M. Roger KAROUTCHI, rapporteur spécial

ANALYSE GÉNÉRALE DE LA MISSION

I. UN BUDGET TRIENNAL EN HAUSSE MARQUÉ PAR LA MISE EN oeUVRE DES RÉFORMES DE L'ASILE ET DE L'IMMIGRATION

A. LES RÉFORMES ATTENDUES EN 2015, PANACÉES D'UNE NOUVELLE STRATÉGIE D'IMMIGRATION ?

1. Accélérer le traitement de l'asile, centraliser la gestion de l'asile et renforcer le parcours d'intégration des étrangers : la réforme de l'asile et la réforme de l'immigration

Le 23 juillet 2014, le conseil des ministres a adopté deux projets de loi qui ont été déposés sur le bureau de l'Assemblée nationale, qui ont vocation à refondre la politique publique portée par les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».

a) La réforme de l'asile

Le premier de ces textes est le projet de loi relatif à la réforme de l'asile . Ce projet de loi fait suite à un travail de concertation nationale entre l'Etat et les acteurs, notamment associatifs, de l'asile, mené en 2013 sous l'égide de notre collègue Valérie Létard et de notre collègue député Jean-Louis Touraine 1 ( * ) . Le constat de départ de cette réforme rejoint celui mis en évidence par de nombreux autres rapports parlementaires, dont celui de nos collègues députés Jeanine Dubié et Arnaud Richard au nom du comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques de l'Assemblée nationale 2 ( * ) , et ceux présentés par votre rapporteur spécial 3 ( * ) : un système d'asile engorgé , incapable de faire face à l'afflux des demandeurs d'asile dont la très grande majorité sont en réalité poussés par des motivations économiques. L'allongement des délais d'examen des demandes et la saturation des dispositifs standards d'hébergement des réfugiés a ainsi conduit, dans les dernières années, à une augmentation du coût du système d'asile, et, dans le même temps, à une moindre acceptabilité sociale et politique, sans parvenir à protéger efficacement ceux qui répondent véritablement aux critères de l'asile.

Par ailleurs, la réforme de l'asile vise également à transposer les deux directives européennes qui harmonisent, tout en les renforçant, les garanties offertes par les Etats membres aux demandeurs d'asile 4 ( * ) .

En conséquence, la réforme présente deux principaux axes :

• Elle modifie les procédures applicables devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) .

De nouvelles garanties procédurales sont apportées, conformément aux exigences posées par la directive : examen de la vulnérabilité du demandeur ; présence d'un tiers à l'entretien devant l'OFPRA ; caractère suspensif du recours contre les décisions de l'OFPRA.

Dans le même temps, le traitement des demandes les moins fondées sera accéléré : procédure d'irrecevabilité ; clôture du dossier et perte des droits en cas de non coopération ; procédure accélérée élargie (remplaçant la procédure prioritaire actuelle, limitée aux seules demandes issues des pays d'origine sûrs).

L'objectif est de parvenir à une durée moyenne de traitement de la demande de trois mois devant l'OFPRA et de six mois devant la chambre d'appel, la Cour nationale du droit d'asile (CNDA).

• Elle revoit les conditions d'accueil (hébergement, allocations) des demandeurs d'asile , afin qu'elles soient, selon l'exposé des motifs du projet de loi « plus justes et plus équitables mais aussi, dans une certaine mesure, plus directives ».

Il s'agit notamment de mettre en place, sous l'égide de l'Office français d'immigration et d'intégration (OFII), un système d'orientation contraignante des demandeurs d'asile vers des dispositifs d'hébergement dans d'autres régions que celles où ils se présentent. Pour répondre aux demandes, l'hébergement en centre d'accueil des demandeurs d'asile (CADA) devra être la norme. Par ailleurs, l'allocation versée aux demandeurs d'asile ne pouvant être hébergés en CADA, aujourd'hui l'allocation temporaire d'attente (ATA), sera modifiée et familialisée .

b) La réforme du droit des étrangers

Également adopté le 23 juillet 2014 par le conseil des ministres, le projet de loi relatif au droit des étrangers en France s'articule autour de trois principaux axes .

• Le premier vise à rénover le parcours d'intégration des étrangers en situation régulière .

En particulier, il vise à mettre en place un contrat personnalisé fixant le parcours d'accueil et d'intégration des primo-arrivants. Dans ce cadre, l'objectif d'apprentissage de la langue française est renforcé. Par ailleurs, ce parcours est mieux articulé à la délivrance des titres de séjours de longue durée.

• Le deuxième axe est d' améliorer l'attractivité de la France en simplifiant le parcours des étudiants étrangers et en créant une carte « propre aux talents internationaux ».

• Enfin, le troisième axe de la réforme est relatif aux étrangers en situation irrégulière , afin d'ajuster la procédure de reconduite à la frontière pour la mettre en conformité avec les nouvelles exigences européennes, en particulier en mettant la priorité à l'assignation à résidence plutôt que le placement en rétention.

2. Des réformes coûteuses à court terme

L'engorgement du système d'asile constaté depuis plusieurs années s'est traduit par une explosion des dépenses du programme 303 (action  2 : « Garantie du droit d'asile »), passant de 340 millions d'euros en 2008 à probablement plus de 600 millions d'euros en 2014 , comme l'illustre le graphique ci-dessous.

Évolution des dépenses exécutées liées à l'asile du programme 303 depuis 2008

(en millions d'euros)

(1) 2014 : dépense prévisionnelle au 15 septembre 2014 sur la base des éléments fournis dans les réponses au questionnaire budgétaire ; reports de charge de 2013 compris.

Source : commission des finances

Dans ce contexte, les deux réformes de l'asile et de l'immigration ont également des impacts, sinon des motivations budgétaires . Elles sont à cet égard de nature à emporter des conséquences en sens contraires.

Ainsi, la réforme de l'asile pourrait certes permettre à terme de réduire les dépenses liées à l'asile, en particulier si elle parvient à réduire effectivement les délais d'examen des demandes devant l'OFPRA et la CNDA . En effet, ce sont ces délais qui conditionnent la durée au cours de laquelle les demandeurs ont droit aux dispositifs d'accueil des CADA ou, alternativement, à l'hébergement d'urgence et à l'ATA. Plus l'examen sera rapide, plus la durée moyenne d'hébergement et de versement de l'allocation sera courte, et plus le coût de l'asile sera réduit.

Par ailleurs, le dispositif de répartition interrégionale des demandeurs d'asile implique que le refus d'un transfert vers une autre région entraînera la perte des droits (hébergement et allocation).

Cependant, d'autres dispositions sont plus coûteuses . Ainsi, l'accroissement des garanties procédurales au sein de l'OFPRA, en particulier la présence obligatoire d'un tiers (avocat, représentant d'une association) à l'entretien du demandeur avec l'officier augmentera les coûts de l'Office. De même, le caractère systématiquement suspensif des recours risque de pousser encore davantage à la multiplication des recours et à l'allongement des délais d'examen.

Enfin, la réforme de l'immigration, en élevant à juste titre l'exigence de maîtrise de la langue française, conduira à une augmentation des dépenses de formation linguistique au sein de l'OFII puis, dans un deuxième temps, par les associations actives dans le domaine de l'intégration et financées par le programme 104.

Au total, l'effet « budgétaire » de la réforme reste incertain . À court terme, elle risque de porter les crédits plutôt à la hausse, avec l'augmentation immédiate des moyens de l'OFPRA et de l'OFII pour faire face aux nouvelles exigences et missions. À long terme, elle peut être source d'économie à condition de parvenir à maîtriser les délais d'examen des demandes. En définitive, il ne faut pas tout attendre de la mise en oeuvre des réformes : c'est à condition d'une évolution des esprits et des priorités stratégiques , qui remette l'intégration des étrangers en situation régulière au coeur de notre politique d'immigration, que la question de l'immigration pourra perdre une partie de la passion, sinon du danger politique qu'elle représente aujourd'hui.

3. Des premiers éléments, insuffisants, de budgétisation des réformes

Le projet de loi de finances pour 2015 ne porte que des traces minimes de ces réformes , qui devraient être adoptées définitivement par le Parlement au cours de l'année 2015.

Quatre principales évolutions dans la budgétisation sont présentées comme des premiers effets des deux réformes.

• Afin de répondre aux nouvelles garanties procédurales et de poursuivre le mouvement de réduction des délais d'examen, les crédits et les effectifs de l'OFPRA sont en hausse conséquente par rapport à la loi de finances pour 2014 . Ainsi, la subvention pour charges de service public à l'opérateur progresse de 6,7 millions d'euros pour atteindre 46 millions d'euros. Surtout, à rebours des efforts demandés à l'ensemble des opérateurs de l'Etat, son plafond d'emploi est relevé de 55 équivalents temps plein travaillé (ETPT).

• Les crédits destinés aux CADA sont en légère augmentation (+ 7 millions d'euros), pour tenir compte de la pérennisation en année pleine des 4 000 nouvelles places créées en 2013 et 2014. A l'inverse, les crédits destinés à l'hébergement d'urgence et, surtout, à l'ATA, refluent à des niveaux très significativement inférieurs à la consommation constatée en 2013 et prévisionnelle pour 2014. A cet égard, le projet de loi de finances pour 2015 semble anticiper une réorientation des publics vers les CADA et, partant, une réduction des dépenses de l'ATA et de l'hébergement d'urgence qui, pourtant, ne pourra être intégralement mise en oeuvre dès 2015.

• Au sein des crédits d'hébergement des étrangers en situation irrégulière, soit 23 millions d'euros, une ligne spécifique de 1 million d'euros est prévue pour l'assignation à résidence , qui doit devenir la norme de la rétention administrative. Elle semble cependant insuffisante pour correspondre à la réorientation qu'exigent les textes européens.

• Enfin, les intitulés des actions du programme 104 relatif à l'intégration sont modifiés , afin de tenir compte de l'idée, promue par la réforme de l'immigration, d'une intégration en deux phases : la première phase, plus contraignante, est suivie par l'OFII autour du contrat personnalisé dans le cadre de l'« accueil des étrangers primo-arrivants » (action  11) ; la seconde phase, mise en oeuvre par le milieu associatif en fonction des situations individuelles de chaque étranger, correspond à l'action  12 « Accompagnement des étrangers primo-arrivants ». Cependant, les conséquences strictement budgétaires de la réforme de l'immigration ne sont pas tirées . En particulier, les moyens de l'OFII ne sont pas augmentés malgré les nouvelles missions qui lui sont confiées par la réforme de l'asile (orientation des demandeurs d'asile ; versement de l'allocation) et, surtout, malgré le relèvement du niveau de langue exigé des étrangers primo-arrivants au terme de leur parcours d'intégration.

B. UNE HAUSSE DU BUDGET TRIENNAL PROBABLEMENT INSUFFISANTE

Le budget triennal pour les années 2015 à 2017 prévoit une légère hausse des dépenses , avec un plafond passant de 666 millions d'euros en 2014 à 674 millions d'euros en 2017 . Cette faible augmentation, de huit millions d'euros sur la période, traduit certes une trajectoire de dépenses plus crédible que celle développée dans le précédent budget triennal, qui prévoyait une baisse irréaliste des crédits. Votre rapporteur spécial l'avait d'ailleurs souligné lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2013 qui accompagnait la présentation du triennal 2013-2015 : « A périmètre et flux de demandeurs d'asile constants, une telle réduction, s'agissant de dépenses essentiellement contraintes, semble peu crédible. Pour être effective, elle devrait nécessiter à la fois une amélioration des dispositifs de garantie du droit d'asile pour en limiter structurellement le coût, et une forte réduction des dépenses d'intervention dites pilotables, notamment celles destinées aux actions d'intégration des étrangers ».

Cependant, le plafond de dépense de 2017 reste inférieur de plus de 30 millions d'euros à la dépense constatée en 2013 et de plus de 100 millions d'euros à la dépense prévisionnelle 2014 , comme l'illustre le tableau ci-dessous. En conséquence, il y a tout lieu de penser que la sous-budgétisation chronique des dépenses, en particulier celles liées à l'asile, soit poursuivie lors des deux prochains exercices.

Plafonds des crédits de paiement des programmations pluriannuelles

(en millions d'euros)

2013

2014

2015

2016

2017

Plafond des crédits du triennal 2013-2015

670

659

637

Crédits LFI

670

665

666

Exécution

705

796 (1)

Plafond des crédits du triennal 2013-2015

666

669

674

(1) Exécution 2014 prévisionnelle, sur la base des dépenses prévisionnelles actualisées d'asile actualisées au 15 septembre 2014.

Source : Commission des finances

En tout état de cause, il convient de souligner que la principale hypothèque sur le niveau de la dépense de la présente mission est la dynamique de la demande d'asile . Si elle se maintient à des niveaux comparables aux années 2013 et 2014 (entre 60 000 et 70 000 demandes d'asile déposées chaque année), les crédits de CADA, d'hébergement d'urgence et d'allocation temporaire d'attente, qui en sont directement tributaire et qui représentent la plus grande part des crédits de la mission, ne pourront que difficilement être réduits. Seule une amélioration très significative des délais de traitement des demandes d'asile pourrait laisser entrevoir une diminution sensible des dépenses.

A cet égard, votre rapporteur spécial constate que les années 2013 et, surtout 2014, marquent une augmentation significative des demandes d'asile au sein de l'Union européenne . En particulier, le nombre de demandeurs en provenance des pays du Moyen-Orient , au premier rang desquels la Syrie et l'Irak, seraient en forte augmentation. Ainsi, en 2013, 435 000 nouveaux demandeurs d'asile ont été recensés dans l'Union européenne, contre environ 330 000 en 2013. Les Syriens sont, avec 12 % des demandeurs, la première nationalité des demandeurs d'asile.

Cependant, la France n'est pas la première destination de ces migrants . En particulier, c'est l'Allemagne qui est devenue de loin, en 2013, la première destination, avec 127 000 demandeurs d'asile, soit près de 30 % de l'ensemble des demandeurs de l'Union, et une progression de plus de 63 % par rapport à l'année 2013. Cette évolution semble se poursuivre en 2014 puisque sur les neuf premiers mois de 2014, le nombre de demandeurs a encore progressé de 57 % en Allemagne 5 ( * ) .


* 1 Cette concertation a donné lieu à un rapport : « Rapport sur la réforme de l'asile », remis au ministre de l'intérieur le 28 novembre 2013.

* 2 Rapport  1879 (XIVe législature) sur «  l'évaluation de la politique d'accueil des demandeurs d'asile », 10 avril 2014.

* 3 Rapport  105 (2013-2014) « L'allocation temporaire d'attente : pour une refonte globale de la gestion de l'asile », 30 octobre 2013.

* 4 Directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale, directive dite « procédures » ; directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale, directive dite « accueil » (refonte).

* 5 Bundesamt für Migration und Flüchtlinge, Asylgeschäftsbericht September 2014.