M. Christian Bourquin. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, je suis déterminé à voter ce projet de loi de ratification, car je considère qu’un nouvel affaiblissement de la France comme de l’Union européenne ne ferait qu’aggraver les choses.

M. Christian Bourquin. C’est aussi la position, dans sa très grande majorité, de mon groupe.

Actuellement, la crise n’épargne aucun peuple en Europe. Tergiverser, organiser la confusion ne ferait que rendre la condition des plus fragilisés encore plus insupportable.

Monsieur le ministre délégué, avant d’autoriser, ou de ne pas autoriser, la ratification du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire, chaque parlementaire, détenteur de la souveraineté nationale, doit se poser les trois questions suivantes.

Qu’apporte à la France et à l’Europe ce traité ?

Est-il une avancée pour la construction européenne ?

Permet-il le réarmement économique de l’Europe ?

Ce traité a trois objectifs : renforcer la discipline budgétaire, développer la coordination des politiques économiques dans l’Union européenne et améliorer la gouvernance de la zone euro.

Mes chers collègues, si l’on veut débattre sereinement et sérieusement du TSCG, il convient de se livrer à un petit exercice d’exégèse – cela me semble inévitable ! –, mais c’est surtout sur le titre III, intitulé « Pacte budgétaire », que je vous invite à concentrer votre attention.

Ce « pacte » fait l’objet de débats passionnés, qui sont cependant souvent fondés sur des analyses largement approximatives.

M. Christian Bourquin. En tout cas, il ne faut pas surestimer la portée de ce traité qui, pour l’essentiel, ne fait que reprendre des règles déjà en vigueur ou les renforcer.

M. Christian Bourquin. Il en va ainsi de la principale mesure, que d’aucuns qualifient de « règle d’or ». Je veux parler de l’obligation introduite par le 1 de l’article 3, qui prévoit que les administrations publiques devront avoir un budget en équilibre ou en excédent et que le déficit structurel ne devra pas excéder 0,5 % du produit intérieur brut.

Faut-il aussi rappeler que, dans sa décision du 9 août dernier, le Conseil constitutionnel a souligné que cet abaissement du seuil d’objectif de moyen terme de solde structurel, qui était fixé à 1 % et passe à 0,5 %, est la principale innovation du TSCG ?

En effet, la discipline budgétaire dans la zone euro et dans l’Union européenne a déjà été largement renforcée depuis le début de la crise, notamment avec l’adoption du « Six-pack », cet ensemble de cinq règlements et d’une directive entré en vigueur en 2011 que vient d’évoquer à cette même tribune Simon Sutour.

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Brillamment !

M. Christian Bourquin. Ces six textes comprenaient déjà de nombreuses mesures reprises dans le traité.

Il en va ainsi de l’application de la procédure de déficit excessif aux dettes publiques dépassant 60 % du PIB : toute dette dépassant ce seuil devra être réduite d’un vingtième de l’écart à ce seuil par an.

Ces textes prévoyaient également l’adoption des recommandations de la Commission à la « majorité qualifiée inversée » au sein du Conseil, dans le cadre de la procédure pour déficit excessif.

Ce traité va d’ailleurs beaucoup moins loin que ce que souhaitait au départ Angela Merkel, qui, à tant vouloir ce texte, l’a rendu suspect aux yeux de bon nombre de Français. La Chancelière défendait ainsi l’automaticité des sanctions ou encore un accroissement du rôle de la Commission européenne, mesures qui, je le rappelle, n’ont pas été retenues au cours des négociations.

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. Fort heureusement !

M. Christian Bourquin. En effet !

Le Conseil constitutionnel considère, dans sa décision du 9 août, que les dispositions du TSCG « reprennent en les renforçant » des dispositions existantes et « qu’elles ne procèdent pas à des transferts de compétences en matière de politique économique ou budgétaire et n’autorisent pas de tels transferts ».

Il précise également que, « pas plus que les engagements antérieurs de discipline budgétaire, celui de respecter ces nouvelles règles ne porte atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale ».

En effet, l’objectif d’équilibre des comptes des administrations publiques est déjà inscrit dans notre Constitution, et n’est-ce pas normal, après tout ?

La logique d’encadrement des déficits et de la dette, présente dans le traité n’est ni nouvelle, ni contestable en elle-même. Il s’agit en effet de ne pas reporter sur les générations futures le poids de notre surendettement. Cela a un nom : la responsabilité.

M. Christian Bourquin. Nos politiques publiques doivent être financées : nous ne pouvons vivre indéfiniment « au-dessus de nos moyens » et, surtout, en faire payer le prix à nos enfants.

M. Christian Bourquin. Nous devons également respecter l’équilibre budgétaire pour ne pas tomber dans la dépendance des marchés financiers et autres agences de notation.

Surtout, mes chers collègues, la notion de « déficit structurel », introduite par le traité, est plus pertinente économiquement et plus souple que les « critères » de Maastricht, notamment s’agissant de l’obligation de présenter un taux réel de déficit inférieur à 3 % du PIB.

Même si la définition et le calcul du « déficit structurel » font débat et doivent certainement être précisés, les règles du traité laissent néanmoins d’importantes marges de manœuvre et permettent également d’éviter les politiques économiques procycliques, lesquelles aggravent les situations de récession.

M. Christian Bourquin. Comme l’a confirmé le Conseil constitutionnel, ce traité ne remet en cause ni notre souveraineté, ni les prérogatives du Parlement. Il n’est pas non plus irréversible et ne nécessite pas de révision de la Constitution.

D’une certaine manière, le TSCG a même rendu possibles certaines évolutions tout à fait souhaitables.

Ainsi notre Haute Assemblée examinera-t-elle à la fin du mois d’octobre le projet de loi organique relatif à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, traduction directe des dispositions contenues dans le TSCG qui introduit des nouveautés méritant d’être soulignées.

Ce texte organique précise et renforce les lois de programmation des finances publiques. Figureront désormais dans celles-ci les engagements résultant du TSCG, tels que la définition d’un objectif budgétaire à moyen terme et d’une trajectoire d’ajustement.

Ces lois définiront une trajectoire pluriannuelle, pour au moins trois ans. Pour autant, le principe constitutionnel d’annualité des lois de finances n’est pas remis en cause, dans la mesure où la trajectoire pluriannuelle est définie dans des lois de programmation, qui n’ont pas une valeur normative supérieure aux lois de finances.

Le respect de cette trajectoire sera vérifié annuellement dans les lois de finances initiales et dans les lois de financement de la sécurité sociale, auxquelles sera annexé un tableau synthétique des comptes de l’ensemble des administrations publiques. Quoi de plus normal ? (Très bien ! sur certaines travées du RDSE.)

Le projet de loi organique prévoit également la création du Haut Conseil des finances publiques.

Permettez-moi une courte parenthèse, mes chers collègues : nous avons autour de nous 680 hautes autorités. Peut-être, et je me tourne vers le président du groupe socialiste, faudrait-il faire un peu de nettoyage si nous entendons renforcer le rôle du Parlement.

M. Jean-Pierre Plancade. Bravo ! Tout cela coûte cher à l’État !

M. François Rebsamen. Si cela ne tenait qu’à moi, ce serait fait !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Il ne faut quand même pas toutes les mettre sur le même plan !

M. Christian Bourquin. Et même, ma chère collègue… Nous avons du travail devant nous !

Je reviens au Haut Conseil des finances publiques – il est prévu dans le traité, donc allons-y !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Merci d’être d’accord avec moi !

M. Christian Bourquin. Cette autorité indépendante sera notamment chargée de vérifier les hypothèses macroéconomiques sur lesquelles sont fondées les lois de finances, en particulier les hypothèses de croissance.

Disposer de prévisions indépendantes est une demande répétée depuis des années par les parlementaires de toutes sensibilités. Dans le cas précis du Haut Conseil des finances publiques, les droits du Parlement se trouvent donc indéniablement renforcés.

Cette institution indépendante sera également chargée de vérifier la conformité des projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale avec les objectifs définis dans la loi de programmation des finances publiques.

Enfin, elle devra alerter le Gouvernement et, surtout, le Parlement sur la nécessité de déclencher le « mécanisme automatique de correction » prévu par le traité.

Le Gouvernement devra ensuite proposer des mesures pour remédier aux écarts constatés.

Comme le précise l’article 3 du TSCG, « ce mécanisme de correction respecte pleinement les prérogatives des parlements nationaux ».

Le « pacte budgétaire » contenu dans le traité est donc bien moins nocif que certains veulent nous le faire croire. Il a même permis des évolutions tout à fait importantes, comme, ma foi, la création du Haut Conseil des finances publiques, qui fournira enfin une évaluation indépendante des prévisions macroéconomiques.

Le TSCG n’a cependant pas seulement trait à la discipline budgétaire, à laquelle on ne peut qu’adhérer.

M. Christian Bourquin. Il contient quelques autres mesures qui ne sont pas négligeables.

Le titre IV, qui concerne la coordination des politiques économiques, reprend également des dispositions existantes et prévoit notamment que les grandes réformes de politiques économiques seront débattues au préalable entre les parties et, au besoin, coordonnées entre elles.

Le principe d’une telle coordination, dont la mise en œuvre est prévue depuis des décennies par les traités européens, est essentiel. Pourtant, il n’a pas encore trouvé d’application réelle, ce qui, vous en conviendrez, est très dommageable.

M. Christian Bourquin. Enfin, la coordination des politiques économiques et budgétaires pourra devenir une réalité !

En effet, c’est notamment parce que nous ne sommes pas allés jusqu’au bout de la logique de l’union économique et monétaire et que nous avons uniquement mis en œuvre la partie monétaire de cette union, sans coordonner les politiques budgétaires, que l’Europe, et plus particulièrement la zone euro, est aujourd’hui en crise.

C’est pourquoi nous devons remédier à cet impair le plus rapidement possible, en coordonnant véritablement les politiques au sein de la zone euro et en harmonisant les politiques fiscales et sociales pour mettre fin aux pratiques que l’on peut qualifier de « concurrence déloyale » au sein de l’union économique et monétaire et qui affectent gravement la cohésion de l’Union européenne. Il suffit de penser à ce qu’a fait l’Irlande avec l’impôt sur les sociétés, par exemple, pour comprendre que nous ne pouvons pas continuer sur cette voie.

Il faudra également renforcer la gouvernance économique, en mettant en place un véritable « gouvernement économique européen ». Eh oui, monsieur le ministre délégué !

Le TSCG, en son titre V, institutionnalise les « sommets de la zone euro » auxquels participent les chefs d’État et de gouvernement, le président de la Commission européenne, ainsi que celui de la Banque centrale.

Le traité prévoit que ces sommets se réunissent « lorsque cela est nécessaire et au moins deux fois par an ». Il faudrait en réalité qu’ils se réunissent beaucoup plus souvent pour garantir une véritable coordination, clé de la stabilité de la zone.

M. Christian Bourquin. Enfin, l’article 13 du traité prévoit la mise en place d’une « conférence interparlementaire » qui réunira, monsieur Sutour, les commissions concernées du Parlement européen et des parlements nationaux pour débattre des politiques budgétaires et d’autres questions régies par le traité.

C’est un moyen de renforcer le rôle des parlements nationaux, mais il nous appartient à nous, parlementaires, de nous en saisir,…

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. Absolument !

M. Christian Bourquin. … car nous sommes les premiers à pouvoir combler le déficit démocratique dont souffre l’Union européenne.

Nous disposons déjà d’un certain nombre d’instruments ; encore faut-il que nous les utilisions, ce que, jusqu’à présent, nous ne faisons que trop peu, voire pas du tout.

Pour finir, je veux souligner que le TSCG et sa ratification ne peuvent être considérés en dehors du contexte actuel. Depuis le sommet du mois de juin dernier, au cours duquel un certain nombre d’avancées majeures ont été entérinées...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. On ne les a pas encore vues !

M. Christian Bourquin. ... grâce à la détermination de notre nouveau Président de la République, une orientation nouvelle est insufflée en Europe. Ce sommet marque justement la fin de « l’ère de la rigueur et de l’austérité » que voulait instaurer Mme Merkel. Je ne cite qu’elle, pour ne pas vexer l’aile droite du Sénat...

M. François Rebsamen. C’est trop d’attention ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Christian Bourquin. Les 120 milliards d’euros du pacte pour la croissance et l’emploi que la France a contribué à faire adopter – la France, c'est-à-dire François Hollande, Président de la République–, l’ébauche d’une taxe européenne sur les transactions financières, la possibilité pour le Mécanisme européen de stabilité de recapitaliser directement les banques et la mise en place d’une union bancaire sont autant d’évolutions fondamentales et indispensables pour sortir de la crise et construire une « nouvelle Europe », plus solide, plus solidaire et donc plus démocratique.

Compte tenu de ces progrès très importants, nous devons aujourd’hui ratifier le TSCG. Ainsi serons-nous crédibles vis-à-vis de nos partenaires européens et pourrons-nous poursuivre la « réorientation » de l’Europe entamée avec l’alternance politique qu’a connue la France au printemps dernier.

Nous devons aujourd’hui ratifier le traité pour ne pas menacer le compromis européen, toujours fragile. Nous pourrons ensuite le dépasser et réorienter véritablement l’Europe vers l’investissement et la croissance durable.

L’Union européenne est une construction unique au monde que nous devons absolument préserver et poursuivre. Mes chers collègues, il devient urgent de redonner à l’Europe un nouveau projet politique, de la doter de pouvoirs nouveaux et de démocratiser ses institutions.

Si l’on veut que tous les citoyens européens retrouvent foi en l’Europe, il faut mettre sur pied un gouvernement politique de l’Europe qui tienne sa légitimité des peuples : il n’est plus possible de continuer à transférer toujours plus de pouvoirs aux institutions communautaires sans soumettre ces dernières à une responsabilité renforcée devant le Parlement européen.

En attendant, la grande majorité des membres du RDSE, tous profondément convaincus que l’Europe est l’avenir de la France, prendront leurs responsabilités et approuveront ce projet de loi de ratification qui constitue, à n’en pas douter, une étape supplémentaire dans la réorientation de l’Europe.

Mes chers collègues, je conclurai par un témoignage. (Exclamations amusées sur plusieurs travées.)

En 2005, j’ai fait partie de ceux que l’on nommait les socialistes « nonistes ». Nous étions ensemble, monsieur le ministre délégué, cher Bernard. Tout a bien changé. (Rires sur les travées du CRC.)

M. Guy Fischer. Cette époque est révolue !

M. Christian Bourquin. Il n’y avait pas, alors, la crise que nous connaissons aujourd’hui. (Mme Éliane Assassi s’exclame.)

Je l’ai dit dans mon propos introductif : il ne faut pas ajouter une crise à la crise. Je fais preuve de la même cohérence aujourd’hui...

Mme Éliane Assassi. Votre temps de parole est épuisé !

M. Christian Bourquin. ... en donnant au Président de la République les moyens d’accompagner la réorientation de l’Europe vers plus de solidarité et de justice sociale, vers plus de solidarité économique et financière. Cette réorientation n’a rien d’un vœu pieux, elle est déjà sur le métier.

Mme Éliane Assassi. Assez, on a compris !

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Christian Bourquin. Nous en avons la preuve : la Banque centrale européenne intervient désormais pour racheter la dette des États en difficulté. Comment témoigner notre solidarité à ces pays sinon en les aidant à racheter leur dette ?

M. Christian Bourquin. Monsieur le ministre délégué, dites au Président de la République...

M. le président. Il vous faut maintenant conclure, mon cher collègue !

M. Christian Bourquin. Je suis en train de le faire, monsieur le président ! (Rires.)

Mme Éliane Assassi. C’est fini ! Coupez !

M. Christian Bourquin. Monsieur le ministre délégué, dites au Président de la République de continuer à faire bouger les lignes de l’Europe. Une très grande majorité d’entre nous sera derrière lui pour le soutenir. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UCR. – M. André Gattolin applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Vincent Placé, pour six minutes... (Rires.)

M. Jean-Vincent Placé. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, tout en respectant le temps qui m'est imparti (Nouveaux rires),…

M. François Rebsamen. Strictement !

M. Jean-Vincent Placé. … je veux dire sans complexe que l’on peut être un Européen convaincu, c'est-à-dire souhaiter, comme le Premier ministre dans le discours volontariste et résolu qu'il a prononcé tout à l’heure, réorienter le cours de la construction européenne et maintenir la France dans une zone euro solidaire, et, dans le même temps, refuser la ratification du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire.

Ce refus, je l’assume : il est l'expression de la majorité du mouvement que je représente ici. Pour autant, j’assume aussi le doute qui a pu nous saisir, en particulier à gauche. Tant mieux, car la pensée naît du doute. C’est tout l’intérêt de faire vivre le débat au sein d'un mouvement, d'une institution parlementaire, d'une majorité. De ce point de vue, les écologistes, et le débat en général, sont utiles à la vitalité de la démocratie.

Ma collègue Marie-Christine Blandin expliquera d’ailleurs demain les raisons qui vont conduire une partie du groupe écologiste à s'abstenir sur la ratification du TSCG.

C’est une évidence, mais je tiens à le rappeler, nous, écologistes, sommes très soucieux du désendettement. La soutenabilité s'applique autant à l'écologie qu’aux finances publiques. Comme le Premier ministre, nous préférons investir dans l'éducation, la sécurité, la justice, le logement, la santé, l'écologie, plutôt que rembourser les intérêts de la dette. Il n'y a d’autre dette acceptable que celle qui améliore le capital matériel et immatériel des générations futures.

Depuis trop longtemps – trente ans ! –, nous avons vécu à crédit pour gonfler artificiellement une croissance sans doute inéluctablement en perte de vitesse et pour maintenir un modèle de développement insoutenable.

Je le dis sans emphase : notre opposition au TSCG est réfléchie et cohérente. De nombreux intervenants, plutôt à la droite de cet hémicycle, ont rappelé les débats de février. Je m’abstiendrai de tout commentaire, mais, pour notre part, nous n'avons pas changé d'avis sur notre conception de l'Europe et sur les réponses à apporter à la crise.

Participant en début d’après-midi à une manifestation organisée devant le Sénat avec notre collègue Pierre Laurent, par ailleurs secrétaire national du parti communiste français, je me suis fait la réflexion suivante : si ce traité suscite autant la perplexité à gauche, au sein du parti socialiste, du parti communiste et chez les écologistes, il y a bien une raison ! Je le dis en toute amitié au ministre délégué chargé des affaires européennes et au président du groupe socialiste du Sénat. (Sourires.)

Ce sentiment de perplexité peut s’expliquer déjà pour des questions de forme. Pour la première fois, en effet, le Parlement n’a pas eu l’occasion de donner son avis sur ce traité. De façon générale, on ne peut pas dire que la construction européenne ait été très démocratique. Malgré tout, depuis trente ans, de façon hypocrite, sans doute bourgeoise – mais cette critique contre la bourgeoisie est peut-être inutile –,…

M. Jean Bizet. C’est exact !

M. Jean-Vincent Placé. J’étais sûr de m’attirer des marques d’assentiment sur certaines travées…

Malgré tout, donc, on faisait semblant. Mais pas pour ce traité : aucune commission parlementaire n'a été saisie : on est totalement dans l’intergouvernemental.

À cette première atteinte à la démocratie vient s’en ajouter une autre, tenant cette fois à la légitimité des signataires.

Il ne s’agit pas pour moi de chercher à établir une stricte corrélation entre ce traité et ses auteurs, mais je constate tout de même que le TSCG est le traité d’un Président de la République sortant battu et d’une Chancelière allemande elle-même en campagne pour les législatives de septembre 2013. De surcroît, qu’on le veuille ou non, ils appartiennent au Parti populaire européen.

Même si je ne cherche pas à stigmatiser qui que ce soit, ce constat s’agissant des auteurs du traité est une réalité qui me porte à conclure que la philosophie à l’œuvre ici est ultralibérale.

Je le dis très tranquillement, très sereinement mais aussi très franchement, je veux saluer les avancées obtenues au sommet de Bruxelles du mois de juin dernier. On peut chipoter sur les 120 milliards d'euros : c’est bien peu par rapport à la gravité de la situation. On peut tout de même se féliciter de la recapitalisation de la Banque européenne d’investissement. Mais il y a peu de chose sur les projects bonds, de même que pour les fonds structurels européens : ils ne sont pas beaucoup utilisés – c’est difficile –, d'où l'intérêt de les transférer aux régions.

Rien de toutes ces avancées ne changera la réalité de ce traité qui, le Premier ministre l’a reconnu, n'a pas été renégocié et dont la philosophie est et reste ultralibérale.

Je l'ai dit au cours d'une émission, j'ai voté le traité de Maastricht – j’avais vingt ans –, pour les raisons qu’avance aujourd'hui le Gouvernement afin de nous convaincre de voter ce traité.

Aujourd'hui, je regrette d’avoir voté Maastricht.

M. Jean-Pierre Plancade. Vous étiez radical ! (Sourires.)

M. Jean-Vincent Placé. Depuis vingt ans, l'Europe n’a pas pris le chemin que je souhaitais, celui d’une Europe sociale, d’une Europe politique, d’une Europe écologiste. Non, on n'y est pas !

M. Jean-Pierre Chevènement. Vous auriez dû m’écouter ! (Nouveaux sourires.)

M. Jean-Vincent Placé. Oui, j'aurais sans doute dû écouter à l'époque Jean-Pierre Chevènement et peut-être aussi Philippe Séguin, mais pas du tout pour les mêmes raisons...

Je parle avec franchise : il faut entendre cette inquiétude.

On nous promet la fin des déficits. La droite et le centre le répètent : il faudrait une gestion « en bon père de famille », pour reprendre la fameuse formule notariale. Oui et non, car l'État, ce n'est pas un ménage : il lui faut parfois investir, relancer, mener des politiques contracycliques. Aujourd'hui, les arguments sur l'offre et la demande, sur la façon d'envisager la macroéconomie, y compris à gauche, ne sont pas satisfaisants. Dans la situation actuelle, cela ne marche pas.

Il n’est qu’à voir l’affaire des « pigeons ». En trois jours, ceux-ci se sont fait entendre et ont obtenu plus de un milliard d'euros de baisse d'impôt, alors que l'on écoute beaucoup moins les salariés de PSA ou de Florange.

M. Jean-Vincent Placé. Je le répète avec force, même à cette heure tardive : je suis inquiet, probablement comme une grande partie de la gauche, comme beaucoup de communistes, de socialistes, d’écologistes. Monsieur le ministre délégué, il faut entendre cette inquiétude.

Il n'y aura plus de déficits, nous dit-on, et la compétition internationale est telle qu’il est impossible d'augmenter les impôts. Pourtant, mécaniquement, ces décisions feront baisser les dépenses d'investissement et les dépenses de fonctionnement des ministères.

M. Guy Fischer. Et celles des collectivités !

M. Jean-Vincent Placé. Tout cela doit nous faire réagir.

Je ne détiens certainement pas la vérité révélée. Mon analyse diffère de celle du Gouvernement, mais je m’interroge. Cette politique réduit la puissance publique et le poids des services publics. Elle conduit à la récession, à l’austérité et à la rigueur. Ce traité les renforcera-t-il ?

On parle d'une croissance de 0,8 point l'année prochaine, alors que l'on prévoyait 1,7, puis 1,2. La croissance ne sera peut-être finalement que de 0,3 point, si elle n’est pas négative. Qu'est-ce qui nous attend l’année prochaine ? Nous n’aurons pas la croissance, nous n’arriverons pas aux 3 % mais nous en serons plutôt à 4 % et le chômage augmentera ! À quoi nous servira, alors, de bénéficier de taux d'intérêt à 2 %, si personne n’achète d’appartement, si personne n'investit, ne serait-ce que dans un petit bistrot ?

Telle est la réalité, et si je suis sorti complètement de mes notes, c’est parce que je suis animé d’une profonde conviction : il nous faut parler franchement de cette inquiétude sourde de l'ensemble des militants, qui est relayée par quelques parlementaires.

Je ne jette pas l'opprobre sur le Gouvernement. Monsieur le ministre délégué, vous faites le pari de conserver la confiance des marchés, pour maintenir des taux d'intérêt bas et empêcher la dette de se creuser. Tout cela nous conduira à relancer la rigueur et l'austérité.

Je peux comprendre cette politique : il s'agit d'éviter le tir des marchés pour ne pas connaître la même situation que la Grèce, l'Italie ou l'Espagne. J’entends ces arguments. Mais, vous, vous ne devez pas considérer que c’est oui ou non, blanc ou noir : ceux qui portent cette inquiétude populaire, ces idées, cette espérance ne sont pas plus idiots que les technocrates de Bercy ou de Bruxelles !

C’est cette inquiétude qui explique la présence de partisans du « non » parmi les parlementaires de gauche, écologistes, socialistes et communistes, mais aussi au sein de la population, des syndicats et des associations. Je vous le dis très sereinement : réfléchissons à ce qui se passera l’année prochaine.