M. Christian Bourquin. Nous n’hésiterons pas à le dire aux électeurs écologistes sur le terrain !

M. Ronan Dantec. … de manière à pouvoir avancer là où il y a consensus, y compris sur des questions de fond. Car on ne doit pas se contenter d’un débat de façade : aucune proposition ne doit être taboue. Par exemple, dans certaines grandes régions, il peut être intéressant de garder des structures infrarégionales, ne correspondant du reste pas forcément à l’échelle des départements actuels.

Voilà le type de débats que nous devons mener. Ce sont des débats de fond qui sont nécessaires à l’efficacité de l’action publique.

En outre, lorsqu’il y a blocage de la part des élus – je vais me remettre en phase avec moi-même –, il faut permettre aux citoyens de faire valoir leur souhait grâce à un référendum d’initiative citoyenne au niveau du département, afin qu’ils puissent éventuellement opérer des redécoupages. Je compte donc sur votre soutien à tous, après les nombreux appels au peuple que j’ai entendus cet après-midi, pour permettre le recours au référendum d’initiative citoyenne.

Cette réforme est effectivement difficile et compliquée, et il ne faut pas nécessairement considérer toute opposition ou objection comme une manifestation de conservatisme. Il est normal qu’elle provoque des réactions, car, pour un nombre important de nos concitoyens, les redécoupages prévus – comme c’était le cas lors des redécoupages antérieurs – pourront entraîner des bouleversements dans les comportements et les habitudes de vie, notamment en matière de transports.

Il faut donc tenir profondément compte des conséquences possibles de cette réforme au quotidien, mais aussi dans l’imaginaire collectif. En Loire-Atlantique, notamment, plus qu’ailleurs, nul n’ignore le caractère extrêmement passionnel de ce débat. Certes, ce n’est pas une réforme facile, mais l’abandonner aujourd’hui reviendrait à condamner demain des territoires pauvres, ruraux ou urbains, qui ne bénéficieraient pas de péréquations ni des dynamiques créées par les réseaux de villes. Ce serait la pire des choses !

Mes chers collègues, n’offrons pas une image caricaturale du Sénat, ne cherchons pas à simplement retarder le débat par le biais de différentes arguties juridiques, constitutionnelles ou réglementaires. La France a besoin de cette réforme, et la seule manière de l’aborder est d’en débattre sur le fond, mais certainement pas d’en retarder l’examen. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – MM. Jean-Pierre Sueur et Pierre Camani applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau. (Ah ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne sais plus si c’est Sacha Guitry ou Michel Audiard, à moins que ce ne soit Louis Scutenaire, qui a écrit cette phrase, une phrase que vous avez merveilleusement illustrée, monsieur le rapporteur : « L'humour est une façon de se tirer d'embarras sans se tirer d'affaire ». (Sourires.)

Quand je vous écoutais vous offusquer de ce crime de lèse-majesté contre notre démocratie représentative et notre Haute Assemblée que pourrait constituer une motion référendaire, je me souvenais de celle que, au mois de janvier 2010, sous la haute autorité de celui qui n’était pas encore le président du Sénat, vous aviez déposée avec plusieurs dizaines de collègues socialistes, et je me disais que, finalement, nous nous trouvions aujourd’hui à front renversé !

M. Michel Delebarre, rapporteur. Il y a toujours matière à débat !

M. Bruno Retailleau. Mes chers collègues, la motion référendaire que nous avons déposée vise une réforme arbitraire, conçue dans la panique consécutive à la déroute des élections municipales, improvisée sur un coin de table à l’Élysée, en parfaite contradiction avec les déclarations des uns et des autres ! (Marques d’approbation sur les travées de l'UMP.)

L’un de mes prédécesseurs à la tribune a cité tout à l’heure certains propos du Président de la République. Je pourrais, moi aussi, ajouter mon lot de citations, puisées notamment dans le discours qui fut prononcé lors des États généraux de la démocratie territoriale.

Contradiction la plus totale quand il nous a été demandé de bouleverser la carte des cantons en France et que, quelques semaines après, on nous a annoncé que tout cela n’aurait plus lieu d’être puisque les départements seraient supprimés.

M. Gérard Larcher. Inconséquence !

M. Bruno Retailleau. En réalité, cette réforme est le point d’aboutissement d’un faux procès, engagé sur de fausses accusations, appuyées sur de fausses preuves, apportées par de faux témoins, mais qui fera de vraies victimes.

Je commence par les fausses accusations. On le sait bien, les élus locaux sont, n’est-ce pas ? de dangereux démagogues ! Les collectivités locales, c’est le gaspillage ! Et ce sont elles les véritables responsables du déficit ! Or, monsieur le ministre, je le rappelle, les collectivités, elles, n’ont pas le droit d’emprunter pour « faire leurs courses » ni, a fortiori, pour rembourser leur dette. (Marques d’approbation sur les travées de l'UMP.)

Avec un ratio d’endettement qui s’élève à 8,2 % exactement – vous pourrez en demander confirmation aux fonctionnaires de la DGCL, qui sont excellents –, les collectivités territoriales françaises se situent en dessous de la moyenne européenne. Par conséquent, si les collectivités avaient quelque responsabilité que ce soit sur le déficit français, cela se saurait !

Précisément, qu’a-t-on appris au début de cette semaine ? Que ce déficit s’alourdit même de jour en jour, et que la dette publique atteindra bientôt 2 000 milliards d’euros ! (Mêmes mouvements sur les mêmes travées.) Et qui a le plus contribué à son augmentation depuis le début de l’année ? C’est l’État, à hauteur de 43 milliards d’euros !

M. Bruno Retailleau. En revanche, fin mars, la dette des collectivités a diminué de 2,1 milliards d’euros, mes chers collègues ! Redressons donc la tête !

Fausses preuves : alors que cette réforme est censée permettre à la France de réaliser des économies, chose extraordinaire, au fur et à mesure que l’été avance – j’ai lu et relu les déclarations récentes du Gouvernement –, les économies annoncées fondent comme neige au soleil !

Au mois de mai, André Vallini annonçait de 12 à 25 milliards d’euros d’économies par an. Un mois plus tard, on était descendu à 10 milliards d’euros dans cinq à dix ans. Enfin, la semaine dernière, dans le Journal du dimanche, le même André Vallini prétend que personne n’a jamais dit que passer de vingt-deux à quatorze régions permettrait de générer des économies ! Quant aux agences Fitch ou Moody’s, qui, certes, n’aiment pas particulièrement ni la dépense publique, ni les collectivités locales, ni les élus territoriaux, elles ont toutes deux conclu, force est de le dire, à l’absence d’économies engendrées par cette réforme.

En réalité, vous le savez, il n’y aura pas d’économies ; du reste, lors des États généraux de la démocratie territoriale, François Hollande lui-même avait reconnu que les économies réalisées grâce à la suppression des départements seraient insignifiantes : « Des arguments en termes d'économies sont souvent avancés pour supprimer un échelon. Ils ne résistent pas à l'examen dès lors qu'il n'est pas question d'abolir les compétences que cette collectivité exerce. »

Bien sûr, il y aura toujours des routes départementales, des collèges, on continuera à verser le RSA. Mais ces services coûteront plus cher, car, c’est une évidence, plus on éloigne l’autorité décisionnelle du terrain, plus la décision est inefficace et coûteuse pour les finances publiques. (Bien sûr ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Yves Détraigne applaudit également.)

Mais que se passera-t-il demain si l’on supprime les départements ? J’ai fait le calcul : aujourd'hui, les cinq départements de la région Pays de la Loire emploient au total 15 000 fonctionnaires !

Cela signifie que vous allez bureaucratiser la France et que, en fin de compte, si cette réforme est adoptée – vous l’avez compris, nous ne la voterons pas –, elle générera plus de coûts supplémentaires que d’économies.

L’État n’a donc pas à se transformer en procureur, alors qu’il laisse filer les déficits et la dette.

Faux procès avec de fausses accusations et de fausses preuves. J’en viens aux faux témoins.

M. Bruno Retailleau. Ce sont ceux qui, d’un jour à l’autre, d’un hémicycle à l’autre, n’hésitent pas à se renier.

Un sénateur du groupe UMP. Une fois de plus !

M. Bruno Retailleau. Ce sont des experts, des élus, souvent d’ailleurs très parisiens – même si je n’ai rien contre les élus parisiens, il y en a d’excellents au sein de mon parti, et je profite d’ailleurs de l’occasion pour les saluer ! (Sourires sur les travées de l'UMP.) Mais l’exception n’est pas la règle !

En tout cas, les experts parisiens à qui il arrive parfois, je le concède bien volontiers, de franchir le périphérique pour passer les vacances dans le Lubéron, ou peut-être à l’île d’Yeu,…

M. Gérard Larcher. C’est bien aussi !

M. Bruno Retailleau. … sont obnubilés par une prétendue nouvelle géographie économique dans laquelle les métropoles sont l’horizon indépassable. Or, comme le dit très bien le géographe Christophe Guilluy, les métropoles représentent au plus 40 % de la population française, et il est stupide d’opposer métropoles et ruralité.

Un sénateur du groupe UMP. Bien sûr !

M. Bruno Retailleau. Si, bien entendu, la France a besoin de métropoles fortes, elle a aussi besoin, en même temps, d’un système périurbain et rural ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Yves Détraigne, Mme Anne-Marie Escoffier et M. Jacques Mézard applaudissent également.)

Certains, conscients que les arguments en termes d’économies ne tiennent pas, ont recours à d’autres arguments tout aussi fallacieux pour justifier la suppression de l’échelon départemental, et sans doute aussi, demain, des communes fusionnées dans les grandes intercommunalités : toute cette organisation territoriale serait trop vieille et démodée. À ceux-là, je demande : et la République, elle est démodée ? Et la France, elle est trop vieille ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP.) Ces arguments, chers collègues, relèvent vraiment du degré zéro du raisonnement !

Faux procès, disais-je, mais vraies victimes : les Français et les territoires les plus fragiles.

En suscitant autant d’incertitudes, quant aux fonctions exécutives locales ou sur le sort des départements, votre réforme, monsieur le ministre, va ajouter la crise à la crise. Cela va en effet paralyser l’investissement, car l’investissement public est désormais, aux trois quarts, le fait des collectivités territoriales. Ajouter la crise à la crise, c’est d’ailleurs ce que vous ne cessez de faire avec tant de lois mal conçues, par exemple la loi ALUR, qui bloque les constructions de logements.

Surtout, vous allez aggraver des fractures qui sont en train de déchirer le tissu social français.

M. Bruno Retailleau. La première de ces fractures, c’est la fracture territoriale, sur laquelle je m’attarderai un instant.

Mais permettez-moi auparavant de remercier Jean-Pierre Chevènement et Pierre-Yves Collombat ainsi que ceux de nos collègues de gauche qui ont déposé cette motion de censure.

Mme Éliane Assassi. N’oubliez pas les communistes, cher collègue !

M. Bruno Retailleau. Et, bien sûr, aussi, nos collègues communistes.

M. Éric Doligé. Il y a les vrais élus de gauche, et il y a les faux !

M. Bruno Retailleau. On peut se demander, en effet, si certains sont encore de gauche !

Quel est donc le but de cette réforme territoriale ? Constituer de grandes régions et de grandes intercommunalités, et, entre les deux, hormis les métropoles, rien. C’est donc la vision d’une France remembrée, démembrée, d’une France artificialisée qui est à l’œuvre. Exit le sentiment d’appartenance dont parlait Pierre-Yves Collombat tout à l’heure. C’est la vision une France où le monde rural et périurbain ne comptera plus. Eh bien, c’est la vision qui ne correspond pas à notre tradition, qui ne correspond pas à ce qu’est la France, parce que la France, c’est le territoire, c’est la ruralité, et une ruralité qui, elle aussi, est vivante, car le désir de vivre à la campagne est vif parmi nos citoyens, il est moderne – et j’en sais quelque chose en Vendée, l’un des trois ou quatre départements les plus attractifs de France.

Or les communes rurales ont besoin de départements puissants, qui garantissent une véritable solidarité, à la fois sociale, mais aussi territoriale. Tel est le rôle des départements, et rappelons-nous qu’ils ont été conçus sous la Révolution pour être l’espace de l’action de l’État. C’est du reste ce que vous avez écrit vous-même, monsieur le ministre, dans un grand quotidien du soir, expliquant que cette réforme devrait s’accompagner d’un renforcement du pouvoir des préfets dans les départements. C’était d’ailleurs peu avant une grande réunion de préfets. Au passage, on peut noter que c’est une étrange conception de la décentralisation ! (M. Bruno Sido opine.)

En outre, l’espace départemental est aussi l’espace administratif dans lequel se déploient les services publics. C’est pourquoi ceux qui pensent que cette réforme n’aura pas d’incidence sur la qualité des services publics se trompent grandement !

M. Gérard Larcher. Bien sûr !

M. Bruno Retailleau. Vous verrez, et vous verrez vite !

Ce projet est aussi contradictoire, parce que, si j’ai bien compris, vous souhaiteriez confier à de grandes intercommunalités des responsabilités sociales exercées par les départements. En effet, la logique de cette réforme– à supposer qu’elle en ait une ! –, c’est la mutualisation des moyens ; or, si l’on retire aux départements leurs compétences en matière d’action sociale pour les confier à une pluralité d’intercommunalités, on fait l’inverse d’une mutualisation !

Autre contradiction : si demain les politiques sociales sont fonction de la richesse de l’intercommunalité chargée de les mettre en œuvre, c’est le degré zéro de la solidarité départementale ! La fracture territoriale ne pourra que s’en trouver aggravée.

La deuxième fracture est une fracture démocratique.

Je crois qu’il y a une sorte de loi de la gravitation universelle de la démocratie. Ce sont les Grecs qui l’ont découverte lorsqu’ils ont inventé la Cité, le civisme, la citoyenneté, qu’ils ont créé la démocratie. Ils l’ont créée dans un espace relativement restreint, où les relations s’établissent de visage à visage, de regard à regard. En effet, pour qu’une minorité accepte la loi de la majorité, il faut des liens, une proximité spatiale, il faut que la personne à qui est confié un mandat soit, si j’ose dire, « à portée d’engueulade » – les élus en essuient plus qu’ils ne reçoivent de félicitations !

C’est donc dans la proximité que s’élabore ce sentiment démocratique, que se fait l’apprentissage de la démocratie, et la démocratie nationale n’est qu’une projection de notre pratique et de notre expérience de la démocratie locale.

Par conséquent, plus vous éloignez les élus des administrés, au sein de grandes régions ou d’intercommunalités, qui d’ailleurs ne sont pas vraiment des institutions démocratiques – elles ne le sont qu’au second degré –, plus vous allez distendre ce lien.

Relisez Fractures françaises de Christophe Guilluy, dont la sensibilité est sans doute plus proche de la vôtre que de la mienne, et vous constaterez que c’est dans cette France des oubliés, cette France des invisibles, cette France périurbaine, rurale, qui se considère comme abandonnée par la mondialisation, que le Front national réalise ses scores les plus élevés ! Dans l’euro-région Ouest, j’ai calculé que le vote protestataire recueillait sept points de plus en milieu rural et périurbain.

Voilà la fracture démocratique ! Voilà ce que vous allez aggraver si, demain, vous remembrez la France avec d’immenses régions et supprimez les corps intermédiaires territoriaux !

Fracture territoriale, fracture démocratique, mais aussi fracture identitaire.

Pour rebondir sur les propos de Ronan Dantec, qui est un voisin breton – tribu voisine ! –, je dirai que j’ai une grande considération pour l’identité. Pour être profondément Français, mais aussi Vendéen, je sais ce que l’identité peut apporter comme moteur de développement, à condition qu’elle soit une « identité heureuse », pour paraphraser un académicien, c’est-à-dire tournée vers les autres et vers l’avenir.

Mettons en perspective cette réforme avec ce qu’est fondamentalement notre pays. Vous le savez, la France a depuis longtemps, avant la République et l’Empire, dès le temps de la monarchie, l’obsession de son unité. Cette obsession a traversé les siècles, les générations et les régimes. Toutefois, la République a vite compris que l’unité nationale ne pouvait pas s’opérer sans une respiration territoriale. Aussi, dès la fin du XIXe siècle, le génie français a réalisé en quelque sorte l’acte premier de la décentralisation. Celle-ci date non pas de 1982, mais plutôt de la loi de 1871 sur les départements et surtout de celle de 1884, avec la charte municipale qui a instauré la clause de compétence générale pour les communes.

Cette invention française est donc là pour faire respirer les territoires dans un État très centralisé, encore très jacobin. C’est notre histoire. Tout le mouvement de décentralisation qui s’est ensuivi et dont je salue les instigateurs, Gaston Defferre mais aussi Jacques Chirac, Jean-Pierre Raffarin, ici présent, et d’autres, incarne cet effort de synthèse entre la diversité et l’unité. En d’autres termes, il s’agit de penser la diversité, la décentralisation dans cette unité républicaine et française.

Vaclav Havel, un auteur que j’aime beaucoup, a dit quelques mois avant sa mort que les grandes nations occidentales et postmodernes sont menacées par un dilemme mortifère : d’un côté, l’uniformisation, la standardisation liée à la mondialisation ; de l’autre côté, le repli identitaire.

J’ai lu l’étude d’impact, et cela ne m’a évidemment pris que peu de temps, hélas ! M’adressant à tous ceux de nos collègues qui n’ont d’autre horizon pour le pays que les comparaisons internationales, qui voudraient finalement que la France se vide de sa propre substance, qu’elle évacue son histoire et sa géographie, pour ne ressembler qu’à un État moyen totalement abstrait, conçu à partir de statistiques européennes, je rappellerai certaines réalités sur ces forces centrifuges que sont les dynamiques identitaires : l’Écosse en Grande-Bretagne, la Flandre en Belgique, la Vénétie en Italie, la Catalogne en Espagne… Nous n’avons pas de leçons à recevoir des autres pays, qui ont leurs propres traditions. L’Allemagne a une tradition fédérale – en dehors la parenthèse du nazisme –, mais l’Allemagne est l’Allemagne, et la France est la France !

Vous avez fait, monsieur le ministre, une grave erreur, qui n’est pas seulement de méthode, en mettant la charrue avant les bœufs. En dissociant et en commençant par la carte plutôt que par les responsabilités et les compétences (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP, ainsi que de la part de M. Yves Détraigne.), vous avez pris le risque de déconnecter les communautés d’appartenance historique et les communautés de destin et de projet, qui doivent se mettre en mouvement. Et Dieu sait si le sentiment d’appartenance historique peut aussi être un moteur pour l’avenir !

Je considère, au-delà de la méthode, que la faute est encore plus grave, puisque l’on voit partout se réveiller de vieux antagonismes de territoire dont la France, percluse de divisions, n’a certainement pas besoin. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Jean-Léonce Dupont applaudit également.)

Monsieur le ministre, vous avez pris le risque du communautarisme territorial, qui est une tentation historique française, depuis les Bourguignons – c’était bien avant François Patriat ! (Sourires.) – jusqu’aux « bonnets rouges » d’aujourd’hui. C’est d'ailleurs dans cette perspective que je comprends les phrases prononcées par François Mitterrand en 1981: « La France a eu besoin d’un pouvoir fort et centralisé pour se faire. Elle a aujourd’hui besoin d’un pouvoir décentralisé pour ne pas se défaire. »

Vous êtes finalement à rebours de cette évolution parce que vous êtes à rebours de l’histoire. Bien sûr, cela a été dit, personne n’est pour le statu quo. Nous sommes favorables à une réforme, mais pas à cette réforme-là. (M. le ministre sourit.)

Je suis heureux de vous faire sourire, monsieur le ministre !

M. Gérard Longuet. Et ce n’est pas facile ! (Sourires.)

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Vous me faites même rire !

M. Roger Karoutchi. Il n’a pas encore applaudi !

M. Gérard Longuet. Il n’en a pas le droit !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. C’est pour cela que j’ai souri !

M. Bruno Retailleau. Quoi qu'il en soit, au bout d’une vingtaine de minutes, ce n’est déjà pas mal ! (Nouveaux sourires.)

Je considère en tout cas que cette réforme n’est pas tenable parce que ses auteurs raisonnent sur de vieux schémas. Aujourd'hui, une réforme utile consisterait à mettre en réseau les collectivités, à les articuler entre elles. C’est là, à mon avis, la vraie force d’une action territoriale. En tant qu’élus locaux, nous le savons bien : lorsque nous parvenons à faire des clusters en termes territoriaux, je puis vous assurer que nous avançons, quels que soient les échelons.

Encore faudrait-il partir avec un certain nombre d’objectifs clairs qui ne soient ni liés à des calendriers électoraux ni dictés par tel ou tel baron, par tel ou tel « éléphant ». Les objectifs doivent être de répondre aux défis qui sont devant nous et qui caractérisent nos territoires. Pour ma part, j’en vois au moins trois.

Tout d'abord, les territoires, et pas seulement métropolitains, sont des réserves d’énergie. Croyez-moi, les territoires sont des facteurs de compétitivité ! Que prévoit le texte à cet égard ?

Ensuite, on ne peut pas laisser la France avec sa fracture territoriale – j’ai déjà cité Christophe Guilluy. On ne peut avoir le Grand Paris pour unique vision de l’aménagement du territoire ; pardon, cher Philippe Dallier ! (Rires et exclamations sur les travées de l’UMP.) Nous ne pouvons pas en rester là ! Où est, chère collègue Anne-Marie Escoffier, la vision de l’aménagement du territoire destinée à lutter contre les fractures territoriales ?

Notre société est de plus en plus ouverte, complexe, collaborative ; elle exige assurément des réseaux, je puis en témoigner, moi qui suis passionné par le numérique. Mais c’est moins la taille que l’agilité qui compte, monsieur le ministre. C’est de cette façon que l’on parviendra à redresser la France, pas en opérant des sortes de remembrements à partir de cartes, comme d’autres ont pu tracer des frontières à la fin du XIXe siècle en Afrique.

Ce n’est pas tolérable, cela ne correspond pas à une vision moderne des choses. Nous sommes favorables à de grandes régions, bien sûr. Mais, comme le soulignait Yves Krattinger hier en commission spéciale, vous faites des régions des superdépartements ! En transférant le transport scolaire aux régions, vous allez leur mettre des semelles de plomb ! Ce n’est pas leur boulot ! De grandes régions ne doivent pas se concevoir comme de superdépartements ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Vous pouvez bien sûr effacer les départements là où il existe des métropoles. Vous pouvez même en fusionner. Pourquoi pas ? Mais les départements sont essentiels pour garantir une cohésion à la fois territoriale et sociale.

Quant aux intercommunalités, il est question d’un seuil de 20 000 habitants. Où sont vos convictions humanistes ? Vous vous réfugiez derrière la loi du nombre, mais la réforme territoriale ne doit-elle pas avoir un visage humain ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)

Il me faut maintenant conclure. (Marques de désappointement sur les travées de l’UMP.) Hélas, mes chers collègues, le ministre ne sourit plus ! Je crains d’être arrivé au bout de mes capacités ! (Sourires.)

Cette réforme n’est pas à la hauteur des vrais enjeux de nos territoires. Elle n’est pas non plus à la hauteur de la France. Nous observons partout en France des mouvements d’opposition qui se lèvent contre ces mariages forcés, contre ces célibats autorisés, contre ces divorces programmés.

Bien sûr, le groupe UMP votera cette motion référendaire. Nous la voterons parce que la réforme qui nous est proposée va profondément bouleverser l’organisation territoriale française, et donc celle des pouvoirs publics. Nous la voterons sur la base d’un certain nombre d’arguments, cher président Bel, que vous n’aviez pas manqué d’avancer voilà quelques années.

Par ailleurs, monsieur le ministre – et j’en appelle à votre sens de l’État, à votre sens de l’intérêt général, dont je ne doute pas un seul instant –, un parti minoritaire, contre ses alliés de gauche, contre de grandes voix autorisées en son sein même, contre le Sénat qui est la chambre par excellence des territoires, peut-il bouleverser à ce point la France, avec une méthode aussi brutale et dans l’impréparation ? (MM. Alain Gournac et René-Paul Savary applaudissent.)

Votre réforme est née sous le signe de l’improvisation, des petits arrangements et de la diversion.

M. Gérard Larcher. Très bien !

M. Bruno Retailleau. Vous braquez le projecteur sur les territoires, les collectivités territoriales et les élus locaux pour que les Français oublient vos échecs !

Oui, nous voterons cette motion référendaire !

Tocqueville soulignait que la décentralisation n’a pas seulement une valeur administrative, qu’elle a aussi une portée éminemment civique puisqu’elle permet de multiplier les occasions pour les concitoyens de s’intéresser aux affaires publiques, ce qui les accoutume à user de leur liberté. La France est un grand pays qui aime la liberté. Nous chérissons cette liberté ! Aussi, désigner les territoires, c’est désigner les libertés locales et les compétences qui découlent des différents textes sur la décentralisation.

Eh bien, je ne vois pas pourquoi vous refuseriez aujourd’hui aux Français le droit d’être consultés ! Je pense que le Gouvernement a le devoir de les consulter. Ernest Renan, dans son discours Qu’est-ce qu’une nation ? écrivait : « Une province, pour nous, ce sont ses habitants ; si quelqu’un en cette affaire a droit d’être consulté, c’est l’habitant. »

Mes chers collègues, pour cette raison profonde, parce que ce texte va bouleverser la France, parce que les Français méritent d’être consultés, nous voterons avec enthousiasme et énergie cette motion référendaire ! (Vifs applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Roche.

M. Gérard Roche. Il n’est pas facile de prendre la parole après notre collègue et ami Bruno Retailleau ! (Sourires.)

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je n’anticiperai pas ici le débat de politique générale qui précédera l’examen du projet de loi, mais concentrerai mon propos sur la motion référendaire.

Le présent projet de loi tend à répondre à trois objectifs : réduire le nombre de régions par fusion, reporter les élections des conseillers régionaux et départementaux, et mettre un terme au mandat des futurs conseillers départementaux en 2020.

L’instauration d’un tel mandat raccourci, inscrite à l’article 12 du projet de loi, sous-entend la fin des conseils départementaux à l’horizon 2020, conformément aux annonces gouvernementales.

Interroger nos concitoyens par le biais d’un référendum sur la carte des régions n’est pas très indiqué, à mon sens, à l’échelon national. Ce serait même un parfait contre-exemple du bon usage du référendum ! Une question binaire n’a en effet aucune raison d’être s’agissant d’un projet de loi complexe, agrégeant une multitude d’enjeux locaux. De manière tout à fait compréhensible, les citoyens s’exprimeront sur les découpages régionaux les concernant directement, perdant de vue la dimension globale du texte.

En revanche, le recours à des référendums locaux pourrait avoir plus de sens. Cela permettrait aux populations de s’exprimer sur les délimitations des territoires qui sont les leurs au quotidien.

Par ailleurs, il n’est pas utile d’interroger nos concitoyens par le biais d’un référendum sur le report des élections des conseils régionaux et départementaux.

Enfin, quid des conseils départementaux ?

Des sondages ont été publiés peu après l’annonce de la réforme territoriale, donnant une majorité de Français favorable à la suppression des départements. Le Gouvernement et les médias nationaux en ont largement, voire trop largement, fait écho.

Mais un sondage de l’institut CSA, commandé par l’Assemblée des départements de France, l’ADF, contredit ce résultat. Il donne une large majorité de la population favorable au maintien des départements, ce que bien des sondages locaux confirment à leur tour. Pourtant, aucun écho dans la presse nationale ! Il semblerait même que le président de l’ADF, Claudy Lebreton, se soit vu refuser la publication du sondage précité par un grand quotidien national !

Face à ces contradictions, je constate une manipulation de l’opinion publique sur le sujet. In fine, le seul sondage qui vaille serait donc le référendum pour les départements…

La question de l’avenir des départements a justement le mérite de pouvoir se poser de manière binaire. Mais certains observeront que son intérêt est peut-être limité pour mobiliser la population, tandis que d’autres considèreront la question et la réponse choisie comme naturellement réductrices. En outre, nous sommes des démocrates et des personnes honnêtes, notre honnêteté allant jusqu’à reconnaître qu’un référendum, dans le contexte actuel, risquerait de faire pencher la balance très fortement en notre faveur et qu’il ne faut pas profiter des circonstances sachant l’importance de la réforme pour nos concitoyens.

Élus centristes, nous sommes tous très attachés à la spécificité de nos territoires. La motion référendaire ne permettra pas une solution préservant ce droit essentiel à la différence de nos territoires. Le couperet tombera, soit d’un côté, soit de l’autre, sans que la sagesse de la Haute Assemblée ait pu s’exprimer, sans que nous ayons discuté et trouvé, dans la sérénité du débat démocratique, une organisation conciliant la nécessaire modernisation de la France et les intérêts fondamentaux de nos territoires.

Le Sénat doit, ici, pleinement jouer son rôle de Haute Assemblée. Il ne peut se déposséder de cette discussion au profit de la seule Assemblée nationale ou de la démocratie directe. Le sujet est trop important ! Il est d’ailleurs si important qu’il est incompréhensible, ahurissant même, de voir cette réforme territoriale présentée devant notre assemblée avec une telle impréparation, voire une telle désinvolture ! (M. Roger Karoutchi approuve.)

Normalement, il y a concertation, réflexion, décision, puis annonce. Or, nous l’avons bien vu, l’annonce a, comme souvent, précédé la décision, qui avait été prise avant la réflexion, laquelle n’a jamais été fondée sur la moindre concertation !

La réponse du Conseil constitutionnel porte sur la forme, et non sur le fond : elle ne traite pas de l’absence d’étude d’impact des mesures proposées. Cela crée une angoisse chez tous nos concitoyens, qu’ils soient de droite ou de gauche. En ce sens, nous comprenons que, dans un réflexe de peur, certains de nos collègues aient aujourd’hui choisi de déposer cette motion référendaire.

Dans notre groupe, les avis étaient partagés et nous avons opté pour l’abstention, en laissant la possibilité à certains de tirer leur joker. Mais attention, mes chers collègues, n’allez pas une fois encore traiter le centre de « ventre mou » de notre assemblée ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

C’est simple : nous ne voulons pas faire une partie de mistigri ! Nous entendons travailler avec force, nous battre pas à pas sur cette réforme territoriale. Mais nous voulons le faire ici, dans notre assemblée, et non laisser le débat, comme je l’indiquais précédemment, à la seule Assemblée nationale ou à la démocratie directe.

Nous ne serons pas le « ventre mou » ; nous serons le courage ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur certaines travées du groupe socialiste.)