compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Agnès Canayer,

Mme Françoise Gatel.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente-cinq.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 13 juin 2019 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Convocation du Parlement en session extraordinaire

M. le président. Mes chers collègues, j’ai reçu de M. le Premier ministre communication du décret de M. le Président de la République en date du 17 juin 2019 portant convocation du Parlement en session extraordinaire à compter du 1er juillet 2019.

Le décret vous a été communiqué.

La conférence des présidents, qui se réunira demain à dix-neuf heures trente, établira l’ordre du jour de la session extraordinaire.

Acte est donné de cette communication.

3

Communication relative à une commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi pour une école de la confiance est parvenue à l’adoption d’un texte commun.

4

 
Dossier législatif : proposition de résolution visant à clarifier et actualiser le Règlement du Sénat
Discussion générale (suite)

Clarification et actualisation du règlement du Sénat

Discussion d’une proposition de résolution dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution visant à clarifier et actualiser le règlement du Sénat, présentée par M. Gérard Larcher, président du Sénat (proposition n° 458, texte de la commission n° 550, rapport n° 549).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de résolution visant à clarifier et actualiser le Règlement du Sénat
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale, rapporteur. Monsieur le président, mes chers collègues, c’est une œuvre de longue haleine qui va s’achever aujourd’hui par notre débat et, je l’espère, par l’adoption de ces nouvelles dispositions du règlement du Sénat.

C’est une œuvre de longue haleine dont l’ambition méticuleuse est de rendre notre règlement plus lisible, plus maniable, d’éliminer les scories, de regrouper dans les mêmes articles les dispositions qui s’attachent au règlement des mêmes problèmes, de sorte que vous n’ayez plus à compulser, mes chers collègues, notre règlement pour y rechercher la règle applicable ainsi que les dispositions complémentaires, qui se trouvent parfois dispersées dans l’actuelle présentation.

Cette entreprise de longue haleine a été conduite sous l’impulsion du président du Sénat, qui a naturellement veillé à la fois à la qualité et à la bonne organisation de nos travaux, mais aussi à ce que toutes les concertations nécessaires aient lieu avant qu’il ne dépose cette proposition de résolution.

Nous engageons ce débat selon des modalités qui sont nouvelles, puisque c’est la première fois que la discussion sur l’évolution du règlement du Sénat se fait en partie selon la procédure nouvelle de la législation en commission. À la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, un certain nombre de dispositions seront toutefois débattues en séance.

Les réformes du règlement du Sénat ont toujours été inspirées par notre tradition de pluralisme sénatorial. Aussi sont-elles presque toujours assez consensuelles. J’ai pu vérifier, en auditionnant tous les présidents de groupe et tous les présidents de commission, que c’était une fois de plus le cas pour cette proposition de résolution. Je m’en réjouis, car nous sommes tous témoins des difficultés que, dans d’autres assemblées, la modification du règlement peut susciter entre les différents groupes.

Nous sommes, il est vrai, beaucoup plus avancés que l’Assemblée nationale dans la modernisation de nos procédures. Je me réjouis de constater que beaucoup de dispositions adoptées au cours des années récentes, notamment ce qu’il est convenu d’appeler la « réforme Larcher » de 2015, ont constitué une source d’inspiration pour celle-ci : législation en commission, contrôle du respect du domaine de la loi et du règlement, droit de réplique pendant les questions d’actualité au Gouvernement. Le Sénat peut être fier de ses initiatives qui ont permis d’améliorer nos procédures, tout en respectant les droits des groupes minoritaires et d’opposition, initiatives qui aujourd’hui semblent devoir faire école.

Malgré son volume, le texte que j’ai l’honneur de rapporter présente une portée volontairement limitée et un objectif beaucoup plus humble que les réformes de fond de notre règlement auxquelles nous avons déjà procédé ensemble. Cet objectif a beau être plus modeste, il est tout autant essentiel : il s’agit de clarifier, de simplifier et de codifier, bref de réécrire à droit quasi constant notre droit parlementaire pour le rendre enfin plus lisible.

J’apprécie tout particulièrement de voir disparaître des dispositions du règlement que j’ignorais et qu’il a fallu exhumer pour l’occasion, car elles étaient tombées en désuétude. En cas d’urgence, par exemple, le règlement actuel prévoit que les délégations de vote sont faites « par télégramme », avec l’obligation de transmettre une lettre de confirmation dans les cinq jours. Visiblement, les auteurs de notre règlement ignoraient tout des nouvelles technologies en usage au Sénat !

Notre règlement dispose également que les pétitions sont réunies au sein d’un « feuilleton », qui n’est plus publié depuis de très nombreuses années.

Il mentionne encore des questions orales avec débat, mais celles-ci n’ont plus d’utilité depuis la création des débats d’initiative sénatoriale en 2009.

Enfin, pour les scrutins publics, le règlement actuel prévoit que les secrétaires doivent se réunir – très précisément – dans le couloir droit de l’hémicycle pour les votes « pour » et dans le couloir gauche pour les votes « contre »,…

Mme Éliane Assassi. C’est bizarre ! (Sourires sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. Philippe Bas, rapporteur. … ce qui n’est pourtant plus le cas en pratique depuis longtemps. Cette disposition n’a donc pas de raison de subsister – n’est-ce pas, madame la présidente Assassi ?

M. André Reichardt. Absolument !

M. Philippe Bas, rapporteur. Certaines procédures sont également inutilement complexes, vous en conviendrez. C’est le cas, notamment, des mécanismes de « double annonce », monsieur Sueur, qui président encore à certaines procédures de nomination en séance, tandis que certaines obligations annuelles mériteraient d’être allégées et leur périodicité réduite.

Enfin, il y a parfois dans nos règles une forme de laconisme, de concision, qui peut paraître excessive et déboucher sur une certaine obscurité de nos procédures, lesquelles ne sont fixées qu’au travers de règles coutumières. Loin de vouloir absolument tout figer par des normes écrites, les plus importants de ces usages gagneraient à figurer expressément ou plus explicitement dans notre règlement. Cette révision se fait à droit constant, car ces coutumes s’appliquent déjà effectivement. C’est du droit non écrit qui deviendrait écrit, l’objectif étant d’en trouver la référence dans notre règlement pour que nous sachions mieux à quoi nous en tenir.

Mon travail était déjà largement engagé par les travaux qui l’ont précédé. Je n’ai eu qu’à vérifier que la proposition de résolution se faisait bien à droit constant : j’en atteste. J’ai aussi été très soucieux de respecter l’esprit de cette modification du règlement. Nous pouvons, bien sûr, réfléchir à des évolutions plus profondes, même si celles auxquelles nous avons procédé sont encore très récentes puisqu’elles datent de 2015. Quoi qu’il en soit, si une réforme institutionnelle devait aboutir, il faudrait bien que nous en tirions les conséquences sur notre règlement. Le moment venu, nous aurons à nous poser tout un ensemble de questions. C’est la raison pour laquelle j’ai été très attentif à ne pas changer les équilibres profonds et consensuels qui existent dans nos procédures parlementaires.

J’ai néanmoins proposé quelques apports avec beaucoup de prudence et de précaution. La commission a bien voulu me suivre. C’est ainsi qu’est prévue plus explicitement dans le texte qui vous est soumis l’intervention de la conférence des présidents concernant les droits attribués aux groupes au début de chaque année.

C’est également le sens d’une autre mesure qui tend à préciser et à consacrer le rôle du président de la commission des finances et du président de la commission des affaires sociales dans le contrôle de recevabilité financière ou sociale.

Nous avons aussi intégré la jurisprudence du Conseil constitutionnel – c’est déjà du droit positif, mais ça n’était pas du droit écrit – en ce qui concerne la tenue de jours supplémentaires de séance sur demande du Gouvernement.

Par ailleurs, nous avons procédé à des clarifications techniques de procédure parlementaire concernant le vote par division et la seconde délibération. Nous avons adapté notre règlement à la mise en place du scrutin public électronique, prévue à compter du 1er octobre 2019, et pérennisé la mission de veille contre les « surtranspositions » confiée jusqu’à présent à la commission des affaires européennes à titre expérimental et qui n’a plus à démontrer sa pertinence.

Je tiens, pour conclure, à saluer cet effort utile de clarification de nos règles. Il ne s’agit peut-être que d’une première étape, mais c’est une étape nécessaire. Il était judicieux de ne pas mélanger les genres et de s’appliquer à cet objectif de lisibilité, de maniabilité, de clarté, de modernité de notre règlement, avant d’entreprendre, le cas échéant, une révision plus profonde, qui devra, naturellement, être précédée de nombreuses concertations entre les différents groupes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Buis.

M. Bernard Buis. Monsieur le président, mes chers collègues, nous sommes appelés à débattre d’une proposition de résolution visant à clarifier, à simplifier et à actualiser le règlement du Sénat pour le rendre plus lisible.

Outre des modifications rédactionnelles à l’évidence pléthoriques concernant presque les deux tiers des articles de notre règlement, cette proposition de résolution vise trois objectifs.

Elle vise tout d’abord à garantir la lisibilité et l’intelligibilité du règlement intérieur par la simplification et la clarification de la rédaction de certains articles, à l’instar de la règle de l’« entonnoir » ou encore de la procédure des propositions de résolution européenne, ainsi que par le rassemblement systématique des dispositions de nature semblable au sein d’articles ou de chapitres dédiés. Ainsi constate-t-on la création d’un chapitre spécifique aux organismes extraparlementaires ou la création d’un chapitre spécifique à l’organisation des travaux de commission.

Elle vise ensuite à simplifier et à assouplir notre ossature procédurale, en allégeant l’examen en séance publique – je pense notamment à la suppression, pour les procédures de nomination, des mécanismes de « double annonce » en séance publique –, en convertissant certaines obligations réglementaires annuelles en obligations pluriannuelles, à l’image de l’obligation de déclaration comme groupe d’opposition ou minoritaire, et, enfin, en introduisant une pointe de fluidité organisationnelle dans la planification des travaux par la conférence des présidents. Il s’agit en particulier de prévoir l’envoi, par le Premier ministre, des demandes d’inscription à l’ordre du jour prioritaire au plus tard la veille de la réunion de la conférence, ou de consacrer un délai pour la communication des sujets de contrôle.

Elle vise enfin à ajuster de façon bienvenue le cadre réglementaire à la réalité concrète des pratiques sénatoriales, en entérinant une certaine praxis sénatoriale, à l’image des modalités de remplacement d’un membre du bureau ou d’un membre de commission hors session, ou encore de la possibilité pour une commission permanente de nommer plusieurs rapporteurs sur un texte. Il s’agit, en outre, de supprimer des dispositions jugées désuètes ou inappliquées. Je pense au scrutin public ordinaire en cas de doute sur la commission compétente, à la référence aux procès-verbaux, à l’annonce du dépôt en séance des textes législatifs ou encore au dispositif des questions orales avec débat sur des sujets européens.

Surtout, un signe ne trompe pas : cette révision du règlement s’opère à droit quasi constant et suivant une procédure de législation partielle en commission. Voilà bien une preuve, s’il fallait nous en convaincre, que notre outillage réglementaire ne manque pas de souplesse dans ses modalités d’exécution.

Notre groupe fait tout de même valoir quelques réserves de fond.

L’article 8 du règlement est modifié de telle sorte que ce sont désormais les « présidents » et non plus les « bureaux » des groupes politiques qui remettent au président du Sénat la liste des candidats qu’ils ont établie pour siéger dans les commissions permanentes, sans préjudice – cela va sans dire – de la règle de proportionnalité. L’aspect discrétionnaire de la chose, renvoyant le souci de collégialité à une affaire de pratiques, semble, en cela, peu avisé.

La modification de l’article 75 bis vise, quant à elle, à supprimer le temps de parole de « deux minutes et demie » prévu pour les questions d’actualité au Gouvernement, renvoyant sa fixation « temporelle » à la conférence des présidents. Nous doutons encore de l’opportunité d’une telle mesure.

Nous aurions enfin souhaité apporter quelques utiles précisions sur le cadre applicable aux commissions d’enquête sénatoriales. L’affaire Benalla a révélé une pratique peu conforme à l’esprit transpartisan qui caractérise d’ordinaire une enquête sénatoriale. En effet, les membres de la commission des lois auraient sans doute apprécié de prendre connaissance, avant la levée de l’embargo médiatique, du rapport sur la base duquel ils étaient appelés à se prononcer.

En dépit de ces quelques remarques, notre groupe apporte son soutien à cette révision.

M. Philippe Bas, rapporteur. Merci !

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président du Sénat, cette réforme du règlement que vous nous présentez intervient dans un contexte pour le moins agité sur le plan institutionnel.

L’incertitude est grande concernant l’avenir du projet de réforme constitutionnelle du Président de la République et des projets de loi organique et ordinaire qui l’accompagnent. Si le retrait de l’inscription dans la Constitution d’un recul important concernant les droits du Parlement est un acquis, le fait de renvoyer ces modifications aux règlements des assemblées ne nous rassure pas.

Le débat qui vient de se dérouler à l’Assemblée nationale, la réforme de son règlement votée – c’est une première ! – par la seule majorité, soulignent que les mauvais coups annoncés et portés durant un temps par Emmanuel Macron peuvent venir d’ailleurs.

Cette réforme menée à l’Assemblée nationale confirme les violences faites au droit d’expression en matière tant de droit d’amendement que de temps de parole, là-bas, au Palais-Bourbon, comme ici, au Sénat. Limitation sans fin du temps de parole, rabougrissement du droit d’amendement, anéantissement de la possibilité de déposer des propositions alternatives et confinement de la séance publique au strict nécessaire : tout cela n’augure rien de bon pour l’avenir du pouvoir législatif.

Ce qui fait la force des assemblées, c’est le débat, c’est la participation à l’élaboration de la loi, c’est le droit de modifier, voire de repousser, les propositions gouvernementales. Un Parlement qui ne débat plus, qui ne met pas en évidence la confrontation des idées, qui ne pousse plus la population à la réflexion en présentant des arguments bien étayés est un Parlement moribond ! Une démocratie qui perd son socle parlementaire est une démocratie vacillante, au bord du précipice.

Pour tout vous dire, mes chers collègues, je ne comprends pas cette course à l’efficacité, chère au président Macron, mais relayée ici par la majorité. Les contradictions se multiplient d’ailleurs. Mercredi dernier, monsieur le président du Sénat, vous vous êtes inquiété, à juste titre, de la généralisation de la procédure accélérée pour l’examen des projets de loi et du recours aux ordonnances. Mais ne croyez-vous pas que la pression de l’exécutif est d’autant plus efficace que les assemblées se démunissent elles-mêmes de leur capacité d’exister, de peser, de faire respecter la Constitution ?

Mme Laurence Cohen. Exactement !

Mme Éliane Assassi. Cet aveuglement est incompréhensible, à moins de supposer qu’il existe un accord sur le fond entre l’ensemble des partisans de l’ordre libéral qui exige l’affaiblissement des pouvoirs du Parlement, institution considérée comme un obstacle à l’expansion de l’économie mondialisée.

M. Roger Karoutchi. N’exagérons rien !

Mme Éliane Assassi. Le Sénat qui a pourtant su montrer son utilité, sans doute du fait de son rapport étroit avec les préoccupations locales, peut se ressaisir et envoyer le signal que le Parlement dans notre République ne doit pas se désarmer. Or son arme, c’est le droit de s’opposer et celui de proposer !

La réforme que vous nous présentez serait à droit quasi constant.

M. Philippe Bas, rapporteur. Tout à fait !

Mme Éliane Assassi. Le terme « quasi » signifie néanmoins que des modifications sont apportées.

M. Philippe Bas, rapporteur. Simple honnêteté intellectuelle…

Mme Éliane Assassi. Nous estimons que c’est dans le domaine des irrecevabilités que l’évolution est marquante. Sur le fond, n’est-il pas curieux d’assister à l’automutilation de ses prérogatives par une assemblée elle-même ?

Il fut un temps, pas si lointain, où la majorité sénatoriale résistait à l’extension infinie des irrecevabilités. MM. Arthuis et Marini, tous deux anciens présidents de la commission des finances et anciens rapporteurs généraux du budget, n’ont-ils pas proposé eux-mêmes d’abroger l’article 40 de la Constitution, ouvrant la voie à une plus grande capacité d’initiative financière du Parlement ?

M. Hyest, rapporteur de la commission des lois sur le projet de révision constitutionnelle de 2008, ne s’est-il pas opposé avec ses collègues au transfert aux présidents des assemblées de la mise en œuvre de l’article 41 de la Constitution, c’est-à-dire l’irrecevabilité dite « réglementaire » ? M. Hyest, pour défendre l’amendement visant à supprimer cette extension de l’irrecevabilité, déposé par la commission des lois du Sénat, déclarait dans son rapport : « Par ailleurs, on ne peut écarter que cette irrecevabilité, dès lors qu’elle serait soulevée à l’initiative des présidents des assemblées, soit appliquée lors du dépôt des amendements […] Le droit d’expression des parlementaires en serait affecté. »

Monsieur le président-rapporteur de la commission des lois, pourquoi ce que votre illustre prédécesseur affirmait il y a dix ans ne serait-il plus d’actualité aujourd’hui ? S’agit-il de faire des concessions au nouveau monde de M. Macron, celui de la start-up nation ?

La proposition du président Larcher fait entrer pleinement dans le règlement une conception particulièrement extensive de l’irrecevabilité, qui met en péril le droit d’amendement. En effet, les amendements seraient de plus en plus réduits à des commentaires de projets de loi et ne seraient plus que cela.

Nous soulignerons également, lors de la présentation de nos amendements, l’extension de la règle de l’entonnoir, qui, selon notre interprétation, pourrait devenir la règle dès la première lecture. Plusieurs présidents de groupe ont pourtant protesté contre ce développement des irrecevabilités qui tue le débat et désorganise la séance publique elle-même, comme nous le verrons tout à l’heure lors de l’examen du projet de loi de transformation de la fonction publique. J’espère qu’ils soutiendront notre démarche.

Pourquoi se précipiter ainsi, monsieur le président ? Pourquoi graver dans le marbre du règlement des dispositions qui limitent encore nos pouvoirs de parlementaires ?

J’évoquais l’incertitude du contexte. Pourquoi ne pas attendre confirmation ou infirmation de la réduction du nombre de parlementaires, autre grande menace contre nos assemblées, pour modifier un règlement qui devra tenir compte de cette éventuelle évolution ? Pourquoi cette précipitation ?

Nous avons voulu cette discussion en séance publique, car l’heure est au redressement du Parlement et non à son avilissement.

Nous sommes porteurs de propositions et nous souhaitons qu’elles soient examinées au grand jour et ne restent pas confinées à une salle de commission.

En tout état de cause, si nos propositions de défense des droits du Parlement sont repoussées, nous ne voterons pas cette proposition de résolution, car elle valide et aggrave l’état existant. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président du Sénat, je veux tout d’abord saluer votre initiative, vous qui nous proposez une nouvelle écriture du règlement, lequel, mes chers collègues, est notre bien commun et régit l’activité parlementaire au Sénat. Il était nécessaire de faire évoluer un certain nombre de rédactions, comme l’a très bien dit notre président-rapporteur, Philippe Bas.

Il est vrai que la réforme constitutionnelle, dont on peut penser qu’elle est menacée ou risque de ne jamais avoir lieu, serait utile, y compris pour le fonctionnement du Sénat et de l’Assemblée nationale. Je rejoins Mme Assassi lorsqu’elle considère inacceptable – vous-même l’avez dit, monsieur le président du Sénat – que la procédure d’urgence soit, de fait, la procédure commune et généralisée. Il faudrait, pour le moins, que la conférence des présidents d’une assemblée puisse, dans un certain nombre de cas, s’opposer à ce que le Gouvernement impose la procédure d’urgence.

Le Sénat et l’Assemblée nationale ont vécu de très nombreuses années durant lesquelles la navette, la double lecture, était la règle, ce qui permettait de bien travailler et de peaufiner l’écriture des textes. Et cela fonctionnait – vous vous en souvenez, monsieur le président –, avec des explications de vote ou des présentations d’amendements qui duraient cinq minutes. Je ne sais pas comment nous faisions alors. Sans doute y avait-il moins de lois. Peut-être faudrait-il que de nouveau il y en ait un peu moins…

De même, s’agissant des propositions de loi, je ne me résous pas à ce temps perdu, à ce gâchis de travail parlementaire induit par le fait qu’une proposition de loi adoptée par une assemblée ne parvient que très rarement – ce fut le cas pour les trois quarts des propositions de loi examinées par notre commission des lois au cours des dernières années ! – à être inscrite à l’ordre du jour de l’autre assemblée. (Mme Marie-Thérèse Bruguière acquiesce.)

M. Jean-Pierre Sueur. Il serait sage de prévoir, comme l’avait suggéré un ancien président de la commission des lois, qu’une proposition de loi adoptée par une assemblée soit nécessairement examinée par l’autre assemblée dans l’année qui suit ; à défaut se poserait une grande difficulté. Certaines mesures, tout à fait nécessaires, n’arrivent jamais jusqu’à l’Assemblée nationale quand bien même elles ont été adoptés ici à l’unanimité !

M. Charles Revet. C’est vrai !

M. Jean-Pierre Sueur. Comment s’en sortir ? J’ai trouvé la solution – je ne suis d’ailleurs pas le seul –, laquelle consiste à transformer une proposition de loi en amendement.

M. Jean-Pierre Sueur. Or, de par la nouvelle jurisprudence relative à l’article 45 de la Constitution, alors que nous n’avons pas d’autre moyen pour inscrire dans la loi des dispositions figurant dans une proposition de loi, souvent adoptée à l’unanimité par le Sénat, que de les déposer sous la forme d’un amendement, celui-ci est retoqué sur le fondement dudit article.

Faudra-t-il en revenir à ce que nous avons connu jadis, c’est-à-dire aux propositions de loi et projets de loi « portant diverses dispositions » d’ordre social, ou relatives aux collectivités locales, ou encore d’ordre financier ? Dans ce cas en effet, l’objet du texte étant divers, l’article 45 ne s’applique pas.

Il faut trouver une solution parce qu’il n’est pas acceptable que l’initiative parlementaire soit ainsi dévoyée et que l’on ne puisse pas faire aboutir les propositions de loi qui sont déposées.

Je souhaite revenir sur quelques autres points. Je vous remercie tout d’abord, monsieur le rapporteur, d’avoir bien voulu intégrer dans cette proposition de résolution le dispositif que j’avais présenté avec notre collègue Franck Montaugé dans le cadre d’une précédente proposition de résolution. Celui-ci, qui a été validé par le Conseil constitutionnel, prévoit ainsi que le rapporteur d’un texte le demeure après l’adoption et la promulgation de ce dernier, jusqu’à la fin du mandat, et qu’il peut être remplacé après cette échéance par un autre rapporteur désigné par la commission.

Quel en sera l’effet concret ? Il n’y aura pas forcément des rapports ou des communications à n’en plus finir. Le rapporteur aura simplement l’obligation, chaque année, de vérifier que les décrets et arrêtés prévus ont bien fait l’objet d’une publication. S’il apparaît au bout de deux ans que la plupart des décrets n’ont pas été publiés – vous le savez, je n’invente rien ! –, alors le président de la commission invitera le ministre concerné à rendre des comptes devant la commission.

Il s’agira donc pour nous d’avoir une attitude extrêmement active en matière d’application des lois. Nous avons beau être toujours très heureux de voter une loi, si celle-ci, pendant plusieurs années, ne s’applique pas, alors nous n’obtenons pas le résultat que nous recherchions.

J’aurai l’occasion de revenir lors du débat sur la question des commissions d’enquête.

Il serait souhaitable, à la lumière d’une commission d’enquête récente, de poser comme règle le caractère public des auditions au sein de telles commissions. Je proposerai dans un amendement que la commission d’enquête elle-même puisse décider le huis clos si des circonstances ou des considérations d’ordre personnel le justifient.

Le fait que les commissions d’enquête agissent, travaillent, auditionnent en toute transparence constitue selon moi un acquis, et personne ne comprendrait désormais que l’on revînt en arrière.

Je voudrais exprimer quelques regrets s’agissant de la partie du texte qui a été examinée en commission.

Il aurait ainsi été sage d’appliquer à nos collègues représentant les Français de l’étranger les règles dont bénéficient les sénateurs des outre-mer, notamment en termes de contraintes liées à la présence lors des votes. Ils sont en effet pratiquement dans la même situation. Nos collègues représentant les Français de l’étranger, et en particulier Mme Claudine Lepage, que je salue, le demandent. Il eût été très positif de reprendre cette disposition ; mais comme l’article concerné est issu d’une procédure de législation en commission, nous n’y reviendrons pas.

De la même manière, il serait sage de revoir l’ordre d’examen des motions de procédure dans le cas d’une proposition de loi référendaire. Il semble que l’article 11 de la Constitution de 2008 ait été prévu pour ne pas servir, car il est difficilement envisageable qu’il soit utilisé… Nous verrons !

Quoi qu’il en soit, l’ordre des motions, sur lequel nous reviendrons lors de l’examen des amendements, peut être déterminant à cet égard.

Enfin, notre règlement comporte des dispositions relatives aux collaborateurs des parlementaires. J’ai proposé lors de l’examen en commission – nous n’y reviendrons donc pas, c’est pourquoi j’évoque ce point à la tribune – un amendement tendant à rédiger ainsi l’article 102 bis du règlement : « Les sénateurs peuvent employer sous contrat de droit privé des collaborateurs qui les assistent dans l’exercice de leurs fonctions, à l’exclusion de toute autre tâche, et dont ils sont les employeurs directs. […] ». J’insiste sur les mots « à l’exclusion de toute autre tâche ».

Cet amendement qui me paraît de bon sens – l’histoire récente montre qu’il ne serait pas totalement inutile ! – n’a pas été retenu par la commission. Je n’ai toujours pas compris pourquoi.