisagés dans un premier temps en réalité peu compatibles avec des délais de communication satisfaisants des ouvrages, fut préférée une extension des espaces de conservation grâce à la construction de magasins supplémentaires dans le socle du bâtiment.

Le projet dut subir également les conséquences des hésitations sur la place à accorder à l'audiovisuel au sein de la nouvelle bibliothèque, qui de prépondérante fut finalement réduite à la portion congrue, mais également sur la coexistence des différents publics qui, faute d'études précises, donna lieu à des arbitrages fluctuants pour finalement aboutir à la séparation des espaces qui prévaut aujourd'hui et à une réduction des services prévus (abandon de la bibliothèque enfantine par exemple).

Ces modifications, si elles furent dans l'ensemble acceptées par l'architecte qui réussit à amender son projet initial, n'allèrent pas sans lui poser des difficultés : ainsi, comme l'a rappelé devant la mission M. Dominique Perrault, lorsque fut décidé le transfert de l'ensemble de la collection des imprimés et des périodiques de la Bibliothèque nationale sur le site Tolbiac, il dut, faute de données disponibles, estimer lui-même les capacités de stockage nécessaires pour accueillir les 7 millions d'ouvrages supplémentaires à prendre en compte.

Un ouvrage critiqué

Les polémiques liées à l'élaboration du programme scientifique se sont doublées de critiques portant sur le bâtiment lui-même .

L'annonce du choix du projet de M. Dominique Perrault souleva immédiatement des querelles passionnées : l'opportunité de stocker des livres dans les tours, les risques représentés par la création d'une esplanade largement ouverte au public ou encore le jardin central furent autant de questions vivement controversées.

Ces querelles, qui trouvèrent un écho dans la communauté scientifique internationale, furent alimentées par les difficultés techniques engendrées par ce qui était -il faut bien le reconnaître- un véritable défi au regard des normes architecturales présidant traditionnellement à la construction des bibliothèques. On rappellera à titre d'exemple les débats sur les solutions alternatives à la paroi de verre photochromique, envisagée initialement pour recouvrir les tours mais qui, dès 1990, se révéla irréalisable pour des motifs techniques et financiers.

Le début des travaux en février 1991 ne mit pas fin aux polémiques. Ainsi, à la suite du rapport remis au président de la République par André Miquel au nom du Conseil supérieur des bibliothèques en 1991, plusieurs modifications substantielles étaient apportées au projet architectural. Si les propositions visant à combler l'espace central ou encore à mailler les fondations du jardin pour permettre une extension future des magasins ne furent pas retenues, il fut, en revanche, décidé de " densifier " le bâtiment, en limitant la hauteur des tours à 78 mètres, au lieu des 86 mètres fixés à l'origine, et en réduisant le nombre des salles de conférence et de réunion dans le socle afin d'accroître la superficie des espaces de conservation.

Ces aménagements successifs -qui se firent sans que le chantier ne subisse aucun coup d'arrêt- trouvent leur origine dans la précipitation avec laquelle fut conduit le projet mais également dans l'absence de cohérence qui caractérisa la conduite du projet.

4. Un manque d'unité dans la conduite du projet

Outre la réalisation des travaux de construction et d'aménagement des nouveaux bâtiments, l'article 2 du décret créant l'établissement public de la Bibliothèque de France (EPBF) confiait également à ce dernier la réflexion sur le contenu de l'ouvrage et le schéma d'organisation et de fonctionnement de la future bibliothèque. Cette double responsabilité, sur le contenant et le contenu, devait faciliter la coordination indispensable au bon avancement du projet.

Or, si la conduite du bâtiment sous l'autorité du directeur général de l'établissement et la tutelle attentive du ministre des grands travaux s'effectua, comme le souligne la Cour des comptes 6 ( * ) , " avec fermeté et sans relâche ", cela en dépit des attaques menées contre le projet architectural, l'élaboration du programme du contenu de la bibliothèque fut marquée par les difficultés du maître d'ouvrage à imposer ses choix.

La Cour des comptes souligne, en effet, que " la maîtrise d'ouvrage du contenu de la future bibliothèque confiée à la délégation scientifique de l'établissement resta impuissante à manifester son autorité ; malgré la multiplication de ses effectifs permanents et des concours extérieurs pour faire face à ses missions, elle ne parvint pas à faire accepter ses propositions ".

Outre les critiques qu'elle dût affronter, deux raisons principales expliquent les difficultés de la maîtrise d'ouvrage : d'une part, l'étendue de ses responsabilités et, d'autre part, l'ambiguïté de ses relations avec la Bibliothèque nationale.

Un projet complexe

En effet, si nul ne peut douter de la difficulté du chantier bibliothéconomique de Tolbiac, il apparaît que la délégation scientifique de l'établissement était confrontée à des tâches multiples, pour lesquelles elle ne disposait pas des capacités d'expertise nécessaires. Comme le relevait le Conseil supérieur des bibliothèques dans son rapport précité, " ses compétences couvraient un champ de responsabilités considérables. Elle traite du contenant comme du contenu, du court et du long terme : définition des espaces et études techniques fondamentales (organisation des collections, conservation...), prévision des flux de public, conception des systèmes informatiques, politique d'acquisition (...), coopération avec les autres types de bibliothèques... ".

Face à ces compétences très larges, l'établissement public semble souffrir de défauts d'organisation (absence de synthèse entre les différents groupes de travail) mais aussi de réelles difficultés à appréhender l'ensemble des missions de la nouvelle bibliothèque.

Ces difficultés s'expliquent pour une large part par l'absence de collaboration réelle entre la Bibliothèque nationale, qui s'avérait pourtant une institution incontournable en matière de bibliothéconomie, et l'établissement constructeur, qui devait en quelque sorte inventer une " nouvelle BN ".

Une concertation insuffisante entre l'EPBF et la BN

Comme nous l'avons souligné plus haut, si en 1988 l'institution annoncée par le président de la République rompt avec les missions patrimoniales exercées par la BN, la future Bibliothèque de France, dès l'abandon du principe de césure des collections, apparaît comme son héritière directe.

Dans un tel contexte, la nomination à la tête de l'association de préfiguration puis de l'établissement constructeur d'une personnalité étrangère à la communauté scientifique fut interprétée comme un signe de défiance à l'égard des responsables de la BN, qui avaient exprimé dès le début du projet des réticences sur les options architecturales et scientifiques retenues.

Dans un premier temps, les responsables de la BN n'ont été que peu associés à la conduite du projet. Si l'administrateur général, M. Emmanuel Le Roy Ladurie, était membre de l'association de préfiguration, il n'est désigné que comme personnalité qualifiée -et non comme membre de droit- au sein du conseil d'administration de l'EPBF. L'impression de méfiance domine ; les échanges d'opinion se font par voie de presse alors que l'ampleur du projet, comme l'articulation évidente entre les missions de la future bibliothèque et celles de Richelieu, justifiaient pleinement une collaboration étroite, qui aurait permis d'intégrer de manière plus satisfaisante les préoccupations bibliothéconomiques à l'élaboration du projet architectural. Comme le relève le rapport précité remis au président de la République par le Conseil supérieur des bibliothèques, " les réunions de travail avec les responsables de la Bibliothèque nationale nous donnent toutefois à penser que les mécanismes d'association des deux partenaires et de validation des hypothèses ne sont pas au point. Si la BN est à coup sûr consultée, elle n'est pas véritablement intégrée (...). "

Deux années plus tard, les conditions de la collaboration entre la BN et l'EPBF n'ont pas connu d'améliorations significatives. M. Philippe Bélaval relève dans son rapport de mission 7 ( * ) : " Malgré, en effet, les progrès enregistrés depuis quelques mois dans les relations entre l'établissement public de la Bibliothèque de France et la Bibliothèque nationale, l'existence de deux établissements distincts ne peut conduire qu'à un éclatement, à un moment ou à un autre, du traitement de questions qui devraient, au contraire, faire l'objet d'un traitement en continu.

" La décision de confier à un établissement public nouveau la construction et la préfiguration du site de Tolbiac répondait à une logique claire, qui correspondait à la volonté de faire bénéficier le nouvel établissement de la dynamique des " grands projets ", par-delà les nécessités de la gestion quotidienne d'une grande bibliothèque patrimoniale, ce qui a permis au projet de prendre son élan.

" Mais il apparaît (...) que vouloir persister aujourd'hui dans ce sens ne pourrait que conduire à de graves mécomptes . "

Les menaces de scission des collections, maintes fois évoquées sous des formes variées, que les critères retenus soient chronologiques ou thématiques, n'ont pas contribué à apaiser cette défiance réciproque qui ne prendra fin qu'avec la création par le décret n° 94-3 du 3 janvier 1994 de l'établissement public de la Bibliothèque nationale de France.

Cette solution de synthèse, issue d'une proposition des deux groupes de travail créés par M. Jacques Toubon, alors ministre de la culture et de la francophonie, présidés par M. Philippe Bélaval, si elle ne met pas fin aux conflits existants entre les anciens et les modernes, eut le mérite d'apaiser les polémiques. L'impression qui domine est là encore celui d'un gâchis de temps et d'énergie. Comme le note M. Marc Fumaroli dans un article intitulé " Retour à la Bibliothèque nationale " 8 ( * ) : " Dans l'affaire inutilement " byzantine " de la TGB, une solution de synthèse s'impose. Sa rationalité, sa solidité, ne peuvent provenir que de l'élément pondéré et savant, depuis le début agressé dans ce conflit pénible : la Bibliothèque nationale ".

B. UN BÂTIMENT INADAPTÉ

1. Un bâtiment considéré comme un handicap

Parmi les difficultés auxquelles est confrontée la Bibliothèque nationale de France, celle qui a été le plus souvent évoquée par les personnalités entendues par la mission réside dans la configuration même du bâtiment de Tolbiac.

Un bâtiment éclaté

Comme l'a rappelé M. Emmanuel Le Roy Ladurie, lors de son audition, ces locaux ne sont guère adaptés à la mission patrimoniale de conservation qui incombe à la Bibliothèque nationale de France .

La construction d'un nouveau bâtiment s'avérait certes nécessaire et le nouveau site présente l'avantage d'avoir accru les capacités de stockage des collections mais aussi notablement amélioré leurs conditions de conservation, notamment grâce à des installations de climatisation dont le fonctionnement s'avère globalement satisfaisant.

Cependant, le parti pris architectural va à l'encontre des principes de construction habituellement retenus dans la construction des bibliothèques , en éclatant autour d'un espace central les services et les magasins destinés au stockage des ouvrages, magasins eux-mêmes extrêmement morcelés du moins pour ceux abrités dans les quatre tours : on est, en effet, passé de quatre magasins principaux sur le site de Richelieu à 180 à Tolbiac (86 dans les tours et 94 dans le socle).

Même si des précautions ont été prises pour rapprocher les ouvrages les plus fréquemment consultés des salles de lecture, cette organisation de l'espace constitue incontestablement un handicap pour une communication rapide des ouvrages d'autant qu'à l'éclatement des magasins s'ajoute l'éclatement des salles de consultation. Il faut, en effet, rappeler que l'espace réservé aux chercheurs -usuellement désigné sous le terme de " rez-de-jardin " puisqu'il est de plain pied avec le cloître central-, tout comme l'espace destiné au grand public dit " haut-de-jardin ", est distribué en quatre départements thématiques correspondant aux grands domaines du savoir 9 ( * ) . Cette distribution représente un important changement par rapport à la configuration des salles de lecture de Richelieu qui, outre les départements spécialisés, étaient organisées autour de la distinction entre les périodiques et les livres imprimés.

L'inconvénient que représentent les distances est accru par les limites du système de transport automatique de documents (TAD) : en effet, les capacités des nacelles sont limitées et peu adaptées à l'acheminement de documents de grand format ; les magasiniers sont donc contraints d'effectuer des itinéraires compliqués, rythmés par les innombrables portes imposées par les règlements de sécurité draconiens et les inévitables trajets en ascenseur.

Par ailleurs, cette configuration peu satisfaisante est aggravée par l'inadaptation du mobilier de stockage des magasins.

Là encore, il semble que ce soient les équipements les plus innovants qui posent le plus de problème. Certains comme les " carrousels " destinés au stockage des périodiques et à leur communication informatisée ne fonctionnent toujours pas ; d'autres tels les rayonnages denses mobiles à commande électrique dits " compactus ", en revanche, fonctionnent mais dans des conditions qui mettent à rude épreuve les ouvrages comme les nerfs du personnel.

Ces armoires métalliques qui glissent sur des rails avaient vocation à accroître les capacités de stockage. Il s'agit d'équipements relativement courants dans les bibliothèques sauf que celle de la BNF sont électriques, ce qui devait faciliter le travail des magasiniers mais en pratique le complique grandement en raison des nombreuses pannes qu'ils connaissent, pannes auxquelles le service des moyens techniques doit faire face, sauf à devoir refuser la communication d'un ouvrage. Par ailleurs, ces armoires semblent peu adaptées au stockage des ouvrages de petit format qui glissent et sont écrasés.

Une contre-performance

Tolbiac apparaît comme l'expression même d'une contre-performance puisque le bâtiment réussit à être à la fois trop grand et trop exigu.

Il semble qu'en dépit de l'investissement réalisé à Tolbiac, les réserves disponibles dont disposent la BNF pour l'avenir sont très loin d'être illimitées. Certains magasins sont saturés ; si d'autres restent encore vides - et doivent d'ailleurs être équipés de mobilier de stockage, ils ne représentent guère plus de 15 à 20 ans d'accroissement des collections alors que les objectifs initiaux laissaient espérer des réserves pour 40 ans. Ce constat peut surprendre compte tenu de l'immensité apparente du bâtiment. Il surprend moins lorsque l'on considère que, dans les tours, seuls 50 % de la superficie est utilisable du fait de la place prise par les parois destinées à abriter les livres. Le bâtiment n'est donc guère rentable. Cette saturation des espaces constitue d'ores et déjà une difficulté pour la vie des services de la BNF, très à l'étroit dans les locaux qui leur ont été attribués.

Cette exiguïté des espaces de travail trouve une illustration éclatante dans la configuration des arrières banques de salles, espaces où arrivent des magasins les ouvrages commandés par les lecteurs. Lors de la visite qu'ils ont effectuée sur le site Tolbiac, les membres de la mission ont été frappés par le contraste entre le luxe des salles de lecture, dans lesquelles domine une impression de recueillement et d'espace, et l'étroitesse des lieux de travail des magasiniers, qui sont à la fois bruyants, inhospitaliers et manifestement peu ergonomiques. Aux questions posées à ce sujet par les membres de la mission, M. Dominique Perrault a répondu que les aménagements prévus avaient été ajournés faute de concertation, aménagements qui néanmoins, il convient de la souligner, auraient représenté un coût supplémentaire par rapport aux marchés initiaux.

Des modifications ponctuelles ont été réalisées ; force est de constater qu'elles ne pourront remédier à elles seules à ce défaut de conception initial, ce qui est regrettable compte tenu de l'investissement réalisé et de la proportion des effectifs travaillant en sous-sol (près de 95 % pour les magasiniers).

Mais le fonctionnement de la BNF pâtit également de l'immensité du bâtiment -  ou plus précisément de sa configuration centrifuge. En effet au lieu de mettre les livres au centre et autour les bibliothécaires et les lecteurs, le bâtiment s'organise à l'inverse, le vide en constituant le centre. Ce parti pris architectural conjugué aux dimensions horizontales (275 mètres) et verticales (56 mètres) a pour effet de contraindre le personnel mais aussi les lecteurs à parcourir de très longues distances, synonymes de perte de temps et d'énergie.

Un bâtiment peu modulable

En dépit de ses dimensions, le bâtiment apparaît en réalité peu modulable .

Les espaces de consultation dont le caractère monumental frappe dès l'abord le visiteur et qui peuvent apparaître comme surdimensionnés ne pourront pas être aménagés pour accroître les capacités d'accueil de la bibliothèque alors que deux ans après l'ouverture du rez-de-jardin, on commence déjà à parler de saturation. Comme le soulignait M. Emmanuel Le Roy Ladurie lors de son audition par la mission d'information, " la complexité du bâtiment rend son usage difficile ".

Des conditions de travail pénibles

Les représentants syndicaux du personnel de la BNF entendus par la mission ont unanimement déploré l'inadaptation du bâtiment, difficulté malheureusement irréductible, qui aboutit à une mauvaise circulation de l'information, prive le site de toute convivialité pour le personnel et nuit sans doute à l'unité de l'institution. Les conditions de travail réellement pénibles imposées par le bâtiment expliquent en partie le mouvement de grève qui a suivi l'ouverture du rez-de-jardin. En effet, si l'esthétique du bâtiment apparaît à bien des égards comme une véritable réussite, l'atmosphère qu'il sécrète est très déshumanisée, surtout pour les personnels de l'ancienne Bibliothèque nationale habitués aux locaux de la rue de Richelieu, qui n'ont guère vu s'améliorer leurs conditions de travail.

Le caractère inhospitalier des lieux a été également ressenti par les lecteurs, surtout dans les premiers mois, comme l'ont illustré les récits rapportés par le numéro de mai-août 1999 de la revue Le Débat , dont l'un était intitulé de manière pessimiste " Faudra-t-il traverser l'Atlantique ? ". Aux distances à parcourir, aux escaliers à gravir et aux risques de glissade que représentent l'esplanade recouverte de bois d'ipé -risques supérieurs, nous a-t-on affirmé, à ceux d'un trottoir moyen- s'y ajoutent les effets des consignes de sécurité considérées par certains lecteurs comme exagérées mais qui semblent désormais bien admises (passage de tourniquets, obligation de glisser ses affaires personnelles dans un sac en plastique transparent...). Sans aller comme le fait M. Emmanuel Le Roy Ladurie jusqu'à qualifier la BNF de " géronticide " 10 ( * ) , il apparaît que le public du site Tolbiac n'est pas exactement le même que celui de la rue de Richelieu, qui n'a pas retrouvé sur les bords de Seine les habitudes prises dans la salle Labrouste.

2. Un bâtiment coûteux

Ce constat est d'autant plus regrettable que les sommes consacrées à ce projet sont considérables et que son fonctionnement apparaît très coûteux.

Un investissement considérable consenti par la collectivité

La création de la Bibliothèque nationale de France a représenté pour l'Etat un investissement de près de 8 milliards de francs.

L'enveloppe d'investissement a été en effet définitivement arrêtée en autorisations de programme et en crédits de paiement à 7 964,8 millions de francs, la différence avec le montant initial de 7 200 millions de francs représentant l'actualisation de l'enveloppe.

A l'évidence, ces montants font de la BNF le plus important des grands travaux.

On rappellera pour mémoire que les deux tranches du Grand Louvre ont été soldées pour un total de 5,8 milliards de francs ; la Villette, à la construction de laquelle participèrent plusieurs ministères, a coûté 6,5 milliards de francs, l'Opéra Bastille représentant pour sa part un investissement de 4,4 milliards de francs.

Le tableau ci-dessous retrace sur la période de réalisation de la BNF les montants affectés aux établissements publics successifs chargés de la réalisation de la bibliothèque (en autorisations de programme et en crédits de paiement).

CRÉDITS AFFECTÉS À LA CONSTRUCTION DE LA BNF

Années

Autorisations de programme

Crédits de paiement

1991

2 220,0

992,0

1992

2 252,0

1 591,0

1993

1 323,0

1 576,7

1994

638,0

1 528,0

1995

512,5

1 300,9

1996

334,3

603,8

1997

0,0

0,0

1998

0,0

165,4

1999

0,0

24,0

2000

0,0

0,0

TOTAL

7 964,8

7 964,8

Source : ministère de la culture

Ces chiffres, qui font apparaître un respect global de l'enveloppe initiale, doivent être cependant examinés plus attentivement au regard des différents postes qui la composent.

Initialement, l'enveloppe financière du projet était répartie en deux grandes masses :

- les bâtiments, pour un montant de 5,2 milliards de francs ;

- et le " contenu " de la bibliothèque, pour un montant de 2 milliards de francs.

C'est durant l'hiver 1992-1993 que la programmation s'étant affinée, les différents postes de l'enveloppe furent arrêtés pour les montants suivants :

- 5,015 milliards de francs consacrés à la construction du bâtiment de Tolbiac, dont 3,28 milliards de francs au titre des travaux fonciers proprement dits ;

- 1,337 milliard de francs au titre de l'acquisition d'ouvrages, d'équipement et de mobilier pour Tolbiac ;

- 100 millions de francs destinés à la mise en réseau en régions de la Bibliothèque nationale de France ;

- 345 millions de francs pour assurer le transfert des collections des imprimés et des périodiques de l'ancienne Bibliothèque nationale sur le nouveau site ;

- 200 millions de francs pour la construction d'un bâtiment à Marne-la-Vallée destiné à accueillir de nouveaux ateliers de conservation et de restauration des documents.

- 180 millions de francs pour la ZAC

Si des rééquilibrages ont eu lieu entre ces différents postes, la répartition de l'enveloppe est aujourd'hui identique dans ses grandes masses à celle arrêtée en 1993.

Cependant, si le coût prévisionnel de l'opération a été en apparence respecté, le coût final dépasse sensiblement l'enveloppe, dans la mesure où une partie des dépenses nécessaires à la réalisation des objectifs de la BNF sont désormais financées sur le budget courant de l'établissement, les crédits inscrits initialement ayant été consommés .

C'est le cas notamment des dépenses d'acquisition, les crédits de l'enveloppe n'ayant permis que de réaliser 66 % du programme d'acquisitions.

En ce qui concerne la réalisation du système d'information, il apparaît que la part de l'enveloppe qui lui était consacrée, soit 406 millions de francs (71 millions de francs au titre des études générales, 200 millions de francs pour les logiciels et 135 millions de francs consacrés à l'équipement) est dépassée. Cela était dès l'origine prévisible dans la mesure où n'avait été budgétée dans l'enveloppe qu'une partie seulement du coût du système informatique, tel qu'il avait été évalué en 1992, soit près de 580 millions de francs, 240 millions de francs pour l'investissement logiciel et 340 millions de francs pour l'investissement matériel : le décalage s'explique par le fait que les tranches conditionnelles du marché d'équipement n'avaient pas été prises en compte dans l'enveloppe initiale. D'après les estimations communiquées à la mission par le ministère de l'économie et des finances, le coût du système informatique s'élèverait désormais à environ 780 millions de francs, soit un dépassement de l'enveloppe initiale d'environ 95 %. La BNF ne partage pas ces appréciations, s'en tenant aux montants des marchés de réalisation et d'équipement, soit près de 600 millions de francs.

Cependant, il convient de souligner que ces chiffres ne peuvent qu'être évaluatifs dans la mesure où le coût final du projet ne pourra être définitivement arrêté que lorsqu'il sera achevé, ce qui est loin d'être le cas : la mise au point de la première partie du système dite V1, comme la mise en service des versions dites V2 et V3 11 ( * ) doivent faire l'objet de nouveaux marchés dont il est prématuré d'évaluer le montant. Par ailleurs, il conviendrait de prendre en compte les surcoûts engendrés par les retards enregistrés dans la réalisation du système informatique (mise en place de systèmes provisoires ou partiels à l'image du catalogue des ouvrages en libre-accès du haut-de-jardin).

A la décharge du maître d'ouvrage, il convient de souligner que les estimations du coût du projet informatique étaient très délicates à établir dans la mesure où en ce domaine, les technologies évoluent très rapidement, condamnant toute projection à long terme. Quoi qu'il en soit, il est évident que les chiffres de l'enveloppe globale ne tenaient pas compte du coût réel du projet sur ce point.

Un investissement démesuré ?

Un effort de modernisation de la Bibliothèque nationale s'imposait : en effet, le budget annuel qui lui était consacré, soit environ 140 millions de francs en 1988, se révélait insuffisant compte tenu de la vétusté des locaux, du rythme d'accroissement des fonds et de la nécessité de maintenir à niveau les collections.

Cependant, le caractère peu fonctionnel du bâtiment actuel peut laisser songeur sur la pertinence des options architecturales et techniques retenues. Il est à l'évidence regrettable qu'un ouvrage si coûteux soit aujourd'hui perçu comme un handicap plutôt que comme un atout.

Cela est d'autant plus regrettable que beaucoup de dépenses, justifiées par le souci de prétendre à l'excellence, apparaissent aujourd'hui démesurées. M. Philippe Bélaval, ancien directeur général de la BNF de 1994 à 1998, a déclaré devant la mission lors de son audition, que la nouvelle bibliothèque aurait pu être construite pour beaucoup moins cher, le caractère très élevé du niveau des équipements -notamment des salles de lecture- par rapport aux standards pouvant à cet égard poser question.

Un coût de fonctionnement élevé

La BNF, si elle apparaît comme le plus cher des grands travaux, est aujourd'hui au regard des dépenses de fonctionnement et d'investissement qu'elle génère la première institution culturelle de France et pèse à ce titre très lourdement sur le budget du ministère de la culture.

Le budget de l'établissement s'élevait en 2000 à 753,95 millions de francs, financé à concurrence de 55 millions de francs seulement par des ressources propres, le reste provenant pour l'essentiel de la subvention du ministère de la culture.

Depuis la création de la BNF en 1994, la subvention de fonctionnement du nouvel établissement est passée de 303 millions de francs à 620,02 millions de francs en 2000. Elle est de loin la plus importante des subventions versées par le ministère de la culture aux établissements publics relevant de sa tutelle. En effet, la BNF reçoit une subvention deux fois supérieure à celle du Centre Georges Pompidou et cinq fois supérieure à celle du musée du Louvre. A elle seule, elle représente près du cinquième du chapitre 36-60 -Subventions aux établissements publics- du titre III du budget du ministère de la culture et de la communication.

Les subventions d'investissement s'établissent en 2000 en crédits de paiement à 59 millions de francs.

A ces subventions, il convient d'ajouter le coût des rémunérations des personnels d'Etat affectés à la BNF - personnels des corps des bibliothèques essentiellement- inscrites sur le budget du ministère de la culture, qui s'élève à environ 300 millions de francs. Votre rapporteur note pour le regretter que le ministère de la culture ne dispose pas d'instruments comptables lui permettant de connaître pour l'année le coût budgétaire exact que représentent les personnels d'Etat affectés à la BNF, faute d'informations suffisamment précises concernant les vacances de postes.

Au regard de ces chiffres, le coût annuel de la BNF pour le budget de l'Etat s'élève donc à 979 millions de francs, somme tout à fait considérable quel que soit le critère de comparaison utilisé.

La BNF coûte près de 7 fois plus cher que la Bibliothèque nationale au début des années 1990, dont la subvention de fonctionnement ne dépassait pas 140 millions de francs. Il convient de souligner que ce chiffre se trouvait déjà lui-même en forte augmentation par rapport aux années antérieures au lancement du projet présidentiel, les crédits de fonctionnement de la BNF ayant plus que triplé entre 1981 et 1986.

Le coût de la BNF pour le budget de l'Etat représente à lui seul les trois cinquièmes du budget consacré à l'ensemble des bibliothèques universitaires en France, qui s'élevait en 1999, pour 1,25 million d'inscrits, à 1 748,8 millions de francs, dont 879 millions de francs pour les dépenses en personnel et 869,8 millions de francs pour le fonctionnement, ces dépenses étant couvertes à hauteur de 200 millions de francs par des droits d'inscription et des ressources propres.

Une structure budgétaire très rigide

Le budget de l'établissement public se caractérise par le poids représenté par les dépenses de personnel et de fonctionnement proprement dites. En 1999, ces deux postes représentent, en effet, 87 % des dépenses de l'établissement et s'élevaient respectivement à 256,98 millions de francs et à 376,47 millions de francs.

Cette structure budgétaire, qui se caractérise par sa grande rigidité, résulte pour une bonne part des caractéristiques mêmes du site de Tolbiac.

Son immensité, comme sa complexité imposent que l'établissement soit doté d'un personnel important afin d'assurer les missions de service public mais également la maintenance du bâtiment. Il suffira pour s'en convaincre d'évoquer les besoins engendrés par la double entrée, les deux niveaux et l'éclatement des salles de lecture. Comme le rapporte la Cour des comptes 12 ( * ) , " là où 15 personnes sont affectées à la Bibliothèque publique d'information du centre Pompidou aux fonctions d'accueil et de surveillance pour 1 800 places de lecture, à Tolbiac, de 60 à 100 sont nécessaires pour les salles de lecture ouvertes au public " .

Ces dépenses, si importantes soient-elles, sont en réalité pour une bonne part incompressibles . En effet, comme le soulignait M. Emmanuel Le Roy Ladurie devant la mission, le site de Tolbiac s'apparente à " un sous-marin nucléaire " : toute défaillance technique si modeste soit-elle est de nature à entraver le fonctionnement de l'ensemble du bâtiment. Il illustrait son propos en évoquant l'hypothèse d'une grève des personnels de sécurité qui aurait pour conséquence d'obliger à fermer la bibliothèque, hypothèse qui s'est au demeurant vérifiée au cours des derniers mois.

L'importance du montant des dépenses de fonctionnement s'explique également pour une large part par le caractère sophistiqué du bâtiment comme des équipements dont il est doté. Les choix architecturaux, s'ils ont amélioré les conditions de conservation, en ont considérablement renchéri le coût.

En effet, l'immensité du bâtiment comme sa configuration entraînent des coûts élevés d'entretien, de nettoyage, de maintenance, de gardiennage ainsi que d'importantes dépenses d'électricité, d'eau et de chauffage. Ces dernières s'élevaient à elles seules à 26 millions de francs, ce qui ne peut surprendre lorsque l'on sait que la consommation en électricité du site de Tolbiac équivaut à celle d'une ville de 30 000 habitants. L'étendue des surfaces ouvertes au public entraîne pour la surveillance du site et la protection des collections patrimoniales des dépenses de gardiennage de l'ordre de 30 millions de francs. Du fait des contraintes de sécurité drastiques imposées lors de la construction du bâtiment qui présente la caractéristique d'être classé à la fois " immeuble de grande hauteur " et " établissement accueillant du public ", la présence d'une brigade de sapeurs pompiers s'impose, ce qui représente un coût de 15 millions de francs pour le budget de l'établissement. Les travaux d'entretien et de réparation s'élevaient en 2000 à près de 49 millions de francs et les dépenses de nettoyage, à 50 millions de francs.

Le souci de maîtriser le coût de fonctionnement du nouveau bâtiment n'a pas constitué pour ses concepteurs une priorité . Lors du lancement du projet, seule l'enveloppe globale des dépenses d'investissement a été fixée et il faudra attendre 1992 pour qu'il soit demandé à M. Jean-Ludovic Silicani, alors maître des requêtes au Conseil d'Etat, une première évaluation du coût de fonctionnement.

Cependant, si les estimations réalisées alors variaient entre 0,95 et 1,35 milliards de francs, les différences résultaient d'arbitrages portant sur les conditions dans lesquelles la BNF exercerait ses missions et non des options techniques retenues pour la construction du bâtiment, qui apparaissaient déjà comme intangibles.

La meilleure illustration du caractère dispendieux de l'ouvrage est à coup sûr les coûts de climatisation engendrés par le choix d'une architecture verticale qui, contrairement à ce qui a pu être dit à l'issue du concours d'architecture, ne présente pas de dangers pour les ouvrages. Le principal inconvénient de cette option réside dans son coût bien plus élevé que le scénario consistant à situer l'ensemble des magasins en sous-sol où les variations de température et d'hygrométrie sont plus faciles à maîtriser.

La complexité des équipements ne peut qu'induire à court et moyen terme une augmentation des dépenses de fonctionnement qui, selon les estimations de la BNF, se situent à l'heure actuelle à un niveau plancher. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, le site Tolbiac n'a pas encore atteint sa vitesse de croisière : certains magasins ne sont pas encore équipés et le caractère sophistiqué des équipements techniques et informatiques nécessite un entretien attentif, dont le coût ne pourra aller que croissant en raison de leur obsolescence rapide et de leur durée de vie limitée.

* 1 Article 2 du décret n° 89-777 du 13 octobre 1989 portant création de l'établissement public de la Bibliothèque de France.

* 2 Décret n° 94-3 du 3 janvier 1994 portant création de la Bibliothèque nationale de France.

* 3 La Bibliothèque nationale est " chargée de collecter, de cataloguer, de conserver en permanence et d'exploiter les documents soumis au dépôt légal. Elle rassemble les documents soumis au dépôt légal, les documents rares et précieux qui présentent un intérêt national dont elle dresse le catalogue. Elle réunit tous documents spécialisés, y compris les documents audiovisuels, liés au développement des collections. "

* 4 L'Express, 31 décembre 1993.

* 5 Décret n° 89 du 23 octobre 1989 créant l'établissement public de la Bibliothèque de France.

* 6 Rapport public, 1998.

* 7 Rapport remis au ministre de la culture et de la communication le 30 juin 1993.

* 8 Le Monde, 25 juin 1993.

* 9 Philosophie, histoire et sciences de l'homme ; droit, économie, politique ; sciences et techniques ; littérature et art.

* 10 Le Débat, numéro 109, mars-avril 2000, (éditions Gallimard).

* 11 Cf p.....

* 12 Rapport précité

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