M. Gérard Le Cam. Mes observations porteront sur l’organisation de nos travaux sur le projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, dont la discussion est particulièrement saucissonnée. À cet égard, je crois que l’on atteint un sommet !

Ainsi, M. le Président de la République ayant décidé de se rendre dans le Lot-et-Garonne pour mettre en valeur l’importance de ce texte, nous ne siégerons pas vendredi prochain, alors que nous avions tous pris nos dispositions pour être présents en séance publique ce jour-là.

La semaine prochaine, l’examen du projet de loi sera de nouveau interrompu jeudi 27 mai, avant de reprendre le vendredi 28 pour s’achever éventuellement le samedi 29 mai, alors que nous sommes très nombreux à avoir des engagements en fin de semaine, en particulier dans nos mairies.

Je trouve regrettable que les travaux du Sénat soient ainsi organisés en dépit du bon sens. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que certaines travées du RDSE, de l’Union centriste et de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume.

M. Didier Guillaume. Ce projet de loi a été annoncé au début de l’année par le Président de la République, dans son discours de Poligny. Le Gouvernement avait donc tout loisir d’inscrire son examen à l’ordre du jour du Parlement sans devoir recourir à la procédure accélérée, d’autant que nous avons auparavant débattu de textes qui ne présentaient pas le même caractère prioritaire.

Nous n’avons eu que peu de jours pour étudier les dispositions du projet de loi, dont la commission a d’ailleurs tellement remanié la rédaction initiale qu’une chatte n’y retrouverait pas ses petits ! Tout cela ne nous permet pas de travailler dans la sérénité, et le saucissonnage de l’ordre du jour souligné par M. Le Cam n’arrange rien… Le Président de la République, pour faire suite à une première opération de communication sur les marges de la grande distribution sur les fruits et légumes, se rendra ce vendredi dans le Lot-et-Garonne afin de marquer à nouveau son intérêt pour cette filière. C’est son droit le plus strict, mais, alors que nous nous étions organisés pour siéger ce même jour, on nous annonce maintenant que le Sénat poursuivra finalement la discussion du projet de loi vendredi 28 et samedi 29 mai.

Ce n’est pas la première fois que l’on modifie soudainement l’ordre du jour, alors que nous avons pris d’autres engagements. On nous affirme que ce projet de loi est d’une extrême importance : si tel est bien le cas, pourquoi nous impose-t-on une discussion selon la procédure accélérée et ainsi saucissonnée ? Le moins que l’on puisse dire, c’est que de telles conditions de travail ne sont pas idéales ! Voilà une curieuse façon de légiférer ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Acte est donné de ces observations.

Les propositions de la conférence des présidents sont adoptées.

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Article 1er (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche
Article 1er (début)

Modernisation de l'agriculture et de la pêche

Suite de la discussion d’un projet de loi en procédure accélérée

(Texte de la commission)

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche (procédure accélérée) (projet n° 200, texte de la commission n° 437, rapport n° 436).

Nous poursuivons l’examen des amendements déposés à l’article 1er.

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche
Article 1er (interruption de la discussion)

Article 1er (suite)

I. – Le livre II du code rural est ainsi modifié :

1° L’intitulé est ainsi rédigé : « Alimentation, santé publique vétérinaire et protection des végétaux » ;

2° L’intitulé du titre III est ainsi rédigé : « Qualité nutritionnelle et sécurité sanitaire des aliments » ;

3° Avant le chapitre 1er du titre III, il est ajouté un chapitre préliminaire ainsi rédigé :

« Chapitre préliminaire

« La politique de l’alimentation

« Art. L. 230-1. – La politique de l’alimentation vise à assurer à la population l’accès à une alimentation sûre, diversifiée, en quantité suffisante, de bonne qualité gustative et nutritionnelle, produite dans des conditions durables. Elle vise ainsi à offrir à chacun les conditions du choix de son alimentation en fonction de ses souhaits, de ses contraintes et de ses besoins nutritionnels, pour son bien-être et sa santé.

« La politique de l’alimentation est définie par le Gouvernement dans un programme national pour l’alimentation après avis du conseil supérieur d’orientation et de coordination de l’économie agricole et alimentaire. Le Conseil national de l’alimentation est associé à l’élaboration de ce programme et contribue au suivi de sa mise en œuvre. Il est rendu compte tous les trois ans au Parlement de l’action du Gouvernement dans ce domaine.

« Le programme national pour l’alimentation prévoit les actions à mettre en œuvre dans les domaines suivants :

« - la sécurité alimentaire, l’accès pour tous, en particulier les populations les plus démunies,  à une alimentation en quantité et qualité adaptées ;

« - la sécurité sanitaire des produits agricoles et des aliments ;

« - la santé animale et la santé des végétaux susceptibles d’être consommés par l’homme ou l’animal ;

« - l’éducation et l’information notamment en matière d’équilibre et de diversité alimentaires, de règles d’hygiène, de connaissance des produits, de leur saisonnalité et de l’origine des matières premières agricoles ainsi que des modes de production, de l’impact des activités agricoles sur l’environnement ;

« - la loyauté des allégations commerciales et les règles d’information du consommateur ;

« - la qualité gustative et nutritionnelle des produits agricoles et de l’offre alimentaire ;

« - les modes de production et de distribution des produits agricoles et alimentaires respectueux de l’environnement et limitant le gaspillage ;

« - le respect des terroirs par le développement de filières courtes ;

« - le patrimoine alimentaire et culinaire français.

« Art. L. 230-2. – L’autorité administrative compétente de l’État peut, afin de disposer des éléments nécessaires à l’élaboration et à la mise en œuvre de sa politique de l’alimentation, imposer aux producteurs, transformateurs et distributeurs de produits alimentaires, quelle que soit leur forme juridique, la transmission de données de nature technique, économique ou socio-économique relatives à la production, à la transformation, à la commercialisation et à la consommation de ces produits.

« Un décret en Conseil d’État précise la nature de ces données et les conditions de leur transmission. 

« Art. L. 230-3. – Les gestionnaires des services de restauration scolaire et universitaire publics et privés sont tenus de respecter des règles relatives à la qualité nutritionnelle des repas qu’ils proposent déterminées par décret.

« Les agents mentionnés aux 1° à 7° et au 9° du I de l’article L. 231-2 et, dans les conditions prévues par l’article L. 1435-7 du code de la santé publique, les médecins inspecteurs de santé publique, les ingénieurs du génie sanitaire, les ingénieurs d’études sanitaires et les techniciens sanitaires, les inspecteurs et les contrôleurs des agences régionales de santé veillent au respect des obligations fixées en application du présent article. Ils disposent à cet effet des pouvoirs d’enquête prévus au premier alinéa de l’article L. 218-1 du code de la consommation.

« Lorsqu’un agent mentionné à l’alinéa précédent constate dans un service de restauration scolaire ou universitaire la méconnaissance des règles relatives à la nutrition mentionnées au premier alinéa, l’autorité administrative compétente de l’État met en demeure le gestionnaire du service de restauration scolaire ou universitaire concerné de respecter ces dispositions dans un délai déterminé. Si, à l’expiration de ce délai, l’intéressé n’a pas déféré à la mise en demeure, cette autorité peut :

« 1° Ordonner au gestionnaire la réalisation d’actions de formation du personnel du service concerné ;

« 2° Imposer l’affichage dans l’établissement scolaire ou universitaire des résultats des contrôles diligentés par l’État.

« Lorsque le service relève de la compétence d’une collectivité territoriale, d’un établissement public, d’une association gestionnaire ou d’une autre personne responsable d’un établissement d’enseignement privé, l’autorité compétente de l’État informe ces derniers des résultats des contrôles, de la mise en demeure et, le cas échéant, des mesures qu’il a ordonnées.

« Un décret en Conseil d’État précise la procédure selon laquelle sont prises les décisions prévues au présent article.

« Art. L. 230-4. – L’aide alimentaire a pour objet la fourniture de denrées alimentaires aux plus démunis. Cette aide est apportée tant par l’Union européenne que par des personnes publiques et privées.

« Seules des personnes morales de droit public ou des personnes morales de droit privé habilitées par l’autorité administrative peuvent recevoir des contributions publiques destinées à la mise en œuvre de l’aide alimentaire.

« Des décrets fixent les modalités d’application du présent article, notamment les conditions auxquelles doivent satisfaire les personnes morales de droit privé ; ces conditions doivent permettre de garantir la fourniture de l’aide alimentaire sur une partie suffisante du territoire et sa distribution auprès de tous les bénéficiaires potentiels, d’assurer la traçabilité physique et comptable des denrées et de respecter de bonnes pratiques d’hygiène relatives au transport, au stockage et à la mise à disposition des denrées. »

II. -Au chapitre Ier du titre IV du livre V du code de la consommation, il est inséré un article L. 541-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 541-1. – La politique de l’alimentation est définie à l’article L. 230-1 du code rural. »

III. – Au début du livre II bis de la troisième partie du code de la santé publique, il est ajouté un article L. 3231-1-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 3231-1-1. – La politique de l’alimentation est définie à l’article L. 230-1 du code rural. »

M. le président. L'amendement n° 229, présenté par MM. Le Cam et Danglot, Mmes Didier, Schurch, Terrade, Labarre et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :

I. - Alinéa 6

Après le mot :

politique

insérer le mot :

publique

II. - En conséquence, dans l'ensemble de cet article, après le mot :

politique

insérer le mot :

publique

La parole est à M. Gérard Le Cam.

M. Gérard Le Cam. L’article 1er du projet de loi vise à définir et à mettre en œuvre une politique de l’alimentation. « Enfin ! », a-t-on envie de dire…

Nous avons déposé plusieurs amendements afin d’améliorer le texte. Cependant, même s’ils devaient tous être adoptés, nous sommes bien conscients que cela n’infléchirait pas suffisamment les orientations de l’article 1er.

En effet, même si le Parlement se voit reconnaître un droit de suite, tout dépend de la volonté du Gouvernement de faire une priorité de l’alimentation et de la santé de tous les Français.

Je prendrai un seul exemple à cet égard, qui nous incite à beaucoup de prudence quant aux intentions réelles du Gouvernement : celui de l’aide alimentaire.

Le texte nous laisse assez dubitatifs. Nous craignons que son application n’entraîne une diminution des financements des associations délivrant l’aide alimentaire, au motif qu’elles ne rempliraient pas certains critères.

Cette crainte est renforcée par un contexte budgétaire délétère. Dans le projet de loi de finances pour 2010, les crédits du programme n° 177 « Prévention de l’exclusion et insertion des personnes vulnérables », au sein de la mission « Ville et Logement », regroupant les crédits dédiés au financement des structures d’hébergement d’urgence et d’insertion, sont en diminution par rapport à 2009. Ainsi, en ce qui concerne la prévention de l’exclusion, cette baisse atteint près de 23 %, alors même que les populations visées sont particulièrement exposées au contexte économique difficile que nous connaissons.

Alors que l’INSEE estime que plus de 8 millions de personnes – 13,2 % de la population – vivent sous le seuil de pauvreté en France, soit avec moins de 880 euros par mois, le taux de fréquentation des lieux de distribution d’aide alimentaire n’a cessé d’augmenter.

Au cours de l’année d’« avant-crise » 2008, les Restos du cœur, fondés par Coluche, ont accueilli 15 % de personnes supplémentaires, notamment des chefs de famille monoparentale et des personnes âgées, mais également beaucoup d’agriculteurs. Ainsi, dans l’Aveyron, les Restos du cœur ont enregistré une affluence record, en hausse de 30 %.

La situation est d’autant plus préoccupante que les associations connaissent de réelles difficultés économiques. Ainsi, Olivier Berthe, le président des Restos du cœur, tenait les propos suivants à l’automne 2009 : « On a bouclé avec un déficit de 5 millions d’euros, et le budget prévisionnel est encore en déficit. »

Il est donc nécessaire de renforcer le Programme européen d’aide aux plus démunis, le PEAD, mais les pouvoirs publics doivent aussi prendre la mesure de la situation et engager des crédits à la hauteur.

Or, face à cette situation dramatique et inacceptable, les pouvoirs publics ont plutôt consacré leur temps et l’argent du contribuable, durant l’automne et l’hiver 2009, à la chasse aux « sans-papiers » dans les locaux des organisations humanitaires.

En effet, ces associations ont dénoncé des interpellations et des descentes qui renforcent le sentiment de peur chez les plus précaires, ainsi que des pressions et des menaces de répression pesant sur les bénévoles, au titre du bien réel « délit de solidarité » !

Nous apprécions que le Gouvernement se préoccupe de la politique de l’alimentation, qui doit être une des missions principales de l’État. Cependant, elle ne doit pas s’inscrire dans la politique du « tout-sécuritaire » et de renforcement des inégalités portée par la majorité.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Gérard César, rapporteur de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. La commission de l’économie avait émis un avis défavorable sur cet amendement, mais, après expertise, elle souhaiterait entendre celui du Gouvernement.

M. le président. Quel est donc l’avis du Gouvernement ?

M. Bruno Le Maire, ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche. Il s’agit en effet d’un point important.

En premier lieu, fixer l’alimentation comme objectif dans le projet de loi portant modernisation de l’agriculture et de la pêche est, à nos yeux, un geste politique important. J’ose espérer que cet objectif politique sera repris lors de la négociation de la future politique agricole commune, car il donnera alors toute sa légitimité à la défense de l’agriculture et des agriculteurs, au-delà des intérêts catégoriels.

En deuxième lieu, comme je l’ai rappelé lors de la discussion générale, cet article recouvre un enjeu social majeur. Pour obtenir de vrais résultats, notamment en matière de prévention de l’obésité, nous devons enfin rassembler les compétences de tous les acteurs – organismes publics, ministères concernés, organisations professionnelles, consommateurs –, comme cela a été fait dans le domaine de la lutte contre l’insécurité routière : pendant des années, on s’est contenté de mesures éparses, qui n’ont donné que peu ou pas de résultats ; seule la mise en place d’une véritable politique publique de sécurité routière fédérant les initiatives et les moyens a permis de faire baisser le nombre des tués sur la route.

En troisième lieu, la politique que nous définissons dans ce projet de loi pose un cadre général assorti d’options très fortes, avec notamment la promotion des circuits courts et la modification des règles de passation des marchés publics, qu’avait d’ailleurs souhaitée le groupe CRC-SPG en commission. Je souhaite que nous puissions ensuite aller plus loin : je n’ai jamais prétendu que ce projet de loi réglerait définitivement la question de l’alimentation en France. Cela étant, pour la première fois, nous fixons une orientation forte à cet égard.

Dès lors qu’il s’agit d’une politique concernant l’intérêt général et engageant les ministères et les établissements publics, le Gouvernement est favorable à ce que son caractère public soit explicitement précisé.

M. le président. Quel est maintenant l’avis de la commission ?

M. Gérard César, rapporteur. La commission émet également un avis favorable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, pour explication de vote.

M. Jean-Jacques Mirassou. M. le ministre a indiqué que la définition d’une politique publique de l’alimentation constituait un geste important. Mais pour l’heure, il ne s’agit que d’affichage, car aucune disposition de portée concrète tendant à mettre en œuvre cette notion ne figure dans le texte. Par conséquent, allez-vous joindre le geste à la parole, monsieur le ministre, en inscrivant des engagements précis dans votre projet de loi ?

Hier, notre collègue Jean-Pierre Raffarin nous a expliqué que chacun devait être maître chez soi et que le ministère de la santé n’avait pas à s’ingérer dans la politique publique de l’alimentation, qui relève de vos prérogatives, monsieur le ministre. Une telle déclaration ne contredit-elle pas quelque peu vos propos sur la nécessité de fédérer les différents acteurs ?

En tout état de cause, nous voterons bien sûr l’amendement présenté par M. Le Cam, en attendant de voir quelle portée concrète vous donnerez à ce dispositif. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 229.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je constate que cet amendement a été adopté à l’unanimité des présents.

Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L'amendement n° 89, présenté par Mme Herviaux, MM. Guillaume et Botrel, Mme Nicoux, MM. Andreoni, Antoinette et Bérit-Débat, Mmes Blondin et Bonnefoy, MM. Bourquin, Chastan, Courteau, Daunis, Gillot, Fauconnier, S. Larcher, Lise, Madec, Marc, Mazuir, Mirassou, Muller, Navarro, Pastor, Patient, Patriat, Rainaud, Raoul, Raoult, Repentin et Ries, Mme Schillinger, MM. Sueur et Teston, Mme Bourzai et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

I. - Alinéa 7, première phrase

Après les mots :

l'accès

insérer les mots :

, dans des conditions économiquement acceptables par tous,

II. - Alinéa 7, seconde phrase

Supprimer les mots :

, de ses contraintes

La parole est à Mme Odette Herviaux.

Mme Odette Herviaux. L’objectif assigné par le Gouvernement à la politique de l’alimentation est tout à fait louable, mais la définition de cette politique n’est pas entièrement satisfaisante. Elle couvre en effet un champ assez large : la volonté affichée est d’assurer une alimentation à la fois sûre et saine, tout en intégrant les notions de qualité nutritionnelle et de modes de production respectueux de l’environnement.

Cette définition souligne aussi qu’une bonne alimentation aura des conséquences sur la santé des consommateurs, ainsi que sur leur bien-être. Par le biais d’un amendement adopté par la commission, nous avons introduit de façon implicite la notion de plaisir gustatif et de convivialité, chère à la tradition culinaire française, afin qu’il soit précisé que la qualité des aliments doit être non pas seulement nutritionnelle, mais aussi gustative.

En revanche, la mention du choix en fonction des contraintes financières qui pèsent ou qui risquent de peser sur les consommateurs n’est pas bienvenue, car cela revient à considérer que n’auront accès à la qualité que les consommateurs disposant de moyens suffisants.

Comme le souligne l’étude d’impact accompagnant le projet de loi, « la fracture alimentaire est une réalité, et qui risque de se renforcer. Le prix est encore l’élément déterminant de l’achat et les restrictions que s’imposent certaines catégories de population hypothèquent leur santé future et celle de leurs enfants. »

Nous estimons donc que la politique de l’alimentation française doit être plus volontariste et s’attaquer aux disparités sociales qui persistent sur le plan alimentaire.

Monsieur le ministre, comme vous l’avez déclaré lors de la discussion générale, l’alimentation est bien une question sociale. Permettre l’accès des populations fragiles à une alimentation suffisante, mais aussi de qualité et diversifiée, doit donc être une priorité.

En conformité avec les objectifs de la politique agricole commune, qui restent inchangés depuis le Traité de Rome, notamment celui d’assurer des prix raisonnables aux consommateurs, il aurait été plus ambitieux de donner comme objectif à la politique de l’alimentation d’assurer à la population l’accès à des produits alimentaires sûrs, diversifiés, en quantité suffisante, de bonne qualité gustative et nutritionnelle, produits dans des conditions durables et économiquement acceptables par tous.

Tel est l’objet de notre amendement, qui reprend la formulation qui a été utilisée s’agissant de l’accès à l’eau pour tous. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. L'amendement n° 517 rectifié, présenté par MM. Collin et Baylet, Mme Escoffier, MM. Fortassin, Tropeano, de Montesquiou, Mézard, Milhau, Chevènement et Vall, Mme Laborde et MM. Plancade, Alfonsi et Marsin, est ainsi libellé :

Alinéa 7, seconde phrase

Après les mots :

à chacun

rédiger ainsi la fin de cette phrase :

, quelle que soit sa situation économique et financière, les conditions du choix de son alimentation en fonction de ses souhaits et de ses besoins nutritionnels, pour son bien-être et sa santé.

La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. La crise économique et ses incidences sur le pouvoir d'achat des Français ont remis l'alimentation au cœur des préoccupations de nos concitoyens, en les contraignant à des arbitrages délicats entre leurs différents postes de dépenses.

Pour beaucoup d’entre eux aujourd'hui, la dépense alimentaire devient la variable d'ajustement. Les restrictions qu'ils s'imposent ont des conséquences indéniables sur leur bien-être et leur santé, objectifs pourtant affichés dans ce texte.

La politique de l'alimentation doit donc viser à offrir à chacun, quelle que soit sa situation économique et financière, les conditions d'un véritable choix de son alimentation, en fonction avant tout de ses souhaits et de ses besoins nutritionnels, ce qui implique, à défaut d'une action sur le pouvoir d'achat, au moins une action forte sur les prix et  les marges.

M. le président. L'amendement n° 225, présenté par MM. Le Cam et Danglot, Mmes Didier, Schurch, Terrade, Labarre et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :

Alinéa 7, seconde phrase

Supprimer les mots :

de ces contraintes

La parole est à Mme Odette Terrade.

Mme Odette Terrade. La santé doit-elle être conditionnée par les « contraintes » qui s’imposent à la personne ? Telle est la question que pose cet amendement. Car n’oublions pas qu’en parlant d’alimentation, nous parlons avant tout de santé. Les liens entre l’alimentation et la santé sont désormais clairement établis, qu’il s’agisse des maladies cardiovasculaires, de certains cancers, du diabète de type 2 ou de l’obésité, laquelle touche 14 % des adultes en France et se répand à un rythme qui nous rapproche de la situation observée aux États-Unis, où l’obésité peut atteindre 30 % de la population dans certains États.

Le choix alimentaire dont parle le Gouvernement est donc en fait un choix sanitaire, qui ne peut dépendre de contraintes économiques. Or, le constat est sans appel et admis par le Gouvernement lui-même, tant dans l’exposé des motifs que dans l’étude d’impact de ce projet de loi : l’accès à l’alimentation reste encore un enjeu pour les populations les plus défavorisées. « La fracture alimentaire est une réalité, et qui risque de se renforcer. Le prix est encore l’élément déterminant de l’achat et les restrictions que s’imposent certaines catégories de population hypothèquent leur santé future et celle de leurs enfants. »

Cet amendement vise donc à garantir sans restriction le respect pour tous des principes posés par l’article 1er.

Nous avons pris note des ambitions du Gouvernement : ainsi, M. le ministre a rappelé en plusieurs occasions qu’aujourd’hui faire de l’alimentation une priorité était une nécessité, un défi que la France se devait de relever ; il a aussi été dit qu’il était nécessaire de concevoir un soutien public à l’alimentation de tous les Français pour garantir que celle-ci soit décente et de qualité.

Mais que valent les ambitions du Gouvernement si elles se nourrissent des inégalités en affirmant vouloir les combattre ?

Subordonner les choix alimentaires aux contraintes économiques, c’est perpétuer la fracture sociale dans l’assiette des Français, au moment où la crise les touche de plein fouet et où l’on demande, encore et toujours, aux plus défavorisés de payer pour des erreurs qui ne sont pas les leurs.

À travers cet amendement, nous proposons simplement d’avoir une politique alimentaire ambitieuse et volontariste.

Reconnaître un droit à la sécurité alimentaire pour tous, c’est reconnaître l’importance de l’alimentation pour la santé des Français. C’est reconnaître que la prévention est la meilleure arme pour stopper l’expansion des maladies liées à la nutrition inadéquate des Français. C’est reconnaître qu’aujourd’hui les personnes en difficulté économique ne peuvent faire les choix alimentaires garantissant leur santé et celle de leurs enfants. Enfin, reconnaître un droit à la sécurité alimentaire pour tous, c’est rappeler le sens du collectif et de la solidarité entre les citoyens.

Au contraire, faire référence aux « contraintes » économiques, c’est consolider une inégalité de fait, c’est avouer son échec face à la fracture sociale. Un tel manque d’ambition serait inadmissible au regard des chiffres de la malnutrition en France. Le Gouvernement doit nous montrer qu’il ne se contente plus de gérer les inégalités sociales, quand il n’est pas en train de les créer, mais qu’il se donne les moyens de ses ambitions, les moyens de combattre ces inégalités.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Gérard César, rapporteur. Madame Herviaux, les produits alimentaires et boissons non alcoolisées représentent 13,5 % du budget des ménages. Cette proportion est en régression constante, mais la question des prix alimentaires demeure sensible.

La notion de conditions « économiquement acceptables » existe déjà en matière d’accès à l’eau. Il paraît justifié que l’accès à l’eau et l’accès à l’alimentation soient mis sur le même plan, aussi suis-je favorable au I de l’amendement n° 89.

En revanche, je ne suis pas favorable à son II, qui vise à supprimer la notion de contraintes dans les choix alimentaires. Certaines contraintes peuvent en effet s’imposer, par exemple en cas de maladie.

Je vous demande donc, ma chère collègue, de bien vouloir rectifier votre amendement en en supprimant le II.