Mme Catherine Tasca. Madame la garde des sceaux, vous avez magistralement retracé à l’Assemblée nationale l’histoire du mariage civil, que vous avez qualifié de « conquête […] de la République ». Une conquête, disiez-vous, emportée dans un mouvement général de laïcisation de la société. Vous avez eu également raison d’évoquer le long et difficile chemin des femmes pour trouver leur place dans l’institution du mariage.

Aujourd’hui – c’est l’honneur du Gouvernement ! –, nous avons la faculté d’ouvrir le mariage civil aux personnes de même sexe.

En quatre décennies, la société française aura profondément changé de regard sur l’homosexualité.

Le premier pas sur le chemin de la reconnaissance fut franchi avec la loi du 4 août 1982 dépénalisant les relations homosexuelles. Le deuxième pas fut fait en 1999 avec l’adoption du PACS, qui donna lieu à des annonces catastrophistes, à l’agitation de toutes les peurs et à un débat assez semblable à celui que nous vivons aujourd’hui. Le troisième pas qu’il nous reste à franchir, c’est l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe. J’espère que le Sénat, fidèle à sa tradition, mettra plus de raison que de passion dans ce débat.

Avec le PACS, nous avons eu l’acceptation de la différence, ce qui a permis aux homosexuels de sortir du silence, du mensonge, de la peur et de vivre légalement, au grand jour, leur union.

La sexualité est une dimension de la vie humaine où subsistent trop de zones d’ombre, trop de tromperies et de dissimulations, sources de multiples souffrances. C’est toute la société, tout le vivre-ensemble familial et social qui en pâtit.

Trop longtemps, l’homosexualité a été vécue comme une exclusion. Trop de jeunes la portent encore comme une faiblesse inavouable, jusqu’à en mourir parfois. Le PACS a ouvert une fenêtre, en permettant, enfin, de dire cette réalité. De fait, ce sont les couples hétérosexuels qui, très majoritairement, se sont approprié ce nouveau type de contrat, alors même qu’ils ont toute liberté de choisir le mariage. C’est bien le signe que nos contemporains ont une vision très diversifiée de la vie commune et ne se réfèrent pas forcément à l’institution du mariage.

Ce qui menace la stabilité des couples, ce n’est pas la création du mariage pour tous, mais ce sont notre individualisme, nos impatiences, les aléas de la vie moderne. La famille est la première à subir les conséquences du stress au travail, du chômage, de la pauvreté, du mal-logement. Depuis bien longtemps, les mariages se font et se défont. Le « modèle » de la famille unie par le mariage a volé en éclats et ledit « mariage pour tous » n’y est absolument pour rien. De plus en plus d’enfants vivent dans des foyers homosexuels. Comment notre société civile pourrait-elle ignorer cette réalité, la nier, lui refuser une normalisation légale ?

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Très bien !

Mme Catherine Tasca. Notre République n’est pas responsable des sentiments, ni de l’orientation sexuelle des individus, ni encore du choix de vie de chacun, mais elle doit donner à tous les couples le cadre juridique adéquat pour assumer leur engagement et leur pleine responsabilité à l’égard du partenaire et de l’enfant, ce que le PACS ne permet pas. Ce sont d’ailleurs ceux-là mêmes qui combattaient le PACS il y a quatorze ans qui réclament aujourd’hui son amélioration ou la création d’un nouveau contrat d’union civile. Que ne l’ont-ils fait pendant la décennie durant laquelle ils étaient au pouvoir ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

MM. François Rebsamen et Jacques Mézard. Eh oui !

Mme Catherine Tasca. Le temps est venu de donner à tous les couples le cadre légal non discriminatoire auquel ils aspirent. Nous devons passer de la reconnaissance de la différence, avec le PACS, à l’acceptation de l’intégration réelle, avec le mariage. À mes yeux, il s’agit non seulement d’une quête d’égalité, mais aussi d’un principe de réalité et de respect de la dignité de tous. C’est l’ouverture d’une nouvelle liberté !

L’avenir dira si de nombreux couples homosexuels se saisiront de cette faculté ou si beaucoup d’entre eux continueront de se satisfaire de l’union libre ou du PACS. Au moins, aurons-nous levé une hypocrisie et une ultime barrière à une réelle liberté de choix.

Regardons ce qu’apporte le mariage civil, dont, curieusement, nos concitoyens ignorent bien souvent les conséquences juridiques. Ce n’est pas seulement la proclamation d’un amour, dont nous savons qu’il peut être précaire ; c’est la volonté d’un engagement durable et responsable. Là est notre responsabilité de législateur d’une République laïque. Laissons à chacun la liberté de faire consacrer ce lien du mariage par une Église, mais ne confondons pas ces deux engagements.

M. Jacques Mézard. Très bien !

Mme Catherine Tasca. De toutes les formes d’union, le mariage est celle qui assure au mieux aux partenaires le partage des droits et obligations, qui assure le sort de celui qui reste en cas de décès de l’un d’entre eux et qui assure un règlement équitable en cas de séparation.

Quant aux enfants, leur place au sein des familles de plus en plus diverses et mouvantes pose de très nombreuses et difficiles questions à propos des droits de chacun des parents certes, mais plus encore à propos de leurs devoirs et obligations à l’égard de l’enfant et des droits de celui-ci.

C’est à toutes ces questions que le projet de loi que nous examinons veut répondre, avec la préoccupation prioritaire de l’intérêt de l’enfant, pour être fidèle à la Convention internationale des droits de l’enfant.

Si l’on considère – et je le considère – que la protection de l’enfant est l’objectif majeur, alors on ne peut laisser perdurer l’inégalité de traitement qui frappe les milliers d’enfants vivant avec des parents homosexuels. Leur filiation n’est reconnue qu’à l’égard de l’un des deux parents, que ce soit par filiation biologique ou par filiation adoptive. Ces familles sont de facto dans une situation d’insécurité juridique, psychologique et affective, le second parent n’ayant aucun droit à l’égard de l’enfant en cas de disparition du parent légal ou de séparation du couple. C’est à cette insécurité que le projet de loi mettra fin. L’essentiel est que l’enfant ait une famille solide, responsable et aimante pour l’accompagner dans son développement. Si le projet de loi aboutit comme nous le souhaitons, l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe permettra d’instaurer une véritable égalité entre tous les couples, en termes de droits et de devoirs.

On constate que le PACS a vu son régime juridique se rapprocher encore un peu plus de celui du mariage, avec la loi du 23 juin 2006, mais des différences notables subsistent, sur lesquelles je ne reviendrai pas dans la mesure où elles ont déjà été évoquées.

Le mariage permet de pallier l’insécurité juridique du conjoint survivant en cas de décès de l’un des époux, en lui permettant de bénéficier d’une pension de réversion ou d’une allocation veuvage selon les situations. En termes de droits de succession, l’époux survivant est l’héritier légal, ce qui n’est pas le cas du partenaire lié par un PACS.

Enfin – ce n’est pas une considération secondaire –, l’époux est considéré comme le plus proche parent de l’autre pour les questions liées aux soins médicaux.

Le changement décisif apporté par ce texte réside dans son article 1er, qui établit, enfin, une véritable égalité entre tous les couples, en introduisant un article 143 dans le code civil, qui précise, pour la première fois, de manière explicite, la nature du mariage. Le mariage est non plus implicitement un contrat conclu entre un homme et une femme, mais est désormais explicitement « contracté par deux personnes de sexe différent ou de même sexe ».

L’égalité des droits est particulièrement importante pour ce qui concerne l’ouverture de l’adoption aux couples de même sexe. L’article 343 du code civil dispose que « l’adoption peut être demandée par deux époux ». La possibilité pour les couples homosexuels de se marier leur ouvre dès lors le droit à l’adoption.

Le droit de l’adoption repose sur le principe fondamental du respect de l’intérêt supérieur de l’enfant. Non seulement cette considération juridique résulte de l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant, mais elle est également inscrite dans notre droit national. Ainsi, l’article 371-1 du code civil définit l’autorité parentale comme « un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant ».

Alors oui, nous allons permettre aux couples homosexuels d’adopter ! Oui, nous allons permettre à deux parents de même sexe d’exercer l’autorité parentale en commun ! Au-delà du désir de parentalité, l’exercice de cette autorité a pour finalité l’intérêt de l’enfant.

Le travail de notre rapporteur, Jean-Pierre Michel, et les auditions très larges qu’il a menées ont eu le mérite de mettre en lumière la nécessité absolue de bien traduire ce qu’on appelle aujourd’hui – et pour demain – « l’intérêt supérieur de l’enfant ». Cette nécessité devra nous guider lors de l’examen de la future loi sur la famille.

Les futurs mariés de même sexe pourront adopter conjointement, dans les mêmes conditions que les couples hétérosexuels. Aujourd’hui, une personne vivant avec un partenaire de même sexe doit adopter seule. Dans les faits, selon les départements, cette personne doit souvent dissimuler sa situation familiale afin d’obtenir l’agrément. Est-ce bien l’intérêt de l’enfant ?

Nous savons que les possibilités d’adoption seront assez restreintes du fait du nombre d’enfants adoptables, très inférieur à celui des demandeurs. L’adoption de l’enfant du conjoint sera sans doute le cas le plus fréquent. Les milliers d’enfants vivant déjà dans une famille homoparentale vont enfin voir leur situation reconnue et protégée.

Aujourd’hui, les parents de même sexe doivent utiliser des moyens subsidiaires pour exercer une autorité parentale commune, à travers les procédures de délégation et de délégation-partage, qui, toutes, dépendent de la décision du juge. Avec ces mécanismes de délégation subsiste donc une certaine insécurité juridique, notamment en cas de séparation du couple.

En cas de décès du parent légal, le parent social redevient, en droit, un étranger vis-à-vis de l’enfant. Est-ce bien l’avenir que nous souhaitons préparer à ces enfants ? La possibilité d’adopter l’enfant du conjoint va permettre d’apporter une solution juridique sécurisante à ces enfants dont la vie peut très rapidement basculer en cas de survenance d’un événement dramatique, tel qu’une séparation ou un décès.

Quant à la filiation, il faut rappeler, à ceux qui prétendent que l’on mentirait à un enfant en lui disant qu’il a été conçu par deux pères ou par deux mères, que l’adoption simple laisse la mention de la filiation d’origine sur l’acte de naissance de l’enfant et que, en cas d’adoption plénière, la référence du jugement d’adoption figure toujours sur cet acte de naissance. La nature adoptive de la filiation n’est pas cachée à l’enfant. La filiation ne repose donc pas sur un mensonge.

Le droit d’accès aux origines devra sans doute faire l’objet d’une évolution, mais nous avons d’ores et déjà rompu avec le modèle strictement procréatif, en permettant à une personne seule d’adopter de façon plénière, et donc de voir une filiation établie à l’égard d’un seul parent. On peut compter sur le bon sens des enfants pour que, très jeunes, ils voient clairement, grâce à leur environnement, qu’ils ne sont pas « nés » de deux hommes ou de deux femmes, pas plus que d’une femme seule, ce qui ne les empêchera pas de vivre à la fois le lien affectif et juridique.

Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Absolument !

Mme Catherine Tasca. Il est enfin une question que le texte, tel qu’il nous arrive de la première lecture à l’Assemblée nationale, traite précisément : c’est la question du patronyme. Nous y reviendrons au cours du débat. Ce n’est pas un sujet mineur, car, dans notre société, porter un nom différent de celui de sa mère ou de celui de sa fratrie peut être une vraie douleur pour l’enfant.

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Catherine Tasca. À toutes les questions posées par l’ouverture du mariage aux homosexuels, le projet de loi répond concrètement. C’est un texte qui met fin à une discrimination. C’est un texte de pacification de notre société qui connaît des mutations profondes. C’est donc un texte de progrès que le groupe socialiste soutient pleinement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet.

Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, inamovible, uniciste, moraliste, la vision que la société s’est longtemps faite de la famille a évolué pour laisser aujourd’hui place à une multitude de structures familiales, à une multitude de formes d’engagement, à une multitude de régimes protecteurs.

Oui, nous pouvons nous réjouir de constater que le regard que la société porte sur la famille a évolué ! Je ne reviendrai pas sur les différentes lois emblématiques qui ont accompagné ces évolutions.

Accompagner, le terme n’est pas choisi au hasard, car nous pouvons tous affirmer que, lorsque des évolutions sociales se sont fait jour, le législateur, poursuivant son rôle de protection de l’intérêt général, est simplement venu les accompagner et a parfois servi de guide sur le chemin de l’égalité.

Égalité, là aussi, le terme est approprié, et je dirai même : revendiqué. Mmes les ministres ainsi que ma collègue Cécile Cukierman ont développé ce point, je n’y reviendrai donc pas, si ce n’est pour interpeller, dans cet hémicycle, ceux qui s’opposent à l’ouverture du mariage aux couples homosexuels.

Mes chers collègues, comme l’a dit le rapporteur Jean-Pierre Michel, il n’existe aucune différence entre un couple homosexuel et un couple hétérosexuel, lorsqu’il s’agit de la reconnaissance sociale et législative de la légitimité de leur couple ; il n’existe aucune différence entre un couple homosexuel et un couple hétérosexuel, lorsqu’il s’agit de la protection d’un enfant par la reconnaissance juridique des liens qui l’unissent à ceux qui l’entourent.

Aussi, je m’étonne de voir les opposants à ce texte, invoquant la protection de la famille, brandir dans la rue le code civil ou des pancartes où nous pouvons lire : « Touche pas à mon code civil. » À ces opposants, je rappellerai qu’il n’existe pas de définition de la famille dans le code civil, mais seulement des régimes juridiques que le législateur a créés pour la protéger. Dès lors, si notre société reconnaît aujourd’hui les familles homoparentales, il devient du devoir de ce législateur d’apporter une réponse en droit à cette réalité sociale, pour faire bénéficier ces couples et ces enfants des droits que notre code civil offre et leur imposer les obligations que ce même code édicte.

Je m’étonne également que l’on nous oppose l’intérêt de l’enfant comme prétexte au rejet du texte. Je m’en étonne, car je pense que c’est justement et essentiellement cet intérêt qui guide le Gouvernement et la majorité de cet hémicycle aujourd’hui. L’intérêt de ces enfants commande qu’ils puissent bénéficier, comme les autres, de la protection de la loi. Or, actuellement, cette protection est fragilisée par le fait que l’un des deux parents n’a aucun lien juridique avec l’enfant qu’il élève pourtant.

Autre prétexte au rejet du texte, il faudrait, selon les opposants, instaurer une certaine primauté – pour ne pas dire exclusivité – de la filiation dite « biologique » sur la filiation dite « sociologique », ou une imitation de la vérité biologique plus précisément, puisque peu importe, en réalité, si les personnes qui exercent l’autorité parentale sont les véritables parents biologiques de l’enfant. On devine que, pour les opposants, seul compte le fait qu’ils sont censés avoir pu le concevoir ensemble ! Sur ce point, est-il besoin de rappeler que c’est justement dans l’intérêt de l’enfant que notre code civil reconnaît déjà que la parenté est le résultat d’une construction juridique issue d’un subtil dosage entre vérité biologique et vérité sociologique ?

En effet, je ne vous l’apprends pas, la parenté fondée sur la vérité sociologique est un concept qui figure déjà dans notre droit. Je pense, par exemple, à la possession d’état, qui recommande, dans l’intérêt de l’enfant, que les liens d’affection qui unissent le parent et l’enfant soient reconnus par le droit. Le code civil reconnaît donc parfois que la vérité biologique puisse être écartée au profit de la vérité sociologique, car l’intérêt de l’enfant plaide en faveur d’une protection des liens qu’elle tisse. Ainsi, cet argument n’est pas recevable : contester la légitimité de ce type de filiation aux parents homos, alors qu’il existe déjà pour les parents hétéros, ne peut être que discriminatoire.

Mes chers collègues, il est de notre responsabilité d’ouvrir le débat sur le désir de fonder une famille, de transmettre la vie. Il nous faut débattre pour répondre aux attentes, parfois aux souffrances morales et sociales, auxquelles enfants et parents sont confrontés. Les membres de notre groupe sont partagés sur ces questions. Il n’existe pas de famille modèle ni idéale et l’orientation sexuelle des individus n’est pas une garantie quant à la « qualité » des futurs parents. Si nous sommes tous ici soucieux du bien-être de nos enfants, c’est ailleurs que dans le choix sexuel de leurs parents qu’il nous faut rechercher les modalités de leur plein épanouissement.

Il nous faut débattre sans aucun préjugé. En disant cela, je pense notamment aux amendements plus que douteux déposés par certains de nos collègues et visant à introduire le principe de précaution lors de l’adoption de l’enfant par des couples homos. Nous devons débattre sans préjugés, disais-je, car, contrairement à une idée trop souvent répétée, aucune étude sérieuse n’est venue établir que le fait d’élever un enfant dans le cadre d’un foyer homoparental comporterait des risques particuliers au regard de l’évolution psychique ou sociale de l’enfant. Bien au contraire, l’une des rares enquêtes menée par la plus importante association de pédiatres et de pédopsychiatres des États-Unis a conclu au caractère neutre de l’orientation sexuelle du couple parental dans le développement et l’épanouissement de l’enfant.

Pour finir, je rappellerai que, si certains enfants souffrent parfois du regard extérieur, c’est parce que la législation actuelle ne les traite pas à égalité avec les autres enfants. Les enfants ont besoin d’avoir des parents de plein droit pour se sentir eux-mêmes enfants de plein droit. Il est donc enfin temps pour nous, aujourd’hui, de reconnaître le désir de parentalité de ces couples. Le reconnaître ne revient pas à assouvir une revendication égoïste d’un droit à l’enfant de la part de ces personnes, mais revient simplement à reconnaître cette volonté légitime de s’inscrire dans le monde commun de la transmission, cette volonté de donner à ces enfants des droits, aussi bien en matière de succession qu’en matière de sécurité affective. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.

M. Michel Mercier. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, je tiens avant tout à remercier M. le président de la commission des lois, M. le rapporteur et Mme la rapporteur pour avis de la qualité des travaux qu’ils ont dirigés au sein de notre assemblée. Toutes les opinions ont en effet pu s’exprimer. Le débat a eu lieu au Sénat, et c’est une très bonne chose.

Disposant de peu de temps, je vais me borner à quelques brèves remarques.

Des personnes de même sexe peuvent bien sûr s’aimer et, à ce titre, elles ont droit à notre respect. Elles peuvent donc nous demander d’organiser leur vie afin de bénéficier de plus de sécurité. Le Parlement joue pleinement son rôle quand il essaie de répondre à ces demandes. Le seul problème est de savoir si la réponse que vous nous proposez de leur apporter, madame la garde des sceaux, est bonne ou non. Je soutiens, quant à moi, que vous n’apportez pas la bonne réponse, pour le mariage comme pour l’adoption.

Vous invoquez le principe d’égalité pour justifier vos positions. C’est une vieille habitude française ! En 1793 – permettez-moi de faire à mon tour un historique –, Cambacérès, en présentant la première version du code civil qu’il avait rédigée, invoquait également le principe d’égalité.

M. Jacques Mézard. Il avait raison !

M. Michel Mercier. Or c’est dans son système que la femme était la plus soumise à l’homme. Je ne suis pas étonné que vous ayez approuvé, monsieur Mézard. (Sourires.)

Le mariage que l’on nous propose de modifier est celui qui figure dans le code civil rédigé par Portalis, ce n’est pas le mariage religieux, qui n’a rien à voir dans ce débat.

M. Jean-Michel Baylet. Vous êtes le porte-parole de Mgr Barbarin !

M. Michel Mercier. Je vous remercie, monsieur Baylet, de rappeler que je suis catholique. Sachez que je l’assume, ce qui me permet de réaffirmer que nous débattons non pas d’une question religieuse, mais d’un point qui fait l’objet d’un consensus culturel et anthropologique. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)

M. Gérard Larcher. C’est vrai !

M. François Rebsamen. Dites-le à Civitas !

M. Michel Mercier. Ce consensus n’a jamais été mieux exprimé que par Aragon, dans son poème de 1960 :

« Tout peut changer mais non l’homme et la femme

« Tout peut changer de sens et de nature

« Le bien le mal les lampes les voitures

« Même le ciel au-dessus des maisons

« Tout peut changer de rime et de raison

« Rien n’être plus ce qu’aujourd’hui nous sommes

« Tout peut changer mais non la femme et l’homme »

Or c’est ce consensus que le projet de loi remet en cause. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP. – Mme la ministre déléguée s’exclame.)

M. Michel Mercier. Madame la ministre, vous êtes peut-être gênée que je cite Aragon,…

M. Robert Hue. Aragon aurait voté le mariage pour tous !

M. Michel Mercier. … mais c’est l’un des plus grands poètes de ces dernières années. Rappelez-vous La Rose et le réséda.

M. Robert Hue. Je vous affirme qu’il n’aurait pas voté avec vous !

M. Michel Mercier. Monsieur Hue, nous n’en savons rien. D’ailleurs, je n’ai pas affirmé le contraire. J’ai simplement souligné qu’il avait décrit ce qu’était le consensus anthropologique – qui, selon vous, n’existerait plus – sur lequel notre société a bâti le mariage. Vous pouvez le remettre en cause, mais encore faut-il dire clairement par quoi vous voulez le remplacer.

Vous passez d’un statut, voulu par la Révolution française, voulu par le code civil, à un acte individuel, remettant ainsi en cause un élément fondateur de l’institution du mariage, je veux parler de l’altérité des sexes entre les époux.

Vous auriez pu apporter une autre réponse. En créant une union civile, par exemple, que notre collègue Patrice Gélard a évoquée. Vous auriez pu vous inspirer de la Rome royale et républicaine, qui connaissait deux mariages : l’un cum manu, l’autre sine manu. La seule différence portait sur la filiation et sur le mode d’entrée dans la famille. Cette solution aurait permis de conserver le mot « mariage », si ce terme magique est la marque de l’égalité. Pourtant, je crois très honnêtement qu’on ne peut parler d’égalité qu’entre des êtres semblables, sinon c’est l’altérité qui prévaut.

La question de l’adoption est plus grave.

Vous avez décidé – c’est une bonne chose – de ne pas toucher à l’article 310 du code civil, qui dispose que tous les enfants dont la filiation est légalement établie ont les mêmes droits et les mêmes devoirs dans leurs rapports avec leur père et mère.

Reste que vous proposez que les couples homosexuels puissent recourir à l’adoption plénière. Or l’adoption plénière conduit à créer un nouvel état civil pour ces enfants. Un état civil sur lequel il sera clairement inscrit : « né de deux parents du même sexe. » (M. Charles Revet s’esclaffe.) La Cour de cassation a rappelé que cela était contraire à un principe essentiel du droit français de la filiation. Surtout, cette disposition, qui nous fait passer du droit des enfants au droit à l’enfant, va conduire à constituer un état civil particulier pour les enfants adoptés par des couples homosexuels en faisant de l’orientation sexuelle de leurs parents un marqueur de leur identité.

M. Michel Mercier. Mais si, monsieur Rebsamen ! Au nom de l’égalité, vous allez probablement créer une très grande discrimination. C’est parce que je suis en désaccord avec l’adoption plénière que je ne pourrai pas voter ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. Robert Hue.

M. Robert Hue. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, l’histoire de la République est une promesse, celle de la marche vers l’égalité de tous les citoyens, sans distinction de quelque sorte. Car, comme le disait Montesquieu, « L’amour de la démocratie est celui de l’égalité » !

Madame la garde des sceaux, il est de l’honneur du Gouvernement de la République auquel vous appartenez de continuer à donner vie à cette belle promesse en soumettant au Parlement le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.

Ce texte vient traduire dans notre droit la proposition de campagne du candidat François Hollande. Comme des millions de Français, j’ai soutenu le candidat et cette proposition. (Exclamations sur plusieurs travées de l’UMP.)

Ce texte va enfin concrétiser, pour des milliers de couples et de familles, un principe d’égalité de traitement et de considération, la reconnaissance d’un statut juridique identique, sans distinction portant sur des aspects ne relevant que de la vie privée.

Cette évolution vient de loin. Je me réjouis que l’histoire aille dans le sens d’un élargissement continu des droits, en permettant l’inclusion des citoyens.

Curieux paradoxe – au demeurant déjà souligné – que de constater que ceux qui étaient, hier, au nom de la défense de la famille, les adversaires acharnés du PACS – je m’en souviens, j’étais parmi les députés qui l’ont voté à l’Assemblée nationale –, s’en fassent aujourd’hui les chantres zélés, allant jusqu’à proposer une union civile qui n’est, en réalité, qu’une version améliorée du PACS, sans permettre la même protection.

En quinze ans à peine, l’évolution des mentalités – c’est heureux ! – a conduit à banaliser les PACS contractés entre personnes de même sexe. Nul ne songe aujourd’hui à revenir dessus, nous l’avons dit. Or les Français sont aujourd’hui largement favorables au mariage entre personnes de même sexe…