PRÉSIDENCE DE M. Jean-Patrick Courtois

vice-président

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi constitutionnelle et le projet de loi ordinaire que Mme Taubira vient de nous présenter en détail sont porteurs d’une même ambition : conduire à son terme le mouvement, engagé il y a vingt ans, pour garantir l’indépendance de la justice et lever les soupçons de corporatisme ou de mainmise politique qui pèsent sur elle.

« Se défier de la magistrature est un commencement de dissolution sociale », écrivait fort justement Balzac au XIXe siècle. Même s’il est infondé, le soupçon atteint la justice dans ce qu’elle a de plus précieux : la confiance que les citoyens lui portent et le respect qu’elle doit leur inspirer.

À ceux qui croiraient que la question n’est pas urgente et que, après tout, elle peut bien attendre vingt ans de plus, je réponds qu’il n’est jamais trop tôt pour travailler à garantir l’indépendance et l’impartialité de l’institution judiciaire. La défiance prospérant sur la moindre aspérité laissée par la loi, on blâmerait à raison le législateur négligent qui, conscient d’une difficulté, aurait remis à plus tard le moment de la traiter.

En apportant, enfin, au parquet les garanties qui lui manquent et au CSM les pouvoirs qui lui font défaut, le projet de loi constitutionnelle vise à asseoir l’indépendance de la justice.

En clarifiant les relations entre la chancellerie et le parquet, le projet de loi ordinaire concilie le principe de la soumission hiérarchique du parquet au pouvoir exécutif avec la nécessaire indépendance statutaire du ministère public. Il convient en effet de toujours bien distinguer le statut du parquet et sa fonction.

Pour plus de clarté, je vous présenterai d’abord le projet de loi constitutionnelle, puis le projet de loi ordinaire.

Il y a vingt ans, nous débattions déjà de l’indépendance des juges et de celle du ministère public. Le constituant avait alors eu l’audace de soumettre la nomination des magistrats du siège à l’avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature. Auparavant, aux termes de la Constitution de 1958, le CSM, dont les membres étaient nommés uniquement par le Président de la République, donnait simplement des avis, comme l’a rappelé Mme la garde des sceaux. Pour la nomination des magistrats du parquet, on s’en était tenu à une procédure d’avis simple, qui est aujourd’hui toujours en vigueur.

Seulement cinq ans plus tard, en 1998, sur l’initiative conjointe du Président de la République Jacques Chirac et du Premier ministre Lionel Jospin, une réforme du CSM était adoptée par nos deux assemblées, visant à renforcer les prérogatives du CSM et à soumettre les nominations des parquetiers à son avis conforme, comme pour les magistrats du siège. Malheureusement, pour des raisons dont tout le monde se souviendra ici, le Président de la République renonça à convoquer le Congrès.

Dix ans plus tard, en 2008, à l’occasion de la vaste révision constitutionnelle engagée par le Président de la République Nicolas Sarkozy, une importante réforme du CSM a eu lieu. Elle a permis deux avancées majeures : d’une part, elle a mis fin à la présidence du CSM par le Président de la République et y a substitué celle des chefs de la Cour de cassation ; d’autre part, elle a rendu possible la saisine du CSM par les justiciables. Ces avancées ne sont pas aujourd’hui contestées. Tel n’est pas le cas, en revanche, de la troisième modification prévue à l’époque : rompant avec un principe constamment respecté depuis 1958, et en contradiction totale avec les standards européens, la réforme plaçait pour la première fois les magistrats en minorité au sein du Conseil supérieur de la magistrature.

Enfin, comment ne pas regretter que la réforme de 2008 ait manqué, elle aussi, l’occasion de conforter l’indépendance du parquet, alors même que, sous l’impulsion de son président et rapporteur, Jean-Jacques Hyest, votre commission des lois avait proposé de confier au CSM le pouvoir disciplinaire qui appartient toujours, aujourd’hui, au garde des sceaux ?

M. Jean-Jacques Hyest. C’est vrai !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Cinq ans après cette dernière réforme, le Gouvernement nous saisit d’un projet de loi constitutionnelle destiné à rattraper ces occasions manquées et à assurer enfin définitivement l’indépendance statutaire du ministère public. L’Assemblée nationale y a apporté d’importantes modifications, et je salue ici le travail remarquable du rapporteur du texte, notre collègue député Dominique Raimbourg.

Madame la garde des sceaux vous ayant présenté de manière tout à fait exhaustive les principales lignes de ce projet, je n’y reviens pas. Ce texte soumet les nominations des parquetiers à l’avis conforme du CSM et érige celui-ci en conseil de discipline du parquet. Il prévoit qu’un collège de personnalités désigne les membres extérieurs du CSM.

Les députés ont apporté deux modifications majeures à ce texte : d’une part, ils ont rétabli l’équilibre rompu en 2008, en assurant une stricte parité entre magistrats et non-magistrats ; d’autre part, ils ont soumis la désignation des membres extérieurs du CSM à l’approbation des commissions compétentes des deux assemblées, à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés, inversant de ce fait la règle applicable aujourd’hui. Ces deux modifications ont été conservées par la commission des lois du Sénat.

Avant de présenter la position de votre commission, je souhaiterais examiner la principale question que pose ce texte : cette réforme est-elle nécessaire et utile ? Je réponds par l’affirmative.

Revenir à la parité entre magistrats et non-magistrats est sage. Je le rappelle, la réforme de 2008 a rompu sur ce point avec la tradition suivie jusqu’alors. Nulle part en Europe les juges ne sont minoritaires au sein des conseils supérieurs de la justice. Lorsqu’ils le sont, comme au Portugal, le Président de la République nomme toujours d’anciens magistrats, afin de maintenir une stricte parité.

Lors de cette révision, notre assemblée s’était honorée en assurant au moins cette parité pour les instances disciplinaires, sur l’initiative de notre collègue Jean-Jacques Hyest. La majorité actuelle et le groupe centriste avaient défendu une position plus exigeante encore, puisqu’ils s’étaient prononcés en faveur de la parité dans toutes les formations du CSM.

Je n’ai pour ma part pas changé d’avis sur ce point et je fais miens les propos prononcés par notre collègue Yves Détraigne en 2008 : « Mettre les magistrats en minorité dans les instances qui régulent leur corps constituerait, vis-à-vis d’eux, un signal de méfiance, de suspicion que leur enverrait la représentation parlementaire, ce qui, à mon avis, n’est pas du tout souhaitable dans le contexte actuel ».

Surtout, mes chers collègues, nous ne pouvons plus aujourd’hui, sans nous dédire, différer encore la réforme du statut du parquet.

La France a fait le choix de l’unité de la magistrature, il faut le rappeler ici brièvement. Les magistrats, ce sont les juges et les membres du parquet. Ils ont la même formation et le même déroulement de carrière, au cours de laquelle ils peuvent échanger les uns avec les autres. La Constitution a confié la garde de la liberté individuelle aux magistrats du siège comme à ceux du parquet. Ces choix nous obligent, et nous devons veiller à garantir l’indépendance des juges comme celle des parquetiers.

Le Conseil constitutionnel nous y engage, lorsqu’il fixe un seuil au-delà duquel le ministère public doit céder aux magistrats du siège, dont l’indépendance et l’impartialité sont mieux assurées, la charge de contrôler les mesures privatives de liberté. Surtout, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme nous y contraint, quoi que nous en pensions.

Ce que certains pouvaient encore feindre d’ignorer, au moment où se discutait la révision constitutionnelle de 2008 et où tombait le premier arrêt Medvedyev, ne peut plus, aujourd’hui, être nié, alors que la CEDH s’est faite explicite dans l’arrêt Moulin contre France du 23 novembre 2010. Aux yeux de la Cour, les membres du parquet « ne remplissent pas l’exigence d’indépendance à l’égard de l’exécutif », qui compte, au même titre que l’impartialité, parmi les garanties requises pour être qualifié au sens de l’article 5, paragraphe 3, de la Convention européenne des droits de l’homme de « juge » ou de « magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires ». La Cour vient de réaffirmer à l’unanimité cette jurisprudence, dans l’arrêt Vassis et autres contre France du 27 juin 2013.

Ces arrêts signent la contrariété entre la conception française du rôle du ministère public et les exigences européennes. Il impose, si la France souhaite conserver aux parquetiers des missions qui sont celles de magistrats au sens de la Convention, que leurs garanties statutaires soient renforcées, pour affermir leur indépendance. Certaines relèvent de la loi organique ou de la loi ordinaire, comme celles qui sont relatives aux instructions individuelles, auxquelles le Gouvernement a consacré le second texte qui vous est soumis. D’autres garanties sont constitutionnelles : il s’agit de celles qui sont relatives aux nominations et à la discipline des parquetiers.

La réforme du statut du parquet apparaît d’autant plus nécessaire que, depuis vingt ans, les majorités qui se sont succédé n’ont cessé d’étendre les missions et les pouvoirs du procureur de la République, comme votre commission des lois en a dressé à maintes reprises le constat.

Ainsi, François Zocchetto relevait en 2005, dans son rapport sur les procédures rapides de traitement des affaires pénales, que, avec le développement de la CRPC, la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, de l’ordonnance pénale, de la comparution immédiate ou de la composition pénale, « à la différence des magistrats du siège pour lesquels une mission nouvelle (contrôler) ne fait que s’ajouter à celle qui demeure le cœur de leur fonction (juger), les magistrats du parquet sont confrontés à un changement profond de leur métier. Ceux-ci prennent en effet une part de plus en plus importante dans la prise de décision », ne serait-ce que dans l’orientation des procédures, lorsque, tous les matins, ils reçoivent les dossiers en provenance des forces de police et de gendarmerie.

D’ailleurs, M. Jean-Louis Nadal, alors procureur général près la Cour de cassation, notait que « la fonction de juger s’est partiellement déplacée, le magistrat du parquet devenant une partie intégrante du jugement. »

Or on ne peut que souligner, pour le regretter, que cette mutation du rôle du parquet n’ait été accompagnée d’aucune évolution de son statut, alors même que cette dernière est la clef de toute extension des prérogatives du ministère public.

Tel était d’ailleurs le sens des conclusions du groupe de travail de votre commission des lois sur la réforme de la procédure pénale, confié à Jean-René Lecerf et à moi-même. Nous appelions à revenir aux « principes de la réforme inaboutie de 1999, soit, d’une part, l’avis conforme du CSM sur les nominations des magistrats du parquet, et, d’autre part, la compétence du CSM pour statuer en tant que conseil de discipline. » Ensuite, nous aurions pu discuter de la réforme de la procédure pénale envisagée à ce moment et abandonnée depuis lors, à savoir la suppression du juge d’instruction.

Voilà plus de dix ans que, toutes tendances politiques confondues, le Sénat constate la nécessité de revoir le statut du parquet. Ce constat est partagé par toutes les personnes que j’ai entendues au cours des auditions que nous avons menées. La Cour européenne des droits de l’homme nous y engage. Peut-on raisonnablement prétendre que ce dont nous convenons tous depuis dix ans ne serait plus valable aujourd’hui ? Mes chers collègues, je vous appelle à ne pas vous dédire !

Voulons-nous que l’histoire se répète ? La première réforme du CSM est intervenue en 1993, l’année où le Conseil constitutionnel, saisi de la réforme de la garde à vue, consacra le rôle du parquet comme gardien de la liberté individuelle. À partir de cette date, ses pouvoirs n’ont cessé d’augmenter, au point que, cinq ans plus tard, majorité et opposition se sont retrouvées pour voter un projet de loi constitutionnelle réformant le statut du parquet. Malheureusement, des considérations obscures ont fait échouer le projet.

Dix ans plus tard, en 2008, alors que le parquet est doté de prérogatives proches de celles du juge et qu’il est menacé par la jurisprudence européenne de ne plus pouvoir faire autre chose que requérir à l’audience – c’est ce qui arrivera, n’en doutons pas ! –, la réforme constitutionnelle a manqué l’occasion de renforcer l’indépendance du ministère public et d’asseoir ainsi sa légitimité : cette occasion manquée a fragilisé l’édifice juridique français, puisqu’elle a aggravé le décalage entre la mission confiée aux magistrats du parquet et les garanties dont ils bénéficient.

Cinq ans après cette réforme, manquerons-nous une nouvelle fois, par déni ou pour de confuses raisons, l’occasion d’assurer la pérennité de notre modèle de ministère public, auquel nous sommes tous, ici, attachés, si je me réfère aux propos tenus en commission des lois, en achevant ce mouvement d’indépendance de la justice engagé en 1993 ?

Ceux qui s’opposent par principe à la réforme proposée font valoir deux arguments.

Premièrement, il faudrait assurer une plus grande stabilité au texte constitutionnel et s’abstenir de le modifier trop souvent. Certes, mais ce n’est pas parce qu’une disposition inefficiente est récente qu’elle cesse pour autant d’être inefficiente : le statut du parquet est déficient et expose la France à des difficultés prévisibles, que la révision proposée vise à résoudre.

Le deuxième argument tire prétexte du fait que, depuis 2008, les gardes des sceaux successifs se sont engagés à respecter les avis du CSM pour les magistrats du parquet. Selon les partisans de cette thèse, une consécration constitutionnelle de cette pratique ne changerait rien.

J’observe en premier lieu que le même argument n’avait pas prospéré en 1993 : jusqu’à cette date, les nominations des magistrats du siège n’étaient soumises qu’à l’avis simple du CSM, que le pouvoir exécutif suivait toujours. Pourtant, le constituant a décidé d’imposer un avis conforme. Qui soutiendrait, aujourd’hui, que cette constitutionnalisation de l’avis conforme n’était pas nécessaire ? Qui proposerait de faire machine arrière, en confiant plus sûrement à la parole des futurs gardes des sceaux le respect de cette règle ?

Ce n’est pas sérieux ! Des garanties objectives, inscrites dans notre texte fondamental, valent mieux que des garanties subjectives. Que des gardes des sceaux successifs se soient récemment engagés à garantir l’indépendance du parquet honore ceux qui se sont tenus à cette règle, et je salue ici l’engagement indéfectible de notre collègue Michel Mercier et de Mme la ministre Christiane Taubira. Néanmoins, on reprocherait à raison au constituant de n’avoir pas veillé à inscrire un tel principe dans notre texte fondamental, le jour où cet engagement ne serait pas tenu.

La troisième objection consiste à dire que, dans ces conditions, il ne faut pas modifier la composition du CSM. Au contraire, mes chers collègues, il faut la modifier, pour faire en sorte que les membres du CSM soient placés à une plus grande distance encore du pouvoir politique !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. C’est ce à quoi tend la réforme qui vous est aujourd’hui proposée, ainsi que l’amendement de compromis que Mme la garde des sceaux a bien voulu déposer et que votre commission des lois a adopté ce matin.

Il s’agit d’introduire une garantie supplémentaire pour l’ensemble des magistrats, non seulement du parquet, mais aussi du siège. Elle devra être prise en compte par la Cour européenne des droits de l’homme, après que nos représentants auront plaidé devant elle en faveur de ce nouveau système, qui tend à renforcer le statut du parquet.

Au total, les garanties sont au nombre de trois : une meilleure composition du CSM, plus indépendante du pouvoir politique qu’elle ne l’est aujourd’hui ; un avis conforme pour la nomination des membres du parquet ; un statut disciplinaire des membres du parquet, le même que pour les magistrats du siège.

La nécessité et l’utilité de cette réforme me paraissent hors de doute. Votre commission a donc souscrit aux avancées proposées par le projet de loi, qu’il s’agisse de la composition paritaire, du pouvoir d’autosaisine de la formation plénière du CSM, de la saisine par un magistrat ou, bien entendu, du renforcement de l’indépendance des magistrats du parquet.

Elle vous soumet plusieurs amendements qui visent à asseoir la légitimité et l’autorité du Conseil supérieur de la magistrature, en précisant le rôle qui est le sien pour assurer le respect de l’indépendance de la justice, en étendant le champ de la saisine par un magistrat aux questions d’indépendance et en définissant strictement le cadre de la participation du garde des sceaux aux séances des formations du CSM.

Votre commission vous propose de prévoir expressément qu’une loi organique fixe les incompatibilités ou les restrictions d’activité nécessaires pour le correct exercice des fonctions de membre du CSM. En effet, l’autorité et la légitimité du Conseil supérieur de la magistrature dépendent non seulement de l’indépendance et de l’impartialité de ses membres, mais aussi de leur implication dans leurs tâches. En effet, si l’assiduité des membres au CSM est assez bonne, peu d’entre eux présentent les rapports, pourtant fort nombreux, en séance. Ce problème devra être corrigé par la loi organique.

De même, la loi organique devra veiller à ce que le système électoral élimine tout corporatisme et toute influence trop grande du pouvoir syndical.

M. Michel Mercier. Encore faut-il le faire !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Votre commission a adopté deux amendements qui tendraient, d’une part, à supprimer le collège, et, d’autre part, à conserver la présidence du CSM aux chefs de la Cour de cassation. Ces amendements étaient motivés par de sérieuses interrogations sur la composition du collège de nomination, ainsi que par le constat de l’intérêt, pour l’institution, d’être présidée par deux magistrats à l’autorité morale incontestable.

Le Gouvernement a entendu ces interrogations et il a proposé une rédaction de compromis, qui maintient le principe du collège mais en revoit totalement la composition. Il s’agit, et cela me semble tout à fait judicieux, de retirer de cette composition le chef de l’ordre judiciaire administratif et le Premier président de la Cour des comptes, qui n’ont rien à faire dans la carrière des magistrats de l’ordre judiciaire.

Votre commission s’est déclarée favorable à cet amendement, même si son adoption aurait pour conséquence de retirer au Premier président de la Cour de cassation et au procureur général la présidence du CSM. Cette question a d’ailleurs été très contestée au sein de notre commission puisque certains, à gauche comme à droite, souhaitaient que le CSM soit présidé par une personnalité extérieure à la magistrature, pour asseoir la distance de cette institution vis-à-vis tant du corps des magistrats que du pouvoir politique.

Mes chers collègues, sous réserve des amendements qu’elle vous propose, la commission vous invite à adopter le présent projet de loi constitutionnelle et à ne pas manquer, une nouvelle fois, l’occasion de garantir – enfin ! – le statut du parquet.

Saisis d’une réforme constitutionnelle, nous devons faire preuve de prudence. Je comprends celle qu’observent certains membres de l’opposition. Toutefois, il me semble que les amendements de la commission visent à limiter la réforme à ce qui est nécessaire et indispensable pour asseoir davantage l’indépendance de la justice et de tous les magistrats, ainsi que l’autorité du CSM, mais aussi pour mieux garantir le statut des membres du parquet.

Surtout, saisis d’une réforme constitutionnelle, nous devons faire preuve non seulement de prudence, mais aussi de responsabilité.

Notre responsabilité est de forger le consensus sur lequel une telle réforme peut prospérer. La commission des lois et son rapporteur s’y sont attachés avant tout.

M. Michel Mercier. Jusqu’à ce matin !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Notre responsabilité est de ne pas nous dédire et de ne pas nier la fragilité actuelle du statut du parquet, qui est patente.

Notre responsabilité est de faire prévaloir l’intérêt général sur toute autre considération, notamment sur l’intérêt partisan.

J’en viens maintenant, mes chers collègues, à la présentation du deuxième texte : le projet de loi relatif aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l’action publique.

Madame la ministre l’a exprimé dans son propos introductif, ce texte vise enfin à définir les rapports entre la Chancellerie, le garde des sceaux, qui est chargé de faire appliquer la politique pénale et qui en est responsable devant nos assemblées, les procureurs généraux et les procureurs de la République, de manière à restituer au garde des sceaux la responsabilité de conduire la politique pénale, tout en lui donnant les moyens de l’exercer, et aux parquets le plein exercice de l’action publique, dans la liberté qui doit être la leur.

Les principales mesures du projet de loi, dans sa rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale, ont été très largement confortées par votre commission des lois.

Nous aborderons au cours de l’examen des amendements les différentes propositions formulées au sein de la commission.

Au cours de nos réunions, nous avons eu une discussion importante sur l’article du texte tendant à supprimer l’instruction dans les affaires individuelles. Je comprends l’affichage d’une telle disposition. Par ailleurs, si nous la remettons en cause, nous serons portés au pilori par une presse qui n’attend que cela pour nous reprocher de rétablir les instructions, malgré l’engagement pris par Mme la garde des sceaux, dans sa circulaire, de ne pas y recourir.

Ce matin, votre commission des lois a donné un avis favorable à un amendement relatif à ces instructions. Aux termes de cet amendement, si Mme la garde des sceaux, dans le cadre de sa responsabilité de conduire la politique pénale et de la faire appliquer, apprend, par le procureur général ou par tout autre justiciable, qu’un procureur de la République ne suit pas ses instructions générales, elle pourra demander au procureur général d’enjoindre au procureur de la République récalcitrant de poursuivre et de prendre toutes réquisitions demandées par ces instructions générales.

Nous en débattrons tout à l’heure. Votre rapporteur s’en est remis à la sagesse de la commission, même s’il incline fortement vers cette solution, pour ne pas être taxé d’hypocrisie. Pour avoir quelque peu fréquenté les allées de la justice, il me semble en effet préférable d’inscrire un tel cadre dans la loi.

Pour conclure, sous réserve des modifications que je viens de vous présenter et d’autres qui apparaîtront au cours de l’examen des amendements, je vous demande, mes chers collègues, d’adopter ce projet de loi, ainsi que le projet de loi constitutionnelle.

Les magistrats du ministère public sont d’ailleurs unanimes. Tous nous l’ont dit : ceux qui font partie du CSM et que j’ai reçus ici au Sénat, ceux qui appartiennent aux organisations syndicales et ceux qui forment les associations de procureurs généraux ou de procureurs de la République. Ce texte leur semble absolument essentiel. Ne pas l’adopter ne ferait qu’aggraver la situation.

C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous renvoie à notre responsabilité collective et à votre responsabilité individuelle. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Pourquoi ? J’ai envie, à ce stade, de poser simplement cette question, après avoir entendu le remarquable exposé de Mme la garde des sceaux, qui a tout expliqué, et le remarquable plaidoyer de notre rapporteur Jean-Pierre Michel, qui a été, je crois, convainquant.

Pourquoi certains députés ou sénateurs, dont le rôle et le vote seront décisifs, pourraient-ils choisir et justifier de ne pas faire en sorte que la Constitution soit réformée sur ce point ?

M. Philippe Bas. Il suffira de reprendre vos arguments de 2008 !

M. Henri de Raincourt. Il a raison !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Monsieur Bas, vous dites là quelque chose que j’ai déjà lu et entendu.

En 2008, la réforme menée n’instaurait pas l’indépendance du parquet, comme le fera le présent texte. C’est une différence de taille ! Chers collègues, si vous êtes tous pour l’indépendance du parquet – peut-être certains n’y sont-ils pas favorables –, il est logique de ne pas avoir voté la réforme de 2008, mais d’approuver celle d’aujourd’hui.

Au-delà de cet argument, on peut toujours, certes, se renvoyer la balle dans cette interminable et parfois un peu harassante partie de ping-pong où l’on s’échange les actes précédents contre les actes antécédents. (M. Henri de Raincourt s’exclame.)

Nous n’avons pas voté la réforme de 2008 pour diverses raisons, mais cela ne nous empêche pas de reconnaître aujourd’hui, monsieur de Raincourt, que, s’agissant de la question prioritaire de constitutionnalité, ce fut une bonne réforme. Et je regrette de n’avoir pu la voter à cause d’autres dispositions qu’elle contenait.

M. Michel Mercier. Ce peut être pareil pour nous !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. En effet, monsieur Mercier, mais cela peut être éternellement pareil et, par conséquent, tout peut être immobile pour la raison que cela ne change pas, n’a pas changé et ne changera pas.

J’ai écouté Mme la garde des sceaux et M. le rapporteur et j’ai réformé mon propos. Je ne vous infligerai pas à nouveau l’arrêt Medvedyev, l’arrêt Schiesser de 1979, l’arrêt Moulin du 23 novembre 2010 ou encore l’arrêt prononcé la semaine dernière, qui, une fois encore, condamne la France, considérant que le magistrat ne peut être regardé comme une autorité judiciaire. Ces décisions le répètent ad libitum, les magistrats du parquet ne remplissent pas « l’exigence d’indépendance à l’égard de l’exécutif ».

On peut considérer qu'il faut que les choses changent et que la France cesse d'être condamnée, tous les trimestres, tous les mois, tous les huit jours sur ce motif, ce qui n'est ni raisonnable ni acceptable, d’autant que ces condamnations peuvent avoir des conséquences en chaîne sur l'ensemble de notre dispositif judiciaire. À l'évidence, il faut agir, et je ne citerai pas toutes les personnalités politiques, de gauche comme de droite, qui se sont prononcées en faveur d’une nomination des magistrats, ceux du parquet comme ceux du siège.

J’ai été frappé par les déclarations qu’ont faites les uns et les autres. Sauf erreur de ma part, l'UMP ne votera aucune disposition, quelle qu'elle soit. Poser cela en pétition de principe, en point de départ du raisonnement, c'est un peu court, jeune homme, comme aurait dit un auteur célèbre… Est-ce une attitude responsable, raisonnable, justifiée ? Je ne le pense pas.

M. Jean-Louis Borloo, président de l'UDI, a plaidé en faveur d’une « stabilité maximum de la Constitution »,…

M. Henri de Raincourt. Il a raison !