L'INFLUENCE DU CODE PÉNAL DE 1810 EN EUROPE

La séance est présidée par Henri-Claude LE GALL,
président de la Cour de justice de la République,
conseiller honoraire à la Cour de cassation

Henri-Claude LE GALL,
président de séance

Les conquérants emportent, dans le fracas des armes, la quiétude de leurs religions.

L'islam s'est répandu dans toute l'Afrique du Nord à la suite de la conquête arabe. Dans le sillage des conquistadors espagnols et portugais, les jésuites ont évangélisé l'Amérique du Sud qui constitue, aujourd'hui, l'un des principaux bastions du catholicisme. Au XIX e siècle, les européens ont investi le continent africain, apportant, avec eux, missionnaires et pasteurs, qui ont converti les peuples colonisés, selon le cas, au catholicisme ou au protestantisme.

Ainsi, vont de pair le sabre... et le goupillon.

De même, vont d'un même pas le glaive...et la balance.

Napoléon, en s'imposant par les armes à tous les pays voisins, a fait essaimer, dans toute l'Europe, le droit français.

C'est le code civil, le plus ancien des codes napoléoniens, qui a exercé la plus grande influence sur les droits de l'Europe continentale. Les petits derniers, le code pénal et le code d'instruction criminelle, qui datent de 1810, sont «nés trop tard, dans un monde trop vieux». Leur influence a été beaucoup plus réduite.

Néanmoins, le professeur Sergio Vinciguerra, de l'université de Turin, va rechercher pour nous quelle a pu être l'influence du code pénal de 1810 en Italie.

Le professeur Franz-Stefan Meissel, de l'université de Vienne, nous présentera ensuite quel a été l'impact de ce code sur les législations des pays d'Europe centrale.

Monsieur le professeur Vinciguerra vous avez la parole...

L'INFLUENCE DU CODE DE 1810 EN ITALIE

Sergio VINCIGUERRA,
professeur à l'Université de Turin

1. Projets, législation et codification pénale en Italie dans les années qui vont du début de la Révolution française à l'entrée en vigueur du code 1810. - Le code pénal 1810 et son jumeau, le code d'instruction criminelle, ont marqué un tournant décisif dans la justice pénale de l'Europe continentale.

Les juristes européens les regardent encore aujourd'hui avec intérêt et respect, et c'est important de les connaître pour quelqu'un comme moi, qui n'est pas un historien du droit mais qui étudie le droit pénal positif, convaincu qu'il faut toujours regarder derrière nous afin de comprendre notre présent et pour en tirer, si c'est possible, quelques enseignements sur la façon de nous comporter. Ce principe vaut aussi pour comprendre et évaluer les raisons culturelles qui ont déterminé le détachement partiel des codifications italiennes du modèle français au XIX e siècle.

Le code de 1810, en effet, n'avait pas pris au dépourvu les juristes italiens. Dans les années qui vont du début de la révolution française à l'entrée en vigueur de ce code, le panorama pénal italien est riche de projets et d'abandons. Ceux-ci sont liés aux premières aspirations à l'indépendance nationale, aspirations déçues, dont ces projets, dans l'intention des juristes italiens qui en étaient les auteurs, devaient être l'expression législative.

Parmi eux il vaut la peine de rappeler, pour l'influence qu'ils ont exercée sur la législation pénale postérieure, les projets élaborés à l'intérieur de l'entité étatique qui a porté dans un premier temps le nom de République Cisalpine (de 1797 à 1802), puis de République Italienne (de 1802 à 1805) et enfin de Royaume d'Italie (de 1805 à 1814). Il s'agit des projets de code pénal de 1801, 1806 et 1809.

C'est surtout le projet de 1806 qui a eu une influence en dehors des confins politiques du royaume et au-delà de la fin du régime napoléonien grâce à la publication soignée qui en a été faite, avec les travaux préparatoires, par le juriste et homme politique qui en fut l'inspirateur, Giuseppe Luosi (1735-1830). Il s'agit d'une publication qui révèle dès son titre une claire attention à l'égard de l'autorité politique française. Cette oeuvre est intitulée Collezione dei travagli sul codice penale del regno d'Italia , c'est-à-dire « Collection des travaux sur le code pénal du Royaume d'Italie », où le mot « travagli » est une mauvaise traduction du mot français « travaux », qui aurait pu être mieux traduit par le mot italien « lavori ».

Mais l'oeuvre des pénalistes de ces années ne se limita pas à des projets. En ces années virent le jour des lois importantes comme les Lois Organiques Judiciaires (1797) et la loi de la République italienne du 25 février 1804 sur les homicides, les blessures et les vols, qui n'ont pas eu de chance dans leur application. En ces années virent aussi le jour nos premiers codes pénaux : en 1797 à Vérone, qui s'était affranchie avec ses environs de la République de Venise (où un texte qui a les caractéristiques d'une transition resta en vigueur quelques mois, jusqu'à la paix de Camp-Formio et fut oublié jusqu'à sa redécouverte, au milieu des années 90 du XX e siècle). Des codes pénaux furent promulgués en 1807 à Lucques ; en 1808, à Piombino, et, toujours en 1808, à Naples, où il sera remplacé en 1812 par le code pénal français.

Il s'agit en général d'oeuvres dans lesquelles la culture pénaliste nationale se manifeste par des accents d'originalité et d'autonomie parfois plus importants que ceux qui sont présent dans les codifications postérieures qui, comme nous verrons, seront influencées, parfois de façon considérable, par des modèles extérieurs, en particulier par le code français.

2. La survivance en Italie du code 1810 après la dissolution de l'Empire français et sa valeur de modèle pour les codifications pénales pré unitaires. - Ce processus de codification, qui s'est développé sous la haute direction et la surveillance de l'autorité politique française, a été cependant conduit par des juristes italiens, jusqu'à ce qu'il s'interrompe en 1811 avec l'entrée en vigueur du code napoléonien. Pendant les quelques années qui séparent sa promulgation de la dissolution de l'Empire, le code 1810 est resté en vigueur sur toute l'Italie péninsulaire, dont les territoires avaient été incorporés à l'Empire ou appartenaient soit au Royaume d'Italie, soit au Royaume de Naples où Joachim Murat avait succédé à Joseph Bonaparte. Seules la Sicile, qui était restée aux Bourbons, et la Sardaigne, où les Savoie s'étaient retirés, sont restées étrangères au code 1810.

L'expérimentation de son efficacité fut très probablement un facteur qui a contribué à en conserver le prestige dans les années qui ont suivi la dissolution de l'Empire. Selon le témoignage de l'historien Carlo Botta (1766-1837), qui écrit dans la moitié des années vingt du XIX e siècle, « les routes devinrent sûres, et ce fut un grand bienfait » 324 ( * ) . Et on ne peut pas dire que le code 1810 ait était accueilli avec indifférence, même en Toscane (milieu hostile à la culture pénaliste française, je reviendrai sur le point) où on se préoccupa de fournir une traduction privée en langue italienne du code de 1810. Cette traduction fut faite par Carmignani (1768-1847) qui, dans les années suivantes, définira ce code comme un « droit plus militaire que social » et qu'il critiqua, surtout au sujet de la classification des infractions et de la tentative 325 ( * ) .

Ce fut très probablement son efficacité qui conduisit à prendre la décision politique de laisser survivre le code de 1810 à la chute de l'Empire et à la Restauration et de le conserver jusqu'à la fin de la décennie, lorsqu'il fut remplacé par d'autres codes. C'est ce qui advint aussi dans les territoires qui avaient appartenu au Royaume de Naples et dans le Duché de Parme, Plaisance et Guastalla.

Dans les territoires qui avaient appartenu au Royaume de Naples, le code de 1810 fut conservé jusqu'au 1 er septembre 1819, lorsqu'un nouveau code pénal entra en vigueur pour tout le royaume (donc pour la Sicile aussi) avec le code civil, le code de commerce et deux codes de procédure, qui constituaient autant de parties d'une même loi, le « code pour le Royaume des Deux-Siciles », mise au point en quatre ans seulement. Quant au Duché de Parme, Plaisance et Guastalla, il avait été confié à Marie-Louise d'Austriche, qui avait été l'épouse de Napoléon mais qui était aussi la fille de l'empereur d'Autriche François I er . Dans ce Duché, où elle vécut jusqu'à sa mort en 1847, le code pénal resta en vigueur jusqu'à la fin de 1820 (sous réserve de quelques modifications entrées en vigueur le 1 er avril 1819), lorsqu'il fut remplacé par un nouveau code promulgué le 5 novembre 1820 et entré en vigueur le 1 er janvier 1821.

Mais si le code napoléonien quitte la scène dans les territoires italiens, son influence culturelle ne s'affaiblit pas. Il resta le modèle de référence des codifications pénales italiennes du XIX e siécle, au moins jusqu'en 1890, lorsque le code Zanaredelli entra en vigueur avec d'indubitables signes d'autonomie et d'originalité par rapport aux expériences précédentes.

Plus précisement, nous pouvons constater que l'influence française est plus intense lorsque les codes italiens sont plus proches dans le temps du modèle français. Lorsque les années passent, son influence tend à s'afflaiblir à cause de la présence des autres codes promulgués après lui, qui attiraient l'attention, alimentaient le débat culturel et offraient des exemples d'une expérience italienne différente. Cette constatation n'est pas démentie par le code piémontais de 1859, car c'est une simple mise à jour du code précédent, qui remontait à 1839, mise à jour rendue nécessaire pour adapter le code à la Constitution de 1848, en y introduisant quelques accents de constitutionnalisme libéral, et pour en éliminer quelques âpretés afin d'en faciliter l'accueil dans les territoires annexés par le Piémont après la deuxième guerre d'indépendance. Nous pouvons donc considérer comme d'inspiration française les codes des Deux-Siciles (1819), de Parme (1820), des États de l'Église (1832) et les deux codes sardo-piémontais de 1839 et 1859.

En ce qui concerne le code criminel pour les États de la maison d'Este (promulgué en 1855, entré en vigueur le 1 er mai 1856 et bouleversé par l'issue de la deuxième guerre d'indépendance et l'annexion au Piémont), il faut faire un exposé à part. Dans ce code, en effet, l'influence française n'est pas seulement filtrée par celle des autres codes italiens, elle est aussi concurrencée (et c'est le seul cas en Italie) par celle des codes autrichiens de 1803 et 1852 - influence déterminée par des raisons politiques, car le Duché de Modène gravitait dans l'orbite politique autrichienne.

L'autre code resté étranger à l'influence française est le code toscan de 1853, qui fut largement influencé par le code de Bade (1845), qui avait été traduit en langue italienne par l'auteur du code toscan, Francesco Antonio Mori 326 ( * ) . En Toscane, une solide tradition juridique locale qui remonte aux réformes du Grand Duc Pierre Léopold (1786) s'était formée, et ces réformes étaient passées à l'histoire, entre autre, du fait de l'abolition de la torture judiciaire et de la peine de mort.

Dans la littérature pénale toscane entre l'époque napoléonienne et la Restauration il n'y a pas eu d'allusions considérables à la législation française, et cette froideur a continué tout au long du XIX e siècle, au cours duquel, parmi les pénalistes toscans, se distinguent Carmignani et Carrara. J'ai déjà fait une petite allusion au jugement de Carmignani sur le code de 1810. De Carrara (1805-1888) je rappelle seulement que, lorsque sa plume ne s'acharnait pas contre « la France autoritaire et féroce dans sa violence » 327 ( * ) , il appréciait la révolution de juillet pour la « lutte contre les barbaries de l'ancien régime qui ont survécu dans le code napoléonien » 328 ( * ) , mais plus paisiblement il constatait « la persistance chez nos législateurs de la fascination fatale de s'adresser à la France lorsqu'on cherche le type de quelque nouvelle loi pénale » 329 ( * ) . Les intellectuels se défoulaient, mais cela ne correspond pas à d'autres parties de l'Italie, où il n'y avait pas cette froideur, comme le démontrent les codes des Deux-Siciles (1819), de Parme (1820), des États de l'Église (1832) et les deux codes sardo-piémontais de 1839 et 1859. Pourtant, même si ces derniers étaient dans l'ensemble fidèles au modèle français, ils ne se limitaient pas à une servile imitation. Ils ont donné vie à un cadre que l'on peut définir comme une coexistence d'imitation et d'originalité.

Examinons donc brièvement les principales lignes de convérgence par rapport au modèle français, ensuite nous verrons les variations introduites.

3. Influences du code de 1810 sur les codifications pénales pré unitaires . - Du point de vue du projet de codes , le législateur de l'époque napoléonienne a donné une importante leçon aux générations suivantes, c'est-à-dire la nécessité que le droit pénal de fond et le droit pénal de forme ne soient pas renouvelés séparément mais ensemble, et donc qu'ils soient réformés ensemble pour entrer en vigueur ensemble.

Outre les considérations d'opportunité pratique, comme celle de ne pas briser l'unité de la politique criminelle, à laquelle contribuent dans une mesure égale droit substantiel et procédure, il existe aussi des sérieuses raisons d'ordre théorique favorables à l'intime connexion entre le droit pénal de fond et le droit pénal de forme : une connexion qui n'est présente au même degré en aucun autre sécteur de l'ordre juridique.

Dans le droit privé il existe une masse imposante d'expérience juridique qui se développe en dehors du procès. Il suffit de penser à la quantité d'actes juridiques privés dans lesquels s'appliquent les prévisions normatives abstraites et par rapport auxquelles le procès - subordonné au cas que naisse entre les parties un litige autours de ces actes - représente une pure éventualité. La même considération peut être faite pour le droit administratif, où seulement une très petite quantité d'actes arrive à la phase juridictionnelle. La plus grande partie de l'expérience juridique de ce secteur prend sa forme au dehors d'une quelconque intervention judiciaire.

Le droit pénal est à l'opposé. En dehors du procès pénal, aucune expérience juridique pénale n'est possible, puisque c'est seulement à travers le procès qu'il est possible de concrétiser la prévision abstraite de la norme pénale. En droit pénal, il n'y a aucune expérience juridique en dehors du procès, et donc droit de fond et procédure doivent être construits en prêtant attention à tous les deux, donc ensemble.

L'heureuse union entre code pénal et code d'instruction criminelle fut imitée dans les codifications italiennes successives : des Deux-Siciles, de Parme, des États de l'Église et même dans celle de la maison d'Este, mais se perdit dans les codifications piémontaises, pour être retrouvée seulement dans les deux codes de 1930. Après quoi l'union s'est à nouveau perdue. Et ces codifications de la procédure, que nous pouvons définir comme « séparées », n'ont en général pas réussi.

Si nous regardons à l'intérieur des codes, nous trouvons beaucoup d'influences françaises.

En premier lieu, influences sur système des infractions.

a ) La distinction des types des infractions entre crimes, délits et contraventions, et leur identification selon l'espèce de peine prévue (sauf dans le code des États de l'Église qui était moniste et ne connaissait que les délits) n'était pas appréciée par Carmignani, qui l'a définie comme « une manière erronée et abusive de fournir l'idée de l'infraction de l'ordre avec la peine assignée » 330 ( * ) ; Pellegrino Rossi ne l'appréciait pas non plus, selon qui « la division des actes punissables en crimes, délits et contraventions, division tirée du fait matériel et arbitraire de la peine, révèle à elle seule... l'esprit du code et du législateur. C'est dire au public : ne vous embarrassez pas d'examiner la nature intrinsèque des actions humaines ; regardez le pouvoir : faut-il couper la tête à un homme, concluez-en que cet homme est un grand scélérat. Il y a là un tel mépris de l'espèce humaine, une telle prétention au dispotisme en tout, même en morale, qu'on pourrait, sans trop hasarder, juger de l'esprit du code entier par la lecture de l'art. 1 er » 331 ( * ) .

Critiques injustifiées. Le choix de l'espèce de la peine ne précède pas la qualification du fait, il la suit. C'est le législateur qui doit choisir la peine appropriée à la gravité du fait. La référence à la peine offre à l'interprète un critère irremplaçable pour établir l'espèce de l'infraction devant laquelle il se trouve. À cet égard, l'application du code Zanardelli, qui avait abandonné ce critère et suivi ses critiques, rencontra de nombreux problèmes, disparus dans l'application du code Rocco, qui était retourné au critère du code de 1810.

b ) Une autre convergence regardait la systémation des infractions selon leur « offensivité » , c'est-à-dire selon les intérêts qu'ils lésaient (crimes contre ...; délits contre ...) : c'était ainsi dans les intitulés des titres, tandis que les intitulés des chapitres et des sections se référaient pour la plupart synthétiquement aux faits. Comme dans le code français, dans les codes italiens ces infractions sont ordonnées selon une progression qui commence par les intérêts publics et arrive aux intérêts privés : on part des intérêts relatifs aux fonctions souverainnes ou corrélés à la souveraineté pour arriver ensuite aux crimes et délits contre les intérêts privés. C'est un modèle qui durera longtemps en Italie. Il sera présent des codifications pré unitaires jusqu'au code de 1889, puis au code de 1930 qui est encore aujourd'hui en vigueur, même si le texte original a subi de nombreuses modifications.

Ce modèle provoque l'absorption de la protection des intérêts individuels dans la protection des fonctions souveraines ou d'intérêts publics : par exemple, l'injure faite contre un officier public n'est pas une offense à la personne, aggravée par la qualité publique de la victime, mais c'est un crime portant atteinte à l'administration publique (avec une dénomination propre : l'outrage). Il appartiendra à la jurisprudence de récupérer au cours des ans la nature « plurioffensive » de l'outrage (et des crimes à l'intérieur desquels, de la même façon, coexistent l'atteinte à des intérêts publics et à des intérêts privés) en restituant sa position processuelle à la personne offensée par l'infraction.

c ) Les codes italiens ont suivi aussi certains choix systématiques du code de 1810, pas très convaincants du point de vue logique, comme celui de commencer le code avec les normes sur les peines , pour passer ensuite à celles concernant l'infraction. Il est vrai que de l'espèce de la peine dépend la qualité de l'infraction, mais il est aussi vrai que la peine est la conséquence de l'infraction. Des cinq codes que nous considérons ici, seulement un s'en éloigne, celui des États de l'Église, qui ne s'occupe des peines qu'à partir de l'article 50, après avoir posé les règles générales sur le délit.

Le modèle français a aussi influencé le régime des infractions .

Pour des raisons compréhensibles je me borne à signaler quelques dispositions concernant leur régime général (ce que nous appelons aujourd'hui la « partie générale » du droit pénal).

a ) La non rétroactivité de la loi pénale et la rétroactivité de la loi pénale plus douce, prévues dans la loi de promulgation du code de 1810 pour régler sa succession à la législation pénale précédente, ont été reprises dans l'acte d'approbation du code des États de l'Église et insérées dans les codes piémontais de 1839 et de 1859 comme règle de validité générale.

b ) Nous allons voir que sur la tentative les codes italiens ont introduit un régime plus articulé que le régime français, mais qui sera toujours fondé sur le principe français selon lequel la tentative est une exécution partielle du crime.

c ) L'art. 64 du code pénal (« Il n'y a ni crime ni délit lorsque le prévenu était en état de démence au moment de l'action, ou lorsqu'il a été contraint par une force à laquelle il n'a pas pu résister ») a été reproduit, avec quelque variante qui n'en altérait pas le sens, dans le code des Deux-Siciles de 1819 (à l'art. 61 et 62) ; dans le code de Parme de 1820 (à l'art. 62) ; dans le code albertin de1839 (à l'art. 99) et dans le code sarde de 1859, qui a repris l'article 99 du code albertin dans son article 95.

d ) Même le silence sur l'individualisation des infractions dont on est responsable pour faute, qui restait confiée à la jurisprudence, a été conservé. Il en est allé aussi de même pour la définition de la faute, qui a été reproduite avec la référence exclusive à l'homicide, aux blessures et aux coups, comme dans les articles 319 et 320 du code de 1810.

e ) Comme dans les articles 327 et 328 du code de 1810, les faits justificatifs constitués par l'ordre des autorités et la légitime défense ont été prévues uniquement pour l'homicide, les blessures et les coups.

4. Innovations des codes pénaux pré unitaires par rapport au code de 1810 . - Pour ce qui concerne les innovations introduites par les codes italiens qui les ont éloignés du modèle français, il faut rappeller tout d'abord celles qui concernent la tentative, le concours de personnes dans le délit, la commination des peines et la classification des infractions. Elles ont commencé avec le code des Deux Siciles et se sont précisées dans les codes ultérieurs.

a ) Les codes italiens, tout en admettant la définition française de la tentative comme début d'exécution, n'ont pas soumis la tentative de crime et de délit à la même peine que celle de l'acte consommé (articles 2 et 3 du code de 1810), mais ont prévu une peine moindre. Tous, à la seule exception du code de Parme (voir l'art. 77 et suivants), ont prévu deux figures de crime imparfait, en distinguant le cas où l'action a été complètement commise mais sans que le résultat ait été atteint pour des causes indépendantes de la volonté de l'auteur (crime ou délit tentato ) et le cas où l'action n'a pas été complètement commise (crime ou délit mancato ) : dans cette deuxième hypothèse l'atténuation de la peine était plus grande que dans la première 332 ( * ) .

Tous ne punissaient pas l'interruption volontaire de la tentative du crime et du délit (ce qui est aujourd'hui le désistement : voir l'art. 56 alinéa 3 du code pénal italien), à la seule exception du code de Parme, qui l'ignorait, et du code des États de l'Église qui l'envisageait comme une circonstance atténuante majeure 333 ( * ) .

b ) Pour ce qui concerne le concours de plusieurs personnes au même délit, le code pénal distinguait entre auteurs et complices. Les complices étaient définis comme ceux qui avaient provoqué la commission du crime, donné des instructions pour sa commission, fourni des moyens ou prêté aide ou assistance en connaissance de cause (art. 60), et ceux qui avaient recelé en connaissance de cause des choses provenant du crime ou du délit (art. 62). La discipline se basait sur les deux principes de l'emprunt de criminalité et de l'emprunt de pénalité. L'idée selon laquelle « la criminalité de l'acte du complice emprunte la criminalité de l'acte de l'auteur principal » impliquait qu'auteurs et complices fussent punis de la même peine (art. 59).

Dans les codes italiens, ce régime a été considérablement modifié. Ils punissent le recel comme un crime autonome, en l'extrayant de la complicité. Ils enrichirent la typologie française de la participation avec la catégorie du mandant . Sauf le code des États de l'Église, tous les autres ont adouci la rigueur du régime et ont différencié la position des concurrents par la prévision d'une peine moindre pour ceux qui dont la contribution au fait n'avait pas eu d'importance, parce que même sans elle le fait aurait été commis quand même. De plus, afin de différencier ultérieurement la position des concurrents et d'éviter que l'« aplatissement » des sanctions induit par l'emprunt de la pénalité empêchât de tenir compte de la spécificité des situations personnelles, les codes italiens (sauf celui des États de l'Église) ont disposé que les circonstances constituées de situations personnelles (aggravantes comme atténuantes) ne se communiquent pas aux concurrents. Enfin, pour éviter une punition trop sévère du concurrent qui ignorait les situations aggravantes relatives à la conduite matérielle tenue par l'auteur principal, le code napolitain (à l'art. 77) et celui des États de l'Église (à l'art. 15) en ont exclu la communicabilité aux concurrents qui les ignoraient.

Dans le système pénal italien cette disposition a connu des alternances. Le code sarde-piémontais de 1859 ne la connaissait pas, elle fut reprise dans le code Zanardelli (à l'art. 66), puis supprimée par le code Rocco. Pour rentrer dans l'ordre juridique elle a dû attendre la dernière décennie du XX e siècle : en effet, c'est seulement avec l'art. 3 de la loi n. 19/1990 que la communication des circonstances aggravantes a été conditionnée au principe de la culpabilité, en la soustrayant au régime de responsabilité objective auquel le texte originaire de l'art. 118 alinéa 1 er du code pénal l'avait soumise.

c ) Les codes autrichiens et le code pénal de 1810 avaient substitué à la peine fixe du code de 1791 la commination selon une amplitude légale parfois trop large et qui avait considérablement accru l'incertitude sur la décision du juge et son pouvoir discrétionnaire. Il arrivait même que cette méthode sacrifiât la proportionnalité de la peine à la gravité du fait, comme l'avait fait avant elle la peine fixe. Par exemple, le code utilisait très souvent, jusqu'à en faire la peine criminelle ordinaire, la peine des travaux forcés à temps qui pouvait varier d'un minimum de cinq ans à un maximun de vingt ans (art. 19) 334 ( * ) . La même ampleur de l'intervalle se constatait dans l'interdiction d'exercice des fonctions publiques (art 185).

Le code des Deux Siciles donna au problème une réponse originale, inspirée par les projets milanais de code pénal de 1806 et de 1809, qui avaient perfectionné la méthode de prévision de la peine adoptée dans la loi de la République Italienne du 25 février 1804 et qui consistait dans sa « graduation ». Ce choix a été fait par tous les codes italiens, sauf le toscan, et il s'est donc appliqué tout le long du XIX e siècle jusqu'au code Zanardelli, qui a préféré la méthode du code toscan, semblable à l'actuel. En Europe il a été suivi en Espagne qui l'a abandoné seulement avec le code de 1995.

Dans sa formulation la plus élaborée, due aux codes des années 30 - celui des États de l'Église, le code militaire de la maison d'Este (1832) et le code albertin (1839)- la graduation de la peine était structurée ainsi. Dans la partie générale était posée l'amplitude légale propre à chacune espèce de peine. Cet intervalle était divisé en « sub-intervalles » ou degrés, dont la durée était égale à une fraction de la durée légale de la peine ; dans la partie spéciale, la norme incriminatrice établissait l'espèce de peine et son degré, à l'intérieur duquel le juge déterminait discrétionnairement la peine correcte.

Aux degrés de la peine faisait aussi référence le système des circonstances, en ce sens que la présence d'une ou plus d'entre elles déterminait la fluidité de la peine (en augmentation ou en diminution) selon un ou plusieurs degrés et - à l'intérieur de l'intervalle légal de la peine propre au degré - sa quantification était à la discrétion du juge. Enfin, la loi déterminait l'ordre de gravité des peines pour le cas où la fluidité des degrés provoquerait le passage d'une espèce de peine à une autre.

d ) Quant à la classification des infractions, les codes italiens l'établirent en liaison avec des intérêts de catégorie, ce qui les inscrivait dans une logique de proportion et gravité absente dans le code de 1810. Celui-ci, en effet, se limitait à les distinguer en trois classes punies avec une sanction de gravité croissante.

D'autres divergences entre les codes italiens et le modèle napoléonien s'inscrivent dans le cadre d'une humanisation du système pénal inspiré des principes théorisés par Beccaria, que les pénalistes italiens considéraient un modèle. Dans cet ordre d'idées, il fut attribué une grande importance à la minorité d'âge, en introduisant un niveau inférieur couvert par une présomption absolue d'impunité 335 ( * ) , tandis que dans le code français on devait toujours vérifier si le mineur avait agi ou non avec discernement (art. 66 et 67). Le nombre des infractions punies de la peine capitale fut réduit. Et on constate de considérables différences avec le modèle français dans le système des sanctions. En effet, les codifications italiennes ne reprennent ni la peine de mort du parricide avec le poing droit coupé avant la décapitation (art. 13 du code de 1810) ; ni la confiscation générale, qui consistait dans la dévolution des biens du condamné au domaine de l'État (art. 37) 336 ( * ) ; ni la marque, qui était publiquement imprimée au fer rouge sur l'épaule droite des condamnés aux travaux forcés (art. 20). Elles ne reproduisent pas non plus la catégorie des peines infamantes (carcan, bannissement et dégradation civique : art. 8) et se conforment ainsi au code des Deux Siciles, dans lequel l'alinéa de l'art. 1 er déclarait : « aucune peine n'est infamante ».

Cependant, si la catégorie des peines infamantes et le carcan disparaissent, les deux autres figures ont été conservées sous une dénomination différente : le bannissement sous le nom d' exil et les interdictions à la place de la dégradation civique.

Cet adoucissement du système des peines initié par le code des Deux Siciles anticipait sur des réformes qui furent ensuite introduites dans le code pénal à partir du 1824 et sollicitées même dans le milieu culturel français. À propos de la marque et du carcan Pellegrino Rossi avait écrit qu'ils étaient des « taches » destinées à « disparaître de la législation pénale d'une nation dont les moeurs sont si douces et la civilisation si fortement progressive. La France est la Toscane de l'Europe » 337 ( * ) .

Le milieu napolitain était particulièrement sensible à cette exigence de mitigation des peines du code 1810, comme le démontre le fait que ce processus était déjà commencé sous le gouvernement de Murat. Il avait accueilli partiellement les propositions d'une Commission d'étude qu'il avait instituée et les avait fait insérer dans la traduction du code de 1810 publiée le 23 avril 1812. Avec ces modifications il entra en vigueur dans le Royaume de Naples le 1 er octobre suivant (après deux reports : du 1 er juillet au 1 er septembre et du 1 er septembre au 1 er octobre) et c'est avec ces modifications qu'il est resté en vigueur après le retour au pouvoir de Ferdinand de Bourbon. Plus précisément, dans cette première mitigation du code, l'amputation du poing droit du parricide avant l'exécution avait été supprimée, l'application de la marque sur l'épaule droite et le carcan avaient été limités aux condamnés aux travaux forcés à vie et, pour ce qui concerne la confiscation générale des biens, les cas d'application avaient aussi été réduits.

Esprit humanitaire et nationalisme juridique local alimentairent cette défiance dans le milieu méridional à l'égard d'une législation de provenance extérieure.

Le même phénomène se répéta le lendemain de l'unification nationale lorsqu'en 1861, pour faire accepter le code piémontais de 1859 dans le royaume bourbonien disparu, 7 suppressions, 27 modifications et 4 adjonctions durent être apportées.

5. Comment furent jugées ces innovations. - Ces divergences introduites dans les codes italiens par rapport au modèle français ont été positivement jugées, surtout celles qui étaient apportées par le code des Deux-Siciles. Dans deux écrits, respectivement de 1832 et de 1833, Mittermaier - qui, entre temps, avait salué les améliorations introduites dans le code français par les réformes de 1824 et de 1832 -, eut des mots élogieux pour la « grande amélioration » par rapport au code français due à « la conception plus légère de la peine » et à « l'échelle pénale plus complète et précise » 338 ( * ) des textes italiens, fruits d'une culture pénaliste à laquelle revient la première place dans la fondation du droit pénal moderne, au point que « les Napolitains étaient des pénalistes bien meilleurs ( weit bessere ) que les Français » 339 ( * ) . En 1841 dans une revue française qui à l'époque avait une grande diffusion, il fut dit que la plus grande partie des modifications apportées au code pénal impérial, aprés le retour du roi Ferdinand, ont été des véritables améliorations 340 ( * ) .

En 1845 Ortolan écrivit, à propos des pénalistes napolitains, que «l'esprit de cette école nous semble celui qui, en Europe, a plus d'analogie avec l'esprit français» 341 ( * ) et que «dès l'année 1819, se sont ainsi trouvées réalisées dans le code pénal pour les Deux-Siciles, des améliorations dont quelques-unes n'ont été effectuées chez nous que par la loi de révision de 1832 et dont plusieurs autres nous restent encore à faire, de telle sorte que nous ne craindrions pas de dire que la Partie générale de notre code de pénalité est inférieure, dans son assiette et dans ces principes, à la partie correspondante du code napolitain, et aussi de la plupart des codes récemment promulgués en Europe, quoique dans la partie spéciale, nous reprenions le plus souvent une incontestable supériorité, surtout pour tout ce qui se lie à la nature et à l'esprit du gouvernement constitutionnel » 342 ( * ) .

Avec quelques accents nationalistes, au début du XX e siècle, en 1906, quand l'influence du code de 1810 dans l'ordre pénal italien était devenu un problème historique, Enrico Pessina (1828-1916) le résumait ainsi : «Le code pénal de 1810 fut un important monument de législation pénale positive. On peut dire qu'il fut le fondement, pour longtemps et pour nombreux codes du XIX e siècle. Il contient des éléments de progrès par rapport aux législations pénales antérieures, et aussi l'influence du césarisme inauguré par Bonaparte. Il eut le mérite d'avoir simplifié la matière de la punition des délits ; mais il représente aussi un recul par rapport aux lois pénales de 1789 et de 1790. Dureté et cruauté furent introduites dans ses menaces pénales... En général, la note qui accompagne ce code est celle de l'intimidation au nom de la conservation de l'ordre public... La science italienne, en reconnaissant et défendant les avantages des Lois de la France, ne les accueillit pas servilement, et les soumit à un examen attentif. Au contraire, elle remarqua à temps les vices et les imperfections qui dérivaient d'une part des conditions spéciales du peuple au sein duquel elles étaient apparues, et d'autre part de l'exagération du principe d'intimidation... Les lois françaises furent donc soumises en Italie à la transformation qui provenait de la pensée scientifique ; et cela fut un remède salutaire, puisque il y avait beaucoup de matière hétérogène par rapport aux traditions italiennes, car c'était une législation étrangère » 343 ( * ) .

Vues avec les yeux d'aujourd'hui et épurés des accents de nationalisme juridique avec lesquels elles furent vécues, ces lointaines vicissitudes documentent une riche circulation d'idées entre juristes européens, circulation dont tout le monde avait tiré avantage : un modèle à ne pas oublier dans la difficile construction de l'ordre juridique de l'Union Européenne que nous sommes en train de vivre.


* 324 BOTTA, Storia dei popoli italiani dall'anno 300 dell'era volgare sino all'anno 1789 , III, Livorno, 1826, p. 720.

* 325 COLAO, Il codice penale francese in Toscana. Prime note e indicazioni di ricerca, Codice dei delitti e delle pene pel Regno d'Italia (1811) , Padova, 2002, CCXLII et s.

* 326 Sur l'argument, v. VINCIGUERRA, Fonti culturali ed eredità del codice penale toscano, Codice penale pel granducato di Toscana , Padova, 1995, CLIX et ss.

* 327 CARRARA, Codicizzazione, Opuscoli di diritto criminale , II, 6 e éd., Firenze, 1909, 225 (236).

* 328 CARRARA, Confronti storici, I. Riforma del codice penale francese e progetto italiano, Opuscoli di diritto criminale , VI, 5 e ed., Firenze, 1905, 399 (402).

* 329 CARRARA, Confronti storici ..., 400.

* 330 CARMIGNANI, Scritti inediti , VI, Lucca, 1852, 35.

* 331 ROSSI, Traité du droit pénal , Bruxelles, 1835, 33.

* 332 Il s'agit de la doctrine de ROMAGNOSI, Genesi del diritto penale, Opere edite ed inedite di G.D. Romagnosi sul diritto penale con annotazioni di A. De Giorgi , Milano, 1841, 208 et ss.

* 333 V. les art. 69 et ss. du c.p napolitain ; art. 9 et ss. du c.p des États de l'Église, 101 et ss. du c. p. sarde de 1839 et 96 et ss. c.p sarde de 1859 ; 43 et ss. du c.p. toscan ; 66 et ss. du c.p. de la maison d'Este

* 334 V. les art. 99, 118, 134, 140, 147, 148, 158, 165, 169, 170, 173, 198, 210, 240, 243, 251, 255, 256, 267, 280, 305, 310, 312, 317, 332, 340, 341, 355, 356, 361, 365, 385, 400, 402, 404, 432, 437, 440, 442.

* 335 V. art. 64 du c. p. napolitain ; 27 du c. p. des États de l'Église ; 36 du c. p. toscan ; 57 du c. p. de la maison d'Este.

* 336 V. art. 7, 77, 86, 87, 92 et 97 du code de 1810.

* 337 ROSSI, Traité de droit pénal ..., 34.

* 338 MITTERMAIER, Die Criminalgesetzgebung für das Königreich beider Sicilien, verglichen mit dem Strafgesetzbuch für Parma, Piacenza und Guastalla, Kritische Zeitschrift für Rechtswissenschaften und Gesetzgebung des Auslandes , 1832, p. 112.

* 339 MITTERMAIER, Ueber den Zustand der Criminalwissenschaft in Italien, Kritische Zeitschrift für Rechtswissenschaften und Gesetzgebung des Auslandes , 1833, p. 121.

* 340 DE LAVERGNE, Naples en 1841, Revue des deux mondes , 1841, p. 593.

* 341 ORTOLAN, Criminalistes italiens. Niccola Nicolini, Revue de législation et de jurisprudence , 1845, 321 (322).

* 342 ORTOLAN, Criminalistes italiens ... , 332.

* 343 E. PESSINA, Il diritto penale in Italia da Cesare Beccaria sino alla promulgazione del codice penale vigente (1764-1890), Enciclopedia del diritto penale italiano , II, Milano, 1906, 539 (576-578).

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