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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Revenu de solidarité active (CMP - Candidatures)

Revenus du travail (CMP - Candidatures)

Modification de l'article 3 du Règlement du Sénat

Discussion générale

Discussion des conclusions de la commission

Article unique

Articles additionnels

Vote sur l'ensemble

Crise du logement et développement du crédit hypothécaire (Question orale avec débat)

Assurance récolte obligatoire (Proposition de loi)

Discussion générale

Revenu de solidarité active (CMP - Nominations)

Revenus du travail (CMP - Nominations)

Conférence des Présidents

Diffusion et protection de la création sur internet (Urgence)

Discussion générale




SÉANCE

du mercredi 29 octobre 2008

15e séance de la session ordinaire 2008-2009

présidence de M. Gérard Larcher

La séance est ouverte à 15 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Revenu de solidarité active (CMP - Candidatures)

M. le président.  - J'informe le Sénat que la commission des affaires sociales m'a fait connaître qu'elle a procédé à la désignation des candidats qu'elle présente à la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d'insertion.

Cette liste a été affichée et la nomination des membres de cette commission mixte paritaire aura lieu conformément à l'article 12 du Règlement.

Revenus du travail (CMP - Candidatures)

M. le président.  - J'ai reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d'une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi en faveur des revenus du travail.

J'informe le Sénat que la commission des affaires sociales m'a fait connaître qu'elle a procédé à la désignation des candidats qu'elle présente à cette commission mixte paritaire. Cette liste a été affichée et la nomination des membres de cette commission mixte paritaire aura lieu conformément à l'article 12 du Règlement.

Modification de l'article 3 du Règlement du Sénat

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution, présentée par M. Gérard Larcher, tendant à modifier l'article 3 du Règlement du Sénat afin de renforcer le pluralisme dans l'organe dirigeant du Sénat.

Discussion générale

M. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois.  - Cette proposition de résolution émanant du Président du Sénat, n'appelle pas de longs développements. Il ne s'agit que de porter de six à huit le nombre des vice-présidents, et de douze à quatorze celui des secrétaires. Une telle modification de notre Règlement a eu un précédent en 1991, où le nombre des vice-présidents a été porté de quatre à six.

Il s'agit, en premier lieu, d'assurer une meilleure répartition de nos travaux, dont chacun a pu mesurer l'ampleur ces derniers mois, alors que nous avons souvent siégé jour et nuit du lundi au vendredi. Les vice-présidents pourront ainsi plus aisément se succéder en séance, et les secrétaires du Sénat garantir, pris qu'ils le sont par de nombreuses obligations, de la présence de certains d'entre eux, ce qui ne fut pas toujours le cas ces temps derniers.

Cette nécessité va de pair avec le souci d'assurer une meilleure représentation des groupes parlementaires au Bureau, étant entendu que l'application d'un système proportionnel ne permettrait pas aux formations peu nombreuses d'être représentées comme elles sont en droit de le souhaiter.

Les préoccupations de notre Président vont enfin dans le sens des articles 4 et 51-1 de notre Constitution, qui visent à assurer une meilleure représentation des groupes dans les instances parlementaires. Cependant, parce que nous serons bientôt appelés à assurer les conséquences de la révision constitutionnelle, qui prévoit l'adoption de sept lois organiques et doit nous amener à adopter plusieurs lois organiques ainsi qu'une révision de notre Règlement, qui interviendra en deux temps, en mars, puis en juin, il ne serait pas opportun d'adopter dès à présent des modifications plus en profondeur, qui tendraient à transformer l'organisation du Bureau, de la Conférence des Présidents ou le mode de désignation des dignitaires. La commission des lois émettra un avis défavorable sur les amendements présentés aujourd'hui en ce sens. Ces questions, qui soulèvent celles de la parité et de la représentation des groupes au Bureau et dans les commissions doivent être renvoyées à un examen en profondeur.

Je précise enfin que les modifications proposées aujourd'hui se feront à dépenses constantes, grâce à une nouvelle répartition des indemnités et du pool automobile entre les dignitaires.

Votre commission vous demande d'adopter sans modification cette proposition de résolution. (Applaudissements à droite et sur plusieurs bancs au centre)

M. Jean-Pierre Michel.  - Compte tenu de la conjoncture, on peut s'étonner de l'empressement de notre Président, qui nous avait pourtant annoncé une réflexion en profondeur à venir : pourquoi anticiper en créant aujourd'hui, comme par un coup de baguette magique, de nouveaux postes de dignitaires ?

La modification de notre Règlement devrait avoir pour but de faire une plus juste place à l'opposition et lui assurer l'exercice de ses droits, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Vous avez préféré choisir la voie de la facilité, faute d'être en mesure d'arbitrer un différend entre les groupes de la majorité, UMP et UC : en réclamant quatre vice-présidences, l'UMP frustrait le groupe UC de la sienne. Et voici cette proposition, fruit de petits arrangements entre amis qui évite de faire des déçus.

La modification de 1991 avait pourtant retenu le Sénat durant une longue séance de nuit, au cours de laquelle le président Arthuis, aujourd'hui président d'une importante commission, avait fustigé les arrangements et les compromissions qu'elle trahissait.

Cette nouvelle modification n'introduit-elle pas de surcroît une dissymétrie choquante entre le Bureau de l'Assemblée nationale, qui, avec 577 députés, ne compte que six vice-présidents et douze secrétaires, quand celui du Sénat, avec 343 sénateurs, comptera désormais huit vice-présidents et quatorze secrétaires ? M. Gélard arguera-t-il de la moyenne d'âge sénatoriale pour justifier cette inflation de dignitaires, qui fera bientôt du Sénat une armée mexicaine où ne resteront que quelques soutiers pour assurer une présence en séance ?

Le groupe socialiste, fidèle à la position défendue en 1991 par notre collègue Guy Allouche, estime quant à lui que seule la représentation proportionnelle des groupes dans toutes les instances, au Bureau du Sénat mais aussi à ceux des commissions, règlera une question que la présente proposition, monsieur Gélard, ne règle en rien. (M. Patrice Gélard, rapporteur, le conteste) Une proportionnelle non pas dirigée contre aucun groupe, mais seule à même de répartir les postes, conformément à ce que représente chaque groupe. A l'Assemblée nationale, les postes, affectés chacun d'un coefficient, le permettent.

Le groupe socialiste représentant à peu près un tiers des sénateurs, cette proportion devrait se retrouver au Bureau. On en est loin : le groupe UMP, avec ses 150 membres, y dispose de quatre vice-présidents tandis que les 115 socialistes n'en ont que deux. C'est caricatural. Et je ne parle même pas des présidences de commission monopolisées par l'UMP, contrairement à ce qu'il en est à l'Assemblée nationale où le président de la commission des finances est socialiste. La proportionnelle donnerait trois vice-présidents à l'UMP et trois aux socialistes.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - Drôle de calcul : 150 et 115, ce n'est pas pareil !

M. Jean-Pierre Michel.  - Autre problème : allons-nous élire seulement les deux nouveaux vice-présidents, ou bien l'ensemble du Bureau ? Si l'on respecte le Règlement à la lettre, on doit opter pour la deuxième solution. Mais je crains qu'on impose la première de peur de dénouer les petits arrangements passés entre copains, parce que les scrutins secrets peuvent être l'occasion de coups de poignard dans le dos.... Dans ce cas, conformément à l'alinéa 9 de l'article 3, les deux nouveaux postes doivent aller aux socialistes et je compte bien sur le président du Sénat pour faire qu'il en soit ainsi, lui qui a dit vouloir réformer nos pratiques.

Mais s'il y a la quantité, encore faut-il prendre en compte la qualité parce que les responsabilités des vice-présidents et des secrétaires ne sont pas les mêmes. Notre amendement porte là-dessus.

Le président a affirmé que cette modification serait financée par redéploiement et à budget constant. Sur quels postes portera ce redéploiement ? Diminuera-t-on les indemnités des vice-présidents et secrétaires actuels ? J'en doute... Jouera-t-on sur le parc automobile et le matériel, sur lesquels je ne m'appesantirai pas pour ne pas ajouter à la mauvaise image du Sénat... ?

La proportionnelle est la règle dans la grande majorité des assemblées parlementaires des pays démocratiques. Cette modification de notre Règlement n'arrangera pas la réputation du Sénat -souvent attaqué dans des articles caricaturaux, (exclamations de soulagement à droite) mais qui frappent l'opinion. C'est donc rendre un mauvais service à notre assemblée que de faire voter dans l'urgence, et sans attendre une révision plus globale de notre Règlement, cette modification partielle. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Michel Mercier.  - Cette proposition de résolution, premier pas vers un nouveau Règlement, vise à permettre aux différents groupes d'être mieux représentés au sein du Sénat et à rendre notre Bureau davantage pluraliste. Nous l'approuvons, d'autant plus que cela se ferait à budget constant.

L'amendement socialiste est tout à fait contraire à l'esprit de la récente révision constitutionnelle, et notamment à l'article 51-1 nouveau de la Constitution qui reconnaît des « droits spécifiques » aux groupes d'opposition ainsi qu'aux « groupes minoritaires ».

M. Michel Charasse.  - C'est un amendement du Sénat !

M. Michel Mercier.  - Nous nous étions fermement battus, avec d'autres dont Mme Borvo Cohen-Seat, pour le faire adopter. L'idée de « droits spécifiques » est contraire à celle de proportionnelle mathématique. Nous avons voulu que chaque groupe parlementaire s'exprime et ait des responsabilités au Sénat, chaque groupe politique, et aussi les groupes minoritaires. Ici, il y a trois groupes minoritaires.

M. Patrice Gélard, rapporteur.  - Non, cinq ! Tous les groupes sont minoritaires...

M. Michel Mercier.  - En effet, monsieur le rapporteur. Vous reconnaissez que vous êtes minoritaires. C'est un premier pas vers la sagesse...

Plus exactement, il y a deux groupes dominants et d'autres plus petits. Pour ceux-ci, cet article 51-1 est un vrai progrès démocratique. La représentation proportionnelle peut parfois empêcher l'expression de telle ou telle position. C'est pourquoi l'Union centriste se félicite de ce premier pas dans l'application de cet article 51-1 et votera cette proposition de résolution. (Applaudissements au centre et sur quelques bancs à droite)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Nous avons eu un long débat sur la révision constitutionnelle et sur le pluralisme au Parlement. Nous ne sommes pas d'accord et votre réforme est tout sauf consensuelle. Je constate que la pratique renforce le caractère présidentiel, pour ne pas dire monarchique, de nos institutions. Le fait majoritaire est pesant, nous le constatons dans le couple exécutif ou dans le couple président/majorité.

Le Règlement des assemblées corrigera-t-il ou aggravera-t-il ce fait majoritaire ? Vous vous êtes, messieurs de la majorité, arc-boutés contre toute modification du mode de scrutin au mépris de la démocratie la plus élémentaire. Malgré cela l'UMP n'a plus la majorité absolue. Elle continue pourtant à régner sans partage -avec le soutien de l'Union centriste- sur le Sénat : quatre vice-présidents sur six, deux questeurs sur trois, six présidents de commission sur six, la présidence des deux plus importantes délégations, sans parler de celle d'une myriade d'autres structures. L'opposition dans son ensemble ne dispose que de deux vice-présidents et d'un questeur, tous socialistes. La Conférence des Présidents, dont la valeur constitutionnelle est incertaine, illustre bien cette hyper domination majoritaire. Et elle décide de tout ! Depuis longtemps nous réclamons que seuls les présidents de groupe y siègent, comme à l'Assemblée nationale.

Monsieur le président, vous vous êtes engagé, dans votre discours d'investiture, à respecter les droits de l'opposition. Nous en prenons acte et serons vigilants à ce qu'on prenne en compte l'ensemble des groupes politiques et non pas seulement les deux groupes majoritaires de la majorité et de l'opposition.

Vous avez institué un groupe de travail sur les conséquences de la réforme constitutionnelle.

Qu'il s'intéresse à deux points fondamentaux : la reconnaissance des groupes politiques, indispensable pour revaloriser la politique -la crise financière et économique rend la confrontation d'idées plus nécessaire que jamais- et le respect du débat public, garantie de transparence pour nos concitoyens, dont nous ne sommes que les représentants.

La proposition de résolution crée deux postes de vice-présidents : ils doivent être financés à budget constant, car le but est d'assurer une meilleure représentation politique, non de distribuer des avantages, à l'heure où le Sénat est mis en cause sur le manque de transparence de sa gestion.

Le groupe UMP dispose de quatre vice-présidences sur six. Il refuse la proportionnalité. Le président du Sénat, lui, a souhaité la représentation la plus large des groupes. Je ne qualifierais pas la modification proposée de « rééquilibrage politique », car six des huit vice-présidents seront issus de la majorité. Mais c'est un pas modeste vers la prise en compte de la diversité.

Je partage la philosophie des amendements socialistes : nul ne peut contester que le groupe CRC soit favorable à la proportionnalité en toutes circonstances, y compris, chers collègues socialistes, dans les élections parlementaires. Mais nous souhaitons surtout une représentation automatique de chaque groupe. Et la proportionnalité devrait concerner l'ensemble des fonctions exécutives. Toutefois, les amendements socialistes, comme celui du RDSE, peuvent être pris en compte.

Nous voterons, mais avec les réserves que j'ai indiquées, les modifications de l'article 3. (Applaudissements sur les bancs CRC)

La discussion générale est close.

Discussion des conclusions de la commission

Article unique

M. le président.  - Amendement n°3, présenté par M. Michel et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

III. - Le 7 de l'article 3 du Règlement du Sénat est ainsi rédigé :

« 7. - L'élection des vice-présidents et celle des questeurs ont lieu au scrutin secret et séparé et par bulletins plurinominaux selon les règles de la représentation proportionnelle. Chaque liste est établie selon le principe de la parité et comporte autant de noms qu'il y a de fonctions à pourvoir. »

M. Jean-Pierre Michel.  - Au Bureau du Sénat, sur vingt-deux membres, seuls six sont des femmes. On connaît la tiédeur du groupe majoritaire à l'égard de la parité, et aux dernières élections, c'est le groupe socialiste qui a le plus contribué à la progression du nombre de femmes ici. On aurait pu faire mieux si trois sièges étaient en jeu dans tous les départements.

M. Patrice Gélard, rapporteur.  - La représentation proportionnelle et la parité sont des questions intéressantes : le problème est réel mais ne saurait être traité à la va-vite aujourd'hui. Nous allons prochainement examiner des lois organiques et ordinaires pour tirer les conséquences de la réforme constitutionnelle et nous adopterons une révision de notre Règlement. Si nous adoptions l'amendement n°3, il serait censuré par le Conseil constitutionnel, car il est en contradiction avec l'article 51-1 et l'article 4 de la Constitution. Retrait, dans l'attente d'un examen ultérieur, en mars, ou en juin...

M. Bernard Frimat.  - Ou plus tard...

M. Jean-Pierre Michel.  - Nous maintenons l'amendement et serons attentifs au résultat du vote.

M. Michel Charasse.  - L'article 51-1 est d'application immédiate. (M. Patrice Gélard, rapporteur, le conteste) Nous discutons du Règlement, de la nomination aux postes qu'il est convenu d'appeler de dignitaires et nous pouvons traiter de la proportionnalité et de la parité. Sinon, nous risquerions d'être conduits l'année prochaine à demander à des collègues, élus pour trois ans, de quitter leur fonction, ce qui serait parfaitement désagréable.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Nous tirons les premières conséquences de la révision de l'article 51 : nous en avons le droit ! L'amendement socialiste, lui, est contraire aux dispositions de l'article 51-1.

Nous n'avons pas tiré toutes les conséquences de la révision constitutionnelle en ce qui concerne les droits spécifiques de l'opposition et des groupes minoritaires. Nous pourrons le faire indépendamment des lois organiques ; mais il faut le faire dans le cadre d'une réflexion d'ensemble. Aujourd'hui, il s'agit d'un point unique.

M. Michel Charasse.  - Et si la réflexion ne concerne pas le Bureau, que concernera-t-elle ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Je ne puis être suspectée de ne pas être féministe, mais je crois qu'il vaudrait mieux se préoccuper du pourcentage de femmes dans notre assemblée, qui n'est que de 22 % aujourd'hui ! Néanmoins je partage la philosophie qui anime les auteurs de l'amendement.

M. Bernard Frimat.  - J'écoute toujours avec grande attention les propos du doyen Gélard. Mais il faut beaucoup d'imagination pour voir dans l'article 51-1 l'origine de nos travaux d'aujourd'hui ! Votre élection, dont je vous félicite encore, monsieur le Président, est trop récente pour que nous ayons oublié ce qui vous conduit à proposer de créer deux nouvelles vice-présidences.

La proportionnelle, appliquée à six sièges de vice-présidents, donnerait le résultat suivant : trois pour l'UMP, deux pour les socialistes, et un pour l'Union centriste. On voit qu'il ne s'agit pas d'un problème de prise en compte des groupes minoritaires mais de surreprésentation du groupe relativement majoritaire. Sur huit sièges, avec la proportionnelle au plus fort reste, nous aurions trois vice-présidents UMP, trois socialistes, un de l'Union centriste et un CRC.

M. Jean-Michel Baylet.  - Et le groupe RDSE reste sur le carreau !

M. Bernard Frimat.  - Vous vous mettez où vous voulez : je ne vous disputerai pas ce terrain de jeu.

Le groupe socialiste a voté l'amendement sur la représentation des groupes mais il faut distinguer représentation des groupes minoritaires et surreprésentation des groupes majoritaires. Nous sommes d'accord pour que les minoritaires soient représentés, la proportionnelle au plus fort reste le garantit, mais pas pour qu'on multiplie les postes afin que chaque groupe s'en voie attribuer un.

Quant à l'inconstitutionnalité, laissez-moi sourire : la Constitution renvoie aux groupes des Assemblées et nous sommes tous des groupes minoritaires puisque le groupe socialiste a progressé malgré l'injustice du mode de scrutin.

Enfin, cet amendement obéit au souci de vous protéger demain, si vous deveniez minoritaires. (Sourires et applaudissements sur les bancs socialistes)

M. François Fortassin.  - Il n'y a pas besoin d'avoir étudié chez les jésuites pour manier la casuistique à la perfection... Nous avons voté, sur proposition de M. Baylet, un amendement disposant que tous les groupes seraient représentés. Et voilà que certains semblent maintenant souffrir d'amnésie et ne veulent pas qu'il s'applique. Nous parlons des « dignitaires » du Sénat, ou, plutôt de ceux qui exercent de hautes responsabilités. (Approbations) Si on tronçonne par poste, il faut avoir 25 % pour être représenté. Mais dès que l'on raisonne sur huit vice-présidents et huit présidents de commission, la place du RDSE est tout à fait légitime. (Applaudissements sur les bancs du RDSE)

A la demande du président de la commission des lois, l'amendement n°3 est mis aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 341
Majorité absolue des suffrages exprimés 171
Pour l'adoption 140
Contre 201

Le Sénat n'a pas adopté.

L'article unique est adopté.

Articles additionnels

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par M. Collin et les membres du groupe du RDSE.

Après l'article unique, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :

Après le 8 de l'article 3 du Règlement du Sénat, il est inséré un 8 bis ainsi rédigé :

« 8 bis. L'élection des vice-présidents du Sénat et des Présidents des commissions visées à l'article 7 a lieu en s'efforçant d'attribuer au moins un poste de vice-président ou de Président de commission à chaque groupe politique. »

M. Yvon Collin.  - Le débat sur cet amendement a pratiquement commencé et, en tout cas, son sujet a été défloré. Il se situe en effet dans le prolongement de la révision constitutionnelle de juillet dernier. Vous proposez, monsieur le président, de passer à huit vice-présidents en attendant que l'on ait huit commissions permanentes. C'est conforme à la lettre et à l'esprit du nouvel article 51-1 et de l'amendement voté à l'unanimité à notre initiative. Puisque, avec les trois questeurs, dix-neuf sénateurs seront investis d'une responsabilité particulière, il faut que le Règlement précise que leur désignation assurera la représentation de tous les groupes à l'une ou l'autre de ces fonctions. C'est conforme à ce pluralisme qui est à l'honneur du Sénat et de tradition dans le groupe que je préside -on y combat un dogmatisme trop fréquent dans notre vie politique et, parfois, jusque dans notre Assemblée. (Applaudissements sur les bancs du RDSE)

M. Patrice Gélard, rapporteur.  - Les deux nouvelles commissions n'existeront pas avant le 1er mars 2009. (M. Michel Charasse le conteste) Je vous renvoie à l'article 46 ! De surcroît, alors que les vice-présidents sont élus par l'ensemble du Sénat, les présidents des commissions sont élus par celles-ci. Le meilleur moyen est de rechercher un consensus avant les élections et, parce qu'il faut une négociation, évitons de figer les choses. Je vous demande donc de retirer l'amendement et, à défaut, j'y serais défavorable.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Je rappelle que vous avez, monsieur le président, constitué un groupe de travail pluraliste où ces questions seront débattues en vue d'adapter notre Règlement.

M. le président.  - Il tiendra sa première réunion mardi prochain et ceux qui n'ont qu'un attachement modéré pour le mot dignitaires apprécieront certaines propositions.

M. Jean-Michel Baylet.  - Puisque tous les groupes semblent accepter la nécessité d'une approche globale et que les questions se poseront au mois de mars, nous retirons l'amendement.

L'amendement n°1 est retiré, ainsi que l'amendement n°2.

Vote sur l'ensemble

M. Jean-Pierre Michel.  - Son amendement n'ayant pas été adopté, le groupe socialiste s'abstiendra.

Cette proposition de résolution est profondément injuste. M. Baylet a jugé bon de retirer son amendement, mais nous étions d'accord avec son principe consistant à faire masse des vice-présidents du Sénat et des présidents de commission.

Le groupe CRC, avec 23 membres, aura sans doute une vice-présidence, le groupe du RDSE, avec 17 membres, n'aura aucun poste, alors que le groupe socialiste, avec 116 membres, en aura deux et l'Union centriste, avec 29 membres, en aura trois, dont un poste de vice-président et deux postes de présidents de commissions. Je ne parle pas de l'UMP !

Le Sénat rend aujourd'hui un mauvais service à notre institution et à son image.

M. Alain Dufaut.  - Je remercie le président du Sénat pour son initiative qui introduira le pluralisme au Bureau de notre assemblée. Cette évolution met en oeuvre deux modifications introduites par la révision constitutionnelle, qui consacre le pluralisme à l'article 4 et les droits des groupes politiques parlementaires dans le nouvel article 51-1.

Nous nous félicitons du financement des nouveaux postes par redéploiement de moyens.

Le groupe UMP votera ce premier pas de la rénovation interne de notre institution et de sa modernisation. (Exclamations ironiques à gauche)

M. Philippe Dallier.  - Le groupe UMP ne me semble pas avoir été saisi de cette proposition... Je m'exprimerai à titre personnel.

S'il n'en reste qu'un ou deux, je serai de ceux-là, car cette résolution constitue non une erreur, mais une faute ! On ne règle pas les problèmes de représentativité en créant deux postes de vice-président.

Une faute est commise contre le bon sens, car six vice-présidents suffisent à l'Assemblée nationale, pourquoi en faut-il huit au Sénat ? A moins que la capacité de travail des députés ne soit supérieure à celle des sénateurs... Je le conteste énergiquement. (On approuve à gauche)

Enfin, une faute est commise contre notre institution. Mon propos peut sembler démagogique, mais j'aurai honte ce soir de rentrer en Seine-Saint-Denis pour dire que nous avons retardé d'une heure et demie le débat sur le logement afin de nous répartir des postes.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Vous êtes bien placé pour ça !

M. Philippe Dallier.  - Le groupe socialiste aurait voté pour, si les postes lui avaient été destinés !

Vous verrez demain les réactions dans la presse et le zapping de Canal+ ! Ensuite, nous pourrons toujours pleurer sur une institution traînée dans la boue alors qu'elle ne le mérite pas ! (Applaudissements sur quelques bancs à droite et à gauche)

M. Michel Houel.  - Sur le fond, la proposition est compréhensible, mais elle vient au pire moment : alors que la France affronte une crise financière terrible, comment expliquer que nous ayons débattu pour créer deux postes ? Trop de nos concitoyens peinent à survivre avec des revenus qui n'atteignent pas le Smic.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Honteux !

M. Michel Houel.  - Monsieur le président, je vous fais confiance lorsque vous dites que cette résolution n'induira aucune charge supplémentaire, mais cette réforme dévalue nos vice-présidents, qui sont excellents. L'Assemblée nationale dispose de six vice-présidents, soit un pour 96 députés ; chez nous, il en faudrait un pour 43 sénateurs !

Tout cela risque d'évoquer une cuisine d'officine.

M. François Fortassin.  - Il faut savoir raison garder. Ceux qui s'offusquent à l'idée d'avoir huit vice-présidents du Sénat au lieu de six acceptent qu'il y ait douze adjoints au maire, douze vice-présidents de conseil général ou quatorze vice-présidents de conseil régional.

Je salue en outre l'engagement de fonctionner à moyen inchangé.

Évitons les émotions de rosière effarouchée ! (Approbations à droite et sur les bancs CRC)

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Cette proposition améliorera la représentation des groupes minoritaires parmi les vice-présidents et au secrétariat.

J'adore sincèrement ceux qui donnent en permanence des leçons de morale.

M. Michel Mercier.  - Surtout quand ils ont eu des postes !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Ou quand ils ont échoué.

Si certains sont malheureux d'être sénateurs, qu'ils démissionnent !

M. Philippe Dallier.  - Arrêtez !

M. Thierry Repentin.  - Ne dites pas cela à ceux qui bossent ! Réservez ça aux absents !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Il n'est pas bon de critiquer en permanence notre institution.

M. Philippe Dallier.  - C'est aussi ce que je vous dis !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Grâce aux propositions que va nous soumettre le président, certaines pratiques n'auront plus cours.

Il faut mieux répartir certains postes de responsabilité entre les groupes. J'observe que l'Assemblée nationale a moins de vice-présidents, mais aussi moins de groupe politiques, dont le nombre est une richesse du Sénat.

Enfin, ces modifications interviendront sans augmenter les dépenses.

M. Michel Charasse.  - Je regrette les termes du débat.

Conformément à la Constitution, chaque assemblée parlementaire s'organise comme elle l'entend. (M. Patrice Gélard, rapporteur, approuve) Les députés ont fixé depuis longtemps leur nombre de vice-présidents. De même, nous décidons librement.

Lorsque la révision constitutionnelle a créé huit ou dix postes de députés représentant les Français établis à l'étranger,...

M. Christian Cointat.  - Très bien !

M. Michel Charasse.  - ... pourtant déjà représentés par douze sénateurs, cette disposition aurait justifié de tout autres protestations.

J'en ai assez d'entendre vanter les vertus de l'Assemblée nationale et dénoncer les turpitudes du Sénat. Si les journalistes sont trop fainéants pour aller à la distribution consulter les documents qui exposent en toute transparence ce qui se passe au Sénat, nous n'allons tout de même pas créer des emplois de fonctionnaires spécialement chargés de leur trouver la documentation et de leur apprendre à lire !

L'année prochaine, les crédits de l'Assemblée nationale augmenteront de 4 % ; la hausse prévue pour le Sénat se limite à 1,3 %, et notre président veut qu'elle soit nulle. Que représente la création de deux postes de vice-présidents ? Moins d'un millième de notre budget. Voilà qui se règle facilement par redéploiement.

La hausse des dépenses sénatoriales depuis plusieurs années illustre en ce domaine une modération que l'on n'a pas toujours observée dans l'autre Chambre.

Quoi que l'on pense, il y a une majorité et une opposition. La majorité a choisi le président. Je n'imagine pas qu'il n'a pas pris contact avec elle en élaborant sa proposition. Je n'imagine pas qu'elle lui inflige aujourd'hui un camouflet ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP, où l'on félicite l'orateur)

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 223
Majorité absolue des suffrages exprimés 112
Pour l'adoption 219
Contre 4

Le Sénat a adopté.

M. le président.  - Merci à la commission, et à chacun d'entre vous ! Je suis sûr que vous ne serez pas déçus par les propositions de réforme que je vous présenterai dans les semaines à venir. (Applaudissements à droite et au centre)

La séance, suspendue à 16 h 15, reprend à 16 h 20.

présidence de Mme Catherine Tasca,vice-présidente

Crise du logement et développement du crédit hypothécaire (Question orale avec débat)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat de M. Thierry Repentin à Mme la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi sur la crise du logement et le développement du crédit hypothécaire.

M. Thierry Repentin, auteur de la question.  - Le groupe socialiste consacre la séance réservée non à une proposition de loi, mais à cette question orale avec débat pour interroger le Gouvernement sur l'exclusion du logement des classes moyennes dans notre pays.

Mme Christine Boutin, ministre du logement et de la ville.  - C'est une idée fixe !

M. Thierry Repentin, auteur de la question.  - Oui, parce que les faits sont têtus ! Dix mille familles ont été expulsées en 2006 de leur logement pour cause de surendettement. Les prix de l'accession ont augmenté de 140 % en dix ans, la durée des prêts s'allonge : un tiers des jeunes ménages qui accèdent à la propriété souscrivent un crédit sur 30 ans. C'est le cas de 16 % du total des emprunteurs.

Les désordres financiers ne sont pas à l'origine du manque de logements en France, mais la crise financière aggrave la situation : la récession va avoir de lourdes conséquences sur la politique du logement, en asséchant les liquidités des banques, donc les prêts à l'accession. Les classes moyennes ne peuvent plus acheter sans s'endetter à des niveaux insupportables. Quant aux catégories populaires, il y a déjà quatre à cinq années que le marché les a exclues de l'accession à la propriété, à coup de prix prohibitifs. Le secteur du bâtiment n'est pas épargné, les mises en chantier ralentissent.

L'accélérateur de la crise tient dans ce que M. Bernard Vorms, directeur général de l'Anil, a qualifié de « paradoxe de la baisse des taux » : la baisse des taux d'intérêt a amélioré la solvabilité des accédants, accru la demande, mais, à plus long terme, provoqué la hausse des prix, tandis que le taux d'effort des ménages augmentait. Entre 2001 et 2006, le coût moyen des opérations immobilières financées par emprunt est passé de 2,6 années de revenu à près de 4 années de revenu. La durée moyenne des crédits logement augmente : 57 % des prêts sont contractés pour une durée de 20 à 30 ans, alors qu'en 2003, 60,4 % des prêts étaient contractés pour une durée inférieure à 20 ans.

Les classes moyennes sont à leur tour touchées par cette crise. Elles n'ont pas accès au logement social, elles ne peuvent acheter des logements devenus trop chers, ni bénéficier des aides personnelles au logement ou de l'aide à l'accession. Mais les ménages qui ont accédé à la propriété quand le marché était « au plus haut » se retrouvent aujourd'hui contraints de revendre à un prix sensiblement plus bas.

Le Gouvernement avait de quoi prévoir ce retournement du marché, annoncé depuis plusieurs mois. Mais il fait plus grave, en gelant le budget de la mission Ville et Logement, avec une perte de crédits de 6,9 % l'an prochain, et en ponctionnant le 1 % logement. C'est incompréhensible à l'heure où la commission Attali a estimé que d'ici 2020 les besoins en construction s'élèveront à 500 000 logements par an. Les aides à la pierre seront, quant à elles, amputées de 30 % dès l'an prochain.

Où est l'euro que l'État devait apporter pour chaque euro en faveur de l'Anru ? Où sont les investissements massifs nécessaires pour la construction de logements abordables ? Qui garantit le financement de l'Agence nationale de l'habitat (Anah), maintenant que sa ressource est extrabudgétaire ?

Vous réduisez le budget pour les aides au locatif social -350 millions en 2009, contre 362 il y a 5 ans-, vous refusez de prolonger l'exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties au-delà de 2009 : c'est une remise en cause du plan de cohésion sociale !

Mme Christine Boutin, ministre.  - N'importe quoi !

M. Thierry Repentin, auteur de la question.  - Le Président de la République ne jure que par la révision générale des politiques publiques : la comptabilité l'emporte sur le logement de nos concitoyens ! Fi de l'efficacité de l'action publique : seule compte la réduction à court terme des dépenses. Qu'importe si elles doivent augmenter plus tard ! Curieuse myopie, qui rappelle celle des marchés financiers...

Au lieu de relancer la construction, vous avez encouragé les dispositifs d'aide à l'investissement locatif de manière déraisonnable, sans contrepartie sociale à l'engagement financier de l'État. On a construit des logements inadaptés, dont certains n'ont toujours pas trouvé preneur. Quant au Pass foncier, il conduit les ménages à s'endetter sur des durées si longues que le moindre accident de la vie peut entraîner la descente aux enfers.

L'État investit 30 000 euros pour un logement privé vendu comme un produit fiscal, contre à peine 20 000 pour construire un logement abordable, adapté aux besoins des foyers populaires ! Alors qu'il se comporte comme on sait vis-à-vis des organismes HLM, il ne se prive pas d'en critiquer la gestion...

En guise de réponse, des mesures qui sont autant d'effets d'annonce. La subvention pour l'achat de trente mille logements ne doit pas être une aide directe à des promoteurs qui ne privilégient guère la modération et la recherche de réponses pertinentes. Comme toute débudgétisation, c'est une économie pour l'État, mais aussi une réduction nette des sommes consacrées au logement.

Comment comptez-vous résoudre le déficit de construction de logements à loyer abordable ? Qu'allez-vous faire pour ces classes moyennes qui ont acheté au prix fort et se retrouvent aujourd'hui étranglées ? Comptez-vous généraliser les emprunts hypothécaires, comme le préconise un récent rapport du Conseil d'analyse économique ?

Pas moins de 712 000 ménages sont surendettés, sans compter les milliers d'autres qui sacrifient tout pour faire face à leurs échéances. Or le Président de la République n'a cessé de chanter les louanges de ce type de crédit ! En 2006, il disait aux Échos : « Je veux développer le crédit hypothécaire en France. C'est ce qui a permis de soutenir la croissance aux États-Unis » ! (Sourires et applaudissements sur les bancs socialistes) Ou encore : « Une économie qui ne s'endette pas suffisamment, c'est une économie qui ne croit pas en l'avenir (...). C'est pour cette raison que je souhaite développer le crédit hypothécaire pour les ménages ». (M. Alain Fauconnier applaudit)

C'est vrai, le crédit hypothécaire a dopé la croissance américaine. Comme tous les produits dopants, il a entraîné des performances artificielles et s'est révélé dangereux pour la santé : selon Alan Greenspan, les États-Unis sont entrés dans la crise la plus grave depuis la seconde guerre mondiale. Ils ont d'ailleurs dû nationaliser les deux géants du crédit hypothécaire, Freddie Mac et Fanny Mae. Alors que la tempête financière est due aux subprimes, il est indécent de proposer aux familles de recourir à ces crédits risqués !

Au contraire, il faut encadrer les prêts et faire preuve de pédagogie. Il y a des solutions plus adaptées pour les ménages étranglés par leur prêt-relais. Pourquoi ne pas augmenter le prêt à taux zéro, aujourd'hui de 15 000 euros, d'autant que ce dispositif a un effet déclencheur pour l'accession à la propriété et touche les ménages aux revenus moyens ? Son financement par crédit d'impôt sur l'impôt sur les sociétés des banques, inventé par M. Daubresse pour débudgétiser le PTZ, n'est prévu que jusqu'en 2009. Allez-vous laisser disparaître ce dispositif ?

De même, relancer l'épargne logement serait un signal fort envers les primo-accédants, d'autant que l'effort d'épargne renforce la sécurité de l'accédant et du prêteur. La contractualisation sécurise le système financier français, et le protège des conséquences d'un trop grand recours à la titrisation.

La question n'est pas d'être pour ou contre l'accession à la propriété. Plutôt que de prôner l'accession à tout prix, mieux vaut adopter une attitude raisonnée visant à protéger les ménages et les collectivités d'un endettement démesuré. Comme l'indiquait l'Anil au sujet du récent rapport de Frédéric Lefebvre sur les emprunts immobiliers à taux variable, « ce n'est pas un excès de réglementation, ni même la fin de toute imagination commerciale que de faire en sorte que des prêts, qui engagent des emprunteurs profanes pour plus de vingt ans, ne puissent être vendus comme des téléphones portables » !

A l'heure où la majorité dénonce les aides personnelles au logement, où le crédit d'impôt Tepa va coûter 4,5 milliards -alors qu'il n'est pas pris en compte pour apprécier la solvabilité des acquéreurs-, il y a peut-être mieux à faire que d'aider sans discernement les plus aisés à acheter un logement existant ! Plus que jamais, il faut encourager la production de logements abordables.

Quels outils et quels moyens financiers comptez-vous engager au service de la politique du logement ? Quelle suite réservez-vous à la proposition dangereuse de généralisation des prêts hypothécaires ? (Applaudissements à gauche)

M. Philippe Dallier.  - La question orale de M. Repentin se voudrait d'actualité ; elle est en réalité décalée et dépassée. Il y a moins de dix jours, pendant si jours et six nuits, nous avons discuté du projet de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion : nous avons eu tout loisir de débattre de la crise actuelle et de poser un diagnostic sur l'état du logement en France.

Grace à ce texte, nous voulons construire plus de logements, favoriser l'accession sociale à la propriété, permettre l'accès au parc de logements HLM à plus de personnes et lutter contre l'habitat indigne. Je me suis exprimé sur tous ces sujets, en tant que rapporteur pour avis de la commission des finances, ainsi qu'à titre personnel. Beaucoup de nos collègues l'on également fait, mais à aucun moment le Gouvernement n'a souhaité revenir sur la question du crédit hypothécaire. Il n'est donc pas nécessaire de rouvrir le débat, une semaine après l'adoption du projet de loi par le Sénat.

M. Daniel Raoul.  - C'est contradictoire !

M. Philippe Dallier.  - Il revient maintenant à l'Assemblée nationale de se saisir de ce texte avant que les deux chambres ne recherchent un compromis équilibré.

Outre le fait d'être décalée et dépassée, cette question orale entretient la confusion entre crédit hypothécaire et subprimes. C'est extrêmement regrettable car sur des sujets aussi complexes et sensibles, il ne faut pas en rajouter, surtout en période de crise. Je sais bien que l'on a vu récemment certains élus socialistes, notamment le président du conseil général de Seine-Saint-Denis, se lancer dans une véritable opération d'enfumage, qui n'a probablement d'autre but que de préparer les esprits à une augmentation des impôts locaux, en comparant des emprunts à taux variables, produits somme toute assez banals, fussent-ils libellés en devises étrangères, aux produits toxiques que sont les titres composés de subprimes. Mais nous ne sommes pas obligés de suivre ici les mauvais exemples qui, par l'amalgame, conduiraient nos concitoyens à jeter le bébé du crédit hypothécaire bien utilisé, avec l'eau du bain !

Lors de l'examen de la loi du 26 juillet 2005 pour la confiance et la modernisation de l'économie, le Parlement n'a autorisé le développement du crédit hypothécaire au profit des particuliers qu'avec prudence. De plus, l'hypothèque rechargeable et le prêt viager hypothécaire sont très peu utilisés depuis la publication de l'ordonnance du 24 mars 2006 qui les a mis en place. Ainsi, seules 10 500 hypothèques conventionnelles rechargeables ont été enregistrées au 31 août 2008 et seuls 4 400 prêts viagers hypothécaires ont été autorisés de juin 2007 à juillet 2008. Il s'agit donc de dispositifs marginaux, maniés avec précaution par les banques françaises, ce dont nous nous félicitons.

Surtout, les dispositifs existants sont très différents des subprimes américaines avec lesquelles certains entretiennent la confusion. Ainsi, l'hypothèque rechargeable permet de « recharger » l'hypothèque qui a servi à obtenir un prêt, au fur et à mesure que le prêt initial est remboursé, et d'utiliser cette hypothèque pour emprunter de nouveau et mener à bien d'autres projets. Toutefois, en France, et c'est un principe de précaution fort utile, l'emprunteur ne peut réutiliser l'hypothèque que dans la limite de la valeur initiale de son bien sans tenir compte d'une éventuelle appréciation de la valeur de celui-ci. Alors certes, en cas d'acquisition du bien à un prix élevé suivi d'une dépréciation, il pourrait y avoir un décalage temporaire entre le montant de l'hypothèque et la valeur réelle du bien, mais il s'agit d'un cas extrême qui ne remet pas en cause le solide garde-fou de notre système.

Notre collègue Repentin fait le parallèle entre les subprimes américains et le crédit hypothécaire évoqué dans un récent rapport du Conseil d'analyse économique mais il oublie de nous dire que les auteurs de ce rapport rejettent un système hypothécaire pur, dont les carences sont aujourd'hui bien visibles, et proposent d'instaurer un encadrement de la distribution de crédit immobilier qui permette d'exclure les formes les plus risquées d'emprunts. De surcroît, il ne s'agit que d'un rapport qui n'engage que leurs auteurs, initié dans un autre contexte et aujourd'hui en décalage avec la réalité des marchés du crédit et du logement.

Pour que les choses soient claires : personne ne propose d'introduire aujourd'hui en France un système identique à celui des subprimes américaines. Le groupe UMP du Sénat y serait de toute façon totalement opposé.

La question posée par notre collègue Repentin nous apparaît également décalée et dépassée par rapport aux enjeux actuels.

M. Jean-Luc Fichet.  - C'est lui qui est décalé.

M. Philippe Dallier.  - Notre pays doit en effet faire face à une très grave crise du crédit et à ses lourdes répercussions dans le secteur du logement. Les derniers chiffres montrent une très nette dégradation de l'activité dans ce secteur essentiel pour l'économie et l'emploi. Le nombre de permis de construire s'est ainsi effondré en France de 23,3 % au troisième trimestre et le nombre de mises en chantier a reculé de 8,1 %. Sans attendre, le Président de la République a annoncé début octobre un plan ambitieux pour soutenir le secteur du bâtiment et répondre aux besoins des Français. Le groupe UMP salue cette réactivité et soutient les mesures décidées comme le lancement d'un programme exceptionnel d'acquisition de 30 000 logements, l'augmentation de 20 000 à 30 000 du nombre d'opérations finançables en Pass foncier, l'accroissement du plafond du prêt d'accession sociale (PAS) au niveau du prêt à taux zéro afin de faciliter l'octroi de prêts immobiliers par les banques, la mobilisation des terrains de l'État et de ses établissements publics, notamment ferroviaires.

Lors de la discussion du projet de loi de mobilisation pour le logement, j'ai évoqué le financement de l'Anru et de l'Anah, les débudgétisations programmées et la mise à contribution du 1 % logement. Ces questions importantes devront être abordées lors de l'examen du projet de programmation des finances publiques pour la période 2009-2011 puis lors de l'examen des crédits de la mission Ville et Logement. Ce débat n'a donc pas lieu d'être aujourd'hui, sauf à paraître encore une fois en décalage. Soyez néanmoins assurée, madame la ministre, que le Sénat, et sa commission des finances, y contribueront activement, le moment venu, en cohérence avec les mesures de soutien annoncées par le Président de la République auxquelles le groupe UMP apporte son soutien. (Applaudissements sur de nombreux bancs à droite)

M. Martial Bourquin.  - Je comprends la gêne de mon collègue qui tente de sauver les apparences en parlant de débat décalé mais tel n'est pas le cas. Une erreur n'est pas dramatique si elle est corrigée à temps mais elle le devient si elle persiste. C'est pourquoi il faut examiner la question du crédit hypothécaire car sa généralisation est plus que jamais au coeur d'une actualité internationale, sociale et financière, tourmentée.

L'échec cuisant des subprimes aux États-Unis et la crise bancaire nous invitent à nous affranchir d'un corpus néo-libéral triomphant. Cette crise doit nous permettre de redéfinir nos priorités. Notre responsabilité d'élus n'est pas de promouvoir à marche forcée le slogan cher au Président de la République de la « France des propriétaires » mais d'aider les ménages modestes à acquérir une propriété dans des conditions sécurisées. Notre responsabilité n'est pas d'inciter à la consommation déraisonnée, à une hausse artificielle du pouvoir d'achat ni de nier les risques d'accidents de la vie. Votre attitude, madame la ministre, est moins claire : je crains que votre modération actuelle ne soit qu'une façade et que vous nous demandiez d'ici quelques mois d'aller encore plus loin.

En 2005, alors que Nicolas Sarkozy était ministre de l'économie et des finances, il a entrepris l'import juridique du système de l'hypothèque rechargeable. Pour éviter le débat, le Gouvernement avait procédé par ordonnance. Celle du 24 mars 2006 sur le droit des sûretés a ouvert deux nouvelles formes de crédit : l'hypothèque rechargeable permet à l'emprunteur qui a déjà constitué une hypothèque pour l'achat d'un bien immobilier d'affecter une partie de celle-ci à la garantie d'un autre crédit. Le prêt viager hypothécaire, quant à lui, permet d'obtenir un prêt garanti par un bien immobilier à usage exclusif d'habitation, sachant que le prêt n'est remboursé qu'au décès de l'emprunteur par la vente de son bien. L'adoption de cette ordonnance avait fait l'objet d'une grande campagne au sein de l'UMP où la fascination pour des méthodes de distribution de crédit immobilier inspirées des États-Unis était flagrante. Le groupe socialiste s'était élevé contre ces propositions.

Deuxième source d'inquiétude : le rapport sur l'hypothèque et le crédit hypothécaire commandé par Nicolas Sarkozy, alors ministre d'État. Ce rapport proposait, dès 2004, d'accroître la fluidité du crédit hypothécaire tout au long de la vie du prêt. L'idée était simple : une hypothèque initialement inscrite à l'appui d'un premier prêt, le plus souvent immobilier, devait pouvoir être réutilisée, sans nouvelle formalité, pour garantir de nouveaux prêts. Il s'agissait ni plus ni moins du système américain, mais la recharge servait à financer des dépenses de travaux ou d'équipement alors qu'aux États-Unis, elle permet de contracter un autre prêt à la consommation. C'est le crédit revolving sans barrières, où les prêts à la consommation et les prêts immobiliers se confondent sans limite pour la plus grande insécurité des emprunteurs. Là encore, nous avions fait part de nos vives préoccupations.

Certes, le dispositif français n'est pas strictement identique à celui proposé aux États-Unis. C'est sans doute pourquoi il ne s'est pas développé. Le système du cautionnement, combiné à une étanchéité entre les prêts à la consommation et les prêts immobiliers, nous a préservés des conséquences les plus dramatiques de ce système. Depuis, certains sont revenus à une position plus raisonnable. Dans un récent rapport, Frédéric Lefebvre, député UMP, se félicite de l'échec de ces nouveaux produits. Il y voit même l'une des raisons expliquant la meilleure résistance du marché français à la crise. Nous craignons pourtant que cette position plus mesurée ne soit que conjoncturelle, d'autant que les propositions du candidat Sarkozy pendant la campagne de 2007 et le rapport du Conseil d'analyse économique encouragent le développement du crédit hypothécaire.

En septembre 2006, le candidat Sarkozy, qui voulait voir la France devenir un pays comptant 70 % de propriétaires, s'exprimait en ces termes : « En France, nous privilégions la garantie sur les personnes, ce qui conduit les établissements bancaires à écarter du marché du crédit tous ceux dont la situation professionnelle n'est pas assez stable pour assurer des revenus durables. Cette tradition n'est pas une fatalité. Il suffit de changer les règles prudentielles imposées aux banques, de simplifier le recours à l'hypothèque et d'en réduire le coût ». Cette fascination pour le système américain paraît aujourd'hui pour le moins décalée... Car comme aux États-Unis, étaient avant tout visés les ménages modestes ; comme aux États-Unis, un lien direct était établi entre la valeur du bien estimée sur le marché et la capacité d'accès au crédit. Or, aux États-Unis, la chute des prix des actifs immobiliers a entraîné la diminution des capacités d'emprunt et d'accès au crédit, a rendu la demande de logements moins solvable et entamé la capacité de consommation des ménages, dont les plus modestes ont vu leurs logements saisis, tandis que les banques ne pouvaient plus espérer tirer de leur vente qu'une valeur très inférieure à celle initialement estimée. Par un effet de dominos, toute l'économie s'en trouve aujourd'hui affectée.

Deuxième motif d'inquiétude, le rapport du Centre d'analyses stratégiques qui vous a été remis le 30 septembre dernier. La fascination bien connue de l'un de ses auteurs pour l'Amérique n'est pas pour nous rassurer. En matière de crédits immobiliers, on peut y lire que « la France n'a pas intérêt à défendre à tout prix une exception dont les vertus sont établies, mais qu'il n'est pas illégitime de faire évoluer » ; que les premiers pas accomplis par l'ordonnance de 2006 « restent pour le moins insuffisants » ; que « le développement d'un marché financier de titrisation hypothécaire est la condition du développement du marché de l'hypothèque en France ». Pensez-vous, madame la ministre, que les propositions de ce rapport sont aujourd'hui défendables ? Notre conception du logement n'est pas strictement patrimoniale. Dès vos premières propositions, nous avions tiré la sonnette d'alarme et nous étions prononcés contre la généralisation du crédit hypothécaire rechargeable. Il est encore temps d'agir avant que le train ne déraille.

Souhaitez-vous, madame la ministre, poursuivre l'oeuvre entreprise et importer purement et simplement le système américain où les crédits à la consommation sont adossés aux prêts au logement ? Voulez-vous faire des ménages français des spéculateurs malgré eux, consommant au-delà du raisonnable, mais vivant avec l'épée de Damoclès que représente la dépréciation de leur bien immobilier ? Souhaitez-vous continuer à promouvoir un système de retraite par capitalisation, dont il faut rappeler qu'il repose de plus en plus sur les valeurs financières et immobilières au détriment de la solidarité ? Persisterez-vous à ne rechercher à la crise du logement, qui est avant tout une crise de la construction -d'une construction, il va sans dire, adaptée à la demande- et une crise du foncier constructible, que des solutions bancaires et financières ? Entendez-vous demander aux banques, à qui l'État s'apprête à donner 10 milliards, de recourir sans mesure à ces crédits ? Quels risques, madame la ministre, êtes-vous prête à faire prendre aux ménages les plus modestes ? (Applaudissements à gauche)

Mme Odette Terrade.  - Après l'examen, en première lecture et en urgence, de votre projet de loi, ce débat prend une allure de redite.

Mme Christine Boutin, ministre.  - A qui le dites-vous !

Mme Odette Terrade.  - Mais le fait est que les déclarations triomphales d'il y a quelques mois sur le niveau exceptionnel de construction de logements, y compris de logements sociaux, semblent avoir mal supporté l'épreuve de la crise économique : chute de 25 % des mises en chantier, de 30 % des transactions immobilières, situation dramatique pour 30 000 accédants à la propriété victimes des prêts-relais, aggravation de l'endettement des ménages, liée aux prêts à taux variable : tout concourt à la crise. L'un des principaux opérateurs immobiliers, Nexity, annonce l'abandon de 110 programmes et le licenciement de 500 salariés tandis qu'Orpi annonce la fermeture de 30 agences. Alors qu'au deuxième trimestre 2008, le secteur de la construction, avec une moyenne de 18,2 heures supplémentaires, continuait de solliciter avec constance le dispositif Tepa, dans le même temps, les services du ministère du travail nous indiquent que 8 500 emplois intérimaires ont disparu dans le secteur, tandis que les créations d'emploi n'ont finalement progressé que de 4 000 postes sur la période. Ainsi, même aux beaux jours, le bâtiment ne crée pas les emplois espérés. Et les effets de la loi Tepa pèsent lourd... Le mirage du « travailler plus pour gagner plus » conduit ainsi à priver l'industrie du bâtiment de notre pays des forces dont elle aura besoin, demain, pour assurer à chacun un logement. La crise du logement est aussi crise du bâtiment, aggravée par vos choix politiques néfastes.

Selon les associations, deux millions et demi de ménages sont mal logés, sans abri, précairement hébergés ou résident dans des logements insalubres. Quelles réponses leur ont été apportées ces dernières années ? Essentiellement un développement de l'offre, indifférent au caractère de la demande. Des centaines de millions d'euros ont ainsi été distraits des caisses publiques pour inciter les particuliers à réaliser des investissements locatifs -Robien ou Borloo- tandis que des milliards ont été mobilisés au profit des établissements de crédit qui ont précipité des ménages moyens et modestes dans la spirale de l'endettement. La dépense publique pour le logement a été profondément dénaturée, quand les crédits de la mission Ville et Logement se sont peu à peu limités à la prise en charge partielle des aides personnelles au logement, tandis que la régulation budgétaire et les ajustements des collectifs de fin d'année réduisaient la part des crédits destinés à la construction neuve de logements locatifs sociaux et de réhabilitation du parc existant. L'État n'a jamais respecté sa parole sur le programme national de rénovation urbaine. Pire, il s'apprête aujourd'hui à solder son découvert en faisant main basse sur le 1 % logement ! La prime à l'amélioration des logements à usage locatif (Palulos) va passer, en 2009, par pertes et profits pour toute opération qui n'entrerait pas dans le cadre des programmes de l'Anru. La crise du logement, c'est aussi cela !

La construction de logements sociaux dans la dernière période doit autant à la montée en charge des logements PLS, peu consommateurs d'aide publique directe, qu'au fait que les communes en déficit de logements sociaux ont finalement décidé, dans leur majorité, de mettre en oeuvre la loi SRU. Remettre cette loi en cause aujourd'hui serait prendre le risque d'aggraver la crise. Est-ce là ce que veut ce gouvernement ? Pensez-y, madame la ministre, avant de tenter de faire rétablir au Palais Bourbon cet article 17 que le Sénat a rejeté ! Pensez-y aussi quand vous tenterez de faire croire que plus de mobilité des locataires -de ces locataires prétendument privilégiés que seraient un couple d'enseignants sans enfants- permettra de répondre aux besoins

Seule la construction en nombre de logements de qualité inversera la vapeur. Mais hélas, depuis 2002, vous avez voté des lois qui ont cette conséquence que 70 % de l'offre n'est adaptée qu'à 30 %. Un Robien loué, c'est tant mieux, mais un Robien inlouable, parce qu'il ne répond pas à la demande, quel gâchis ! Comment un couple dont les revenus sont inférieurs aux plafonds HLM serait-il prêt à payer 1 500 ou 1 600 euros par mois pour se loger ? Il est pourtant requis de payer des impôts dont le produit sera dispendieusement utilisé pour aider des investisseurs immobiliers qui n'en ont nul besoin. Et que dire de la loi Méhaignerie, de la loi sur l'habitat de 1994, qui ont favorisé une poussée urticante des loyers ? La vérité est que le parc social n'existe quasiment plus et que la loi de 1948 n'est plus qu'un lointain souvenir ! Ne reste qu'un parc locatif privé mal entretenu et dont les loyers ont, eux, pris l'ascenseur ! La crise du logement, ce sont aussi ces studettes à 900 euros sur Paris, ces studios des années 1920 ou 1930 à 700 euros en province ; c'est le développement des copropriétés dégradées, dont certaines ont procédé au démembrement, fort lucratif pour le vendeur, des immeubles anciens par congé-vente : merci M. Méhaignerie !

En matière d'accession à la propriété, nous sommes passés, en quelques années, d'un dispositif destiné aux ménages -prêts principaux bonifiés et réductions d'impôt- à un dispositif destiné aux prêteurs. Il est grand temps de revenir aux fondamentaux. Le prêt à taux zéro, s'il doit persister, doit être recentré sur les ménages les plus modestes et permettre de prendre en charge la majeure partie de la valeur d'achat du bien immobilier. Il est grand temps d'abandonner les prêts à taux variable et de réduire le niveau des taux d'intérêt, en exigeant des établissements de crédit qu'ils cèdent un peu sur leur marge opérationnelle.

Nous n'en prenons hélas pas le chemin ! En rackettant les collecteurs du 1 %, vous privez des milliers de familles de salariés de possibilités de prêts à faible taux, qui rendaient leur dette plus supportable. Et que ne prenez-vous dès à présent une mesure sur les prêts-relais ? Exigez des banques, en contrepartie des financements exorbitants consentis par le dernier collectif, qu'elles abandonnent leurs créances sur les intérêts courus. Enfin, recyclez le crédit d'impôt sur les intérêts d'emprunt prévu par la loi Tepa, qui n'a fait qu'encourager la hausse des taux d'intérêt, en le transformant, au bénéfice des emprunteurs, en capacité de remboursement anticipé, sous forme d'une aide budgétaire directe.

Ce n'est pas par le développement de subprimes à la française mais bien en révisant le cadre législatif et financier qui l'a fait naître que l'on résoudra la crise du logement dans notre pays. (Applaudissements à gauche)

Mme Michèle André.  - Cette question orale revêt un caractère de plus en plus crucial du fait de la crise financière qui se transforme malheureusement, jour après jour, en une crise économique qui, elle, n'ayant rien de virtuel, frappe durement la construction et donc le logement. Le ressort semble brisé et nous sommes face à un ralentissement notable des mises en chantier. L'annonce, hier, de la chute de 23 % des demandes de permis de construire et de 8 % des mises en chantier au troisième trimestre le confirme. On peut craindre, tirant une leçon de l'adage « quand le bâtiment va tout va ! », que, s'il commence à aller mal, tout risque d'aller mal.

Il n'en reste pas moins que nombreux sont les Français qui depuis plusieurs années déjà ont du mal à se loger, en tant que propriétaire ou que locataire. L'indice du coût de la construction, qui permet d'apprécier la richesse nécessaire pour pouvoir devenir propriétaire dans du neuf et sert de base à la révision des loyers, a progressé de 44 % depuis 2000, contre seulement 13 % entre 1990 et 1999. Cette progression a interdit à tous ceux qui cherchaient un logement de trouver un prix ou un loyer raisonnable. Des taux d'intérêt bas, une TVA à 5,5 % dans la rénovation, un désir d'acquérir exacerbé, tout cela a conduit la demande à surpasser largement une offre « insuffisante et mal adaptée », aux dires du Conseil d'analyse économique (CAE). Les prix et les loyers connaissant une croissance à deux chiffres, les gouvernements précédents ont jugé bon d'ajouter à ces facteurs déjà favorables des dispositifs fiscaux qui ont accéléré le mouvement et poussé la croissance annuelle bien au-delà du raisonnable. En témoigne l'explosion de « l'indice du prix des logements rapporté au revenu disponible par ménage » disponible sur le rapport du Conseil d'analyse économique. S'il variait depuis les années 60 et jusqu'en 2000 entre 0,9 et 1,1 il a vu sa courbe s'envoler pour atteindre plus d'1,7. L'immobilier d'aujourd'hui contribue au creusement des inégalités car faute de logements sociaux en nombre suffisant les prix pourraient continuer encore de grimper et les plus défavorisés auraient de moins en moins la possibilité de se loger. Paris illustre cruellement ce mécanisme qui aboutit aujourd'hui à ce que des employés de plus en plus nombreux sont contraints à des solutions de fortune pour ne pas dire de misère. Notre pays connaît déjà des prix supérieurs à beaucoup d'autres pays de l'OCDE. Les plus défavorisés ne trouvent pas de logements correspondant à leur capacité pécuniaire, et maintenant les classes moyennes non plus.

Le projet de loi qui nous a été proposé dernièrement n'est pas la bonne réponse, et surtout pas la réduction dans les trois ans à venir de la mission Ville et Logement. Si je peux partager le constat et certaines préconisations du rapport du CAE, je crois que ce serait faire un cadeau empoisonné aux ménages que de concentrer les efforts fiscaux de l'État sur le prêt à taux zéro aux dépens du plan épargne logement, de faciliter les procédures juridiques de recouvrement des actifs gagés, de permettre le développement de la titrisation hypothécaire, bref de se rapprocher fortement des travers des subprimes .Dans le contexte actuel nous devons nous concentrer sur des offres de locations raisonnables plutôt que d'offrir des crédits pour des ménages qui demain souffriront peut-être d'avoir acheté trop cher un bien qui ne trouvera d'autre acquéreur que leur propre banque, faute de paiement. L'ordonnance du 24 mars 2006 sur les droits de sûreté ouvrant l'hypothèque rechargeable et le prêt viager hypothécaire exposait déjà à un risque non négligeable. Réduire le coût d'une hypothèque et assouplir son cadre juridique comme le préconise le CAE serait persister dans les erreurs récentes du monde anglo-saxon et nous créerions là les conditions d'une nouvelle crise, cette fois chez nous. Cela ne peut aboutir qu'à des prix ou des loyers déraisonnables.

Aujourd'hui les programmes immobiliers privés basés sur les plans Robien ou Borloo sont légions et le Gouvernement s'apprête à se substituer aux promoteurs privés qui ne trouvent plus preneurs. Nous ne savons pas à quel prix ni pour mettre à la disposition de qui. Nous apprécierions d'avoir des précisions à ce sujet. (Applaudissements à gauche)

Mme Christine Boutin, ministre du logement et de la ville.  - Monsieur Dallier, je vous remercie de votre intervention à laquelle je n'ai rien à rajouter : les inquiétudes quant aux crédits hypothécaires relèvent d'une attirance morbide pour des hypothèses irréalistes. (Murmures improbateurs sur les bancs socialistes)

Il y a à peine une semaine, votre Haute assemblée s'est prononcée sur le projet de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion. Cette question orale laisse présager que ma présence est ici appréciée puisque nous avons déjà discuté du sujet pendant plus de cinquante heures...

M. Daniel Raoul.  - Jour et nuit !

Mme Christine Boutin, ministre.  - Ce texte est conçu pour apporter des réponses opérationnelles à la crise du logement, en mobilisant tous les acteurs, sans opposer inutilement secteurs public et privé, logement locatif et accession : tous les outils doivent être mobilisés !

Monsieur Repentin, vous insistez sur la chute de la construction. Quel toupet ! J'aurai donc l'outrecuidance de vous montrer à nouveau cette courbe des constructions avant et après 2002 ! (Mme Christine Boutin, ministre, brandit un graphique) Depuis que nous sommes aux affaires, l'effort de construction a fortement augmenté, le nombre de logements réalisés passant de 308 000 en 2002 à 435 000 l'année dernière, niveau historique jamais atteint depuis trente ans. (On mentionne la loi SRU sur les bancs socialistes)

Ce résultat a été obtenu parce que les organismes de logement social se sont remarquablement mobilisés et que, grâce aux nouvelles aides de l'État, davantage de particuliers ont investi dans un logement, soit pour l'occuper, soit pour le mettre en location. De même le Gouvernement a réagi à l'impact brutal de la crise financière sur l'immobilier. La crise financière a en effet touché en premier lieu le secteur de l'immobilier : la restriction de l'accès au crédit, tant aux particuliers qu'aux professionnels, bloque le marché et le ralentissement sérieux que nous subissons depuis le mois de juin laisse à penser que nous terminerons l'année aux alentours de 360 000 mises en chantier. Le retournement est rapide mais le niveau de construction reste élevé puisqu'il y a autant de logements mis en chantier cette année qu'en 2004, et nous sommes donc encore bien au-dessus des niveaux atteints entre 1997 et 2002. Nous ne devons pas avoir honte des résultats de 2008.

Un logement non construit, c'est deux chômeurs de plus. Nous avons donc tout intérêt à compenser et à rattraper le retard pris sous la majorité précédente et nous le faisons notamment grâce à ce projet de loi. Celui-ci vise trois objectifs majeurs : soutenir la construction pour la location et l'accession populaire à la propriété, permettre aux classes moyennes et modestes d'accéder au logement et, enfin, lutter contre le mal-logement. Les débats ayant déjà eu lieu sur tous ces sujets, je n'y reviendrai pas. Je rappelle seulement que mon premier objectif a toujours été de soutenir la construction. Plusieurs mesures prévues dans le projet de loi serviront de support au plan de relance annoncé par le Président de la République. Celui-ci a souhaité un plan d'achat de 30 000 logements en Vefa, qui permettra à des opérateurs sociaux d'acheter des programmes n'ayant pu être lancés à ce jour par les promoteurs privés, faute d'une pré-commercialisation suffisante. Comment pouvez-vous y être opposés ? Il y a des programmes bloqués parce que les banques ne voulaient pas accorder de prêts ! (Protestations sur les bancs socialistes) Oui, monsieur Raoul, j'ai entendu quelqu'un contester cette décision !

La disposition du projet de loi qui simplifie et sécurise la procédure de vente en état futur d'achèvement aux organismes HLM permettra d'accélérer et de rendre pleinement opérationnel ce plan d'achat.

Le plan de relance prévoit aussi 30 000 logements d'accession populaire à la propriété, qui seront réalisés grâce au Pass foncier, que le projet de loi étend aussi au logement collectif ; et le plan de relance accélère les cessions de terrains publics décidées en mars 2008, afin de construire plus rapidement les 70 000 logements correspondants. A cela s'ajouteront des cessions de terrains militaires et de terrains appartenant à Réseau ferré de France. Au lieu de réaliser de simples ventes, l'État aura la possibilité de conclure des baux avec intéressement ultérieur à la valeur créée. Enfin, une décote pourra être appliquée au profit des opérations en Pass foncier et des logements locatifs sociaux.

Une circulaire du Premier ministre a été adressée aux préfets le 17 octobre, qui prévoit une déclinaison régionale des rachats en Vefa. Des cellules de suivi local vont être mises en place. Au niveau national, un comité du pilotage se réunira dès la semaine prochaine pour faire le point sur les initiatives engagées.

Mes crédits budgétaires ? Je n'ai pas à en rougir. Pour avoir une image exacte du budget de mon ministère, il convient en effet d'inclure les moyens des agences telles que l'Anru et l'Anah. Soit un total de 8,9 milliards d'euros, 200 millions de plus qu'en 2008, grâce, en particulier, à une contribution de 800 millions par an pendant trois ans, négociée avec les partenaires sociaux du 1 % logement. En effet, le Pass travaux a été rendu inutile par la création de l'éco-prêt pour les travaux d'amélioration énergétique dans le cadre du Grenelle de l'environnement ; et les subventions à La Foncière seront aussi efficaces sans dépasser 50 %. Le financement du logement social n'a pas baissé de 30 % : c'est le périmètre de la ligne fongible qui a été redéfini ! Les travaux de réhabilitation ou les dépenses d'humanisation des structures d'hébergement seront, en 2009, financés soit par des ressources extrabudgétaires, soit par d'autres lignes.

En outre, les organismes de logement social bénéficieront, en 2009, de ressources extrabudgétaires croissantes. Les subventions du 1 % logement au logement locatif social vont augmenter, à ma demande, de 33 %. Et le directeur général de la Caisse des dépôts annonce une baisse probable du taux du livret A au 1er février prochain, donc une baisse des taux des prêts pour le logement social.

Les crédits de paiement affectés au logement locatif social augmentent de 5,5 %, les crédits de l'Anah, de 23 % ! En 2009, ce sont 120 000 logements locatifs sociaux qui seront construits, 20 % de plus que cette année, où nous avons déjà cherché à faire le maximum.

L'accession sociale à la propriété a fait l'objet de plusieurs mesures : extension à l'ancien du prêt à taux zéro, TVA à 5,5 % sur le Pass foncier, hausse du plafond de ressources pour les prêts d'accession sociale à la propriété, etc.

Le dispositif Robien a été recentré. Mais je précise tout de même que depuis 2003, 250 000 logements ont été construits grâce à ce dispositif, dont 5 000 seulement sont vacants. En outre, la dépense fiscale n'atteint nullement 30 000 euros par logement comme il a été affirmé ; un logement Robien qui coûte 15 000 euros, rapporte, via la TVA, 20 000 euros à l'État. Il faut regarder les choses globalement !

Le Conseil d'analyse économique m'a effectivement remis, le 30 septembre dernier, un rapport de grande qualité, Loger les classes moyennes. Nombre de sujets de la politique du logement y sont examinés.

Monsieur Repentin, vous ne pouvez pas faire un parallèle entre les subprimes et le crédit hypothécaire. Les prêts incriminés, aux États-Unis, ont été accordés sans contrôle de la capacité des ménages à rembourser. Il a été reconnu que la France est, en Europe, le pays où le crédit est le moins cher et le mieux sécurisé. La Banque de France dit aussi que l'endettement immobilier n'est pas la cause principale des situations de surendettement : seuls 8 % des dossiers traités comprennent un crédit immobilier.

Peut-être n'aurons-nous pas l'occasion d'évoquer encore une fois ce sujet la semaine prochaine...

M. Thierry Repentin, auteur de la question.  - C'est regrettable !

M. Daniel Raoul.  - Cela pourrait devenir une addiction !

Mme Christine Boutin, ministre.  - Sur le fond, je voudrais tout de même le répéter : nul besoin de nous engager dans des montages complexes, il importe avant tout de restaurer la confiance. Le Président de la République a oeuvré en ce sens en sécurisant le système bancaire et l'on ne peut que lui être reconnaissant ; la façon dont il gère la crise économique et financière mondiale force l'admiration.

M. Gérard César.  - Très bien !

Mme Christine Boutin, ministre.  - Je veux citer encore le fonds de garantie pour l'accession à la propriété, le relèvement du plafond du Pass jusque fin 2009 pour sécuriser les banques prêteuses et faciliter leur refinancement. Quant aux prêt-relais, M. Pauget s'y attelle : les banques appliqueront leurs procédures avec plus de souplesse, pour répondre à mon appel à la clémence.

Les banques associées au projet de la maison à 15 euros par jour se sont engagées à maintenir jusqu'en janvier 2009 le taux de 5 % sur les prêts aux particuliers.

Face à la crise, tous les acteurs doivent se mobiliser. Le logement doit devenir « grande cause nationale », dit M. Repentin. Je dirais pour ma part : il faut une unité politique, pour parvenir au respect du droit de chacun au logement. Mon projet de loi vise à ce que chacun donne le meilleur de lui-même, dans le but d'assurer un toit à tous. Il convient d'agir sur l'ensemble de la chaîne du logement. N'opposons pas propriétaires et locataires, bailleurs sociaux et promoteurs privés, car chacun a un rôle à jouer et c'est ensemble que nous parviendrons à surmonter la crise. (Applaudissements à droite)

La séance, suspendue à 17 h 45, reprend à 17 h 50.

Assurance récolte obligatoire (Proposition de loi)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi tendant à généraliser l'assurance récolte obligatoire, présentée par MM. Yvon Collin et Jean-Michel Baylet.

Discussion générale

M. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi.  - Au début de l'année, nous avons, avec Jean-Michel Baylet, déposé une proposition de loi tendant à généraliser l'assurance récolte. Nous nous réjouissons d'avoir aujourd'hui l'opportunité de défendre un texte qui répond à l'attente de nombreux agriculteurs. Car, s'il y a des dispositifs assurantiels, avec l'assurance récolte issue de la loi d'orientation agricole du 5 janvier 2006 et l'indemnisation publique par le Fonds national d'indemnisation des calamités agricoles, ils sont trop limités pour être efficaces.

Les intempéries gagnent en fréquence et en intensité : un agriculteur subit une perte de revenu de 20 % tous les trois  ans, et un arboriculteur de 30 % tous les trois ans et demi. L'agriculture, qui a toujours été dépendante des conditions climatiques, est désormais confrontée à des défis nouveaux tels que l'encéphalite bovine spongiforme ou la fièvre catarrhale, mais aussi la volatilité des marchés. Les agriculteurs se retrouvent bien démunis quand les aléas économiques et sanitaires s'ajoutent aux incertitudes climatiques. C'est pourquoi nous avons souhaité les sécuriser en rendant l'assurance récolte obligatoire pour l'ensemble des productions agricoles, le second article de notre proposition compensant les conséquences financières pour l'État.

La simplicité de l'énoncé recouvre des situations complexes car le monde agricole est hétérogène, où cohabitent grandes et petites exploitations, poly et monoculture. Cette diversité ne facilite pas la définition d'un outil uniforme et accessible à tous. Le rapporteur juge notre proposition prématurée. Invoquant un obstacle juridique, il observe que l'assurance n'est d'ordinaire obligatoire que pour la responsabilité à l'égard des tiers. Sans être spécialiste, je crois néanmoins que rien n'est figé quand la volonté politique existe -mais nous ne pouvons trancher ce débat maintenant...

Vous avez raison de mettre en avant la responsabilité de l'agriculteur et son libre choix, mais est-il totalement libre ? Des contraintes pèsent sur lui, et elles sont d'ordre financier. Sans mésestimer l'engagement budgétaire de l'État, la prise en charge des primes -35 % aujourd'hui et peut-être bientôt 40 %- reste insuffisamment incitative, de sorte que, sur les 20 % d'exploitations qui y recourent, 27 % pratiquent la grande culture et 0,93 % seulement les cultures fruitières. Il faut donc conforter l'assurance récolte et mutualiser le risque. L'effort serait coûteux...

M. Gérard César.  - Eh oui !

M. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi.  - Il permettrait d'élargir l'assiette des cotisations, ainsi que l'écrit le rapport. L'État devrait davantage intervenir jusqu'à ce qu'une masse critique soit atteinte. D'aucuns demanderont s'il faut toujours faire appel à lui et il est vrai qu'il est très sollicité en ce moment. Mais ne devrait-il pas tenir ses engagements envers une agriculture qu'on accuse, à tort, d'être trop aidée ? Or c'est loin d'être toujours le cas et, si je souligne l'avancée réalisée avec les articles 62 et 63 de la dernière loi d'orientation agricole, les lois de finance initiales n'en portent pas toujours la traduction financière, et je dois aussi féliciter la commission des affaires économiques de la vigilance avec laquelle elle s'élève contre la sous-dotation du fonds de garantie. Il est d'ailleurs souhaitable que ce débat incite le ministre à honorer les engagements pris, voire à aller au-delà en soutenant notre proposition...

Les Espagnols ont consacré cette année 280 millions d'euros à leur assurance récolte. L'idée n'est donc pas une exception française et elle figure au bilan de santé de la PAC, ce qui ouvre une fenêtre d'espoir. J'espère donc que le dossier évoluera favorablement et que l'assurance récolte sera mise en conformité avec les règles de l'OMC.

L'extension de l'assurance récolte, à laquelle la loi d'orientation de 2006 a donné un coup d'accélérateur, recueille une quasi-unanimité. En revanche, son caractère obligatoire ne suscite pas une adhésion majoritaire. Attaché à la solidarité nationale, je réaffirme que la mutualisation du risque est le meilleur moyen pour optimiser le dispositif. Quoique la commission ne soit pas de cet avis, je remercie son président et son rapporteur de leur attachement à une cause qui me tient à coeur et qui concerne de nombreux élus, notamment du sud-ouest. J'espère que nous la ferons avancer et je reste attentif à vos réponses. (Applaudissements au centre)

M. Daniel Soulage, rapporteur de la commission des affaires économiques.  - Voilà trois ans, lors de l'examen de la dernière loi d'orientation agricole, nous décidions, à l'occasion d'un amendement de M. César défendu par le président Emorine et par M. Mortemousque, une extension progressive de l'assurance récolte à l'ensemble des productions.

Nous avions alors préservé le caractère facultatif de l'assurance récolte, comme M. Bussereau, alors ministre de l'agriculture. Faut-il aujourd'hui la rendre obligatoire ? C'est ce que suggèrent nos collègues, MM. Collin et Baylet, dans la proposition de loi dont nous discutons aujourd'hui après l'avoir examinée en commission il y a une semaine.

Avant de l'analyser, je souhaite en évoquer le contexte. Alors que les exploitations agricoles vivent sous la menace constante d'un accident climatique -grêle, gel, sécheresse, inondations- le Fonds national de garantie des calamités agricoles (FNGCA) a longtemps constitué l'unique moyen d'indemnisation, mais avec des limites qui tiennent aux délais d'indemnisation, à la nécessité d'une reconnaissance des calamités agricoles et à la faiblesse des montants versés. C'est pourquoi, monsieur le ministre, vous avez très opportunément renvoyé certaines productions à des mécanismes assurantiels en les sortant du fonds.

Malgré ses imperfections, le FNGCA doit continuer à jouer un rôle majeur. On pourra certes en extraire certaines filières, mais sans le supprimer complètement, car il est le seul à pouvoir couvrir les pertes de fonds et les cultures non assurables. Gardons-nous de sortir hâtivement l'arboriculture, la viticulture et l'horticulture avant que les assurances récolte correspondantes n'aient été parfaitement mises au point et suffisamment répandues. En tout état de cause, ce fonds doit apporter un filet de sécurité en cas de besoin. Aux États-Unis, l'assurance catastrophe indemnise les agriculteurs qui ont subi des pertes supérieures à la moitié du rendement historique de l'exploitation, les primes d'assurance étant prises en charge par l'équivalent du ministère de l'agriculture.

Parallèlement au FNGCA, des produits spécifiques d'assurance se sont développés depuis longtemps contre la grêle, le gel, voire plusieurs risques combinés. L'État et certaines collectivités locales versent une partie des primes d'assurance. Après le décret du 14 mars 2005 et la loi d'orientation agricole du 5 janvier 2006, l'assurance récolte a démarré en fanfare avec 60 000 contrats signés. La progression s'est ensuite ralentie, puisque moins de 70 000 contrats sont souscrits trois ans après le lancement du dispositif. Ainsi, l'assurance récolte couvre plus du quart des surfaces assurables, soit 30 % pour les grandes cultures, 12 % pour la viticulture mais moins de 1 % pour les cultures fruitières.

Ce dispositif rembourse plus vite et mieux que l'indemnisation classique, il favorise une gestion plus responsable des risques par les agriculteurs. Toutefois, son succès suppose le soutien résolu des pouvoirs publics, car beaucoup d'exploitants ne pourraient acquitter seuls la prime d'assurance. L'État doit en outre étendre les possibilités de réassurance et favoriser le développement des secteurs déjà couverts, sans oublier l'extension à de nouvelles activités comme l'élevage.

Jeudi, le Président de la République a déclaré qu'il demanderait à la Caisse centrale de réassurance, organisme bénéficiant de la garantie de l'État, de faciliter l'assurance des crédits aux entreprises. Un engagement similaire au profit de l'assurance récolte est demandé depuis longtemps par les professionnels.

A ce sujet, je salue l'action du Gouvernement, mais surtout la vôtre, monsieur le ministre. En effet, vous avez utilisé le bilan de santé de la PAC, effectué à Bruxelles, pour défendre avec intelligence et opiniâtreté notre modèle agricole. Il y a quelques semaines, vous avez lancé à Annecy le débat sur l'après 2013. Vous avez du mérite, car la partie n'est pas facile pour notre pays. C'est notamment grâce à vous que le nouvel article 69 devrait accorder d'importants soutiens communautaires à l'assurance récolte. Ainsi, les États membres pourront utiliser jusqu'à 10 % des aides qu'ils perçoivent au titre du premier pilier, non seulement pour protéger l'environnement ou améliorer la qualité des produits agricoles, mais aussi pour subventionner le paiement des primes d'assurance récolte. En définitive, 60 %, voire 70 % des montants seraient pris en charge par les fonds publics, dont les deux tiers par des financements communautaires. Si cette mesure est finalement adoptée, elle amplifiera très substantiellement le soutien à l'assurance récolte dès 2010. En outre, le nouvel article 70 autorise les États membres à financer des fonds indemnisant les exploitations qui auront subi des pertes causées par des foyers de maladies animales ou végétales.

Le principe d'une extension de l'assurance récolte rencontre un large consensus parmi les intéressés, mais il reste à voir comment atteindre cet objectif. La proposition de loi vous propose de la rendre obligatoire. Pourquoi ? Parce que l'assurance suppose la mutualisation des risques : si seuls sont assurés ceux dont le risque est important, les primes deviennent exorbitantes ; si tout le monde participe, le coût est bien plus faible pour chacun. Nos collègues invoquent donc le « principe de solidarité ». Cette proposition est séduisante, mais tout n'est pas aussi simple, car l'obligation d'une assurance récolte suscite au moins quatre objections.

Tout d'abord, bien que le droit français compte plus de 90 assurances obligatoires, leur fondement presque systématique est la responsabilité à l'égard des tiers : si vous conduisez une voiture, l'assurance indemnisera la victime d'un accident dont vous êtes responsable, même si les frais dépassent vos capacités financières.

Ensuite, les marges budgétaires de l'État sont extrêmement réduites. Aujourd'hui, l'assurance récolte coûte 32 millions aux finances publiques, elle coûterait dix fois plus si tout le monde devait être assuré, sans même compter l'élevage. Puisqu'il est question de solidarité, je souligne que certains agriculteurs ne sont pas assurés, tout simplement parce qu'aucun produit d'assurance n'est adapté à leur cas. C'est le cas des cultures fourragères, mais aussi de nombreux arboriculteurs, dont les primes seraient insupportables.

Troisièmement, l'obligation d'assurance imposerait de nouvelles procédures de contrôle et des sanctions. Lesquelles ? De telles difficultés ne peuvent être réglées dans le cadre de cette proposition de loi.

Enfin, aucun pays au monde n'a rendu obligatoire une assurance récolte. MM. Émorine et Deneux l'ont constaté aux États-Unis en 1997. M. Mortemousque a très bien décrit ce qui s'y passe, ainsi qu'en Espagne. Dans ce pays, un modèle en Europe, l'État dépense dix fois plus qu'en France alors qu'une exploitation sur deux seulement est assurée. De façon générale, l'agriculture est une activité entrepreneuriale. N'imposons donc pas de nouvelles obligations sans être certain d'améliorer la situation des exploitants.

Pour ces raisons, j'ai conclu au rejet de la proposition, que la commission n'a pas adoptée. Cependant, cette initiative a le mérite de donner l'occasion de faire le point sur le dossier au moment du basculement entre le FNGCA et le dispositif assurantiel, au moment aussi où vous défendez ce mécanisme, monsieur le ministre, devant les instances bruxelloises, qui devraient l'accepter le 19 novembre. Nous souhaitons donc vous appuyer dans ses négociations, mais également rappeler que l'engagement ferme des pouvoirs publics et une visibilité à long terme sont indispensables au développement de cette formule.

Pour aller plus loin, la France doit pouvoir accorder la garantie de l'État via, par exemple, la Caisse centrale de réassurance. Je regrette que le soutien à la prime d'assurance pour les grandes cultures passe de 35 % à 25 % en 2009, car les prix se sont repliés de manière catastrophique. Ainsi, le cours du maïs est aujourd'hui de moitié inférieur à ce qu'il était l'année dernière. En revanche, le signal est positif pour les productions arboricoles et viticoles, dont le taux de soutien devrait atteindre 40 %. Je note avec satisfaction la bonification de 5 % pour les jeunes agriculteurs, ainsi que l'apport de certaines collectivités locales. Enfin, le relèvement de la déduction pour aléas (DPA) est satisfaisant, bien que je regrette la diminution de la déduction pour investissement (DPI).

Les auteurs de la proposition de loi ont très utilement ouvert la discussion sur l'assurance récolte ; je vous invite cependant à ne pas adopter leur proposition, ce qui ne doit surtout pas empêcher de faire le point sur son extension ni d'envisager ses perspectives de développement. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi.  - Je m'exprime maintenant au nom de mon groupe. Rendre obligatoire l'assurance récolte est, selon nous, la meilleure voie pour réduire les primes d'assurance, donc pour diffuser cette assurance. Le Gouvernement et notre rapporteur jugent cette solution prématurée ; tout le monde souhaite une extension de la couverture assurantielle, mais on bute rapidement sur la faiblesse des crédits qui y sont consacrés, soit 32 millions pour l'an prochain. Monsieur le ministre, comment le ministère de l'agriculture compte-t-il atteindre les objectifs qu'il s'est fixés ?

Vous avez décidé de réduire de 10 points le taux de subventionnement des grandes cultures, alors même qu'elles vont sortir du champ du fonds de garantie contre les calamités agricoles, tout en continuant à y cotiser. Ces cultures ne sont pas celles qui ont le plus besoin de soutien, mais je crains que vous n'ayez du mal à vous faire comprendre localement. Or, c'est sur elles que repose le principe de solidarité et de mutualisation ! Enfin, sur demande française, l'assurance récolte a été inscrite au « bilan de santé » de la PAC qui doit être voté d'ici la fin de l'année. La Commission européenne propose d'utiliser le régime des soutiens spécifiques pour développer l'assurance récolte mais aussi de créer un fonds de mutualisation en cas de maladies animales ou végétales. Le nouvel article 68 autoriserait les États à utiliser 10 % de leurs plafonds nationaux au titre du premier pilier, pour aider les agriculteurs à payer leurs primes d'assurance. Ce niveau de financement est sûrement optimiste. Une hypothèse de 1 à 3 % des DPU fléchés vers l'assurance récolte me paraît plus réaliste. Quoi qu'il en soit, le soutien public, prévu par l'article 69, pourrait représenter 60 à 70 % du coût de la police d'assurance, dont les deux tiers seraient pris en charge par l'Union européenne. Dans l'ensemble, ce dispositif européen s'annonce proche de notre système français et peut être conforme aux règles de l'OMC. Cependant, le budget français sera-t-il à la hauteur des cofinancements obligatoires ?

Le débat s'annonce vif. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous faire un état des lieux ? L'assurance récolte doit être une priorité dans la dernière ligne droite des négociations de la PAC. Il faut la rendre obligatoire, le Gouvernement doit y mettre les moyens ! (Applaudissements au centre)

M. Daniel Raoul.  - Ce sujet est d'actualité à plus d'un titre : les revenus des agriculteurs sont encore fragilisés par les intempéries -dont les experts disent qu'elles vont se multiplier dans les années à venir- comme par les maladies ; l'État et les collectivités sont davantage sollicités face aux crises qui affectent les revenus agricoles ; la mutualisation renforcera la résistance face aux crises ; enfin, cette proposition vient au bon moment dans la négociation européenne sur la PAC.

La généralisation doit être juste, efficace et équitable. Cependant, les agriculteurs sont loin d'être tous dans la même situation : seuls les agriculteurs à hauts revenus peuvent s'assurer, les petits n'en n'ont pas les moyens et la couverture laisse de côté des régions entières, et seuls les agriculteurs dont la production est à fort risque s'assurent. Des productions entières sont écartées de ce système.

Nous sommes favorables à une assurance récolte obligatoire, mise en place progressivement. On peut, par exemple -ce sont des suggestions-, soit la généraliser d'abord sur une production, par exemple les céréales, en impliquant toute la filière ; soit l'expérimenter sur des productions indispensables mais qui n'ont pas les moyens de s'assurer, par exemple la filière ovine ou les fruits et légumes.

Nous voterons donc ce texte d'appel, et d'appui, en espérant qu'il vous soutienne dans vos négociations, monsieur le ministre, et que vous puissiez aboutir ! (Applaudissements à gauche)

M. Gérard Le Cam.  - En proposant une assurance obligatoire sans prévoir ni le financement, ni les modalités de mise en oeuvre ni la compatibilité avec les règles européennes et internationales, ce texte pose plus de problèmes qu'il n'en résout. Cependant, il lance très utilement un débat nécessaire sur la prise en compte des difficultés du monde paysan face aux aléas climatiques.

La protection actuelle contre les aléas n'est guère satisfaisante. Si la loi d'orientation agricole de 2006 a fait progresser l'assurance récolte, c'est surtout en direction des grandes cultures. Le FNGCA indique que, de 2005 à 2008, la prime d'assurance était la même pour toutes les cultures : cela paraît peu adapté à la disparité de revenus et de risques entre les cultures. Il serait heureux que le décret, en 2009, prévoie un taux différencié avantageant les cultures les plus exposées.

La question de l'assurance récolte, cependant, ne doit pas être déconnectée de celle de la garantie des prix aux agriculteurs. Il faudrait définir un mécanisme assurant les volumes de produits, voire les prix, pour stabiliser les revenus agricoles. Si entre 2006 et 2007 le revenu net par actif de l'agriculture a augmenté, c'est essentiellement grâce aux céréales, aux oléagineux et aux protéagineux, dont le prix a augmenté de 51 %. Cette hausse a accru le coût de production de l'alimentation animale, ce qui a mis en difficulté nombre d'éleveurs déjà affaiblis par des crises sanitaires. Or, ce sont également ces grandes cultures qui sont les mieux assurées. Si certains agriculteurs ne s'assurent pas, c'est d'abord parce qu'ils n'en ont pas les moyens ! Il devient urgent de préciser la notion de prix rémunérateur des produits agricoles.

Le principal obstacle opposé à ce texte est d'ordre financier. Pour atteindre le niveau d'engagement de l'Espagne en faveur de l'assurance récolte, l'État devrait décupler son aide : le Gouvernement, qui a vidé les caisses, ne se prépare certainement pas à cette option ! Ensuite, nous ne souhaitons pas imposer une obligation de s'assurer aux agriculteurs alors que les instances communautaires n'ont pas fixé leur position sur le soutien des États membres et de l'Union.

En commission, M. le rapporteur a souligné le manque de produits assurantiels adaptés au risque de la récolte. Se pose également la question de la concurrence entre les assureurs. Aujourd'hui, deux assureurs proposent les assurances multirisques : Groupama qui représente 90 % du marché, et Pacifica, filiale du Crédit agricole. Si l'assurance devenait obligatoire, quelle serait l'attitude de ces deux concurrents ? Il ne faut pas sous-estimer le risque que les assureurs profitent de la subvention publique pour augmenter leurs primes.

Enfin ce texte est muet sur la mutualisation, en renvoyant pour l'essentiel à un décret.

Quel niveau de mutualisation voulons-nous ? Sans être hostiles au principe d'une assurance obligatoire, nous l'estimons prématurée. A l'heure de la réforme de la politique agricole commune, la présidence française n'a pas proposé de mesures fortes pour défendre les cultures les plus fragiles et assurer un revenu décent aux agriculteurs. La suppression des quotas, la réforme des aides à la production déstabilisent les revenus et renforcent les inégalités.

Il faut poursuivre la réflexion, en privilégiant un traitement par filière, un haut niveau de mutualisation, une participation de l'État et de l'Union européenne, ainsi que des prix rémunérateurs, une régulation de la production et des marges de la distribution. Or ce qui se prépare, c'est le désengagement de l'État, au profit des assurances privées ! Dans ce contexte, le groupe CRC s'abstiendra. (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Gérard César.  - La multiplication des incidents climatiques entraînant des difficultés croissantes pour le FNGCA, les pouvoirs publics ont souhaité que le relais soit pris par des mécanismes d'assurance récolte couvrant, non pas un, mais plusieurs risques, comme le préconise le rapport Ménard.

Le dispositif d'assurance récolte lancé en février 2005 prévoit des subventions incitatives de l'État, mais laisse la souscription de contrats d'assurance à la seule initiative des agriculteurs. Or seul un dispositif assis sur une assiette de cotisants aussi large que possible présenterait une réelle portée.

En tant que rapporteur de la loi d'orientation agricole, j'avais proposé d'étendre progressivement le mécanisme d'assurance récolte à l'ensemble des productions agricoles : l'amendement est devenu l'article 68 du texte. Le but de notre commission était de favoriser une montée en puissance rapide des instruments mis en place par le Gouvernement.

Le dispositif d'assurance récolte a vocation, à terme, à prendre le relais du mécanisme de solidarité nationale, insuffisamment efficace.

Le rapport que notre ancien collègue Mortemousque a publié le 28 février 2007, en tant que parlementaire en mission, dresse un nouveau bilan. Premier constat, la gestion des risques et des crises sera un élément majeur des prochains rendez-vous communautaires, notamment du bilan de santé de la PAC, et les propositions françaises en vu d'un cofinancement ne seront crédibles que si la progression de l'assurance récolte est claire et consensuelle. Deuxièmement, les investissements nécessaires pour s'adapter à l'après 2013 nécessitent une couverture plus forte contre les aléas, donc mieux individualisée. Enfin, les aléas économiques, climatiques et sanitaires ne sont pas indépendants et les producteurs doivent s'organiser.

Le rapport Mortemousque envisage trois scénarios : une assurance récolte cantonnée aux grandes cultures, étendue aux cultures spécialisées ou à l'ensemble des productions, fourrage compris ; en tout état de cause, il estime qu'elle ne doit pas être obligatoire, mais incitative.

Les crises touchent les récoltes, mais aussi les troupeaux, exposés à des risques sanitaires qui sont des facteurs de déstabilisation économique et de déséquilibre des marchés. L'influenza aviaire et la fièvre catarrhale sont toujours d'actualité... Il parle d'assurance « aléas » pour faire face à tous ces risques.

M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques.  - Très bien !

M. Gérard César.  - L'échéance de 2013 sera l'occasion de dresser un premier bilan de l'assurance récolte et d'étudier un mécanisme d'assurance globalisé. Nous sommes aujourd'hui dans une phase de transition entre le régime des calamités agricoles et une véritable assurance aléas.

Nous souhaitons que l'assurance récolte soit étendue, sans être pour autant rendue obligatoire, comme le propose la présente proposition de loi, ce qui représenterait un coût supplémentaire pour l'agriculteur. Le groupe UMP se rallie donc à la position du rapporteur. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture et de la pêche.  - Cette proposition de loi nous donne l'occasion de débattre d'une question centrale : celle de l'exposition des entreprises agricoles aux risques.

Le développement des outils de couverture des risques est une priorité de mon action, au niveau communautaire et au niveau national. Sous l'impulsion de votre Haute assemblée et du président Emorine, le Gouvernement s'est engagé dans le développement de l'assurance récolte : ce fut l'inscription, dans la loi d'orientation agricole de 2006, du principe de son extension progressive à l'ensemble des productions, grâce à un amendement du rapporteur, M. César.

Pour aller plus vite, faut-il rendre l'assurance récolte obligatoire ? Je me suis posé la question avec le Gouvernement, car la généralisation de l'assurance récolte figure sur ma feuille de route, fixée à Rennes par le Président Sarkozy. Le Gouvernement a privilégié la responsabilisation des agriculteurs en renforçant l'incitation et en inscrivant l'assurance récolte dans la réflexion sur la politique agricole commune.

Notre environnement est devenu plus incertain, c'est ma conviction. Les risques se multiplient, s'amplifient. Aléas climatiques, crises sanitaires, retournement des marchés sont le quotidien des entreprises agricoles, qui sont les plus exposées, mais aussi les moins bien protégées. Nos outils ne sont plus adaptés.

Seule une politique globale et cohérente de gestion des risques peut offrir une couverture complète, comme le souligne le rapport Mortemousque. Nous allons combiner épargne de précaution défiscalisée, assurance récolte volontaire mais subventionnée, et indemnisation des risques sanitaires à partir d'un cofinancement des agriculteurs que les pouvoirs publics pourront rendre obligatoire.

Tous les risques sont liés, M. César l'a dit. C'est pourquoi j'ai plaidé pour l'introduction de la couverture des risques au sein de la PAC.

M. Jean-Paul Emorine, président de la commission.  - Très bien !

M. Michel Barnier, ministre.  - Le bilan de santé de la PAC est une opportunité à saisir. Après 26 réunions à Bruxelles, nous devrions aboutir à un accord politique le 19 ou le 20 novembre, une fois que le Parlement européen aura rendu son avis.

La PAC ne peut se réduire à des aides découplées et à un renforcement de la politique rurale. Elle doit intégrer la montée des risques climatiques et sanitaires mais, alors que la Commission avait à l'origine envisagé de les prendre en compte dans le cadre du second pilier de la PAC, nous avons obtenu que leur couverture devienne un des outils du premier pilier. Je mobiliserai tous les articles du règlement pour aboutir à ce résultat.

Voici les dates clés du calendrier à venir : en novembre, le bilan de santé devrait être effectué. Pendant six mois, nous débattrons en France de la meilleure façon d'utiliser ces outils afin de réorienter l'utilisation de ces aides et le Parlement sera bien évidemment associé à ce débat. Les décisions que nous prendrons seront applicables en 2010. Dès lors, nous mobiliserons des moyens prélevés sur les aides pour financer le développement de l'assurance récolte et mieux indemniser les crises sanitaires.

Nous ouvrons également la voie pour d'autres mécanismes assurantiels pour l'après 2013. On ne peut pas, monsieur Le Cam, envisager pour la PAC une assurance revenu sans avoir préalablement développé l'assurance récolte.

J'ai donc décidé de réorienter notre dispositif national car, même si son bilan est globalement positif, il s'essouffle. Il a en effet tendance à se vampiriser car coexistent indemnisations publiques et assurances privées subventionnées avec une déduction pour aléa qui ne fonctionne pas vraiment. Il faut donc proposer aux agriculteurs un mécanisme cohérent et diversifié.

De plus, l'assurance s'est développée mais sa diffusion a été très inégale selon les secteurs. L'assurance récolte est restée concentrée sur les productions les moins risquées mais les secteurs les plus exposés aux risques, comme les fruits et légumes et la viticulture, se sont peu assurés. En outre, pour les fourrages, l'offre de produits d'assurance en reste à l'expérimentation chez un seul assureur. Une approche différenciée est donc nécessaire.

Il est apparu que la voie du contrat d'assurance reposant sur la responsabilisation des agriculteurs est la plus efficace car elle permet d'atteindre les objectifs de couverture chez le plus grand nombre tout en participant à l'intégration des risques dans la gestion des entreprises agricoles : le contrat est donc préférable à la contrainte.

Au regard du bilan que je viens de dresser, notre dispositif va donc profondément évoluer en 2009. Ce sera la première étape d'une refonte substantielle de la couverture des risques. Le soutien à l'assurance récolte sera renforcé dans les secteurs des fruits et légumes et de la viticulture ; il passera à 40 % et même 45 % pour les jeunes agriculteurs. En contrepartie, il diminuera pour les grandes cultures pour se stabiliser à 25 %. Les grandes cultures, dont le taux de surface assuré est actuellement supérieur à 27 %, ne seront plus indemnisées au titre du Fonds national de garantie contre les calamités agricoles pour la perte de récolte mais continueront à l'être pour les pertes de fonds.

La déduction pour aléa (DPA) qui permet aux agriculteurs de constituer une épargne de précaution défiscalisée sera réformée. Son plafond de 23 000 euros sera indépendant de celui de la déduction pour investissement (DPI) dont le montant sera de 15 000 euros. Pour que ces différents outils soient cohérents, le niveau de la DPA sera conditionné à la souscription d'une assurance et cette épargne pourra être mobilisée afin de prendre en charge la franchise non couverte par l'assurance.

Le Gouvernement mène donc une politique ambitieuse de la couverture des risques climatiques en l'inscrivant dans la durée et en augmentant significativement les crédits qui lui sont consacrés. En 2009, les moyens publics consacrés à l'assurance récolte se monteront à 38 millions. Ils passeront à 100 millions en 2010, financement communautaire compris et hors Fonds de calamité. Il convient d'ajouter à ces montants l'impact de la DPA sur les rentrées fiscales estimées à 80 millions.

Pour répondre à M. Collin quant aux dotations du FNGCA, elles figurent chaque année en loi de finances rectificative, sur une base moyenne de 90 millions. Pour rappel, la sécheresse de 2003 a coûté plus de 600 millions. Je souhaite doter le Fonds national en loi de finances initiale mais cela n'a pas été possible cette année compte tenu des contraintes budgétaires. Ce sera chose faite en 2011, dans le plan triennal budgétaire, pour près de 40 millions. Ce n'est qu'en 2010 que le coût budgétaire du développement de l'assurance jouera à plein en raison du décalage entre le paiement des primes et la souscription des contrats. En 2010, l'État financera 60 millions, soit le double de l'heure actuelle. En 2011, le coût total sera de 100 millions et l'Europe assurera plus de la moitié du financement. Dans le bilan de santé, je négocie un taux de cofinancement européen aussi élevé que possible pour accroître nos marges de financement.

Pourquoi n'avons-nous pas opté pour l'obligation d'assurance ?

Pour les auteurs de la proposition de loi, l'obligation d'assurance initierait un cercle vertueux (M. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi, le confirme) : tous les agriculteurs étant assurés, les risques seraient mutualisés et le coût de l'assurance en serait réduit. Cette vision est trop idyllique. (M. Yvon Collin le conteste) Elle sous-estime les questions de fond et les difficultés qu'une telle obligation générerait et que votre rapporteur a rappelées avec pertinence.

Je souhaite revenir sur certains d'entre elles : l'assurance récolte n'est pas une assurance responsabilité. La rendre obligatoire, c'est interférer avec la responsabilité individuelle de l'agriculteur dans l'appréciation du risque de son entreprise. C'est peut-être aussi la fausser.

L'obligation d'assurance suppose, pour être efficace, que tous les agriculteurs aient accès à des contrats. Or, le faible taux de souscription dans certains secteurs est le résultat de l'insuffisance, voire de l'inexistence -pour les fourrages- de l'offre des assureurs. L'obligation ne réglerait pas cette question.

L'obligation d'assurance ne sera efficace que si des sanctions sont prévues et appliquées. Mais cette sanction serait-elle acceptée par les agriculteurs qui pourraient estimer que leur refus de s'assurer ne concerne qu'eux et qu'ils ne causent aucun tort à autrui ?

L'obligation d'assurance exige la mise en place d'une réassurance publique et de mécanismes publics garantissant à tous la possibilité de s'assurer.

J'ai bien lu, monsieur le rapporteur, votre analyse sur les limites de la réassurance privée et votre demande de réassurance publique, à l'instar de ce qui se passe aux États-Unis ou en Espagne. C'est une question que nous avons discutée avec les assureurs et le ministère de l'économie et des finances. Nous sommes convenus de faire un point au fur et à mesure du développement de l'assurance. Nous n'avons donc pas fermé la porte de la réassurance publique, mais nous misons aujourd'hui sur le développement de la réassurance privée, avec ce souci de l'évaluation régulière.

J'ai bien entendu votre proposition à l'égard de la Caisse centrale de réassurance, à qui le Président de la République vient de demander de faciliter l'assurance des crédits aux entreprises. Évidemment, je vais être très attentif à son évolution. L'obligation d'assurance se traduirait par un coût budgétaire multiplié par dix.

Je ne voudrais pas sous-estimer les risques d'exclusion que vous avez mis en avant, monsieur le rapporteur, en soulignant que malgré ses imperfections, le Fonds de calamité avait été, avec ses 30 % d'indemnisation moyens, une caisse d'assurance « coup dur ».

J'ai bien compris vos craintes d'une sortie trop rapide de l'indemnisation du Fonds de calamités. Je veux vous rassurer : la décision n'est prise que pour les grandes cultures. Nous serons très vigilants sur la sortie des autres secteurs, d'autant plus qu'ils sont très exposés aux risques.

Nous allons aussi travailler au contenu des contrats d'assurance avec les assureurs pour en améliorer les conditions. Et une assurance « coup dur » pourrait avoir sa place dans une palette de contrats offerts aux agriculteurs.

Enfin, nous ne laisserons pas d'agriculteurs au bord du chemin. Le Gouvernement s'engage à respecter le principe de la solidarité grâce à un taux de subvention des contrats d'assurance plus élevé pour les secteurs les plus exposés, notamment la viticulture et les fruits et légumes, et grâce aussi au Fonds national de garantie contre les calamités agricoles.

Nous avons déjà cette préoccupation : les exploitations victimes d'orages de grêle, qui ne sont pas éligibles aux indemnisations du Fonds national, peuvent actuellement, sous condition de revenu, bénéficier d'une prise en charge de leurs cotisations sociales ou d'un dégrèvement de la taxe foncière sur les propriétés non bâties. II est plus judicieux d'aller en ce sens, pour ne pas entraver l'incitation à souscrire une assurance récolte.

Enfin, le Comité national de l'assurance devra, chaque année, faire le bilan du dispositif et nous en tirerons les conséquences pour l'adapter.

Si le Gouvernement partage l'objectif de la proposition de loi, il ne partage pas le moyen pour l'atteindre. Je vous ai dit pourquoi mais, en la matière, je n'ai pas d'idéologie. Pour les risques sanitaires, nous nous orientons vers une contribution obligatoire des professionnels et une indemnisation publique.

Pour toutes ces raisons, et tout en considérant que cette proposition de loi était une bonne occasion de faire le point, je demande à votre Haute assemblée de suivre les conclusions de la commission afin de ne pas adopter la proposition de loi. (Applaudissements à droite et au centre)

La discussion générale est close.

Mme la présidente.  - Je vais mettre aux voix les conclusions de la commission. Je rappelle au Sénat qu'elles visent au rejet de la proposition de loi ; ceux qui sont en faveur de la proposition de loi devront donc voter contre, ceux qui sont contre la proposition de loi devront voter pour.

Les conclusions de la commission sont adoptées.

En conséquence, la proposition de loi est rejetée.

Revenu de solidarité active (CMP - Nominations)

Mme la présidente.  - Il va être procédé à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d'insertion.

La liste des candidats établie par la commission des affaires sociales a été affichée conformément à l'article 12 du Règlement. Je n'ai reçu aucune opposition. En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire, titulaires : M. About, Mmes Bernadette Dupont, Bout, Henneron, Jarraud-Vergnolle, Le Texier, M. Fischer ; suppléants : MM. Barbier, Boyer, Daudigny, Mmes David, Debré, M. Desessard, Mme Kammermann.

Revenus du travail (CMP - Nominations)

Mme la présidente.  - Il va être procédé à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi en faveur des revenus du travail.

La liste des candidats établie par la commission des affaires sociales a été affichée conformément à l'article 12 du Règlement. Je n'ai reçu aucune opposition. En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire, titulaires : M. About, Mmes Debré, Bout, Procaccia, Jarraud-Vergnolle, Le Texier, David ; suppléants : MM. Barbier, Desessard, Mme Dini, M. Fischer, Mme Henneron, M. Jeannerot, Mme Kammermann.

La séance est suspendue à 19 heures.

présidence de M. Bernard Frimat,vice-président

La séance reprend à 22 heures.

Conférence des Présidents

M. le président.  - Voici les conclusions de la Conférence des Présidents sur l'ordre du jour des prochaines séances du Sénat.

JEUDI 30 OCTOBRE 2008

A 9 heures 30 :

1°) Suite du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet.

A 15 heures et le soir :

2°) Questions d'actualité au Gouvernement ;

3°) Suite de l'ordre du jour du matin.

MARDI 4 NOVEMBRE 2008

A 16 heures et, éventuellement, le soir :

1°) Éloge funèbre du Président Michel Dreyfus-Schmidt ;

2°) Conclusions de la commission des lois sur la proposition de loi visant à prolonger l'application des articles 3, 6 et 9 de la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers ;

3°) Proposition de loi visant à réformer le statut des dirigeants de sociétés et à encadrer leurs rémunérations, présentée par Mme Nicole Bricq et plusieurs de ses collègues du groupe socialiste ;

4°) Proposition de loi tendant à allonger le délai de prescription de l'action publique pour les diffamations, injures ou provocations commises par l'intermédiaire d'internet, présentée par M. Marcel-Pierre Cléach et plusieurs de ses collègues du groupe UMP ;

5°) Désignation des dix-huit sénateurs membres de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques ; des dix sénateurs au sein de l'Office parlementaire d'évaluation des politiques de santé (le président de la commission des affaires sociales, ainsi que le rapporteur en charge de l'assurance maladie dans le cadre des lois de financement de la sécurité sociale étant membres de droit) ; des quinze membres de la Délégation du Sénat pour la planification.

MERCREDI 5 NOVEMBRE 2008

A 15 heures et, éventuellement, le soir :

1°) Suite du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet.

JEUDI 6 NOVEMBRE 2008

A 9 heures 30, à 15 heures et le soir :

1°) Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012 et débat sur les prélèvements obligatoires ;

2°) Suite du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet.

ÉVENTUELLEMENT, VENDREDI 7 NOVEMBRE 2008

A 9 heures 30, à 15 heures et le soir :

Suite du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet.

MERCREDI 12 NOVEMBRE 2008

A 16 heures et le soir :

1°) Sous réserve de l'entrée en application de la résolution, adoptée par le Sénat le 29 octobre 2008 et soumise au Conseil constitutionnel, modifiant l'article 3 du Règlement du Sénat afin de renforcer le pluralisme dans l'organe dirigeant du Sénat, scrutin secret pour l'élection de deux vice-présidents du Sénat ;

2°) Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009.

La Conférence des Présidents a décidé d'organiser un débat thématique sur « L'hôpital en question » avant le début de la discussion de la troisième partie du projet de loi, prévu le jeudi 13 novembre.

Au plus tard à 19 heures :

3°) Désignation de Secrétaires du Sénat.

JEUDI 13 NOVEMBRE 2008

A 9 heures 30 :

1°) Suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009.

A 15 heures et le soir :

2°) Questions d'actualité au Gouvernement ;

3°) Suite de l'ordre du jour du matin.

LUNDI 17 NOVEMBRE 2008

A 10 heures :

1°) Questions orales.

A 15 heures et le soir :

2°) Suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009.

MARDI 18 NOVEMBRE 2008

A 9 heures 30 :

1°) Suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009.

A 16 heures et le soir :

2°) Éloge funèbre d'André Boyer ;

3°) Suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009.

MERCREDI 19 NOVEMBRE 2008

A 15 heures et le soir :

1°) Suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009.

L'ordre du jour est ainsi réglé.

En application de l'article 28 de la Constitution et de l'article 32 bis, alinéa 1, du Règlement, la Conférence des Présidents propose de fixer les semaines de séance suivantes : jusqu'au lundi 22 décembre 2008 ; du lundi 5 janvier 2009 jusqu'au vendredi 20 février 2009 ; du lundi 2 mars 2009 jusqu'au vendredi 10 avril 2009 ; du lundi 27 avril 2009 jusqu'au mardi 30 juin 2009.

Cette proposition est adoptée.

Diffusion et protection de la création sur internet (Urgence)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet.

Discussion générale

Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication. - Grâce à ce projet de loi, le Gouvernement souhaite que la France puisse saisir pleinement la chance inédite que représente l'internet pour la culture, pour sa démocratisation, et pour le développement économique qu'elle recèle. Aujourd'hui, plus d'un Français sur deux dispose d'un accès à internet à haut débit, et 62 % des personnes âgées de plus de 11 ans se connectent au moins une fois par mois. Dans quelques années, chacun devrait pouvoir accéder à un catalogue presque illimité de films, de titres de musique, d'oeuvres littéraires, d'expositions virtuelles et de captations de pièces de théâtre ou d'opéras. Nous devons faire en sorte que cette nouvelle offre profite à l'ensemble de nos concitoyens : consommateurs, créateurs, entreprises de toutes les filières des industries culturelles et des réseaux de communication. Elle ne doit pas aboutir à priver certains acteurs de leurs droits, au bénéfice d'une frange d'internautes peu scrupuleux ou inconscients.

Des progrès remarquables ont été accomplis, au cours des deux dernières années, par les opérateurs qui offrent légalement accès à la musique et aux films sur internet. Plus de 3 200 films et plus de 3 millions de morceaux de musique sont aujourd'hui disponibles auprès des plates-formes de téléchargement, des chaînes de télévision et des fournisseurs d'accès à internet. Certaines de ces offres sont gratuites et financées par la publicité ; d'autres sont payantes mais forfaitaires, et permettent de télécharger de façon permanente, pour quelques euros par mois, au sein de catalogues qui comptent, pour ce qui est de la musique, plusieurs centaines de milliers de titres. Le coût de cette offre pour le consommateur décroît rapidement, y compris pour le cinéma, puisqu'il est possible pour un foyer de consulter un film pour moins de 5 euros, ou plusieurs dizaines de films pour moins de 10 euros par mois. Mais les réseaux numériques ne pourront devenir un outil de distribution des biens culturels présentant toutes les qualités nécessaires en matière de sûreté, de richesse et de coût, que si les droits de propriété intellectuelle y sont respectés.

Le principal obstacle auquel nous sommes confrontés, c'est le piratage des oeuvres sur internet, commis sur une très grande échelle dans notre pays qui détient un triste record mondial. Un milliard de fichiers ont été piratés en France en 2006. C'est un véritable désastre pour notre économie et notre industrie, mais aussi pour notre création. Le marché de la musique enregistrée est le plus atteint, avec une baisse de 50 % en valeur au cours des cinq dernières années, assortie d'un fort impact sur l'emploi et sur la création. Le cinéma s'engage sur la même pente : il y a déjà 450 000 téléchargements illégaux journaliers, soit autant que d'entrées en salles. Le marché de la vidéo a perdu un quart de sa valeur au cours des quatre dernières années, alors même que le prix moyen des nouveautés diminuait d'un tiers. L'année où un film français a rencontré un succès historique devrait être une année de forte hausse de la fréquentation : or ce n'est pas le cas. Tous les exploitants de salles s'en inquiètent, car ils ont énormément investi ces dernières années pour rénover leurs équipements. Les producteurs, en particulier les PME de la production indépendante dont l'économie repose en grande partie sur le crédit, voient se renchérir les coûts des crédits bancaires. Quant au livre, après avoir découvert à la Foire de Francfort les prouesses technologiques qui seront bientôt proposées au public, j'ai peine à croire que ce secteur n'entrera pas à son tour dans l'ère numérique. Il est de notre devoir de prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter que cette filière ne pâtisse à son tour des effets ravageurs du piratage.

La situation des créateurs et des entreprises françaises ne serait pas si alarmante si l'effondrement du marché des biens physiques était compensé par l'essor des ventes dématérialisées. Mais ce n'est le cas dans aucun secteur. Dans la plupart des grands pays où les habitudes de consommation sont semblables aux nôtres, ces ventes décollent ; elles représentent désormais déjà plus de 25 % du marché aux États-Unis, mais à peine 7 %en France.

II y a donc urgence à endiguer cette hémorragie des oeuvres sur internet, qui laissera bientôt exsangues la création et l'économie de la culture. Il y a urgence à responsabiliser les internautes, qui évoluent parfois dans une sphère d'irréalité, une bulle d'apesanteur. Le pirate se livre à un double déni de réalité. Il méconnaît les conséquences de son comportement pour les autres, créateurs et industriels, comme pour lui-même. La loi pose d'ores et déjà le principe de la responsabilité de l'abonné à internet, qui est tenu d'après le code de la propriété intellectuelle, de veiller à ce que son accès au réseau ne fasse pas l'objet d'une utilisation qui méconnaisse les droits de propriété littéraire et artistique. Surtout, l'internaute qui pirate en mettant à disposition ou en téléchargeant des oeuvres protégées se rend coupable du délit de contrefaçon, et s'expose à des sanctions pouvant aller jusqu'à 3 ans de prison et 300 000 euros d'amende, sans préjudice d'éventuels dommages et intérêts. Mais parce que ces sanctions paraissent disproportionnées et inadaptées en ce qui concerne le piratage ordinaire, les ayants droit répugnent à y recourir : les actions engagées se limitent à ce jour à quelques centaines. Pourront-ils s'offrir encore longtemps le luxe d'hésiter, s'ils constatent que les pouvoirs publics renoncent à trouver une solution mieux proportionnée et plus efficace, praticable sur une grande échelle ?

Dès l'élection du Président de la République, une concertation a été menée avec les artistes et les industries culturelles, qui a eu pour effet de limiter le nombre de contentieux. Si cela n'avait pas été le cas, nul doute que les procédures pénales se multiplieraient aujourd'hui, comme en Allemagne.

Je veux mentionner les dangers du piratage pour les jeunes ou très jeunes internautes, particulièrement vulnérables du fait de l'absence de régulation sur internet. On constate sur les réseaux de pair à pair une offre illégale massive de films pornographiques ou violents, présentés sous les apparences de films grand public. Sur le réseau E-donkey, 60 % des fichiers d'« Astérix aux Jeux olympiques » et du « Renard et l'enfant », et 45 % des fichiers de « Bienvenus chez les Ch'tis » sont en réalité des films pornographiques. L'existence d'une offre pirate porte donc une atteinte grave, pour laquelle il n'existe pas de parade technique, à la protection des mineurs, que seule l'offre légale peut garantir.

La méthode du Gouvernement pour répondre aux problèmes soulevés par le piratage repose sur la conviction que, pour être efficaces, les solutions doivent faire l'objet d'un très large consensus préalable entre les acteurs de la culture et de l'internet. C'est le sens de la mission que j'ai confiée, le 5 septembre 2007, à Denis Olivennes, alors président directeur général de la Fnac, pour engager des négociations entre les professionnels de la musique, du cinéma et de l'audiovisuel et les fournisseurs d'accès à internet. Ces négociations ont abouti à l'accord signé à l'Élysée, le 23 novembre 2007, par quarante-deux entreprises ou organisations représentatives de la culture et de l'internet, auxquels se sont joints depuis cinq nouveaux signataires.

Le plan d'action sur lequel les signataires se sont accordés comporte deux volets. Le premier consiste à rendre l'offre légale plus accessible, plus riche et plus souple. Les maisons de production de disques se sont engagées à supprimer pour les oeuvres françaises les dispositifs techniques de protection -les fameux DRM- qui empêchent par exemple de consulter un même titre sur plusieurs lecteurs. Les DRM devaient disparaître, aux termes des accords de l'Élysée, un an après la mise en oeuvre du présent projet de loi, pour laisser à celui-ci le soin de produire ses effets. Mais à l'issue d'un dialogue particulièrement constructif avec les pouvoirs publics, les maisons de disques -et notamment la première, Universal- ont décidé de supprimer ces protections plus tôt que prévu : ce devrait être chose faite dans quelques jours.

C'est un geste significatif en direction des consommateurs qui montre la prise de conscience, par les industries de la musique, du lien entre piratage et offre légale. Il faut désormais faire partager cette prise de conscience aux pirates.

Ensuite, le délai d'accès aux films par les services de vidéo à la demande sera ramené au même niveau que celui du DVD, c'est-à-dire à six mois après la sortie du film en salle. Les discussions interprofessionnelles devront aboutir, dans un délai maximum d'un an, à un raccourcissement encore plus conséquent de l'ensemble des « fenêtres », qui tiendra compte de ce qui peut être observé dans les autres pays européens. Je souhaite que ces engagements soient mis en oeuvre le plus tôt possible et, pourquoi pas, de façon anticipée par rapport au calendrier prévu par les accords de l'Élysée. J'ai noué un dialogue à cette fin avec les filières du cinéma et de la musique. Je salue à cet égard les amendements adoptés par votre commission des affaires culturelles qui donnent aux engagements de la filière cinématographique dans le domaine de la chronologie des médias, et à leur application, un cadre juridique plus précis et une visibilité plus importante, notamment pour les consommateurs, tout en respectant l'autonomie des acteurs économiques. En effet, il est essentiel que les internautes perçoivent, sans tarder, la contrepartie tangible de l'approche plus responsable d'internet que nous voulons promouvoir avec ce projet de loi, approche que le Président de la République a résumée d'une formule dans laquelle chacun peut se reconnaître : « un internet civilisé ».

Le second volet des accords de l'Élysée porte sur la lutte contre le piratage de masse : elle doit changer entièrement de logique. Celle que propose le Gouvernement est préventive et graduée, puisqu'aucune sanction n'interviendra au premier acte de piratage. Elle vise aussi à décriminaliser le piratage, puisqu'une éventuelle sanction ne passera plus nécessairement par le juge -même si elle demeurera, bien entendu, placée sous son plein contrôle. La base juridique sur laquelle elle repose existe déjà : il s'agit de l'obligation de surveillance de l'accès internet, mise à la charge de l'abonné. Le projet du Gouvernement précise le contenu de cette obligation, et met en place un mécanisme de réponse graduée en cas de manquement de la part de l'abonné. C'est bien de la responsabilité de l'abonné dont il s'agit, et non de celle du pirate, qui peut être, par exemple, un autre membre du foyer familial. Ainsi les parents, titulaires de l'abonnement, pourront se voir avertis des conséquences de piratages commis par leurs enfants. Un tel dispositif connaît de nombreux précédents dans notre droit. C'est par exemple le cas en matière d'infractions routières : le titulaire du certificat d'immatriculation est redevable de l'amende, même s'il n'est pas lui-même l'auteur d'un excès de vitesse, dans la mesure où il commet au moins un défaut de surveillance de son véhicule ou de l'usage qui en est fait. Il est à la fois naturel et efficace qu'il incombe aux parents de relayer en direction de leurs enfants, la pédagogie exercée à leur égard par les pouvoirs publics, dans le cadre de la réponse graduée. Cette réponse prendra une forme, dans un premier temps, purement préventive, puis, dans un second temps, transactionnelle et, enfin, elle débouchera éventuellement sur une sanction de nature administrative, prononcée par une autorité indépendante chargée de la gestion du mécanisme mais placée sous le contrôle du juge judiciaire.

Que se passera-t-il concrètement pour l'abonné en cas de piratage d'une oeuvre à partir de son accès à internet ? La première phase, celle de la constatation des faits, ne connaîtra aucun changement par rapport à la situation actuelle où il appartient aux ayants droit de repérer les actes de piratage sur internet, par l'intermédiaire des agents assermentés des sociétés de perception et de répartition de droits et de leurs organisations professionnelles. Pour ce faire, ces structures utilisent des traitements automatisés qui collectent les adresses IP, sortes de plaques d'immatriculation des ordinateurs. Ces traitements automatisés font l'objet d'une autorisation délivrée par la Cnil, dans un cadre juridique précisé par une décision Sacem du Conseil d'État, intervenue au printemps 2007. Sur la base des constats dressés par les agents assermentés, les ayants droit saisissent le juge qui adresse alors une injonction au fournisseur d'accès internet, afin qu'il établisse la correspondance entre, d'une part, l'adresse IP dont il a été saisi et, d'autre part, le nom de l'abonné présumé auteur de la contrefaçon. Puis se déroule la procédure judiciaire. Les ayants droit se verront offrir une alternative : soit saisir le juge pénal sur le fondement du délit de contrefaçon, à l'encontre des pirates les plus endurcis, soit saisir une autorité administrative indépendante sur le fondement du manquement de l'abonné à son obligation de surveillance, à l'encontre des pirates « ordinaires ». L'objectif du Gouvernement est que l'efficacité du mécanisme pédagogique et gradué géré par l'autorité administrative, dissuade les ayants droit de recourir à la voie pénale. La voie administrative n'entraîne pas la disparition de la voie pénale, mais vient la compléter. II n'est en effet pas envisageable de priver les ayants droit, par principe, du recours direct au juge, dans la mesure où certains actes de piratage, par leur ampleur, les moyens employés, ou encore le but poursuivi, ne pourraient recevoir de réponse adéquate que sous la forme d'une sanction pénale ou de dommages et intérêts. II appartiendra donc aux ayants droit de choisir la modalité la plus adaptée. La procédure administrative, rapide et peu coûteuse, s'imposera naturellement dans les cas de piratage ordinaire, ludique, qui constituent l'immense majorité des cas.

Qu'en sera-t-il alors, de ce que certains qualifient de double peine, c'est-à-dire du risque de voir une même personne sanctionnée à la fois par le juge pénal sur le fondement du délit de contrefaçon, et par l'autorité administrative dans le cadre du manquement à l'obligation de surveillance ? Cette difficulté n'est pas de nature juridique. La jurisprudence constitutionnelle admet qu'un même fait soit passible de sanctions administratives et de sanctions pénales. C'est notamment le cas pour les sanctions prononcées en matière d'infractions bancaires ou boursières, dont la lourdeur est sans commune mesure avec ce que prévoit le présent projet de loi pour les pirates de l'internet. C'est aussi le cas, bien entendu, des sanctions disciplinaires prononcées à l'égard d'agents publics, dès lors que le comportement condamnable tombe également sous le coup d'incriminations pénales. Le Gouvernement estime toutefois qu'un cumul de sanctions, pénales et administratives, sur la tête d'une même personne n'est pas souhaitable car incompatible avec le souci de prévention et de décriminalisation qui sous-tend le projet de loi.

Pour autant, je l'ai dit, il n'est pas envisageable -notamment du point de vue constitutionnel- de priver les créateurs et les entreprises de l'accès au juge, s'ils le souhaitent. Les solutions adoptées devront donc être pratiques. D'abord, à l'occasion de la demande formulée auprès de la Cnil pour autoriser les traitements automatisés leur permettant de repérer les infractions, les ayants droit s'engageront à n'utiliser les constats ainsi dressés que dans le cadre de la voie pénale ou administrative : ils organiseront ainsi un aiguillage à la source entre les deux procédures. Ensuite, les ayants droit, qui saisiront l'autorité administrative à partir de l'adresse IP d'un ordinateur, ne connaîtront jamais l'identité de l'abonné en cause. La loi ne prévoit en effet aucun retour d'information, en direction des auteurs de la saisine, de la part de la Haute autorité compétente pour la traiter. Celle-ci demeurera, pour les ayants droit, une « chambre noire », un écran qui viendra s'interposer entre eux-mêmes et l'identité de l'abonné -ce qui n'est pas le cas avec le tribunal correctionnel. Quel sera le rôle de l'autorité administrative, à laquelle sera confié le traitement des constats dressés par les agents assermentés ? Cette autorité administrative indépendante sera l'Autorité de régulation des mesures techniques (ARMT), créée à l'initiative de votre Haute assemblée en 2006 afin de veiller à l'interopérabilité des mesures techniques de protection et au respect de l'exception pour copie privée. Elle est actuellement présidée par Jean Musitelli, conseiller d'État. Pour mieux refléter l'étendue de ses nouvelles compétences, elle sera rebaptisée Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet. Elle ne pourra agir qu'à partir des constats dressés par les représentants des ayants droit et ne disposera donc d'aucune faculté d'auto-saisine ni a fortiori d'aucune compétence de surveillance des réseaux de communication électronique. La Haute autorité enverra d'abord aux pirates des messages d'avertissement pédagogiques dénommés recommandations. Ces messages ne font pas grief et s'analysent comme de simples rappels à la loi. Le formalisme de ces messages sera également gradué. En effet, après le courrier électronique, la Haute autorité fera usage de la lettre remise contre signature, de façon à s'assurer que l'abonné a bien pris connaissance du comportement qui lui est reproché. Les parents seront ainsi nécessairement avertis des actes de piratage qui pourraient être commis à leur insu par leurs enfants, ou les entreprises des agissements de leurs collaborateurs. Une phase préventive -que le droit ne permet pas jusqu'à présent- précédera donc une éventuelle sanction, et elle la précédera nécessairement : en effet, l'infraction ne sera constituée qu'après renouvellement du manquement dans l'année qui suit la réception de l'avertissement. La visée pédagogique et préventive de ce mécanisme, essentielle, constitue le coeur du projet du Gouvernement. Une récente étude réalisée en Grande-Bretagne montre que 70 % des internautes cesseraient de télécharger dès le premier message d'avertissement et 90 % dès le second. Ces estimations concordent avec les taux relevés aux États-Unis, où une solution du même ordre a déjà été mise en oeuvre à la suite d'accords passés entre ayants droit et certains fournisseurs d'accès internet sur les réseaux câblés. La Haute autorité pourra ensuite, en cas de manquement répété de l'abonné, prendre à son encontre une sanction administrative qui consistera en une suspension de l'accès internet. La suspension de l'abonnement sera assortie de l'impossibilité de souscrire pendant la même période un autre contrat auprès de tout opérateur, de façon à éviter la migration des abonnés d'un fournisseur à un autre. C'est essentiel car les opérateurs de communication qui feront diligence pour appliquer les décisions de la Haute autorité ne doivent pas être pénalisés par rapport à ceux qui se montreraient moins coopératif dans le but de capter de façon déloyale la clientèle de leurs concurrents. En principe, la suspension de l'abonnement est d'une durée de trois mois à un an mais la Haute autorité pourra proposer à l'abonné une transaction : en s'engageant à ne pas renouveler son comportement, il pourra ramener la durée de la suspension entre un et trois mois. Cette phase transactionnelle, qui instaure un dialogue entre la Haute autorité et l'abonné, accentue encore l'aspect pédagogique du mécanisme.

Nous sommes conscients des difficultés spécifiques que pourrait poser ce dispositif aux entreprises ou à d'autres personnes morales, notamment publiques, comme les universités. Le projet de loi prévoit donc, lorsque la suspension de l'accès pourrait avoir des effets disproportionnés, que la Haute autorité pourra recourir à des mesures alternatives à la suspension. L'employeur pourra ainsi être invité par la Haute autorité à prendre des mesures de type « pare-feux » pour éviter le piratage par les salariés à partir des postes de l'entreprise. De telles techniques sont d'ailleurs déjà largement utilisées dans les collectivités privées ou publiques d'une certaine taille. L'injonction de prendre de telles mesures pourrait également être utilisée par la Haute autorité dans les cas -a priori très rares ou inexistants- où il serait techniquement impossible ou particulièrement complexe et coûteux de suspendre l'accès à internet sans suspendre également les services de téléphonie et de télévision.

Afin de garantir le respect des mesures de suspension, les fournisseurs d'accès internet seront tenus de vérifier, à l'occasion de la conclusion de tout nouveau contrat, que leur cocontractant ne figure pas sur le répertoire des personnes dont l'abonnement a été suspendu. La Haute autorité pourra décider des sanctions pécuniaires d'un montant maximal de 5 000 euros à l'encontre de ceux qui ne procéderaient pas à ces vérifications, ou qui n'appliqueraient pas les mesures de suspension qu'elle décide. Bien entendu toutes les sanctions -suspension de l'abonnement, mesures alternatives, sanctions pécuniaires- sont susceptibles de recours devant le juge judiciaire.

Enfin, le texte précise les conditions, classiques, dans lesquelles le titulaire de l'accès à internet pourra s'exonérer de sa responsabilité : force majeure, ou détournement frauduleux de son accès par un tiers. Il encourage également les abonnés à sécuriser leur poste, sur le modèle de ce qui existe déjà en matière de contrôle parental. La mise en oeuvre d'un tel dispositif figurant sur une liste de moyens efficaces dressée par la Haute autorité, vaudra exonération de responsabilité.

Tel est ce mécanisme, pédagogique et gradué envisagé par les accords de l'Élysée, qu'il vous est proposé de traduire dans la loi. Un débat assez vif s'est engagé dans les médias et l'opinion publique. Il y a des revendications légitimes de part et d'autre et nous devons les prendre en compte. Plusieurs arguments, en revanche, semblent parfaitement caricaturaux et d'autres franchement inquiétants. Je veux évoquer, en premier lieu, le choix de la suspension de l'abonnement internet de préférence, par exemple, à l'amende. Cette solution manifeste la volonté du Gouvernement de décriminaliser le piratage ordinaire et d'instaurer à cet effet une procédure totalement différente de celle qui est suivie devant le juge correctionnel. Une sanction de nature pécuniaire, également prononcée par le juge, aurait brouillé ce message. Ensuite, le rapport direct entre le comportement en cause et la nature de la sanction renforce l'efficacité pédagogique de celle-ci. En outre, le caractère non pécuniaire de la sanction évite de créer une inégalité devant le piratage entre les abonnés qui seraient en mesure d'acquitter facilement leurs amendes et ceux qui se trouveraient dans une situation matérielle plus difficile.

Enfin, je tiens à répondre à ceux qui voient dans la suspension de l'abonnement à internet une atteinte aux droits de l'homme, et plus précisément à la liberté de communication, dont seul le juge pourrait prendre la responsabilité. La résiliation de l'abonnement internet est déjà prévue dans les contrats passés par les fournisseurs d'accès avec leurs abonnés, pour les cas où ceux-ci ne s'acquittent pas de leurs factures ou bien se livrent à un usage inapproprié. Il n'est besoin, pour cette résiliation, ni du juge, ni de l'autorité administrative, mais simplement d'une mise en demeure adressée par le prestataire lui-même. Ainsi, le préjudice économique infligé aux fournisseurs d'accès par les mauvais payeurs pourrait justifier la résiliation unilatérale de l'abonnement, tandis qu'une suspension du même abonnement, prononcée dans le cadre d'une procédure contradictoire, par une autorité administrative indépendante, pour sanctionner le préjudice porté aux industries culturelles, violerait gravement les droits de l'homme ! On croit rêver !

En second lieu, à supposer que la disposition permanente, à domicile, d'un accès à internet puisse être regardée comme une liberté fondamentale, comment méconnaître le fait qu'aucun droit n'est inconditionnel ? Tout droit, en effet, doit être concilié avec les autres libertés et ne saurait être invoqué pour les violer impunément.

La jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes rappelle la nécessité de concilier droits des artistes et liberté de communication sur les réseaux numériques ; la Cour de cassation estime que le respect des droits des auteurs ne constitue pas une entrave à la liberté de communication et d'expression ou à la liberté du commerce et de l'industrie. Tout notre droit est traversé par l'exigence d'un équilibre entre des libertés et des droits antagonistes : au nom de quoi l'environnement numérique échapperait-il à cette règle ?

Autre objection : la Haute autorité serait préposée au fichage des internautes et à la surveillance généralisée des réseaux. Mais dans les pays qui pratiquent l'envoi de messages d'avertissement aux internautes - États-Unis, Norvège, Nouvelle-Zélande ou Royaume-Uni- cette politique se passe de l'intervention publique. Elle est purement contractuelle et résulte d'accords entre les fournisseurs d'accès et les ayants droit.

La particularité française consiste à interposer entre les parties une autorité indépendante qui assure la prévention du piratage tout en protégeant le secret de la vie privée. La Haute autorité sera seule à pouvoir se procurer les nom et coordonnées postales et électroniques de l'abonné, nécessaires à l'envoi des messages d'avertissement. L'identité du pirate demeurera cachée aux ayants droit. La procédure est plus protectrice du secret de la vie privée que celle qui se déroule devant le juge. Au sein de la Haute autorité, la commission qui traitera les dossiers sera exclusivement composée de magistrats et disposera d'agents publics dont l'absence de liens avec les intérêts économiques en cause aura été vérifiée. La procédure répondra à toutes les exigences du « procès équitable » au sens de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. Les adresses IP, nécessaires pour mettre en mouvement le mécanisme de prévention, sont déjà collectées par les créateurs et les entreprises culturelles pour mener une action judiciaire. Aucune donnée nouvelle ne sera relevée pour appliquer la « réponse graduée ».

Cette loi serait dictée par des majors accrochées à la défense de privilèges obsolètes. Mais le texte a reçu le soutien massif des créateurs et des entreprises du cinéma, de la musique et de l'internet et des PME de la culture, premières victimes du piratage. Ces petites entreprises indépendantes représentent 67 % de l'emploi et 44 % du chiffre d'affaires du secteur ; elles sont la source du dynamisme et de la diversité de notre scène artistique. Jeudi et vendredi derniers leurs représentants, réunis pour les premières « arènes européennes de l'indépendance », ont apporté un soutien massif au texte ! Ce n'est pas la loi des majors mais celle des créateurs et des industries culturelles, pas seulement celle des artistes les plus réputés mais aussi celle des jeunes talents, pas celle des multinationales mais celle des centaines de milliers d'acteurs concernés, du technicien à l'artiste, de l'auteur au producteur.

Ce qui se joue ici, c'est également la place que nous entendons réserver aux artistes au sein de notre société. Les créateurs ont-ils le droit de vivre de leur travail ? La France n'a jamais cessé, depuis plusieurs siècles, de défendre le droit d'auteur. Lorsque la reproduction mécanique est apparue, nous avons inventé la rémunération pour copie privée et le droit de reprographie. Lors de l'explosion des radios libres, nous avons créé la « rémunération équitable ». Aujourd'hui, il est nécessaire de faire vivre la défense du droit d'auteur : ce ne sont pas les technologies qui doivent dicter leurs règles à la société, mais l'inverse ! (Applaudissements à droite et au centre)

M. Michel Thiollière, rapporteur de la commission des affaires culturelles. - Dès son élection, le Président de la République a voulu réconcilier l'univers de l'internet et celui du droit d'auteur. La concertation a débouché sur les accords de l'Elysée de novembre 2007, dont vous nous présentez maintenant la traduction. Je me félicite que ce débat s'ouvre au Sénat !

Le Président de la République a raison de vouloir cette réconciliation. Nous devons donner un coup d'arrêt au piratage des oeuvres. Il est parfaitement possible d'assurer l'accès à toutes les formes de culture et de respecter les droits des créateurs ; d'offrir aux internautes toutes les facilités d'accès aux oeuvres et de respecter le travail de ceux qui assurent l'émergence et la diffusion de ces oeuvres. N'oublions pas que 2,4 % des Français ont un emploi dans les filières culturelles. Voilà l'enjeu : la réconciliation, pour aller de l'avant ! Il ne s'agit donc pas d'opposer le créateur et l'internaute, le créateur étant souvent internaute et l'internaute parfois créateur. Non pas l'un contre l'autre, mais l'un avec l'autre !

Il faut, aux pratiques qui nuisent à la création, substituer de nouveaux usages, protégeant les oeuvres et profitant pleinement des formidables avancées des technologies. Ce monde nouveau ne foulera plus au pied le travail de création, il favorisera son épanouissement et sa juste rémunération. Et la culture française ne sombrera pas dans l'anonymat de la mondialisation. Elle ne dépérira pas. Nous lui donnerons les moyens de jouer à nouveau un rôle précurseur. Que serait la France dans le monde sans ses créateurs, sans ses oeuvres écrites, musicales, cinématographiques, audiovisuelles, vidéo ? Si notre pays venait à s'enliser dans les sables de la mondialisation culturelle, à quoi bon se battre pour la diversité ? Ne laissons pas s'éteindre le rayonnement français, ne laissons pas disparaître un pan essentiel de notre économie, lié à la « matière grise » et à la créativité. La bataille se joue maintenant ; la bataille de la dernière chance, peut-être ? Défendons ce que nous avons de plus précieux : la richesse créative.

Sans création proprement européenne, iI n'y aura pas demain une Europe qui compte dans le monde, une Europe lumineuse, une Europe de la culture. Cette bataille, nous la menons par respect pour l'histoire de la création dans notre pays et en Europe. Nous la menons pour tous ceux qui, dans la solitude et la difficulté de la création, attendent beaucoup de nous. Nous la menons pour les générations qui nous succéderont. Nous avons de la considération pour le travail des créateurs et nous ne le laisserons pas piller. Nous favoriserons l'accès du plus grand nombre à toutes les oeuvres mais nous protégerons aussi tous les droits liés à la création. Avec la même détermination, avec la même énergie, avec la même volonté républicaine.

Il nous faut tisser d'indéfectibles lien entre cette part fascinante d'humanité qui invente les technologies les plus avancées et cette part non moins fascinante d'humanité qui est la profondeur et l'essence même de la création. Le monde qui s'ouvre devant nous est fascinant parce qu'il ouvre sur tous les possibles, à l'image de toutes ces fenêtres qui clignotent sur internet et que nous ouvrons d'un clic ; il suscite des appétits de culture, à l'image de tous ces sites sur lesquels prospèrent films et musiques, jeux et oeuvres audiovisuelles ; il propose aux créateurs une scène immense dont on lève le rideau en quelques clics. Mais la fascination peut aussi engendrer une forme d'aveuglement. Alors, la technologie prend le pas sur l'homme et réduit son pouvoir créatif à une marchandise parmi les plus vulgaires ; le pillage devient la règle ; la source de la création tarit.

Voilà pourquoi nous devons nous ressaisir. Le Président de la République a mis en oeuvre une méthode très constructive, depuis les rencontres animées par Denis Olivennes à l'automne 2007. Nous en sommes aujourd'hui à une étape importante du processus. Le projet de loi transpose partiellement les accords de l'Elysée.

Notre pays n'est pas le seul concerné par un piratage massif : c'est d'ailleurs pourquoi le projet de loi est regardé avec beaucoup d'attention au-delà de nos frontières. D'autres ont déjà mis en place des dispositifs proches, mais de nature contractuelle -des avertissements sont adressés aux internautes contrevenants. Aux États-Unis, 70 % des internautes renoncent au téléchargement illicite dès réception du premier message d'avertissement, 85 à 90 % au deuxième et 97 % au troisième.

Je veux évoquer ici l'émotion suscitée par l'adoption d'un amendement au Parlement européen sur le Paquet Télécom, à l'initiative du député Guy Bono.

Il a suscité beaucoup de réactions car certains tentent d'instrumentaliser le débat pour bloquer la démarche française alors que le Paquet Télécom ne porte que sur les contenus. La France demandera qu'il ne figure pas dans le texte définitif ; sa portée ne serait d'ailleurs pas suffisante pour remettre en cause notre démarche. Le projet de loi français répond en effet aux principes de la jurisprudence et des textes européens dont aucun ne présente l'accès à internet comme un droit fondamental. On voit mal comment la réponse graduée pourrait contrevenir au droit d'information et à la liberté d'expression des citoyens européens inclus dans la Charte des droits fondamentaux : on n'oppose pas les droits, on les rend compatibles. Le projet, qui respecte le principe de proportionnalité, apporte des garanties quant à la protection de la vie privée.

Internet demeurera un formidable espace de liberté sans être une zone de non-droit. Les Français ressentent le besoin d'une régulation. L'encombrement des réseaux est tel que 50 à 80 % de la bande passante sont occupés par les réseaux de pair à pair et les fournisseurs américains commencent à réfléchir à une facturation selon les flux, qui rendrait le piratage moins attractif. L'intérêt des industries de réseaux est de développer les contenus créatifs. Enfin, l'offre légale s'est considérablement enrichie.

Je veux remercier la ministre de sa disponibilité et de son écoute. J'exprime aussi ma gratitude à toutes les parties prenantes, ainsi qu'à mes collègues de la commission. Nous souhaitons aujourd'hui renforcer encore l'équilibre du texte et son efficacité afin d'inciter au développement d'une offre légale et d'endiguer les pratiques répréhensibles.

Il y a deux ans, le Sénat avait créé une Autorité administrative de régulation des mesures techniques. Elle existe aujourd'hui et devient la Haute autorité pour la protection des oeuvres et pour la protection des droits sur internet. Elle favorisera la diffusion légale et défendra le droit d'auteur et les droits voisins. Nous voulons préciser sa mission et son fonctionnement en dessinant mieux les contours de son action.

Premièrement, nous voulons une Haute autorité irréprochable et efficace. Indépendante, elle aura la personnalité morale ; ses membres seront tenus au secret professionnel ; les incompatibilités seront renforcées ; ses agents seront assermentés.

Deuxièmement, elle sera encore plus au service des pouvoirs publics : elle pourra recommander toute modification législative, être consultée par le Gouvernement comme par les commissions parlementaires et rendra un rapport annuel.

Troisièmement, les droits des internautes et ceux des créateurs seront mieux conciliés grâce à une labellisation des sécurisations efficaces comme à l'établissement de listes de sites respectueux des droits d'auteur. Utilement éclairé, l'internaute disposera ainsi d'un accès sécurisé.

Quatrièmement, les obligations pesant sur les opérateurs seront adaptées avec un souci de pédagogie. Les fournisseurs d'accès devront, à la signature du contrat puis à intervalles réguliers, expliquer le droit et la nécessité de le respecter. Ils présenteront aussi à leurs clients les moyens de sécuriser les accès. Dans le même esprit, une information dès l'école assurera que les générations futures connaissent ce merveilleux droit d'auteur. Parce que l'accès à internet deviendra un acte responsable partagé dans le cercle familial, les enfants ne seront plus exposés à des films pornographiques ou violents ; tous les parents en ont-ils d'ailleurs conscience ? S'agissant de l'accès à internet, nous proposons une sanction alternative, la limitation des services. La Haute autorité pourra, dans le respect du droit d'auteur, décider de laisser à l'abonné, outre le téléphone et la télévision, une messagerie.

Cinquièmement, pour renforcer l'équilibre du texte, les accords de l'Élysée préconisent des discussions. Nous suggérons une évaluation des expérimentations de filtrage -mot qui n'apporte rien à la loi et dont nous préconisons la suppression car il ne s'agit que d'un des moyens aujourd'hui connus pour suspendre les contenus illicites. Nous voulons aussi que la chronologie des médias soit révisée afin de favoriser le développement de l'offre légale.

Voilà les cinq points sur lesquels portent nos amendements. Qu'il n'y ait pas de confusion, nous voulons mettre un terme au piratage des oeuvres protégées. Qu'on n'inquiète pas inutilement nos concitoyens : les sanctions ne tomberont que si l'abonné récidive ! L'accès aux oeuvres est une magnifique liberté. Elle s'étend chaque jour davantage. Saisissons cette chance mais notre génération a le devoir de garantir cette autre formidable liberté qui est celle de créer une oeuvre et de voir sa création justement rémunérée. Les hiérarchiser risquerait de permettre à l'une d'anéantir l'autre.

Notre travail est observé en France et en Europe. Soyons à la hauteur de nos responsabilités. Je suis convaincu que nous y réussirons. (Applaudissements au centre, à droite et sur les bancs socialistes)

M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques.  - Le monde numérique change très vite : iI y a vingt ans, on comptait 100 000 internautes contre 1 500 000 aujourd'hui ; il y a dix ans, on pouvait télécharger huit morceaux de musique sur un baladeur MP3 contre 40 000 pièces aujourd'hui ; il y a cinq ans, la télévision régnait sur la distribution des images alors qu'aujourd'hui, à chaque minute, treize heures de vidéos sont postées sur les grands sites de partage, ces étoiles du web 2.0.

La révolution numérique planétaire qui transforme notre façon de vivre, de travailler et de communiquer tient d'abord à une rupture technologique, les débits étant multipliés par cinquante tous les dix ans dans les pays industrialisés. Elle résulte aussi d'une rupture culturelle avec les nouvelles pratiques et la délinéarisation par laquelle chacun, rompant avec la programmation verticale, repend le contrôle de sa programmation. Elle tient enfin à une rupture économique avec l'arrivée de nouveaux acteurs, la démultiplication de l'offre et une réallocation de la chaîne des valeurs. Tout cela fragilise l'équilibre de nos industries culturelles et peut-être même le droit d'auteur, cette invention française.

La nouveauté réside dans la possibilité qu'offre internet de donner sans limite une oeuvre sans risque de la perdre. Cette fantastique et terrible faculté perturbe les modèles économiques traditionnels : les coûts marginaux étant nuls, la tarification peut tendre vers zéro. La gratuité est d'ailleurs à l'origine du web avec le travail collaboratif et les échanges. Aussi bien n'est-elle pas si nouvelle -elle peut même n'être que faciale. La gratuité se généralise avec le piratage, et il n'est pas nécessaire de justifier ici la lutte contre l'inacceptable, mais elle existe aussi dans le champ légal via la publicité ou les forfaits qui, pour un prix fini donnent un accès illimité, infini. Tout le monde s'y met et les majors de la musique ont signé des accords ouvrant tout leur catalogue pour quelques euros et moyennant une publicité.

Dans le cinéma, Filmo TV, distributeur français, propose un forfait. Aux États-Unis, la réponse des grands studios à Google a été Hulu : contre trente secondes de publicité, vous visionnez films et séries gratuitement. Dans la presse, le New York Times propose depuis un an l'accès gratuit à ses nouvelles et ses archives, contre publicité.

Tous les acteurs tendent vers ce modèle de quasi-gratuité, et entrent en concurrence, chacun voulant capter la publicité. Nous sommes actuellement dans un trou noir, faute de pouvoir monétiser cette audience et de créer de la valeur à hauteur de ce qui est perdu. Mais soyons optimistes : la publicité sur internet croît de 25 % par an, la toile est le troisième support publicitaire !

La gratuité n'est une nouveauté : elle a accompagné l'essor des télécommunications : téléphone fixe, téléphone mobile subventionné, minitel, en passant par la radio et la télévision. Mais elle n'est qu'apparente : ce que gagnent les uns, d'autres le perdent, à commencer par les créateurs. Loin d'un monde idéal, débarrassé de l'argent, nous sommes à l'acmé de la logique marchande. L'économie réelle finance l'économie virtuelle ! C'est le slogan de Palo Alto : « Make money, change the world ! ».

Peut-on accepter cette atteinte massive aux droits des créateurs ? Non. Mais lutter contre le piratage ne suffit pas à tout régler : une logique purement défensive est vouée à l'échec, car les technologies auront toujours un train d'avance sur la loi.

Il faut apporter une garantie aux créateurs, mais aussi garantir aux internautes un large accès aux contenus et aux applications. Le piratage doit devenir un risque inutile, certes grâce à la riposte graduée, mais surtout grâce au développement de l'offre légale. « Avant de désinciter, il faut encourager », dit M. Olivennes. Or le texte n'est pas très riche en la matière. Qu'à cela ne tienne : c'est au législateur d'endosser la responsabilité politique, nous en convenons, et c'est pour cela que nous voulons poser des jalons, sur la chronologie des médias, sur l'interopérabilité, sur la vidéo à la demande.

Il ne faut pas mettre en péril ce qui fait l'essence du Net. Le filtrage des réseaux est inacceptable, car le principe de neutralité est principe de liberté. Les réseaux ne doivent pas avoir d'autorité sur les contenus. Lors du sommet des Nations unies sur la société de l'information, c'est la France qui a prôné la neutralité, fondamentale si l'on veut qu'internet demeure un gisement de création et de valeur ajoutée.

La loi doit protéger la propriété intellectuelle, sans tomber dans le travers de l'hyper-surveillance. C'est pourquoi nous proposons de substituer une amende à l'interruption de la connexion. Cette solution ne menace pas la riposte graduée, au contraire. Couper internet, c'est couper la France en deux, car dans certaines zones, on ne peut dissocier télévision, téléphone et internet. Deuxième avantage : pas de coupure, pas de fichier. Troisième avantage : la pédagogie. Comment réorienter les internautes vers l'offre légale si on coupe le fil ? Le haut débit doit devenir une commodité essentielle, dit M.Besson. Couper la connexion pendant plusieurs mois, c'est priver les gens de recherche d'emploi, leur interdire de se former, de s'informer... Une autre mesure aura les mêmes avantages sans ces inconvénients !

Je conclurai en citant Victor Hugo, lors du Congrès littéraire du 21 juin 1878. Du net à Victor Hugo, de Gutenberg à McLuhan... « Le principe est double, ne l'oublions pas. Le livre, comme livre, appartient à l'auteur, mais comme pensée, il appartient au genre humain. Toutes les intelligences y ont droit. Si l'un des deux droits, le droit de l'écrivain et le droit de l'esprit humain, devait être sacrifié, ce serait, certes, le droit de l'écrivain. » Faisons en sorte que ni le droit des auteurs, ni celui de l'esprit humain ne soit sacrifié ! (Applaudissements à droite, au centre et sur certains bancs socialistes)

M. Jacques Legendre, président de la commission des affaires culturelles.  - La commission souhaite que la discussion des articles ne commence que demain matin, compte tenu du délai tardif de dépôt des amendements. En outre, elle demande la réserve de l'amendement n°145, tendant à insérer un article additionnel avant l'article premier, et de l'article premier jusqu'à la fin du texte, après l'amendement n°93 tendant à insérer un article additionnel après l'article 11.

M. le président. -  Nous nous arrêterons après la réponse du Gouvernement aux orateurs.

La réserve, acceptée par le Gouvernement, est de droit.

M. Serge Lagauche.  - La loi du 21 août 2006 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information (Dadvsi) n'a pas été dissuasive, et le piratage sur internet s'est amplifié.

Le contournement des règles de la propriété intellectuelle sur internet demeure assimilé au délit de contrefaçon, passible de trois années de prison et de 300 000 euros d'amende. Excessives et inadaptées, ces sanctions n'ont jamais été mises en oeuvre, et le pillage des oeuvre sur les réseaux de pair à pair s'est amplifié, jusqu'à mener l'industrie musicale et cinématographique au point de rupture.

Un milliard de fichiers musicaux auraient été téléchargés en 2007, dont seulement 20 millions légalement. Le marché du disque a chuté de 22 % en 2006 et encore de 20,5 % pour les neuf premiers mois de 2007, avec une baisse de plus de 50 % depuis 2002 ! Elle touche aussi bien les majors que les petites structures, qui représentent 80 % de l'offre musicale en France. C'est l'équilibre entre culture et contre-culture, garante de la diversité, qui est en jeu.

Le cinéma est également touché de plein fouet : 450 000 films seraient téléchargés illégalement chaque jour. En 2006, plus de 40 % des films sortis en salle étaient disponibles sur les réseaux de pair à pair, dont 94 % avant même leur sortie en DVD. En 2008, malgré le succès phénoménal de Bienvenue chez les Ch'tis, la fréquentation des salles de cinéma a stagné.

Que faire ? Le financement du cinéma et la rémunération des ayants droit sur les différentes fenêtres d'exploitation d'un film risquent de s'effondrer si rien n'est fait pour endiguer le piratage des oeuvres et développer en parallèle une offre légale attractive et respectueuse de la propriété intellectuelle.

Il était donc urgent d'agir sur ces deux volets. La réunion, sous l'égide de M. Denis Olivennes, de tous les acteurs concernés par le pillage des oeuvres sur internet a été positive. Les accords de l'Élysée, signés le 23 novembre 2007, sont un compromis équilibré en réponse à une situation d'urgence. La « riposte graduée » issue de ces accords signés par 42 organisations professionnelles, sociétés d'ayants droit et fournisseurs d'accès à internet, et dont ce projet de loi est la transcription légale, permettra de lutter contre le piratage des oeuvres sur internet.

Il est cependant regrettable que certains fournisseurs d'accès à internet se croient permis, sous le prétexte fallacieux qu'on leur aurait fait signer une page blanche, de retirer leur signature de ces accords. L'avenir de la création musicale et cinématographique risque de pâtir de telles volte-face inconsidérées.

Sans revenir sur le dispositif de la « riposte graduée », je regrette les vicissitudes de l'amendement n°138 qui a le mérite de rappeler aux États membres un principe juridique communautaire essentiel : toute atteinte aux libertés fondamentales nécessite l'intervention d'une autorité judiciaire. Il est cependant excessif qu'un encadrement de l'utilisation d'internet soit considéré comme une atteinte aux droits essentiels de l'homme et soit qualifié de liberticide. En outre, les garanties prévues pour sécuriser les données personnelles collectées par l'Hadopi et l'anonymat des internautes sanctionnés sont satisfaisantes. Cette affaire est d'autant plus navrante que les auteurs et l'ensemble des ayants droit sont présentés comme de terribles censeurs de l'internet alors qu'il ne s'agit que de faire respecter, sur le net comme ailleurs, les règles de la propriété intellectuelle, tout en les adaptant au nouvel environnement numérique.

Ce projet de loi n'est pas totalement satisfaisant car il ne reflète pas la logique des accords de l'Élysée, qui reposaient sur un équilibre entre les droits et obligations des ayants droit : la mise en place d'un système innovant de riposte graduée doit en effet avoir pour corollaire un certain nombre d'obligations, notamment le développement de l'offre légale de musique et de films.

S'agissant de la « riposte », nous aurions préféré le terme de « réponse », moins agressif. En outre, le volet pédagogique n'est pas assez développé. Vous vous appuyez sur la peur du gendarme en espérant que, comme au Royaume-Uni ou aux États-Unis, 70 % des internautes cessent de pirater des oeuvres lors du premier message d'avertissement, et que ce taux monte à 90 % lors de la réception de la lettre recommandée avec accusé de réception. Le Gouvernement aurait dû s'engager à lancer une campagne d'information afin d'expliquer aux internautes, notamment aux plus jeunes, l'enjeu du respect par tous des règles de la propriété intellectuelle.

A juste titre, la commission des affaires culturelles souhaite sensibiliser les élèves aux risques liés aux usages d'internet et aux dangers pour la création du piratage des oeuvres culturelles. La riposte graduée ne sera comprise et acceptée par l'opinion qu'à cette seule condition. Sans cette campagne d'information, les systèmes de brouillage risquent de se développer, car la technique est toujours en avance sur le législateur, et tous les efforts déployés pour protéger et rémunérer la création auront été vains.

En outre, ce texte n'encourage pas suffisamment les industries de la culture à développer l'offre légale qui est le corollaire et presque la justification de la riposte graduée. Les accords signés étaient très clairs sur ce point : tandis que les pouvoirs publics s'engageaient à réduire le piratage sur internet, les professionnels de l'industrie culturelle devaient étoffer leur offre légale. Le cinéma devra donc réviser la chronologie des médias et abaisser le délai de diffusion de la vidéo à la demande (VOD) de sept mois à six mois et demi tandis que l'industrie musicale devra renoncer à recourir aux DRM, ce qui permettrait de régler les multiples problèmes d'interopérabilité entre les différents supports d'écoute et de lecture.

Certes, l'offre légale a significativement augmenté depuis le vote de la loi Dadvsi. De nouveaux modèles de consommation légale des oeuvres ont vu le jour. Il est désormais possible d'écouter une grande quantité d'oeuvres musicales sur des plates-formes légales de lecture et de téléchargement. Des centaines de milliers de titres sont d'ores et déjà accessibles, soit en streaming, soit par le biais de la vente à l'acte. Mais, si la vente de musique numérique représente un chiffre d'affaires de près de 51 millions en 2007, soit une augmentation de 16,6 %, elle reste cependant marginale au regard du chiffre d'affaires global de l'industrie phonographique, qui s'élève à 713 millions.

L'offre légale de cinéma en ligne connaît une progression comparable et le marché de la vidéo à la demande est en forte croissance avec des catalogues de plus en plus étoffés qui viennent directement concurrencer les locations des vidéo clubs.

Pour 2007, l'Observatoire de la vidéo à la demande notait une augmentation de l'offre de 45,2 %. En revanche, si 67 % des internautes déclarent connaître ce service, ils ne sont que 9 % à y recourir.

Que ce soit pour le cinéma ou la musique, l'offre légale numérique n'a donc pas encore rencontré la demande. A ce titre, l'engagement des professionnels du cinéma à aligner la vidéo à la demande sur celle du DVD la rendrait plus attractive. Il est donc regrettable que certains représentants de la profession aient refusé de siéger à la première réunion organisée par le CNC pour faire évoluer la chronologie des médias.

Ce texte n'assurera pas à lui seul la rencontre entre la demande et l'offre légale de musique et de films. Il faudra donc faire oeuvre pédagogique pour inciter les internautes à se diriger vers l'offre légale numérique. A défaut, la lettre des accords de l'Élysée serait certes respectée mais son esprit, qui fait prévaloir un équilibre entre la lutte contre le piratage et le développement de l'offre légale, en serait fragilisé. Il faut donc parvenir à cet équilibre, aussi bien pour assurer la diversité de l'offre que pour assurer l'attractivité de son prix.

L'enjeu de cet équilibre, c'est celui de l'environnement culturel dans lequel nous souhaitons vivre : ou bien un monde de pseudo-gratuité qui s'organiserait autour des annonceurs publicitaires avec des productions françaises financées et formatées par la publicité, ou bien un monde de diversité que les auteurs continueraient de mettre en musique et en image, en toute indépendance. (Applaudissements sur les bancs socialistes, sur divers bancs à droite. M. Jacques Legendre, président de la commission, applaudit aussi)

Mme Catherine Morin-Desailly.  - Il y a deux ans, lors de la discussion du projet de loi Dadvsi, j'avais dit que ce texte intervenait trop tard ou trop tôt. Trop tard, car il transposait une directive européenne de 2001 issue d'accords internationaux signés en 1996. Trop tôt, car la révolution numérique était en cours et les nouveaux modèles économiques émergeaient à peine. L'examen de ce projet de loi le confirme. Que reste-t-il, en effet, de la loi Dadvsi ? Comme nous le pressentions, le dispositif de sanctions adopté à l'époque pour lutter contre le téléchargement illégal s'est révélé totalement inefficace. Certes, la rapidité des évolutions technologiques dans le secteur numérique rend difficile notre travail de législateur. Mais les sanctions juridiques prévues se sont révélées inapplicables et inappliquées et nous obligent aujourd'hui à remettre l'ouvrage sur le métier.

Cependant, à la différence du précédent projet de loi, dont la gestation avait été douloureuse et la naissance difficile, celui-ci participera de façon efficace à la régulation de l'univers numérique. La mission menée par M. Denis Olivennes a en effet réussi à faire asseoir autour d'une même table des professionnels aux intérêts très divergents. Je salue les accords de l'Élysée qui engagent 47 représentants des différents secteurs de la musique, du cinéma, de l'audiovisuel, des fournisseurs d'accès à internet et des pouvoirs publics à favoriser le développement et la protection des oeuvres et programmes culturels sur les réseaux.

Ce projet de loi était très attendu par les artistes et les ayants droit. II fallait en effet apporter une réponse au téléchargement illégal qui a des effets redoutables sur l'économie du disque et du cinéma et, plus généralement, sur la création. Avec le numérique, nous vivons une révolution des modes de diffusion et de consommation des oeuvres, révolution à laquelle les industries culturelles ne se sont pas toujours adaptées en temps utile.

Il fallait dissuader les internautes de se fournir en fichiers musicaux, cinématographiques ou audiovisuels sans que les auteurs et les ayants droit perçoivent une juste rémunération. C'est pourquoi je présenterai un amendement pour que le montant de l'abonnement versé durant la suspension de l'accès à internet revienne directement aux artistes, sorte de réparation pour les artistes de l'usage illicite de leurs oeuvres. L'essentiel est de modifier les comportements car l'évolution technologique aura toujours un train d'avance par rapport à la loi. C'est pourquoi la pédagogie est fondamentale.

Selon un sondage, 70 % des internautes ne téléchargeraient plus illégalement s'ils recevaient une première recommandation. C'est pour cette raison que la suspension de l'abonnement à internet doit rester une arme de dissuasion. Comme le rappelait M. Eric Besson en présentant le plan France numérique 2012, internet est aujourd'hui « une commodité essentielle comme l'eau ou l'électricité ». La suspension de l'accès à internet pourrait être handicapante alors qu'un nombre croissant de services de la vie quotidienne passe désormais par internet. C'est pourquoi la réponse graduée est la solution la plus adaptée. C'est d'ailleurs celle que le groupe centriste avait défendue au Sénat en 2006.

S'agissant de l'Hadopi, son impartialité et son indépendance seront garanties grâce à la distinction opérée entre le collège et la commission de protection des droits, composée exclusivement de magistrats.

Ce projet de loi est donc fidèle aux engagements pris lors des accords de l'Élysée : équilibre entre le droit de propriété et le droit moral des créateurs et la protection de la vie privée des internautes, équilibre entre les sanctions et les offres légales, équilibre entre les droits et les devoirs des internautes, équilibre entre prévention et sanction. Pourtant, ce texte est principalement centré sur les mesures d'avertissement et de sanctions. Or, les accords Olivennes avaient prévu deux volets, le premier visant à améliorer l'offre légale en ligne et le second à lutter plus efficacement contre les téléchargements illégaux. Je défendrai donc plusieurs amendements pour développer les offres légales afin que les internautes et les consommateurs soient réellement incités à ne plus télécharger illégalement.

La commission des affaires culturelles propose d'amender ce texte en ce sens, mais il faudrait aller encore un peu plus loin.

La loi cependant peut impulser le mouvement, d'autant qu'aucune annonce n'a été faite par les industriels -si ce n'est ce matin Universal- et que les négociations sont au point mort. Il est difficile d'être crédible dans la lutte contre le téléchargement illégal sans améliorer en même temps l'offre musicale et cinématographique que l'internaute peut légalement recevoir. Cette offre s'élargit, mais elle reste perfectible et présente des défauts encore importants. En particulier, les bibliothèques de films et de musiques ne sont pas transférables d'un ordinateur à l'autre, et les formats de lecture ne sont pas tous compatibles. L'interopérabilité est indispensable à l'attractivité de l'offre légale et nous proposerons, par un amendement, d'inciter les professionnels à s'entendre sur un standard technique garantissant cette interopérabilité.

S'agissant du cinéma, il faut raccourcir les délais d'exploitation numérique des films sans remettre en cause la chronologie des médias : les délais actuels, compris entre 6 et 36 mois, trop longs, incitent au téléchargement. Plusieurs de nos voisins européens ont adopté des délais plus courts, il nous faut aller vers des délais de 3 à 4 mois pour la VOD. Notre collègue M. Thiollière propose de fixer un cadre aux négociations professionnelles, j'irai dans le même sens en précisant les conditions de négociation.

Je m'interroge, ensuite, sur l'équilibre entre la surveillance de l'accès à internet et le droit de se défendre, notamment dans les procédures initiées par la Haute autorité. J'ai déposé plusieurs amendements renforçant les droits des internautes. Comment savoir si c'est l'abonné ou une tierce personne qui a téléchargé illégalement ? Une présomption de culpabilité pèserait sur l'abonné. Il est facile de faire accuser un internaute en fournissant son adresse IP, celle de son routeur wi-fi ou celle de son imprimante. L'abonné devra prouver qu'il a été piraté et qu'il a mis tous les moyens en oeuvre pour ne pas l'être, ce qui est fort improbable pour la grande majorité des internautes, peu familiers avec ces techniques. Il faut être particulièrement prudent, d'autant que la recommandation entraîne l'inscription au fichier de la Haute autorité. Je proposerai que la première recommandation soit motivée, et que la loi précise que la sanction ne pourra être prononcée qu'après la deuxième recommandation. Je souhaite encore rendre obligatoire la transaction prévue entre la Haute autorité et l'abonné pour l'établissement de la sanction. Je regrette, cependant, que la commission des finances ait opposé l'article 40 à ma proposition que la Haute autorité ouvre une hotline gratuite pour informer les internautes de leur situation. Enfin, je m'assurerai également que l'internaute ne puisse faire l'objet d'un double recours, devant le juge pénal pour délit de contrefaçon et devant la Haute autorité pour défaut de surveillance de son poste, pour respecter le principe non bis in idem.

La réponse graduée doit faire évoluer les mentalités et les comportements. Je me félicite que le rapporteur ait prévu une information des élèves à l'école, j'en préciserai le contenu par un sous-amendement. Je proposerai également que la Haute autorité participe, avec les fournisseurs d'accès, à la sensibilisation des internautes sur les dangers du piratage pour la création artistique.

Il faut garantir un juste équilibre entre les droits des auteurs et les droits des citoyens à l'accès aux savoirs, grâce à ce formidable espace de liberté qu'est internet. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Ivan Renar.  - Ce sujet est complexe, mêlant la technique et notre imaginaire : puissions-nous, au Sénat, ne pas seulement arbitrer un débat myope entre technophobes et technolâtres ! Les droits d'auteur, qu'ils soient moraux ou patrimoniaux, sont des droits fondamentaux et font partie de l'héritage démocratique de la France. Si certains artistes vivent très bien de leur oeuvre, c'est loin d'être le cas de la grande majorité. C'est pourquoi je regrette que ce texte porte bien davantage sur la répression du téléchargement illégal que sur la prévention, en particulier par le développement de l'offre légale et l'expérimentation de nouveaux modèles économiques qui assureraient une rémunération équitable aux auteurs. Ensuite, s'il est normal que les internautes contribuent à la rémunération des auteurs, les fournisseurs d'accès devraient y participer également, eux qui dégagent de grands bénéfices avec la publicité. Rien ne garantit que la riposte graduée fasse s'accroître les revenus des ayants droit, surtout avec un pouvoir d'achat en berne.

Il faut revoir de fond en comble le financement de la culture : ce sujet est vital pour la création et les artistes. En septembre, lors du vote du Paquet Télécom, les eurodéputés ont décidé que la Charte des droits fondamentaux faisait obligation de saisir l'autorité judiciaire pour toute coupure de l'accès à internet, assimilée à une restriction aux libertés fondamentales, sauf en cas de menace pour la sécurité publique. En présentant le plan France numérique 2012, M. Besson a déclaré que l'accès au haut débit était « une commodité essentielle » au même titre que l'accès à l'eau ou à l'électricité, et il a appelé de ses voeux un « droit opposable » à cet accès pour un coût inférieur à 35 euros par mois. N'est-ce pas contradictoire d'envisager aujourd'hui une coupure de l'accès ? (M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis, approuve) De développer le stockage, pour en interdire l'accès aux citoyens ? Pourquoi les industriels s'opposent-ils à l'extension de la redevance pour copie privée au domaine du téléchargement illicite ?

Ce texte instaure un dispositif de surveillance inédit et un fichage généralisé de millions d'internautes contraire aux libertés. Et cela pour un résultat des plus incertains, puisque les internautes mettront sans doute en place des parades techniques très rapidement, comme c'est déjà le cas avec les réseaux pair à pair.

Enfin, ce texte ne vise pas les contrevenants mais les abonnés à internet, qui doivent veiller à ce que leur connexion ne soit pas utilisée pour pirater. Or une connexion peut faire l'objet d'utilisation par des inconnus, notamment en cas de connexion wi-fi non sécurisée. Ce texte crée donc une responsabilité du fait d'autrui, une première dans notre droit, tout en instituant une présomption irréfragable de culpabilité. Comment un abonné utilisant des moyens de filtrage pourra-t-il prouver sa bonne foi s'il est accusé ?

La question des droits d'auteur et des droits voisins à l'ère numérique est un enjeu capital de société et un défi majeur pour l'exception culturelle de notre pays.

En ce sens, l'irrésistible extension du numérique est une belle occasion de renforcer les conquêtes culturelles et sociales de notre société. Renforcer la création, c'est oeuvrer en faveur de la démocratisation des oeuvres. On n'avancera pas sur la question des droits d'auteur en opposant les artistes à leur public, les droits fondamentaux aux droits d'auteur. Une grande partie des internautes adhérerait sans réserve à un code de bonne conduite, dès lors qu'il viserait à remettre l'auteur et les artistes au coeur de la rémunération. Les utilisateurs qui téléchargent sont ceux qui dépensent le plus pour des produits culturels. Ceux qui aiment la musique, le cinéma, la littérature et l'émotion irremplaçable que procurent les arts admirent les créateurs et n'ont aucune envie de les léser.

Ce sont les majors qui prétendent arrêter un phénomène de société qu'elles ont-elles-mêmes favorisé par leur attentisme et leur conservatisme étriqué. Ne les laissons pas dicter des mesures dont l'archaïsme n'a d'égale que l'inefficacité ! Incapables de se mettre en phase avec leur temps, elles veulent arrêter le progrès au nom du profit. Efforçons-nous au contraire de construire une nouvelle économie de la culture au service de la création. L'évolution des technologies est un fabuleux stimulant pour la création ; grâce à une circulation sans précédent des oeuvres de l'esprit et des savoirs, pour peu que le droit s'appuie sur l'intérêt général, elle fera faire un bond sans précédent à notre civilisation. Mais les industries culturelles, considérant à tort internet comme une menace, considèrent que la rente du paiement à l'acte reste encore lucrative et essayent de la préserver. De plus en plus, les industries cherchent à exploiter les artistes comme des marques. Afin de dégager des profits, le producteur de disque devient à la fois éditeur, organisateur de concerts, patron de salle, manager, vendeur de produits dérivés.... un véritable jeu de dupes où ceux qui crient au voleur et dénoncent le piratage sont parfois les premiers à frustrer les auteurs de leurs droits. Les multinationales n'ont pas attendu le législateur pour s'accaparer les droits d'exploitation des oeuvres : après l'appropriation des tuyaux, celle des contenus, pour mieux exploiter la propriété intellectuelle. La gratuité d'internet ? Un mythe ! L'immatériel est devenu l'or d'aujourd'hui et de demain.

Certes, les industries culturelles sont en crise et il faut trouver des solutions. Mais cette crise n'est pas liée au seul téléchargement illicite. Pour l'industrie audiovisuelle, il est clair que la chronologie des médias est devenue inadaptée. S'il est fondamental d'en conserver le principe, des aménagements sont nécessaires. Les jeunes, qui restent le premier public des salles de cinéma, sont aussi les plus sensibles à la gratuité. L'éducation à l'image, déclinée à tous les niveaux du parcours scolaire, doit être l'occasion d'une sensibilisation et doit informer les jeunes sur les conséquences du téléchargement illégal. Mais la question essentielle reste aussi celle de la rémunération équitable des auteurs et des interprètes. Veillons à ce que le droit d'auteur à la française ne cède la place au copyright anglo-saxon, qui, réglementant l'usage, la reproduction et la diffusion d'un bien sans reconnaître le droit moral, essentiel à la protection de la création, favorise les investisseurs au détriment des artistes.

Ce texte, dont le coût pour le contribuable reste difficile à chiffrer, ne garantit pourtant ni le développement d'une offre légale accessible et attractive, ni une meilleure rémunération des artistes et interprètes. Il sera essentiel, alors que les techniques évoluent avec la rapidité que l'on sait, d'en évaluer les effets dans deux ans au plus tard.

Notre conviction est que les innovations que constituent le numérique et l'internet sont porteuses de bien des promesses, comme le furent en leur temps le cinéma, la radio, la télévision. Mais les innovations révolutionnaires ont toujours conforté le droit d'auteur. Qui prétend asseoir la création et la production françaises ne doit pas l'oublier. (Applaudissements à gauche et à droite)

Mlle Sophie Joissains.  - Le champ des oeuvres téléchargeables s'étend et la capacité des équipements permet d'absorber toujours plus de contenus numérisés. Mais cette extraordinaire liberté peut bouleverser l'équilibre de la sphère culturelle. Le téléchargement illicite pénalise lourdement ceux qui vivent, directement ou indirectement, de la culture. Les chiffres sont éloquents : près d'un milliard de fichiers piratés par an, le chiffre d'affaires de l'industrie musicale divisé par deux en quelques années ; le taux d'emploi dans les maisons de disques réduit d'un tiers, le nombre d'artistes sous contrat en chute de 40 %... Les études soulignent la lourde responsabilité du petit piratage de masse dans cet effondrement. Créateurs et industries culturelles réclament à juste titre une réaction des pouvoirs publics. Si l'offre légale s'est considérablement étoffée, elle demeure insuffisante et ne pourra jamais se développer dans des conditions normales si on laisse subsister un piratage massif. Il est donc urgent de rétablir un équilibre des droits pour qu'internet reste un lieu de liberté partagée. Il est urgent de rendre aux artistes leurs droits pour leur permettre de vivre et de créer. Cette demande, formulée par tous les secteurs de la sphère culturelle, y compris les distributeurs, a été prise au sérieux par le Gouvernement et a donné lieu à un accord historique associant 47 organisations et entreprises de la musique, du cinéma, des médias et de l'internet.

Ce texte s'inscrit dans une logique pédagogique que nous ne pouvons que saluer. Tout en conservant des peines lourdes à l'encontre de ceux qui fournissent les moyens de contournement des mesures de protection ou font commerce du téléchargement massif, il décriminalise le piratage ordinaire en instaurant un régime gradué de sanctions, pour porter les jeunes internautes à une prise de conscience salutaire.

Il s'inspire des résultats obtenus dans d'autres pays, comme les États-Unis et le Canada, où un avertissement est adressé aux contrevenants : 90 % renoncent au téléchargement illégal à réception du deuxième message. La dissuasion se révèle plus efficace que la sanction, injuste de surcroît pour ceux qui ne peuvent pas s'acquitter de l'amende. Le délit pénal de contrefaçon, seule réponse aujourd'hui existante, est sanctionné par les tribunaux par des peines pouvant aller jusqu'à plusieurs milliers d'euros, parfois assorties de prison avec sursis. L'expérience étrangère montre qu'en l'absence de solution alternative, la justice pénale finit par être saisie massivement. En Allemagne, des milliers de plaintes sont ainsi enregistrées par les parquets.

Le texte apporte des garanties qui réconcilient droit de propriété, droit moral des créateurs, aujourd'hui bafoué, et respect de la vie privée des internautes. La suspension temporaire ne saurait être considérée comme une atteinte à un droit fondamental. Elle est déjà couramment appliquée par le juge et par les opérateurs, qui n'hésitent pas à suspendre les mauvais payeurs. L'Hadopi, chargée d'assurer la prévention, et qui ne prendra de sanction que sous le contrôle du juge, n'exercera pas pour autant une surveillance tous azimuts. Ce sont les oeuvres, et elles seules, qui seront sous surveillance et seul le constat de leur piratage pourra donner lieu à l'envoi d'avertissements et, éventuellement, à une suspension temporaire d'accès internet. Cette Haute autorité ne pourra se voir délivrer que les seules informations nécessaires à l'envoi du message d'avertissement. La Commission européenne a ouvert une consultation avec les États membres et les partenaires concernés pour étudier l'approche française.

Votre commission des affaires culturelles, qui souscrit pleinement à l'esprit de ce texte, penche pour un renforcement de l'indépendance de la Haute autorité et du professionnalisme de ses membres. L'Hadopi doit aussi pouvoir labelliser certains systèmes de sécurité et certaines offres légales. Un rapport annuel doit permettre de faire le point sur son activité et l'aider à évoluer. L'offre légale doit devenir plus attractive, ce qui implique une politique tarifaire adaptée. Il en va de l'intérêt des producteurs et des distributeurs.

L'internet ne connaît pas les frontières. Cet espace international, plein des richesses potentielles de l'échange, ne sera viable que dans le respect des libertés individuelles. Des règles simples et aussi évidentes que le respect des droits de chacun favoriseront une prise de conscience de l'altérité, notion d'autant plus difficile à percevoir que l'on se trouve derrière un écran. Nous ne sommes qu'au début du chemin, dans un terrain en perpétuelle mutation. Merci à notre rapporteur et au président de la commission pour la qualité de leurs travaux ; merci à vous, madame la ministre, pour l'écoute et la diligence que vous avez toujours témoignées aux créateurs. (Applaudissements à droite, au centre et au banc des commissions)

Mme Françoise Laborde.  - Ce projet de loi nous plonge au coeur d'une problématique essentielle : quelle société de l'information et de la création culturelle voulons-nous transmettre aux générations futures ? Il y a dix ans commençait une véritable révolution technologique, marquée par la croissance exponentielle des échanges de données et par le développement des logiciels de téléchargement d'oeuvres musicales sur internet. Les industriels ont alors mis en place les premiers verrous anti-copie sur les fichiers numériques musicaux référencés dans leurs catalogues. Cette évolution s'est accélérée depuis, tant au niveau des supports que des conditions d'échange, avec l'apparition de nouvelles plates-formes et logiciels de téléchargement, qui ont ouvert au consommateur l'accès à une offre quantitative et qualitative très large.

Cette révolution de l'économie culturelle nous transporte de la civilisation du support matériel à celle du support numérique et du virtuel. Nous ne pouvons encore mesurer les conséquences de ces bouleversements. Mais en tant que parlementaires, nous devons les anticiper et imposer de nouvelles normes pour garantir la juste rémunération des auteurs et la diversité des oeuvres produites.

Or, dans un contexte de récession internationale, force est de constater que l'économie culturelle est en péril, faute d'avoir anticipé les changements technologiques, juridiques et financiers qu'elle traverse. Plusieurs modèles économiques cohabitent : téléchargement gratuit en ligne, téléchargement payant, abonnement. Les enjeux économiques de la copie sont considérables : le nombre de téléchargements de films en France par jour est à peu près égal au nombre d'entrées en salle et les ventes de disques ont chuté de 50 % en cinq ans.

La réponse apportée par le Gouvernement s'inspire des préconisations du rapport Olivennes et des accords de l'Élysée, conclus entre les professionnels de la filière à la fin de l'année 2007, et qui reposent sur trois piliers : la dissuasion, la transaction et la sanction. Ce texte de loi place le consommateur au coeur du dispositif et invite les parlementaires à entériner la mise en place d'une autorité de régulation indépendante, l'Hadopi, qui aura pour mission de lutter contre le piratage en instituant une riposte graduée ; la constitution d'un fichier des internautes contrevenants ; enfin la mise en place de sanctions. Il est prévu d'envoyer des messages préventifs aux internautes indélicats, puis de suspendre leur abonnement en cas de récidive. En contrepartie du fichage des pirates présumés, les industriels se sont engagés à supprimer les DRM des oeuvres référencées dans leurs catalogues, comme cela nous a été confirmé dans la presse aujourd'hui.

En tant que parlementaire et adjointe au maire déléguée à la culture d'une commune de 23 000 habitants, dotée d'une salle de spectacle de 950 places, d'un cinéma et d'une médiathèque, je suis concernée au premier plan par ces mesures et par les problèmes du financement de la production, de la diversité des oeuvres culturelles et de la rémunération des auteurs. Les dispositions de ce texte vont engager non seulement la responsabilité des particuliers abonnés, mais aussi celle des élus des collectivités locales qui mettent à disposition de leurs concitoyens des accès internet dans les lieux publics. Mais le principe de riposte graduée, dans la sphère familiale et éducative, paraît être un bon outil pédagogique, et la sensibilisation des consommateurs à la notion de droit d'auteur est devenue nécessaire. C'est pour cette raison que les membres du groupe RDSE voteront ce texte, sous réserve de l'adoption de plusieurs amendements.

Cependant, le dispositif prévu par le projet de loi nous paraît insuffisant. La technologie évolue plus vite que les lois, et la relance de la filière nécessiterait des mesures d'accompagnement plus ambitieuses : il faudrait subventionner la création indépendante, faciliter l'accès à la diffusion des oeuvres les moins commerciales, renforcer le tissu associatif culturel, pérenniser les structures municipales, responsabiliser les fournisseurs d'accès à internet et les industriels, notamment les majors. L'abonné est bien isolé dans le dispositif de riposte graduée. Le fichage des internautes pirates doit avoir pour contrepartie la régulation des rapports entre les industriels, les auteurs et les labels indépendants. C'est pourquoi je regrette que ce texte ait été déposé devant la Haute assemblée sans que soit dressé le bilan de l'application de la loi Dadvsi, votée en 2006 et qui ne semble pas avoir porté ses fruits. Je regrette aussi que ne soient évoquées ni la logique industrielle, ni la question de la juste rémunération des auteurs.

Bien que les moyens de diffuser leurs oeuvres se soient considérablement élargis, les auteurs n'ont pas bénéficié de ces progrès et ils redoutent la mise en place de licences collectives, qui dissocieraient l'acte de consommation de leur propre rémunération. Or ils sont déjà à la merci des majors, qui monopolisent leurs oeuvres pendant des années et déterminent les conditions de leur diffusion. Il faudra inciter les industriels à innover pour mettre en place de nouveaux modes de rémunération des auteurs, en contrepartie de l'adoption de la riposte graduée. Aujourd'hui, il est plus rentable pour un auteur indépendant de vendre directement son oeuvre sur internet que de passer par un distributeur. Nous étions en droit d'attendre la définition d'une politique culturelle plus ambitieuse, en faveur des producteurs indépendants et des artistes.

Par ailleurs, nous ne pouvons pas rester indifférents à la vive inquiétude que soulèvent la mise en place du fichier des internautes présumés pirates et la possibilité de suspendre l'abonnement de ces derniers. Les libertés individuelles sont en jeu. Ce projet de loi fait polémique en Europe et il expose la France à des recours, parce qu'il est contraire à l'amendement 138 du Paquet Télécom voté par le Parlement européen en septembre dernier, qui confère à l'accès internet le caractère d'un droit fondamental pour les citoyens, qui ne peut leur être ôté que sur décision d'une autorité judiciaire.

Enfin, le Gouvernement n'a pas entendu les principales recommandations des professionnels de la filière et du monde associatif, qui souhaitent que les modes de rémunération des auteurs évoluent, et proposent de nouveaux leviers : la responsabilisation des fournisseurs d'accès à internet, qui devraient informer les internautes de la législation en vigueur ; l'instauration d'une taxe pour financer un fonds d'aide aux jeunes artistes ; le développement des nouveaux supports ; l'achat avec période d'essai ; le différentiel de TVA et j'en passe.

Les membres du groupe RDSE resteront très vigilants sur la mise en oeuvre des dispositifs répressifs et l'usage du fichier des contrevenants. La révolution numérique nous impose de trouver un nouvel équilibre des droits : nous devons innover pour rémunérer la création, même de façon imparfaite, plutôt que de laisser les auteurs seuls face aux majors, aux diffuseurs et aux annonceurs ; peut-être faut-il relancer le débat sur la licence collective. Il en va de la pluralité, de la diversité, bref de la pérennité de la création culturelle en France. (Applaudissements sur la plupart des bancs)

Mme Catherine Tasca.  - Deux ans après la loi Dadvsi, le Parlement est de nouveau saisi du problème du piratage de masse des oeuvres musicales et cinématographiques. Le présent projet de loi, qui témoigne de l'échec de cette loi, nous invite à redéfinir les mécanismes de lutte contre le piratage et à actualiser notre réflexion sur la rémunération des artistes, sur l'accès de tous à la culture, sur le soutien à la création : autant d'objectifs d'une politique culturelle ambitieuse. Le défi n'est pas mince ; je ne suis pas certaine qu'il soit pleinement relevé.

Pourtant l'urgence est là. Je ne parle pas de la procédure d'urgence, à laquelle le Gouvernement a eu recours une fois de plus, mais de l'urgence face à l'effondrement de l'économie de la culture. On évalue à un milliard pour 2006 le nombre de fichiers d'oeuvres musicales échangés illégalement en France, avec des conséquences dramatiques pour le secteur du disque dont le marché avait baissé de 22 % en 2006 pour baisser encore de plus de 20 % durant les neuf premiers mois de 2007. La loi Dadvsi avait été l'occasion d'affrontements caricaturaux entre les partisans du « tout gratuit », aspiration illusoire, et les tenants d'une répression à grande échelle, aveugles aux pratiques nouvelles permises par la révolution numérique. Il est temps de mettre un terme à ce débat stérile.

Nous attendons trois choses de cette loi et tout d'abord, la réaffirmation du principe du droit d'auteur. Malmené par le piratage massif, ce droit est fragilisé dans le débat public. Les nouveaux usages sur internet reviennent à nier le lien entre l'oeuvre et son créateur. Il est donc nécessaire et urgent de rappeler la raison d'être du droit d'auteur et la nécessité d'en assurer le respect. Le droit d'auteur est à la fois le droit matériel à une juste rémunération et le droit moral de disposer personnellement de ses oeuvres. Il est la condition indispensable de l'émergence et de la vitalité de la création. C'est parce qu'il est assuré de pouvoir -plus ou moins bien- vivre de son oeuvre que l'artiste peut trouver sa juste place dans notre société. Le droit d'auteur est aussi, face à la puissance de certains producteurs, un rempart contre la marchandisation de la culture. L'abandon du droit d'auteur, cette conquête sociale, culturelle et politique, signerait l'arrêt de mort de la création. Cela reviendrait à sacrifier tout un tissu d'entreprises culturelles, avec de graves conséquences en termes d'emploi, mais aussi à renoncer à une ambition ancienne de la gauche : le soutien à la création originale. Car les premiers à subir les conséquences de la fin du droit d'auteur seraient les petites entreprises culturelles, les créateurs et les producteurs indépendants. Nous, socialistes, nous félicitons donc que le projet de loi réaffirme ce droit.

En second lieu, la révolution des techniques et des comportements ne peut être le prétexte à la remise en cause du droit d'auteur, sans issue alternative. Dans le débat sur les libertés et les droits fondamentaux, la seule liberté qui soit véritablement menacée ici, c'est celle des créateurs de disposer de leur oeuvre et d'en tirer une juste rémunération. Invoquer un droit fondamental d'accès à internet, alors qu'il s'agit moins d'un droit que d'une facilité, celle de télécharger sans contraintes, ne me paraît pas légitime. Dans notre société, tous les droits sont assortis d'obligations légales ou réglementaires et l'égalité d'accès à la culture n'a d'avenir que si elle se donne un certain nombre de règles qui s'imposent à tous, producteurs comme utilisateurs. Nos libertés s'inscrivent dans le respect d'un État de droit. Aujourd'hui les pratiques sur internet évoluent plus vite que le cadre juridique : raison de plus pour ne pas autoriser un usage illégal dont le premier résultat serait d'éliminer des pans entiers de la création. Sans nier le caractère perfectible de ce projet de loi, la mécanique dite de riposte graduée qu'il introduit paraît permettre, par sa logique pédagogique et de dissuasion, de ne pas ouvrir les vannes de façon irresponsable et irréparable.

Nous légiférons à un moment qui appelle des mesures d'urgence. Pour autant, la volonté de préserver le droit d'auteur par un mécanisme de dissuasion ne doit pas fournir le prétexte à un statu quo qui reviendrait à nier les aspirations culturelles des internautes. C'est ici que se situe le déséquilibre du texte. Vous disiez, madame la ministre, lors de votre audition par la commission des affaires culturelles que « la montée en puissance de l'offre ne se poursuivra qu'à condition que la lutte contre le piratage porte ses fruits ». Or, les accords dits Olivennes affirmaient la nécessité d'avancer dans un même mouvement à la fois contre le piratage et sur la montée de l'offre légale. Vous semblez conditionner l'offre légale à la lutte contre le piratage et participez par vos propos à entretenir un sentiment de défiance chez les internautes ; c'est la raison pour laquelle la responsabilité du Gouvernement est réelle dans l'opposition persistante entre internautes et créateurs. Nous ne voulons pas de cette guerre-là. Pour opérer la conciliation qui est l'esprit des accords Olivennes, il faut travailler à ce que le droit d'auteur conquière de nouveaux territoires et prenne le tournant de la révolution numérique tout en tenant compte des aspirations des internautes.

La situation vous crée, madame la ministre, au moins trois obligations. D'abord favoriser l'émergence et le développement de nouveaux services en ligne sur internet -je pense aux services du type Deezer, aux services de magnétoscope en ligne pour lesquels nous présenterons un amendement. Ils peuvent devenir pour les internautes des offres adaptées, faciles d'accès et bon marché en même temps qu'ils constituent des sources nouvelles de financement pour la création. Ensuite, revoir rapidement la chronologie des médias -nous déposons un amendement en ce sens- pour réduire la durée des fenêtres car le délai de la disponibilité de l'oeuvre est un mobile de téléchargement. Enfin, développer un véritable espace numérique public dense, riche et accessible, un service public à l'image de ce que sont aujourd'hui les médiathèques publiques pour la lecture. Sur toutes ces questions nous attendons de vous des signes clairs de votre volonté d'encourager cette révolution numérique dans le respect du droit d'auteur et au bénéfice de la culture et de ceux qui y aspirent.

Vous aurez compris que les sénateurs socialistes souhaitent soutenir ce texte ; ils seront donc attentifs à vos propos. (Applaudissements sur tous les bancs)

M. Richard Yung.  - Il s'agit tout d'abord d'un texte nécessaire car la loi Dadvsi a incontestablement échoué à contrecarrer le téléchargement illégal et le viol du droit moral des créateurs. En dépit des très lourdes sanctions prévues par cette loi -trois ans d'emprisonnement et 300 000 euros d'amende en cas de mise à disposition de logiciels d'échanges illicites-, toute une génération vit avec l'idée que les biens culturels doivent être gratuits et le pillage des oeuvres continue de faire des ravages dans l'industrie culturelle. Quel gâchis et que de temps perdu ! Le texte d'aujourd'hui aurait dû être adopté en 2006, en lieu et place du fourre-tout de la loi Dadvsi. Souvenons-nous de ce débat brouillon au cours duquel les positions du Gouvernement avaient varié d'un extrême à l'autre. La très polémique licence globale était venue parasiter l'examen d'un texte comprenant des dispositions totalement inapplicables.

La défense des créateurs doit être au coeur de nos préoccupations. Le respect de leurs droits est un impératif catégorique qui fonde notre exception culturelle. L'enjeu est immense car il s'agit de préserver un système unique en Europe -et même au monde- si nous ne voulons pas passer sous les fourches caudines de la culture anglo-saxonne. Sans droit d'auteur, Bizet, Gounod et Saint-Saëns n'auraient pu nous offrir leurs chefs-d'oeuvre et le cinéma français serait mort depuis longtemps. Mais il faut surtout penser aux jeunes créateurs dont le droit d'auteur consolide les premiers pas.

Ce projet de loi est équilibré dans la mesure où il concilie les droits des créateurs et la liberté des consommateurs-internautes. Il est indiscutablement plus adapté que le précédent à l'ère numérique et, contrairement à ce que certains essaient de nous faire croire, il ne s'agit pas d'un texte liberticide. Il est déraisonnable d'affirmer que l'accès à l'internet constitue une liberté fondamentale. A ma connaissance, aucune jurisprudence française n'a dégagé un tel principe. Si tel devait être le cas, qu'en serait-il alors de l'accès au téléphone ? Cela dit, il ne semble pas scandaleux que la suspension de l'abonnement soit prononcée par une autorité administrative indépendante, de surcroît composée de magistrats et de fonctionnaires chargés de fonctions juridictionnelles.

D'autres garanties doivent être soulignées : par exemple, les agents de l'Hadopl qui seront chargés du traitement des saisines seront astreints au secret professionnel et devront respecter un code de déontologie. Quant aux données qui leur seront transmises, elles ne porteront pas sur les correspondances des internautes et seront effacées à l'issue de la période de la suspension de l'abonnement. Par ailleurs, la possibilité de proposer une transaction aux internautes passibles d'une sanction me semble une solution intéressante, à mi-chemin entre pédagogie et sanction.

On aurait pu donner à l'Hadopi la possibilité de réduire le débit de la connexion internet afin d'empêcher les fraudeurs de récidiver.

Une critique majeure au projet de loi est qu'il fait l'impasse sur le développement de l'offre légale. Il y a en la matière une grande lenteur, une mauvaise volonté de certains : il conviendrait de faire comprendre aux parties concernées qu'il est urgent d'agir, au nom de la démocratisation de l'accès à la culture. Une plate-forme publique gratuite devrait être ouverte aux créateurs qui n'ont pas les moyens suffisants pour assurer eux-mêmes la diffusion de leurs oeuvres. La loi Dadvsi prévoyait un rapport sur ces questions : nous l'attendons toujours. Des dispositions connexes auraient pu être proposées, par exemple sur la protection de l'internaute contre l'exploitation de ses données personnelles. Néanmoins nous abordons ce texte utile dans un état d'esprit constructif.

Denis de Rougemont disait : « Toute oeuvre humaine, même la plus simple, exige et suppose un avenir. » Nous avons le devoir d'offrir un avenir aux oeuvres de l'avenir. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Alima Boumediene-Thiery.  - Sauver la création artistique et culturelle, c'est d'abord reconnaître les créateurs, notamment par la rémunération. Sauver la création, c'est ce qui nous motive, à l'inverse d'un gouvernement qui a fragilisé le régime de l'intermittence, qui assèche les recettes de l'audiovisuel public, qui boucle le budget du spectacle vivant en vendant le patrimoine, qui supprime la ligne culture de la politique de la ville.

Sauver la création, c'est reconnaître les créateurs et encourager le public spectateur, auditeur, participant. Pourtant, l'Hadopi néglige bien des catégories d'artistes et interprètes et n'envisage le public que comme délinquant. C'est pourtant bien le public qui a été, depuis dix ans, harcelé de publicités par les fournisseurs. Aux jeunes internautes, que l'on représente le casque sur les oreilles, les fournisseurs vantent « l'offre » de musique « gratuite » sans prévenir de ce qui est légal et ce qui ne l'est pas. L'Hadopi répond aux soucis des sociétés de perception, des bénéficiaires de droit d'exploitation, mais rien n'est fait pour qu'ils rémunèrent mieux les artistes.

Le rapport Besson veut faire d'internet le quotidien des citoyens : l'ordinateur familial servira pour le dépôt de plaintes... Et le présent texte envisage comme sanction la suspension de la connexion ! Le ministre Besson promet pour très bientôt « une deuxième phase de déploiement de l'administration électronique, avec une dématérialisation des échanges de bout en bout, et l'unification des sites d'accès aux services publics ». Où est la cohérence ?

L'amendement européen Bono-Cohn-Bendit n'est pas hors sujet dans le Paquet Télécom car ce n'est pas le tuyau qui fait la règle. Quand on transporte des contenus culturels, on ne peut négliger la propriété intellectuelle ou le respect de la vie privée. En revanche, je n'emploierais pas les termes « atteintes aux besoins élémentaires » ou « liberticide » pour qualifier ce projet de loi.

Vous nous proposez cependant un dispositif qui évince le juge et s'appuie sur des procédures ne séparant pas la fonction d'instruction et la fonction de poursuite. L'Hadopi aura une vocation régulatrice, préventive, certificatrice, répressive et même prescriptive... Bref, c'est un objet juridique non identifié. Nous ne voulons pas laisser les créateurs privés de la ressource liée à la diffusion de leurs oeuvres, mais nous devons tirer les leçons de la précédente loi. Elle était truffée de complexités technologiques et lestée d'armes répressives hors du commun : 300 000 euros et 3 ans de prison ! La majorité y voyait la solution parfaite, aujourd'hui elle ne jure que par ce nouveau texte. La loi a fait « pschitt », les DRM ont vécu  et des majors ont fait leur le principe forfaitaire, oubliant la juste rémunération des acteurs et interprètes.

Le seul point qui nous semblait positif dans la loi Dadvsi était la plate-forme publique de téléchargement ; or elle n'a pas été mise en oeuvre ! Cette loi n'a fait qu'ancrer dans la durée les pratiques de téléchargements qu'elle se proposait de réguler. Du reste, la majorité de ceux qui téléchargent illégalement ne pensent pas qu'ils commettent un délit, encore moins qu'ils menacent les revenus des artistes. Les ventes de CD et de DVD s'effondrent, les entrées en salles stagnent ? On désigne un seul responsable : le téléchargement. Comme si l'effondrement du pouvoir d'achat n'avait pas d'incidence ! Le budget des ménages est mobilisé sur l'essentiel : le loyer, l'alimentation, les soins, les déplacements. Et le téléphone portable, qu'un marketing habile a promu comme indispensable.

Madame la ministre, pensez-vous réellement que ce texte permettra la promotion et la reconnaissance des créateurs et des artistes interprètes tout en préservant l'accès à la culture pour tous ? Les élus Verts n'en sont pas convaincus ! Les créateurs ont besoin d'être rémunérés pour leur travail ; mais la création a aussi besoin d'être subventionnée. Or ce projet de loi n'apporte pas un centime de plus ! (Applaudissements sur les bancs socialistes et divers autres bancs)

Mme Christine Albanel, ministre.  - J'ai constaté en vous écoutant des divergences mais aussi des convergences. Nous sommes tous attachés au droit d'auteur, fidèles à une grande tradition française, qui reconnaît les actes de création et les créateurs. C'est, au-delà des clivages, une unité réconfortante !

Nous partageons aussi certains diagnostics sur la situation présente, alarmistes mais exacts. Vous l'avez compris, ce ne sont pas seulement les majors qui instrumentalisent les artistes. Vous l'avez perçu, la filière entière est touchée et les « arènes de l'indépendance», la semaine dernière, ont révélé toute l'inquiétude des petites entreprises, celles qui prennent le plus de risques et qui accomplissent un travail irremplaçable.

Une exigence d'équilibre traverse tout ce projet de loi. Nous avons choisi une démarche pédagogique, celle de la « réponse graduée », c'est-à-dire proportionnée aux actes et surtout dissuasive. Un avertissement est efficace pour faire prendre conscience de ce qu'il fait à l'internaute. Les sanctions sont éventuellement supportées par d'autres, les parents par exemple. Mais je vous opposerai le code de la route : le titulaire de la carte grise peut avoir à payer les amendes dues. Et la responsabilisation passe par cette mesure.

La Haute autorité sera le juge ; elle présente toutes les garanties de confidentialité et représente un écran entre les ayants droit et les pirates.

Oui, l'offre globale doit être développée, mais il y a là un processus industriel ; nous ne pouvons contraindre les industriels à produire et diffuser de telle ou telle façon -nous pouvons, en revanche, les y inciter. Du reste, voyez comme la vidéo à la demande a pris de l'ampleur ces derniers mois : de 20 à 43 serveurs, un triplement du nombre de films proposés, un prix raisonnable compris entre 1 et 5 euros, avec des abonnements intéressants. Le forfait est réparti, je le précise, au prorata du nombre de chargements.

Un mot des DRM. Nous avions prévu un délai d'adaptation pour les industriels mais les choses s'accélèrent et je ne doute pas que la suppression des DRM par Universal sera suivie sans doute par beaucoup d'autres.

Les exemples canadien et américain ont été cités. Quant à l'affaire de l'amendement Bono, je suis sensible à vos analyses.

Cet amendement n'a pas de portée juridique, comme l'a dit la commission. Il ne fait nullement obstacle à ce que chaque État se dote des meilleurs moyens de lutte contre les téléchargements abusifs mais il a un effet de brouillage, d'où l'importance de le retirer.

Si la liberté d'accès constitue une richesse et une commodité, parfois ressentie comme une nécessité, ce n'est pas une liberté fondamentale et, en tout cas, cette liberté doit se concilier avec les autres et respecter un cadre. La suspension d'accès chez soi n'interdit pas d'aller chez un voisin ou dans un cybercafé pour procéder à des formalités : ce n'est pas comme un permis de conduire dont la suspension interdit de conduire sa voiture et toutes les autres.

Oui, l'éducation est très importante ; aussi faut-il aller plus loin, introduire internet dans le code de l'éducation et l'intégrer aux programmes.

M. Retailleau a évoqué la question des amendes. Je continue à penser que cela créerait des inégalités et serait mal ressenti parce que l'on reviendrait aux peines naguère prévues, la prison...

M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis.  - Non ! Ce ne sont pas des peines pénales !

Mme Christine Albanel, ministre.  - Il y aurait des inégalités selon les revenus. Quant à l'idée qu'on ne peut pas découpler, je reviens aux accords de l'Élysée : cela y figurait et nous avons repris contact avec les professionnels, qui nous ont confirmé que les cas où un découplage se révélait impossible étaient extrêmement rares. La Haute autorité pourra alors prononcer d'autres injonctions, par exemple celle d'un logiciel empêchant le piratage. Je reste donc réservée sur la proposition des amendes même si elle enrichit le débat.

Je le redis, il n'y aura pas de fichage généralisé des réseaux. Les accords de l'Élysée envisageaient un marquage des oeuvres mais on ne sait pas par quelle technique et quel en serait le coût. Vous avez remarquablement décrit les brillantes accélérations des techniques mais si elles nous dépassent sans cesse, le texte est suffisamment souple pour s'adapter. Son objectif n'est pas d'éradiquer le piratage mais, c'est déjà beaucoup, de le faire diminuer massivement en favorisant les offres alternatives légales. Le projet ne porte pas à lui seul une politique culturelle mais on peut ne pas être trop mécontents de nos résultats. Notre cinéma moissonne les récompenses, qui bénéficie de soutiens financiers uniques en Europe. Nous portons une offre culturelle considérable. L'ambition française pour la culture est telle que l'Europe nous observe avec beaucoup d'attention. Elle qualifie de tentatives de bonnes pratiques l'expérience anglaise et la nôtre. Je me réjouis que cette défense de la création soit une ambition aussi largement partagée. (Applaudissements à droite et au centre)

La discussion générale est close.

Prochaine séance aujourd'hui, jeudi 30 octobre 2008, à 10 heures.

La séance est levée à minuit cinquante-cinq.

Le Directeur du service du compte rendu analytique :

René-André Fabre

ORDRE DU JOUR

du jeudi 30 octobre 2008

Séance publique

A 10 HEURES,

Suite de la discussion du projet de loi (n° 405, 2007-2008) favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet (Urgence déclarée) ;

Rapport (n° 53, 2008-2009) de M. Michel Thiollière, fait au nom de la commission des affaires culturelles.

Avis (n° 59, 2008-2009) de M. Bruno Retailleau, fait au nom de la commission des affaires économiques.

À 15 heures et le soir

Questions d'actualité au Gouvernement.

Suite de l'ordre du jour du matin.

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DÉPÔTS

La Présidence a reçu de :

- M. Laurent Béteille un rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale sur la proposition de loi visant à prolonger l'application des articles 3, 6 et 9 de la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers (n° 39, 2008-2009).

- M. Jean-Jacques Hyest un rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale sur la proposition de loi visant à réformer le statut des dirigeants de sociétés et à encadrer leurs rémunérations (n° 54, 2008-2009).

- Mme Marie-Hélène Des Esgaulx un rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale sur la proposition de loi tendant à allonger le délai de prescription de l'action publique pour les diffamations, injures ou provocations commises par l'intermédiaire d'Internet (n° 423, 2007-2008).

- M. Jean Faure un rapport fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur le projet de loi portant dispositions relatives à la gendarmerie nationale (n° 499, 2007-2008).

- M. Roland du Luart un rapport d'information fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation sur la gestion de l'aide juridictionnelle par les caisses autonomes de règlements pécuniaires des avocats (Carpa).

- M. Alain Fouché une proposition de loi relative à l'aide active à mourir.

- M. Jean-Claude Etienne une proposition de loi relative à la création d'une première année commune aux études de santé et facilitant la réorientation des étudiants.

- M. Jean-Patrick Courtois un avis présenté au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale sur le projet de loi portant dispositions relatives à la gendarmerie nationale (n° 499, 2007-2008).