PRÉSIDENCE DE M. SERGE VINÇON

vice-président

M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade.

Mme Odette Terrade. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant l'intervention de mon ami Paul Vergès, je souhaite vous faire brièvement part de quelques réflexions sur ce projet de budget pour 2004 pour les DOM-TOM.

Un constat général s'impose : ce budget manque d'ambition. Il ne répond pas à l'exigence de développement exprimée par les populations ultramarines.

En effet, que constatons-nous ? Les dotations du domaine socio-économique, si essentielles pour des départements et territoires où la précarité domine, où le chômage perdure et se développe, où la pauvreté est une réalité peu digne de notre pays, sont seulement reconduites ou, pis encore, en baisse ! Comment, dans ces conditions, répondre aux enjeux de la situation sociale dans laquelle vivent les populations, que plusieurs orateurs ont déjà évoqués ?

Madame la ministre, la réalité des DOM, c'est en premier lieu la reprise du chômage depuis 2002 dans les départements français d'Amérique, en particulier en Guyane.

Il est fort regrettable, dans ce contexte, que les crédits du FEDOM, amputés de 25 millions d'euros l'an dernier, plafonnent encore cette année à 477 millions d'euros, soit à leur niveau de 2003.

Comment les objectifs de la loi de programme en matière d'emploi pourront-ils être maintenus dans ces conditions ? Affichez-vous clairement la réduction de près de 90 millions d'euros de la part consacrée dans le budget du travail aux emplois aidés ? Quelle sera la conséquence de ce budget pour les DOM ?

Certes, le budget du ministère de l'outre-mer ne représente qu'une faible part des dispositions financières consacrées aux départements et territoires ; mais le caractère libéral est fortement austère de l'ensemble du projet de loi de finances concocté par M. Raffarin et son gouvernement aura des conséquences désastreuses outre-mer, dans ces régions déjà particulièrement fragilisées.

Dans les départements et territoires ultramarins, les populations comptent fortement sur la solidarité. Or, le Gouvernement substitue à la notion de solidarité les notions de concurrence, de précarité ou de rentabilité.

La stagnation des dotations relatives au logement est scandaleuse au regard des besoins des DOM en la matière. Le discours généreux, mais ô combien démagogique, du ministre M. Borloo et de sa loi de rénovation urbaine s'arrête aux frontières de l'Hexagone. Les Antillais, les Réunionnais, les Guyanais, eux, pourront continuer à loger dans des masures insalubres exposées à la rudesse du climat tropical ! La question du logement dans les Dom-Tom devrait pourtant constituer une priorité nationale.

De même, la question du logement des jeunes qui sont obligés de venir en métropole pour étudier devrait être examinée avec une attention particulière tant il est vrai que le manque de logements étudiants et les prix élevés des loyers constituent une entrave à leur droit à la formation.

Votre budget, madame la ministre, n'intervient pas sur les grandes préoccupations des Domiens.

Qu'en est-il du transport aérien ? Comment ne pas constater les ravages du libéralisme sur la vie des familles séparées par des milliers de kilomètres ?

Il est inacceptable que la disparition d'Air Lib ait provoqué une augmentation considérable des prix des vols pour les destinations d'outre-mer. Il faut savoir que passer une semaine à l'hôtel, vol compris, en Guadeloupe, ou à la Martinique revient moins cher qu'un aller et retour seul !

La question de la continuité territoriale doit absolument être débattue. Des solutions doivent être trouvées, c'est urgent, pour que les familles retrouvent leur dignité et ne soient plus obligées de s'endetter pour se rendre visite.

Tels sont les quelques points que je souhaitais aborder dans le temps, très court, qui m'était imparti.

Vous le savez, madame la ministre, les préoccupations de nos concitoyens vivant dans les départements et territoires d'outre-mer sont immenses et justifiées.

Le groupe communiste républicain et citoyen votera contre ce projet de budget, qui n'apporte aucune réponse à une situation préoccupante dont il accompagne la dégradation.

Ma conviction, renforcée par un récent déplacement aux Antilles, est qu'un véritable plan de développement des départements et territoires d'outre-mer est nécessaire. Il n'y a pas de secret : pour permettre ce développement, des moyens importants devront être débloqués. Or cela n'entre en rien dans le cadre austère de la politique gouvernementale actuelle. Il y a urgence, madame la ministre, à changer de cap !

La mondialisation capitaliste pèse de façon plus sensible outre-mer. Combien de temps tolérera-t-on que le PIB par habitant y soit si faible, comparé à celui de la métropole ?

Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen n'acceptent pas cet état de fait et ne s'y résignent pas ! C'est pourquoi, je l'ai dit, ils voteront contre ce budget. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. - Mme Gisèle Printz applaudit également)

M. le président. La parole est à M. Dominique Larifla.

M. Dominique Larifla. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd'hui pour discuter des aspects économiques et sociaux de l'outre-mer, après avoir débattu ici même de ses aspects institutionnels.

Lors de ce débat, c'est avec sincérité, madame la ministre, que j'ai décerné un satisfecit à la manière dont vous avez accompagné le processus de décentralisation. Pour autant, cela ne constitue en aucun cas un quitus à l'ensemble de votre politique.

Après votre premier exercice budgétaire, après l'adoption par le Parlement de la loi de programme pour l'outre-mer - présentée comme un texte majeur -, les effets tardent à se concrétiser.

Dès lors, je ne peux m'empêcher de rappeler cette maxime proudhonienne : « N'oubliez pas qu'en matière pénale on juge les actes par les intentions, mais qu'en politique on juge les intentions par les actes. »

Pour ma part, je ne vous cacherai pas ma préférence pour les résultats.

Vérification faite, la loi de programme est encore non applicable.

Le passeport mobilité - au passage, il aurait gagné à emprunter à l'esprit du PIJ, le projet initiative jeune - non seulement se révèle incomplet, mais, de plus, exclut certaines filières de formation, pourtant prioritaires sur les plans tant national que départemental.

C'est vrai, notamment, pour de nombreux lauréats guadeloupéens aux concours d'entrée dans les instituts de formation des soins infirmiers de métropole. Dans ce cas précis, ce sont toujours et encore les collectivités locales qui sont appelées à la rescousse.

Bien sûr, je partage l'objectif de création d'emplois durables dans le secteur marchand, mais je déplore la suppression des emplois aidés du secteur non marchand, parce qu'elle est conduite aveuglément.

Je vous ai d'ailleurs alertée, madame la ministre, sur les incidences de la non-reconduction, qui résulte d'un gel de crédits, des conventions CES, ou contrat emploi solidarité, du centre régional d'éducation populaire et de sport Antilles-Guyane. Il est pourtant clair que ce dernier contribue au rayonnement sportif de la nation !

Vous avez engagé une réorientation des crédits du FEDOM vers l'emploi durable dans le secteur marchand en accordant une place privilégiée au CAE, le contrat d'accès à l'emploi ; mais l'évaluation de l'impact de cet arbitrage, que vous présentez comme l'une de vos priorités, reste invisible : les chiffres pour l'année écoulée sont introuvables.

Je vous serais donc reconnaissant de m'indiquer le nombre de mesures financées sur l'exercice 2003 et, surtout, ce qu'elles représentent en proportion du nombre de dispositifs prévus.

Quant au service militaire adapté, vous lui maintenez la place qu'il mérite au sein de la formation professionnelle ; mais cet outil aurait gagné en efficacité si un effort d'investissement en infrastructures plus important avait été consenti.

En dépit des insuffisances que j'ai soulignées, je note avec satisfaction le relèvement des plafonds d'éligibilité à la CMU complémentaire. Il faut reconnaître que les nouveaux barèmes correspondent davantage à la réalité socio-économique des DOM.

Pour conclure, je citerai quelques chiffres que je mettrai en parallèle avec ceux qui figuraient déjà dans la loi de finances pour 2003 sur des lignes qui étaient présentées comme les priorités de votre ministère. Ainsi, la priorité donnée à l'emploi s'est traduite par l'annulation de 7 % des crédits du FEDOM en 2003 et 11 % d'annulations pour l'action sociale ; la priorité accordée au logement a vu 19 % des crédits affectés au logement annulés. Enfin, le taux de consommation du budget pour 2003 n'est supérieur que de 3 points à celui de votre prédécesseur, tant décrié, alors même qu'à périmètre constant - soit sans tenir compte de la nouvelle mesure qu'est le passeport mobilité - le budget pour 2003 était inférieur au précédent.

Madame la ministre, mes chers collègues, telles sont les observations que j'avais à formuler à la lecture du projet de budget pour 2004.

Je suis néanmoins convaincu de l'ardeur que vous mettez dans la défense de votre politique. Votre tâche n'est pas aisée, car vous n'avez pas les moyens de votre politique.

Je ne peux me contenter d'une politique défensive qui ne s'attaque pas concrètement, réellement, aux problèmes qu'elle entend résoudre. En conséquence, je n'approuve pas votre projet de budget en l'état.

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.

M. Michel Mercier. Madame la ministre, les bons comptes font les bons amis. Avant d'aborder la question de fond de votre projet de budget et après ce que vous nous avez dit le 7 novembre dernier, je vous indique que notre groupe aime l'outre-mer. Il souhaite simplement mieux le connaître, car il ne compte pas encore de sénateur antillais. Vous finirez bien par nous aider à y remédier ! (Rires.) C'est en tout cas le souhait que je formule ce matin.

Pour nous, l'outre-mer fait la France. Je suis peu allé outre-mer, mais je me souviens que, dans la commune des Trois-Ilets, en face de l'église, à côté de l'hôpital, s'élève sur la place un monument surmonté d'un coq sur lequel figure l'inscription suivante : « Il chante pour notre France .»

Tel est mon sentiment au moment où je prends la parole pour présenter les observations de l'un de nos collègues d'outre-mer, M. Marcel Henry, qui sait lui aussi l'immense progrès que représente la départementalisation pour l'outre-mer, puisqu'il la réclame pour son île.

Il n'y a pas de modèle unique, nous en sommes bien d'accord. Nous savons qu'il est indispensable, pour maintenir l'ensemble français, d'en accepter la diversité, qui découle des différences géographiques, mais aussi, très naturellement, des différences humaines entre la métropole et les territoires d'outre-mer, et nous sommes tout prêts à accepter et à accompagner les nécessaires évolutions, dès lors que la métropole et l'outre-mer ne font qu'un.

Je vais maintenant vous livrer les réflexions dont Marcel Henry n'aurait pas manqué de vous faire part s'il avait pu être parmi nous ce matin.

Comme l'année dernière, le projet de budget de l'outre-mer pour 2004 augmente plus que l'inflation, afin de mieux traduire l'ambition de susciter les conditions d'un développement économique et social réel et durable.

Il met en oeuvre, pour la première fois, les mesures volontaristes adoptées dans la loi de programme et les orientations politiques tracées dans la réforme constitutionnelle de mars 2003.

Si les objectifs affichés plaident incontestablement pour leur approbation, il n'en demeure pas moins que certaines mesures, prises notamment à l'égard de Mayotte, suscitent des interrogations, voire des réserves.

Pour la deuxième année consécutive, l'essentiel du budget de l'outre-mer est consacré à la lutte en faveur de l'emploi, de la formation professionnelle et de l'insertion sociale.

Mais, contrairement à l'année dernière, les crédits destinés à Mayotte ne sont plus individualisés : ils sont totalement englobés dans le fonds pour l'emploi dans les départements d'outre-mer, qui se trouve réorienté vers la création de vrais emplois dans le secteur marchand, alors que les moyens affectés aux emplois aidés sont simplement reconduits.

Cette politique de globalisation des crédits supprime la clarté recherchée en la matière et rend difficile l'appréciation des résultats, pour Mayotte, de la priorité budgétaire qui est affichée.

En effet, si le chômage diminue d'une manière générale outre-mer, il a plutôt tendance à s'aggraver à Mayotte, compte tenu des effets conjugués de la démographie et des dispositions préoccupantes prises en matière de formation professionnelle.

D'abord, la construction d'un centre de formation professionnelle des adultes prévue à Sada depuis le XIe contrat de plan, et dont l'extension est financée dans le contrat de plan Etat-Mayotte pour la période 2000-2004, n'a toujours pas commencé.

Ensuite, le centre de formation en apprentissage de Kawéni vient d'être fermé par la préfecture de Mayotte, avec l'accord du conseil général, sans que les formateurs concernés soient reclassés ni que leurs élèves soient scolarisés régulièrement dans des établissements publics spécialisés. Cela pose la question non seulement de la validité des licenciements intervenus, mais aussi de la légitimité d'une telle opération de « recentralisation-déconcentration » en faveur du vice-rectorat de Mayotte dans un domaine décentralisé par la loi du 1er décembre 1988 relative aux compétences de Mayotte en matière de formation professionnelle.

Enfin, les 4,6 millions d'euros inscrits au XIIe contrat de plan pour la formation des cadres mahorais sont largement consommés, alors que rares sont les agents locaux qui ont pu bénéficier d'une véritable formation qualifiante ou diplômante. C'est pourquoi, plus que jamais, le nouveau dispositif d'aide à l'emploi des jeunes diplômés mahorais doit effectivement être mis en oeuvre en leur faveur.

S'agissant de la lutte contre la précarité de l'emploi, la loi de programme pour l'outre-mer a certes posé le principe de l'intégration des agents de Mayotte dans les trois fonctions publiques, mais a étalé sa mise en oeuvre jusqu'en 2010 et a prévu, dans certains cas, la mise en place de grilles salariales inférieures aux barèmes de droit commun.

Cette disposition a suscité un profond mécontentement chez les agents publics, parce qu'elle revient sur les acquis de l'ordonnance du 5 septembre 1996 et qu'elle entend créer entre fonctionnaires de même grade occupant des emplois identiques une inégalité de traitement salarial. Il est donc urgent d'éviter toute discrimination professionnelle, contraire au principe d'égalité.

En matière d'investissement, la sensible diminution des crédits affectés au ministère de l'outre-mer, tant en autorisations de programmes qu'en crédits de paiement, traduit mal les efforts consentis par l'Etat au bénéfice de Mayotte. En effet, outre le contrat de plan et la convention de développement signés avec la collectivité départementale, les communes bénéficient de diverses dotations de rattrapage des retards de développement.

Cependant, dans le cadre d'un mouvement progressif de transformation des collectivités mahoraises en administrations territoriales de droit commun, les besoins en moyens de financement des responsabilités locales se révèlent, comme partout, nettement supérieurs aux dotations allouées à Mayotte. Il importe en conséquence de veiller à ce que la décentralisation attendue pour l'année prochaine se fasse dans le respect scrupuleux du principe désormais constitutionnel de la compensation financière concomitante et totale des transferts de compétences.

Il faut souligner par ailleurs que l'immigration clandestine à Mayotte a atteint un niveau qui suscite de fortes réactions locales et qu'elle fausse toutes les perspectives économiques et sociales de l'île en aggravant ses problèmes de développement. Vous le savez d'ailleurs fort bien, madame la ministre.

C'est pourquoi l'accession de Mayotte au statut de région ultrapériphérique de l'Europe apparaît comme une réponse pertinente aux enjeux de souveraineté, de progrès économique et social ainsi que de respect de l'identité culturelle des Mahorais que crée la situation politique de l'île. Dans ces conditions, il serait utile et nécessaire de lancer une large concertation avec toutes les forces vives de l'île pour mieux préparer l'éventualité de l'intégration à l'Union européenne avant la consultation de la population concernée, désormais obligatoire selon l'article 72-4 de la Constitution, que nous avons voté et que nous sommes prêts à appliquer.

En tout état de cause, l'évolution de Mayotte vers le statut départemental pose avec de plus en plus d'acuité la question de l'extension dans l'île des avantages économiques et sociaux de droit commun par souci du respect du principe de l'égalité des citoyens en tenant compte de la diversité des territoires de la République.

Sous le bénéfice de ces observations et des réponses, que j'espère favorables, que vous ne manquerez pas de nous apporter, madame la ministre, nous voterons, comme l'a annoncé Mme Payet, le projet de budget. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Simon Loueckhote.

M. Simon Loueckhote. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je commencerai par revenir sur ce que disait tout à l'heure Mme Valérie Létard, rapporteur pour avis de la commission de affaires sociales, sur les aspects sociaux du budget de l'outre-mer.

Madame la ministre, vous êtes depuis dix-huit mois seulement au ministère de l'outre-mer et vous avez déjà présenté une loi de programme et deux budgets l'un et l'autre en augmentation. Tous ceux qui pourraient vous en vouloir n'auraient qu'à s'en prendre à votre efficacité, à votre compétence et à votre dynamisme !

Votre engagement pour nos collectivités est à la hauteur de celui de M. le Président de la République, de l'amour et de l'intérêt qu'il porte à l'outre-mer.

Il est aussi à la hauteur de l'engagement de M. le président du Sénat, qui a tenu à ouvrir lui-même le débat sur le projet de budget du ministère de l'outre-mer, et de l'intérêt que toute la Haute Assemblée y attache.

Vous le savez, le Sénat vous a soutenue dans toutes les initiatives que vous avez prises pour l'outre-mer, et je veux saluer, en particulier, la sagesse dont il a fait preuve en adoptant l'amendement du Gouvernement visant à réécrire l'article 12 quater adopté par l'Assemblée nationale, ce qui nous permettra d'étudier tout au long de l'année 2004 l'effet sur l'économie des départements d'outre-mer d'une éventuelle suppression du reversement de la TVA à ces collectivités.

Dans cette même logique, je vous suggère, mes chers collègues, de soutenir l'amendement qui sera présenté par notre collègue Gaston Flosse au cours de cette discussion budgétaire, amendement que j'ai cosigné et qui tend à supprimer l'article 60 A - article également proposé et adopté par l'Assemblée nationale - et donc à rétablir l'article 83 A du code général des impôts.

Et, puisque certains se sont, une fois de plus, élevés contre les prétendus privilèges, jugés exorbitants, qui seraient accordés à nos collectivités, ne serait-il pas opportun d'envisager, pour l'ensemble de l'outre-mer, une étude exhaustive des dispositifs d'aide en sa faveur et de leurs effets sur l'économie de nos archipels ? Surtout, ne serait-il pas opportun d'associer à ce travail de réflexion les élus de l'outre-mer, qui ont, à n'en pas douter, des propositions pertinentes à formuler à ce sujet ?

M. Gaston Flosse. Très bien !

M. Simon Loueckhote. Je voudrais maintenant évoquer un instant avec vous la situation de nos compatriotes de Nouvelle-Calédonie.

L'année à venir sera importante pour notre archipel en ce qu'elle marquera le début d'une nouvelle mandature avec le renouvellement des assemblées de province et du congrès de la Nouvelle-Calédonie ainsi que de son gouvernement.

Voilà en effet cinq ans que les institutions nées de l'accord de Nouméa sont en place, et le premier bilan que l'on peut en tirer est plutôt positif.

En effet, en dépit de quelques ajustements qui sont le fait de l'apprentissage nécessaire de notre nouvelle organisation, nos institutions fonctionnent et le schéma institutionnel que vous avez soutenu en 1999, mes chers collègues, est non seulement conforme à la volonté des signataires de l'accord de Nouméa, mais il a effectivement donné à notre archipel une stabilité politique très profitable à son développement.

Une délégation de la commission des lois de l'Assemblée nationale puis une délégation de nos collègues de la commission des lois du Sénat ont très récemment pu en faire le constat, à l'occasion de leur visite en Nouvelle-Calédonie, comme le rappelait tout à l'heure M. Hyest.

Nous poursuivons donc notre évolution institutionnelle dans de bonnes conditions, et je crois que cela est tout à fait conforme aux voeux que vous avez formulés pour nos compatriotes calédoniens.

Je tenais à le souligner, d'autant que nous serons très prochainement amenés à examiner, au sein de la Haute Assemblée, le nouveau statut de la Polynésie française et que le Président de la République a décidé d'organiser, le 7 décembre prochain, une consultation de nos compatriotes de la Martinique, de la Guadeloupe, de l'île de Saint-Martin et de l'île de Saint-Barthélemy.

C'est d'ailleurs pour cette raison que notre collègue Lucette Michaux-Chevry n'est pas présente aujourd'hui. Elle est en campagne électorale, et m'a demandé de vous adresser toutes ses excuses pour son absence.

Au-delà des résultats de ces consultations, on peut se réjouir de ce qu'un débat sur l'évolution statutaire de nos collectivités puisse se faire très librement, sans pour autant susciter un doute quant au profond attachement de nos compatriotes d'outre-mer à la nation.

Dans ce contexte, le processus d'évolution de la Nouvelle-Calédonie demeure une référence dans la région.

J'en veux pour preuve le nombre croissant de visites de représentants de pays voisins ou d'organisations régionales, dans notre archipel.

Nous avons eu récemment la visite, en Nouvelle-Calédonie, d'une mission d'observateurs des pays du Forum, venus s'enquérir de la mise en oeuvre de l'accord de Nouméa et de sa bonne application.

Le congrès de la Nouvelle-Calédonie a aussi accueilli le président du Parlement de la République de Vanuatu, avec lequel j'ai signé, en ma qualité de président du congrès, un accord de partenariat, dans le cadre de la convention de coopération liant le Vanuatu, la France et la Nouvelle-Calédonie.

Le Parlement de la République de Vanuatu bénéficiera ainsi d'une prise en charge, par le congrès de la Nouvelle-Calédonie, de l'installation de matériels de traduction simultanée, ce qui permettra également l'usage du français au sein du Parlement.

Plus récemment encore, nous ont rendu visite des parlementaires australiens que le congrès de la Nouvelle-Calédonie a reçus pendant une semaine.

Si nos voisins australiens sont, certes, venus se rendre compte de l'évolution politique et institutionnelle de notre archipel, ils sont avant tout vivement intéressés par les perspectives de développement de la Nouvelle-Calédonie telles qu'elles s'affirment à travers les deux grands projets miniers de l'extrême-sud et du nord de la Nouvelle-Calédonie.

Ils sont précisément venus afin d'estimer les possibilités, pour leur pays, de prendre part à la mise en oeuvre de ces projets, non pas pour nous aider dans leur réalisation, mais parce qu'ils pensent ne pas pouvoir demeurer absents de la croissance attendue de la construction puis du fonctionnement de ces usines de traitement du nickel.

C'est dire à quel point le regard porté sur l'évolution de notre archipel a changé au cours de ces cinq dernières années.

Ces relations directes avec les pays de la région sont rendues possibles grâce à l'évolution statutaire de la Nouvelle-Calédonie.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ayons désormais un autre regard sur l'outre-mer français. Considérons-le à sa juste valeur, c'est-à-dire non plus comme une charge, mais comme un atout.

M. Jean-Paul Virapoullé. Très bien !

M. Simon Loueckhote. Notre pays, nous le savons, connaît de grandes difficultés. Notre collègue Jean-Guy Branger, qui a été chargé de rédiger un rapport sur le budget du ministère des affaires étrangères, s'est interrogé sur la capacité de la France à assumer, dans les mêmes conditions, les coûts de fonctionnement de ses représentations à l'étranger, eu égard à la nécessité impérieuse de réduire les dépenses publiques.

N'est-il pas opportun d'envisager pour les collectivités d'outre-mer, dans un cadre juridique qui reste à définir et dans le respect des intérêts stratégiques de la France, la possibilité d'assumer cette représentation de notre pays à l'étranger ?

Je citerai, à titre d'exemple, les représentations de la France dans la région pacifique, où la Polynésie française, Wallis-et-Futuna ainsi que la Nouvelle-Calédonie pourraient assumer cette fonction à l'égard des nombreux petits pays indépendants qui peuplent le Grand Océan.

M. Gaston Flosse. Tout à fait !

M. Simon Loueckhote. Mais cette proposition concerne, aussi, bien entendu, les autres régions du monde, puisque la France rayonne, grâce à ses dix collectivités d'outre-mer, dans les trois océans. La réflexion mérite, en tout état de cause, d'être approfondie en ce sens.

En dépit de perspectives économiques prometteuses, la Nouvelle-Calédonie n'échappe pas, pour l'heure, à des difficultés de gestion de ses handicaps structurels, car elle dispose de moyens sous-dimensionnés, eu égard à l'importance des défis qu'elle doit relever.

Ces difficultés sont notamment le lot quotidien des collectivités provinciales, avec toutefois de fortes disparités entre les problèmes à gérer selon les provinces.

Le fonctionnement de la province des îles Loyauté, en particulier, est très préoccupant.

Bien sûr, cette collectivité doit assumer un enclavement encore plus marqué que la Grande Terre, étant constituée de quatre îles regroupées en trois communes, Lifou, qui comprend également l'île de Tiga, Maré et Ouvéa. Il faudrait d'ailleurs, madame le rapporteur, que vous puissiez venir en Nouvelle-Calédonie pour constater vous-même quelles difficultés l'on y rencontre.

Mme Valérie Létard, rapporteur pour avis. Volontiers !

M. Simon Loueckhote. Mais, au-delà de ce handicap, c'est une gestion irresponsable qui a progressivement plongé cette collectivité dans une véritable impasse financière, qui se traduit aujourd'hui par une dette de 3 milliards de francs CFP, soit 25 millions d'euros.

A l'échelle de la province des îles Loyauté, avec 20 000 habitants et un budget annuel de 11 milliards de francs CFP, soit 92 millions d'euros, le préjudice est immense.

Je n'ai eu de cesse de dénoncer, notamment auprès du représentant de l'Etat en poste dans les îles Loyauté et du Haut commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, les dérives de la majorité au pouvoir, dont la grande préoccupation est non pas le paiement de ses dettes, mais sa politique de clientélisme électoral dans la perspective des prochaines échéances.

Ce n'est qu'au vu d'un rapport, hélas ! récent, de la chambre territoriale des comptes à ce sujet qu'une prise de conscience semble se faire. Je regrette vivement qu'elle soit aussi tardive.

La mauvaise gestion de cette collectivité pèse très lourdement sur ses administrés. A titre d'illustration, je vous précise que les cliniques privées et les professions libérales médicales de Nouméa ont décidé de ne plus accueillir les bénéficiaires de l'aide médicale des îles Loyauté.

En outre, la province des îles Loyauté fait encourir de graves risques financiers à ses créanciers publics que sont notamment le centre hospitalier de Nouvelle-Calédonie et la compagnie aérienne qui dessert cette destination.

Toutefois, la réaction tardive du représentant de l'Etat demeurant encore sans effet à ce jour, je vous demande, madame la ministre, si nous pouvons espérer une quelconque mesure pour arrêter l'hémorragie. Ou bien allez-vous laisser les finances de cette collectivité se dégrader chaque jour encore un peu plus ?

Vous savez que laisser cette situation perdurer ne ferait qu'accentuer le déséquilibre qui s'est creusé entre les îles Loyauté et le reste de la Nouvelle-Calédonie du fait de cette gestion désastreuse.

Depuis 1988, date de la provincialisation, aucun outil de développement n'a été durablement installé aux îles Loyauté, dont les habitants n'ont pas d'autre issue que l'exode vers la province Sud.

Je ne suis pas seul à faire cette analyse puisque l'un des éminents représentants de la majorité en charge de la gestion de la province des îles Loyauté l'a tout récemment reconnu.

De fait, la population du sud s'est accrue dans des proportions qui ont des incidences très nettes sur les dépenses médicales et scolaires de la collectivité provinciale.

La croissance des effectifs des collèges publics, qui était de 4 % en 2002, atteint 5,1 % en 2003. La province Sud doit s'engager dans un programme de construction d'un collège par an si elle ne veut pas être tenue responsable d'un déficit de capacité.

En tout état de cause, il manque actuellement à cette collectivité 2,6 milliards de francs FCP, soit 22 millions d'euros, pour assumer ses obligations, ce qui la place dans une situation financière très tendue. Nous vous avons d'ailleurs encore récemment alertée à ce sujet, madame la ministre, avec deux de mes collègues parlementaires, Jacques Lafleur et Pierre Frogier.

Nous ne doutons pas de la volonté de l'Etat d'assumer l'intégralité de ces dépenses. Cependant, il est indispensable de donner dans les meilleurs délais à la province Sud les moyens de remplir ses obligations.

Il en est de même en matière de logement social, puisqu'au moins 1 000 logements sont requis par an dans le sud. En dépit du nouveau dispositif de financement de la construction de logements sociaux, avec la réforme du fonds social de l'habitat et la création d'une société d'économie mixte ayant spécifiquement cette vocation, la capacité de financement dégagée localement ne pourra, malheureusement, excéder 800 logements. Or, nous avons bien compris que vous avez fixé parmi les priorités de votre ministère, madame la ministre, la stimulation de l'offre de logements et la lutte contre l'insalubrité. Nous espérons dans ce domaine un effort supplémentaire pour la Nouvelle-Calédonie.

De toute évidence, le rééquilibrage de l'activité économique inscrit dans les accords de Matignon, puis dans l'accord de Nouméa, est un défi que nous aurons du mal à relever sans une aide accrue de l'Etat.

La concrétisation du projet de l'usine du Nord est sans nul doute le passage obligé du processus de rééquilibrage, et nous espérons que le soutien que l'Etat a promis d'apporter à cette opération sera à la hauteur de l'enjeu qu'elle représente, pour tous les Calédoniens et pour la France. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Paul Vergès.

M. Paul Vergès. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en contrepoint de l'économie générale du projet de loi de finances pour 2004 et des propositions des commissions des finances du Sénat et de l'Assemblée nationale, je voudrais poser un regard à plus long terme sur les enjeux du développement de l'outre-mer.

En effet, dans la critique comme dans l'autosatisfaction, l'outrance dessert la cause de l'outre-mer. Rien ne doit être dit ou fait qui renforce ceux qui, enfermés dans des logiques continentales et immédiates, ne considèrent plus l'outre-mer que dans le prisme réducteur du « combien ça coûte ? ».

Pour de multiples raisons, liées notamment à la mondialisation des échanges, à la transition démographique et au rayonnement culturel, le positionnement des régions de l'outre-mer sur tous les océans est un avantage géographique considérable. Il se révélera de plus en plus favorable au maintien d'une présence française forte sur la scène internationale.

Si l'insertion des collectivités de l'outre-mer dans leur environnement régional respectif revêt un caractère géostratégique évident, l'ouverture sur de nouvelles frontières est une nécessité pour le développement de nos économies et la création d'emplois.

Nous sommes donc confrontés au défi d'une triple intégration : une intégration régionale, une intégration européenne et une intégration à la société mondiale des télécommunications et de l'information.

D'abord, en ce qui concerne l'intégration régionale, le positionnement géographique de la Réunion dans une zone d'échanges en pleine croissance est une chance si nous réussissons à en tirer le meilleur parti. Il peut aussi être porteur de menaces nouvelles si nous nous figeons dans le rôle de simples observateurs de ces bouleversements.

Animée de cette vision, la région Réunion a ouvert de nouveaux horizons et multiplié des partenariats avec les pays de l'océan Indien, de l'Afrique australe et de l'Asie. Naturellement, Madagascar, l'île Maurice, les Comores et les Seychelles sont nos partenaires historiques et les plus proches, mais nous avons aussi ouvert des voies concrètes d'échanges avec l'Afrique du Sud, le Vietnam, l'Inde et la Chine.

Voilà deux semaines, une délégation de la région Réunion s'est rendue en République populaire de Chine. La Réunion est ainsi la première région européenne à se rendre en Chine après l'accord historique signé entre la République populaire et l'Union européenne les 30 et 31 octobre derniers.

Vous n'ignorez pas, madame la ministre, les enjeux de l'accord que nous avons signé avec les autorités chinoises. C'est un renversement total des termes des échanges avec ce pays qui s'annonce. Parce que nous avons su faire valoir notre qualité de région ultrapériphérique de l'Europe, nous allons réussir ce qui peut sembler curieux à de nombreux observateurs : la délocalisation d'unités de production chinoises dans notre île, avec, en perspective, la création de milliers d'emplois. C'est là un objectif très concret que nous cherchons à atteindre.

Je voudrais aussi évoquer la mission de la région Réunion au Mozambique, le mois dernier, et insister sur l'accueil exceptionnel qui nous a été réservé par le Président de la République, Joachim Chissano, président en exercice de l'Union africaine. Je tiens également à souligner la nouvelle approche de la diplomatie française, qui a donné, en confiance, mandat, ainsi qu'une marge de manoeuvre importante, au président de la région pour représenter le Gouvernement en cette occasion et négocier. Avec le Mozambique également, les objectifs que nous visons sont très concret et la mission a permis, au-delà des gestes symboliques, la signature d'accords entre nos entreprises et les acteurs mozambicains.

Ces résultats renforcent notre conviction quant à la nécessité d'intégrer la Réunion aux blocs régionaux en formation, qui sont l'avenir. Notre île, parce qu'elle est « entre deux mondes », entre deux niveaux de développement, peut être un « laboratoire » des solutions à apporter à des problèmes qui se posent aussi bien dans les pays en voie de développement qu'en France métropolitaine. C'est l'un des objectifs que nous cherchons à atteindre au travers d'une politique énergétique fondée sur les énergies renouvelables. Cette politique volontariste a valu à la Réunion d'être récemment distinguée par Mme la ministre de l'écologie, lors de la première édition des rubans du développement durable.

Cela est également vrai sur le plan culturel. Notre exemple vivant de diversité culturelle, que nous entendons valoriser dans le projet régional de Maison des civilisations et de l'unité réunionnaise, véritable institut du monde créole, peut contribuer à l'effort qui reste à faire, en France, sur le plan de la recherche pour être à la hauteur d'un dialogue des civilisations et des cultures qui représente l'un des enjeux majeurs du xxie siècle.

L'intégration à l'Union européenne constitue le second défi : comment intégrer la Réunion, la plus éloignée des régions ultrapériphériques, à l'Europe, tout en respectant ses spécificités ? Je voudrais souligner l'importance que nous attachons à la reconnaissance du statut de région ultrapériphérique dans la nouvelle architecture institutionnelle. Nous espérons une prise en compte de cette préoccupation par la conférence intergouvernementale, qui, je l'espère, approuvera les propositions de la Convention pour l'avenir de l'Europe.

Se pose également le problème de l'octroi de mer. Le dispositif actuellement en vigueur arrive à échéance à la fin de cette année. La définition des modalités du nouveau dispositif est une question capitale. Nous nous inquiétons des conséquences du vide juridique qui pourrait naître d'une absence de décision du Conseil d'ici au 31 décembre. Nous avons récemment attiré votre attention sur ce sujet, madame la ministre. Pouvez-vous nous en dire davantage sur ce dossier ?

Nous l'avons dit, il faut une intégration régionale, une intégration à l'Europe, mais aussi une intégration à la société mondiale de l'information et de la communication.

Dans le contexte de la mondialisation, la réduction de la fracture numérique, la réalisation de l'égalité technologique sont des aspects essentiels du développement. Notre île est raccordée au câble sous-marin SAFE, qui relie l'Afrique australe à l'Asie du Sud-Est et au réseau mondial. Mais, aujourd'hui, se pose le problème du coût des communications. Comment expliquer que France Télécom, qui est à la Réunion l'opérateur exclusif, pratique des prix deux fois supérieurs à ceux qui sont demandés dans l'île voisine par Mauritius Telecom, dont le principal actionnaire est précisément France Télécom ? C'est là une question à régler d'urgence, en concertation avec France Télécom, dans le respect des règles émises par l'Autorité de régulation des télécommunications.

Nous devons également être attentifs au projet de télévision française internationale, que certains ont dénommé « CNN française ». Les enjeux, pour la diversité culturelle et la défense de la francophonie, sont évidents. Nous devons réfléchir au rôle que pourrait jouer l'outre-mer dans cette aventure naissante.

Madame la ministre, cette ambition peut être le socle propice à l'ouverture de voies nouvelles. Mais quel décalage avec la multiplication des menaces nées de l'application, à la Réunion, des réformes conçues sur le plan national !

Ainsi, la réforme de la décentralisation, par l'adoption de critères qui ignorent nos retards structurels et nos spécificités, aggravera nos difficultés. Il faut aussi mentionner ce paradoxe : la loi nous attribue des compétences que nous refusons - je pense au transfert des personnels techniciens, ouvriers et de service, les TOS -, et nous refuse celles que nous souhaitons exercer - je pense à la gestion des ports maritimes.

Il en va de même de la réforme des retraites ou de la décentralisation du RMI et de la création du RMA, réformes qui, là encore, ignorent nos spécificités. Que dire en outre du désengagement de l'Etat dans le domaine des transports collectifs, qui risque, à la Réunion, de remettre en cause notre projet de « tram-train », dont la réalisation est attendue avec impatience par la population ?

Monsieur le président, madame la ministre, la Réunion n'est pas rétive à la réforme, bien au contraire. Mais celle-ci suppose le respect de quelques principes : toute réforme doit être concertée, aucune ne doit se traduire par un appauvrissement de la population ou une fragilisation du tissu économique.

Si l'on souhaite que les perspectives de développement prennent toute leur ampleur, il est plus que jamais important de faire partager dans toutes les sphères une véritable ambition pour l'outre-mer, inséparable du rayonnement de la France dans nos régions.

Au repli mortifère dans nos frontières continentales ou insulaires, préférons l'ouverture et replaçons notre projet dans les perspectives du xxie siècle. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Georges Othily.

M. Georges Othily. Madame le ministre, un projet de budget est l'expression d'une politique, et celui que vous présentez et défendez est sous-tendu par l'objectif de renforcer l'emploi durable dans le secteur marchand, 477 millions d'euros étant affectés à cette fin, de soutenir l'effort entrepris en matière de logement social et de résorption de l'habitat insalubre, à hauteur de 287 millions d'euros, enfin d'aider les plus démunis, grâce à une mesure nouvelle financée par 50 millions d'euros de crédits.

Pour mener cette politique, vous apportez à l'outre-mer, madame le ministre, 1,121 milliard d'euros, mais ce ne sont pas là les seuls crédits que l'Etat consacre à l'outre-mer. En effet, si l'on ajoute les budgets alloués à l'outre-mer par les autres ministères, dont le montant total s'élève à plus de 8 milliards d'euros, ce sont plus de 10 milliards d'euros, soit quelque 655 milliards de centimes de franc, que l'Etat destine à l'outre-mer. Cela constitue, à mes yeux, un effort important, qui vient d'ailleurs en complément de l'apport de chacune des collectivités d'outre-mer. A tout cela s'ajoutent les fonds structurels européens, qui ne sont pas négligeables.

Comment, dès lors, ne pas s'étonner que l'outre-mer français n'arrive pas à décoller sur le plan économique ? Un problème majeur se pose, auquel, de 1946 à aujourd'hui, aucun gouvernement, aucun ministre de l'outre-mer, aucune collectivité locale n'a pu trouver de solution satisfaisante. Nous en sommes réduits à nous contenter d'améliorer des situations.

Nous parlons ici au nom d'une population, et aussi, dans ce Sénat de la République, au nom des collectivités. Nous venons exprimer les besoins, mais le rôle du politique est aussi de le faire par anticipation.

Lorsque l'on est élu local et parlementaire, on prend mieux la mesure des crédits qu'une collectivité apporte pour le développement, en comparaison avec ce qu'apporte l'Etat. Il reste à connaître la façon dont sont utilisés ces crédits dans chacun des départements-régions et des collectivités territoriales.

Nous apprécierions en outre que, tous les ans, au plus tous les deux ans, les parlementaires d'outre-mer puissent disposer d'un rapport d'évaluation de l'utilisation des crédits de votre ministère et des fonds européens.

Comment jauger la situation économique et sociale des régions d'outre-mer ? Il n'est nul besoin d'être un économiste averti pour ce faire. Lorsque le politique analyse la situation de chacune des régions, il peut se faire une opinion, sinon une idée.

Si, pour les régions de Guadeloupe et de Martinique, on peut dire que l'année 2002 a été marquée par une activité économique en demi-teinte, la Guyane a connu pour sa part une situation plutôt déprimée. Même si les indicateurs internationaux sont moroses, cela ne suffit pas à expliquer la mauvaise passe qu'a traversée l'économie guyanaise. Les problèmes structurels récurrents demeurent : manque de diversification du secteur privé, consommation et investissement dépendants des transferts publics, balance commerciale très déficitaire, dysfonctionnement du marché du travail.

Les causes du non-développement de la Guyane sont connues. Elles tiennent à l'immigration, au foncier, à la situation sanitaire, à l'éducation, à l'enclavement interne et externe, à la faiblesse de l'industrialisation.

Ainsi, l'immigration n'est en rien source de richesses pour la Guyane. Loin de représenter un atout pour l'accélération de notre développement économique, elle handicape celui-ci et le retarde très fortement, du fait de son coût très élevé. A cet égard, l'ouverture prochaine de la route Regina-Saint-Georges suscite dans la population une inquiétude grandissante et un sentiment d'insécurité.

Tous ces handicaps ne permettent pas la gestion normale d'un pays de 90 000 kilomètres carrés. A cela s'ajoute un régime constitutionnel et législatif peu performant et inadapté à la situation géographique, sociale et culturelle de la Guyane.

C'est pourquoi nous souhaiterions que vous puissiez indiquer à la représentation nationale, madame le ministre, comment vous envisagez la consultation des électeurs guyanais sur l'évolution de leurs institutions et quel sera le calendrier lorsque le document d'orientation aura obtenu votre agrément et fait l'objet d'un vote positif du congrès.

Par ailleurs, la situation sanitaire de la Guyane est catastrophique. Un rapport de la commission des affaires sociales du Sénat l'avait largement décrite en son temps. Or, depuis, aucune amélioration n'est intervenue. Pourquoi ? Il y a, proportionnellement, trois fois moins de médecins en Guyane qu'en France hexagonale, et lorsque l'on compare la densité de médecins libéraux de la Martinique et de la Guadeloupe à celle de la Guyane, la disparité est criante : pour 100 000 habitants, la Guyane compte 58,4 médecins, la Guadeloupe, 125 la Martinique, 123, et la France hexagonale, 200. Quid du rattrapage ?

Sur ce plan, la Guyane pourrait bénéficier, comme Saint-Pierre-et-Miquelon, de dispositions dérogatoires et transitoires permettant au représentant de l'Etat de recruter par arrêté des médecins de nationalité étrangère.

En outre, un alignement de notre lettre clé sur celle de la Réunion, qui se traduirait, par un relèvement de 20 %, pourrait favoriser l'installation de professionnels de santé, en vue de combler le lourd déficit que nous subissons.

Quant à l'immigration elle relève de la responsabilité et de la compétence de l'Etat. Quelle réponse apporter aux collectivités communales qui assistent à une arrivée massive d'immigrés sur leur territoire, s'installant, pour une grande partie d'entre eux, sur des terrains domaniaux, sans titre foncier, sans titre de séjour, et sans jamais aucun retour fiscal pour la collectivité ?

L'Etat doit assumer ses responsabilités à l'égard de ces collectivités, en accordant une subvention d'équilibre exceptionnelle. Si le projet de budget que vous nous présentez ne le permet pas, madame le ministre, pourriez-vous envisager, au titre du collectif de 2003, d'allouer une dotation exceptionnelle à ces communes, ainsi que le prévoit l'article L. 2335-2 du code général des collectivités territoriales, dont je rappelle les termes :

« Sous réserve des dispositions de l'article L. 1524-4, des subventions exceptionnelles peuvent être attribuées par arrêté ministériel à des communes dans lesquelles des circonstances anormales entraînent des difficultés financières particulières. »

Soyez rassurée, madame la ministre : si votre projet de budget a pu faire l'objet de critiques souvent non fondées, quelquefois peu honnêtes, il est, malgré les contraintes qui s'imposent à nous, à même de créer une dynamique permettant de commencer à engager une autre politique économique. Il reste aux élus d'outre-mer à faciliter l'émergence de projets.

Madame la ministre, je voterai en faveur de votre projet de budget. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures cinquante-cinq, est reprise à quinze heures cinq, sous la présidence de M. Bernard Angels.)