M. Pierre Laurent. Rassurez-vous, cela viendra !

M. Jean Arthuis. Et je regrette que nous soyons incapables, au-delà de nos partis politiques, de faire taire ces clivages, pour avancer sur un terrain de lucidité et de courage.

Mme Éliane Assassi. Vous l’incarnez assurément, la lucidité et le courage !

M. Jean Arthuis. J’en viens à la seconde priorité : réduire les déficits par la réduction des dépenses publiques à hauteur de 18 milliards d’euros à la charge de l’État, 11 milliards d’euros pour les collectivités territoriales – cela ne va pas être très simple –, 10 milliards d’euros à la charge de l’assurance maladie, et 11 milliards d’euros pour la protection sociale.

Vos hypothèses de croissance peuvent être qualifiées d’optimistes, mais je me garderai de tout procès à cet égard. D’autres avant vous s’y sont livrés, et je ne vous en tiendrai pas rigueur.

Mais, pour l’essentiel, j’ai bien l’impression que vos économies consistent à dire que, puisque les dépenses publiques devaient augmenter, on fera en sorte qu’elles augmentent un peu moins que ce qui était prévu.

M. Gérard Longuet. C’est exactement ça !

M. Jean Arthuis. Ce discours-là, monsieur le Premier ministre, je l’ai entendu à maintes reprises, exprimé par des gouvernements de droite comme de gauche. C’est une façon de dire que l’on ne fait rien, que l’on ne s’attaque pas aux vrais problèmes, et que l’on reporte à plus tard les réformes structurelles. (Mlle Sophie Joissains et M. Roger Karoutchi applaudissent.) Quand va-t-on enfin y venir ? Cette rhétorique n’est pas nouvelle, nous l’avons maintes fois entendue, cessons d’en être complice !

Ce qui nous inquiète, je vous l’ai dit, c’est l’absence de réformes structurelles. Comment voulez-vous réduire la dépense publique si vous ne remettez pas en cause la durée du temps de travail dans les trois fonctions publiques (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UDI-UC et sur les travées de l'UMP.), fonction publique d’État, fonction publique territoriale, fonction publique hospitalière ?

Nous avons récemment eu un débat sur les 35 heures à l’hôpital, pour constater à quel point elles étaient un fiasco. Si, demain, vous venez devant le Parlement avec une loi pour le financement de la dépendance, dites-moi comment vous la financerez en conservant les 35 heures.

Mme Laurence Cohen. En créant des emplois !

M. Jean Arthuis. Ce n’est pas parce que les gouvernements précédents ne l’ont pas fait que nous devons continuer à dire que personne ne le fera. (Mlle Sophie Joissains et M. René-Paul Savary applaudissent.) Osons reconnaître que nous n’avons pas été, les uns et les autres, à la hauteur de nos obligations !

Monsieur le Premier ministre, je souhaiterais que, sur ce point, vous révisiez votre proposition. Cela concerne non seulement les trois fonctions publiques, mais aussi des opérateurs de l’État et des collectivités territoriales.

De même, dans le domaine social, il y a des conventions collectives qu’il faudra sans doute revoir. (Mme Laurence Cohen s’exclame.)

Mme Éliane Assassi. Scandaleux !

M. Jean Arthuis. S’agissant des collectivités territoriales, je souhaiterais aussi que vous prononciez un moratoire des normes. Les normes multiples sont la bonne conscience des politiques (M. René-Paul Savary applaudit.), mais elles coûtent excessivement cher, et la plupart sont des activateurs de dépenses publiques qui viennent contredire l’objectif que vous poursuivez. (Applaudissements sur quelques travées de l'UDI-UC et sur plusieurs travées de l'UMP.)

M. Jean Arthuis. Ayons le courage de remettre en cause nombre de normes et de laisser des marges de liberté dans la réforme que vous proposez des collectivités territoriales.

M. Gérard Longuet. On sera beaucoup plus productifs !

M. Jean Arthuis. Laissez aux responsables des collectivités territoriales la possibilité d’innover dans le secteur public. (Mme Laurence Cohen s’exclame.) L’innovation ne doit pas être le privilège de l’économie marchande ; elle doit aussi pouvoir prendre corps dans la sphère publique.

S’agissant des collectivités territoriales, j’avoue que je n’ai pas tout compris dans vos déclarations récentes.

M. Jean Arthuis. Tout d’abord, les réformes, elles doivent être engagées tout de suite, et non pas dans six ou sept ans ! Vous nous avez quelquefois un peu étonnés, et pour tout dire agacés, en procédant à une réforme de l’élection des conseillers départementaux.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Était-ce vraiment indispensable ?

Un sénateur du groupe UMP. Non !

M. Jean Arthuis. Était-il en effet vraiment indispensable de réformer le mode d’élection alors que nous n’avions pas encore dit ce que feraient les conseils départementaux ? On a mis la charrue devant les bœufs.

M. Éric Doligé. Qui sont les bœufs ?

M. Jean Arthuis. Et voilà que Manuel Valls, quittant la place Beauvau pour devenir Premier ministre, invite ceux qui vont être élus selon ce nouveau mode d’élection à porter comme programme la fermeture de la maison.

Très franchement, j’ai applaudi votre décision de mettre un terme à la clause de compétence générale.

M. Gérard Larcher. Après qu’elle eut été rétablie !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est eux qui l’avaient rétablie !

M. Jean Arthuis. Toutefois, dès lors que chaque niveau d’administration voit ses compétences très clairement précisées, à quoi sert-il d’en supprimer une d’emblée ? Car, dans un conseil général, les deux tiers des dépenses de fonctionnement sont des dépenses d’aide sociale. Et je n’ai pas entendu dans vos propos des économies à cet égard. Hier soir, vous avez annoncé une revalorisation du RSA : ce sera à la charge des conseils généraux. (Eh oui ! sur les travées de l'UMP.)

Voyez-vous, si l’on se met d’accord sur une spécialisation des compétences, peut-être faut-il revoir le rôle de chacun de ces niveaux d’administration territoriale ?

Et puis, ne le prenez pas en mauvaise part, monsieur le Premier ministre, mais, lorsque vous avez dit cet après-midi – vous l’avez réaffirmé tout à l’heure, assorti d’une nuance – que le gel du point d’indice serait réévalué chaque année (M. Christian Cambon rit.),…

M. Gérard Longuet. … il y a un truc qui ne va pas !

M. Jean Arthuis. … il y a là quelque chose qui peut faire naître le doute dans les esprits. (Rires ironiques sur les travées de l'UMP.)

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. C’est très innovant, en effet !

M. Pierre Laurent. On n’a qu’à supprimer le point d’indice, ce sera plus simple !

M. Jean Arthuis. De même, lorsque le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a supprimé le jour de carence, c’était contre-intuitif par rapport à l’objectif que vous vous fixez, et que nous partageons.

Il n’y a pas si longtemps, le Président de la République nous invitait à réduire de 50 milliards d’euros les dépenses publiques.

Votre prédécesseur à la tête du gouvernement dont vous étiez membre a publié trois décrets qui obligeront le président de conseil général que je suis à inscrire dans quelques semaines dans sa décision modificative 500 000 euros de dépenses de personnel supplémentaires, la rémunération des fonctionnaires de catégorie B et C ayant été revalorisée.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Et ne parlons pas de la réforme des rythmes scolaires !

M. Jean Arthuis. Permettez-moi de vous faire une recommandation, monsieur le Premier ministre : veillez à ne pas introduire de contradiction entre votre objectif général et les mesures concrètes que vous prenez.

Nous voulons croire que les décisions courageuses vont suivre, que nous avons eu en quelque sorte la présentation générale, la carrosserie, et que nous allons maintenant passer aux précisions pratiques. Nous ne pouvons imaginer que votre engagement ne soit qu’un habile plan de communication supplémentaire. Vous avez eu des prédécesseurs dans ce registre... Veillons à ce que ce programme de stabilité ne soit pas que de la « com ».

Enfin, veillez également à ce que les orientations que vous prenez comportent plus que l’esquisse d’une nécessaire convergence européenne, car si nous voulons régler nos problèmes de chômage, de migration de travailleurs à l’intérieur de l’Europe pour des raisons de différentiel de charges ou de SMIC, préparons-nous à faire en sorte que la zone euro au moins soit un espace économique optimal.

Monsieur le Premier ministre, vous avez souligné à l’Assemblée nationale l’importance du vote. Aussi, nous regrettons de ne pouvoir exprimer notre opinion.

La situation est si grave…

M. Gérard Longuet. Surtout en ce qui concerne les collectivités locales !

M. Jean Arthuis. … que nous vous demandons de tout faire pour remettre la France d’aplomb. C’est votre devoir et c’est notre obligation. Or ce qui nous est présenté ce soir est trop général, trop vague. C’est du déjà entendu et du déjà vu. Nous ne voulons pas douter de votre volonté, mais, en l’état, le compte n’y est pas. Les économies doivent être précisément documentées.

Nous ne pourrions voter contre votre programme, parce que vous exprimez une volonté, mais nous ne pourrions pas non plus l’approuver, parce que ce serait signer un chèque en blanc.

Les réformes, « c’est maintenant », monsieur le Premier ministre ! La première épreuve de vérité sera la loi de finances rectificative.

Nous vous encourageons à faire preuve d’audace, laquelle doit être l’essence de ce que je crois être le courage en politique. La France ne peut se résigner à devenir l’homme malade de l’Europe. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP. – Mme Françoise Laborde et M. Gilbert Barbier applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour le groupe CRC.

M. Gérard Longuet. Aïe, aïe, aïe, les ennuis commencent ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. Pierre Laurent. Dans le courrier que vous nous avez adressé pour préparer ce débat, monsieur le Premier ministre, vous parlez du choix qui s’offre à nous de soutenir ou non votre plan d’austérité de 50 milliards d’euros comme d’un grand moment de « vérité ». La France, la gauche vivent en effet des heures cruciales. Mes collègues du groupe CRC et moi-même n’avons pas l’habitude de fuir nos responsabilités. Je veux donc vous dire la vérité telle que nous la voyons.

« Méfiez-vous des demi-vérités, dit le dicton, vous avez peut-être mis la main sur la mauvaise moitié ». C’est malheureusement ce qui vous arrive, monsieur le Premier ministre. Votre diagnostic comme vos remèdes sont emplis de fausses évidences, de constats erronés, de tous ces dogmes libéraux qui nous ont conduits dans le mur et nous enfoncent chaque jour un peu plus dans la crise. Le pays a déjà payé très cher ces recettes empoisonnées. Il s’affaiblira très gravement encore avec la dose de cheval que vous entendez lui administrer.

Non, les 50 milliards d’euros de coupes drastiques que prévoit votre plan dans les services publics de l’État, dans les remboursements et les prestations de sécurité sociale ainsi que dans les budgets des collectivités locales ne sont pas un pari sur l’avenir, pas un tremplin pour le redressement de la France. Bien au contraire ! Il s’agit simplement de l’un de ces dramatiques plans d’austérité imposés dans toute l’Europe, un de plus, et le plus violent jamais imposé à la France, l’un de ces plans qui, loin de résoudre les problèmes, appauvrissent le pouvoir d’achat des couches populaires, saignent les capacités productives et les ressources, et font finalement exploser la dette et le chômage qu’ils prétendent pourtant réduire.

Vous parlez d’emplois, de croissance, de compétitivité. Mais ce ne sont, avec de telles recettes, que des vœux pieux ! Vos recettes ne marchent nulle part. Des économistes de toute l’Europe, de plus en plus nombreux, le disent. Partout les peuples d’Europe crient leur colère.

L’Europe est enlisée, noyée, asphyxiée sous les coups de cette austérité aveugle et brutale. Votre propre parti, monsieur le Premier ministre, le reconnaît, qui mènera sa campagne européenne sur le thème : « l’austérité en Europe est une erreur ».

Monsieur le Premier ministre, pourquoi devrions-nous approuver aujourd'hui ce contre quoi nous allons voter le 25 mai ?

M. Pierre Laurent. Pour notre part, avec le Front de gauche, nous ne pratiquons pas le grand écart entre les paroles et les actes ! Nous n’approuverons pas ce plan, même s’il n’est pas soumis au vote du Sénat, et ce pour deux raisons fondamentales.

La première s’énonce clairement : ce plan n’est ni efficace ni juste. Vous nous invitez à la vérité, monsieur le Premier ministre, mais vous ne la dites pas aux Français. Vous assénez une nouvelle fois, comme la droite – M. Jean Arthuis vient encore de le dire –, que la diminution du coût du travail fera baisser le chômage…

M. Jean Arthuis. Je maintiens !

M. Pierre Laurent. … et que le « zéro charge » sur le SMIC sera une puissante incitation à l’embauche. Vous justifiez ainsi les 45 nouveaux milliards d’euros d’allégements fiscaux pour le capital.

La vérité, c’est que le résultat sera l’exact inverse de ce que vous annoncez. Votre plan va en effet continuer à déprimer la demande et empêchera la reprise de l’activité.

Comment voulez-vous que les investissements publics nécessaires à la relance industrielle, à la mutation de notre système productif, à la transition écologique soient au rendez-vous si vous amputez les crédits de l’État de 18 milliards d’euros et ceux des collectivités locales de 11 milliards d’euros alors que ces dernières tirent une part grandissante de l’investissement public ?

Comment voulez-vous soutenir la demande si vous rognez le pouvoir d’achat de la majorité des Français, déjà largement amputé par la hausse de la TVA et demain plus encore par la réduction drastique de plus de 20 milliards d’euros des moyens de la couverture sociale de l’ensemble de nos concitoyens ?

Tout cela sapera les fondements d’une reprise économique durable.

Comment pouvez-vous affirmer aujourd'hui que les 45 milliards d’euros que vous offrez au patronat, sans contreparties, sans aucun nouveau droit de contrôle pour les salariés, sans réduction du pouvoir des actionnaires, sans réforme de justice fiscale, sans moyens de lutte supplémentaires contre la fraude et l’optimisation fiscales, serviront cette fois l’emploi ?

Vous ne pouvez pas plaider l’ignorance. Il suffit de regarder en arrière et de faire le bilan de vingt années de politiques de réduction des prélèvements fiscaux des entreprises : depuis 1992, le coût de ces exonérations s’établit à 250 milliards d’euros ! Pour quel résultat ? Un taux de chômage record !

Vous entérinez le CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi. Mais qui va empocher quoi en 2014 ? Ainsi, dans le secteur du bâtiment, pourtant massivement non délocalisable, le groupe Eiffage, qui ne se porte pas trop mal, va toucher un chèque de 94 millions d’euros de l’État. Autre exemple, dans le secteur de la grande distribution, Carrefour empochera pour sa part un chèque de 125 millions d’euros ! Qui en verra la couleur ? Les salariés ou les actionnaires ?

M. Pierre Laurent. Prudent, vous dites que les parlementaires et les syndicats seront associés à l’évaluation de ces exonérations a posteriori. Pourquoi donc ne pas avoir commencé par là, en mettant à plat le contrôle de toutes les aides déjà versées ?

Dans ces conditions, le « zéro charge » sur le SMIC ne permettra pas de créer des emplois, mais favorisera les politiques de bas salaires et d’emplois précaires.

Votre bilan, – nous pouvons vous l’annoncer à l’avance – ce sera non pas le recul du chômage, mais le maintien d’un haut niveau de chômage et une nouvelle explosion du nombre de travailleurs pauvres en lieu et place des salariés qualifiés et des salaires décents dont notre pays a besoin.

Vous n’avez plus vous aussi, monsieur le Premier ministre, que le coût du travail à la bouche, mais le tabou que vous ne voulez pas briser, c’est celui du coût du capital, des énormes gâchis financiers dont nous payons l’addition.

Sur la dette non plus, vous ne dites pas la vérité. Vous rappelez qu’elle a bondi de 65 % en 2007 à 90 % en 2012. C’est vrai, mais vous rapprochez ce chiffre du montant de la dépense publique dans le PIB pour laisser entendre qu’elle en serait la cause. C’est un mensonge, et vous le savez.

Durant cette période, ce qui a explosé, ce n’est pas la dépense publique, que Nicolas Sarkozy (Exclamations sur les travées de l'UMP.) et la droite s’employaient déjà à massacrer, c’est le coût de la crise des marchés financiers,…

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Ça, c’est vrai ! Bonne analyse.

M. Pierre Laurent. … dont tout le fardeau a été transféré aux États. Allez-vous vous battre contre ces coûts financiers, allez-vous faire payer les banques, allez-vous travailler à réduire les taux, à changer les critères du crédit, à modifier le rôle et les missions de la Banque centrale européenne ? Vous ne dites pas un mot sur ces questions.

Vous n’avez pas le courage de vous attaquer à la finance. Vous bombez le torse, mais, en vérité, il est plus facile d’être dur avec les faibles que fort face aux puissants ! (M. Jean-Jacques Mirassou s’exclame.)

Si vous voulez lutter contre le chômage et vous attaquer aux puissants, monsieur le Premier ministre, avec votre gouvernement, consacrez un peu moins de temps à vos obsessions d’austérité et surveillez de plus près les actionnaires, par exemple ceux d’Alstom, qui bradent sans vergogne le potentiel productif du pays.

Dans ce dossier stratégique pour la nation, allez-vous agir réellement, pas seulement en mots, quitte à engager la puissance publique, ou allez-vous continuer, avec le Président de la République, à compter les points en jouant les arbitres entre concurrents américain et allemand ? L’Élysée et Matignon, que je sache, ne sont pas des sièges de tribunaux de commerce ! Alstom, ses turbines et ses TGV, sont un bien qui appartient au patrimoine national. Dans ce dossier, la France doit parler haut et fort sans se laisser dicter sa loi par les marchands. L’occasion devrait être saisie d’engager le grand chantier d’un pôle public de l’énergie et des transports.

Vous ne dites pas non plus la vérité, monsieur le Premier ministre, sur les conséquences sociales de votre plan. Vous répétez des chiffres – 18 milliards d’euros pour l’État, 11 milliards d’euros pour les collectivités, 10 milliards d’euros pour la santé et 11 milliards d’euros pour notre régime de protection sociale –, mais vous entrez assez peu dans les détails, vous bornant à déclarer que « toutes les pistes sont envisagées ».

En réalité, la ponction va être massive sur l’emploi et sur le pouvoir d’achat. Vous confirmez déjà le gel du point d’indice dans la fonction publique, alors que les agents sont pour l’essentiel des petits salaires – 75 % des fonctionnaires sont de catégorie C –, et le gel des prestations sociales, lequel est tout aussi injuste. Vous mettez en avant des mesures en trompe-l’œil, comme le transfert d’une partie de la feuille de paie des smicards. Mais le total de la feuille de paie, lui, ne changera pas. Au passage, c’est le financement de la sécurité sociale qui sera fragilisé.

Vous avez vanté ces derniers jours le maintien en 2014 de la revalorisation des petites retraites, en oubliant de dire que le report d’avril à octobre de cette revalorisation annuelle amputera chaque année leur pouvoir d’achat.

Vous dites qu’il y aura moins d’impôts, mais pour qui ? Tous les allégements prévus seront pour les entreprises.

Sur de nombreux autres sujets, vous n’entrez jamais dans les détails. Ainsi, vous ne dites pas combien d’emplois seront supprimés dans la fonction publique territoriale, quels médicaments seront déremboursés, quels hôpitaux, quels services seront fermés. Vous ne dites pas non plus quelles aides au logement, quelles subventions aux associations seront amputées.

Quant aux collectivités territoriales, vous annoncez leur dépeçage, vous sacrifiez le maillage démocratique local sur l’autel de la réduction des dépenses publiques, suivant à la lettre l’adage libéral selon lequel on ne fait pas de « bonne austérité » sans autoritarisme d’État. En vérité, votre réforme territoriale introduit la concurrence entre les territoires.

Vous nous demandez de vous faire confiance, mais commencez donc par jouer totalement et réellement cartes sur table.

En fait, c’est toujours le syndrome de la demi-vérité ! Si le sujet n’était pas aussi sérieux, je dirais que vous me faites penser à Coluche, qui disait : « On ne peut pas dire la vérité à la télévision : il y a trop de monde qui regarde ».

M. Manuel Valls, Premier ministre. C’est un compliment. Je vous remercie. Vous avez de bonnes références !

M. Pierre Laurent. Enfin, monsieur le Premier ministre, nous ne voterons pas ce plan pour une raison démocratique et politique essentielle. (Exclamations sur plusieurs travées de l'UMP.)

M. Albéric de Montgolfier. Il n’y a pas de vote !

M. Pierre Laurent. Vous m’avez compris !

M. Éric Doligé. Le Sénat est puni !

M. Pierre Laurent. Les Français n’ont pas élu François Hollande pour subir cette politique-là. Ils viennent d’ailleurs de le lui signifier clairement dans les urnes lors des élections municipales. Cependant, tournant plus encore le dos à leurs attentes, le Président de la République vous a nommé en vous donnant le mandat d’amplifier la politique d’austérité. Or l’élection présidentielle n’est pas un blanc-seing donné à celui qui l’emporte. C’est un mandat, et le Président de la République est tenu de rendre des comptes devant les électeurs.

Or cette politique n’a pas de majorité populaire. Elle n’a pas de majorité à gauche. Que vous l’assumiez totalement, en le répétant presque comme un argument d’autorité, ne change rien à l’affaire. Votre plan n’a pas obtenu de majorité à gauche à l’Assemblée nationale. Cette politique est menée contre une partie grandissante de la majorité du pays, qui a permis le changement en 2012, contre les électeurs du Front de gauche, contre une partie grandissante des socialistes et des écologistes. Cette situation inédite ne fait que révéler un peu plus l’archaïsme anti-démocratique de notre monarchie présidentielle.

M. Pierre Laurent. Pour notre part, nous ne pouvons cautionner un mode de gouvernement qui en appelle davantage à la discipline présidentielle qu’à la conviction parlementaire et au respect des électeurs.

Devant ce triste spectacle, la droite se frotte les mains.

M. Alain Fouché. Les communistes aussi !

M. Pierre Laurent. Certains applaudissent en sourdine, d’autres vous critiquent en vous demandant d’aller toujours plus loin dans la même direction ; Jean Arthuis vient de faire les deux à la fois. Plus grave encore, devant ce spectacle affligeant, l’extrême droite de Marine Le Pen cultive le désespoir. Nous ne donnerons pas la main à ce scénario de la défaite. Vous prenez la lourde responsabilité d’engager une politique qui peut conduire à un échec durable de la gauche,…

M. Gérard Longuet. Si seulement…

M. Pierre Laurent. … à un retour aux affaires de la droite et à un renforcement du Front national. Vous rendez les armes idéologiques sans combattre. Ne comptez pas sur nous pour accepter ce reniement.

Vous pouvez continuer à penser que le problème du Gouvernement tient plus à sa communication, à une question de leadership, à un manque de pédagogie. Vous pouvez continuer à vous voiler la face. D’autres l’ont fait avant vous. Cela ne changera rien à la défiance des Français.

M. Pierre Laurent. Aujourd’hui plus encore qu’hier, nous ne baissons pas la garde. Nous n’abandonnons pas l’idée qu’il existe une voie à gauche et qu’il ne tient qu’à nous de la construire. C’est pourquoi nous disons notre désir de travailler avec toutes celles et ceux, au Parlement et dans le pays, qui gardent le cœur à gauche, qui doutent et ressentent au fond d’eux-mêmes un profond malaise face aux orientations du Gouvernement. À nous de construire une alternative de gauche,…

M. Alain Fouché. On l’attend toujours !

M. Gérard Longuet. On attend avec impatience !

M. Pierre Laurent. … celle de la justice et du partage, en imaginant la France de demain. Oui, une politique de gauche, fidèle aux valeurs de justice et d’égalité, reste possible. Vous y renoncez, monsieur le Premier ministre. Nous allons la reconstruire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Exclamations sur plusieurs travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet, pour le groupe RDSE.

M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce n’est pas dramatiser le débat qui anime le pays et se poursuit dans cet hémicycle que de dire que la France se trouve à un carrefour de son histoire récente. Alors que s’esquisse une timide sortie de la crise que le monde traverse depuis 2008, les cartes de l’économie mondiale sont rebattues, et ce sont déjà les contours du monde de l’après-crise qui se dessinent.

Depuis mai 2012, de grands chantiers ont été menés ou lancés : création du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, ou CICE, réforme des retraites, réforme du marché du travail, réforme de la formation professionnelle. Afin que les effets de cette politique se concrétisent dans le quotidien de nos compatriotes, nous devons maintenant en accélérer le rythme et l’ampleur.

Le Président de la République l’avait annoncé le 14 janvier dernier, et vous l’avez confirmé lors de votre discours de politique générale, monsieur le Premier ministre : avec le programme de stabilité, vous fixez un cap économique et budgétaire jusqu’à la fin du quinquennat. Il s'agit d’un acte fondateur, comme vous venez de le dire.

L’équation est la fois simple et périlleuse : il nous faut rétablir la compétitivité de nos entreprises et l’attractivité de notre économie et favoriser l’emploi tout en préservant le modèle français de solidarité et en réduisant les déficits des comptes publics.

Revenons sur ce dernier aspect. Entre 2007 et 2012, notre dette publique a été portée de 64 % à plus de 90 % du PIB…

M. Jean-Michel Baylet. … par ceux-là mêmes qui nous donnent aujourd’hui des leçons de bonne gouvernance.

M. Jean-Marc Pastor. Très bien ! !

M. Jean-Michel Baylet. Cependant, si nous regardons plus loin, nous constatons que, depuis près de quarante ans, les gouvernements successifs ont participé au creusement de la dette. Mes chers collègues, la nécessaire recherche de l’équilibre des comptes publics n’est pas une injonction européenne : elle est un impératif politique et un impératif économique. Nous, radicaux, ne sommes pas partisans de la doxa budgétaire, mais nous constatons que la dette rogne nos marges de manœuvre et constitue un frein à l’action politique.

Dans notre pays, il est assez courant d’accuser – cela a encore été fait tout à l'heure – la contrainte européenne d’être la source de tous les maux de notre économie. Pour ma part, je n’oublie pas que, à la suite de la crise de la dette de la zone euro, c’est cette même Europe qui a éteint l’incendie qui menaçait le continent et a mis en place, avec les pays européens, les mécanismes de solidarité qui ont pour contrepartie la maîtrise des déficits et la supervision budgétaire, afin d’éviter qu’un scenario « à la grecque » ne se reproduise.

Monsieur le Premier ministre, dans votre courrier, vous estimez que le niveau de l’euro est trop élevé. J’espère que vous pourrez nous indiquer votre feuille de route en faveur de la constitution d’une gouvernance et d’une politique économique commune de la zone euro, étape indispensable à la constitution, espérée par les radicaux, d’une véritable Europe fédérale, seule capable de permettre aux grandes et vieilles nations européennes de compter dans le concert des nations mondialisées.

Revenons dans le cadre national. Depuis 2012, dans sa stratégie de redressement de nos finances, le Gouvernement a actionné deux leviers : une politique de limitation des dépenses et une augmentation de la fiscalité, ciblée principalement, parce que c’est justice, sur les hauts revenus.