compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Pierre Bel

Secrétaires :

M. Jean Desessard,

M. Alain Dufaut.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Intitulé du projet de loi (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe

Suite de la discussion et adoption d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (projet n° 349, texte de la commission n° 438, rapport n° 437, avis n° 435).

Nous avons achevé la discussion des articles et nous en sommes parvenus aux explications de vote sur l’ensemble du projet de loi.

Vote sur l'ensemble

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. François Zocchetto, pour explication de vote.

M. François Zocchetto. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, dans la solitude de son palais élyséen, le Président de la République va pouvoir cocher une petite case, la case « Mariage homosexuel » que nous avons qualifié de « Mariage et adoption pour les couples homosexuels ».

Certes, M. Hollande aura au moins une petite satisfaction à l’issue d’une année au pouvoir, mais ce sera la seule, puisqu’il ne cochera pas les autres cases – « J’inverserai la courbe du chômage » ; « Je ferai la guerre à la finance » ; « J’assurerai la sécurité des Français » –, qui risquent d’être oubliées pour longtemps.

Quel est le prix, pour les Français, de cette satisfaction présidentielle ?

C’est tout d’abord un texte bâclé.

Plutôt que de réécrire le code civil à l’aune de l’évolution des couples et des familles, vous avez préféré bricoler un dispositif construit à une autre époque et qui formait un tout.

Vous auriez dû admettre que le système de 1804 ne pouvait, en l’état, répondre à votre souhait, qui est aussi le nôtre, d’assurer aux couples homosexuels considération légitime et droits égaux auxquels ils peuvent légitimement prétendre.

Nous quitterons donc cet hémicycle avec un texte juridiquement fragile qui, je l’espère, fera l’objet d’un examen attentif par le Conseil constitutionnel.

Nous avons formulé des propositions pour vous permettre de sortir de l’impasse dans laquelle vous vous étiez mis en voulant ajouter ce mariage des couples de personnes homosexuelles à ce qui emportait, de par notre code civil, la filiation et l’adoption.

Nous vous avons suggéré l’union civile pour tous, mais là aussi, comme vous l’avez décidé par exemple pour le statut du beau-parent, nous nous sommes heurtés à un mur : au-delà des apparences, il n’y a pas eu débat.

Il n’est d’ailleurs pas étonnant que vous refusiez de débattre dans l’enceinte du Parlement puisque vous n’acceptez même pas d’entendre la population, d’organiser un référendum sur des questions sémantiques ou de recevoir ceux qui représentent plusieurs millions de nos concitoyens.

Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Vous ne pouvez pas dire cela !

M. François Zocchetto. Au Sénat, pendant une semaine, nous avons bien compris que nous étions seuls pour parler. Où étaient nos collègues de la majorité dans ce débat ? (Là ! sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

Souvent, ils étaient absents physiquement. (Non ! sur les mêmes travées.) Oui, ils étaient retenus en commission. (Présent ! sur plusieurs travées du groupe socialiste.) Oui, ils étaient pris par d’autres tâches. (Protestations sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.) Ils étaient absents, comme en ont témoigné les scrutins publics successifs.

Mais les sénateurs de la majorité étaient aussi absents par leurs prises de position, et le contraste est frappant avec nous, sénateurs de l’opposition, qui nous sommes exprimés spontanément selon nos divers moyens oratoires, toujours avec passion et conviction.

En face de nous, nous n’avons rien entendu, sinon des invectives ou des interruptions qui n’avaient pas leur place dans le débat.

Au-delà des apparences et de vos grandes qualités d’expression, madame la garde des sceaux, nous avons vraiment eu le sentiment – et je le dis avec le respect qui vous est dû – que vous avez contourné les opinions émises de notre côté.

M. Bertrand Auban. Charmant…

M. François Zocchetto. Tel est le contexte dans lequel ce texte va être adopté.

Les conséquences directes seront les suivantes : cette semaine, dans de grands hôtels parisiens, des laboratoires proposeront leurs services à ceux qui souhaitent, leur disent-ils, s’offrir un enfant parfait. (Protestations sur les travées du groupe écologiste.)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Évidemment ! C’est parti !

M. François Zocchetto. Ils rodent déjà sous nos fenêtres.

Voilà concrètement à quoi aboutira ce texte, alors même qu’il n’est pas encore promulgué.

Dans ces circonstances, nous sommes très amers. Soyez bien conscients, mesdames, messieurs les sénateurs qui siégez sur les travées de gauche de cet hémicycle, qu’une majorité de la population partage notre sentiment,…

M. Richard Yung. Croyez-le !

M. François Zocchetto. … car ce qui nous sépare, ce n’est pas l’union des couples de personnes homosexuelles, ce sont les questions de filiation et d’adoption.

Madame la garde des sceaux, à l’issue de cette discussion, vous repartirez du Sénat avec un texte qui est exclusivement le vôtre, puisque ni la représentation nationale ni la population n’ont pu participer à son élaboration et se l’approprier.

Il s’agit, je le répète, d’un texte fragile. Vous laissez une France profondément divisée ; elle n’en avait pas besoin… Vous laissez de futures familles désemparées et des enfants oubliés.

Vous comprendrez que, dans ces circonstances, nous voterons résolument contre ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, madame la rapporteur pour avis, mes chers collègues, permettez-moi, pour cette explication de vote, de ne pas reprendre ici les arguments déjà développés par beaucoup en faveur de l’adoption de ce projet de loi.

Permettez-moi de ne pas céder non plus, en cet instant si solennel, aux séductions de la polémique, et de ne pas répondre une énième fois aux arguments du camp adverse. (Protestations sur les travées de l'UMP.)

Mme Isabelle Debré. « Camp » ? Ce n’est pas gentil !

Mme Esther Benbassa. Je souhaite seulement donner à mon intervention un peu de chair, d’esprit, un peu de cette simple humanité qui a parfois manqué à nos débats, et vous raconter une histoire.

Voilà trente ans, au début des années quatre-vingt donc, alors professeur dans l’enseignement secondaire, j’ai rencontré, dans le fonds d’archives où je préparais ma thèse d’État, un jeune doctorant américain. Par le plus pur des hasards, nous travaillions sur des sujets connexes et exploitions souvent les mêmes sources. Ce jeune homme avait l’aisance et le brio de ces étudiants des grandes universités de la côte Est. Je l’enviais un peu, bien sûr.

M. Christian Cambon. C’est passionnant !

Mme Esther Benbassa. À force de travailler côte à côte, nous finîmes par devenir amis.

Un soir d’hiver, après une longue après-midi passée en bibliothèque, sortant tous deux du métro Châtelet (Exclamations sur les travées de l'UMP.), voilà qu’il me prend par la manche et me fait entrer, presque de force, dans le premier bistrot qu’il trouve (Oh ! sur les travées de l'UMP.),…

Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Et alors ?...

Mme Esther Benbassa. … pour me dire quelque chose… pour me dire qu’il est gay et pour me dire sa peur panique que cet aveu ne mette brutalement fin à notre déjà riche amitié. Je n’oublierai jamais son émotion et aussi quelque chose qui ressemblait, chez lui, à de la honte. Je n’oublierai jamais l’expression sombre, anxieuse de son visage.

Je suis peu perméable aux préjugés. Ce n’est pas de la vertu, c’est le fruit, plutôt, d’une histoire. Je fus donc stupéfaite, non de l’aveu, mais de l’angoisse profonde qui s’exprimait avec lui. Ma réponse fut simple, sans doute naïve – j’étais jeune. Je ne comprenais tout bonnement pas pourquoi il se mettait dans un tel état. Son homosexualité ne me gênait pas. Je le prenais et l’aimais tel qu’il était. Il me raconta alors sa vie en parallèle, les humiliations au quotidien, sa peur que d’autres n’apprennent son secret.

Nous sommes restés amis, bien sûr. Aujourd’hui, l’étudiant d’hier, devenu un éminent professeur, assume son identité en toute simplicité, ainsi que son couple. Quand je prononçais ici même mon intervention lors de la discussion générale, c’est à lui que je pensais, à son visage d’alors, tourmenté par l’aveu. Mon émotion, si vous l’avez perçue, c’est de là qu’elle venait, pas de la perspective des débats qui s’annonçaient. Lui me suivait des États-Unis par vidéo interposée. Nous étions fiers, je crois, l’un de l’autre.

C’est donc pour lui, et parce qu’il m’a tant appris, c’est pour tous ces gays et toutes ces lesbiennes qui ont, à un moment de leur vie, tant souffert de ne pouvoir simplement dire leur homosexualité, c’est pour tous ceux et toutes celles qui n’exigent que la banalisation de leur condition, qui n’exigent que l’égalité, et donc la possibilité de se marier et de fonder une famille, c’est pour eux, pour elles, et pour la grandeur de notre démocratie que je voterai, avec le groupe écologiste unanime, ce beau projet de loi, et que je continuerai à me battre.

Pardonnez, chers collègues, la tonalité inédite de cette explication de vote. Vous savez bien que je n’en suis pas à mon premier péché sénatorial. J’assume celui-là comme les autres. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Darniche.

M. Philippe Darniche. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, notre débat a encore une fois montré le mur idéologique contre lequel nous avons buté. Vos silences révélateurs d’une consigne de vote et non de l’expression personnelle ont révélé les difficultés dans lesquelles vous vous trouviez.

Mesdames, messieurs les sénateurs de la majorité, nous n’avons pas la même conception de la liberté, car nous avons la liberté de vote, nous voulons l’objection de conscience pour les maires, nous pensons que la liberté n’ouvre pas la porte à toutes les exigences communautaristes. La liberté n’est pas d’avoir l’enfant que l’on veut, comme l’on veut, quand on veut. La procréation médicalement assistée, ou PMA, de convenance et la gestation pour autrui, ou GPA, ce n’est pas notre manière de concevoir la liberté.

Nous n’avons pas la même conception de l’égalité, car, pour nous, ne peuvent être traitées de manière égale des situations analogues. Or, nous l’avons expliqué, la nature fait que seule l’union d’un homme et d’une femme engendre la procréation.

Nous n’avons pas la même conception de la fraternité, car nous aimons la vie et pensons que la première des charités est d’offrir à un enfant un père et une mère, de lui offrir la vérité sur ses origines, sur l’altérité sexuelle qui est complémentaire. Tout comme ma main droite n’est pas ma main gauche, jamais l’homme ne sera la femme, jamais la femme ne sera l’homme. Nous ne laisserons pas l’idéologie du genre balayer tous nos repères ancestraux.

Par votre refus du référendum, par votre mépris des opposants à ce texte, par votre rejet de notre proposition d’union civile et par vos mensonges, vous contribuez à fracturer la société en dehors de tout souci de bien commun.

M. Yves Daudigny. Ces propos sont inacceptables !

M. Philippe Darniche. Vous êtes enfermés dans votre obsession d’assouvir les intérêts particuliers d’un lobby homosexuel minoritaire.

Pour l’honneur de l’amour et des enfants qui viendront demain, avec mes collègues non inscrits, je m’oppose à ce texte car je m’oppose à cette destruction de la famille. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur certaines travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Patrice Gélard.

M. Patrice Gélard. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, avec le vote de ce projet de loi, nous voilà partis sur une barque qui n’a ni rames, ni voiles, ni gouvernail, ni moteur,…

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Dans ce cas, elle va rester sur place !

M. René Garrec. Oh non ! Hélas !

M. Patrice Gélard. … et qui est lancée dans le brouillard.

En fait, on ne sait pas où nous mènera l’adoption de ce texte, et ce pour plusieurs raisons.

Premièrement, ce projet de loi se fonde sur une vision faussée de l’égalité. Nous ne souscrivons pas à la conception que l’on veut nous imposer, à savoir que l’égalité, quoi qu’il arrive, serait la même pour chacun, quelle que soit sa situation, quelles que soient les conditions dans lesquelles elle doit s’exercer.

Deuxièmement, le présent texte repose sur une analyse insuffisante, qui, comme nous l’avons déjà souligné, ne tient pas compte de l’opinion publique.

Chers collègues de la majorité, je ne comprends pas pourquoi vous n’avez pas voulu accepter les solutions simples que nous apportions. Je songe notamment à l’union civile, qui permettait de résoudre le problème alors que le projet de loi tel qu’il apparaît ne prévoit pas de véritable mariage : seul un ersatz de mariage est proposé ! Nous le verrons bien dans la pratique, le mariage des couples de personnes homosexuelles n’est pas la même chose que le mariage des couples de personnes hétérosexuelles, et ne peut pas être la même chose !

De même, vous n’avez pas tenu compte de nos avertissements sans cesse répétés concernant l’inconstitutionnalité de toute une série de mesures contenues par ce texte. Ces inconstitutionnalités se sont d’ailleurs développées jusqu’à la fin de la discussion des articles, en particulier avec la dénégation de l’article 2 du code civil qui, comme chacun le sait, a valeur constitutionnelle.

Face à cette situation, on nous assure que le mariage sera désormais le même pour tous. Non ! Le mariage homosexuel n’est pas le même que le mariage hétérosexuel et ne sera jamais le même car, en définitive, les règles de la filiation ne peuvent pas être similaires.

De surcroît, on est en train de mettre en place un système par lequel les enfants auront des statuts différents selon les cas : les premiers seront adoptables de façon plénière, les deuxièmes seulement de façon simple, les troisièmes ne pourront être adoptés par aucun des deux conjoints. Résultat : ce texte va engendrer une situation d’inégalité, alors que – là encore ! – notre solution était de nature à satisfaire tout le monde. Il s’agissait de l’adoption simple, qu’il fallait naturellement moderniser et adapter. Nous avons présenté un certain nombre d’amendements à cette fin. Ils n’ont malheureusement pas été acceptés.

Dès lors, dans quelle direction nous orientons-nous ? Je le répète, avec le texte qui nous est aujourd’hui proposé, nous sommes tout simplement lancés dans un brouillard juridique et constitutionnel où se perdent les fondements essentiels du contrat social qui nous unit tous. Sans doute n’a-t-on pas suffisamment réfléchi aux conséquences que ce projet de loi peut avoir sur l’ensemble de notre société ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Vincent Eblé.

M. Vincent Eblé. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici arrivés au terme de l’examen de cette belle réforme conduisant à l’ouverture de l’institution du mariage aux personnes de même sexe.

À mes yeux, ce texte opère une double avancée.

La première avancée concerne les couples de personnes de même sexe qui souhaitent inscrire leur amour dans la conjugalité. Sans doute faut-il se féliciter qu’au cours du débat on ait de multiples fois réaffirmé ici, et sur toutes les travées, que l’amour homosexuel a toute sa place dans la société française d’aujourd’hui, qu’il mérite une reconnaissance sociale, et que l’homophobie, trop longtemps présente – jusque dans notre arsenal juridique et pénal ! –, est désormais clairement écartée, interdite et dénoncée.

Si cette affirmation partagée est sincère, nous franchissons alors aujourd’hui une étape positive pour le vivre-ensemble, sans discrimination, sans ostracisme et sans exclusion fondée sur les préférences sexuelles. De notre point de vue, cette affirmation se traduit par une évidence : l’ouverture de l’institution du mariage aux personnes de même sexe.

Dans quelques instants, nous verrons si cette perspective est majoritaire au sein de la Haute Assemblée. Pour ma part, je le crois et je l’espère.

La seconde avancée qu’opère cette importante réforme est peut-être moins consensuelle. Je souhaite néanmoins m’y arrêter quelques instants. Elle concerne les enfants que les couples ainsi constitués peuvent accueillir.

Il ne viendrait à personne l’idée saugrenue d’affirmer que le processus d’accueil de ces enfants s’est exempté des exigences de la nature. À cet égard, il n’y a aucune fiction, car il ne peut pas en exister ! Les enfants eux-mêmes sont bel et bien les premiers à le savoir.

Les modalités d’accueil des enfants sont nombreuses, de même que les formes des familles le sont, et ce depuis fort longtemps : enfants issus d’un premier couple hétérosexuel et élevés par un couple homosexuel ; enfants issus d’une procréation médicalement assistée ou d’une gestation pour autrui à l’étranger – cette méthode a beau être contraire à notre droit, elle n’en existe pas moins, nous le savons tous ! – ; enfants adoptés, bien sûr, par un parent isolé, conformément aux exigences de la loi, et même si cette personne vit en couple, sorte de mensonge légal.

Toutes ces situations existent, et ces enfants doivent nous importer au premier chef. Ils sont d’ores et déjà présents en nombre au cœur de notre société, et notre responsabilité est de leur assurer la place qui leur revient.

La question n’est donc pas : « Par le mariage pour tous, faut-il permettre à des enfants de couples homosexuels de survenir ? » Le mariage ne fait pas les enfants ! À preuve, le mariage des personnes de même sexe n’existe pas encore à ce jour, et les enfants sont, eux, déjà là par dizaines, voire par centaines de milliers !

La question est donc : « Le mariage pour tous offre-t-il de nouveaux droits protecteurs aux enfants de couples homosexuels ? » Cette fois, la réponse est naturellement positive. En particulier, en faisant cesser l’insécurité juridique du conjoint survivant, qui deviendra héritier et touchera une pension de réversion, ce mariage protégera les enfants ! Il serait absurde que ces derniers soient qualifiés d’orphelins parce qu’un des deux parents qui les élèvent disparaît. Au demeurant, ce qui est vrai dans le cas d’un décès l’est également pour une séparation. L’autorité parentale conjointe est évidemment un acquis formidable.

De plus, la reconnaissance sociale des couples confirme le refus par la représentation nationale de toute discrimination homophobe. L’accès offert à la charge symbolique du mariage est une conquête d’égalité. La protection juridique complète des enfants a pour but non pas de prétendre à une filiation naturelle fictive, qui ne peut pas être puisqu’elle est impossible, mais de confirmer le lien étroit de parentalité qui se noue dans la relation conjugale ouverte à tous les couples.

Telle est la double avancée que nous appelions de nos vœux et qui, demain, fera progresser une nouvelle fois l’égalité et la fraternité dans notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, si l’égalité est une commune aspiration de l’Homme, à l’évidence, il n’est pas dans la nature de chacun de l’établir spontanément. Pourtant, nous avons toutes et tous ici cette lourde responsabilité.

Chers collègues, comme je vous le disais au premier jour de nos débats, il y a déjà plus d’une semaine, l’égalité ne se négocie pas, elle s’applique. Il revient à l’autorité supérieure de l’imposer et de la faire respecter afin qu’elle ne devienne que normalité. C’est là la fonction régalienne de la loi : protéger et ne pas contraindre.

Cette égalité que nous défendons aujourd’hui est non seulement un droit fondamental de la personne humaine mais aussi une valeur sociale et politique essentielle du système démocratique.

Ainsi, ce projet de loi s’inscrit dans la lignée des combats historiques et des conquêtes d’émancipation sociale, qu’il s’agisse du droit à disposer de son corps grâce à l’IVG ou de la fin de toute pénalisation de l’homosexualité, survenue en 1982 seulement !

Le groupe CRC a toujours été de tous les combats contre les discriminations et des luttes pour les droits des personnes dites LGBT. C’est naturellement qu’il y a pris part et qu’il votera ce texte, car ce dernier participe du combat universel pour la reconnaissance de toutes et de tous dans leurs diversités sans ôter aucun droit à qui que ce soit.

Durant ces longues journées de débats, les sénateurs communistes ont mené le combat de la laïcité contre l’invocation de l’ordre moral qui, à mon sens, a fortement dérapé à l’extérieur de notre hémicycle, dans les rues voisines du Sénat ; ils ont mené le combat contre toutes les injustices que légitiment tous les discours et les actes homophobes ; enfin, ils ont mené le combat pour la reconnaissance de toutes les familles dans l’intérêt des enfants actuellement privés d’un cadre protecteur et épanouissant.

Notre but a été de répondre à l’intérêt général, celui des enfants nés et élevés au sein de ces familles, quoi qu’on en dise, quoi qu’on en pense. À ce titre, nous n’avons aucun jugement à porter.

Nous avons exprimé le refus de toute hiérarchisation des individus et des familles fondée sur l’orientation sexuelle. Ce faisant, nous avons poursuivi notre objectif politique : la protection de toutes et de tous dans notre société, que nous voulons toujours plus juste et plus protectrice. Nous avons défendu nos exigences jusqu’au bout des valeurs républicaines.

Au cours de ce débat, différents points de vue se sont exprimés, certains beaucoup plus souvent et plus longuement que d’autres. Nous avons entendu divers arguments, certains ayant pour simple but de provoquer, mais d’autres, nous l’entendons, visant à alerter et à présenter d’autres propositions.

Toutefois, je le répète, l’égalité ne se négocie pas.

Chers collègues de l’opposition, vous nous avez effectivement proposé l’union civile. Mais, pour en discuter, il faut pousser la logique à son terme : puisque l’égalité ne se négocie pas, supprimons le mariage et débattons de l’union civile ! Sinon, permettons à toutes et à tous d’accéder au mariage. Ne créons pas deux statuts et deux droits !

Nous restons donc convaincus que ce texte rejoint les lois émancipatrices qui font de notre code civil un livre protégeant toutes les familles, sans jamais imposer de contrainte.

La demande sociale de changement dans l’ordre familial a été très forte durant le XXe siècle. Dès ses premières années, des réformes ponctuelles l’ont jalonné, qui ont modifié le divorce et la filiation puis transformé la puissance paternelle. Vinrent ensuite les grandes lois de 1964 et 1972.

Cette recomposition exalte avant tout l’égalité : égalité de l’homme et de la femme, égalité des filiations dans la vie en couple. Aujourd’hui nous pouvons le dire, et nous pourrons bientôt l’affirmer, s’y ajoute l’égalité de tous les couples devant toutes les unions possibles.

Nous sommes fiers à l’idée de voter ce texte dans quelques instants. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, désormais, un homme pourra épouser un homme, une femme pourra épouser une femme, et ces couples pourront adopter des enfants qui auront deux papas ou deux mamans, en attendant évidemment de pouvoir recourir à la PMA – pour les couples de femmes – et à la GPA – pour les couples d’hommes. Cette évolution viendra nécessairement : nous en avons eu la preuve cette nuit, avec les amendements déposés par notre collègue Esther Benbassa. Ce n’était pas le moment d’en discuter, mais ces propositions reviendront et l’on ouvrira inévitablement la GPA et la PMA aux couples homosexuels !

Comme disait Pierre Dac, autre Marnais célèbre et résistant bien connu : « Quand les bornes sont franchies, il n’y a plus de limites. » (Sourires.) À mon sens, nous sommes en train d’en faire la démonstration !

Les groupes UDI-UC et UMP ont proposé une formule qui répondait aux attentes légitimes des couples homosexuels, à savoir l’union civile. Mais il n’était pas question de parler d’union civile, puisque, dans ses propositions, le candidat François Hollande évoquait, lui, le mariage pour tous !

Comme on nous l’a expliqué, notamment au cours des deux premiers jours de ce débat, le candidat François Hollande étant devenu Président de la République, les Français ont d’ores et déjà adopté le mariage pour les couples homosexuels. Ah, si seulement il en était de même pour les propositions formulées en matière économique ! En effet, si j’en crois cette théorie, les Français ont voté pour le redressement économique de notre pays. Il semble, hélas ! que ce chantier soit un peu plus compliqué à mettre en œuvre…

Vous me permettrez par ailleurs de m’étonner que, à propos d’un texte qui touche à l’humain, aux fondements de notre société, la majorité ait été aussi peu présente ― combien de scrutins publics… ― et aussi peu diserte. Je n’arrive pas à croire que les tenants d’une vraie démocratie, ceux qui écoutent plus que nous, semble-t-il, les attentes de la population, aient pu donner des consignes de vote sur un sujet touchant aux convictions personnelles. Je souhaite me tromper ; rassurez-moi ! Je crains malheureusement que ce silence et cet absentéisme ne soient trop éloquents !

Vous avez commencé à saper l’institution du mariage, l’institution de base de notre société des hommes et des femmes, autour de laquelle tant de choses se sont construites. Vous avez refusé les autres solutions. Je le regrette pour notre société. Vous accélérez en effet sa désorientation alors même que l’on se plaint depuis des années du manque de repères des jeunes générations.

Vous comprendrez dans ces conditions que je vote contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)