compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Pierre Bel

Secrétaires :

M. Jacques Gillot,

Mme Odette Herviaux.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures dix.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Communication relative à une demande de scrutin solennel

M. le président. Monsieur le président Zocchetto, vous avez exprimé le souhait, en préambule à notre débat, que le vote sur l’ensemble du projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe fasse l’objet d’un « scrutin solennel », organisé le mardi 16 avril prochain.

Je vous rappelle que le recours à cette modalité de vote ne peut être décidé qu’en conférence des présidents…

M. Charles Revet. Et la prochaine se réunit le 17 avril !

M. le président. … et qu’aucune demande en ce sens n’a été formulée lors de la conférence qui a fixé les conditions d’examen du projet de loi.

J’ai néanmoins pris en considération votre demande (Ah ! sur plusieurs travées de l’UMP.) et, comme je m’y étais engagé publiquement ici même devant vous, j’ai consulté les présidents des autres groupes pour recueillir leur avis sur l’opportunité de réunir la conférence des présidents.

De ces consultations, il ressort que les autres groupes ne formulent pas la même demande car ils ne souhaitent pas modifier l’organisation des débats et des votes telle qu’elle a été arrêtée le 20 mars dernier.

Dans ces conditions, monsieur le président Zocchetto, je ne crois pas nécessaire de réunir la conférence des présidents.

M. Bruno Sido. C’est dommage !

M. François Rebsamen. C’était bien tenté… mais un peu tardif !

Mme Laurence Rossignol. Un peu tardif, en effet !

3

Motion référendaire sur le projet de loi relatif au mariage pour couples de personnes de même sexe

M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen de la motion (n° 482, 2012-2013) de M. Bruno Retailleau et plusieurs de ses collègues tendant à proposer au Président de la République de soumettre au référendum le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (n° 349, 2012-2013).

La parole est à M. Bruno Retailleau, premier auteur de la motion. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – MM. François Zocchetto et Hervé Maurey applaudissent également.)

M. Bruno Retailleau, premier auteur de la motion. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, avant de soutenir cette motion référendaire au nom de mon groupe, que je remercie, je veux commencer par rendre hommage à la clarté et à la franchise des propos de Mme la garde des sceaux.

Sur ce projet de loi, nous avons peu de points d’accord. Néanmoins, madame la garde des sceaux, nous en avons un, qui est essentiel : nous considérons comme vous que l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe est, comme vous l’avez si bien indiqué, une vraie « réforme de civilisation ». Et c’est aussi parce qu’il existe un consensus entre nous sur ce point que nous allons, au final, nous opposer, dans toute la force de nos convictions – et ni les vôtres ni les nôtres ne sont tièdes !

Nous partageons l’idée que ce texte opère un basculement. Cependant, quand vous soutenez que c’est un progrès, nous pensons que c’est un recul (Oui ! sur les travées de l’UMP.), et même un double recul : un recul pour la République, un recul pour la société.

Il s'agit d'abord d’un recul pour la République puisque votre réforme, madame la garde des sceaux, s’appuie sur une conception biaisée non seulement de la loi, mais aussi de l’égalité.

C’est d'ailleurs au nom de l’égalité républicaine que vous nous présentez ce texte. Mais quelle est la définition de cette égalité ? L’égalité républicaine, c’est celle qui consiste à traiter de la même façon des situations identiques. Or, un couple composé de deux personnes de même sexe, ce n’est pas la même chose qu’un couple composé de personnes de sexe différent ! Au demeurant, ce n’est pas moi qui l’affirme : c’est ce qui résulte d’une décision importante rendue par le Conseil constitutionnel en janvier 2011. Du reste, ce point fait l’objet d’une jurisprudence constante, de la part tant du Conseil constitutionnel que des juridictions des deux ordres français.

Madame la garde des sceaux, c’est aussi au nom de l’égalité que vous vous exprimez lorsque vous prétendez que, loin de retirer un droit à quiconque, le texte élargira à tous un droit d'ores et déjà existant. Cette affirmation est rigoureusement fausse parce que, avec cette réforme, vous allez tarir un peu plus la source de l’adoption pour tous les couples, y compris hétérosexuels. Surtout, vous allez priver des enfants de connaître leurs origines, leur père et leur mère. Vous allez donc, au nom de l’égalité pour les adultes, créer une discrimination entre enfants.

Au-delà de l’égalité, c’est aussi la conception de la loi qui est en jeu.

Je pense que la source du droit républicain n’est ni le sentiment ni, à l’inverse, et à plus forte raison d'ailleurs, le rapport de forces.

Pour ce qui concerne le sentiment, j’ai souvent entendu que l’amour justifiait le droit au mariage et constituait un passeport suffisant pour y accéder.

L’amour, c’est le plus grand et le plus beau de tous les sentiments ; nous nous accordons aussi sur ce point. Mais l’amour est de l’ordre de l’intime, de la sphère privée. En quoi la loi donnerait-elle un statut public à une relation affective, aussi noble, aussi digne soit-elle ? Au nom de quoi la République se mêlerait-elle de ce qui ne la regarde pas ?

Et quand la République, à travers l’officier de l’état civil qu’est le maire, s’intéresse au mariage, c’est pour jouer le rôle du tiers qui constate l’existence d’une coïncidence entre l’intérêt particulier d’un couple et l’intérêt général, à savoir le renouvellement des générations et la transmission des patrimoines matériel et immatériel de la Nation. Il est important de rappeler que la République ne fait alors que se mêler de ce qui la regarde.

À l’inverse, la loi n’est pas non plus l’expression d’un rapport de forces.

Monsieur le rapporteur, au cours des auditions, vous avez indiqué que « ce qui est juste, c’est ce que dit la loi » et que celle-ci « se réfère à un rapport de forces à un moment donné ». Mais, sur ce texte, quelle est la loi du plus fort ? Où est le rapport de forces ? Est-ce le droit des adultes contre le droit des enfants ?

Mes chers collègues, les grands perdants de cette réforme, ce seront les enfants ! (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.)

M. Charles Revet. C’est à eux qu’il faut penser !

M. Bruno Retailleau. Ce sont en effet des sans-voix, car ils ne disposent pas de relais dans les médias.

Et si, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégieons, nous acceptions que la loi ne soit que l’expression d’un rapport de forces, que ferions-nous ici ? Sommes-nous convoqués pour n’être que des greffiers qui doivent enregistrer de façon automatique des revendications catégorielles au profit des groupes les plus influents ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP.) Si notre boussole n’est autre que celles des désirs et des volontés individuelles, où se trouve alors l’intérêt général ? Comment, et avec quels concepts, limitera-t-on les caprices, les désirs et les volontés individuels ?

Non, je ne crois pas à la République du désir, je crois à la République des droits, à la République des devoirs. Je pense que la République n’est pas un self-service normatif, auprès duquel chacun viendrait quémander la reconnaissance de son droit ou la satisfaction de sa demande personnelle.

Cette réforme n’est pas un progrès pour le droit républicain, pas plus qu’elle ne l’est pour la société, voire pour la civilisation. En effet, vous avez parlé, madame la ministre, de « réforme de civilisation », Erwann Binet, rapporteur sur le texte à l’Assemblée nationale, évoquant pour sa part une « révolution anthropologique ».

Certes, cela fait bien longtemps que nous vivons dans un monde qui est – et il le restera – marqué par la différence irréductible et la complémentarité qui caractérisent la figure masculine et la figure féminine. C’est à partir de cette réalité que les sociétés, quelle que soit leur culture – et leur religion, d’ailleurs –, se sont organisées. Elles se sont organisées non pas pour obéir et se soumettre à la nature, mais pour tenir compte de cette donnée objective, parce que c’était le cadre le plus harmonieux pour leur développement, et aussi le plus universel. En effet, tout homme, quelles que soient sa culture, sa couleur de peau, sa religion, est issu d'un homme et d'une femme.

C’est aussi cette dimension universelle que porte en son cœur l’institution – il ne s’agit en effet pas que d’un contrat – du mariage. Je voudrais rappeler à ce stade les mots très justes qu’avait eus, en 2004, l’ancien premier ministre Lionel Jospin : « Le mariage est, dans son principe et comme institution, “l'union d'un homme et d'une femme”. Cette définition n’est pas due au hasard. Elle renvoie, non pas d’abord à une inclinaison sexuelle, mais à la dualité des sexes qui caractérise notre existence et qui est la condition de la procréation et donc de la continuation de l'humanité ». Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Lionel Jospin ! (Applaudissements sur certaines travées de l'UMP.)

En remettant en cause cette définition du mariage, madame la ministre, vous préparez – je vous le dis très sincèrement – un bouleversement profond de la société, avec deux conséquences majeures.

La première concerne la filiation. De nombreux pédopsychiatres nous mettent en garde…

Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Pas tous !

M. Bruno Retailleau. … parce que « l’homme n’est pas une mère comme une autre », et inversement.

Mme Cécile Cukierman. Personne ne dit le contraire !

M. Bruno Retailleau. Je citerai ici – c’est le fait du hasard – Sylviane Agacinsky : « La paternité ne sera jamais l'équivalent masculin de la maternité ». (M. Gérard Larcher acquiesce.) C’est une évidence qu’il faut rappeler, mais au cœur de laquelle il y a la construction psychologique des enfants. (Mme Esther Benbassa s’exclame.) Je suis sûr que vous la gardez, de même, à l’esprit. Au moment où nous discutons de ce texte, c’est le fil rouge qui doit nous guider. En effet, au nom de quelle modernité projetterait-on ces enfants dans une origine impossible ? Impossible, parce qu’impensable, et impensable, parce que ces enfants-là, plus que d’autres, ont besoin de fantasmer la scène originelle de l’engendrement !

M. Roland du Luart. Tout à fait !

M. Bruno Retailleau. Il se peut qu’un jour, dans de nombreuses années, ces enfants-là nous le reprochent. Un jour, peut-être, en souffriront-ils.

La seconde conséquence, madame la ministre, c'est l’engrenage, le processus, que vous mettez en place. Ce texte est un cheval de Troie, et vous ne devez pas mentir aux Français sur ce point : aujourd'hui, le mariage et l’adoption ; demain, la procréation médicalement assistée, ou PMA, et la gestation pour autrui, ou GPA ! (Bien sûr ! sur les travées de l’UMP.) La PMA se pratique déjà aujourd'hui à l’étranger, et même en France, dans des conditions artisanales – consultez les médecins, les obstétriciens –…

M. Roland du Luart. Tout à fait !

M. Bruno Retailleau. … et aussi virtuellement, potentiellement, sur un plan juridique, avec la Cour européenne des droits de l’homme, ou CEDH, qui tolère parfaitement des régimes différents à condition que les statuts de couple soient différents.

Mais, dès lors que vous autoriserez le mariage pour les couples de même sexe, vous ne pourrez, d’après la CEDH, réserver de différences de traitement dans l'exercice du droit de procréer en ayant recours à la PMA.

En votant ce texte, le bras est pris dans l’engrenage qui nous conduira demain à la PMA et après-demain, bien entendu, à la gestation pour autrui. (Applaudissements sur certaines travées de l'UMP.)

M. Gérard Larcher. Bien sûr !

M. Bruno Retailleau. J’entends déjà les objections – elles sont d’ailleurs sincères et viennent sans doute aussi du cœur – de tous ceux qui nous diront qu’il n’y a ni PMA ni GPA dans ce texte. (Mme Marie-Hélène Des Esgaulx s’exclame.) Mais en réalité, tout va se passer comme pour le PACS, voilà un peu plus de dix ans, dont on nous promettait qu’il serait une étape ultime !

Mme Cécile Cukierman. Certains, qui le décriaient à l’époque, s’en félicitent aujourd'hui !

M. Bruno Retailleau. Souvenez-vous de la déclaration d'Élisabeth Guigou ! Souvenez-vous, monsieur le rapporteur, de votre propre déclaration ! À l’époque, les mêmes qui, aujourd'hui, disent « jamais » trouveront à l’évidence les meilleurs arguments pour tout justifier au nom de l'égalité, de la générosité – parce que cela se fait dans d’autres pays… – et du progrès.

Voilà où peut vous conduire cette ambition prométhéenne, cette toute-puissance juridique que vous voulez faire adopter par ce texte. Et je pense que, au bout de ce texte, il peut y avoir un risque, un précipice, celui de la fabrique d'enfants.

C'est la raison pour laquelle vous avez le devoir de consulter les Français. Non seulement vous en avez le devoir, mais vous en avez aussi la possibilité juridique, et je voudrais m’attarder quelques instants sur ce point.

Le recours au référendum est ici parfaitement conforme à l'esprit de la Ve République ainsi qu’à la lettre de la Constitution.

L’esprit de la Ve République est bien entendu respecté puisque, d’après l’article 3 de la Constitution : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Et l’article 2 mentionne que le principe de la République est le « gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ».

Le peuple a donc la plénitude – et j’insiste sur ce dernier mot – de la souveraineté démocratique. Il n'y a pas de domaine qui puisse échapper au droit souverain du peuple d’en décider par lui-même. On ne peut bâillonner le peuple ! On ne peut pas limiter le peuple !

Mme Cécile Cukierman. Et qu’avez-vous fait pendant dix ans ?

M. Bruno Retailleau. Du reste, depuis quand le mandataire aurait-il une compétence plus large que son mandant ? Cela ne tient pas.

Conforme à l’esprit de la Ve République, le référendum est tout aussi conforme à la lettre de la Constitution.

Je connais le prétexte, habile et fallacieux, que vous avez trouvé pour nous objecter un faux-semblant d’argument juridique : nous nous trouverions dans le champ du « sociétal » plutôt que dans celui du « social », et le sociétal n’est pas prévu par l'article 11 de la Constitution, celui qui traite du référendum.

C’est un argument facile ! Mais c’est aussi un argument admirablement artificiel, et je vous en donnerai quelques raisons.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Pourtant, le Conseil constitutionnel l’a dit alors que M. Jacques Toubon était garde des sceaux !

M. Bruno Retailleau. Monsieur le président de la commission des lois, M. Toubon ne siège pas au Conseil constitutionnel !

Le premier argument est tiré de la Constitution qui proclame la langue française, langue de la République. Or quelle définition l'Académie Française donne-t-elle du mot : « social » ? Je cite : « qui concerne la société ». Et qu’indique le dictionnaire, par exemple le Petit Robert,…

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Pourquoi ne prenez-vous pas le Grand Robert ?

M. Bruno Retailleau. … pour la définition du « sociétal « ? Deux mots : « de la société ».

Mes chers collègues, lorsque l’on remonte aux sources de la signification, les deux définitions se répondent en écho, car « sociétal » est un néologisme qui ne signifie rien d'autre que « social » ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Ce raisonnement est complètement spécieux ! Personne ne peut croire à cet argument ! Et l’on voit que vous n’y croyez pas…

M. Bruno Retailleau. D’ailleurs, comment se lisent les effets de la réforme, sinon en termes d’impacts sociaux ? L’étude d’impact – le doyen Gélard en a parlé hier et d’autres auront l’occasion d’y revenir –, très lacunaire, ne recense guère que des effets sociaux – et non pas sociétaux – qui ont une incidence sur le code de l’action sociale et des familles, le code de la sécurité sociale, les droits sociaux parmi lesquels la retraite, les prestations familiales, la santé, etc.

Dans ce texte figure bien l’adoption, qui est une compétence des conseils généraux. Et pourquoi est-ce l’une des compétences des conseils généraux ? Parce que le cœur de métier de ces derniers est assurément la compétence sociale ! Et vous voudriez nous faire croire qu’il n’est ici question que de « sociétal », et pas de « social », et ce alors même que ce texte prétend d’abord fonder ce qui pourrait être un autre ordre social ?

M. François Rebsamen. Celui de l’égalité !

M. Jean-Michel Baylet. Et de l’humanité !

M. Bruno Retailleau. Mais il y a mieux pour interpréter le mot « social », c’est la Constitution de 1958 elle-même, dont le préambule renvoie à celui de la constitution de 1946 qui énonce : « Le peuple français […] proclame […] comme particulièrement nécessaires à notre temps, les principes politiques, économiques et sociaux ci-après : ».

Que sont ces fameux principes sociaux ? Au dixième alinéa de ce préambule, je lis : « La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. » Il découle donc du préambule de la constitution de 1946 que le social recouvre, englobe et concerne bien le droit de la famille. C'est une évidence. Et vous voudriez nous faire croire que ce texte ne concerne ni la famille, ni l’adoption, ni le social ? Eh bien, constitutionnellement, c’est faux !

J’en arrive aux articles 69 et 70 de la Constitution, qui concernent le Conseil économique, social et environnemental. Ce conseil est sorti de l’anonymat…

M. Jean-Pierre Sueur. Voilà qui est très sympathique pour cette assemblée !

M. Bruno Retailleau. … pour refuser la première pétition constitutionnelle de l’histoire de la Ve République, qui a tout de même réuni 720 000 signatures…

Ce conseil qui est « social », comme l’indique sa dénomination, n’intègre pas moins de dix associations familiales dans sa représentation. Pour échapper à cette saisine, il s’est autosaisi sur un thème intéressant : « les évolutions contemporaines de la famille et leurs conséquences en matière de politiques publiques ».

Or, si le CESE s’estime compétent pour les questions familiales, alors que le terme « social » figure dans sa dénomination, c’est bien que la famille renvoie au social, et que vous ne pouvez vous cacher derrière le « sociétal » sauf à considérer qu’il s’agit d’un faux argument pour ne pas avoir à donner la parole au peuple.

Pourtant, le Président de la République devrait y réfléchir à deux fois.

M. Bruno Retailleau. En effet, seule une loi référendaire, si elle était votée, lui permettrait de surmonter deux obstacles majeurs.

Le premier obstacle, dont nous avons parlé hier, tient à l'article 55 de notre Constitution qui confère aux traités ou accords internationaux une autorité supérieure à celle de la loi ordinaire. Comment allez-vous vous y prendre avec les innombrables conventions et accords bilatéraux ou multilatéraux qui traitent justement de la filiation ou du mariage ? Vous connaissez comme moi, madame la garde des sceaux, la jurisprudence de la Cour internationale de justice. Vous savez aussi quelle interprétation on donne à l’article de la convention de Vienne qui concerne l'interprétation des traités, quelle est l’importance du sens des mots ! Les choses sont claires, et je pense qu’il s’agit ici de l’une des difficultés majeures présentées par le texte.

L'autre difficulté est l’inconstitutionnalité de ce texte. Jean-Jacques Hyest, notamment, y reviendra tout à l’heure. Selon moi, cette réforme fait violence à notre identité constitutionnelle, et plus particulièrement à ce que les juristes appellent « les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ». Je pense, avec beaucoup d’autres juristes, que le mariage et la filiation en font partie. C’est tout particulièrement le cas pour la filiation, car il existe un lien indissociable entre sa définition et le régime de protection que le législateur, au-delà de notre République, a toujours tenu à lui apporter.

Vous le voyez, les arguments juridiques ne manquent pas ; mais, au bout du compte, l’affaire est politique puisque c’est au Président de la République d’en décider, et l’on sait depuis 1962 qu’il n’aura aucun contrôle, pas même celui du Conseil constitutionnel qui se refuse à examiner la constitutionnalité des lois adoptées par référendum.

Cette question est évidemment de nature politique, car elle concerne les Français d'aujourd'hui et de demain, les nouvelles générations... On ne saurait remettre en cause notre pacte social avec une simple loi ordinaire, au gré d’une majorité parlementaire nécessairement éphémère au regard des générations successives.

Si François Hollande, en s'exprimant au Congrès des maires, a parlé de « liberté de conscience », c'est bien que les circonstances sont d’une gravité exceptionnelle, bien plus qu’avec le cumul des mandats,…

Mme Cécile Cukierman. Il ne faut pas tout mélanger !

M. Bruno Retailleau. … sujet que le premier secrétaire du Parti socialiste, M. Harlem Désir – personnage considérable puisqu’il a succédé à François Hollande –, voudrait pourtant porter devant les Français pour qu’ils en décident par la voie du référendum.

Les Alsaciens sont d'ailleurs appelés à se prononcer dimanche prochain par référendum sur la création d’une collectivité unique qui, je l’espère, verra le jour. Pourquoi organiser un référendum sur ces questions et pas sur le pacte social ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – MM. François Zocchetto et Hervé Maurey applaudissent également.)

Avec le référendum, mes chers collègues, vous avez une occasion unique de donner la preuve que le peuple compte pour vous : un peuple qui ne comprend pas que vous vouliez la parité partout sauf là où elle est indispensable (Exclamations sur les travées de l'UMP.) ; un peuple et des élus qui ne comprennent pas que l’on brandisse à tout bout de champ le principe de précaution…

Mme Cécile Cukierman. Il ne faut pas tout mélanger !

M. Bruno Retailleau. … pour des sous-espèces protégées de tritons, par exemple, mais que l’on abandonne toute prudence lorsque des pédopsychiatres nous mettent en garde ; un peuple que vous ne voulez pas entendre quand il défile par centaines de milliers dans la rue !

M. François Rebsamen. Là, c’est limite…

M. Bruno Retailleau. M. Hollande devrait se souvenir de l’anaphore : « Moi, Président de la République, je ne diviserai pas les Français ! »

Mme Cécile Cukierman. Justement, on les rassemble avec ce texte !

M. Bruno Retailleau. Il a une occasion de les réconcilier par le référendum. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.) Vous avez une occasion de montrer que le socialisme n’est pas devenu qu’un néolibéralisme libertaire, comme le dit Laurent Bouvet dans son excellent livre Le Sens du peuple : La gauche, la démocratie, le populisme.

M. François Rebsamen. Nous ne sommes pas d’accord avec lui !

M. Bruno Retailleau. Il n’est pas trop tard : revenez au peuple, revenez à la réalité, revenez aux sources de la République et de la démocratie !

M. Bruno Retailleau. Organisez ce référendum, monsieur le Président de la République ! Oui, Mme la garde des sceaux a raison, il s’agit bien d’une réforme de civilisation,…

M. Bruno Retailleau. … et on ne change pas subrepticement de civilisation par une loi ordinaire, au gré des majorités parlementaires passagères ! (Mmes et MM. les sénateurs de l’UMP se lèvent et applaudissent longuement. – Les membres de l'UDI-UC applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, je m’en tiendrai à des propos plus juridiques que lyriques. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)

M. Bruno Sido. Mauvais joueur !

M. Gérard Longuet. À l’impossible, nul n’est tenu !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. La commission des lois s’est réunie ce matin à neuf heures trente et s’en est remis, sur cette motion, à la sagesse du Sénat. Toutefois, à titre personnel, je vous invite à la rejeter, pour des raisons de fond et de forme.

Sur le fond – et vous le savez tous aussi bien que moi –, les questions sur lesquelles portent le projet de loi n’entrent pas dans le champ de l’article 11 de la Constitution. (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Gérard Larcher. M. Retailleau a démontré le contraire !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Pas du tout !

Il ne s’agit pas de procéder par affirmation et par tautologie pour répondre aux questions constitutionnelles !

Le champ du référendum a été étendu en 1995, et il était bien clair dans l’esprit des constituants et du garde des sceaux de l’époque que celui-ci n’englobait pas ce que l’on appelle les problèmes de société. La Constitution a d'ailleurs été modifiée ultérieurement, notamment en 2008, sur proposition du précédent président de la République. Vous avez voté en faveur de cette modification, contrairement à nous. Vous avez alors voté l’extension du champ de l’article 11 aux réformes relatives à la politique environnementale.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. À une large majorité !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Mais pourquoi n’avez-vous pas englobé les réformes de société ? (Vives protestations sur les travées de l'UMP.)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Cela y était déjà !

M. Jean-Pierre Michel. Madame Des Esgaulx, ne soyez pas de mauvaise foi !

M. Bruno Sido. C’est vous qui êtes de mauvaise fois ! C’est incroyable !

M. Charles Revet. Vous ne voulez pas entendre raison !

M. François-Noël Buffet. C’est le texte !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. … alors que le problème s’était déjà posé lors de la réforme de l’école et que, à ce moment-là, il avait clairement été dit que le recours au référendum n’était pas possible ?

Un sénateur du groupe UMP. Pinocchio !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. La question n’a pas été soulevée pour des réformes importantes comme la filiation, l’avortement, etc., mais elle l’avait été dans le passé. En 2008, lorsque vous avez étendu le champ de l’article 11 aux réformes relatives à la politique environnementale, pourquoi ne pas avoir ajouté tout simplement : « et aux réformes de société » ?