M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL SUR LE PROGRAMME 165 « CONSEIL D'ÉTAT ET AUTRES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES »

- Les crédits du programme progressent de 2,2 % par rapport à 2014 pour s'établir à 383,3 millions d'euros en CP.

- Le programme bénéficiera en 2015 de 35 ETP supplémentaires, principalement au bénéfice des tribunaux administratifs et du contentieux de l'asile, qui connaissent les besoins les plus préoccupants.

- Les moyens mis en oeuvres de manière récurrente depuis 2010 en faveur de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) semblent porter leurs fruits. Le délai moyen de jugement devant cette Cour a été réduit de moitié par rapport à 2009, pour atteindre, en 2015, le délai incompressible de 6 mois . Cette performance ne s'est, de surcroît, pas opérée au détriment de la qualité des jugements : le taux d'annulation de ses décisions par le Conseil d'État est en constante diminution.

- La performance d'ensemble, en termes de délais de jugement, des autres juridictions administratives est satisfaisante . Cette maîtrise est d'autant plus remarquable qu'on observe une progression des affaires enregistrées dans toutes les juridictions administratives .

Au 10 octobre 2014, date limite, en application de l'article 49 de la LOLF, pour le retour des réponses du Gouvernement au questionnaire budgétaire concernant le présent programme, 100 % des réponses étaient parvenues à votre rapporteur spécial .

LE CONSEIL D'ÉTAT ET LES AUTRES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES EN 2015

II. LE PROGRAMME 165 : « CONSEIL D'ÉTAT ET AUTRES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES »

A. LA FINALITÉ DU PROGRAMME : GARANTIR LA CONFORMITÉ DE L'ACTION ADMINISTRATIVE AU DROIT

Le programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » a pour objet le respect du droit par les administrations , au travers d' activités contentieuses, de conseil ou d'expertise . Il inclut, outre le Conseil d'État, 8 cours administratives d'appel (CAA) et 42 tribunaux administratifs (TA), dont 11 dans les collectivités d'outre-mer.

L'activité consultative du Conseil d'État comporte, notamment, l'examen des propositions et projets de loi, d'ordonnances, de décrets en Conseil d'État, ainsi que des projets d'actes communautaires. Le Conseil d'État peut être saisi par le Gouvernement, et les autres juridictions administratives peuvent l'être par les préfets, de toute difficulté d'ordre juridique ou administratif.

En outre, depuis le 1 er janvier 2009, le programme comprend la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) , notamment compétente pour statuer sur les recours formés contre les décisions de l'Office français pour la protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), accordant ou refusant le droit d'asile, retirant ou mettant fin au bénéfice de ce droit.

Le responsable de ce programme est le vice-président du Conseil d'État, Jean-Marc Sauvé .

B. LA PRÉPONDÉRANCE DE LA FONCTION JURIDICTIONNELLE

Avant ventilation, l'action de soutien, qui regroupe toutes les dépenses de fonctionnement (titre 3) et d'investissement (titre 5) du présent programme, représente plus du quart du programme.

Après ventilation des CP, la fonction juridictionnelle représente plus de 90 % du présent programme (55,1 % à la seule fonction juridictionnelle des TA).

*Après ventilation, 0,8 million d'euros viennent abonder les crédits de la mission en provenance du programme 309 « Entretien des bâtiments de l'État » de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines ».

**Y compris fonds de concours et attributions de produits.

Source : projet annuel de performances pour 2015 de la mission « Conseil et contrôle de l'État »

C. DES CRÉDITS EN PROGRESSION : + 2,2 % EN CRÉDITS DE PAIEMENT

Les crédits demandés pour 2015 s'établissent à 387,4 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 383,3 millions d'euros en crédits de paiement (CP) , respectivement en progression de 0,2 % et 2,2 % par rapport à la loi de finances pour 2014.

Cette augmentation modérée des CP s'observe principalement sur les dépenses de personnel (+ 2,8 %) . Hors titre 2, les crédits sont en légère diminution de 0,4 % .

Au sein de cette enveloppe, les dépenses d'investissement (7,6 millions d'euros) régressent de 13,8 %, dans le prolongement de plusieurs années successives de baisse significative (- 22 % en 2014 et - 19,2 % en 2013), conformément aux engagements pris dans le cadre du précédent triennal.

Au titre des investissements à venir, il convient de relever que 7 millions d'euros en AE et 6,8 millions d'euros en CP, sont budgétés en vue de dépenses immobilières de mises aux normes d'accessibilité et de rénovation, notamment dans les tribunaux administratifs (TA) de Nice et Paris. Comme précédemment indiqué, l 'article 40 du projet de loi de finances pour 2015 autorise le présent programme à déroger au plafond fixé par la LOLF de reports de crédits de 3 % des crédits initiaux, afin de tenir compte du report de ces travaux d'accessibilité.

Les dépenses de fonctionnement (titre 3) du programme poursuivent leur progression modérée (+ 2,2 % contre + 1,6 % en projet de loi de finances pour 2014) et s'établissent à 57,1 millions d'euros .

Au sein des dépenses de fonctionnement, l'enveloppe dédiée aux frais de justice administrative (couvrant les frais postaux, les frais de papier et les frais de traduction) s'élève à 12,3 millions d'euros (soit 21,5 % du titre 3), ce qui témoigne d'un effort particulier de maîtrise de ces dépenses (- 13,4 %) après plusieurs années d'augmentation significative (+ 14,1 % en 2013 et + 10,1 % en 2014), grâce à la mise en oeuvre de procédures dématérialisées (application « Télérecours »).

Si plus de la moitié du total des frais de justice est affectée aux TA (6,6 millions d'euros), la part affectée à la CNDA s'élève à 4,2 millions d'euros , en diminution de 19,2 % par rapport à 2014 , qui avait anticipé, d'une part, les effets du plan d'action de la CNDA pour l'amélioration des délais de jugement (entraînant une hausse mécanique des sorties et donc de l'activité de la juridiction) et de celui du déstockage des dossiers de l'OFPRA (supposant une augmentation des recours contre ses décisions) et, d'autre part, une augmentation du recours aux interprètes.

D. LE MAINTIEN DE L'OBJECTIF D'ACCROISSEMENT DE LA CAPACITÉ DE JUGEMENT

S'agissant des TA, la progression continue du contentieux (+ 6 % en moyenne annuelle toutes juridictions confondues depuis près de quarante ans), ainsi que la montée en charge de contentieux de masse (droit au logement opposable, revenu de solidarité active, réforme du contentieux des étrangers et surtout, depuis le 1 er janvier 2014, réforme de la procédure applicable aux contentieux sociaux) expliquent la poursuite de la politique de création d'emplois, initiée par la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice (LOPJ).

Création d'emplois de magistrats administratifs depuis 2009

(en ETP)

2009

2010

2011

2012

2013

2014

PLF 2015

+ 30

+ 20

+ 20

+ 5

+ 17

+ 14

+ 14

Source : Commission des finances, d'après les données issues des projets annuels de performances du programme 165.

Comme celui de 2014, le schéma d'emplois pour 2015 prévoit la création de 35 emplois supplémentaires, dont 14 magistrats administratifs . Si, à l'origine, le budget triennal 2013-2015 prévoyait 40 ETP supplémentaires pour 2015 , dans le cadre de la mise en oeuvre des priorités affichées par le Gouvernement, ce nombre a été réduit de 5.

Le plafond d'autorisation d'emplois pour 2015 s'établit à 3 784 ETPT .

Cet effort de créations s'opère principalement en faveur des tribunaux administratifs et du traitement du contentieux de l'asile (+ 9 ETPT pour la seule CNDA). Il est vrai que l a CNDA , avant son rattachement au présent programme (le 1 er janvier 2009), avait subi une détérioration préoccupante de ses délais de jugement , conséquence de « l'explosion » des demandes d'asile, elle-même résultant du contexte géopolitique international.

Afin de remédier à cette situation, la CNDA a bénéficié d'un plan volontariste de renforcement de ses moyens humains (présidents permanents et rapporteurs). Le tableau ci-dessous présente les créations d'emploi dont elle a bénéficié.

Évolution des effectifs de la CNDA depuis 2009

(en ETPT)

2009

2010

2011

2012

2013

2014

PLF 2015

223

243

294

318

341

349

358

Source : Conseil d'État

Au total, le plafond d'emplois de la Cour est fixé à 358 ETPT pour 2015, contre 349 ETPT en 2014.

Les crédits alloués à la CNDA passent de 22,2 millions d'euros en 2014 à 22,9 millions d'euros en 2015 (+ 2,9 %, taux identique à celui de l'évolution entre 2013 et 2014).

Cette progression des moyens a porté ses fruits : les délais moyens de jugement ont été divisés par deux entre 2009 et 2014 , pour quasiment atteindre le délai, considéré comme incompressible, de 6 mois . Outre les bénéfices humains profitant aux justiciables de la Cour, la compression des délais représentait un enjeu budgétaire majeur : ainsi, nos collègues Jean-Claude Frécon, alors rapporteur spécial de la présente mission, et Pierre Bernard-Reymond, pour la mission « Immigration, asile et intégration », dans leur rapport d'information commun relatif à la CNDA 4 ( * ) , estimaient à environ 16,25 millions d'euros le coût mensuel de la prise en charge sociale des demandeurs d'asile en attente d'une décision de la CNDA , à la charge de la mission « Immigration, asile et intégration ».

E. DES OBJECTIFS DE PERFORMANCE GLOBALEMENT ATTEINTS

L'objectif principal du programme « Conseil d'État et autres juridictions administratives » en matière de performance est la réduction des délais de jugement .

En effet, si l'exigence conventionnelle de « délai raisonnable de jugement », fixée par la Cour européenne des droits de l'homme a inspiré la jurisprudence du Conseil d'État 5 ( * ) , le législateur a imposé l'objectif de ramener le délai de jugement à un an 6 ( * ) . Ce délai, mesuré par l'indicateur le plus représentatif du programme (indicateur 1.1), peut être désormais considéré comme atteint . Le délai prévisible moyen de jugement des affaires en stock) est en effet de :

- 8 mois et 15 jours devant le Conseil d'État en 2014, avec une prévision identique pour 2015 ;

- 11 mois dans les CAA en 2014, avec une prévision de 10 mois pour 2015 ;

- 10 mois dans les TA en 2014, avec une prévision identique pour 2015 ;

- 6 mois et 10 jours à la CNDA en 2014, avec un objectif de 6 mois en 2015.

La maîtrise globale des délais est d'autant plus remarquable que les affaires enregistrées dans toutes les juridictions administratives augmentent (+ 15,6 % au premier semestre 2014 pour les TA et + 6,5 % pour les CAA). En ce qui concerne, par exemple, la charge de travail du Conseil d'État ces dernières années, celle-ci a augmenté avec le traitement des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) 7 ( * ) , ou plus spécifiquement en 2014, la publication des décrets relatifs au découpage cantonal (2 558 affaires enregistrées) .

Néanmoins, dans la mesure où cet indicateur agrège la totalité des affaires en stock en fin d'année, y compris les affaires réglées par simple ordonnance ou des affaires dont le jugement est contraint par des délais particuliers 8 ( * ) , il ne reflète pas la réalité et, comme le soulignait notre collègue Charles Guené dans son rapport spécial sur les crédits de la présente mission pour le projet de loi de finances 2014 9 ( * ) , il sous-estime considérablement le délai de jugement des affaires « ordinaires », qui peuvent être très longs, comme en matière de contentieux fiscal ou de contentieux des marchés publics. Il est regrettable que l'indicateur qui permettait justement de distinguer ces affaires ordinaires et de mesurer leurs délais de traitement ne figure plus dans le projet annuel de performances pour 2015 .

Cette année encore, la maîtrise des délais de jugement ne s'est pas effectuée au détriment de la qualité des décisions rendues . Ainsi, les taux d'annulation des décisions juridictionnelles sont restés, au cours des dernières années, relativement stables. On observe même une diminution du taux d'annulation :

- par les CAA des jugements rendus par les TA (15 % en 2014, qui constitue le plafond cible) ;

- par le Conseil d'État des décisions de la CNDA (4,7 %, soit un taux conforme à la cible fixée et très nettement amélioré au regard des performances précédemment enregistrées : 5,3 % en 2013 et 6,2 % en 2012).

Si les objectifs de performance du programme ont tous globalement atteint des résultats satisfaisants, la performance de la CNDA en particulier est remarquable . La stratégie de recrutement poursuivie depuis 2009 ainsi que les réels efforts de productivité réalisés par les personnels méritent d'être salués .


* 4 « La Cour nationale du droit d'asile (CNDA) : une juridiction neuve, confrontée à des problèmes récurrents ». Sénat, rapport d'information n° 9 (2010-2011), page 44.

* 5 Arrêt « Magiera » du 28 juin 2002, qui reconnait la responsabilité pour faute simple de l'État du fait du fonctionnement défectueux du service public de la justice administrative.

* 6 Loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice (LOPJ).

* 7 La QPC a été introduite par la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008. Lorsqu'une QPC est soulevée, au cours d'un procès, le juge doit procéder à un premier « filtrage » avant de transmettre la question au juge suprême de l'ordre juridictionnel dont il relève (Conseil d'État ou Cour de cassation) qui procède à un second filtrage avant de la renvoyer au Conseil constitutionnel. En ce qui concerne le Conseil d'État, le juge dispose de trois mois pour se prononcer sur la QPC.

* 8 Comme les référés, les contentieux des reconduites à la frontière ou les contentieux des refus de titres de séjour accompagnés d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF).

* 9 Sénat, rapport n° 156 (2013-2014) Tome III, Annexe 6