COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

ORGANISME EXTRAPARLEMENTAIRE

M. le président. J'informe le Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger en qualité de membre suppléant au sein du Haut Conseil de l'évaluation de l'école.

Conformément à l'article 9 du règlement, j'invite la commission des affaires culturelles à présenter une candidature.

La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l'article 9 du règlement.

3

RAPPELS AU RÈGLEMENT

M. le président. La parole est à Mme Hélène Luc, pour un rappel au règlement.

Mme Hélène Luc. Monsieur le président, la proposition de M. le président du Sénat d'inscrire à l'ordre du jour de notre assemblée la modification du règlement intérieur du Sénat dès le troisième jour de la reprise de nos travaux, après une suspension de quatre semaines pour les élections régionales, serait un acte très grave, d'autant plus que ce texte ne fait pas partie de l'ordre du jour prioritaire du Gouvernement.

Alors même que les présidents de groupe et le bureau du Sénat n'ont été ni informés ni consultés et que le groupe de travail ne s'est pas réuni, vous voulez à la sauvette, monsieur le président - je m'adresse à vous, monsieur Gaudin, car vous présidez nos travaux aujourd'hui - réduire les droits des sénateurs, le droit d'amendement du Parlement.

M. Jean Chérioux. Oh !

Mme Hélène Luc. Il existe, vous le savez - et c'est préoccupant - un divorce profond entre les citoyens et les responsables politiques et nombre de citoyens n'ont pas l'intention d'aller voter.

M. Laurent Béteille. Surtout pour vous !

Mme Hélène Luc. Or vous voulez empêcher les sénateurs de l'opposition de se faire les interprètes de ceux qui les ont élus. Vous voulez les empêcher de faire entrer leur voix au Parlement.

Monsieur le président, non seulement le Gouvernement nous fait discuter à marche forcée de textes, comme le projet de loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, alors que nous n'avons pas eu le temps nécessaire à la consultation de toutes les associations et qui nous a été présenté sans le projet de loi de financement nécessaire, mais il faut aller très vite, avant les élections, pour faire des annonces.

Ce n'est pas que nous rechignions au travail, monsieur le président, vous le savez bien. Au contraire, nous sommes le groupe le plus présent dans l'hémicycle. Rappelez-vous le projet de loi relatif à la décentralisation lors duquel, messieurs de la majorité sénatoriale, vous avez dû recourir à des suspensions de séance ou à des scrutins publics, car la gauche était majoritaire dans cet hémicycle !

De surcroît, plus de 80 % des textes qui sont votés par le Parlement émanent de Bruxelles et il ne nous reste plus qu'à les ratifier.

Mesdames, messieurs de la majorité sénatoriale, vous êtes majoritaires à l'Assemblée nationale,...

M. Alain Gournac. Ce n'est pas notre faute !

Mme Hélène Luc. ... vous êtes majoritaires au Sénat, vous êtes majoritaires au Conseil constitutionnel,...

M. Laurent Béteille. C'est la décision du peuple !

Mme Hélène Luc. ... mais cela ne vous suffit pas, il faut encore que vous nous empêchiez de nous exprimer !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Pourtant, c'est ce que vous faites !

Mme Hélène Luc. Monsieur le président, vous le savez, notre groupe a mené par le passé une bataille implacable contre la réduction des droits du Parlement, non seulement avec Charles Lederman, Robert Bizet et Robert Pagès,...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Vous êtes de grands démocrates !

Mme Hélène Luc. ... mais aussi avec vos amis, Etienne Dailly et, à certains moments, Maurice Schumann et Yves Guéna.

Notre groupe adresse au Sénat tout entier, et en particulier à son président, un appel solennel : renoncez à inscrire cette modification du règlement le 8 avril !

Au cours de la révision de la Constitution, à l'article 2, vous avez déjà refusé que les citoyens et les associations puissent déposer une proposition de loi approuvée par 500 000 signatures comme ils devraient en avoir le droit, et vous voulez maintenant empêcher les sénatrices et les sénateurs de l'opposition de défendre leurs amendements en utilisant les moyens dont ils disposent pour empêcher l'adoption de ces lois.

Mesdames et messieurs de la majorité sénatoriale, vous avez, vous aussi, utilisé ces possibilités, et c'était votre droit, sous le gouvernement de la gauche.

Mme Nelly Olin. Auquel vous étiez associés !

Mme Hélène Luc. M. le président du Sénat a commencé son mandat en annonçant qu'il voulait développer la démocratie, faire grandir le rôle du Sénat. S'il faisait ce que je n'hésite pas à appeler un « coup de force » trois mois avant la fin de son deuxième mandat, ce serait une action très négative pour la démocratie et pour le Sénat.

En tout cas, pour notre part, nous ne nous prêterons pas à une mauvaise action qui amoindrirait en outre nos droits par rapport à ceux de l'Assemblée nationale, qui n'a pas inscrit cette question à son ordre du jour.

Nous voulions, par ce rappel au règlement, alerter le Sénat, la presse, tous les élus et tous les citoyens. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La conférence des présidents qui se réunira demain et qui sera présidée par M. le président du Sénat, examinera une proposition de la commission des lois et il sera tout à fait loisible à Mme la présidente du groupe CRC de faire les observations que vous venez de formuler, madame Luc, et que nous avons écoutées avec beaucoup d'attention.

Mme Hélène Luc. Mais nous voulions intervenir avant la conférence des présidents.

M. le président. Voilà qui est fait ! Je vous donne acte de votre intervention, madame Luc.

La parole est à M. Claude Estier, pour un rappel au règlement.

M. Claude Estier. Monsieur le président, je veux aussi m'étonner de la précipitation avec laquelle on veut que nous discutions de cette proposition de modification du règlement du Sénat.

M. Guy Fischer. C'est un coup de force !

M. Claude Estier. Elle est d'ores et déjà imprimée, distribuée, alors que la concertation, notamment avec les présidents de groupe, n'est pas même achevée puisque, pour ma part, je dois recevoir demain matin, à sa demande, M. le rapporteur Patrice Gélard. J'ai donc l'intention, comme vous venez de le suggérer, monsieur le président, de m'élever demain en conférence des présidents contre cette précipitation.

Il s'agit, une fois de plus, alors que l'opposition dans cette assemblée n'a déjà pas beaucoup de droits ni de pouvoirs, de les réduire encore. (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Guy Fischer. Nous sommes bâillonnés !

M. Claude Estier. C'est pourquoi je pense qu'il est de notre devoir de nous élever à la fois contre la précipitation avec laquelle on veut engager ce débat et contre le contenu de la proposition de résolution, et je ne manquerai pas de le faire, demain, au cours de la conférence des présidents.

M. le président. Je vous donne acte de votre intervention, monsieur Estier.

La parole est à Mme Nelly Olin, pour un rappel au règlement.

Mme Nelly Olin. Sous prétexte de rappel au règlement, chers collègues de l'opposition, vous faites de la politique. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme Hélène Luc. Mais c'est de la politique !

Mme Nelly Olin. Simplement, l'état dans lequel vous avez laissé la France ne nous permet plus d'attendre pour traiter des sujets prioritaires. Vous avez dit que nous avions fait main basse sur le problème des handicapés en précipitant la discussion du projet de loi les concernant. Si vous aviez traité ce sujet au moment où vous étiez aux affaires, nous n'en serions pas là !

Mme Hélène Luc. C'est pour cela que vous n'êtes pas en nombre quand on discute de la décentralisation et qu'il vous faut demander des scrutins publics !

Mme Nelly Olin. Nous devons en effet gérer, légiférer dans l'urgence, parce que vous avez laissé, par manque de courage, des dossiers fragiles sans solution ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

Mme Hélène Luc. C'est honteux de dire cela ! Vous savez très bien que nous, nous travaillons ! (M. Alain Gournac s'exclame.)

M. le président. Calmez-vous, madame Luc, dissipez vos alarmes, il vous sera promis un destin plein de charme ! (Sourires.)

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Très bien !

M. le président. Cela étant dit, je vous donne acte de votre intervention, madame Olin.

4

FORMATION PROFESSIONNELLE

ET DIALOGUE SOCIAL

Adoption des conclusions

d'une commission mixte paritaire

 
Dossier législatif : projet de loi relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social
Art. 2

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 224, 2003-2004) de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion sur le projet de loi relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social.

Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.

MM. Guy Fischer et Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est la dernière ! (Sourires.)

M. le président. Mes chers collègues, ne lui répétez pas à toutes les séances que c'est la dernière fois qu'il parle !

Mme Hélène Luc. Ne vous laissez pas impressionner, monsieur Chérioux !

M. Jean Chérioux, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Cela ne me choque pas du tout, monsieur le président. J'y vois au contraire beaucoup de sollicitude et de gentillesse à mon égard.

Mme Nelly Olin. Très bien !

M. Jean Chérioux, rapporteur. La commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur le projet de loi relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social s'est réunie le 25 février dernier pour examiner les quarante-deux articles restant en discussion. Le texte qu'elle a adopté reprend très largement la rédaction issue du Sénat et ne lui apporte que onze modifications, dont neuf sont de nature rédactionnelle.

Au moment où nous arrivons au terme du débat parlementaire, j'ai la conviction que le texte que nous allons voter dans un instant contribuera à moderniser en profondeur les relations sociales dans notre pays.

S'appuyant sur des propositions formulées par les partenaires sociaux, enrichi par le travail parlementaire - et je tiens ici à saluer l'excellent travail réalisé par notre collègue Mme Annick Bocandé, rapporteur sur le volet « formation professionnelle » -, ce projet de loi s'attaque, en effet, aux deux principales carences de notre système social : les limites de nos dispositifs de formation professionnelle et les insuffisances de la négociation collective.

S'agissant du volet « formation professionnelle », il est essentiellement inspiré de l'accord national interprofessionnel du 20 septembre 2003 unanimement signé par les partenaires sociaux. Consacrant la formation professionnelle tout au long de la vie, socle de la future assurance emploi annoncée par le Président de la République, le projet de loi engage une réforme en profondeur de notre système de formation, en introduisant des innovations capitales, parmi lesquelles le droit individuel à la formation qui permettra à chaque salarié de disposer de vingt heures de formation par an ; les actions de professionnalisation qui ont pour objet de renforcer la formation pratique des jeunes, des demandeurs d'emploi et des salariés ; l'extension du plan de formation à de nouvelles actions de formation, comme le développement des compétences et l'évolution des emplois ; la rénovation de l'architecture financière du système de formation professionnelle, grâce au relèvement important de la contribution des entreprises et à la création d'un fonds national unique de péréquation ; enfin, la redynamisation de l'apprentissage à travers une série d'assouplissements techniques.

Saisie en première lecture, l'Assemblée nationale a enrichi le volet formation pour mieux prendre en compte la région dans la mise en oeuvre de la formation professionnelle à l'égard des populations les plus en difficulté, pour renforcer le contrôle des comptes de la formation, notamment par le rétablissement de la commission nationale des comptes de la formation professionnelle et pour rechercher un équilibre entre le renforcement des droits des salariés et l'allégement des contraintes des employeurs.

Notre assemblée, à son tour, a prolongé et approfondi cette réflexion. Sur proposition de sa commission, elle a ainsi décidé de clarifier le droit applicable en levant certaines ambiguïtés ; de rapprocher, chaque fois que cela était possible, le projet de loi des termes de l'accord signé par les partenaires sociaux ; de renforcer le principe d'égalité d'accès à la formation professionnelle ; d'alléger les formalités administratives des petites et moyennes entreprises ; d'encourager la négociation interprofessionnelle et de renforcer le contrôle et la transparence de notre système de formation.

Ces modifications substantielles apportées au texte par notre assemblée ont été largement ratifiées par la commission mixte paritaire. Mais vous me permettrez, monsieur le président, mes chers collègues, de laisser tout à l'heure la parole à Mme Annick Bocandé qui, en tant que rapporteur sur ce volet, saura mieux que quiconque nous livrer son appréciation.

Le second volet du projet de loi concerne le dialogue social. Vous en connaissez les axes : modifier les règles de conclusion des accords collectifs pour en renforcer la légitimité ; revoir l'articulation des sources du droit du travail pour assurer une plus forte autonomie au droit négocié et favoriser le développement du dialogue social à tous les niveaux.

Lors de l'examen du texte, nos débats ont été vifs, montrant une profonde divergence entre la majorité et l'opposition. Cette divergence témoigne en réalité de deux conceptions opposées du dialogue social. Pour les uns, les partenaires sociaux ne seraient en mesure de contribuer à l'élaboration du droit conventionnel que de manière limitée et dans des conditions strictement encadrées par la loi.

M. Roland Muzeau. Laissez-nous le dire, on le fera mieux nous-mêmes ! (M. le président de la commission des affaires sociales sourit.)

M. Jean Chérioux, rapporteur. En tout cas, c'est ce qui est ressorti de vos propos. C'était d'ailleurs votre droit, et fort intéressant. (Mme Nelly Olin et M. Alain Gournac protestent.)

M. Roland Muzeau. Nous donnerons nous-mêmes des précisions ! C'est comme si je disais que vous étiez « sociaux » !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Vous pouvez le dire !

M. Jean Chérioux, rapporteur. Chacun a le droit d'avoir son opinion. Nous respectons la vôtre, respectez au moins la parole de ceux qui s'expriment à la tribune !

Pour les autres, et conformément à la logique du projet de loi, il apparaissait nécessaire d'assurer l'adaptation des normes aux besoins de ceux qui se les verront appliquer en renforçant la place de la négociation collective et en confiant aux partenaires sociaux, au plus près du terrain, la responsabilité de cette adaptation.

Suivant les orientations de sa commission des affaires sociales, le Sénat a fait prévaloir la seconde conception. De fait, si la négociation collective n'est pas parvenue à occuper toute la place qui aurait dû lui revenir, c'est avant tout parce que notre législation n'a, jusqu'à présent, qu'imparfaitement encouragé l'implication et la responsabilisation des partenaires sociaux dans l'élaboration de la norme en droit du travail.

En ce sens, le projet de loi amorce un changement radical en élargissant les marges de manoeuvre de la négociation collective et en renforçant sa crédibilité et sa légitimité. Notre assemblée a largement souscrit à ce souci de modernisation du dialogue social. Nous avons essentiellement cherché à nous assurer que ce texte « collait » au plus près à la Position commune du 16 juillet 2001. Voilà pourquoi la plupart des amendements adoptés par le Sénat étaient des amendements de précision et visaient avant tout à permettre la mise en oeuvre de la future loi dans les meilleures conditions. Toutes ces modifications sont d'ailleurs reprises dans le texte élaboré par la commission mixte paritaire.

Si les modifications apportées au titre II sont restées somme toute limitées, le Sénat a en revanche souhaité enrichir le titre III par un nouveau volet relatif à la participation. Je reste, en effet, convaincu que la participation est l'un des éléments ayant favorisé, notamment par ses vertus pédagogiques, le développement du dialogue social dans notre pays.

M. Alain Gournac. Tout à fait !

M. Jean Chérioux, rapporteur. Elle continue de jouer ce rôle moteur : en 2002, ce sont ainsi 10 000 accords d'entreprise qui ont porté sur la participation, soit 40 % des accords conclus.

Les cinq articles additionnels introduits à ce titre par notre assemblée ne constituent certes pas une réforme d'ensemble de nos dispositifs de participation. Il serait d'ailleurs encore trop tôt pour dresser un premier bilan de l'application de la loi du 19 février 2001 sur l'épargne salariale. Comme vous le constatez, monsieur Muzeau, je ne mésestime pas les travaux qui ont été accomplis à une époque où la majorité à l'Assemblée nationale n'était pas la même qu'au Sénat !

Ces articles s'inscrivent plutôt dans une démarche pragmatique visant à lever certains obstacles législatifs qui entravent encore le développement de la participation, en particulier dans les petites entreprises, et à encourager la négociation collective en la matière.

Ces cinq articles ont tous été repris dans le texte élaboré par la commission mixte paritaire. Celle-ci s'est contentée, sur mon initiative, d'aménager la rédaction de l'article 50 sexies obligeant l'employeur à négocier le plan d'épargne entreprise, le PEE, et ne rendant alors possible sa mise en place par voie unilatérale qu'en cas d'échec des négociations.

Aujourd'hui, la très grande majorité des PEE restent en effet « octroyés », ce qui n'est guère conforme à l'esprit de la participation. Pour autant, afin de ne pas entraver la diffusion des PEE dans les entreprises où la négociation ne peut être valablement envisagée, il nous a semblé plus judicieux de limiter le champ de cette obligation de négociation préalable aux seules entreprises dotées d'un délégué syndical ou d'un comité d'entreprise. Je crois que nous avons, de la sorte, trouvé un équilibre satisfaisant entre le souhaitable et le possible. J'observe d'ailleurs que les modalités de négociation sur la mise en place du PEE restent souples, puisque celle-ci peut être menée soit dans le cadre d'un accord collectif de travail, soit avec un ou plusieurs salariés mandatés à cet effet, soit au sein du comité d'entreprise, soit directement avec le personnel.

En conclusion, la commission considère que le présent projet de loi constituera une étape importante dans la modernisation des relations au sein du monde du travail. En rénovant notre politique de formation professionnelle, en ouvrant de nouveaux champs de responsabilité aux acteurs sociaux, en adaptant nos dispositifs de participation, il contribuera à une profonde rénovation de notre droit du travail, susceptible de permettre, à l'avenir, une meilleure conciliation entre les exigences du progrès social et les nécessités de la compétitivité économique, dans le respect de l'intérêt général.

La commission des affaires sociales du Sénat vous propose donc, mes chers collègues, d'adopter ce projet de loi dans la rédaction qui résulte des travaux de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Annick Bocandé.

Mme Annick Bocandé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il m'est agréable de pouvoir intervenir devant la Haute Assemblée à l'occasion de la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire. Je me félicite de l'aboutissement d'un travail novateur et ambitieux qui, j'en suis convaincue, constitue une réforme d'envergure de notre système de formation professionnelle.

Novateur, le volet « formation » du projet de loi l'est incontestablement, s'appuyant sur les recommandations de l'accord national interprofessionnel, l'ANI, du 20 septembre dernier et aménageant une articulation exemplaire entre dialogue social et démocratie parlementaire.

Ambitieux, il l'est tout autant, plaçant tous les acteurs de la formation professionnelle devant leurs responsabilités afin d'améliorer un système qui connaît de sérieuses limites liées aux inégalités d'accès, à la complexité des structures et au manque de clarté des financements.

De manière inédite, ce texte responsabilise les salariés et les employeurs, afin de favoriser l'employabilité des uns et la compétitivité des autres, selon une procédure de codécision illustrée par le nouveau dispositif du droit individuel à la formation.

Plus encore, le Gouvernement a souhaité impliquer davantage les partenaires sociaux dans la gestion de la formation professionnelle en proposant une rénovation des contrats en alternance et la fongibilité des fonds.

Enfin, le Gouvernement s'est appliqué à lui-même le principe de responsabilité, en ajoutant au texte des dispositions qui ne figuraient pas dans l'ANI et qui n'empiètent en rien sur le domaine d'intervention des partenaires sociaux : renforcement du droit à la qualification professionnelle, intégration de la lutte contre l'illettrisme dans le champ de la formation continue, insertion du handicap dans le champ de la négociation et dispositions relatives à l'apprentissage.

Responsabilité des salariés, des employeurs, des partenaires sociaux, de l'Etat : telle est donc la philosophie ambitieuse qui sous-tend le dispositif de la formation professionnelle tout au long de la vie.

Les deux assemblées ont, chacune à leur tour, contribué à améliorer et à enrichir ce texte. L'Assemblée nationale a notamment renforcé la décentralisation de la formation professionnelle au profit des régions et l'information des salariés s'agissant de l'exercice de leur droit individuel à la formation. En outre, elle a souhaité accroître le contrôle des comptes de la formation professionnelle.

Pour sa part, le Sénat a porté son attention sur l'égalité d'accès à la formation et son adaptation aux petites et moyennes entreprises, ainsi que sur l'encouragement à la négociation interprofessionnelle. Il a voulu respecter l'accord interprofessionnel signé par l'ensemble des partenaires sociaux. Je crois pouvoir dire que nous avons atteint cet objectif, si l'on en juge par le fait que nos amendements ont tous été adoptés avec l'accord du Gouvernement, quelquefois à l'unanimité de notre assemblée, ce qui témoigne du sentiment favorable que ce projet a inspiré, de part et d'autre de l'hémicycle.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au regard de la satisfaction affichée des partenaires sociaux et des organismes de formation, il semble que nous ayons usé de notre droit d'amendement à bon escient : nous n'avons voulu oublier personne et nous avons souhaité concilier des exigences apparemment contradictoires, mais pas toujours incompatibles.

D'ailleurs, les conclusions de la commission mixte paritaire en attestent : en adoptant sept amendements, dont six rédactionnels, elle n'a modifié qu'à la marge le volet « formation » tel que le Sénat l'avait voté.

L'acquis majeur a consisté à renforcer le contrôle de la formation, grâce à un élargissement du champ de compétences du Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie, dont nous avons souhaité la création, et grâce à une réaffirmation plus forte du principe de transparence de fonctionnement du Fonds national de péréquation des fonds de la formation.

Avant de conclure, je voudrais adresser des remerciements à M. le ministre, pour son écoute attentive et bienveillante, à M. le président de la commission des affaires sociales et aux membres de celle-ci, à tous nos collègues, avec une mention particulière pour M. Jean Chérioux, pour la qualité de nos échanges, enfin à nos collaborateurs des services du Sénat et à ceux de M. le ministre pour leur précieux concours.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai été particulièrement fière de rapporter ce texte devant vous, convaincue qu'il constitue le point de départ d'une réforme décisive d'un système de formation professionnelle vieux de trente ans. Je veux aussi y voir les prémices de la grande loi de mobilisation pour l'emploi dont le Président de la République a annoncé l'examen pour les toutes prochaines semaines. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Gilbert Chabroux.

M. Gilbert Chabroux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission mixte paritaire, qui s'est réunie mercredi dernier, est parvenue sans peine à un accord sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social. Elle a « réussi », c'est le terme consacré, mais il faudrait plutôt dire, en l'occurrence, qu'elle a pleinement réussi !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Sueur. Elle a réussi son mauvais coup !

M. Gilbert Chabroux. Les sénateurs et les députés de la majorité se sont plu à souligner qu'ils « partageaient les mêmes objectifs »...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Oui !

M. Gilbert Chabroux. ... et qu'ils ont fait preuve d'une « grande complémentarité »...

M. Roland Muzeau. Avec le MEDEF ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)

Mme Nelly Olin. Heureusement qu'il existe !

M. Gilbert Chabroux. ... pour parvenir finalement à « un bon équilibre ».

La discussion, qui en tout n'a pas duré beaucoup plus d'une heure, a porté, pour une large part, sur le problème de l'utilisation et du contrôle des ressources financières qui sont, selon la rédaction retenue, « soit collectées, soit affectées à la formation professionnelle ». Ce n'est pas un problème négligeable, nous savons tous quelles dérives peuvent apparaître. La rédaction reste très ambiguë, mais l'essentiel n'est pas là !

S'agissant du volet « formation professionnelle », il faut reconnaître que l'équilibre qui a été trouvé correspond mieux à l'esprit et à la lettre de l'accord national interprofessionnel du 20 septembre 2003. Le Sénat a joué un rôle très positif en restaurant certaines dispositions qui avaient été supprimées.

M. Alain Gournac. Ah !

M. Gilbert Chabroux. Je le reconnais, monsieur Gournac !

Il a ainsi rétabli et précisé les obligations des employeurs en matière de formation. Je redis que si les deux textes sur la formation professionnelle et le dialogue social avaient été séparés, le groupe socialiste aurait voté le premier, sous réserve de quelques améliorations, concernant par exemple l'inscription du droit à une formation qualifiante différée. Toutefois, nous avons bien noté que ce droit à une formation de la deuxième chance serait pris en compte dans le projet de loi de mobilisation pour l'emploi que vous présenterez, monsieur le ministre, dans deux ou trois mois.

Pour en revenir au texte qui va être voté, nous souhaitons que le droit individuel à la formation et les autres dispositions relatives à la formation professionnelle soient mises en oeuvre dans des délais aussi courts que possible. Nous savons bien qu'il faudra attendre la parution des décrets d'application et qu'il y aura des négociations de branche, mais nous ne savons pas quel sens il faut donner aux propos de M. Dominique de Calan, délégué général adjoint de l'Union des industries métallurgiques et minières, l'UIMM, selon lesquels « de cinq à dix ans de travail » seront nécessaires ! Nous aimerions être éclairés à ce sujet. Qu'est-ce que cela signifie ?

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Posez-lui la question !

M. Gilbert Chabroux. Compte tenu des relations que vous entretenez avec le MEDEF (Rires sur les travées de l'UMP),...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Pas moi !

M. Gilbert Chabroux. ... je pense que vous avez de plus grandes chances que moi d'obtenir une réponse ! Le texte que nous allons voter étant inspiré par le MEDEF,...

M. Alain Gournac. Ce n'est pas sûr !

M. Gilbert Chabroux. ... vous êtes les mieux placés pour interroger M. Dominique de Calan.

S'agissant du volet « dialogue social », la discussion en commission mixte paritaire a été très brève : il n'y a aucun problème pour la majorité,...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Non !

M. Gilbert Chabroux. ... les divergences qui étaient apparues, à l'Assemblée nationale et au Sénat, entre l'UMP et l'UDF - ou du moins, au Sénat, avec une partie de l'UDF -, ont disparu.

M. Jean Chérioux, rapporteur. Vous voyez !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est ce que l'on appelle un compromis !

M. Gilbert Chabroux. Cela signifie que les problèmes restent entiers pour les salariés. Or ils sont très graves ! Le texte retenu est finalement très proche de la rédaction initiale qui, je le répète, fait la part belle au MEDEF et suscite l'hostilité unanime des organisations syndicales de salariés.

Comme le MEDEF et, avant lui, le CNPF, le Conseil national du patronat français, le demandaient depuis longtemps, les entreprises pourront négocier librement des accords, y compris « moins-disants », sauf en cas d'interdiction formelle à l'échelon des branches,...

M. Jean Chérioux, rapporteur. Eh oui !

M. Gilbert Chabroux. ... autant dire très exceptionnellement,...

M. Jean Chérioux, rapporteur. Pas forcément !

M. Gilbert Chabroux. ... puisque cela suppose l'accord des patrons.

L'accord d'entreprise va donc devenir pleinement autonome par rapport à l'accord de branche, comme l'a dit M. le ministre. C'en est fini du principe de faveur sur lequel le statut salarial reposait, dans le domaine du travail, depuis 1945. La règle sera celle du dumping social, du nivellement par le bas, pour les salariés tout d'abord,...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Non, ce sera mieux !

M. Gilbert Chabroux. ... mais aussi pour nombre de PME qui subiront de fortes pressions sur le plan de la concurrence.

Nous déplorons les choix très politiques, idéologiques, que vous avez faits...

M. Alain Gournac. Mais vous, vous n'avez rien fait !

M. Gilbert Chabroux. ... en donnant satisfaction au MEDEF contre l'ensemble des organisations syndicales de salariés, unanimes. C'est une nouvelle étape dans la politique de régression sociale du Gouvernement.

M. Raymond Courrière. Vous pouvez être contents !

Mme Nelly Olin. Comment peut-on dire cela ?

M. Gilbert Chabroux. Je ne reprendrai pas toutes les étapes de cette politique, tous les textes que vous avez fait voter en vue de détruire, de défaire, de démolir ce qui avait été fait. (Rires sur les travées de l'UMP.)

M. Alain Gournac. On a bien été obligé de défaire !

M. Raymond Courrière. Pour notre part, ce n'est pas le genre de choses que nous avions envie de faire, c'est vrai !

M. Gilbert Chabroux. On voit où cela vous a conduits,...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Vous êtes un adepte de la méthode Coué !

M. Gilbert Chabroux. ... avec 138 000 chômeurs de plus l'année dernière...

M. Raymond Courrière. Voilà vos résultats !

M. Gilbert Chabroux. ... et 100 000 emplois industriels détruits, jusqu'à cette mauvaise polémique sur la diminution en trompe-l'oeil du nombre de chômeurs en janvier. Alors que vous affirmez, monsieur le ministre, que cette diminution est due à la reprise, qui serait au « rendez-vous »,...

M. Guy Fischer. Mensonge !

M. Gilbert Chabroux. ... la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, qui est un service de votre ministère, explique que « la baisse du nombre des demandeurs d'emploi est due, pour l'essentiel, aux sorties pour absence au contrôle, plus nombreuses qu'habituellement, qui peuvent s'expliquer en partie par les modifications du régime d'indemnisation ». C'est la DARES qui l'indique ! (M. Alain Gournac s'esclaffe.)

M. Raymond Courrière. Il n'y a pas de quoi être fiers !

M. Gilbert Chabroux. Quelque 35 000 personnes de plus que d'habitude seraient concernées. Le nombre des sorties de l'ANPE pour absence au contrôle a bondi de 27,8 % en janvier sur un an. Sans ces sorties, le nombre des chômeurs eût été tout autre. Une fraction des 180 000 chômeurs exclus de l'indemnisation du chômage au 1er janvier par l'UNEDIC ne jugeraient plus utile de renvoyer le questionnaire indiquant qu'ils sont toujours à la recherche d'un emploi.

Mme Nelly Olin. Qu'avez-vous fait de la croissance à l'époque où vous étiez au gouvernement ?

M. Gilbert Chabroux. Monsieur le ministre, vous avez dénoncé ceux qui parlent de « manipulation » des statistiques, mais vous n'arriverez pas à nous faire croire que la situation de l'emploi s'est améliorée (Protestations sur les travées de l'UMP),...

M. Henri de Raincourt. Vous le regrettez ?

M. Gilbert Chabroux. ... alors que les annonces de plans sociaux se succèdent jour après jour et que le nombre des licenciements fait frémir ! Jamais la précarité n'a été aussi grande, et vous allez encore l'aggraver avec ce texte qui met à bas les règles essentielles qui régissaient la négociation collective dans notre pays et ouvre la voie à un éclatement du droit du travail et à son émiettement. Autant d'entreprises, autant de droits différents !

Déjà, alors que s'achève le débat sur ce projet de loi relatif, notamment, au dialogue social, se profile une nouvelle étape avec une nouvelle loi qui, sous couvert de simplification, d'assouplissement, de fluidification, s'attaquera directement au droit du travail, en donnant plus de souplesse aux entreprises en matière de contrats de travail. Il s'agira de développer des contrats dérogatoires aux contrats à durée indéterminée.

M. Raymond Courrière. Eh oui !

M. Alain Gournac. A qui la faute ?

M. Gilbert Chabroux. Contrairement à ce que donnaient à penser certains de vos propos, monsieur le ministre, vous n'avez pas renoncé au contrat de mission. Encore une fois, vous allez donner satisfaction au MEDEF contre les syndicats de salariés qui, tous, ont fustigé ce projet.

M. Jean Chérioux, rapporteur. Ce n'est pas vrai !

M. Gilbert Chabroux. On peut, en passant, s'interroger sur la méthode que vous employez. Comment pouvez-vous prétendre rénover le dialogue social en faisant l'unanimité des organisations syndicales de salariés contre vous ?

Mme Nelly Olin. Ce n'est pas le sentiment que nous avons sur le terrain !

M. Alain Gournac. On fait avancer la France !

M. Gilbert Chabroux. Comment appliquez-vous à la négociation sur l'emploi le principe fixé par le Président de la République, selon lequel le dialogue social est « le préalable nécessaire au règlement de nos dossiers majeurs ». Y a-t-il négociation ?

Mme Nelly Olin. Oui !

M. Gilbert Chabroux. Apparemment non ! Tous les syndicats s'irritent de la méthode que vous employez.

Mme Nelly Olin. Vous faites ce qu'il faut pour les irriter !

M. Gilbert Chabroux. Mais à chaque jour suffit sa peine ! Nous discuterons plus tard du projet de loi sur l'emploi. Aujourd'hui, nous devons nous prononcer sur les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social. Nous n'avons pas été surpris par ces conclusions, vous ne le serez pas davantage par la position du groupe socialiste, qui votera résolument contre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Merci pour la formation et le dialogue social !

M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau. (Exclamations sur plusieurs travées de l'UMP.)

Mme Nelly Olin. Si c'est sur le MEDEF, on a déjà entendu !

M. Roland Muzeau. Ne soyez pas impatients ! Mais vous allez être servis ! (Sourires.)

En conclusion de nos débats, j'indiquais que nous étions toujours aussi inquiets quant à l'avenir de la négociation collective.

Tous les syndicats, qu'ils soient signataires de la Position commune, que vous avez érigée en dogme, ou opposés, comme la CGT, étaient unanimes sur le rejet du texte gouvernemental.

Ce qui était depuis longtemps réclamé par le CNPF, puis par le MEDEF, est enfin devenu le projet Fillon, sous les applaudissements des forces les plus réactionnaires de ce pays. (M. Alain Gournac rit.) Vous en êtes !

M. Henri de Raincourt. Cela commence bien !

M. Alain Gournac. Le grand capital !

M. Roland Muzeau. Dans les arguments, tout y est passé : des salariés prétendument privilégiés, incapables de comprendre quoi que ce soit aux changements du monde, à la mondialisation de l'économie, à la nécessité de renoncer à leurs droits. Bref, pour faire place nette à cette nouvelle économie dévastatrice pour les hommes et les femmes de notre pays, il fallait à tout prix réduire le code du travail.

Objectivement, nous ne pouvons que reconnaître que vous y êtes arrivé, monsieur le ministre. La commission mixte paritaire a procédé à de simples ajustements rédactionnels ou techniques sur le volet « formation professionnelle », ajustements que nous avons approuvés. Quant au volet « dialogue social », il est conforme au résultat de nos débats, c'est-à-dire mortel pour les droits des travailleurs.

Si grande avancée il y a, c'est bien dans la remise en cause de l'ordre public social et dans l'anéantissement du principe de faveur qui, jusqu'à présent, était favorable aux salariés. Ces obstacles, majeurs pour libérer encore plus l'exploitation des salariés, ont sauté. Les points d'appui en matière de droit du travail et de droit social ont été remis en cause.

Le « libre contrat » est avancé comme une liberté nouvelle accordée aux salariés. Il n'en est évidemment rien. L'usage abusif du mot « liberté » ne doit s'entendre qu'au sens de la liberté pour le patronat de faire ce qu'il veut, souvent en réponse aux exigences de la bourse et des marchés financiers.

Le groupe Nestlé ne vient-il pas d'annoncer, aujourd'hui même, sa décision de supprimer 1 000 emplois sur les 1 600 que compte la société Perrier dont il est propriétaire ? Lorsque le patronat a le nez sur le cours de l'action en bourse, les salariés, derniers maillons de la chaîne, subissent les contrecoups. C'est aussi le scandale de l'entreprise OCT et de son patron « déménageur ». C'est le cas de Flodor, de Palace Parfums et de leurs patrons voyous. Et comment ne pas penser à GIAT Industries, avec l'Etat employeur ?

Vous dites vouloir favoriser les accords d'entreprise, monsieur le ministre. Or, et cela arrive tous les jours, après un accord de branche, des négociations peuvent s'ouvrir dans les entreprises et déboucher sur des propositions plus avantageuses pour les salariés. Ces négociations au niveau de l'entreprise, mais avec un « plus », avec la garantie de démarrer à partir d'un socle minimal, vont disparaître.

Comment, dès lors, pouvez-vous soutenir que vous respectez les accords existants et qu'il n'y aura aucun effet rétroactif ? Tout sera renégociable, dans un sens défavorable aux salariés. Ce n'est qu'une question de temps, malheureusement.

Pourtant, hiérarchie des normes et principe de faveur ont des effets positifs pour l'économie, en limitant le dumping social et le nivellement par le bas cher au MEDEF. Avec votre loi, l'employeur qui négociera le contrat de travail le plus défavorable pour les salariés servira de modèle aux autres. Grâce à vous le moins-disant social se généralisera. La concurrence portera non seulement sur la qualité des produits ou des services, mais ausi sur le prix du travail.

Prétendre, comme vous l'avez fait, qu'il y a désormais prise en compte de l'accord majoritaire est parfaitement abusif. Rien n'est venu concernant la prise en compte de la représentativité syndicale. Vous continuez d'ignorer l'existence de forces syndicales nouvelles, qui, incontestablement, comptent dans de nombreuses entreprises ou branches.

Votre texte, monsieur le ministre, est parfaitement cohérent avec la politique économique du Gouvernement : la démolition du système des retraites, la manipulation des chiffres du chômage par l'exclusion de 250 000 chômeurs, la diminution des allocations de chômage que découvrent les chômeurs, le RMI-RMA, l'attaque contre l'aide médicale d'Etat, la remise en cause des droits des intermittents du spectacle, l'attaque frontale contre la recherche et l'éducation. (M. Henri de Raincourt sourit.) Il faut y ajouter vos projets sur les licenciements avec le rapport de Virville, la remise en cause de la sécurité sociale avec le texte sur les ordonnances, qui viendra à l'été, comme pour les retraites.

Concernant le volet « formation professionnelle », tout en regrettant qu'aucun de nos amendements constructifs n'ait été retenu en première lecture, nous aurions pu éventuellement le soutenir. S'il avait été présenté séparément, nous l'aurions fait. Ce n'est pas le cas et nous le regrettons.

Votre texte, monsieur le ministre, est soutenu par l'UMP tout entière et par l'UDF unanime. Il est inacceptable. Nous l'avons combattu et nous continuerons à le faire. Il est au droit du travail ce que la loi Perben II est à la justice : il est attentatoire aux droits de nos concitoyens et à leur protection sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Henri de Raincourt. Enfin la vérité !

Mme Annie David. Vous le savez à l'avance ?

Mme Nelly Olin. On sait déjà ce qu'il va dire et c'est bien !

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le texte que votre Haute Assemblée examine aujourd'hui a fait l'objet d'un travail exemplaire au cours des derniers mois. (M. Raymond Courrière s'esclaffe.) J'avais déjà eu l'occasion de souligner la qualité des amendements déposés par le Sénat en première lecture, notamment grâce à Mme Bocandé et à M. Chérioux et le texte qui a été adopté en commission mixte paritaire confirme ce sentiment.

Des améliorations ont pu être apportées. (M. Raymond Courrière s'exclame.) Elles résultent, pour l'essentiel, d'amendements de cohérence et de coordination, mais aussi d'améliorations de fond. Je pense notamment aux équilibres que vous avez trouvés sur le fonctionnement du nouveau Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie ou sur le renforcement des modalités de contrôle des fonds de la formation.

Il en est de même pour la partie relative au dialogue social. En particulier s'agissant de la négociation des plans d'épargne d'entreprise, avec le retrait des entreprises négociant avec un mandaté ou un élu, la commission mixte paritaire a su trouver le bon équilibre. A défaut d'accord, le chef d'entreprise pourra toujours mettre en place un PEE, ce qui va bien dans le sens de l'intérêt des salariés.

Au terme de cette discussion, je voudrais donc adresser tous mes remerciements à la majorité sénatoriale, qui s'est montrée fidèle à ses convictions.

M. Raymond Courrière. A ses convictions réactionnaires !

M. François Fillon, ministre. Je remercie les deux rapporteurs pour leur appui constant. Ils ont apporté, tout au long des débats, leur conviction et leur connaissance du sujet.

Nous avons donc, ensemble, mené à bien cette réforme fondamentale de la formation professionnelle, attendue depuis si longtemps,...

M. Raymond Courrière. Si c'était pour faire autant de dégâts...

M. François Fillon, ministre. ... avec la reconnaissance d'un véritable droit individuel à la formation pour tous les salariés. Nous avons conçu de nouvelles règles du dialogue social, en généralisant l'accord majoritaire et en élargissant l'autonomie des accords d'entreprise.

M. Alain Gournac. Très bien !

M. François Fillon, ministre. Je suis convaincu que nous pouvons en attendre un renouveau de la négociation collective dans notre pays et une rénovation en profondeur de notre démocratie sociale. Ce projet de loi manifeste l'action réformatrice du Gouvernement. Nous sommes loin de l'idéologie et proche des réalités. (M. Raymond Courrière s'exclame.)

M. Alain Gournac. Très bien !

M. François Fillon, ministre. Puisque les deux orateurs de l'opposition ont évoqué respectivement la qualité du dialogue social et les chiffres du chômage, permettez-moi de conclure sur ces deux points. (M. Alain Gournac sourit.)

S'agissant, d'abord, de la qualité du dialogue social, il faut remonter très loin pour dénombrer autant d'accords signés par les partenaires sociaux en si peu de temps.

M. Alain Gournac. Tiens !

Mme Nelly Olin. Ecoutez bien !

M. François Fillon, ministre. Il faut remonter bien au-delà des cinq années où vous avez été au pouvoir ! Permettez-moi de vous rappeler ces accords : la réforme de l'UNEDIC, votée par la CFDT, la CGC et la CFTC ;...

M. Roland Muzeau. On a vu le résultat !

M. François Fillon, ministre. ... la réforme sur les retraites complémentaires, votée par la CFDT, la CGC, la CFTC et Force ouvrière,...

M. Alain Gournac. Ah !

M. François Fillon, ministre. ... l'accord sur la formation professionnelle, voté par l'ensemble des organisations syndicales ; l'accord, qui nous est annoncé, sur l'égalité professionnelle pour lequel les cinq organisations syndicales semblent prêtes à apporter leur signature ; une discussion sur les restructurations industrielles qui fait déjà l'objet d'une approche commune de la part des partenaires sociaux et qui pourrait donner lieu à un accord avant la fin de ce mois.

M. Roland Muzeau. Et les intermittents ?

M. François Fillon, ministre. Et je n'évoque pas, monsieur Chabroux, les discussions qui ont lieu en ce moment à mon ministère sur le projet de loi de mobilisation pour l'emploi, et auxquelles l'ensemble des organisations syndicales participent de manière très active (M. Alain Gournac opine), pour essayer de construire un texte qui corresponde à l'intérêt général. Nous sommes donc évidemment très loin des discours que nous venons d'entendre et selon lesquels le Gouvernement n'écouterait pas les partenaires sociaux.

A la vérité, le gouvernement qui n'écoutait pas les partenaires sociaux,...

M. Alain Gournac. Il ne les écoutait jamais !

M. François Fillon, ministre. ... c'était celui de la majorité précédente...

M. Alain Gournac. Mme Aubry !

M. François Fillon, ministre. Le nôtre est aujourd'hui engagé dans un effort, qui est d'ailleurs symbolisé par ce texte, d'écoute et de travail avec les partenaires sociaux. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Alain Gournac. Il fallait le dire !

M. François Fillon, ministre. S'agissant des chiffres du chômage, monsieur Chabroux, vous ne pouvez pas parler de manipulation.

M. Raymond Courrière. Si !

M. François Fillon, ministre. En effet, ces chiffres, d'ailleurs assortis de critiques, émanent de l'INSEE et de l'Agence nationale pour l'emploi. Ils disent que pour la deuxième fois en trois mois le chômage a amorcé une baisse. (M. Raymond Courrière sourit.) Vous pouvez sourire, mais c'est la première fois depuis juin 2001.

M. Raymond Courrière. Se moquer des gens à ce point, c'est incroyable !

M. François Fillon, ministre. Depuis juin 2001, le chômage augmentait tous les mois. Selon vous, quand le chômage augmente, les chiffres sont justes, et quand il baisse, les chiffres sont manipulés.

Que disent les chiffres du mois de janvier dernier ? Tout d'abord, que le chômage des jeunes baisse de 1,8 %, et, vous en conviendrez, les jeunes ne sont pas concernés par la réforme de l'UNEDIC.

M. Alain Gournac. C'est l'action du Gouvernement !

M. François Fillon, ministre. Ensuite, ces chiffres disent que les offres d'emploi augmentent de 40 000. En outre, ils disent que les reprises d'emploi sont en augmentation de 22 000 et approchent les 100 000. Enfin, ces chiffres nous indiquent que les licenciements économiques sont en baisse de 10 % et les autres licenciements de 4,5 %.

M. Alain Gournac. C'est ennuyeux pour l'opposition !

M. François Fillon, ministre. Certes, un ou deux mois de baisse du chômage, cela ne résout pas nos problèmes et ne suffit pas à nous satisfaire.

Mais, en présentant les choses comme vous le faites, en donnant le sentiment, là où il y a une vraie reprise économique, quand le chômage amorce sa décrue, que les chiffres sont manipulés, vous contribuez à faire peser sur notre pays un climat qui est contraire à la reprise de l'économie et à une reprise de la confiance. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - M. Claude Estier s'exclame.)

M. Alain Gournac. C'est vrai !

M. François Fillon, ministre. Vous essayez de faire croire que la réforme de l'UNEDIC se traduirait par la radiation de chômeurs. Or vous savez, parce que vous êtes tous très avertis de ces sujets, que c'est absolument faux, que ce qui entraîne une radiation des listes c'est non pas le fait de ne pas être indemnisé, mais le fait de ne pas passer, une fois par mois, un coup de téléphone à l'ANPE pour dire que l'on est encore à la recherche d'un emploi.

M. Alain Gournac. C'est un minimum !

M. François Fillon, ministre. Cette règle était d'ailleurs en vigueur lorsque vous étiez au pouvoir et le moins que l'on puisse dire c'est que c'est en effet le minimum que l'on peut demander aux demandeurs d'emploi en matière de contrôle.

Naturellement, cette situation ne nous satisfait pas. C'est pourquoi nous allons vous proposer, dans quelques semaines, une série de dispositions, notamment en ce qui concerne le chômage des jeunes, pour faire en sorte que notre pays ne soit plus dans le peloton de queue des pays européens en matière de chômage.

Mais, à vous entendre en permanence vous réjouir des mauvaises nouvelles et contester les bonnes (Protestations sur les travées du groupe socialiste),...

M. Claude Estier. Nous ne nous réjouissons pas !

M. François Fillon, ministre. ... on se demande si vous souhaitez vraiment que le chômage baisse en France ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Alain Gournac. Très bonne réponse !

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion des articles.

Je rappelle que, en application de l'article 42, alinéa 12, du règlement, d'une part, aucun amendement n'est recevable, sauf accord du Gouvernement ; d'autre part, étant appelé à se prononcer avant l'Assemblée nationale, le Sénat statue d'abord sur les amendements puis, par un seul vote, sur l'ensemble du texte.