DÉBAT

• Yves BOT, avocat général à la Cour de justice de l'Union européenne

Le droit pénal européen est en marche par l'effet d'une part de la procédure préjudicielle d'urgence applicable depuis le 1 er mars 2008 et d'autre part de l'entrée en vigueur de la Charte depuis le 1 er décembre 2009. La Cour va donc commencer à rendre des arrêts dans lesquels la question de la délimitation du champ d'application de la Charte lui a été posée.

La Cour fait en outre référence dans ses décisions à la Convention européenne des droits de l'homme, ce qui sera consolidé par l'adhésion en cours de l'Union à la CEDH. Il est évident que, sous cet angle, je ne pense pas qu'il existe un risque de concurrence ou d'opposition frontale mais plutôt un risque d'action en complémentarité. Des avancées ont déjà été constatées dans le domaine du droit pénal, par le biais de questions préjudicielles relatives au mandat d'arrêt européen. La Cour a répondu, dans un arrêt eBay, que la finalité de la peine devait être prise en compte pour déterminer si une juridiction. J'ai toutefois le sentiment que ces avancées sont passées relativement inaperçues pour la doctrine pénaliste. Je vous incite donc à porter vos regards non plus préférentiellement vers Strasbourg mais aussi, de manière complémentaire, vers Luxembourg.

• Pierre FAUCHON

Vous avez souligné que les avancées se faisaient pas à pas alors que la criminalité transfrontalière avance à grand pas. Dans ce domaine, ne pourrions-nous pas recourir à la formule des coopérations renforcées ? Les Etats membres qui le souhaitent pourraient alors progresser ensemble, dans le cadre de traités auxquels adhéreraient quelques Etats, par exemple pour créer un Parquet commun pour poursuivre les criminalités transfrontalières. Les autres Etats s'y joindraient ensuite, par effet d'exemplarité. Pour le casier judiciaire commun, devant les difficultés, la France, le Benelux, l'Allemagne et l'Espagne ont organisé une articulation efficace de la communication de leurs casiers judiciaires. Désormais, une dizaine d'Etats adhère à ce système, ce qui prouve que les coopérations renforcées constituent un moyen d'avancer.

• Didier BOCCON-GIBOD

Vous avez raison. La coopération renforcée est effectivement une étape préalable à l'harmonisation : quand le dispositif fonctionne, les autres pays se greffent dessus. L'exemple du ministère public européen est tout à fait typique. Comme il sera difficile d'obtenir une unanimité, c'est bien sur la base d'une coopération renforcée que ce ministère public sera instauré. Neuf Etats peuvent effectivement demander la constitution de ce ministère public européen. C'est par ces pays précurseurs que s'érigera l'harmonisation, de manière plus progressive.

• Pierre FAUCHON

Nous militons, à la commission des affaires européennes du Sénat, pour cela et employons le terme de coopérations spécialisées. Il existe de telles restrictions au système des coopérations renforcées que nous commençons simplement à amorcer les coopérations renforcées dans le domaine du droit conjugal. Il est effectivement difficile de progresser à 27.

• Régis de GOUTTES, premier avocat général à la Cour de cassation

En 1993, j'avais émis quelques hésitations sur la création d'un Procureur européen. Au terme d'une carrière judiciaire, nous avons assisté à plusieurs révolutions, à commencer par celle de l'acculturation progressive du juge national à la Convention européenne des droits de l'homme et au droit communautaire. Le travail des juges européens a été plus efficace et plus rapide que l'évolution des institutions européennes. Nous n'avons pas évoqué la révolution des juridictions pénales internationales. Il y a encore trente ans, cette idée était évoquée comme illusoire : nous avons maintenant des juridictions internationales. Enfin, on peut citer la révolution de la question prioritaire de constitutionnalité.

• Henri-Claude LE GALL, Président de la Cour de justice de la République

Je partage ce point de vue : j'en veux pour preuve la lenteur qu'a mis le corps judiciaire à accueillir la Convention européenne et la rapidité phénoménale avec laquelle il s'est emparé de la question prioritaire de constitutionnalité.

• De la salle

La directive du 18 juin 2010 porte des obligations et des sanctions aux employeurs ayant recours à des ressortissants d'Etats tiers en situation irrégulière. L'Union européenne par voie directive n'a pas hésité à incriminer ces comportements d'un employeur. N'est-ce par l'illustration de la jurisprudence de la CJCE de septembre 2005, avec une harmonisation par la directive ?

• Didier BOCCON-GIBOD

Je ne connais pas cette directive qui n'a encore pas transposée si elle date de juin 2010 : elle s'inscrit alors dans le processus de Lisbonne qui permet la prise de directive. Il y a sûrement déjà eu des directives qui ont permis à la Communauté de s'inscrire dans le champ pénal mais celle de 2005 était tout à fait typique.

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