Mme la présidente. L'amendement n° 114 rectifié, présenté par M. Mézard, est ainsi libellé :

Alinéa 6, deuxième phrase

Compléter cette phrase par les mots :

, lorsque les renseignements ne peuvent être recueillis par un autre moyen légalement autorisé

La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Vous allez me dire, monsieur le ministre, que ma proposition procède d’une suspicion de principe… Pas du tout ! Je vous fais totalement confiance comme ministre, tant que vous le serez… (Sourires.)

En vérité, il y a là une question qui me paraît primordiale. Le présent projet de loi ne contient en effet aucune disposition générale consacrant une sorte de « principe de subsidiarité » en vertu duquel les mesures les plus intrusives – et l’on sait qu’elles constituent finalement l’essentiel des techniques en cause – ne sont mises en œuvre que si des moyens moins intrusifs ne permettent pas d’obtenir un résultat équivalent.

Je propose donc de consacrer ce principe dans la loi, ce qui serait d’ailleurs conforme aux engagements internationaux de la France. En effet, la Cour européenne des droits de l’homme indique solennellement que, « caractéristique de l’État policier, le pouvoir de surveiller en secret les citoyens n’est tolérable d’après la Convention que dans la mesure strictement nécessaire à la sauvegarde des institutions démocratiques ». Je crois d’ailleurs, mes chers collègues, que nous sommes unanimement d’accord avec cette affirmation.

On m’objectera que la précision que je souhaite introduire dans le texte n’a que peu de poids. Or elle implique tout de même de se poser la question de la nécessité de recourir à des techniques de renseignement particulièrement intrusives.

Je ne pense pas que l’obligation de privilégier les techniques les moins intrusives et de ne mettre en œuvre les plus intrusives qu’en l’absence d’autre solution mette en danger le fonctionnement de nos excellents services de renseignement…

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bas, rapporteur. Il me semble, mon cher collègue, que le texte de la commission affirme, d’une autre manière, le principe que vous soutenez, en évitant toutefois le risque, induit par votre rédaction, d’effets que je qualifierai de pervers.

Oui, il est important que les techniques utilisées par les services de renseignement soient strictement proportionnées à l’objectif recherché. Cette proportionnalité est d’ailleurs au cœur de l’appréciation qui pourra être portée par le Conseil d’État quant à la légalité de l’autorisation du Premier ministre de recourir à telle ou telle technique : c’est une exigence majeure imposée par ce texte, et tout le travail de la commission des lois a consisté à la renforcer.

Quels sont les inconvénients de votre rédaction ? Si, chaque fois que la CNCTR est saisie, elle doit non seulement apprécier la proportionnalité de la mesure demandée au regard des objectifs visés, mais en outre se demander si toutes les autres techniques de recherche des mêmes renseignements ne seraient pas aussi efficaces, elle se trouvera face à une tâche véritablement impossible !

On est ainsi suffisamment protégé par l’interdiction de toute mesure disproportionnée au regard des fins recherchées, sans qu’il soit besoin d’envisager virtuellement et systématiquement toute la palette des techniques possibles avant d’en autoriser une.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. J’ai la même préoccupation que Jacques Mézard et la même réponse que le rapporteur ; et cela n’est pas incohérent ! (Sourires.)

Je souscris totalement à votre volonté, monsieur Mézard, de faire en sorte que les techniques les plus intrusives ne puissent être utilisées que si aucun autre moyen ne permet d’atteindre la finalité recherchée. C'est d’ailleurs ce que vise le Gouvernement, qui propose l’instauration d’un principe devant être respecté à tout moment, lorsque l’administration demande l’autorisation de recourir à une technique de renseignement : celui de la proportionnalité entre le but visé et le moyen utilisé.

Au reste, monsieur le sénateur, l’autorité administrative et le contrôle juridictionnel seront en permanence en mesure d’apprécier le respect de ce principe. Cette proportionnalité garantit donc que votre objectif sera bien atteint, et la rédaction actuelle ne présente aucune ambiguïté sur ce point.

En revanche, si votre amendement était retenu, nous nous retrouverions dans une situation où aussi bien le juge que la haute autorité auraient à se prononcer non seulement sur le respect du principe de proportionnalité, mais aussi sur l’utilisation de chaque technique de renseignement, ce qui alourdirait considérablement le contrôle et risquerait de conduire à une embolie du dispositif prévu par la loi.

Pour ces raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement. Vous l’aurez compris, monsieur Mézard, il ne s’agit pas d’un désaccord de fond.

Mme la présidente. Monsieur Mézard, l’amendement n° 114 rectifié est-il maintenu ?

M. Jacques Mézard. M. le président Philippe Bas considère que l’adoption de cet amendement aurait des effets pervers. Je ne le pense pas ! Certes, je n’ai pas son expérience de la jurisprudence du Conseil d'État, mais j’observe que le rôle de la CNCTR sera justement de faire le tri. C’est tout le sens de la création de cette haute autorité administrative indépendante !

En effet, celle-ci, saisie par le Gouvernement afin de donner un avis sur l’adéquation de l’utilisation de techniques intrusives, pourra très bien considérer que cette utilisation n’a pas lieu d’être et donner un avis défavorable. Elle se demandera donc tout naturellement, chaque fois, si les renseignements ne peuvent être recueillis par d'autres moyens légalement autorisés et moins intrusifs.

Dès lors, est-il pervers de considérer que cette précision doit figurer dans le texte ? Je laisse au Sénat le soin d’en juger !

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 114 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 124 rectifié, présenté par Mme S. Robert, MM. Sueur, Delebarre, Boutant et Reiner, Mme Jourda, MM. Gorce, Bigot, Duran, Desplan et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Alinéa 8

Remplacer les mots :

Dans l’exercice de leurs missions,

par les mots :

Pour le seul exercice de leurs missions respectives,

La parole est à Mme Sylvie Robert.

Mme Sylvie Robert. Dans ce projet de loi, il est essentiel de définir distinctement le périmètre d’action des divers services de renseignement, afin d’encadrer précisément leur activité. C’est le sens de cet amendement, qui vise tout simplement à préciser que chaque service de renseignement pourra agir au regard des seules finalités qui relèvent de ses missions.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Catherine Troendlé, vice-présidente de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. La commission a émis un avis favorable sur cet amendement de précision.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Cet amendement nous semble déjà satisfait par les dispositions de l’alinéa 8.

Néanmoins, sa dimension théorique n’est pas telle que l’équilibre du texte se trouverait perturbé par son adoption.

Je m’en remets donc à la sagesse de la Haute Assemblée.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 124 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 125 rectifié, présenté par Mme S. Robert, MM. Sueur, Delebarre, Boutant, Reiner, Gorce, Bigot, Duran, Desplan et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Alinéa 8

Remplacer le mot :

promotion

par le mot :

préservation

La parole est à Mme Sylvie Robert.

Mme Sylvie Robert. Le débat sémantique que nous avons eu tout à l'heure sur les notions de « promotion » et de « défense » a bien montré qu’il était essentiel de veiller au choix des mots.

Mes chers collègues, sans vouloir prolonger ce débat, je vous propose, au travers de cet amendement, une autre solution : celle de la « préservation » des intérêts fondamentaux de la Nation. Ce terme me semble beaucoup plus approprié et nullement contradictoire avec la stratégie offensive qui a été évoquée tout à l'heure.

Je pense qu’il est nécessaire de préserver nos intérêts avant de pouvoir les promouvoir.

M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bas, rapporteur. Ma chère collègue, s’il s’agissait de remplacer le mot « défense » par le terme « préservation », nous pourrions discuter, parce que la préservation et la défense des intérêts fondamentaux de la Nation sont des notions très proches. Au demeurant, je préfère tout de même que l’on parle de « défense ».

En revanche, dès lors qu’il vise à écarter le mot « promotion », la commission est défavorable à votre amendement, pour les raisons que j’ai exposées tout à l'heure.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je veux brièvement revenir sur les sujets que nous avons évoqués précédemment.

Beaucoup de pays sont très offensifs dans la défense de leurs intérêts économiques lorsqu’il s’agit de contrats engageant de grandes entreprises dans des secteurs industriels ou scientifiques véritablement stratégiques, et assurent, par la mobilisation de leurs services de renseignement, la promotion de ces intérêts. C’est le cas de tous les grands pays. (Marques de dénégation sur les travées du RDSE.)

C’est ce que nous faisons nous-mêmes pour nos grands secteurs industriels d’excellence, et cette activité n’est pas de nature à porter atteinte à notre réputation, bien au contraire ! Elle est destinée à porter haut les couleurs de filières industrielles ou scientifiques d’excellence, alors même que nous savons que d’autres pays, comparables aux nôtres ou parfois de taille moindre, utilisent tous les ressorts qui sont entre leurs mains pour assurer la promotion de leurs industries.

La France est une grande puissance industrielle.

M. Bruno Sido. C’est de moins en moins vrai !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Nous pouvons considérer comme légitime qu’elle défende ses intérêts, et qu’elle les défende jusqu’à les promouvoir.

Par conséquent, je ne suis pas favorable à ce que l’on atténue, par une substitution de mots, la portée de ce que la France, en tant que grande nation, a intérêt à faire, et j’émets un avis favorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 125 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de huit amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 41, présenté par M. Leconte, est ainsi libellé :

Alinéas 10 et 11

Supprimer ces alinéas.

La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Les alinéas 9 à 17 fixent non pas les objectifs ou les missions des services de renseignement, mais encore les conditions dans lesquelles ces services peuvent faire appel aux techniques de renseignement dont allons débattre par la suite.

Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d'État a formulé la recommandation suivante : « La définition limitative et précise des finalités permettant de recourir aux techniques de renseignement prévues par le projet de loi, dont certaines portent une atteinte forte à la vie privée, constitue la principale garantie que ces techniques ne seront mises en œuvre que pour des motifs légitimes. Ces finalités doivent donc être énoncées en termes précis, permettant de garantir l'effectivité des différents contrôles prévus par le projet de loi, en écartant des formulations dont les contours sont incertains. »

Les alinéas 9 – « l’indépendance nationale, l’intégrité du territoire et la défense nationale » – et 12 – « la prévention du terrorisme » – visent des impératifs tout à fait objectifs. Ces raisons justifient pleinement que l’on autorise les services de renseignement à faire appel à des mesures intrusives.

En revanche, autant je comprends que « les intérêts essentiels de la politique étrangère, l’exécution des engagements européens et internationaux de la France et la prévention de toute forme d’ingérence étrangère » et « les intérêts économiques et scientifiques essentiels de la France », qui font l’objet des alinéas 10 et 11, peuvent justifier l’intervention de nos services de renseignement, autant je ne pense pas que nous puissions les inscrire de manière aussi définitive dans la loi comme justifications impératives à recourir à des techniques absolument intrusives. En effet, la définition de ces critères est relativement subjective et peut donner lieu à des avis différents.

Le maintien de ces dispositions pourrait empêcher que des investigations soient menées dans un certain nombre d’affaires et, finalement, porter un coup à la possibilité de débattre de la politique étrangère ou des intérêts économiques et scientifiques de la France, lesquels méritent d’être défendus, mais aussi d’être définis à l’issue de débats démocratiques.

C'est la raison pour laquelle je propose la suppression de ces deux alinéas.

Mme la présidente. L'amendement n° 87, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Alinéa 10

Supprimer cet alinéa.

La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Nous considérons que la rédaction de l’alinéa 10 est trop large et bien trop imprécise au regard de l’importance des « intérêts essentiels de la politique étrangère » et de la « prévention de toute forme d’ingérence étrangère ».

Je ne serai pas plus longue, compte tenu de ce que vient de dire M. Leconte.

Mme la présidente. L'amendement n° 43, présenté par Mmes Cukierman, Demessine et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Alinéa 10

Supprimer les mots :

Les intérêts essentiels de la politique étrangère,

La parole est à Mme Michelle Demessine.

Mme Michelle Demessine. Le renseignement n’est une activité légitime que s’il se borne à la collecte d’informations dans un domaine strictement défini comme ayant trait à la sécurité nationale, à l’exclusion de toute dimension susceptible d’en faire un instrument politique placé entre les mains d’un gouvernement, quel qu’il soit.

La commission des lois a remplacé la notion d’« intérêts majeurs » de la politique étrangère de la France par celle d’« intérêts essentiels », mais ce critère reste trop large et imprécis pour justifier l’usage de techniques de surveillance intrusives. Il ouvre la voie à des dérives pouvant conduire à la surveillance de groupes ou d’individus qui entendraient contester certains aspects de la politique commerciale de la France – par exemple, en matière d’armement – ou critiqueraient l’engagement français dans des conflits internationaux.

À ce propos, une question se pose : monsieur le ministre, la détermination dont vous faites preuve, à juste raison, pour combattre le terrorisme ne devrait-elle pas s’exercer avec la même clarté contre les dictatures ou les pays « équivoques », dont on a du mal à savoir, par exemple, s’ils combattent ou encouragent les mouvements djihadistes ? Dans quelle mesure combattez-vous ces régimes, dont on sait qu’ils violent quotidiennement les droits de l’homme les plus fondamentaux ?

D'ailleurs, vendredi dernier, le quotidien turc Cumhuriyet a publié des photos et une vidéo qui accréditent l’hypothèse, jusque-là farouchement démentie par le gouvernement d’Ankara, de livraisons d’armes aux rebelles extrémistes syriens au début de l’année 2014.

Mme la présidente. L'amendement n° 34, présenté par M. Raffarin, au nom de la commission des affaires étrangères, est ainsi libellé :

Alinéa 10

Supprimer le mot :

essentiels

La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis. Au fond, il n’existe pas de document de référence émanant de l’exécutif qui définisse exactement ce que sont les « intérêts essentiels » de la politique étrangère.

Autrement dit, on va laisser à la jurisprudence, fût-elle celle d’une juridiction aussi éminente et exempte de critiques que le Conseil d’État, le soin de définir ce qui est « essentiel ».

Cette solution n’est pas satisfaisante, car, selon moi, dans la pratique de la Ve République, l’« essentiel » est défini par l’exécutif, à savoir le Président de la République et le Premier ministre.

Tel est le sens de cet amendement.

Mme la présidente. L'amendement n° 126 rectifié, présenté par MM. Sueur, Delebarre, Boutant, Reiner et Gorce, Mmes S. Robert et Jourda, MM. Bigot, Raynal, Duran, Desplan et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Alinéa 10

Remplacer le mot :

essentiels

par le mot :

majeurs

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Il nous semble tout à fait légitime que les services de renseignement puissent œuvrer dans le cadre de la défense des intérêts majeurs de la politique étrangère de la France. Dès lors, il ne nous paraîtrait pas logique de supprimer l’alinéa 10.

D’ailleurs, dans la plupart des pays voisins – la Grande-Bretagne, l’Espagne et beaucoup d’autres –, les intérêts de la politique étrangère font partie du champ d’action des services de renseignement.

Nous ne sommes pas non plus favorables, monsieur le rapporteur pour avis, à la suppression de tout adjectif qualifiant les intérêts de la politique étrangère : pour le coup, cela conduirait à une rédaction beaucoup trop extensive. Tout ce qui relève de la politique étrangère pourrait alors donner lieu à une action des services de renseignement.

M. Robert del Picchia. Ce n’est pas inimaginable !

M. Jean-Pierre Sueur. On peut imaginer qu’il en soit ainsi, mais ce n’est pas notre position.

Nous pensons que l’adjectif « majeur » permet d’insister sur les intérêts présentant un aspect important, fondamental, tout en spécifiant le champ d’action de nos services de renseignement en la matière.

Mme la présidente. L'amendement n° 78 rectifié, présenté par MM. Mézard, Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin et Hue, Mmes Laborde et Malherbe et M. Requier, est ainsi libellé :

Alinéa 11

Supprimer cet alinéa.

La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Nous souhaitons que chaque composante de la définition de la politique publique de renseignement donne lieu à un débat approfondi – c’est d’ailleurs le cas. Certes, ces composantes doivent être assez larges pour ne pas entraver les travaux de nos services de renseignement, mais elles ne sauraient recouvrir tous les aspects de la vie de nos concitoyens.

Nous jugeons la rédaction de l’alinéa 11 de l’article 1er particulièrement floue en ce qu’elle assigne à la politique publique de renseignement la protection des « intérêts économiques et scientifiques essentiels de la France ». M. le rapporteur pour avis l’a lui-même souligné, l’adjectif « essentiel » est pour le moins imprécis !

D’autres alinéas posent aussi question, selon nous. Ainsi, nous avons déposé un amendement n° 69 rectifié par lequel nous manifestons nos interrogations quant à l’intérêt d’un alinéa autorisant les services de renseignement à mettre en œuvre les techniques de renseignement afin de prévenir d’éventuelles « atteintes à la forme républicaine des institutions ».

Que signifie, dans les faits, la prévention d’éventuelles atteintes à la forme républicaine des institutions ? Est-ce à dire que, demain, des mouvements royalistes pourront être surveillés au motif qu’ils sont royalistes ? Je le précise, je n’ai aucune sympathie particulière pour les mouvements royalistes…

M. Roger Karoutchi. Nous n’en savons rien ! (Sourires.)

M. Jacques Mézard. Vos tendances bonapartistes se réveillent, monsieur Karoutchi ! (Nouveaux sourires.)

M. Gérard Longuet. « Je ne partage pas vos idées, mais je me battrai pour que vous puissiez les défendre ! »

M. Jacques Mézard. Tout à fait !

Du fait de sa relative imprécision, l’alinéa en question pourrait donc être source de nombreuses dérives. Il pourrait même aboutir à la surveillance massive des mouvements sociaux et contestataires, ce qui n’est pas souhaitable de par la loi.

Nous considérons par ailleurs que les autres finalités couvrent largement les diverses problématiques afférentes à la politique publique du renseignement.

Mme la présidente. L'amendement n° 44, présenté par Mmes Cukierman, Demessine et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Alinéa 11

Rédiger ainsi cet alinéa :

« 3° La prévention de l’espionnage économique, industriel et scientifique dans le respect du droit de l’information ;

La parole est à M. Jean-Pierre Bosino.

M. Jean-Pierre Bosino. Dans le même esprit que la proposition d’amendement qu’a présentée Michelle Demessine sur notre précédent amendement, mais aussi dans la lignée des propos que M. Jacques Mézard vient de tenir, nous souhaitons ici préciser le champ visé à l’alinéa 11 quant au recours aux techniques de renseignement.

La notion d’« intérêts économiques et scientifiques essentiels de la France » recouvre, de notre point de vue, un champ d’application beaucoup trop large et imprécis pour justifier l’usage de techniques de surveillance intrusives. C’est pourquoi nous proposons de cibler la seule prévention de l’espionnage économique, industriel et scientifique, tout en respectant le droit de l’information.

Dans sa rédaction actuelle, le texte ouvre la voie à des dérives, par exemple la surveillance de groupes ou d’individus qui entendent contester les politiques publiques ou les pratiques illégitimes d’entreprises françaises dans des domaines touchant, par exemple, à l’environnement ou à la santé publique, et cela alors même que, selon l’article 7 de la Charte de l’environnement, qui a valeur constitutionnelle, toute personne a le droit de « participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement ».

Ces dérives pourraient aussi viser des groupes de consommateurs dénonçant certaines pratiques d’entreprise, ce qui serait susceptible de nuire aux intérêts économiques de la France, mais aussi des organisations syndicales qui se mobiliseraient contre des choix économiques faits au niveau du pays ou d’une entreprise donnée. Il en est ainsi des actions visant à mettre au jour les pratiques illégales ou anormales d’entreprises nationales du secteur de l’énergie, de l’eau, des nouvelles technologies ou de l’armement. Évidemment, tout cela n’est que de la science-fiction et ne doit certainement pas exister…

Inversement, la prévention de l’espionnage économique, industriel et scientifique, dans le respect du droit de l’information, constitue un motif précis et légitime, excluant pour l’essentiel les risques de dérive de surveillance politique illégitime des citoyens, contribuant à garantir le cadre protecteur des lanceurs d’alerte et évitant la réintégration indirecte dans la loi de la protection du secret des affaires, que la représentation nationale a pourtant récemment rejetée.

Mme la présidente. L'amendement n° 35, présenté par M. Raffarin, au nom de la commission des affaires étrangères, est ainsi libellé :

Alinéa 11

Supprimer le mot :

essentiels

La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis. Mon argumentation concernant les intérêts économiques et scientifiques sera identique à celle que j’ai développée s’agissant des intérêts de la politique étrangère.

Qu’est-ce qu’un intérêt scientifique essentiel, mes chers collègues ? Qui décidera de ce qui est essentiel ou pas ?

Nous évoquons tout de même des sujets extrêmement difficiles et il faut, me semble-t-il, avoir à l’esprit ce que sont nos principes républicains. Dans ces domaines, les services de renseignement doivent éclairer le Président de la République et ceux qui agissent dans l’intérêt de la France pour ce qui est, de leur point de vue, essentiel. Mais il s’agit bien de leur point de vue et, selon moi, ce ne doit pas être celui de la jurisprudence !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bas, rapporteur. La commission – c’est une habitude qu’elle a récemment adoptée – a délibéré sous le regard d’Alexis de Tocqueville (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.),…

M. Jean-Claude Lenoir. Illustre Manchot !