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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Décès d'un ancien sénateur

Mission temporaire

Déclaration d'urgence

Saisine du Conseil constitutionnel

Questions orales

Prise en charge des enfants autistes

Devenir du Creps de Franche-Comté

Habilitation à la maîtrise d'oeuvre en nom propre

Agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles

Situation de l'entreprise Marbot-Bata

Commémorations publiques

Indemnisation des calamités agricoles

Conditions d'emprunt des collectivités territoriales

Résidences pour seniors

Site Wabco à Claye-Souilly

Gestion des impôts locaux

Maïs Mon 810

Produits contenant de l'amiante

Transports ferroviaires de proximité

Barreau de Gonesse

Situation du planning familial

Avenir des associations agissant dans les champs scolaire et périscolaire

Loi pénitentiaire (Urgence)

Mise en oeuvre de nouvelles procédures

Rappels au Règlement

Discussion générale

Rappels au Règlement

Discussion générale (Suite)

Rappel au Règlement

Loi pénitentiaire (Urgence - Suite)

Discussion générale (Suite)

Question préalable

Discussion des articles

Titre préliminaire (avant l'article premier A)

Articles additionnels

Article premier A

Article additionnel

Article premier

Article 2




SÉANCE

du mardi 3 mars 2009

72e séance de la session ordinaire 2008-2009

présidence de M. Jean-Claude Gaudin,vice-président

Secrétaires :

M. Jean-Pierre Godefroy, M. Daniel Raoul.

La séance est ouverte à 10 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Décès d'un ancien sénateur

M. le président.  - J'ai le regret de vous rappeler le décès de notre ancien collègue André Rabineau, sénateur de l'Allier de 1972 à 1989.

Mission temporaire

M. le président.  - Par courrier en date du 23 février 2009, M. le Premier ministre a fait part de sa décision de placer, en application de l'article L.O. 297 du code électoral, M. François Zocchetto, sénateur de la Mayenne, et M. François-Noël Buffet, sénateur du Rhône, en mission temporaire auprès de M. le ministre chargé de la mise en oeuvre du plan de relance.

Cette mission portera sur une première évaluation de la mise en place du plan de relance.

Acte est donné de cette communication.

Déclaration d'urgence

M. le président.  - Par lettre en date du 20 février 2009, M. le Premier ministre a fait connaître à M. le Président du Sénat qu'en application de l'article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement déclare l'urgence du projet de loi pénitentiaire.

Saisine du Conseil constitutionnel

M. le président.  - M. le président du Sénat a reçu de M. le président du Conseil constitutionnel une lettre par laquelle il informe le Sénat que le Conseil constitutionnel a été saisi le 24 février 2009, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, par soixante sénateurs et plus de soixante députés, d'une demande d'examen de la conformité à la Constitution de la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion.

Le texte de la saisine du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.

Acte est donné de cette communication.

Questions orales

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les réponses du Gouvernement à dix-sept questions orales. M. Bernard Laporte, je me réjouis avec vous des succès obtenus lors des matchs de rugby de ces derniers jours... mais vous nous manquez dans les tribunes ! (Sourires)

Prise en charge des enfants autistes

Mme Marie-Thérèse Hermange.  - La prise en charge des enfants atteints d'autisme ou de troubles envahissants du développement (TED) n'est pas délaissée par le Gouvernement puisque vous avez annoncé le 16 mai dernier, avec Xavier Bertrand et Valérie Létard, le plan autisme pour 2008-2010, dans la continuité du premier plan de 2005-2007. Toutefois, la mise en place et le renouvellement de ces plans témoignent de l'absence d'une politique continue dans ce domaine. Du fait de l'absence de reconnaissance de l'autisme infantile spécifique à notre pays, la France est en retard pour la prise en charge de ce handicap.

Malgré les progrès que ces annonces laissent espérer, les interrogations qui subsistent inquiètent de nombreuses associations de familles. Ne trouvant pas de structures d'accueil adéquates, beaucoup de parents sont contraints de chercher une solution en Belgique. L'approche éducative de l'autisme est, en outre, insuffisamment développée. Certaines méthodes très connues à l'étranger mais non validées en France, telle l'analyse appliquée du comportement (ABA), ne peuvent être expérimentées. Les études neurologiques révèlent pourtant la plasticité du cerveau de l'enfant et ses possibilités d'évolution.

Vous avez annoncé le renforcement de la place des familles dans la réflexion sur l'autisme, la création de structures de prise en charge de taille humaine ainsi que l'expérimentation de nouveaux modèles d'accompagnement. Quels sont les critères déterminant les projets financés par le plan autisme ? Pourquoi la France, condamnée par le Conseil de l'Europe en 2004, ne reconnaît-elle toujours pas l'autisme conformément aux critères de l'OMS ? Pourquoi le diagnostic de psychose infantile n'a-t-il toujours pas été aboli, comme le préconise la Haute autorité de santé depuis 2005 ?

M. Bernard Laporte, secrétaire d'État chargé des sports.  - Le financement de projets dans le cadre du plan autisme permettra de diversifier l'offre d'accueil et d'accompagnement. 4 100 places supplémentaires et de nouveaux modèles d'intervention, inspirés d'approches menées à l'étranger, seront créés d'ici cinq ans.

Les services de l'État ont été chargés d'instruire les projets innovants dans une approche constructive, au besoin selon des procédures expérimentales. Compte tenu du décalage encore important entre l'offre et la demande de prise en charge, ils ont été incités à faire preuve d'ouverture et de célérité tout en veillant au respect de la dignité et de l'intégrité des personnes et à la qualité et l'évaluation des prises en charge.

Un cahier des charges national avec les professionnels concernés, en cours d'élaboration, permettra d'assouplir le cadre réglementaire et de mieux répondre aux aspirations des familles. L'Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux doit rédiger une recommandation sur les critères de qualité des interventions en direction des autistes afin d'éviter les dérives et pratiques dangereuses.

En 2005, la Fédération française de psychiatrie, avec la Haute autorité de santé, a recommandé d'adopter la classification internationale des maladies intégrant l'autisme parmi les troubles envahissants du développement. Les professionnels en ont été informés par le ministère chargé de la santé en 2006. En décembre 2008, des recommandations « courtes » ont été adressées aux professionnels de santé dits de première ligne -médecin généralistes, pédiatres, etc.

Le Gouvernement a pris la mesure de l'urgence à proposer des solutions aux patients et à leurs familles. Le ministère de la santé et des sports, en collaboration avec le secrétariat d'État chargé de la solidarité, poursuivra ses efforts dans cette voie.

Mme Marie-Thérèse Hermange.  - Les élus locaux, comme les familles, espèrent que les projets seront étudiés avec célérité et souplesse ; il ne faut pas être trop procédurier, même si des critères de qualité sont nécessaires.

Devenir du Creps de Franche-Comté

M. Gérard Bailly.  - Je suis heureux que vous soyez là pour me répondre, monsieur le secrétaire d'État, car la disparition du Centre régional d'éducation populaire et de sport (Creps) de Franche-Comté suscite localement beaucoup d'inquiétude. Cette décision annoncée en décembre dernier, sans concertation préalable avec les élus locaux, le mouvement sportif ou le personnel, sera effective le 1er septembre 2009. Ce délai est trop court pour envisager le reclassement de la quarantaine d'agents du Creps afin que les agents de Chalain puissent rejoindre le site de Prémanon.

Ces deux sites ont fait l'objet, ces dernières années, d'importants investissements des conseils généraux, du conseil régional et de l'État. Monsieur le ministre, si vous confirmez la fermeture du centre de Chalain, qu'envisagez-vous pour son transfert ? Il y a urgence : en juillet-août, ce magnifique site risque de ressembler à une friche car son directeur, ne sachant s'il disposera de personnel, ne prend aucune inscription de stagiaires pour cet été.

Nous souhaitons que le centre de Prémanon perdure comme un établissement autonome. Les élus sont fortement opposés à son éventuel transfert sous la tutelle juridique de l'École nationale de ski et d'alpinisme de Chamonix car cela reviendrait à gommer les spécificités et l'excellence de la filière de ski de fond et serait défavorable pour le Jura et la Franche-Comté. Le Centre national de ski nordique de Prémanon reçoit des athlètes de haut niveau en séjours d'entraînement et le Jura a accueilli en 2008 deux manifestations importantes : sélections du championnat du monde et championnat de France. La région et les départements ont contribué à la rénovation et à la construction d'équipements, à hauteur de 10 millions d'euros sur deux ans, et le conseil général du Jura a voté pour 2009 une participation financière à l'extension du stade de biathlon des Tuffes.

Sachant combien sont lourdes pour le département les conséquences en termes d'économie, d'emplois et de rayonnement sportif, j'aimerais avoir toutes les assurances d'une part, sur le devenir du site de Chalain et les mesures envisagées pour les personnels et d'autre part, sur les perspectives envisagées pour le site de Prémanon.

M. Bernard Laporte, secrétaire d'État chargé des sports, de la jeunesse et de la vie associative.  - La restructuration que vous évoquez entre dans le cadre plus large de la réorganisation du réseau des établissements du ministère décidée par le comité de coordination des politiques publiques et tient compte des orientations pour le sport de haut niveau que j'ai annoncées en décembre dernier dans la perspective des Jeux olympiques de Londres, en 2012, et qui visent à former une élite sportive plus resserrée mais plus performante. Les Creps ayant principalement vocation à accueillir ces athlètes, il aurait été incohérent de ne pas prévoir le resserrement d'un réseau recentré sur son coeur de métier, soit les formations dites « en environnement spécifique », dans des secteurs où n'existe aucune offre venant du secteur privé, marchand ou associatif.

Le site de Chalain, quelles que soient la qualité du travail réalisé au cours des dernières années par les personnels et la qualité des infrastructures, n'accueillant aucun pôle sportif de haut niveau, ne répond plus à ces objectifs nouveaux. Une concertation a été conduite sous l'égide du préfet de région pour réfléchir à son avenir. Le conseil général du Jura a indiqué qu'il était susceptible de reprendre le site et d'y maintenir une activité. Il souhaite, dans ce cadre, bénéficier de conditions financières particulières. J'ai demandé à mes services, en coordination avec ceux d'autres ministères, d'étudier cette hypothèse au regard des règles nouvelles de gestion du patrimoine de l'État. J'espère pouvoir disposer d'éléments de réponse dans les prochains jours. Quant au personnel de Chalain, il bénéficiera de l'appui des structures d'aide individualisée au reclassement que j'ai mises en place en janvier.

Concernant le site de Prémanon, qui accueille le Centre national du ski nordique, il est effectivement envisagé d'en faire, avec l'École nationale de Chamonix et le site de Vallon-Pont-d'Arc l'un des piliers d'un ensemble plus large dédié au secteur de la montagne. Prémanon a tout à gagner à ce rapprochement. Mon intention n'est en aucun cas de transférer l'activité de ski de fond en Rhône-Alpes, mais bien de renforcer le site. Nous sommes conscients de l'effort consenti par les collectivités pour doter la région d'équipements de ski nordique modernes. Notre partenariat va se poursuivre et Prémanon disposera d'une large autonomie de gestion et de décision dans ses domaines d'excellence. Nous pourrons présenter l'ensemble du projet aux élus et partenaires de la région Franche-Comté en avril prochain.

J'ajoute que la restructuration sera l'occasion de pourvoir certains postes restés depuis plusieurs années vacants au sein des services « jeunesse et sports » de la région et de remettre ainsi les effectifs à niveau. Prémanon est un site excellent, il mérite d'être mieux connu. Il n'est pas normal que certains athlètes partent faire leur stage à l'étranger alors que l'on dispose de telles infrastructures.

M. Gérard Bailly.  - Je vous remercie de ces précisions, qui rassureront les élus jurassiens. Un mot sur le site de Chalain, que je connais bien puisqu'il est situé dans mon canton : ses équipements sportifs, s'ils restent en fonction, peuvent apporter beaucoup à l'économie et à l'emploi. Il serait bon qu'ils puissent fonctionner cet été sans rupture, fût-ce avec le personnel de l'État, le temps que la collectivité, sachant que le conseil général a déjà beaucoup investi, prenne le relai.

Habilitation à la maîtrise d'oeuvre en nom propre

M. Bernard Piras.  - Le décret du 30 juin 2005 relatif aux études d'architecture et l'arrêté du 20 juillet 2005, complété par l'arrêté du 10 avril 2007, définissent, pour les architectes diplômés d'État, les conditions d'habilitation à la maîtrise d'oeuvre en nom propre, qui permet à ses titulaires d'endosser personnellement les responsabilités de l'architecte, prévues aux articles 3 et 10 de la loi du 3 janvier 1977 sur l'architecture, et de s'inscrire à l'ordre des architectes. Délivrée aux titulaires d'un diplôme d'État d'architecte au terme d'une formation d'un an organisée par les écoles nationales d'architecture, elle demande, sauf dispense expresse, une mise en situation professionnelle d'au moins six mois faisant l'objet d'un contrat tripartite passé entre la structure d'accueil, l'architecte diplômé d'État et l'école d'architecture.

Ma question est double. Les architectes diplômés issus de la formation continue diplômante, donc déjà en situation professionnelle, peuvent-ils, lorsqu'ils travaillent en milieu public, qu'ils soient titulaires on non de la fonction publique, effectuer leur mise en situation au sein de leur structure publique ? Les architectes diplômés d'État issus de la formation initiale peuvent-ils effectuer leur mise en situation dans un milieu public ? La question est bien de la qualification des agents du secteur public : la possibilité leur est-elle offerte de se former en école nationale d'architecture et d'obtenir l'habilitation ?

M. Bernard Laporte, secrétaire d'État chargé des sports, de la jeunesse et de la vie associative.  - L'article 10 du décret concerné dispose que la formation conduisant à l'habilitation de l'architecte diplômé d'État à exercer la maîtrise d'oeuvre en son nom propre comprend et associe des enseignements théoriques, des enseignements pratiques et techniques délivrés au sein de l'école d'architecture et une mise en situation professionnelle encadrée, qui s'effectue dans les secteurs de la maîtrise d'oeuvre architecturale et urbaine. Son article 12, s'il précise que cette mise en situation professionnelle encadrée doit s'effectuer dans les milieux de la maîtrise d'oeuvre, plaçant ainsi l'architecte en situation de maître d'oeuvre, ne précise pas, en revanche, la nature de l'organisme, privé ou public, chargé d'accueillir l'architecte dans ce cadre.

En l'absence de cette précision, l'exercice de la mise en situation professionnelle est préconisé dans le cadre d'une agence d'architecture privée, les différents services publics n'étant généralement pas maîtres d'oeuvre mais plutôt maîtres d'ouvrage. Cependant, il appartient aux écoles nationales supérieures d'architecture d'apprécier, par l'intermédiaire de leur commission ad hoc, la conformité des fonctions exercées, dans le cadre de la mise en situation professionnelle, par l'architecte avant la signature du contrat tripartite.

M. Bernard Piras.  - Votre réponse me satisfait. Il faudrait adresser un courrier aux directeurs des écoles d'architecture afin de bien clarifier les choses en amont, dès l'entrée en formation.

Agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles

Mme Esther Sittler.  - Les agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM) doivent être titulaires d'un CAP petite enfance et sont sélectionnés sur concours. Cette double condition pose problème dans les petites communes.

Le nombre de concours organisés ne leur permet pas de faire face à leurs besoins de recrutement. Ainsi, dans le Bas-Rhin, aucun concours n'est prévu en 2009 et aucun n'a été organisé en 2008. Or, pour être titularisées, les personnes recrutées par les communes doivent passer ce concours dans les deux ans suivant leur embauche. Les maires sont donc contraints de se séparer de personnels qui leur donnent pourtant entière satisfaction.

En outre, pour des personnes bien souvent mères de famille et exerçant une activité d'assistante maternelle agréée mais sans qualification, certaines épreuves du concours telles que la connaissance de l'organisation administrative de la France se révèlent bien trop difficiles. Or, la compétence et l'expérience professionnelles de ces personnes seraient tout à fait utiles dans les communes rurales.

Ne conviendrait-il pas, monsieur le ministre, d'accroître la fréquence des concours et d'aménager les épreuves afin de les rendre plus accessibles ?

M. Bernard Laporte, secrétaire d'État chargé des sports, de la jeunesse et de la vie associative.  - Comme pour tous les cadres d'emplois de catégorie C accessibles par concours, la réglementation prévoit que le concours d'ATSEM est organisé soit par les centres de gestion, soit par les collectivités et établissements non affiliés à ces centres. Dans les faits, il est cependant le plus souvent organisé par les centres de gestion non seulement pour les collectivités affiliées mais également par convention pour celles qui ne le sont pas. Des règles particulières régissent l'organisation des concours, notamment en ce qui concerne le nombre de postes à ouvrir.

Conformément à l'article 43 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, le nombre de postes ouvert au concours est déterminé par le centre de gestion en fonction du nombre de nominations de candidats inscrits sur la liste d'aptitude établie à l'issue du précédent concours, du nombre de fonctionnaires du même cadre d'emplois pris en charge par le centre de gestion et des besoins prévisionnels des collectivités territoriales. Les concours peuvent donc ne pas être organisés de façon régulière.

Si certaines communes ont recruté sans concours des agents contractuels pour faire face aux besoins immédiats, il leur appartient de déclarer leurs vacances d'emplois et leurs créations de postes au centre de gestion afin que celui-ci puisse organiser un concours.

Le groupe de travail chargé, au sein du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, du réaménagement des concours et des mécanismes de recrutement dans la fonction publique territoriale a engagé depuis plusieurs mois une réflexion tendant à adapter les épreuves des concours du secteur médico-social aux besoins des employeurs locaux. Il s'agit de mettre l'accent sur la vérification des aptitudes et des motivations des candidats. En ce qui concerne le recrutement des ATSEM, le groupe de travail poursuit plusieurs pistes de réflexion afin d'élargir le vivier des candidats. L'une consisterait à conserver l'architecture actuelle des épreuves du concours externe -une épreuve écrite d'admissibilité sous forme de QCM et une épreuve orale d'admission consistant en un entretien avec un jury- tout en professionnalisant leur contenu. Les questions relatives à l'organisation institutionnelle de la France ne porteraient que sur quelques sujets simples. Les agents seraient informés de l'environnement institutionnel de leur profession au cours de la formation d'intégration et de professionnalisation à laquelle tous les fonctionnaires de catégorie C ont désormais accès. Une autre piste consisterait à mettre en place un second concours externe réservé aux candidats titulaires du diplôme requis et justifiant d'une expérience professionnelle dans le domaine de la petite enfance ; ce concours consisterait en une seule épreuve d'entretien, qui pourrait comporter une première phase de conversation avec le jury portant sur les connaissances du candidat dans le domaine de la petite enfance et sur ses motivations et une seconde phase de mise en situation afin d'apprécier son aptitude.

Mme Esther Sittler.  - J'espère que ces réflexions, qui vont dans le bon sens, déboucheront sur des mesures concrètes. Veuillez transmettre mes remerciements à M. le secrétaire d'État chargé de la fonction publique.

Situation de l'entreprise Marbot-Bata

M. Claude Bérit-Débat.  - Le ministère de la défense a décidé de ne plus faire appel à la société Marbot-Bata, implantée dans la commune de Neuvic en Dordogne, pour la fabrication de brodequins destinés à l'armée de terre. Les raisons avancées pour justifier cette décision qui condamne une usine et pénalise toute une région ne sont pas convaincantes : l'armée a reconnu depuis longtemps le savoir-faire breveté de l'entreprise périgourdine. Le ministère veut faire appel désormais à une société allemande, Meindl, et à la société Argueyrolles qui sous-traite une partie de sa production en Tunisie.

Vous imaginez l'incompréhension de la direction et le désarroi des salariés de Marbot-Bata. L'appel de cette décision auprès du tribunal administratif de Versailles vient d'être rejeté, ce qui sonne le glas d'une entreprise qui vend 70 % de sa production à l'armée. Déjà en chômage partiel, les salariés de l'entreprise vont bientôt connaître le chômage tout court. Voilà comment un obscur raisonnement sur l'ergonomie de brodequins met en péril la survie d'une entreprise et le maintien de 75 emplois dans un bassin économique déjà affecté par le recul de l'industrie de la chaussure.

Cette décision vient après l'annonce de la fermeture, en 2014, de l'Escat 24 à Bergerac, qui emploie 124 personnes dont 113 civils, dans le cadre de la restructuration des activités de défense nationale et de la révision de la carte militaire. Certes, l'armée n'a pas pour mission de créer des emplois mais le Gouvernement pourrait s'abstenir d'en faire un outil à délocaliser !

Les élus et les citoyens de Dordogne s'interrogent sur la stratégie de l'État : n'ont-ils pas entendu le Président de la République affirmer que les usines devaient rester en France ? C'est un comble de voir qu'alors que le chef de l'État en appelle au patriotisme économique, l'armée française délocalise ses commandes !

La crise fait sentir ses effets en Dordogne, où le taux de chômage a augmenté de 17 % en un an. Quelles mesures le Gouvernement compte-t-il prendre pour sauver cette entreprise et mettre en concordance ses paroles et ses actes ?

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la défense et aux anciens combattants.  - Le ministère de la défense, par l'intermédiaire de l'état-major de l'armée de terre, a annoncé sa volonté d'équiper son personnel de nouvelles chaussures de combat mieux adaptées aux conditions d'engagement actuelles des unités. Il était temps ! L'armée française est moins bien équipée que celles des pays voisins et j'ai pu constater, lors de mes visites auprès des unités, que cette réforme était attendue.

Un appel d'offres a été lancé au niveau européen : c'est la loi, et il n'y a rien à y redire. Plusieurs entreprises ont soumissionné, y compris Marbot-Bata. Mais le ministère de la défense n'a pas encore annoncé son choix car l'ouverture du marché public n'a toujours pas été officiellement notifiée : cette phase de la procédure a été suspendue à cause d'un recours précontractuel introduit par l'entreprise Marbot-Bata auprès du tribunal administratif de Versailles. Mais le tribunal vient de rejeter ce recours et la notification du marché peut désormais avoir lieu.

Devant ces marques de mécontentement, M. le ministre de la défense a reçu personnellement mercredi 28 janvier 2009 le directeur de Marbot-Bata, M. Jean-Claude Jégou, et le maire de la commune de Neuvic-sur-l'Isle. Il est vrai que cette entreprise est très fortement dépendante des marchés de la défense, faute d'avoir suffisamment diversifié ses activités ; M. le ministre, soucieux de cette situation, a demandé que l'on prête une attention particulière aux autres commandes de la marine et de l'armée de terre dont l'entreprise pourrait bénéficier.

En ce qui concerne la restructuration des implantations militaires, le ministère de la défense, en liaison avec le ministère chargé de l'aménagement du territoire et avec les acteurs locaux, veille à ce que les sites concernés fassent l'objet de mesures d'accompagnement et de redynamisation adéquates.

M. le ministre de la défense est attentif à ce que la transition soit la plus douce possible pour l'entreprise Marbot-Bata, qui doit diversifier ses activités mais qui continuera à bénéficier de marchés publics.

M. Claude Bérit-Débat.  - L'entreprise Marbot-Bata comptait près de 2 000 salariés dans les années 1980 mais elle a subi de plein fouet la crise de la chaussure et n'en emploie plus aujourd'hui que 75. Elle a recentré ses activités sur les marchés de l'armée, et les chaussures qu'elle produit satisfont les soldats. (M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État, se montre dubitatif)

Certes, l'entreprise est capable de s'adapter. Mais aujourd'hui, 70 % de sa production sont mis en péril ! Si l'on ajoute aux 75 emplois ainsi menacés les 130 postes supprimés du fait de la fermeture annoncée de l'Escat 24, c'est un coup dur pour notre département !

A l'heure où l'on prône le « patriotisme économique », l'État devrait s'appliquer ce principe.

Commémorations publiques

M. Jean-Jacques Mirassou.  - La commission de réflexion sur la modernisation des commémorations publiques, présidée par M. Kaspi, a constaté que les commémorations connaissent en France une véritable désaffection. Il est important de réfléchir à l'avenir de notre politique mémorielle afin d'accompagner l'évolution de notre société et de répondre aux attentes des jeunes, qui considèrent trop souvent ces commémorations comme une tradition passéiste. Elles sont pourtant un outil pédagogique indispensable et le moyen de transmettre d'une génération à l'autre les leçons de l'Histoire.

Certains errements ont contribué à cette désaffection : je pense par exemple au choix parfaitement arbitraire de la date du 5 décembre pour rendre hommage aux morts des combats d'Afrique du Nord, alors que la date du 19 mars eût été beaucoup plus pertinente.

Le rapport de la commission Kaspi a été rendu public. Dans une lettre d'accompagnement vous écrivez, monsieur le ministre, que la commission a sollicité l'avis de tous les acteurs. Or ses conclusions suscitent des interrogations, voire des contestations, au sein du monde combattant. La commission propose de réduire de douze à trois le nombre des journées de commémoration nationale : ne subsisteraient plus que le 8 mai, le 14 juillet et le 11 novembre.

Les autres dates seraient laissées à la discrétion des collectivités territoriales, ce qui revient à instaurer une hiérarchie entre les dates à portée nationale et celles qui ne seraient qu'à portée locale. Le monde combattant y voit une dévalorisation. J'étais récemment à une assemblée générale des anciens combattants de Haute-Garonne ; tous les orateurs ont dit leur hostilité à une telle hiérarchisation. Le monde combattant souhaite même que l'on ajoute au calendrier mémoriel la création du Conseil national de la Résistance, le 27 mai 1943.

Quel sort réservez-vous au rapport Kaspi ? Allez-vous enfin consulter toutes les parties prenantes ?

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la défense et aux anciens combattants.  - Le rapport de la commission de réflexion sur la modernisation des commémorations publiques, présidée par l'historien André Kaspi, a été remis au Gouvernement le 12 novembre 2008, à l'issue d'une année de réflexion et de larges consultations effectuées au sein du monde combattant. Ce rapport a mis en évidence la conjonction d'une augmentation significative du nombre de commémorations nationales entre 1999 et 2003 et de la désaffection du public vis-à-vis de ces commémorations. Alors que six dates commémoratives avaient été crées entre 1880 et 1999, six nouvelles dates ont enrichi notre calendrier commémoratif entre 1999 et 2003. Et des associations demandent la création de nouvelles dates commémoratives nationales, pour honorer l'armée d'Afrique ou la première réunion du Conseil national de la Résistance. Chaque fois que des personnes veulent commémorer un événement, une tragédie, un combat, ce souhait doit être respecté ; encore faut-il que le public se sente concerné. Les difficultés d'organisation sont réelles !

La commission Kaspi s'est légitimement inquiétée de cette inflation mémorielle qui va de pair avec la difficulté des autorités publiques à mobiliser un public large et renouvelé autour des commémorations publiques existantes. C'est pourquoi elle a proposé de mieux valoriser les trois commémorations les plus fédératrices de notre communauté nationale et de renouveler les rites commémoratifs afin de pérenniser et de renouveler le public assistant à ces commémorations.

Dans ma commune, j'ai engagé un renouvellement des pratiques commémoratives, qui implique les jeunes générations. Le 11 novembre, j'ai réussi à entraîner des centaines de jeunes, ce qui a donné une autre dimension à ces manifestations.

Le Gouvernement a clairement affirmé qu'il n'était pas dans son intention de supprimer, ni même de hiérarchiser, les commémorations nationales existantes. Il n'est pas non plus dans ses intentions d'introduire une quelconque concurrence des mémoires. Son rôle est au contraire de valoriser tous les pans de notre mémoire nationale, sans exclusive, en s'assurant également de la bonne transmission de ces mémoires plurielles en direction des jeunes générations. J'ai été très clair là-dessus quand le rapport Kaspi a été rendu public : notre intention est seulement d'en garder le meilleur, c'est-à-dire ce qui peut renforcer nos commémorations nationales et valoriser la démarche mémorielle.

M. Jean-Jacques Mirassou.  - Vos propos relèvent de la déclaration d'intentions, même si celles-ci sont bonnes. Reste que disparaissent les commémorations de l'appel du 18 juin, des victimes de la déportation ou de l'action des Justes. Ce n'est pas bienvenu à un moment où, entre les discours des négationnistes et les actes répugnants de ceux qui profanent les cimetières, le racisme et la xénophobie reviennent en force. Je ne connais sans doute pas le monde combattant aussi bien que vous mais je le connais assez pour mesurer son inquiétude. Ses réactions seront vives, si les choix du rapport Kaspi sont maintenus.

Indemnisation des calamités agricoles

M. Daniel Raoul.  - M. Guillaume, retenu lui aussi dans la Drôme pour les raisons que chacun devine, m'a chargé de vous poser sa question, monsieur le ministre. Je suis d'ailleurs très sensible à votre présence personnelle parmi nous ce matin.

A la suite du gel du printemps 2008, les arboriculteurs drômois sinistrés ont déposé des dossiers de demande d'indemnisation au titre des calamités agricoles auprès de la Direction départementale de l'agriculture et de la forêt. La demande de certains d'entre eux a été rejetée parce qu'ils étaient indemnisés par une assurance privée souscrite pour se prémunir du risque de perte d'exploitation consécutive à des événements climatiques. De plus en plus d'agriculteurs, encouragés par le ministère de l'agriculture, souscrivent de telles assurances individuelles. Cela nous rappelle une proposition de loi de nos collègues du RDSE.

Or l'indemnisation liée à ces contrats est parfois très inférieure à la compensation financière que ces arboriculteurs auraient reçue de l'État au titre des calamités agricoles s'ils n'avaient pas été assurés à titre individuel. Un arboriculteur drômois ayant versé 9 000 euros de cotisation annuelle à son assureur a été indemnisé par celui-ci, pour le gel du printemps 2008, à hauteur de 47 000 euros alors que, sans assurance, il aurait perçu 62 500 euros au titre des calamités agricoles tout en économisant les 9 000 euros de la cotisation d'assurance. Dans la Drôme, une quarantaine d'arboriculteurs sont ainsi punis pour avoir été trop prudents et avoir suivi vos conseils, alors que le ministère de l'agriculture encourage le monde agricole à une généralisation de l'assurance récolte !

Je sais bien que, dans le cadre de la réforme de la politique agricole commune, vous avez attribué 100 millions aux calamités climatiques et 40 aux risques sanitaires. Nous attendons du Gouvernement un réexamen de la situation des arboriculteurs drômois pénalisés afin qu'au minimum, l'indemnité pour calamités agricoles complète l'indemnisation versée par l'assureur et qu'il y ait équité entre les exploitants assurés et les autres. Je sais que vous avez fait des propositions en ce sens dans le cadre de l'article 68...

M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture et de la pêche.  - Je n'oublie pas que j'ai eu l'honneur de siéger au Sénat !

Je me suis rendu dans la Drôme au printemps 2008 pour mesurer sur place la détresse de ces agriculteurs qui, outre le gel, avaient subi tempête et grêle.

Les arboriculteurs drômois touchés par le gel du printemps 2008, qui étaient couverts par un contrat d'assurance multirisque climatique, n'ont pas bénéficié des indemnisations du Fonds national de garantie des calamités agricoles (FNGCA). Or, dans certains cas, l'indemnisation de leur assurance s'est avérée inférieure à l'indemnisation publique à laquelle ils auraient pu prétendre s'ils n'avaient pas souscrit d'assurance, du fait notamment des clauses librement et contractuellement choisies. Vous avez dit qu'ils ont suivi mes conseils : en fait, ces contrats ont été souscrits avant mon arrivée au ministère...

Cette situation exceptionnelle s'explique par la conjonction de plusieurs facteurs. Le caractère forfaitaire de l'indemnisation du Fonds national ne permet pas de prendre en compte les spécificités de chaque situation personnelle. De plus, cette indemnisation est calculée sur l'ensemble des pertes déclarées par l'exploitant sur les cultures reconnues sinistrées au titre des calamités tandis que, dans le dispositif assurantiel, les pertes directement liées à l'événement climatique en cause sont clairement déterminées et font, seules, l'objet d'une indemnisation. Enfin, le taux d'indemnisation par le Fonds national des pertes liées au gel de printemps 2008 a été exceptionnellement majoré de dix points. Ce niveau exceptionnel de l'indemnisation publique contribue à expliquer qu'elle ait pu, dans certains cas, dépasser l'indemnisation versée par l'assurance.

La couverture des exploitants contre les aléas climatiques étant une priorité de mon ministère, les exploitants concernés ont été identifiés et leur situation fait l'objet d'un examen attentif. Je souhaite qu'ils ne soient pas découragés de s'assurer et je prendrai des décisions à leur égard dès que l'inventaire en cours sera achevé.

L'actuel système assurantiel n'est pas attractif et je donne un coup de chapeau à ceux qui ont eu le mérite d'y avoir recours. Le budget pour 2009 prévoit de financer un premier système de mutualisation des assurances récoltes et, dans la révision actuelle de la PAC, nous avons provisionné 100 millions pour prendre en charge une partie des primes d'assurances. Nous sommes donc dans une période de transition, ce qui explique l'intervention temporaire du Fonds national, en attendant le système général d'assurances que nous voulons créer, dans le cadre de la PAC, pour les récoltes mais aussi pour les risques sanitaires ; et nous envisageons aussi un système d'assurances revenus ou chiffre d'affaires. Mais dans l'immédiat, je vais examiner les cas dont vous parlez.

M. Daniel Raoul.  - Je prends acte de votre engagement d'examiner la quarantaine de cas en question. Ne pas le faire serait contradictoire avec votre volonté de généraliser les assurances agricoles.

Conditions d'emprunt des collectivités territoriales

M. Louis Nègre.  - Malgré le plan de sauvetage d'octobre dernier et malgré les garanties apportées au système bancaire, les élus, et particulièrement les maires des villes moyennes, s'interrogent sur la trop grande différence existant entre le taux de refinancement interbancaire de la BCE -2 % et bientôt, semble-t-il, 1,5 %- et les taux proposés actuellement au secteur local. Là où il était possible d'obtenir, il y a six mois, pour des prêts « simples » -à taux fixe ou à taux variable- des marges sur encours de quelques dizaines de points de base au-dessus de l'euribor, un niveau bien supérieur, de 150 à 200 points de base, est aujourd'hui proposé aux collectivités territoriales. C'est paradoxal puisque l'euribor à un an baisse de 60 % sur la même période, de 5,5 % à 2,2 %.

Faute de prêts à des taux raisonnables, on s'expose à un risque d'attentisme des décideurs locaux et, finalement, de grippage de la relance et des efforts d'investissements demandés aux collectivités. Faut-il envisager, à l'instar de ce qui existe en Suède, au Danemark, en Norvège, en Finlande ou aux Pays-Bas, la mise en place d'une Agence publique de financement pour le secteur public local ? Afin que nous puissions boucler dans des conditions optimales nos projets pour 2009, quelles mesures Mme la ministre de l'économie compte-t-elle prendre vis-à-vis des banques pour opérer les changements profonds indispensables ?

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services.  - Le Gouvernement partage vos préoccupations car le contexte impose de ne surtout pas entraver l'investissement, notamment celui des collectivités territoriales et de leurs groupements, qui représente les deux tiers du total. Cependant, alors qu'il revient au Gouvernement de veiller au bon accès au crédit des collectivités territoriales, c'est à elles seules de choisir leur mode de financement.

Le Gouvernement s'est engagé dans le soutien du crédit à l'économie notamment aux collectivités locales. Ainsi, la loi de finances rectificative pour 2008 pour le financement de l'économie a mis en place la Société de financement de l'économie française qui a permis de lever des financements sur les marchés avec la garantie de l'État. Ces financements sont ensuite distribués aux établissements de crédit en contrepartie d'engagements de prêts aux agents économiques et notamment aux collectivités territoriales. A ce jour, 33 milliards ont été prêtés aux banques pour qu'elles financent l'économie.

Le Gouvernement a en outre ouvert en novembre 2008 une enveloppe exceptionnelle de 5 milliards de prêts sur fonds d'épargne à destination des collectivités territoriales afin de financer leurs investissements de la fin de l'année 2008.

Le Gouvernement met donc en place des moyens mais il contrôle également que ceux-ci sont bien utilisés pour financer l'économie. La progression des encours de crédit aux collectivités locales est un des indicateurs suivis pour évaluer la contribution des banques au financement de l'économie. En contrepartie des dispositifs de soutien du crédit à l'économie, les banques se sont engagées à augmenter leurs encours de ce crédit de 3 à 4 % en rythme annuel. Christine Lagarde a mis en place un Observatoire du crédit chargé de vérifier chaque mois que les banques respectent leurs engagements.

Les derniers chiffres disponibles montrent que le crédit aux collectivités locales est aujourd'hui le plus dynamique, avec une croissance des encours de prêts de 4,9 % entre septembre et décembre 2008 contre 1,4 % en moyenne pour tous les types de crédit. Les collectivités locales profitent donc de leur bon profil de risque et conservent un bon accès au crédit.

Sur l'évolution des marges bancaires, l'analyse reste délicate pour plusieurs raisons. D'abord les collectivités territoriales ont, en raison d'une forte concurrence entre les réseaux bancaires, bénéficié jusqu'à une période récente de conditions de prêts favorables, caractérisées par des marges relativement faibles. Plus généralement, la fixation de ces marges par les banques résulte de plusieurs facteurs qui tiennent aux conditions financières supportées lors des opérations de refinancement, aux politiques commerciales des différents réseaux bancaires mais également à la situation financière de chaque emprunteur. Il est donc difficile de tirer des conclusions définitives des conditions de prêts actuelles, d'autant que les collectivités territoriales ne recourent à l'emprunt que pour 25 % de leurs dépenses d'investissement si bien que les intérêts qu'elles supportent ne représentent que 4 % de leur budget de fonctionnement.

La création d'une agence publique de financement du secteur public local, qui recourrait elle-même aux marchés financiers et apporterait des financements aux collectivités territoriales, ne saurait constituer une voie exclusive pour répondre à la demande immédiate des collectivités territoriales. Les émissions obligataires, menées sous l'égide de l'association des communautés urbaines de France ces dernières années, se sont bien déroulées sans le recours à une telle agence.

Le Gouvernement restera attentif à l'évolution de la situation et si celle-ci se dégradait, nous regarderions de plus près les solutions que vous proposez.

M. Louis Nègre.  - Je me réjouis que les efforts du Gouvernement aient permis d'augmenter l'encours des prêts aux collectivités locales. Reste qu'il faudra réagir si la situation se dégrade. Et le problème de fond demeure le différentiel -200 points de base- malgré les efforts du Gouvernement en faveur des banques. Ces efforts sont incontestables, la BCE en est à deux points, bientôt moins encore, et nous continuons à subir un important différentiel. Les élus ont du mal à comprendre !

Résidences pour seniors

M. Rémy Pointereau.  - Le régime fiscal applicable aux loueurs de meublées non professionnels -ou, pour faire plus simple, LMNP- et aux loueurs de meublés professionnels -LNP- en vigueur depuis le 1er janvier est limité aux Ehpad, aux résidences d'étudiants, aux résidences de tourisme et aux résidences d'affaires. Cette restriction pénalise les zones rurales, alors que la loi Scellier, qui aménage les dispositifs Robien et Borloo, exclut déjà toutes celles qui sont classées en zone C du bénéfice de la réduction d'impôt.

Cela risque d'empêcher la réalisation de résidences spécialisées pour l'accueil des seniors, pourtant bien nécessaires dans nos départements ruraux. Les projets portés par des investisseurs privés offrent de nombreux avantages pour les communes rurales : logements de qualité dans un environnement adapté et convivial, protection des personnes âgées contre le déracinement ou la solitude, services offerts aux résidents, maintien ou création d'emplois...

Les seniors seront-ils obligés de s'installer dans les communes les plus peuplées ? Cela accélèrerait le déclin démographique des autres. Avec les nouveaux textes, les investisseurs auront tendance à se désengager : je le vois dans mon département où un promoteur, qui avait déjà acquis le terrain, semble renoncer à la résidence qu'il envisageait de construire dans une commune de 600 habitants ayant gardé des commerces, un médecin et un pharmacien. Pourquoi cette exclusion des zones C et que compte faire le Gouvernement ?

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services.  - Je connais votre attachement aux zones rurales, monsieur Pointereau, et je comprends votre inquiétude. Cependant, les récentes réformes n'ont pas remis en cause les dispositifs de soutien à l'investissement privé : des mesures fiscales existent en faveur des résidences pour seniors. La LMP reste une incitation puissante, même si elle a été réservée aux investisseurs qui agissent réellement en professionnels : on avait constaté certains dérapages ; l'imputation du déficit sur le revenu global demeure, ainsi que l'amortissement de l'investissement, et ce régime s'applique sur tout le territoire. Le régime LMNP n'est pas davantage zoné, puisque les bénéfices correspondants sont imposés comme industriels et commerciaux.

En revanche, la réduction d'impôt complétant le régime d'amortissement est réservée à certains investissements : accueil des personnes les plus fragiles, soins, accueil familial, résidences avec services pour étudiants ou personnes âgées. Trois types de résidences pour seniors y sont donc éligibles : établissements sociaux et médico-sociaux apportant une assistance dans les actes quotidiens, des soins ou une aide à l'insertion ; les logements affectés à l'accueil familial salarié dès qu'ils associent logement de la personne âgée et de l'accueillant ; les établissements de soins de longue durée ou exerçant une surveillance médicale constante.

La construction de résidences pour seniors est également encouragée par la mesure adoptée dans le collectif 2008 à l'initiative de MM. Carrez et Scellier : les règles du Robien et du Borloo sont reconduites pour autant que le bailleur soit distinct du fournisseur de service. Contrairement aux LMP et LMNP, ce régime est ciblé sur les zones sous tension afin d'éviter des effets de surconstruction. Il y va de la protection des investisseurs particuliers : on a constaté des dérives contre lesquelles nous devons nous prémunir.

M. Rémy Pointereau.  - Je vous remercie de cette réponse qui me satisfait en partie. Ne serait-il pas souhaitable que ces résidences s'installent en zone de revitalisation rurale ? Plutôt que de multiplier les dispositifs dérogatoires dont on n'a pas la même lecture à Bercy et dans les départements, il faudrait les mettre à plat et faire en sorte qu'ils répondent aux besoins constatés sur place. Cela simplifierait beaucoup les choses.

Site Wabco à Claye-Souilly

M. Michel Billout.  - Le site Wabco, à Claye-Souilly, appartient à l'un des plus grands équipementiers mondiaux pour les véhicules industriels ; tous les grands constructeurs de poids lourds, de remorques et d'autocars sont ses clients. Aussi cette entreprise, la première de la commune et la vingt-deuxième de Seine-et-Marne, est un site important pour l'industrie de la région. Elle s'est déjà séparée de 50 intérimaires en décembre dernier et a annoncé 84 licenciements en faisant état d'une chute importante de ses commandes.

On aurait pu croire l'entreprise solide : le groupe auquel elle appartient a son siège à Bruxelles et emploie 7 700 personnes dans 31 pays. Son chiffre d'affaires a augmenté de 20 % en 2007, la progression s'établissant à 8 % l'an sur cinq ans. L'entreprise est à l'origine de quelques-unes des plus importantes innovations du secteur du premier ABS poids-lourds en 1981 aux premiers systèmes avec freinage actif et de freinage industriel en 2008, en passant par le premier système de suspension pneumatique à pilotage automatique pour les véhicules industriels en 1986.

Les employés de Claye-Souilly sont donc hautement qualifiés et leur savoir-faire ne doit pas être à la merci de la conjoncture, à moins que celle-ci ne soit qu'un prétexte pour accélérer une réduction des effectifs -ils ont déjà diminué d'un tiers-, voire préparer une délocalisation. Si l'entreprise est fragilisée par la crise, quelles mesures le Gouvernement compte-t-il prendre, au-delà de son plan pour le secteur automobile, afin de défendre l'emploi ?

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services.  - Votre question est double, qui porte à la fois sur le secteur de l'automobile et sur le cas de Wabco. Le secteur de la construction de véhicules traverse une crise mondiale et subit les conséquences de la crise financière. Tous les constructeurs doivent faire face à un effondrement des ventes et à une crise de liquidités. Ils ont ralenti les cadences et recouru au chômage partiel, ce qui impacte fortement les équipementiers. Le Gouvernement s'est mobilisé et le Président de la République a annoncé, le 9 février, un ensemble de mesures jouant sur de multiples leviers.

L'objectif de ce plan est de conforter la compétitivité de la filière automobile. Des prêts seront octroyés aux constructeurs implantés en France pour soutenir la création de nouveaux modèles plus respectueux de l'environnement et moins consommateurs d'énergie, ce qui mobilisera largement les sous-traitants.

Enfin, les organisations professionnelles représentatives de la filière ont signé le 9 février dernier un code de performance et de bonnes pratiques qui crée une nouvelle relation entre les clients et les fournisseurs, fondée sur le partenariat.

S'agissant du groupe Wabco, son chiffre d'affaires a certes progressé de 7 % en 2008, mais, durant le dernier trimestre 2008, son activité a diminué de 33 % par rapport à la même période l'an passé, d'un quart sur le seul marché européen -c'est dire la profondeur de la crise qui affecte la filière ! En 2009, les ventes de camions en Europe devraient reculer d'au moins 100 000 unités. Pour faire face à cette situation, le groupe a supprimé 1 400 emplois, soit 20 % de ses effectifs, et la filière française, située en Seine-et-Marne, a lancé, le 1er décembre 2008, une procédure de licenciement collectif pour motif économique concernant 84 emplois, sur 374 personnes en 2007. L'entreprise, à notre demande, a amélioré le plan social présenté, notamment en augmentant le budget prévisionnel consacré à la formation, et elle ne conteste pas l'obligation de revitalisation à laquelle elle est soumise. Enfin, nous avons accepté, au vu de son carnet de commandes, sa demande de chômage partiel pour 300 salariés durant le premier trimestre 2009, afin d'éviter des licenciements.

Monsieur Billout, vous le voyez, l'État prend ses responsabilités et attend que les acteurs privés fassent de même. La France n'abandonnera pas son industrie automobile ! Nous l'aiderons à surmonter la crise pour maintenir la production sur notre territoire !

M. Michel Billout.  - Laissez-moi vous dire ma perplexité. Si le plan de sauvetage de la filière ne concerne pas des grands équipementiers tels que la société Wabco, quels seront ses effets sur les plus petits sous-traitants ? Demander à Wabco d'améliorer son plan social est insuffisant. Rien n'a été tenté pour dissuader l'entreprise de licencier et garantir la pérennisation du site. Or, avec la suppression de 200 emplois depuis 2000, l'entreprise semble vouloir se désengager, malgré la hausse régulière de la productivité du site. Bref, il convient donc d'examiner de plus près ce dossier. Le Gouvernement devrait s'employer davantage à sauvegarder les emplois. Nous en aurons besoin demain !

Gestion des impôts locaux

M. Claude Biwer.  - La Cour des comptes, dans son dernier rapport annuel, a souligné la gestion opaque des impôts fonciers par l'État. Tout d'abord, elle a regretté la complexité du calcul de la valeur cadastrale d'un bien -pas moins de treize étapes sont nécessaires pour déterminer le montant de l'impôt foncier d'un particulier- ; calcul qui, de surcroît, n'est pas transmis au contribuable, ce qui explique, sans doute, le faible nombre de réclamations concernant les impôts locaux par rapport aux impôts d'État. La Cour des comptes déplore également l'absence de révision des bases locatives, qui entraîne un classement des biens peu équitable. De fait, les bases locatives n'ont pas été révisées depuis 1970 pour le foncier bâti et depuis 1962 pour le foncier non bâti !

Mais surtout, la Cour des comptes s'interroge sur les coûts de gestion de la fiscalité locale. La réduction du coût de gestion des taxes foncières à un taux de 1,75 %, pour laquelle elle délivre un satisfecit à l'administration, ne s'est pas répercutée, note-t-elle, sur le taux prélevé sur les contribuables, maintenu à 4,4 %. Autrement dit, les gains de productivité réalisés par l'administration fiscale ne profitent nullement aux contribuables locaux, d'autant qu'à ces 4,4 % s'ajoutent 3,6 % prélevés par l'administration fiscale au titre des frais de dégrèvements et d'admission en non-valeur, soit un prélèvement total de 8 % pour les taxes foncières.

Monsieur le ministre, vous me répondrez certainement que ces frais de gestion constituent la contrepartie du financement par l'État des 13 milliards de dégrèvements...

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services.  - Exactement !

M. Claude Biwer.  - Certes, mais à condition que l'on ne tienne pas compte des dégrèvements législatifs, qui doivent être compensées par l'État. Monsieur le ministre, quand diminuerez-vous le prélèvement de 4,4 % opéré sur les contribuables locaux, conformément à la recommandation de la Cour des Comptes ? Quand réformerez-vous les commissions communales des impôts directs dont la formation pose de grandes difficultés aux petites communes ? En effet, la population n'est pas assez nombreuse, parfois, pour que l'on parvienne à sélectionner 24 personnes pour en retenir six. En un mot, ces opérations sont si complexes que personne n'y comprend rien et, passez-moi l'expression, que tout le monde s'en fiche !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services.  - Monsieur Biwer, la technicité de cette question témoigne de votre profonde connaissance de la fiscalité locale.

M. Claude Biwer.  - Merci !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - M. Woerth, dont je vous prie d'excuser l'absence, partage votre point de vue : les valeurs locatives doivent être révisées et la fiscalité locale réformée. Au reste, le Président de la République l'a souhaité lors du Congrès des maires et présidents de communautés de France, fin 2007, de même que le Premier ministre lors de la Conférence nationale des exécutifs et nous avons clarifié, dès le dernier budget, les relations avec les collectivités territoriales, conformément aux recommandations de la Cour des comptes.

Monsieur le sénateur, vous avez donné une vision partielle de la réalité. « Si les coûts de gestion sont surfacturés », note la Cour des comptes, « les coûts réels pour l'État des dégrèvements et des admissions en non-valeur représentent, en revanche, beaucoup plus que 3,6 % des taxes locales. La surfacturation vient compenser une sous-facturation. » Par ailleurs, l'État supporte plus que les dégrèvements ordinaires et les admissions en non-valeur mentionnés dans le rapport puisqu'il prend également en charge le coût de trésorerie lié au fait qu'il verse mensuellement le produit des recettes locales aux collectivités bien qu'il ne perçoive les impôts qu'en fin d'année, il assure des activités de conseil auprès des collectivités territoriales et autorise les collectivités territoriales à déposer gratuitement leurs fonds au Trésor public, ce qui représente une garantie de sécurité. Au total, ces ressources ont représenté 5 milliards de 2001 à 2007 pour une charge de 5 milliards. L'État ne s'enrichit donc nullement au détriment des contribuables ou des collectivités locales. L'équilibre entre recettes et dépenses est parfait, comme le montre de manière détaillée l'annexe à la loi de finances pour 2009.

De plus, ce calcul ne prend pas en compte les dégrèvements législatifs. Or ce coût n'est pas nul. Si l'État ne prenait pas à sa charge les 2,2 milliards de dégrèvements sur la taxe d'habitation pour les plus modestes, les collectivités territoriales dont le potentiel fiscal est faible ne pourraient accorder à leurs contribuables des mesures d'allégement équivalentes. Sans ces dégrèvements, un grand nombre de contribuables ne pourraient acquitter leur impôt, ce qui se traduirait par une augmentation des admissions en non-valeur.

Il n'y a pas lieu en conséquence de modifier les frais d'assiette et de recouvrement.

M. Claude Biwer.  - Je vous remercie de ces précisions. Si je vous donne acte du fait que l'État ne s'enrichit pas, je sais aussi que le contribuable s'appauvrit... Il faut, dans cette affaire, de la clarté et davantage d'explication.

Maïs Mon 810

M. Christian Demuynck.  - A l'issue du Grenelle de l'environnement, la France a décidé, au nom du principe de précaution, d'activer la clause de sauvegarde concernant la seule plante transgénique cultivée dans notre pays, le maïs Mon 810. L'Agence européenne de sécurité des aliments (Aesa) a pourtant écarté tout risque pour la santé humaine ou animale, ou pour l'environnement ; l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) vient de confirmer cette absence de risque. Au vu des avis de ces deux organismes à l'expertise reconnue, la clause de sauvegarde pourrait être levée.

Le maïs Mon 810 est cultivé sur 20 millions d'hectares dans le monde, en Espagne depuis 1998. Pourquoi la France refuse-t-elle encore toute expérimentation et toute mise en culture ? Sa position actuelle entretient la suspicion autour des OGM, alors que nous en mangeons tous les jours, et lui fait prendre un retard considérable dans le domaine des biotechnologies, notamment vis-à-vis des États-Unis. C'est d'autant plus dommage que notre pays est le deuxième producteur mondial de semences et a une expertise agronomique de grande qualité. Si cette position est maintenue, il est à craindre qu'il ne perde son indépendance dans ce domaine et ne voie ses chercheurs s'expatrier. Bayer a déjà quitté la France.

Je souhaite aussi interroger le Gouvernement sur la nomination du président du Haut conseil des biotechnologies. Après l'avis défavorable des deux commissions parlementaires sur le nom qu'il avait proposé, aucune autre candidature n'a été soumise, même si le nom de Mme Catherine Bréchignac circule. Ce retard fait qu'il sera impossible d'expérimenter les OGM en 2009.

Au-delà, que compte faire le Gouvernement pour développer la recherche dans les biotechnologies ?

Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'État chargée de l'écologie.  - A la suite de l'avis du Haut comité de préfiguration, le Gouvernement a décidé, en février 2008, d'interdire la culture du Mon 810 et ce en raison d'incertitudes sur les impacts non pas sanitaires mais environnementaux de la culture de ce maïs pour les cultures non cibles et les sols. L'Aesa a reconnu elle-même ces incertitudes et demandé à Monsanto des informations supplémentaires.

La procédure d'autorisation au niveau européen est encore en cours, les analyses étant menées par l'Espagne ; ses résultats sont attendus pour cette année. Le Conseil européen de décembre 2008 a d'ailleurs affirmé la nécessité de revoir les procédures d'expertise, notamment celles conduites par l'Aesa ; la Commission n'a à ce jour fait aucune proposition en ce sens. Il paraît dès lors prématuré de lever la clause de sauvegarde. La question a été soumise hier au Conseil « environnement » pour l'Autriche et la Hongrie ; 22 des 27 États membres ont voté contre la Commission... même l'Espagne.

Au-delà, il est clair que nous ne devons pas renoncer à la recherche sur les biotechnologies ; le Gouvernement y consacrera 45 millions d'euros sur trois ans.

M. Christian Demuynck.  - Il faut redire que l'Aesa comme l'Afssa ont écarté tout risque pour la santé humaine ou animale. Le maïs Mon 810 est cultivé sans problème dans le monde depuis dix ans. L'inquiétude vient de la pollinisation, mais il n'y a aucun risque dès lors qu'on s'en tient aux bonnes pratiques.

Il est impératif que la France ne prenne pas de retard et investisse massivement dans les biotechnologies ; la planète est confrontée à de graves problèmes alimentaires, nous serons neuf milliards sur terre en 2050 et 800 millions de personnes meurent de faim aujourd'hui...

Produits contenant de l'amiante

M. Jean-Pierre Godefroy.  - Je m'exprime ici comme co-rapporteur du rapport sénatorial sur l'amiante. L'amiante est interdit dans l'Union européenne depuis le 1er janvier 2005. Cette interdiction devrait permettre, à terme, d'arrêter l'hécatombe, même si je ne n'oublie pas les milliers de morts à venir en raison des pratiques passées. Mais le lobby de l'amiante et les intérêts de certains États de l'Union s'accommodent mal de cette interdiction et tentent d'obtenir une dérogation les autorisant à mettre sur le marché européen des articles contenant de l'amiante, par le biais de l'annexe XVII du règlement Reach, et plus particulièrement de son article 6-2.

Si ces dérogations étaient acceptées, des pièces détachées contenant de l'amiante, y compris de la crocidolite -garnitures de freins ou d'embrayages, articles en amiante, ciment- pourraient de nouveau circuler en Europe ; la liste est longue puisque que l'amiante est entré, à un moment ou à un autre, dans la composition de plus de 3 000 produits. Ces articles pouvant être importés de pays où l'amiante n'est pas interdit, cette circulation exposerait la population européenne à un risque mortel, en particulier les travailleurs chargés des opérations de maintenance.

Après une tentative infructueuse en décembre 2008, la Commission européenne devait présenter aux États membres de nouvelles propositions de dérogations ; je crois savoir qu'elle l'a fait la semaine dernière et que plusieurs délégations ne l'ont pas soutenue. Qu'a fait la France ? En avril prochain, le Parlement européen contraindra-t-il la Commission à renoncer à ces dérogations ? L'Union appliquera-t-elle enfin une politique cohérente d'interdiction de l'amiante ?

Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'État chargée de l'écologie.  - Lors de la réunion du comité réglementaire compétent sur Reach le 20 février dernier, les États membres ont réaffirmé le principe d'une interdiction de l'amiante sur le territoire de l'Union mais ont maintenu deux dérogations. La première, qui concerne les diaphragmes à base d'amiante chrysotile produits par trois entreprises, sera révisée au 1er juin 2011. Les États membres qui en font usage ont l'obligation de prouver qu'il n'y a pas de solutions alternatives, notamment en transmettant les rapports des industriels.

La décision du 20 février interdit par ailleurs l'utilisation et la mise sur le marché des articles contenant de l'amiante installés ou mis en service avant le 1er janvier 2005 ; les États peuvent accorder des dérogations dans des conditions restrictives, chacune d'elles n'étant valable que pour l'État qui l'aura adoptée. Le risque d'importation incontrôlée de ces produits est donc écarté.

La France souhaite voir l'amiante totalement interdit le plus tôt possible.

M. Jean-Pierre Godefroy.  - Je vous remercie.

Transports ferroviaires de proximité

M. Jacques Mézard.  - Le rapport de la Délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire sur l'équipement de la France en infrastructures de transport relève que « les moyens financiers mis en oeuvre ont essentiellement profité au renforcement des grands réseaux existants et ce, au détriment des infrastructures permettant de relier des territoires à ces grands réseaux structurants, c'est-à-dire de les désenclaver ».

Dans le Cantal, nous avons perdu le train de nuit et toute liaison directe avec Paris. Les temps de trajet y sont supérieurs à ce qu'ils étaient à la fin du XIXe siècle !

Madame la ministre, j'ai apprécié votre écoute lors du débat sur le Grenelle de l'environnement. Sachez que la situation de l'entretien sur ces lignes est telle que des arbres sont tombés sur des trains circulant et que les chutes de neige de décembre dernier ont provoqué des blocages de plusieurs jours. L'instrument de dégagement n'est plus le chasse-neige mais la tronçonneuse ! En vingt ans, le nombre d'agents des services d'équipement de la SNCF dans le Cantal est passé de 120 à 38. A l'automne, le trajet entre Vic-sur-Cère et Le Lioran dure parfois 56 minutes au lieu de 20 à cause des feuilles mortes...

Le président de la SNCF m'a indiqué que la remise à niveau coûterait 513 millions d'euros. Certes, le contrat de performance signé en novembre dernier par l'État et Réseau ferré de France (RFF) permet d'espérer des améliorations importantes et le plan rail prévoit un financement de 213 millions, mais existe-t-il une véritable volonté de préserver les lignes ferroviaires de second niveau ? Ce mode de transport représente, selon moi, une solution d'avenir.

Que prévoit le Gouvernement pour faire face aux problèmes immédiats d'entretien et de sécurité, accélérer la remise à niveau des infrastructures et conserver des liaisons directes entre Paris et les territoires les plus enclavés, notamment par des trains de nuit ?

Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'État chargée de l'écologie.  - Je vous prie d'excuser l'absence de Dominique Bussereau, secrétaire d'État chargé des transports.

La rénovation du réseau ferré est une priorité du Grenelle. Le contrat de performance signé entre l'État et RFF prévoit un financement de 13 milliards pour 2008-2015, dont plus d'un milliard pour le réseau régional. Le plan rail pour l'Auvergne ajoute 213 millions d'euros à l'enveloppe de 196 millions du contrat de plan État-région et, lors de sa signature par Dominique Bussereau, Brice Hortefeux a défendu la nécessité de désenclaver le Cantal. Le contrat de projets État-région et le plan rail consacreront 125 millions aux lignes reliant Aurillac à Clermont-Ferrand, Figeac et Lamativie, auxquels s'ajouteront 17 millions dans le cadre du plan de relance.

En outre, la desserte TER mise en place à Figeac pour compenser la disparition des trains de nuit n'étant pas satisfaisante, la SNCF doit organiser une navette routière. Et, depuis décembre 2008, le train doit atteindre les 200 km/h entre Paris et Clermont-Ferrand.

Comme vous, le Gouvernement considère la rénovation des lignes et le transport ferroviaire comme une priorité pour l'avenir.

M. Jacques Mézard.  - Je vous remercie de votre réponse, mais le remplacement du train de nuit par une navette routière ne me semble pas constituer un progrès. Et vous ne dites rien du problème de l'entretien, qui crée des risques graves pour la sécurité.

Barreau de Gonesse

Mme Raymonde Le Texier.  - Avec environ 60 000 emplois, la plate-forme aéroportuaire de Roissy est un pôle majeur de développement économique. 250 000 personnes vivent dans un périmètre de dix kilomètres, essentiellement à Sarcelles, Garges, Villiers-le-Bel, Amouville et Gonesse. Si le taux de chômage y est plus élevé que dans l'ensemble du département, alors que le profil des demandeurs d'emploi correspond aux postes proposés à Roissy, c'est par manque de transport en commun pour s'y rendre, sauf à passer par Paris et à allonger le temps de transport d'environ deux heures et demie. La liaison RER entre la ligne D et la ligne B, dite barreau de Gonesse, est un enjeu déterminant pour l'emploi dans ce secteur, qui mobilise depuis longtemps les élus de l'est du Val-d'Oise.

La réalisation de cette liaison, inscrite au contrat de plan 2000-2006, reprise pour 2007-2013 et citée comme un investissement majeur par le Président de la République dans le cadre du plan « Espoir banlieue » en février 2008, semble aujourd'hui menacée. Aucune étude de faisabilité n'a été lancée. En outre, le Stif envisage la création d'une ligne de bus à haut niveau de service, ce qui risque de reporter sine die la réalisation du barreau ferroviaire. Dans le même temps, des investissements ferroviaires sont programmés sur d'autres territoires, telle la liaison Creil-Roissy. Pourquoi ce traitement différentiel ? Pourquoi ne pas programmer au plus tôt la réalisation d'un équipement structurant qui répondrait aux critères du plan de relance : effet sur l'emploi, réaménagement du territoire, désenclavement des banlieues, impact socio-économique pour les habitants des quartiers en difficulté ?

Alors que les annonces du Gouvernement se multiplient et que les grands travaux d'infrastructure sont plus que jamais à l'ordre du jour, le silence autour de la réalisation du barreau de Gonesse suscite de légitimes inquiétudes. Les villes concernées et la majorité du conseil général souhaitent que les études sur ce projet débutent cette année, que le schéma de principe soit rapidement lancé et qu'un calendrier de réalisation soit arrêté. Élue de ce territoire depuis plus de trente ans, je sais à quel point la réalisation d'une liaison ferrée entre les RER D et B est un enjeu stratégique. J'entends parler de ce projet depuis vingt ans : ne sacrifions pas une nouvelle génération faute de mobilisation de l'État. Je ne doute pas du soutien de Mme la ministre dans ce dossier.

Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'État chargée de l'écologie.  - La création de la liaison dite « barreau de Gonesse », qui améliorera l'accessibilité à la plate-forme de Roissy, est une priorité pour le Gouvernement. Afin de gagner trois ans par rapport au calendrier initial, l'État et la région Ile-de-France ont décidé d'y contribuer pour 50 millions d'euros au titre du plan « Espoir banlieues », en plus des 30 millions prévus par le contrat de projets. Cette desserte doit être mise en service en 2015. Dans cette attente, un transport en commun en site propre, de type bus à haut niveau de service, assurera rapidement la liaison.

Mme Raymonde Le Texier.  - Ce sont plutôt de bonnes nouvelles, mais 2015, c'est demain. Or rien n'a été fait pour la maîtrise des terrains et le lancement de la déclaration d'utilité publique.

Situation du planning familial

Mme Bernadette Bourzai.  - Madame la ministre, ma question s'adressait à M. Hortefeux, mais je vous remercie de me répondre.

La loi de finances pour 2009 prévoit une forte et brutale diminution du soutien financier de l'État aux structures oeuvrant pour le planning familial, avec pour conséquence inévitable la fermeture d'au moins un tiers des centres du Mouvement français pour le planning familial. Ce dernier a lancé une pétition qui a recueilli en quelques jours plus de 100 000 signatures. Face à cette mobilisation citoyenne, M. Hortefeux a annoncé une réévaluation des moyens alloués au planning familial. Pouvez-vous nous donner des détails sur ce point afin d'apaiser les craintes ?

M. Hortefeux a eu l'amabilité de m'adresser la semaine dernière une longue lettre à ce sujet, mais je ne suis pas totalement convaincue. Si le M. le ministre s'est engagé à « maintenir l'effort budgétaire permettant au planning familial d'assurer ses missions » sans « fermeture ni abandon des centres », pouvez-vous nous garantir que les effectifs en personnels ne diminueront pas ?

Pouvez-vous nous assurer que le montant des subventions de l'État n'affectera pas la disponibilité du planning familial, sur l'ensemble du territoire ?

Après leur rencontre avec vous-même, M. Hortefeux et Mme Létard, les responsables du Mouvement français pour le planning familial s'interrogeaient sur la transcription des orientations données aux DDASS et la traduction que celles-ci en feront dans le cadre des conventions avec les associations. Que pouvez-vous leur répondre ? Quelles directives seront données aux DDASS ?

Au-delà du maintien des actions existantes, ce qui serait le minimum du minimum, il convient de renforcer des moyens qui font depuis longtemps défaut. Je pense à mon département, la Corrèze. La seule structure, pour tout le Limousin, se trouve à Limoges. Asphyxiée, depuis plusieurs années, par le défaut d'aide financière de l'État, elle n'est maintenue en vie que grâce au conseil général de la Haute-Vienne. Un apport de l'État, alors que les collectivités sont de plus en plus sollicitées, permettrait d'assurer l'avenir, en un temps où les conséquences sociales de la crise économique ne manqueront de solliciter les structures du planning familial.

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État chargée de la famille.  - Le Mouvement français pour le planning familial joue un rôle fondamental dans l'information sur la contraception et l'IVG, la promotion de l'égalité entre les hommes et les femmes, la lutte active contre les violences faites aux femmes. Il doit disposer des moyens de son action. C'est pourquoi M. Hortefeux a rappelé, lors d'une question au Gouvernement posée à l'Assemblée nationale le 4 février, comme je l'ai fait ensuite le 11 février, qu'au contraire de ce que certains affirment, l'État maintiendra son effort financier en faveur des établissements assurant informations, consultations et conseil familial. Le 19 février, nous avons, M. Hortefeux, Mme Létard et moi-même, rencontré la présidente du mouvement pour lui confirmer qu'aucune fermeture d'établissement n'interviendra du fait de l'État et lui proposer un protocole garantissant le maintien, entre 2009 et 2011, des crédits destinés au conseil conjugal, à la lutte contre les violences faites aux femmes et à la prévention des risques sexuels. Nous attendons très prochainement sa réponse. Aux termes de cet accord, 3 461 800 euros de crédits seraient alloués chaque année pour soutenir l'action de l'association et de ses 250 établissements.

Deux ministères sont concernés. Le ministère du travail, qui lui consacre 2 580 000 euros, dont 2 150 000 destinés au conseil conjugal et 430 000 à la promotion de l'égalité et aux droits des femmes, à quoi s'ajoutent 500 000 euros de crédits au titre de la politique de la ville, tandis que le ministère de la santé consacre 381 800 euros à la prévention des risques sexuels et à la contraception.

La politique familiale, vous le voyez, est bien au coeur de l'action gouvernementale.

Mme Bernadette Bourzai.  - Je vous remercie de cette réponse claire. J'appartiens à une génération de femmes dont la jeunesse a été un peu compliquée par l'absence de loi sur la contraception et sais par conséquent le rôle irremplaçable que joue le planning familial. Nous serons très vigilantes pour garantir que les jeunes femmes bénéficient, dans leur vie sexuelle et familiale, des meilleurs conseils et du meilleur suivi, y compris dans le cadre de la lutte contre les violences.

Avenir des associations agissant dans les champs scolaire et périscolaire

M. Jean-Paul Amoudry.  - Je m'inquiète de l'avenir des associations oeuvrant dans les champs scolaire et périscolaire aux côtés des enseignants, des parents et des élus. Sont en effet annoncées des mesures de suppression de 25 % du financement des activités conventionnées au bénéfice de ces associations et la non-reconduction, dès la rentrée scolaire 2009, des emplois aidés d'enseignants détachés dans ces structures.

En Haute-Savoie, ces associations accompagnent près de 80 000 élèves, dans des champs aussi divers que le sport, l'éducation à l'image, les ateliers d'écriture ou l'aide à l'intégration scolaire, autant d'actions qui illustrent la richesse de leur activité

Une remise en cause des conventions pluriannuelles mettrait en péril des activités éducatives qui participent substantiellement à l'accomplissement du service public d'éducation de la jeunesse, auquel je sais votre attachement, madame la ministre, comme celui de M. Darcos. Quels moyens le Gouvernement entend-il mettre en oeuvre pour assurer la pérennité de ces interventions ?

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État chargée de la famille.  - Les associations auxquelles vous faites référence sont des prestataires liés à l'État, en particulier au ministère de l'éducation nationale, par un partenariat très ancien. M. Darcos l'a récemment confirmé en invitant les prestataires du monde associatif à s'engager de manière pleine et entière en faveur de la politique éducative du Gouvernement, dont l'objectif est la réussite de tous les élèves. Il s'est engagé à augmenter de 50 % les crédits d'intervention en direction des acteurs du monde associatif, qui passeront de 75 millions en 2008 à 114 millions en 2009.

Les représentants des principales associations éducatives, reçus à de nombreuses reprises au ministère de l'éducation nationale, ont été invités à inscrire résolument les activités de leurs structures dans le domaine de la lutte contre l'échec scolaire et de l'aide aux élèves les plus en difficulté.

S'agissant du partenariat poursuivi avec les huit associations éducatives complémentaires de l'enseignement public, un avenant aux conventions pluriannuelles sur objectifs sera signé prochainement pour les années 2009 et 2010. Il s'agit de répondre à une exigence de transparence des crédits de l'État en se conformant à une logique nouvelle de financement du ministère.

Pour garantir la mise en oeuvre opérationnelle des actions projetées et pour assurer une meilleure collaboration des services déconcentrés du ministère, des conventions seront conclues dans chaque académie entre les rectorats et les associations. Une subvention correspondant à 50 % des montants prévisionnels de financement des projets sera versée au premier semestre 2009, le second versement devant intervenir au cours du second semestre au vu des bilans des actions certifiés par les recteurs.

Le nouveau cadre législatif et réglementaire interdisant désormais aux associations de bénéficier de l'exonération du remboursement des salaires afférents, les personnels mis à disposition de ces structures verront leur statut évoluer vers celui du détachement à compter de la prochaine rentrée scolaire.

Les associations désireuses de s'investir dans ce domaine prioritaire de la réduction de l'échec scolaire et le soutien aux élèves en difficulté trouveront toujours le soutien de l'État pour développer leurs projets.

M. Jean-Paul Amoudry.  - Je vous remercie de ces précisions tant sur les orientations du Gouvernement que sur leur mise en oeuvre. Je suis activement engagé, dans mon département, en faveur du soutien sportif et culturel, qui apporte les meilleurs résultats. Les collectivités méritent d'être accompagnées dans leur effort de soutien aux associations.

La séance est suspendue à midi trente.

présidence de M. Gérard Larcher

La séance reprend à 15 heures.

Loi pénitentiaire (Urgence)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi pénitentiaire.

Mise en oeuvre de nouvelles procédures

M. le président.  - Ce projet de loi donne lieu à la première application de la nouvelle rédaction de l'article 42 de la Constitution, entrée en vigueur le 1er mars 2009. La discussion portera donc sur le texte de la commission des lois, qui a été mis en ligne, imprimé et distribué sous le numéro 202. Comme vous pouvez le voir, afin de distinguer le texte adopté par la commission du texte du Gouvernement, nous avons provisoirement fait figurer un bandeau distinctif sur le document imprimé.

Comme nous en avons discuté en Conférence des Présidents avec M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, la commission des lois a tout fait pour pouvoir appliquer les nouvelles règles de la Constitution à compter du 1er mars. Nous nous sommes ainsi conformés à la décision du constituant ; pour être prête à temps, la commission des lois a fait oeuvre d'anticipation dans le respect des droits du Gouvernement qui a pu exprimer son point de vue dans le cadre de l'élaboration du rapport.

Ce matin même, Mme la garde des sceaux, que je salue, a été entendue par la commission et a ainsi pu défendre ses amendements et exprimer sa position. A l'issue de cette réunion, la commission des lois a souhaité confirmer par un nouveau vote le texte tel qu'il a été adopté avant le 1er mars.

La délibération sur la base des conclusions de la commission n'est pas la seule innovation qui soit entrée en vigueur depuis dimanche dernier. Il faut y ajouter le partage de l'ordre du jour, le remplacement de l'urgence par la procédure accélérée avec la possibilité de s'y opposer, le respect d'un délai d'examen de six semaines devant la première assemblée saisie et de quatre semaines devant la seconde, les déclarations thématiques du Gouvernement suivies, le cas échéant, d'un vote, ainsi que la reconnaissance de droits spécifiques aux groupes de l'opposition et aux groupes minoritaires.

Pour tous ces sujets, comme vous pouvez le constater, nous essayons d'innover et de régler les difficultés au fur et à mesure qu'elles se présentent, et je suis sûr que cette expérimentation enrichira notre réflexion lors de la modification du Règlement, pour laquelle j'ai constitué un groupe de travail pluraliste où chacun peut exprimer ses préoccupations. Ce groupe de travail a déjà adopté une série d'orientations améliorant nos méthodes de travail ; avant même l'adoption définitive du projet de loi organique par les deux assemblées, et au vu de l'application expérimentale à laquelle nous procédons, nous serons amenés à réfléchir sur les conséquences réglementaires du nouveau dispositif constitutionnel.

Le Parlement traverse une phase importante de l'évolution de ses méthodes de travail et par delà les textes, nous devons ensemble trouver les meilleures pratiques possibles pour permettre l'expression de tous et rénover nos procédures. Ainsi, nous serons pleinement présents au rendez-vous de la modernisation des institutions voulue par le constituant.

Quant au nouveau Règlement, il ne devrait pas entrer en vigueur avant la mi-mai.

Rappels au Règlement

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Une nouvelle période s'ouvre pour le Parlement. Or nous avons appris jeudi dernier que le Gouvernement avait déclaré l'urgence sur le projet de loi pénitentiaire. Cette décision est parfaitement injustifiée. En accord avec le groupe socialiste, nous vous avons donc demandé, monsieur le président, de prendre position à ce sujet, comme le prévoit la nouvelle rédaction de la Constitution. J'ai cru comprendre que M. Accoyer, à l'issue de la Conférence des Présidents de ce matin à l'Assemblée nationale, avait fait part de son opposition à la procédure d'urgence. Nous ne pouvons pas entamer la discussion sur ce texte sans que cette question ait été tranchée : je rappelle que les assemblées peuvent désormais s'opposer conjointement à la procédure accélérée.

M. Jean-Pierre Bel.  - M. le président a évoqué la réorganisation du travail parlementaire. Or la commission des lois a auditionné Mme la ministre ce matin, alors que la matinée du mardi est désormais dévolue aux travaux des groupes et aux questions orales en séance publique. La commission s'est réunie de nouveau à 14 heures, une heure avant la reprise de la séance. Tout cela nous empêche de travailler dans de bonnes conditions et augure mal de l'avenir.

Il y a plus de dix ans que les acteurs du monde carcéral attendent une réforme pénitentiaire pour remédier à la situation dramatique des prisons françaises. Ce projet de loi a été déposé sur le bureau du Sénat le 28 juillet dernier, ce qui nous a laissé le temps de préparer correctement cette discussion. Mais le Gouvernement a déclaré très tardivement l'urgence sur ce texte. C'est regrettable, et les associations qui ont participé aux états généraux de la condition pénitentiaire s'en sont émues. Le Gouvernement empêche ainsi que le débat se déroule dans un climat serein et constructif et prive le Parlement d'une deuxième lecture pourtant nécessaire. Mme Dati avait pourtant annoncé un « grand rendez-vous de la France avec ses prisons »...

Les raisons de cette décision ne sont pas claires, et M. Accoyer ne semble pas les comprendre mieux que nous. Pourquoi légiférer ainsi à la va-vite ? Nous espérons que le Gouvernement nous apportera des éclaircissements. C'est un bien mauvais départ pour une réforme qui devait revaloriser le rôle du Parlement. Des parlementaires de tous bords ont exprimé leur mécontentement. Le Gouvernement montre ainsi comment il souhaite mettre en oeuvre les nouvelles dispositions constitutionnelles : c'est à lui de décider, et au Parlement d'enregistrer...

En vertu du nouvel article 45 de la Constitution, applicable depuis le 1er mars, j'ai demandé hier la réunion de la Conférence des Présidents du Sénat, afin d'obtenir le retrait de la déclaration d'urgence, conformément au souhait de M. Accoyer. Si le président de l'Assemblée nationale est sensible à ce problème, le président du Sénat, institution gardienne des libertés, ne peut pas faire moins. (Applaudissements à gauche)

M. Louis Mermaz.  - Le Sénat est un lieu de mémoire. En 2000 déjà, la commission d'enquête présidée par M. Hyest et celle que je présidais à l'Assemblée nationale ont attiré l'attention des pouvoirs publics sur la situation déplorable de nos prisons. Depuis lors, l'accumulation de lois répressives a encore aggravé la situation : le taux d'occupation carcérale est aujourd'hui de 136 % ! Les conditions de travail des surveillants se sont dégradées, et les personnes détenues sont trop souvent réduites à la désespérance, sans que les victimes soient mieux loties...

Ce projet de loi peut être amélioré par les amendements de la commission des lois et des parlementaires. Le Gouvernement doit prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre fin à une situation régulièrement dénoncée par les instances européennes et qui constitue pour lui, pour le Parlement et pour les magistrats une véritable humiliation, pour reprendre le terme qui figure dans le titre du rapport de 2000 de MM. Hyest et Cabanel.

Dès 1987, M. Arpaillange, procureur général près la Cour de cassation, s'émouvait du fait que les magistrats soient réduits par l'arsenal législatif et réglementaire à l'état de « bouffons de la République », incapables de rendre une justice sereine et respectueuse de la dignité des hommes. (Applaudissements à gauche)

M. le président.  - C'est par une lettre en date du 20 février que M. le Premier ministre m'a fait connaître que le Gouvernement déclarait l'urgence sur ce texte : c'est donc l'ancienne procédure qui s'applique.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice.  - En effet, l'urgence a été déclarée avant le 1er mars, date d'entrée en vigueur des nouvelles dispositions constitutionnelles.

Ce projet de loi ne pouvait attendre plus longtemps : M. Mermaz a fait référence aux travaux déjà anciens de la commission présidée par M. Hyest, qui concluaient à la nécessité de moderniser notre système pénitentiaire. On doit aussi mentionner les réflexions menées par Mmes Guigou et Lebranchu, qui devaient conduire à l'élaboration d'un projet de loi ; malheureusement pour la gauche, l'alternance est passée par là... (Murmures à gauche)

Il y a urgence, pour améliorer les conditions des détenus et celles de l'administration pénitentiaire. Le projet de loi a été examiné par la commission des lois en décembre ; la procédure d'urgence n'a donc pas pour effet d'escamoter le débat. Il y a urgence pour donner des outils adaptés et modernes.

Je rends hommage à la commission des lois qui a fourni un gros travail.

M. le président.  - Nous allons passer à la discussion générale. Je donne la parole à Mme le garde des sceaux. (Exclamations sur les bancs socialistes)

M. Jean-Pierre Michel.  - Le président du Sénat n'a rien à dire ? C'est un scandale !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Quelle est la position du Sénat ?

Discussion générale

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice.  - Le projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui... (Exclamations sur les bancs socialistes)

M. le président.  - Continuez, madame la ministre, M. Michel va se calmer. (M. Jean-Pierre Michel quitte l'hémicycle)

Mme Rachida Dati, garde des sceaux.  - ...pose les fondations d'une nouvelle vision, apaisée, de la prison. Ce n'est pas un sujet populaire : la prison inquiète et indigne, elle porte beaucoup d'images caricaturales. Les discours sont tranchés, entre les partisans de la liberté et ceux qui exigent davantage de fermeté. Le projet de loi vous invite à dépasser les clivages pour bâtir une prison où l'enfermement ne s'oppose plus au respect de la dignité, une prison conforme à notre idéal républicain. Parce que nous voulons une démocratie irréprochable, nos prisons doivent être irréprochables.

La philosophie pénale qui a inspiré notre système pénitentiaire date du XVIIIe siècle, avec la théorie des délits et des peines de Cesare Beccaria. La prison est conçue essentiellement comme le lieu où s'exécute une peine privative de liberté ; elle n'a pas d'autre finalité que d'exclure un condamné du reste de la société. Le projet de loi met un terme à cette conception dépassée et propose de concevoir aussi l'incarcération à partir de la personnalité du détenu. Il différencie les régimes de détention, met en oeuvre des droits individuels conformes aux règles européennes ; il favorise les activités de formation et de réinsertion. Dans cette nouvelle conception, la prison devient humaine et tournée vers l'avenir.

Cette humanité n'exclut pas la fermeté à l'encontre de ceux qui ne respectent pas les lois de la République. Depuis mon arrivée à la Chancellerie, j'ai placé la lutte contre l'insécurité et la récidive au coeur de mon action. Les Français réclamaient davantage de sécurité. Avec le soutien du Sénat, le Gouvernement a mis en oeuvre une politique de fermeté à l'égard des délinquants, car la sécurité est le premier des droits de nos concitoyens. La loi contre la récidive, du 10 août 2007, a déjà été appliquée à plus de 20 000 reprises. La loi du 25 février 2008 sur la rétention de sûreté concerne déjà 114 condamnés. Dans les prochains mois, le Parlement sera saisi du projet de code pénal des mineurs, car il est urgent de réformer l'ordonnance de 1945 et d'adapter notre droit aux évolutions de la délinquance des plus jeunes.

Cette politique de fermeté était attendue par nos compatriotes. Elle a déjà montré son efficacité : la délinquance générale a baissé de 2 % en 2008. Le Gouvernement a souhaité qu'elle s'accompagne d'une politique pénitentiaire juste et exemplaire. Nos prisons n'ont pas toujours été à l'honneur de la France. Je le dis en toute clarté : tout n'est pas parfait en prison et ce n'est pas manquer de respect à l'administration pénitentiaire que de le dire. Chacun sait que la mission du personnel est difficile. La double évasion de Moulins a rappelé les risques liés au métier de surveillant. Je veux, devant votre Assemblée, rendre hommage à tous ceux qui interviennent en détention. Leur engagement exemplaire ne doit pas masquer la réalité de notre situation pénitentiaire : une forte surpopulation carcérale, des établissements vétustes, des actes de violence.

Le Gouvernement a mis en oeuvre, dès mai 2007, une politique énergique. Pour renforcer l'État de droit en prison, nous avons instauré un contrôle indépendant de la détention. Tout le monde le réclamait depuis dix ans. Le président Hyest avait fait d'excellentes propositions. Le Gouvernement a souhaité agir très rapidement en faisant adopter la loi du 30 octobre 2007 qui crée le contrôleur général des lieux de privation de liberté. J'ai voulu que ce contrôleur ait des compétences larges : plus de 6 000 lieux relèvent de son contrôle. Nous avons voulu une mise en place rapide de cette autorité indépendante : M. Jean-Marie Delarue a été nommé le 13 juin 2008, après avis des deux commissions des lois.

Pour lutter contre la surpopulation carcérale et améliorer les conditions de détention, nous avons construit de nouvelles places de prison, en application de la loi du 9 septembre 2002. Tous nos engagements ont été tenus : en 2008, nous avons ouvert 2 800 places ; en 2009, nous en ouvrons 5 130. L'objectif est de disposer de 63 000 places en 2012. Nous y parviendrons.

Pour lutter contre la récidive, nous avons développé les aménagements de peine. Depuis mai 2007, les résultats obtenus sont très encourageants puisque les aménagements de peine ont progressé de 34 %.

Pour que les détenus soient mieux suivis, 3 800 personnes travaillent dans les services d'insertion et de probation ; en 2002, leur nombre n'était que de 1 800. Nous avons développé le recours au bracelet électronique et 3 730 condamnés sont placés sous surveillance électronique, soit une progression de 40 % en un an. Fin 2009, 5 000 bracelets seront disponibles.

Pour améliorer la prévention du suicide en détention, j'ai demandé à un groupe d'experts, au mois de novembre dernier, de dresser un bilan des actions déjà engagées et de me proposer des mesures nouvelles. Elles sont en cours d'examen par mes services et donneront lieu à un nouveau plan d'action, en collaboration avec le ministère de la santé.

Enfin, pour que l'administration pénitentiaire exerce pleinement ses missions, le Gouvernement lui a accordé de nouveaux moyens. En 2009, le budget de cette direction progresse de 4,1 % et 1 264 postes sont créés. Cet effort budgétaire s'accompagne d'une revalorisation statutaire.

Vous voyez que le Gouvernement n'est pas resté inactif pour améliorer les conditions de détention. II faut maintenant engager une action de long terme. La dernière loi pénitentiaire remonte à 1987. Nous la devons à l'action visionnaire d'Albin Chalandon. Durant la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy a souhaité que notre pays se dote d'une loi fondatrice pour les prisons. C'est la mission qui m'a été confiée. Le projet de loi pénitentiaire a été élaboré dans un esprit de concertation. Un comité d'orientation restreint, composé de représentants du monde judiciaire et de la société civile, a été mis en place dès le 11 juillet 2007. Les organisations syndicales et les associations professionnelles ont été associées à ses travaux. Ses propositions ont été largement reprises par le Gouvernement. Le projet de loi a également été examiné par la Commission nationale consultative des droits de l'Homme, saisie par le Gouvernement.

Le texte qui vous est soumis aujourd'hui a largement évolué depuis son adoption en conseil des ministres. Pour la première fois, le texte discuté est celui qu'a amendé votre commission des lois. Je salue à cette occasion le travail de fond accompli par M. Lecerf. Cette procédure enrichit le débat parlementaire. Je m'en réjouis pour notre démocratie, comme de la richesse de nos échanges avec la commission des lois, dont l'immense majorité des amendements a été acceptée par le Gouvernement. Dans cette nouvelle pratique parlementaire, il m'appartient de vous présenter les grandes ambitions du projet gouvernemental et de vous rappeler les points auxquels le Gouvernement est particulièrement attaché.

La loi pénitentiaire n'a pas pour finalité de désengorger les prisons mais de mieux prendre en charge les détenus, pour mieux préparer la réinsertion et prévenir la récidive. Elle répond à l'intérêt de la société tout entière.

Il s'agit d'abord de clarifier les missions du service public pénitentiaire La réinsertion des détenus et la lutte contre la récidive deviennent des missions prioritaires au côté de la sécurité publique. Le projet de loi précise que la mission de réinsertion s'effectue en liaison avec les autres services de l'État. C'est une nouveauté. Votre rapporteur a souligné l'action positive des délégués du Médiateur auprès des détenus. De fait, l'action de celui-ci contribue à l'apaisement des détentions.

Le personnel doit être mieux reconnu. Ses conditions d'exercice ont profondément évolué ces dernières années. Son métier est difficile, son dévouement exemplaire. Pour renforcer son autorité et définir son champ d'action, le projet de loi crée un code de déontologie, un serment et une réserve pénitentiaire destinée à des retraités de l'administration pénitentiaire : par leur expérience et leur savoir-faire, ces agents contribuent au renforcement de la sécurité des palais de justice et des bâtiments relevant du ministère de la justice.

Les droits des détenus doivent être garantis. Le projet de loi pose en principe que l'état de droit ne s'arrête pas aux portes des prisons. Son exercice ne peut être restreint que dans la seule limite imposée par la sécurité ou le maintien de l'ordre au sein des établissements pénitentiaires. Les droits dont l'exercice en détention exige de déroger aux règles législatives de droit commun sont énumérés : domiciliation à l'établissement pénitentiaire, maintien des liens familiaux, droit au travail ou à l'insertion. Ces droits fondamentaux seront mis en oeuvre ; ils ont toute leur place dans un texte de niveau législatif ; un décret déclinera ce principe de portée générale pour les autres droits.

Les régimes de détention doivent être clarifiés. Il existe le principe constitutionnel de l'individualisation de la peine ; le projet de loi pose le principe législatif de l'individualisation de l'exécution de la peine. Il s'agit d'individualiser les régimes de détention et de mieux encadrer les pouvoirs de l'administration pénitentiaire en matière de discipline et de fouille. Cette individualisation se fera en fonction de la personnalité du détenu, de sa dangerosité et de ses efforts de réinsertion. Un bilan de personnalité sera réalisé lors du passage dans le quartier arrivant.

Prévenir la récidive avec les aménagements de peines est, pour nous, l'enjeu essentiel de ce texte. La prison est nécessaire mais comme ultime recours. Une peine d'emprisonnement doit pouvoir être exécutée en dehors de la prison. Le nombre de condamnés qui pourront prétendre à un aménagement de peines sera élargi ; les détenus en fin de peine pourront être placés sous bracelet électronique. On limitera le recours à la détention provisoire grâce à l'assignation à résidence avec placement sous surveillance électronique.

De nombreux amendements ont été adoptés en commission. Certains améliorent considérablement le texte d'origine, comme l'instauration d'une obligation d'activité pour les détenus ou la prise en compte de la confidentialité de leurs documents personnels. La participation à la commission de discipline d'un membre extérieur à l'administration pénitentiaire symbolise l'entrée de la société civile dans le monde pénitentiaire.

Sur d'autres points, le Gouvernement entend faire valoir sa position et vous proposera des amendements. Je pense en particulier au difficile problème de l'encellulement individuel. La commission des lois a souhaité affirmer son obligation pour les prévenus et les condamnés. Depuis mai 2007, le Gouvernement a tout mis en oeuvre pour améliorer les conditions de détention : nous avons créé de nouvelles places, rénové les établissements vétustes, créé des emplois pour le suivi des détenus. Le Gouvernement a donc pris toutes ses responsabilités. L'objectif est de garantir à tout détenu, qu'il soit prévenu ou condamné, un encellulement digne, sûr, et conforme tant à ses souhaits qu'à son intérêt. C'est l'approche retenue par nos voisins, elle est conforme aux règles pénitentiaires européennes. Il ne s'agit pas de dire à la place du détenu ce qui est bien pour lui, il s'agit de lui offrir un véritable choix entre cellule individuelle et cellule collective, qui, dans tous les cas, garantit sa sécurité et sa dignité. Cette solution n'était pas en tous points notre projet initial mais j'ai tenu compte des avis exprimés en commission. J'espère que nos débats permettront d'aboutir à un accord. Le Gouvernement se rapproche de votre position sur trois points essentiels : nous garantissons l'encellulement individuel pour tous les détenus qui en font la demande ; on ne fait plus de distinction entre les prévenus et les condamnés et on ne pourra plus opposer à la volonté du détenu le motif de l'encombrement ou de la distribution intérieure des locaux. Cette nouvelle disposition, d'une ambition sans précédent, doit être assortie d'un moratoire de cinq ans pour achever l'actuel programme de construction de nouveaux établissements.

Le Gouvernement souhaite défendre d'autres amendements. Sur la question de la motivation spéciale du régime de détention plus sévère, votre position s'expliquait par la crainte de voir des droits ôtés aux détenus sans garantie. II n'en est rien : en adaptant le régime de détention à la personnalité du détenu, nous ne portons pas atteinte à ses droits. Le régime différencié, c'est essentiellement l'ouverture, ou non, des portes des cellules et l'accompagnement des détenus aux activités qui leur sont proposées. La motivation exigée par votre commission sera source de difficultés pratiques et de contentieux qui risquent de paralyser sa mise en oeuvre. Le Gouvernement n'y est donc pas favorable.

Votre rapporteur propose de limiter à trente jours la durée des sanctions de placement au quartier disciplinaire en cas d'agression physique sur les personnes. Je souhaite pouvoir aller jusqu'à quarante jours. L'an dernier, plus de 500 agents ont été agressés ; je ne peux l'admettre et il faut des sanctions exemplaires.

La commission des lois a adopté un amendement modifiant l'ordonnance du 6 août 1958 portant statut du personnel pénitentiaire pour lui reconnaître un droit d'expression et de manifestation dans les conditions prévues par le statut général des fonctionnaires de l'État. Ce renvoi par la loi spéciale à la loi générale est source d'ambiguïté, alors même que votre commission n'entend pas modifier le statut spécial des agents.

Sur la saisine du juge des référés par un détenu, la commission a introduit un amendement qui présume l'urgence en cas d'isolement de la personne détenue. II va de soi que tout détenu, comme tout citoyen, peut saisir le juge des référés. Mais l'isolement n'est pas à lui seul constitutif de la situation d'urgence. Le Gouvernement souhaite donc revenir au texte initial.

Ce texte fera entrer notre système pénitentiaire dans le XXIe siècle. Cette loi est attendue depuis vingt ans. Nous avons l'occasion de refonder notre politique pénitentiaire, de la rendre plus humaine, davantage tournée vers l'avenir. Sachons, ensemble, la saisir. (Applaudissements à droite)

M. Jean-Pierre Bel.  - Lors de mon rappel au règlement, monsieur le président, je vous ai interrogé sur votre position personnelle quant à l'urgence. Vous n'avez pas répondu. Comme nous voulons discuter dans un climat serein, je demande une suspension de séance d'une dizaine de minutes pour en débattre.

M. le président.  - Je vais vous l'accorder.

J'en profite pour vous répondre. La déclaration d'urgence date du 20 février, date à laquelle l'ancienne Constitution était encore en vigueur. Mais votre demande d'une nouvelle Conférence des Présidents ne date que d'hier alors que nous allons légiférer sous l'emprise du nouveau dispositif. (Protestations sur les bancs socialistes)

M. Jean-Pierre Sueur.  - C'est une question de fond !

La séance, suspendue à 15 h 35, reprend à 15 h 55.

Rappels au Règlement

M. Jean-Pierre Bel.  - Les membres de mon groupe -et d'autres- sont troublés après vos réponses parce que la déclaration d'urgence relève de la procédure ancienne et que ce texte sera examiné selon la nouvelle. Quelques éléments d'information car ce que vous nous avez dit ne semble pas correspondre à ce que nous avions compris : protester lors de la Conférence des Présidents du 18 février contre une urgence qui n'a été déclarée que le 20 soulève une difficulté majeure pour tout être normalement constitué (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs socialistes) : votre réponse ne nous satisfait pas.

Vous nous aviez invités à travailler ensemble et nous l'avons fait dans un souci de partenariat complet. La Conférence des Présidents devait jouer un rôle, réguler, si nécessaire, le déroulement de nos travaux. Vous êtes revenu sur cette manière de voir. Nous sommes très surpris et regrettons d'aborder ce débat dans des conditions peu satisfaisantes. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - J'avais moi aussi demandé la parole tout à l'heure pour dire notre surprise d'avoir appris par la presse la déclaration d'urgence. La Conférence des Présidents s'était tenue le 18 et le Gouvernement a adressé la déclaration d'urgence par courrier le 20, jour des vacances parlementaires. Nous avons beau nous tenir au courant, nous ne l'avons su par la presse que beaucoup plus tard. Nous avons joué le jeu de la procédure nouvelle.

Or le Gouvernement s'autorise à utiliser l'ancienne procédure d'urgence quand ce texte, que nous attendons depuis dix-huit mois, pour ne pas dire vingt ans, mérite un débat approfondi pour résoudre les difficultés pointées par l'administration pénitentiaire.

Monsieur le président, plutôt que de vous ranger aux arguments du Gouvernement, vous auriez pu réunir la Conférence des Présidents et lui demander de se déterminer. Bref, nous ne commençons pas l'examen de ce projet de loi dans de bonnes conditions.

M. le président.  - Commençons par une clarification d'agenda rendue nécessaire par la superposition des deux procédures, l'ancienne et la nouvelle. Lors de sa réunion du 18 février, la Conférence des Présidents a été informée que l'urgence était déclarée sur le projet de loi pour le développement économique de l'outre-mer, le procès-verbal en témoigne. Le 20 février, par lettre du Premier ministre, j'ai été informé que l'urgence était également déclarée sur le projet de loi pénitentiaire. Le 2 mars, vous m'avez saisi d'une demande de réunion de la Conférence des Présidents. Mais l'urgence a été déclarée dans le cadre de l'ancien article 45 de la Constitution qui conférait au Gouvernement un pouvoir discrétionnaire en la matière. Au reste, la Conférence des Présidents de l'Assemblée nationale, qui s'est réunie ce matin, a retenu cette interprétation. Reste que le Gouvernement conserve la possibilité de lever l'urgence. La Conférence des Présidents, lors de sa prochaine réunion, pourra l'interroger sur ce point. (Murmures réprobateurs à gauche)

M. Jean-Pierre Sueur.  - Pourquoi attendre ? Le Gouvernement est présent !

M. Robert Badinter.  - Examiner un texte aux termes d'une procédure d'urgence qui n'existe plus constitutionnellement est pour le moins paradoxal ! Rappelons que la procédure d'urgence a été modifiée, lors de la dernière révision constitutionnelle, afin de mettre un terme à une situation déplorable. De fait, qu'un texte fasse l'objet de deux lectures était devenu l'exception ! Voilà pourquoi il a été prévu que les Conférences des Présidents des deux assemblées puissent conjointement s'opposer à l'engagement de la procédure accélérée. Au reste, qui a rappelé le Gouvernement à l'esprit de la Constitution ? Ce n'est pas l'opposition, c'est le Président de l'Assemblée nationale ! Nous gagnerons tous à délibérer un mois de plus sur un texte que nous attendons depuis des décennies. Garde des sceaux durant cinq ans, je n'ai recouru à la procédure d'urgence qu'une fois car deux lectures sont nécessaires pour améliorer un texte tel celui-ci qui présente des difficultés. Bref, aucune raison sérieuse ne justifie que l'on demande au Parlement de délibérer selon un régime qui n'existe plus. Chacun conserve en mémoire les déclarations de M. Roger Karoutchi sur le renforcement des pouvoirs du Parlement. Reconnaissez qu'il serait regrettable de le contredire en appliquant ainsi pour la première fois la Constitution révisée ! (Applaudissements à gauche et sur quelques bancs au centre)

M. le président.  - Nous reprenons le débat. (Protestations à gauche)

M. Charles Gautier.  - Quel mépris ! (Un grand nombre des membres du groupe socialiste quitte l'hémicycle)

Discussion générale (Suite)

M. Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois.  - C'est avec une émotion toute particulière que je rapporte ce projet de loi pénitentiaire car c'est une première sous la Ve République. Nous avons pour objectif ambitieux de rompre avec la prison d'hier et d'aujourd'hui pour bâtir la prison de demain au bénéfice de tous. Ce sera au bénéfice des détenus, dont la privation de liberté ne sera plus synonyme d'abaissement et d'atteinte à la dignité ; au bénéfice de la société et des victimes, qui gagneront à ce que la prison cesse d'être l'école de la récidive pour devenir celle de la réinsertion ; au bénéfice de la démocratie et de la République, qui mettront fin à l'humiliation dénoncée en 2000 dans le rapport de MM. Hyest et Cabanel.

M. Nicolas About, président et rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales.  - Très bien !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur.  - « Une société se juge à l'état de ses prisons ». Cette phrase d'Albert Camus m'a souvent hanté lorsque je visitais, avec d'autres sénateurs, d'innombrables maisons d'arrêt, centres de détention ou maisons centrales. Dans mon rapport, j'ai tenté, avec modestie mais détermination, d'inscrire la réflexion de la commission dans la continuité du travail considérable réalisé ces dernières années. Comment ne pas citer les combats de Robert Badinter et ceux des deux commissions d'enquête parlementaire du Sénat et de l'Assemblée nationale présidées par MM. Jean-Jacques Hyest et Louis Mermaz ? La prison n'est ni de droite, ni de gauche, ni du centre. Puissions-nous, par un vaste consensus, transformer ce lieu de souffrance -souffrance des détenus en écho à la souffrance des victimes- en lieu d'espérance ! Si ce texte ne devait pas modifier la situation, si la montagne devait accoucher d'une souris, ce serait la pire déception de ma vie de parlementaire.

Pour autant, je ne veux pas me montrer injuste envers l'administration pénitentiaire, celle-ci a considérablement évolué.

M. Roland du Luart.  - Juste !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur.  - Que l'on songe aux prisons des années 70, à ces univers clos où les journaux étaient interdits et les échanges entre surveillants et détenus nuls ! Ceux qui ont visité les cellules disciplinaires de la centrale de Clairvaux avaient le sentiment que le temps s'était arrêté depuis le Moyen Age et les cages de fer que l'on prête à Louis XI. La prison a changé avec, depuis la fin des années 80, le renouvellement du parc pénitentiaire, notamment, le programme de construction dont l'initiative revient à un élu de mon département du Nord, M. Albin Chalandon, nommé garde des sceaux en 1986 ; elle a changé avec la création des services pénitentiaires d'insertion et de probation et l'ouverture des établissements aux visiteurs de prisons, associations, délégués du Médiateur et aux parlementaires. Depuis la loi du 18 janvier 1994, la prise en charge de la santé des détenus est assurée par le service public hospitalier dans les conditions de droit commun. La formation des personnels dispensée à l'École nationale de l'administration pénitentiaire intègre la culture des droits de l'homme. L'influence des normes internationales et européennes, les jurisprudences du Conseil d'État et de la Cour européenne des droits de l'homme vont incontestablement dans le sens de l'amélioration continue des conditions de détention. Ce serait faire preuve d'aveuglement que d'affirmer que l'univers carcéral est demeuré immobile. L'implication et l'humanisme de nombreux personnels pénitentiaires forcent l'admiration, tel ce surveillant de la maison centrale de Château-Thierry, la maison de fous devrais-je dire, qui reste auprès des détenus jusqu'à ce qu'ils arrêtent de hurler et qu'ils soient rassurés.

Il serait tout aussi absurde de nier ces inestimables progrès que de ne pas reconnaître avec humilité l'étendue du chemin qui reste à parcourir. Une cellule de 12 m² partagée par trois détenus, avec un matelas par terre, un cabinet d'aisance non ventilé, dépourvu de cloisonnement, telle est encore la réalité dans un certain nombre de prisons. Les aumôniers nationaux consacrent parfois moins de temps à satisfaire aux exigences de la vie spirituelle qu'à accompagner les plus jeunes détenus à la douche pour leur éviter les coups et les viols qui leurs sont réservés dans l'univers carcéral.

M. Nicolas About, rapporteur pour avis.  - C'est vrai !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur.  - Il y a cent cinquante ans déjà, Tocqueville écrivait : la « société a le droit de punir mais non de corrompre ceux qu'elle châtie ». Trop souvent, la prison reste un lieu où perdurent violences au quotidien et loi du plus fort. Quel paradoxe que de plonger des personnes qui ont méconnu gravement les règles dans un univers où les droits et la sécurité ne sont pas garantis ! Chaque année, à Nancy, à Rouen, à Lannemezan ou ailleurs, des détenus meurent victimes de leur codétenus et le taux de suicides dans les prisons françaises reste, malgré les efforts, l'un des plus élevés d'Europe. J'en veux pour preuve les événements des premières semaines de 2009.

Dans ces conditions, comment s'étonner des condamnations internationales qui frappent notre pays ? Leur retentissement est cruel dans la patrie des droits de l'homme. Les efforts accomplis ces dernières années ont été freinés, voire anéantis, tout d'abord en raison de la part croissante des personnes atteintes de troubles mentaux accueillies par les prisons. (Mme Marie-Thérèse Hermange le confirme) La loi pénitentiaire ne pourra pas réellement peser sur ce point. En France, les auteurs d'infractions atteints de troubles psychiatriques sont pris en charge par la prison plutôt que par l'hôpital depuis que le code pénal de 1992 permet de punir un prévenu lorsque le trouble mental a seulement altéré -et non aboli- le discernement et que les évolutions de la psychiatrie ont entraîné une réduction drastique du nombre de lits et de la durée des séjours hospitaliers.

Dans ces conditions, les jurys d'assises, estimant que seule la prison pouvait protéger la société des personnes atteintes de troubles mentaux, prononcent rarement d'acquittements motivés par l'irresponsabilité pénale. L'altération du discernement, qui devrait être considérée comme une circonstance atténuante, conduit bien souvent à l'allongement de la peine. Or, comme le relève le président About dans son rapport pour avis, enfermer en prison un malade psychiatrique revient à nier le sens d'une peine qu'il ne parvient pas à comprendre. Une réforme s'impose, qui nécessitera un travail conjoint de la justice, de la santé et de l'intérieur. Des modifications du code pénal n'auraient par exemple guère de sens si elles n'étaient pas accompagnées d'une évolution de la psychiatrie et de la réouverture de lits psychiatriques en milieu fermé, comme cela se pratique dans nombre de pays voisins. Le Sénat a confié à M. Jean-Pierre Michel et à moi-même une mission d'information sur la responsabilité pénale des malades mentaux, qui pourrait s'ouvrir au-delà de la commission des lois et préparer une initiative législative.

L'inflation carcérale est la seconde cause de l'échec. Le volet du texte consacré aux alternatives à l'incarcération et aux aménagements de peine suscite une large adhésion. La population pénale n'a jamais été aussi nombreuse que ces dernières années, rendant impossible l'encellulement individuel dans les maisons d'arrêt, où la promiscuité entraîne troubles, violences et problèmes d'hygiène. Le renouvellement du parc immobilier et l'augmentation des capacités d'accueil des établissements -c'est le programme « 13 200 places »- associés aux réformes proposées permettent de penser que l'encellulement individuel, différé depuis 1875, n'est plus hors d'atteinte dans des délais raisonnables à la seule condition d'en faire une ardente obligation.

M. Roland du Luart.  - Très bien !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur.  - Ainsi le développement considérable des aménagements de peine imposera-t-il la création de postes de conseillers d'insertion et de probation, que l'étude d'impact elle-même évalue à 1 000. Cet effort n'est pas inaccessible, même à budget constant, au regard du nombre de créations de postes de surveillants imposées ces dernières années par l'ouverture des nouvelles prisons. Comme le note justement l'institut Montaigne, « mieux vaut doubler l'effectif des 3 600 agents des services pénitentiaires d'insertion et de probation (Spip) que d'embaucher 12 000 gardiens pour faire régner l'ordre sur 30 000 nouvelles places de prison ».

Je ne peux vous cacher, madame le ministre, que le volet du projet de loi consacré au service public pénitentiaire et aux conditions de détention a suscité la déception, tant lors des visites d'établissements que des auditions. Il faut dire que ce texte est très attendu...

La commission des lois a donc cherché à rééquilibrer les deux volets du texte en s'appuyant notamment sur le remarquable travail du comité d'orientation restreint sous l'autorité du procureur général Jean-Olivier Viout. Parmi les modifications majeures qu'elle a introduites, puisque, depuis le 1er mars, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 est sur ce point entrée en vigueur...

M. Jean-Pierre Sueur.  - Pas pour l'urgence !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur.  - ...je veux citer l'obligation d'activité pour les personnes détenues et la possibilité pour les plus démunis d'obtenir une aide en numéraire ; ou la reconnaissance d'un droit d'expression sous la forme d'une consultation sur les activités qui leur sont proposées. La commission a strictement encadré les fouilles, en rappelant que le recours aux fouilles intégrales n'est possible que si les autres moyens d'investigation, moins attentatoires à la dignité de la personne, s'avèrent insuffisants ; les investigations corporelles internes -qu'en termes galants ces choses-là sont dites...- seront désormais proscrites sauf impératif spécialement motivé et ne pourront être réalisées que par un médecin requis à cet effet qui, si le Sénat vote l'amendement de la commission des affaires sociales, ne participera pas aux soins en milieu carcéral. Nous avons également renforcé les garanties reconnues aux détenus menacés de sanctions disciplinaires, en prévoyant la présence d'une personne extérieure à l'administration pénitentiaire au sein de la commission de discipline et en ramenant la durée maximale de placement en cellule disciplinaire en cas de violence contre les personnes de 45 à 30 jours. La commission a étendu à tous les détenus le bilan d'évaluation prévu au début de l'incarcération ; elle a aussi prévu une évaluation de chaque établissement au regard de ses résultats en matière de récidive afin que soit mieux mesuré l'impact des conditions de détention sur les chances de réinsertion.

Mais nous débattrons plus avant de ses 107 amendements lors de l'examen des articles.

Avec ce texte, le Parlement reprend la main sur l'organisation et le régime intérieur des établissements pénitentiaires, alors que le droit de la prison relève pour l'essentiel aujourd'hui de mesures réglementaires, voire de circulaires. L'article 34 de la Constitution réserve à la loi la fixation des règles concernant les garanties fondamentales accordées au citoyen pour l'exercice des libertés publiques : c'est donc au législateur de limiter éventuellement les droits et garanties du détenu autres que sa liberté d'aller et venir. Je suis certain qu'on se rendra rapidement compte de ce changement considérable.

Le Sénat doit accorder une importance particulière à cette réforme, lui qui s'est toujours impliqué dans les combats pour les libertés et pour la dignité humaine ; il est ici au coeur de la spécificité de son message. Le président Larcher a visité mardi dernier, en ma compagnie, la prison de Lille-Loos, avant d'animer une table ronde des personnels et des associations oeuvrant en milieu carcéral. Je le remercie de ce geste symbolique qui montre que près de dix ans après le rapport Hyest-Cabanel Les prisons, une humiliation pour la République, le Sénat livre le même combat et entend cette fois le gagner.

Les Français doivent s'approprier les prisons de la République ; il faut pour cela repousser la tentation du secret et de l'opacité. Je suis convaincu que la presse doit pouvoir entrer dans les prisons pour y faire son métier d'information. Dans le pire des cas, ses reportages seront un aiguillon ; dans le meilleur, elle rapportera par exemple cette confidence que m'a faite un jeune détenu dans un établissement pénitentiaire pour mineurs : « quand je suis rentré ici, je venais d'un « quartier mineurs » où la prison était un temps mort. En quelques mois, j'ai appris à lire et à écrire ».

Enfin, comme l'a noté M. Robert Badinter, « rien n'est possible, lorsque l'on parle de transformation du monde pénitentiaire, si l'on ne fait pas fonctionner de concert la condition des détenus et celle des personnels qui oeuvrent dans les prisons ». Nous avons cette exigence à l'esprit. Je veux souligner le dévouement et le professionnalisme des personnels pénitentiaires.

M. Christophe Caresche, député, écrivait en 2006, sans doute en référence à Camus : « si l'on juge une démocratie au sort réservé à ses prisonniers, alors nous sommes probablement plus près de la barbarie que de la civilisation ». Si je ne partage pas l'extrême sévérité de ce jugement, je veux que demain, ces propos n'intéressent plus que les historiens... Ne laissons pas passer la chance de faire en sorte que notre République n'ait plus jamais honte de ses prisons. (Applaudissements des bancs socialistes à la droite)

M. Nicolas About, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales.  - Nous venons de l'apprendre avec surprise : il faut jusqu'à 120 jours pour détecter un cas de tuberculose à la maison d'arrêt de Villepinte, alors qu'il suffirait d'une nouvelle convention avec l'hôpital de rattachement pour ramener ce délai à 30 jours. Cet exemple s'ajoute à tous ceux qui nous font déplorer la situation médiocre de la santé en prison. A Villepinte comme à Moulins, c'est une maladie venue d'un autre âge et une peur de contagion, que l'on pensait disparues, qui ont surgi. La prison joue un rôle de révélateur car si elle concentre les difficultés de santé, c'est d'abord parce qu'elle concentre les difficultés sociales, outre qu'elle suscite elle-même des troubles sanitaires -je pense aux suicides, dont le nombre remonte depuis l'an dernier et singulièrement depuis le début de 2009, signaux évidents du mal-être des détenus.

Les désordres psychologiques et mentaux les plus graves toucheraient au moins 10 % des personnes emprisonnées, et jusqu'à 60 % d'entre elles si l'on considère l'ensemble des troubles mentaux. C'est la preuve d'un double échec, celui de la santé publique en matière de soins psychiatriques et d'attention portée aux populations socialement fragiles, celui des soins en prison.

Ce projet de loi longtemps attendu doit poser les nouveaux principes de notre organisation pénitentiaire ; il ne peut donc oublier la santé en prison, sujet sur le lequel il était pourtant peu disert. La commission des affaires sociales se devait de l'examiner et de le compléter en tant que de besoin. Pourquoi d'ailleurs travaillons-nous dans l'urgence alors que le rapport du docteur Albrand sur la prévention des suicides en milieu carcéral est attendu pour la semaine prochaine ?

J'ai visité plusieurs établissements pénitentiaires et y ai recueilli le point de vue de médecins, de personnels, de prisonniers même. Si échec il y a, il ne tient pas aux personnels soignants dont j'ai pu constater le dévouement, parfois jusqu'au bout de leur capacité à endurer ; il ne tient pas plus aux personnels pénitentiaires, qui sont démunis face à la maladie. Le problème, c'est la prison elle-même.

Les insuffisances de la situation actuelle ne doivent pas faire oublier les énormes progrès accomplis. Le tournant a été pris avec la loi du 18 janvier 1994 : à partir de cette date, ce n'est plus l'administration pénitentiaire qui a en charge la santé des détenus mais l'hôpital public. Le changement fut radical. La logique antérieure, qui relevait trop souvent de la suspicion envers les condamnés, justifiait presque l'octroi de soins a minima ; elle se traduisait parfois par une obligation à la rédemption non exempte d'effets pervers - rappelons-nous les collectes de sang en prison pour favoriser la « réinsertion » des détenus et les drames de la contamination qu'elles ont causés. Depuis 1994, le détenu est considéré comme un patient à part entière, titulaire de droits et notamment celui d'accéder à un niveau de soins égal à celui dont dispose le reste de la population. Le problème est de faire en sorte que les faits traduisent les principes.

Dans la situation actuelle, chacun des 194 établissements pénitentiaires est doté d'une unité de consultations et de soins ambulatoires (Ucsa) chargée de dispenser les soins courants et d'assurer la visite régulière de certains spécialistes. La plupart des Ucsa disposent également d'un psychiatre, sauf lorsqu'un service médico-psychologique régional (SMPR) regroupe psychiatres, psychologues et infirmiers spécialisés.

Chaque Ucsa et SMPR fait l'objet d'une convention entre l'établissement carcéral et un hôpital de rattachement qui met à disposition des personnels et des moyens matériels. La plupart du temps, celle-ci est signée avec deux établissements car peu d'hôpitaux disposent à la fois de services somatiques et psychiatriques. Cela crée des difficultés matérielles, qui s'ajoutent parfois au manque de dialogue entre médecins psychiatres et somaticiens. Non seulement l'Ucsa et le SMPR sont rarement connectés à internet, et plus rarement encore connectés entre eux, mais ils ne peuvent partager le même dossier médical du fait de l'incompatibilité des systèmes informatiques des hôpitaux de rattachement.

Les unités de soins en prison rencontrent des problèmes de financement au sein de l'hôpital. La tarification à l'activité (T2A) appliquée pour les soins somatiques ne pouvant couvrir l'ensemble des besoins, elle est complétée par une dotation Migac, allouée aux missions d'intérêt général et à l'aide à la contractualisation. Dès lors, les hôpitaux sont tentés de négliger les unités carcérales dans les négociations annuelles avec l'agence régionale d'hospitalisation (ARH) ou d'utiliser les sommes destinées aux soins en prison pour assurer le fonctionnement général de l'hôpital. Ainsi, de nombreux médecins m'ont affirmé qu'il existe des affectations fictives en prison, les personnels exerçant en fait l'intégralité de leur service à l'hôpital.

Les personnels soignants qui assurent un service en prison le font par conviction. S'il existe des primes et des horaires adaptés qui peuvent convenir à certains personnels féminins, on ne se confronte aux contraintes du monde carcéral -difficultés d'accès, négociations avec l'administration pénitentiaire, violences verbales répétées- qu'avec le sentiment d'une mission de service public à accomplir. Peu de postes de médecin à plein temps sont disponibles en prison et les perspectives de progression de carrière sont limitées. Il est cependant justifié que les soignants continuent d'exercer partiellement à l'hôpital car la médecine pratiquée en prison est répétitive et déqualifiante. En effet, bien que bénéficiant en principe d'une priorité de reclassement, ces médecins et ces infirmiers ne trouvent pas facilement une place au sein d'un service hospitalier.

J'ai vu des médecins et des infirmières s'occuper de leurs patients tous les jours, sans interruption ni vacances, et leur épuisement physique et moral risque de se refléter sur la qualité des soins dispensés, comme sur leur propre santé. Cette situation, courante à l'hôpital, est aggravée par le caractère clos du milieu carcéral. Les unités de soins en prison ne sont pas adaptées aux soins lourds, mais seulement aux soins ambulatoires. Seuls les SMPR disposent de quelques lits. J'ai rencontré un homme se trouvant depuis huit ans dans une cellule du SMPR : la lourdeur de sa pathologie n'était pas compatible avec une incarcération ordinaire et il aurait dû être soigné dans un établissement spécialisé. J'ai aussi vu une personne de 84 ans recroquevillée en position foetale depuis des mois et des mois ; on se demande ce qu'on attendait pour la faire sortir ; réponse : ailleurs, on ne sait pas où la mettre. Les moyens disponibles en prison sont trop précieux pour être mobilisés aussi longtemps pour une seule personne.

Même pour une simple consultation, on ne parvient que très difficilement à faire sortir un malade de prison. Les chambres sécurisées n'ont été que rarement et tardivement installées à l'hôpital. A ces difficultés techniques s'ajoutent certainement les réticences vis-à-vis de la présence de prisonniers dans les services : on souhaite les faire retourner en prison le plus rapidement possible. En milieu psychiatrique, cela se traduit souvent par l'usage des cellules d'isolement auxquelles -intolérable paradoxe- les malades préfèrent la prison ! Puisqu'on ne peut soigner durablement les prisonniers à l'hôpital, des unités hospitalières sécurisées interrégionales (UHSI) pour les soins somatiques et des unités de soins spécialement aménagées (UHSA) pour les soins psychiatriques sont peu à peu mises en place. Coûteuses, elles n'ont pas encore fait leurs preuves en termes de soins. Un bilan s'impose.

Dès aujourd'hui, nous devons donc nous assurer que les unités de soins en prison fonctionnent convenablement. Cela suppose une clarification des rôles : les médecins et les personnels soignants doivent soigner et non effectuer des missions de sécurité, comme les fouilles corporelles. Il faut également garantir au prisonnier malade les mêmes droits qu'à n'importe quel patient. Consacrés en 1994, ces derniers font l'objet d'entorses fréquentes, particulièrement vis-à-vis du secret médical. En outre, des moyens matériels modernes, semblables à ceux dont sont dotés les hôpitaux, doivent être utilisés car les prisonniers concentrent les difficultés sociales et sanitaires.

Je suis favorable à l'institution d'un dossier médical électronique commun aux soins psychiatriques et somatiques. Le développement de la télémédecine permettrait, quant à lui, de réduire les coûts de certaines consultations et faciliterait l'interprétation des analyses et l'accès à certains spécialistes en évitant le transfert des détenus. Par ailleurs, les nouvelles technologies sont préférables aux fouilles corporelles. Le cas de Moulins n'est pas rare : tout rentre en prison et les fouilles au corps ne servent pas à grand-chose, sauf à humilier les détenus. Des scanners, tels ceux qu'utilisent les aéroports américains, peuvent les remplacer. Rien ne justifie que l'on mélange médecine et sécurité.

Enfin, le problème de la santé en prison dépasse le cadre de la stricte organisation des soins pour rejoindre celui des conditions de détention. De ce point de vue, il n'existe aucune différence réelle entre établissements anciens et plus récents. En moyenne, la population carcérale dans les maisons d'arrêt s'établit à 130, voire 180 ou 300 % des capacités initiales. Dans certains cas, trois détenus cohabitent dans une cellule de 9 m² avec une toilette ouverte au centre de la pièce. Les draps ne sont changés qu'une fois par mois et la douche n'est accessible que trois fois par semaine. La lutte contre la surpopulation carcérale est aussi une priorité sanitaire.

L'accès à la santé ne doit pas s'arrêter à la porte de la prison. Pour de nombreux détenus, la visite chez le médecin et le psychiatre le jour de leur arrivée, limitée parfois à un entretien avec le personnel infirmier, est le premier contact avec le monde de la santé. Des traitements sont alors engagés, mais ils s'interrompent brutalement à la libération du prisonnier, surtout si elle est anticipée. Pour réinsérer, il faut soigner après l'incarcération, accompagner la personne et pas seulement le détenu.

Les amendements déposés par la commission des affaires sociales visent à compléter le projet de loi dans quatre directions : améliorer l'organisation des soins, clarifier les missions des personnels soignants, promouvoir l'emploi des techniques les plus modernes et, surtout, renforcer les conditions d'hygiène. Nous nous réservons le droit de proposer de nouvelles dispositions dès la communication du rapport du docteur Albrand sur la prévention des suicides en prison. Nous nous soucions également de préparer la réinsertion du détenu grâce au maintien des liens familiaux, à l'accès à la formation et à la poursuite des traitements médicaux après la libération.

Nous soutiendrons ardemment nos amendements et comprendrions mal qu'on nous oppose leur hypothétique valeur réglementaire. Ce texte est à mes yeux essentiellement de niveau réglementaire et cet argument ne saurait valoir que pour la commission des lois... Sous ces réserves, notre commission est favorable à ce texte certes très attendu, mais amélioré par la commission des lois et par l'excellent travail de son rapporteur, Jean-René Lecerf. (Applaudissements au centre, à droite et sur certains bancs socialistes)

présidence de Mme Monique Papon,vice-présidente

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - Ce débat n'est banal ni par son objet, ni par les conditions dans lesquelles s'engage la discussion -et je ne me prononcerai pas sur l'urgence... (Rires) Pour la première fois sous la Ve République, en application de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, la discussion en séance publique s'engage sur le texte élaboré par la commission et non sur celui déposé par le Gouvernement. La commission des lois s'est longuement préparée à cette novation constitutionnelle, dont les conséquences n'ont peut-être pas été complètement appréhendées par ses promoteurs. Le débat eût été bien plus facile si les lois organiques avaient été votées en temps utile...

Pour lever les doutes, nous avons, après avoir intégré dans le texte de la commission des amendements du rapporteur et des membres de la commission, examiné les amendements dits « extérieurs », émanant des sénateurs et du Gouvernement que nous avons entendu ce matin.

La commission des lois a confirmé, ainsi que l'a rappelé le président du Sénat, le texte proposé à votre délibération, puisqu'à compter du 1er mars est entré en vigueur l'article 42 de la Constitution. (On ironise à gauche)

M. Charles Gautier.  - Sauf pour l'urgence...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Je le rappelle surtout pour le Conseil constitutionnel, qui a parfois besoin d'être éclairé sur la régularité de notre procédure... Cette procédure, pour nous expérimentale, devrait permettre à nos débats de se concentrer sur les enjeux fondamentaux des textes.

Combien avons-nous, madame le garde des sceaux, attendu ce texte ! Songeons que le rapport de notre commission d'enquête avait été rendu en juin 2000. Ce rapport demeure pourtant, hélas ! et malgré les efforts non négligeables accomplis ces dernières années, d'actualité.

On ne peut déplorer la surpopulation carcérale, la dégradation des conditions de détention qui interdit trop souvent à la prison d'assumer sa mission de réinsertion et ne lui permet pas de lutter contre la récidive, et remettre à plus tard une réforme ambitieuse. L'ouvrage de référence du président Badinter, La prison républicaine, est très éclairant. La punition, justifiée par ce que la société considère comme des manquements graves aux valeurs et aux règles de la vie en commun, permettait la mise à l'écart des criminels et des délinquants. Mais comment faire du temps de la prison un temps de réinsertion ? Le législateur a parfois donné à cette question une réponse positive, malheureusement bien vite contredite par les faits : en respectant la dignité des personnes détenues, donc en améliorant les conditions de détention ; il s'agit de garantir un droit aux soins médicaux -et la loi du 18 janvier 1994 a marqué un progrès considérable, même si le président About vient d'en dénoncer les lacunes-, de favoriser le travail pénitentiaire et la formation, seuls gages d'une réinsertion possible, de lutter contre la surpopulation carcérale, bien souvent due, Mme le garde des sceaux le sait, à des problèmes financiers.

Car le paradoxe est bien que les prévenus, présumés innocents, sont plus mal traités que les condamnés. Si les récents événements dans les prisons françaises sont révélateurs de la gravité de la situation, il n'en faut pas moins rappeler l'effort considérable entrepris pour réhabiliter le parc pénitentiaire, dès le programme Chalandon, suivi par celui que mit en oeuvre M. Méhaignerie, puis par la loi d'orientation et de programme sur la justice lancé par M. Perben. C'est de fait une nécessité, trop souvent méconnue, que d'avoir une stratégie immobilière, dans laquelle on intègre la maintenance, qu'autorise le partenariat public-privé -si Fleury-Mérogis avait été entretenue, elle n'aurait pas besoin, aujourd'hui, d'un programme de rénovation colossal.

Nous avons soutenu avec beaucoup de force la création d'un contrôleur général des lieux de privation de liberté, que vous avez proposé, madame la ministre, comme le développement du bracelet électronique, dont l'initiative revient au Sénat et dont il faut rappeler que l'administration pénitentiaire de l'époque ne voulait à aucun prix, alors que des expériences bien connues, comme celle du Canada, plaidaient déjà en sa faveur. Aujourd'hui, votre projet, c'est l'un de ses aspects importants, vise à développer les alternatives à l'incarcération et notre commission a très largement approuvé ces mesures, qui devraient contribuer à lutter contre la surpopulation carcérale et éviter aux courtes peines les risques de la récidive.

En ce qui concerne les dispositions relatives aux conditions de détention, et dans la ligne du projet de loi, la commission, guidée par l'excellent travail de notre rapporteur, M. Lecerf, qui n'a ménagé ni son temps, ni son engagement, ni son intelligence de la situation, vous fera un certain nombre de propositions innovantes, tant en ce qui concerne les droits des détenus que l'obligation d'activité.

Bien entendu, nous aurons à nous prononcer sur le maintien du principe de l'encellulement individuel, qui remonte à 1875. On peut admettre que cet objectif, qui n'a jamais été atteint, semblant irréaliste, puisse, pour des raisons positives, être aménagé, selon les modes de détention et les besoins des détenus, mais notre espoir reste bien que le nombre de prévenus continue à diminuer et que les alternatives à l'incarcération ici prévues trouvent toute leur dimension.

Nous nous sommes efforcés d'appréhender la réalité d'un service public singulier, en nous gardant de tout angélisme. Car la plupart des détenus sont emprisonnés à la suite d'actes criminels ou délictueux graves, pour avoir tué, violé, blessé, abusé, volé, fraudé, trafiqué. La société a le droit et le devoir de se protéger. Reste que la prison ne saurait demeurer ce système confus qui transforme les établissements pénitentiaires en asiles, en hospices ou en hôpitaux. Nous entendons sur ce point réfléchir, les deux rapporteurs l'ont rappelé, à une réforme de l'article 122-1 du code pénal. J'ai participé à la révision de ce code et je me demande aujourd'hui si, sur cet article qui n'évoque plus la « démence », nous ne nous sommes pas trompés. Nous attendons aussi une loi sur l'hospitalisation psychiatrique.

La commission a porté une attention particulière aux personnels, dont la formation s'est à tel point enrichie qu'il y a loin des gardiens d'autrefois aux surveillants d'aujourd'hui. Leur métier, difficile et que tous n'ont pas toujours choisi, suscite, une fois embrassé, un très fort engagement. C'est en pensant à eux aussi qu'il conviendra de développer les services pénitentiaires d'insertion et de probation pour développer l'aménagement des peines.

Je souhaite que ce dernier volet de votre politique pénale, pendant indispensable des textes que nous avons votés, comme celui sur la récidive, fasse une prison plus utile, plus efficace, qui donne une chance à ceux qui sont coupés de la société ; une prison qui ne soit plus « une humiliation pour la République » -c'est une ambition que nous partageons sur tous les bancs, digne de la France des droits de l'homme-, une prison conçue non seulement « pour protéger la société et assurer la punition du condamné mais aussi pour favoriser l'amendement de celui-ci et préparer son éventuelle réinsertion ». J'ai cité la décision du Conseil constitutionnel du 20 janvier 1994, qui soulèvera, sur certains de ces bancs, quelque écho... (Applaudissements à droite et sur plusieurs bancs au centre)

M. François-Noël Buffet.  - Devant le tribunal de Bobigny, en juin 2007, vous déclariez, madame la ministre, que « la justice ne peut être ferme si elle n'est pas humaine » et qu'« une justice humaine, c'est aussi une justice qui respecte totalement ceux qui sont condamnés ». Comment ne pas souscrire à de telles intentions ? Après le projet de loi instaurant des peines minimales pour les récidivistes et celui qui mettait en place un contrôleur indépendant des lieux privatifs de liberté, nous sommes aujourd'hui saisis d'un texte fondateur dans le domaine pénitentiaire. Ces textes, complémentaires, constituent le socle d'une justice que vous souhaitez, à juste titre, à la fois plus ferme mais également plus humaine. Si notre arsenal juridique doit être renforcé afin de nous prémunir contre des cas de récidive parfois très graves, il convient, dans le même temps, de veiller au plein respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté. Nous voulons une justice attentive aux victimes ; nous la voulons aussi attentive aux condamnés.

L'emprisonnement doit s'accorder avec le respect de la personne humaine. La privation de liberté ne signifie pas privation de l'accès au droit.

Notre assemblée a toutes les raisons de se réjouir que ce projet de loi, déposé le 28 juillet dernier, soit enfin soumis à son examen. La commission a procédé à des auditions ; Mme la Garde des sceaux est venue lui présenter le texte, elle est revenue défendre ses amendements -même si, pour ceux-ci, c'était ce matin, nous avons eu suffisamment de temps pour étudier le dossier. Depuis le 22 juin 1987, aucune réforme du droit pénitentiaire n'avait été mise en chantier. Ce projet suscite de très fortes attentes de la part de nos concitoyens, des professionnels de la justice et des élus. Depuis de nombreuses années, avec constance, le Sénat porte une attention particulière à la situation des établissements pénitentiaires. Il y a neuf ans, une commission d'enquête présidée par M. Hyest soulignait l'urgente nécessité d'améliorer les conditions de détention dans les prisons. La conclusion du rapport, intitulé Les prisons : une humiliation pour la République, était sans appel : « Il y a urgence (...), urgence depuis 200 ans ». Je tiens donc à saluer l'initiative du Gouvernement, qui permet aujourd'hui au Parlement de débattre d'une loi fondamentale.

Vingt-deux ans ont passé depuis qu'Albin Chalandon fit adopter la loi pénitentiaire du 22 juin 1987. Depuis, tout a changé : le profil des détenus, l'administration pénitentiaire, la société, les normes européennes et internationales qui se sont précisées. Le projet de loi que vous nous proposez a d'abord pour vertu de mettre en conformité notre droit interne avec nos obligations européennes : le 11 janvier 2006, le Conseil de l'Europe a énoncé 108 règles pénitentiaires qui n'ont malheureusement aucune valeur juridique contraignante, mais que votre texte applique. Ce projet de loi comporte des avancées majeures : il consacre le principe selon lequel la personne détenue conserve le bénéfice de ses droits de citoyen, même si elle est privée de sa liberté et sous réserve que le tribunal l'ait privée de certains de ses droits ; il permettra d'améliorer la vie quotidienne des détenus au sein de l'établissement pénitentiaire, grâce à la possibilité offerte à tous de téléphoner et à l'incitation faite aux détenus d'exercer une activité professionnelle, sportive ou culturelle ; il améliore également les conditions de travail du personnel, auquel je souhaite rendre un hommage appuyé : ces personnes méritent la reconnaissance de la société tout entière pour le travail qu'elles mènent quotidiennement dans des conditions souvent extrêmement difficiles.

L'un des principes qui inspire ce projet de loi est que la prison est une sanction nécessaire mais ultime. Les peines alternatives à la prison et les aménagements de peine favorisent la réinsertion des détenus et permettent de lutter plus efficacement contre la récidive ; elles remédient également à la surpopulation carcérale. Ce projet de loi institue l'assignation à résidence avec surveillance électronique, qui pourra remplacer la détention provisoire. Notre groupe ne peut qu'approuver des mesures de substitution qui ne mettent pas en danger la sécurité des personnes. Le projet de loi place la réinsertion des détenus au coeur des missions du service public pénitentiaire en favorisant le développement de la formation et du travail en prison.

Les modifications apportées au texte du Gouvernement par la commission des lois, à l'initiative de M. le rapporteur que je félicite pour son travail de grande qualité, ont rencontré une large adhésion car elles permettent d'améliorer significativement les conditions de détention. La commission a souhaité conserver le principe de l'encellulement individuel, inscrit depuis 1875 dans le code de procédure pénale mais auquel la France a toujours dérogé en raison de la surpopulation carcérale. S'il convient d'affirmer ce principe, il semble toutefois nécessaire de prévoir certains aménagements afin de permettre aux détenus qui supportent mal l'isolement carcéral d'être placés dans une cellule à usage collectif.

Il est temps de porter un regard nouveau sur la prison, d'accorder toute sa place à l'impératif de réinsertion et de garantir le respect des droits fondamentaux des personnes détenues. Pour l'ensemble de ces raisons et sous réserve de ces observations, les membres du groupe UMP voteront le texte proposé par la commission des lois. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Jacques Mézard.  - Comment faire de la prison un lieu d'espérance, alors qu'elle est aujourd'hui un lieu de désespérance, sinon en privilégiant le sens de l'humain ? Je souhaite rendre hommage à M. le rapporteur Lecerf, qui a montré par son action et son discours qu'il était un homme de conviction, sachant écouter à la fois la voix du coeur et celle de la raison, et qui s'est toujours montré persuasif par la force de ses arguments. (Applaudissements au centre, à droite et sur quelques bancs à gauche)

Ce projet de loi pénitentiaire ne saurait être appréhendé hors du contexte de la politique pénale de notre pays ; il ne doit pas devenir un outil de communication destiné à masquer l'état catastrophique des prisons françaises. Nous portons tous la responsabilité de cette situation ; nos concitoyens ne s'intéressent à la justice que lorsqu'elle les concerne personnellement. Le récent plan de relance ne comportait que 80 millions pour la justice, dont 30 millions d'euros pour des travaux de rénovation dans les établissements pénitentiaires et 15 millions d'euros pour le lancement anticipé des « quartiers courtes peines ». La France est montrée du doigt en Europe pour les dysfonctionnements de sa justice. Le bâtonnier de Paris a qualifié publiquement les prisons françaises de « pourrissoirs » et conclu son éditorial du 16 janvier 2009 par ces mots : « Nous taire ou nous abstenir équivaudrait à nous rendre nous-mêmes complices de cette indignité ». Le rapport de M. Delarue, dont la récente nomination aux fonctions de contrôleur des lieux privatifs de liberté doit être saluée, établit les mêmes constats : surpopulation carcérale, prolifération des lieux de non-droit où toutes les violences sont permises, taux de suicide en progression exponentielle, désarroi des personnels...

Quelle est la réponse de l'État ? Ce projet de loi résout-il les problèmes de la prison ? Il renforce certes les droits des détenus et développe les peines substitutives à la prison. Mais le Gouvernement veut remettre en cause le principe de l'encellulement individuel : ce n'est pas raisonnable. Une politique pénitentiaire équilibrée doit concilier la protection de la société, l'application de sanctions pour des actes délictueux ou criminels d'une part, l'impératif de réinsertion sociale et la qualité des conditions de travail du personnel d'autre part. Le déséquilibre vient de ce que l'on privilégie un volet ou l'autre, le « populisme pénal » ou le « laxisme libertaire ». Nous ne voulons ni de l'un, ni de l'autre. Ce projet de loi est-il seulement une réponse médiatique aux mises en garde répétées d'organismes nationaux et internationaux, ou permettra-t-il de mettre en pratique leurs recommandations ?

Le texte de la commission des lois constitue un net progrès par rapport au projet initial. Il réaffirme les droits des détenus, inhérents à la personne humaine : la nouvelle rédaction de l'article premier dispose que le service public pénitentiaire garantit à tout détenu le respect de ses doits fondamentaux ; les articles 2 bis à 2 sexies traitent des moyens de contrôle externe et interne ; d'autres dispositions encadrent les restrictions des droits des détenus, facilitent la communication de ces derniers avec leur famille et leur avocat, renforcent leurs droits sociaux et ceux des familles. L'article 32 affirme le caractère subsidiaire de l'emprisonnement et la nécessité de son aménagement. L'inscription au niveau législatif des principes du régime disciplinaire est un retour à la voie de droit, mais pas un alignement sur la norme européenne.

Un débat revient comme un serpent de mer, révélant l'échec de notre politique pénitentiaire : je veux parler de l'encellulement individuel. Le livre du docteur Vasseur, publié en 2000, et son écho dans l'opinion publique conduisirent les parlementaires à prohiber l'encellulement collectif, conformément à la loi de 1875, tout en reportant l'entrée en vigueur de cette disposition jusqu'au 15 juin 2003, puis jusqu'à 2008 par le biais d'un cavalier législatif au sein de la loi du 12 juin 2003 sur la violence routière... Aujourd'hui, le Gouvernement veut revenir sur ce principe ; quant au texte de la commission, il prévoit en son article 59 un moratoire de cinq ans avant son application. Il est facile de dire que nous n'avons pas les moyens financiers de remédier à la surpopulation carcérale ; mais renoncer au principe de l'encellulement individuel n'est pas le meilleur moyen de préparer les budgets de demain ! (Mme Bernadette Bourzai approuve) Aujourd'hui, les détenus ont tout juste le droit d'être transférés en cellule individuelle n'importe où en France, après plusieurs mois de procédure. Il convient de conforter le droit à l'encellulement individuel et de mettre l'État devant ses responsabilités. La loi pénitentiaire ne sera qu'une déclaration d'intentions sans un plan d'urgence contre la surpopulation carcérale, sans moyens nouveaux pour faciliter le travail en prison, développer la surveillance électronique et améliorer le suivi socio-judiciaire.

La situation actuelle, c'est l'entassement des prévenus et des condamnés en cellules collectives dans des conditions humiliantes et dégradantes, la promiscuité, la loi du plus fort, l'arbitraire découlant de cette surpopulation et l'insuffisance de moyens d'une politique de réinsertion, le nombre de décès et de suicides, l'augmentation des affections contagieuses y compris chez les surveillants -on a dénombré sept cas de tuberculose à Moulins et Clermont-Ferrand.

Un volet du projet de loi tend à développer les aménagements de peine privative de liberté, c'est positif, mais l'expérience incite au scepticisme si l'on se réfère à la chute du nombre de libérations conditionnelles entre 2001 et 2007, au fait que la mise en place de la surveillance électronique, surtout mobile, nécessite des infrastructures et un suivi humain et matériel coûteux. Comment ne pas souligner la contradiction entre la politique d'affichage sécuritaire aboutissant à l'augmentation du nombre de détenus -peines plancher, rétention de sûreté, carcéralisation du soin psychiatrique- et ce projet de loi ? Est-ce d'ailleurs une contradiction, ou la caractérisation d'une politique visant à faire du système répressif une noria où le flux d'entrées augmente pour répondre au message punitif et impose un flux de sortie accéléré pour cause d'embouteillage humain ? Comment préparer à la réinsertion, lorsque des dizaines de milliers de petits délinquants reviennent en prison pour purger des peines de quelques mois ? On prépare la récidive plus que la réinsertion !

La justice est incompatible avec le suivisme de la médiatisation, avec ces discours sur l'insécurité, que d'ailleurs la politique du chiffre ne fait qu'accroître, à preuve les 577 000 gardes à vue de 2008. Dans son traité De la clémence, Sénèque écrivait : « Quant aux moeurs publiques, on les corrige mieux en étant sobre de châtiments car la multitude des délinquants créé l'habitude du délit ».

Dans le concert des pays développés, la France n'est pas montrée du doigt pour le nombre de ses détenus mais pour ses conditions déplorables de détention, inacceptables pour le pays des droits de l'homme. Cette situation intolérable pour les détenus, pour leurs familles, pour les surveillants est incompatible avec la lutte contre la récidive. Comme, en outre, elle ne favorise pas la réinsertion, elle va contre la sécurité de nos concitoyens. Plutôt que d'accumuler les lois modifiant code pénal et code de procédure pénale, l'urgence, c'est de considérer enfin que l'état de nos établissements pénitentiaires relève d'une priorité nationale. (Applaudissements sur les bancs socialistes et sur ceux du RDSE)

M. Alain Anziani.  - Le Sénat a souvent débattu de textes relatifs à la prison. Il y a plus d'un siècle, René Bérenger, catholique et républicain, montait à cette tribune pour dresser un constat : la récidive a pour cause l'état misérable des prisons, la promiscuité favorise la corruption. Il ajoutait que le sursis, l'encellulement individuel, l'aménagement des peines, la libération conditionnelle évitent la récidive plus que l'enfermement. Cent cinquante ans plus tard, le même débat nous occupe de nouveau. A quoi sert la prison, quel est le sens de la peine ? Nos prédécesseurs dans cette enceinte nous ont légué leur réponse qui se résume en ces deux verbes dont Michel Foucault a fait un titre : « surveiller et punir ». Cette réponse ne peut nous satisfaire.

Première évidence : un détenu reste un homme malgré les murs de sa prison. Hormis la liberté d'aller et de venir qui lui a été retirée provisoirement, il conserve les droits qui sont ceux de l'homme.

Deuxième évidence, tout aussi forte : la prison reste cette « humiliation pour la République » que décrivait il y a neuf ans la commission d'enquête présidée par Jean-Jacques Hyest. Elle entasse, elle humilie, elle détruit, elle déshumanise. Elle ne constitue trop souvent qu'un trou dans lequel un individu tombe, un individu qui, le plus souvent, trébuche depuis son enfance. Il tombe dans ce trou à rats où il partagera 11 m² avec deux ou trois détenus, sans hygiène, sans intimité, sans possibilité de réfléchir à sa vie, à ce qu'elle fut, à ce qu'il souhaiterait qu'elle devienne. Un trou à rats où il se comportera d'autant plus comme un enragé qu'il sera traité comme un enragé. Avec violence envers les autres, qu'il s'agisse de ses codétenus ou du personnel pénitentiaire -dont nous savons combien la mission est difficile-, ou envers lui-même. Son désespoir peut le conduire à l'automutilation ou au suicide : il y a sept fois plus de suicides en prison qu'en milieu ouvert, un tous les trois jours en 2008.

Troisième évidence : statistiquement, le détenu est rarement un professionnel de la délinquance pour qui la prison fait partie des risques du métier, il est plutôt un paumé de la vie.

Puisque nous avons la responsabilité de légiférer, tirons enfin les conséquences de ces évidences, même si elles ne sont pas toujours admises par l'opinion. Si nous voulons éviter la récidive, la peine ne doit plus se limiter à surveiller et punir, mais elle doit avoir l'ambition d'humaniser et de réinsérer. La méthode est simple : faire entrer le droit commun en prison autant que faire se peut. Nous jugerons ce projet de loi en fonction de ce critère.

Je prends soin de ne pas le dire vôtre, madame la garde des sceaux, puisque le texte de la Chancellerie a été entièrement revisité par la commission des lois. Je salue d'ailleurs l'engagement de M. Lecerf : il avait sur sa table un projet resté « au milieu du gué », entraînant « une déception largement partagée ». Ce texte, en effet, se trouvait largement en retrait des travaux du Comité d'orientation restreint que le Gouvernement avait installé pour préparer une grande loi pénitentiaire, il ignorait les remarques de l'Observatoire international des prisons et le vaste chantier des états généraux de la condition pénitentiaire, devant lesquels le candidat Sarkozy s'était « clairement engagé à ce que la dignité de la condition carcérale soit une priorité de notre action ».

Je reprends ma question : où en est le droit commun en prison ? Il n'est hélas que l'exception. Il est absent quand un caïd asservit un codétenu, une « mule » dans le langage carcéral, pour organiser ses petits trafics en restant impuni. Il est absent quand les stupéfiants s'achètent et se revendent dans le mutisme de l'administration. Il est absent lorsque règne la pire sauvagerie. Vous me permettrez de citer deux cas. A Rouen, Idir, 26 ans, condamné pour conduite en état alcoolique, a été égorgé par Sofiane qui avait tenté plusieurs fois de mettre fin à ses propres jours. A Nancy, Johnny, peintre en bâtiment, a été torturé à mort dans sa cellule pendant quinze jours sans que personne ne remarque sa souffrance.

Quel paradoxe de voir que la prison constitue un lieu hors la loi où ni la sécurité ni l'égalité ne sont respectées ! Pourquoi ? Ne mettons pas en cause le personnel pénitentiaire qui se débrouille avec les moyens mis à sa disposition. La vraie raison tient à ce flou juridique qui doit gêner tout législateur : il existe bien un droit en prison, mais ce droit reste confus, fait de décrets, de circulaires, de notes, de règlements intérieurs, d'usages variant d'un établissement à un autre, bref de normes que le président Canivet disait d'une « qualité discutable »... Cette absence de règle a abouti à la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme. Ce projet de loi va-t-il nous permettre de passer enfin de l'exception à la règle ?

Il contient des avancées, par exemple sur l'allocation d'une aide en nature ou en numéraire, sur la domiciliation, sur le droit à l'intégrité physique. La commission a aussi repris des règles européennes le principe selon lequel l'emprisonnement doit constituer un dernier recours. Ce n'est pas rien. Ayons l'honnêteté de le reconnaître. Ce n'est pas rien, mais ce n'est pas suffisant.

Sur trop de points, le projet de loi reste empêtré dans des obsessions sécuritaires et demeure très en retrait des règles européennes. J'ai lu sur le site du ministère de la justice que « l'administration pénitentiaire a décidé de faire du respect des règles pénitentiaires européennes un objectif prioritaire ». Nous vous proposons de vous aider à atteindre votre objectif. Il vous suffit d'accepter nos amendements puisqu'un quart d'entre eux reprend les recommandations adoptées par le Conseil de l'Europe, et en particulier par la France.

La Chancellerie proposait de réduire la mise en cellule disciplinaire de 45 à 40 jours. La commission a abaissé cette durée à 30 jours. Le Gouvernement s'obstine et demande de revenir à ses 40 jours comme s'il s'agissait d'un nombre sacré. Cette durée n'a aucun sens. Aucune étude n'a jamais établi que la cellule disciplinaire réduisait la violence en prison. Au contraire, tout montre qu'elle augmente un désespoir et une haine qui se retournent parfois contre son auteur : le taux de suicide au mitard est sept fois plus élevé que dans le reste de la prison.

Nous vous demandons d'abolir les cellules disciplinaires et de les remplacer par des mesures de confinement individuel. Mais, à défaut, réduisez-en au moins la durée aux normes européennes : la durée de la cellule disciplinaire est de 3 jours en Irlande, de 9 en Belgique, de 14 en Angleterre, de 28 en Allemagne. La commission Hyest suggérait de la réduire à 20 jours. Je suis certain que le Sénat refusera de revenir à ces 40 jours qui doivent constituer un record d'Europe.

Ce matin, la présentation faite par Mme la garde des sceaux des régimes différenciés relève d'une histoire pour enfants. Officiellement, il s'agit d'adapter la détention aux prisonniers. La réalité est bien différente. Le « quartier spécial », le « quartier fermé », le « strict », selon le jargon carcéral, constitue une sanction déguisée. Sans procédure, sans durée précise, sans motif explicite. Par un arrêt du 21 février 2008, la Cour administrative d'appel de Nantes vient d'annuler une décision de régime différencié pour défaut de motivation. Il était reproché au détenu de se promener en short et en claquettes. On comprend pourquoi la décision n'était pas motivée. Le projet de loi reste muet sur cette zone de non-droit.

Le texte aurait pu aussi s'inspirer des principes constitutionnels. Deux d'entre eux sont gravement méconnus. La séparation du pouvoir de l'autorité qui poursuit et de l'autorité qui sanctionne est une garantie indispensable d'objectivité. Pourtant, en prison, l'administration pénitentiaire restera juge et partie, même si l'article 53 prévoit désormais un regard extérieur dans les commissions disciplinaires.

Selon un autre principe, les décisions relatives à la liberté relèvent du juge. La seconde partie du texte inquiète les juges de l'application des peines qui voient une partie de leurs attributions transférée à l'administration pénitentiaire.

Des lois d'apparence anodine restent aux portes de la prison. La loi du 12 avril 2000 relative aux droits du citoyen dans ses relations avec les administrations, par exemple. Son article 2 précise que « les autorités administratives sont tenues d'organiser un accès simple aux règles de droit qu'elles édictent ». L'article 19 bis du projet prévoit que le détenu sera informé des conditions de sa détention. C'est bien, mais la Chancellerie refuse que cette information soit donnée dans une langue qu'il peut comprendre !

Le droit à la santé est aujourd'hui universellement reconnu, sauf en prison. Le projet de loi se limite à un renvoi vers l'hôpital public. Il y a pourtant urgence à distinguer nettement la maladie mentale et le comportement disciplinaire. Un cas illustre l'absurdité de la confusion actuelle. A Rouen, un détenu soupçonné de cannibalisme a été condamné à 45 jours de cellule disciplinaire ! Là encore, l'absurde est possible parce que la règle de droit n'est pas fixée avec précision.

Pour en terminer, je voudrais évoquer deux droits fondamentaux affirmés avec force par plusieurs règles pénitentiaires européennes. Le premier est le droit au respect, y compris au respect de l'intimité. Rien n'est plus bafoué en prison que l'intimité. Avant, après le parloir, au moment des transferts ou dans de multiples circonstances, le détenu, femme ou homme, est mis à nu, subissant des investigations anales ou vaginales, sans que ces contrôles n'obéissent à aucune règle précise. Je ne nie pas la nécessité de contrôle, mais d'autres méthodes existent. L'article 24 le rappelle d'ailleurs puisqu'il mentionne que « les fouilles intégrales ne sont possibles que si les fouilles par palpation ou les moyens de détection électronique sont insuffisants ». Malheureusement, comme beaucoup de dispositions de ce texte, la restriction apportée prive la bonne intention de toute portée concrète.

Ce droit à l'intimité est nié aussi par l'encellulement collectif et je m'étonne de l'amendement du Gouvernement qui revient sur le texte de la commission et remet en question le principe de l'encellulement individuel. On nous a expliqué, ce matin en commission, que c'était un bon principe mais qu'il serait inapplicable. Pourquoi ne pas renoncer aux principes de liberté, d'égalité et de fraternité au motif qu'ils sont eux aussi difficiles à appliquer ? Il faut s'en donner les moyens !

Mais peut-être que plus que tout, il manque à votre texte un droit fondamental : celui de redevenir un homme responsable après avoir purgé sa peine. Ce droit à la réinsertion est le grand absent de ce projet de loi. Regardez combien sont précises les dispositions consacrées à la surveillance et vagues celles traitant de la réinsertion. Il manque au texte un titre IV : « De la sortie de prison et de la réinsertion du condamné ». Ce titre-là est indispensable non seulement pour le détenu, mais pour la société. Il y a deux fois plus de récidives lorsque la sortie est sèche, c'est-à-dire non préparée par un aménagement de peine. En fait, la réinsertion devrait être une obsession du service public pénitentiaire et ce, à tous les moments du parcours du détenu. Dès son entrée, la formation devrait offrir une nouvelle chance à un homme souvent dépourvu d'instruction, alors qu'elle n'est actuellement qu'une possibilité variant selon les moyens et les circonstances. En cours de peine, la semi-liberté et la libération conditionnelle devraient devenir des transitions obligées. Enfin, lors de la levée d'écrou, le sortant a besoin d'un soutien matériel. En Allemagne, le détenu libéré se voit proposer une solution de logement. En France, il se retrouve à la rue, souvent avec moins de 15 euros en poche, sans perspective d'emploi dans la grande majorité des cas. La grande faiblesse de votre politique pénitentiaire, c'est qu'elle ne se préoccupe pas suffisamment de la réinsertion. Dès lors, votre politique pénitentiaire ne peut que favoriser la récidive.

J'ai débuté mon propos en rappelant nos prédécesseurs, en particulier René Bérenger. Je finirai en évoquant ceux qui nous suivront. Que penseront-ils de ce texte ? Certains salueront de réelles avancées, obtenues grâce à l'obstination de Jean-René Lecerf. D'autres souligneront que les intentions étaient belles mais que, comme souvent, les moyens n'ont pas suivi. Tous mentionneront que votre politique pénitentiaire a souffert d'un mal originel qui est votre politique pénale. Au fond, globalement, que proposez-vous ? De vider les prisons après les avoir remplies à ras bord ! Quelle politique contradictoire ! Pour plaire à l'opinion, vous remplissez les prisons à grand bruit. Puis, pour faire face à la surpopulation pénale, vous les videz en catimini. Je ne doute d'ailleurs pas que face à d'éventuels faits divers, vous rejetterez la responsabilité sur les magistrats.

La politique pénitentiaire et la politique pénale sont étroitement liées. Tous, nous voulons faire diminuer la délinquance, protéger les victimes, assurer l'ordre public. Mais pour y parvenir, il existe plusieurs voies. L'une d'elles se satisfait de surveiller et de punir. L'autre entend humaniser et insérer. (Vifs applaudissements à gauche)

M. François Zocchetto.  - Ce projet de loi était attendu. C'est la première fois, sous la Ve République, que le Parlement a à connaître d'un texte cadre sur la question pénitentiaire. Ce simple fait est assez révélateur du déni qui a trop longtemps été celui de la puissance publique quant aux conditions réelles d'incarcération. Déni qu'a stigmatisé le Sénat en 2000 dans un rapport d'information au titre éloquent : Prisons, une humiliation pour la République.

Tandis que le droit en prison a progressé au cours des trente dernières années, ces avancées ne se sont pas accompagnées d'améliorations suffisantes dans les conditions de vie des détenus. Pourquoi ce paradoxe ? D'abord parce que, si le droit en prison a progressé, cela s'est fait, en l'absence d'intervention coordinatrice du législateur, par touches impressionnistes. Ensuite parce que la politique carcérale a été découplée de la politique pénale.

La politique pénitentiaire est la continuation de la politique pénale par d'autres moyens et l'une ne peut être disjointe de l'autre. C'est cette conception d'une politique pénale qui marche sur ses deux jambes que le projet de loi met en oeuvre. Il a l'immense mérite de commencer par clarifier les missions du service public pénitentiaire en prenant en compte son rôle d'insertion et de probation ainsi que de lutte contre la récidive. Il met ainsi en phase objectifs pénaux et carcéraux. Ce changement de perspective implique que les questions purement pénitentiaires soient traitées en même temps que celles relatives aux aménagements de peines et à leurs alternatives. C'est ce que fait le présent projet de loi dans un titre Il abouti et riche. Il était fondamental d'énoncer le principe que l'emprisonnement est une mesure de dernier recours. Et nous saluons le développement du recours aux travaux d'intérêt général ainsi que l'ouverture de l'assignation à résidence avec surveillance électronique comme alternative à la détention provisoire. L'ensemble du projet est donc porté par une cohérence à laquelle nous ne pouvons que souscrire.

La politique carcérale n'est pas une branche de la politique de santé publique. Or, les prisons accueillent de plus en plus de personnes atteintes de troubles mentaux du fait de la réduction du nombre de lits dans les hôpitaux psychiatriques. Du fait des carences de l'hôpital, la prison s'y substitue...

La loi pénitentiaire est une partie de la politique pénitentiaire, mais pas toute la politique pénitentiaire.

Une politique pénitentiaire, c'est un ensemble de moyens humains, matériels, économiques et juridiques. Or ce texte n'a vocation qu'à intervenir sur le terrain du droit : n'en attendons pas qu'il règle tous les problèmes ; c'est aux budgets, aux lois d'orientation et de programmation pour la justice de le faire.

Alors, ce texte donne-t-il au pénitentiaire les moyens d'assurer sa fonction de réinsertion ? La version initiale y répondait en partie par le fondement incontestable qu'est la garantie des droits. Les personnes privées de la liberté d'aller et de venir ne sont pas privées de tous les autres droits, lesquels constituent une chance de réinsertion. Bien longtemps ignorés, ces droits se sont progressivement affirmés, mais restaient disparates et peu lisibles, situés à un niveau trop bas de la hiérarchie juridique par rapport à l'article 34 de la Constitution, d'où la nécessité de consacrer le droit à la vie familiale ou le droit de visite qui n'étaient affirmés que par de simples circulaires ; d'où la création de nouveaux droits, fondamentaux eux aussi, tels le droit au téléphone ou le droit à une domiciliation, à un revenu minimum, le droit à la santé ; d'où ces droits déterminants pour la réinsertion, le droit au travail et à la formation professionnelle.

En dépit de toutes les avancés, j'avais, à l'instar de la commission des lois, jugé cette première version en deçà de que l'on pouvait attendre mais le travail de la commission a résorbé le déséquilibre entre le titre II et un titre I qui méritait d'être amélioré. Le texte du Gouvernement marquait un recul sur la question de l'encellulement individuel, de la reconnaissance à ce droit fondamental. Nous souscrivons au retour à l'article 716 du code de procédure pénale qui le consacre pour les prévenus, quitte à discuter d'un moratoire à l'article 59.

La commission des lois a considérablement amélioré le texte initial et répondu aux attentes des professionnels dont le mouvement prolongé du printemps dernier avaient avoué le malaise. Le texte leur apporte maintenant les réponses attendues.

Je salue le travail collectif de la commission des lois et la perspicacité de M. Lecerf, ainsi que l'avis de M. About. Tel que modifié, le texte nous semble équilibré et nous le voterons si la commission maintient sa position mais nous resterons vigilants pour que les budgets permettent son application effective. (Applaudissements au centre et sur plusieurs bancs à droite)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - De Victor Hugo à Paul Amor, en 1945, un long parcours humaniste a fait supprimer les bagnes et les travaux forcés, instaurer la libération conditionnelle et fait prévaloir la réinsertion. Après l'abolition de la peine de mort puis de la perpétuité effective, après les lois Badinter, après la création des services de probation et d'insertion, comment la France en est-elle arrivée à être montrée du doigt pour l'état de ses prisons ?

Le constat est sévère. Depuis longtemps, on avait appelé les politiques à se ressaisir et à considérer les détenus comme des sujets de droit, mais on est bien loin de l'esprit de 1945, bien loin aussi de l'esprit de la commission sénatoriale qui dénonçait l'absence d'une politique d'envergure et les réformes chaotiques imposées par les circonstances.

Selon le sentiment général, votre texte est a minima et régressif. Il est hautement significatif que la commission des lois ait adopté une centaine d'amendements. Vous, qui nous aviez annoncé une loi fondamentale, vous êtes résignée à une réponse minimale aux exigences européennes. Le projet restait muet sur le sens de la peine et sur les principes qui guident la politique pénitentiaire. Aussi le rapporteur a-t-il ajouté un article sur le sens de la peine.

Vous pourriez dire que la gauche n'a pas fait plus ; c'est vrai, le précédent gouvernement de gauche a manqué de courage et renoncé au projet Lebranchu. Mais, disons-le très nettement, la situation s'est bien dégradée depuis une dizaine d'années : en 1999, à la veille de la publication du rapport de notre assemblée qualifiant nos prisons d'« humiliation pour la République », il y avait 53 000 prisonniers ; ils sont 64 000 aujourd'hui et on en escompte 80 000 à l'horizon 2012. Ce gouvernement et sa majorité font preuve d'une véritable schizophrénie : répondant aux consignes d'un président nourri des doctrines Bush (tolérance zéro et enfermement dès 12 ans) poussées jusqu'à ce paroxysme qu'est la rétention de sûreté, vous avez beau jeu de dénoncer maintenant les conséquences des mesures que, des peines plancher à l'aggravation des qualifications, vous avez votées pendant sept années de matraquage médiatique et politique sur la délinquance...

M. Guy Fischer.  - Voilà la vérité !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Qu'il s'agisse du nombre d'entrées en prison ou de la durée des peines, vous avez aggravé la situation par une frénésie législative qui hypothèque aujourd'hui la sincérité du texte.

Il y a eu 115 suicides en 2008, 1 519 tentatives et 2 021 actes d'automutilation ; il y a pratiquement eu un suicide en prison tous les deux jours depuis le début de l'année. Cela justifie la commission d'enquête demandée par mon groupe.

Le rapport Albrand n'est pas encore public ; le sera-t-il ? S'il ne s'agit que de vêtements et de draps en papier, la réponse sera un peu courte. Alors qu'il préconiserait de diminuer les placements en quartier disciplinaire, vous vous êtes opposée à l'amendement en ce sens de la commission des lois. On est bien loin de la circulaire du 29 mai 1998 selon laquelle la prévention du suicide n'est efficace que si elle restaure le détenu dans les droits qui sont les siens.

Puisque le rapporteur a cité Albert Camus, posons-nous la seule question qui vaille : ce projet va-t-il créer de nouvelles conditions carcérales ?

M. Roland du Luart.  - Certainement !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - L'incarcération doit demeurer l'ultime recours, mais le texte ne le permettra pas si vous continuez à augmenter le nombre de places de prison pour y accueillir autant de nouveaux prisonniers. Au lieu de refuser l'encellulement individuel au motif qu'on manque de places de prison, limitez l'emprisonnement et acceptez l'encellulement individuel !

Il ne faut pas continuer à enfermer des gens qui n'ont rien à faire en prison, en particulier les personnes atteintes de troubles mentaux, dont le nombre ne fait que croître. La réduction drastique de la psychiatrie publique fait de la prison une alternative dix fois moins coûteuse ; la RGPP y trouve son compte, mais les hommes ? Un psychiatre vient de lancer ce cri d'alarme : la prison n'est pas un lieu pour soigner les maladies mentales -vous ne pourrez pas occulter cette question.

Quelles sont les alternatives, quels aménagements de peine, quel contrôle judiciaire ? Vous nous promettez le bracelet électronique dont le nombre est passé de 679 en 2004 à 3 331, mais quelles conclusions tirez-vous de l'expérimentation de ce remède miracle et quelles solutions apporte-t-il aux problèmes humains ?

L'utilisation du bracelet électronique comporte des risques ; risques également dans le choix des régimes de détention selon la dangerosité du prévenu, une notion bien peu scientifique.

Peu de place est accordée aux mineurs dans ce texte. Pourtant, leur situation est terrible : trois d'entre eux se sont suicidés en 2008 et les tentatives de suicide se sont multipliées en 2007, comme l'a noté la Défenseure des enfants.

Parce que ce projet de loi n'énonce pas l'intangibilité des droits fondamentaux des détenus, ceux-ci pourront être attribués au mérite par l'administration pénitentiaire. « La réforme maintient des pans entiers du droit dans le champ réglementaire », note l'Observatoire international des prisons, « alors même que sont pourtant constitutionnellement garantis les libertés et droits fondamentaux en question ». Je fus la première parlementaire à utiliser le droit qui m'était conféré par la loi du 15 janvier 2000 en franchissant les portes de Fresnes. Sans oublier les victimes, j'y ai vu la misère sociale, physique et psychologique qui, pour reprendre les termes de Mme Beaurepaire, s'y « expose » : deux hommes emmurés dans 9 m² -7 à la Santé avant la rénovation !-, des cabinets de toilette nauséabonds, des jeunes déjà abîmés, des vieux en fin de vie, des fous, rien que le temps long. User de ce droit de visite permet au législateur de mesurer combien la prison n'est pas un lieu de réinsertion, contrairement à ce qu'il proclame, mais un lieu de destruction où tout s'achète.

Ce texte permettra-t-il de modifier cette situation ? J'en doute quand ses modalités d'application sont renvoyées à des décrets et que de nombreuses restrictions sont déjà prévues aux droits des détenus. Quid du renforcement des moyens de l'administration pénitentiaire pour faire face à la hausse des détenus ? Comment se satisfaire du budget misérable consacré au suivi psychologique, à la formation et à la réinsertion des détenus ? N'est-il pas dangereux de confier la construction et la gestion des prisons à de grands groupes comme Bouygues ? Des juges ont été mis en examen en Pennsylvanie parce qu'ils avaient été payés par des centres de détention privés pour envoyer des jeunes en prison...

Lors de l'abolition de la peine de mort, notre société semblait enfin avoir entendu l'appel de Victor Hugo pour qui « il est un droit qu'aucune loi ne peut entamer, qu'aucune sentence ne peut retrancher : le droit de devenir meilleur ». Quel dommage que ce texte n'ait pas été l'occasion de lancer, comme en 1981, une grand débat de société afin de faire progresser une conception humaniste du droit pénal, de la peine et de la détention ! Pourtant, notre société avait besoin d'un tel débat sur les longues peines après les évasions de la prison de Moulins et l'appel des prisonniers de Clairvaux au rétablissement de la peine de mort ou encore sur l'enfermement des mineurs et la santé en prison.

Madame la garde des sceaux, vous n'avez pas tenu compte des recommandations des parlementaires, depuis le rapport de MM. Hyest et Cabanel en 2000 jusqu'aux propositions de MM. Burgelin et Warsmann, de même qu'aux conclusions des états généraux de la condition pénitentiaire, de l'OIP, ou encore de la CNDH jusqu'à celles du comité d'orientation restreint que vous aviez pourtant réuni. Vous restez sourde aux condamnations régulières de la France et aux appels des personnels pénitentiaires. Fallait-il attendre le meurtre à la centrale de Lannemezan pour agir ? Certes, vous avez annoncé 177 postes supplémentaires mais, semble-t-il, par redéploiement... Pour que l'administration pénitentiaire ait les moyens de remplir sa mission, il faut recruter des personnels statutaires et garantir des conditions de détention correctes. Il manquait 16 surveillants à Moulins lors de l'évasion ! Les équipes régionales d'intervention et de sécurité ne remplaceront pas les surveillants.

Madame le garde des sceaux, pourquoi l'urgence ? Pour attacher votre nom à ce projet de loi ? Malgré les réels efforts du rapporteur, ce texte doit être encore amélioré à travers un débat approfondi. Si ce n'est pas le cas, nous ne pourrons le voter ! (Applaudissements à gauche)

M. Roland du Luart.  - Ce projet de loi constitue une étape importante dans l'organisation d'un service public pénitentiaire en garantissant les droits en milieu carcéral. Précédé de nombreux travaux préparatoires, il sera un texte fondateur de la Ve République. En répondant aux attentes et aux espoirs qu'il suscite, il honorera notre démocratie. Plus qu'un devoir politique, c'est un impératif moral pour le Sénat qui, dès 2000, avait adopté le rapport de M. Hyest au titre sans ambiguïté : « Prisons, une humiliation pour la République ». La commission des finances exprime également depuis longtemps des inquiétudes sur les conditions de détention. En tant que rapporteur spécial de la mission « Justice », j'ai souligné, lors du dernier budget, la vétusté de nos établissements pénitentiaires et la surpopulation carcérale qui atteignait le niveau historique de 116,5 % en 2008, voire 200 % dans certains lieux. Je me réjouis donc de l'examen de ce texte. La privation de liberté ne doit en aucun cas conduire à des conditions inhumaines de détention qui favorisent la contagion de la délinquance et sont contraires à l'objectif premier de la peine, l'amendement du condamné.

Pour que ce texte remplisse ses objectifs, il faut veiller à la bonne adéquation des moyens humains de l'administration pénitentiaire, engager des programmes de construction et de rénovation du parc pénitentiaire et améliorer la prise en charge des cas psychiatriques. Sur ce dernier point, madame le garde des sceaux, permettez-moi de vous conseiller d'obtenir de Mme le ministre de la santé l'ouverture de lits en hôpital psychiatrique plutôt que de placer ces détenus, qui ne relèvent pas de la prison, dans de nouveaux établissements pénitentiaires.

Dans le budget 2009, le budget du programme « Administration pénitentiaire » représente 37,1 % des crédits de la mission « Justice », soit une hausse de 4 % par rapport à l'an passé. Entre parenthèses, pour répondre à un précédent orateur, il s'agit d'un geste significatif. Qu'a fait la gauche en son temps ? Pas moins de 900 emplois équivalent temps plein ont été créés pour accompagner l'ouverture de nouveaux établissements, ce qui rassurera les personnels pénitentiaires fort inquiets ces derniers mois. Il faudra maintenir cet effort financier, a fortiori avec l'adoption de ce projet de loi pénitentiaire.

Mais il est tout aussi certain que la rationalisation de l'activité pénitentiaire doit se poursuivre. La question des transfèrements de détenus en particulier, actuellement effectués par la police et la gendarmerie nationales, appelle dès cette année des réponses réalistes et plus conformes à l'esprit de la Lolf ; les conclusions de l'audit mené actuellement par le ministère de l'intérieur à la demande du Sénat seront bientôt connues, qui devront fonder la négociation entre la place Beauvau et la Chancellerie.

La rénovation et la construction de places en établissement pénitentiaire est une priorité absolue : 50 806 places pour 64 250 détenus en 2008, ces chiffres témoignent de la crise actuelle. La durée moyenne de détention tend à se stabiliser, mais le nombre de condamnés définitifs ne cesse de croître : le constat est connu, qui vide de toute substance le principe de l'encellulement individuel dans les maisons d'arrêt, pourtant inscrit dans la loi depuis 1875. C'est dire le caractère crucial du programme de modernisation du parc immobilier pénitentiaire engagée avec la loi d'orientation et de programmation pour la justice : 10 800 places seront créées dans de nouveaux établissements et 2 400 dédiées à l'application de nouveaux concepts, comme les établissements pour mineurs. En 2009, 4 588 places nettes seront ainsi créées. Mais le « programme 13 200 » ne permettra probablement pas de remédier au cruel déficit de places en détention. Selon la projection réalisée par la commission des finances pour le projet de loi de finances pour 2009, à supposer que le nombre de détenus demeure au niveau actuel et que les prévisions de créations de places soient respectées, le nombre de places n'égalera pas le nombre de personnes détenues au terme de la programmation. La vigilance reste donc de mise.

Centrale aussi est la question de la prise en charge des cas de psychiatrie en milieu carcéral. On peut estimer au tiers la proportion de détenus atteints de troubles mentaux. La première des explications réside dans la forte réduction du nombre de lits dans les hôpitaux psychiatriques, d'où un transfert vers les prisons dès lors que le nouveau code pénal admet la responsabilité pénale des personnes dont le discernement a été altéré par un trouble psychique ou neuropsychique. Malgré un effort conséquent, on ne peut que déplorer l'insuffisance des moyens en la matière, notamment le faible nombre de psychiatres intervenant en établissement pénitentiaire. Un long chemin reste encore à parcourir pour renforcer les équipes psychiatriques.

M. Nicolas About, rapporteur pour avis.  - C'est évident !

M. Roland du Luart.  - Ce texte est lourd d'enjeux essentiels. Il y va du respect de la dignité des personnes comme des conditions de travail dans les établissements. Je veux saluer le dévouement et l'engagement des personnels de l'administration pénitentiaire, que j'ai pu récemment constater lors d'une visite de la future maison d'arrêt du Mans. Les progrès attendus ne pourront se concrétiser qu'à une double condition : des moyens budgétaires adéquats et une évaluation sur le long terme. La barre est donc placée haut, mais désormais l'élan est pris. (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Anne-Marie Escoffier.  - Je voudrais évoquer le sujet crucial qu'est la réinsertion, sur lequel je vous avais déjà alertée, madame la garde des sceaux, lors du récent débat budgétaire.

Pour avoir rencontré des détenus et des personnels pénitentiaires dans une maison d'arrêt aux conditions matérielles insoutenables, mais aussi dans un centre de détention, à l'inverse, humanisé, j'ai retenu la volonté partagée de faire du temps de détention non pas un temps mort mais un temps de resocialisation, de reconstruction, un temps pour permettre aux détenus de se remettre debout.

M. Jean-Pierre Plancade.  - Très bien !

Mme Anne-Marie Escoffier.  - Ce ne sont pas les personnels pénitentiaires que je veux mettre en cause, encore que le comportement de certains puisse contrarier cette volonté, mais l'institution en elle-même. Un détenu a récemment dénoncé dans un livre non pas tant les problèmes de surpopulation et d'hygiène que ceux de la formation et du travail, deux puissants leviers d'une réinsertion sociale réussie. Il écrit ceci : « pour qu'une condamnation soit efficace, il est nécessaire d'atteindre un juste équilibre entre les objectifs de neutralisation, de punition, d'amendement, de réparation, conscientisation et de réhabilitation ». Or le défaut majeur du système actuel est de ne pas croire en l'homme, de considérer que le détenu doit être, à raison de ses crimes, un être dominé et privé d'autonomie. L'univers carcéral n'est pas conçu pour protéger l'individu contre sa propre désintégration mais trop souvent pour seulement lui faire acquitter sa dette envers la société. Il s'en suit une autre forme de suicide que celle dramatiquement observée ces derniers mois, l'acceptation de la mort sociale, une mort lente subie dans une prison qui « loin de remplir sa mission de réinsertion, ne fait que pousser dans la voie de l'exclusion ». Je voudrais ne plus jamais avoir à lire cette condamnation sans appel : « je fus libéré sans un sou en poche, (...) une libération sèche et douloureuse. La prison m'avait vomi sur le trottoir comme un vulgaire déchet ».

Je me réjouis donc que figurent dans ce texte les articles 11 ter, 13, 14 et 14 bis, dont l'objectif est de donner un sens au temps de détention -même si nous sommes nombreux à regretter que ne soit pas plus fortement affirmée la nécessité de la réinsertion.

La prison, écrivez-vous, doit être vraiment le pont qui conduira la personne condamnée à une réinsertion réussie. Comment ce pont permettra-t-il à 60 % des personnes incarcérées qui ne détiennent aucun diplôme, dont la moitié sont illettrées, d'intégrer un plan de formation individualisé, élaboré en concertation entre le détenu et un conseiller d'orientation ? Comment financera-t-il les activités scolaires qui aujourd'hui ne concernent que 23 % de la population des détenus ? Pourquoi par exemple ne pas examiner cette proposition faite par des détenus de créer des postes d'auxiliaires d'enseignement, des détenus qui pourraient animer des ateliers sur le lieu de leur détention ? L'un de vos prédécesseurs, madame le ministre, avait accueilli cette proposition favorablement en 2007, mais il semble qu'elle n'ait pas été reprise ; seuls les institutionnels accomplissent aujourd'hui frileusement leur obligation...

Comment ce pont facilitera-t-il l'insertion professionnelle des 40 % de détenus qui n'ont jamais travaillé avant leur incarcération ? Je me félicite que les articles 14 et 14 bis prennent cette question en compte. Il faudra ensuite que soient levés les obstacles externes, ceux que chacun de nous oppose à ces sortants de prison, à ces errants au curriculum vitae marqué par une ligne blanche entre deux périodes de leur vie.

Je veux croire que vous mettrez toute votre détermination et toute votre énergie à faire que ce pont enjambe réellement le fleuve de la désespérance. (Applaudissements à droite, au centre et sur les bancs du RDSE)

M. Robert Badinter.  - Chacun comprendra que je rende d'abord un hommage particulier à M. Lecerf, non seulement pour ce qu'il a apporté à ce texte mais surtout pour l'humanité avec laquelle depuis si longtemps il consacre tant d'efforts et de temps à visiter les prisons, à écouter les personnels, à observer les expériences des pays proches, à chercher à concilier les différents impératifs de l'institution carcérale. Son action dans ce domaine rejoint celle d'un de ses prédécesseurs, M. Béranger.

Enfin ! Nous voilà au rendez-vous que nous attendions depuis si longtemps ! Un de ces rendez-vous qu'on ne souhaite pas voir trop vite interrompu... C'est dire que la procédure d'urgence n'a pas sa place ici, s'agissant d'un texte qui touche à la dignité de l'être humain et aux libertés fondamentales, substances mêmes du travail législatif.

Nous sommes très en retard et depuis très longtemps. Nous avons pourtant connu le rapport Canivet de 1999, puis ceux rédigés ici sous la présidence de M. Hyest et à l'Assemblée nationale sous celle de M. Mermaz, en 2000 et 2001. Puis est venu un torrent de textes conduisant toujours davantage à l'incarcération, tandis que la loi pénitentiaire restait du côté des colloques et des articles de presse. Heureusement, nous avons été ensuite pris dans le mouvement européen.

Sans le mouvement européen, et plus particulièrement le Conseil de l'Europe, je ne suis pas sûr que le Gouvernement nous aurait enfin saisi de ce texte. La commission des lois du Sénat l'y a également poussé. Une première résolution du Parlement européen de 1998 a été suivie de plusieurs autres et de l'adoption de règles pénitentiaires européennes. Nous devons notamment au Parlement et au Conseil de l'Europe la création du contrôleur général des prisons, fonction qu'occupe actuellement l'excellent Jean-Marie Delarue. Se sont également succédé des rapports d'inspection du Comité de prévention de la torture, du commissaire européen aux droits de l'homme, qui nous ont à chaque fois pointés du doigt : c'était, sur tous les bancs, une humiliation pour la République.

Les états généraux de la condition pénitentiaire, qui ont réuni militants et professionnels de la justice et du milieu pénitentiaire, ont rédigé une déclaration qui a obtenu l'accord de tous. Le principe en a été approuvé par les candidats à l'élection présidentielle, dont l'actuel Président de la République, Nicolas Sarkozy. Nous avons dû pourtant attendre encore deux ans pour débattre de ce texte et cela, grâce à la révision constitutionnelle, dans la version élaborée par la commission enrichie des amendements très importants présentés par Nicolas About.

Ce texte est exceptionnel en ce qu'il touche à la condition de milliers d'êtres humains, confinés dans un espace clos, et prévenus, suspectés, condamnés pour avoir commis des infractions. Cette population particulière, que le rapporteur connaît bien, n'est pas seulement composée de Dils ou de Mesrine, contrairement à l'idée que peut s'en faire le public à travers de saisissants faits divers. S'il y a un noyau dur de criminalité qui mérite notre plus extrême attention, ne s'y trouve pas l'immense majorité de la centaine de milliers de personnes détenues chaque année. Près de 30 % d'entre elles souffrent d'affections mentales graves, 40 % seulement occupaient un emploi avant leur incarcération, 13 % sont complètement illettrées, 12,5 % à peine capables de déchiffrer un texte ; enfin, 28 % ont été placés par le juge des enfants. C'est à cette population-là qu'il faut d'abord songer.

Je suis saisi de voir à quel point la situation actuelle ressemble à celle dénoncé par les hommes des Lumières : l'enfermement général de vagabonds, de criminels aussi, de filles de joie, dans un magma indifférencié. Cela serre le coeur. Et on n'y trouve jamais le fils du banquier ni de la grande avocate car l'inégalité sociale s'inscrit dans cette population en lettres impitoyables. On comprend à quel point la tâche est difficile pour tous ceux qui interviennent en prison et je souhaite rendre hommage aux personnels pénitentiaires, comme l'ont fait avant moi le rapporteur et Nicolas About. Ils sont rarement préparés à veiller sur une population composée de 30 % de grands psychopathes... Il aurait peut-être fallu commencer cette loi par un article rappelant l'importance de leur mission.

Ne faisons pas de ce texte une occasion manquée, revenons au grand souffle des principes. Ceux qui s'appliquent aux conditions de détention dans une grande démocratie du XXIe siècle sont faciles à rappeler et j'aurais souhaité qu'on les proclamât solennellement. Le premier parcourait, comme un fil rouge, le rapport du premier président Canivet : le détenu est un être humain, c'est un homme -le plus souvent- ou une femme qui doivent jouir de tous leurs droits et, s'ils sont français, des droits du citoyen à l'exception de ceux que la justice leur a retiré. Tout s'éclaire si l'on aborde la question pénitentiaire à travers ce prisme. Dans cet espace clos, qui constitue la seule restriction au principe, il faut prendre en compte la sécurité des personnes et des biens.

L'État de droit ne peut pas s'arrêter à la porte des prisons. Nous le verrons en traitant des régimes différenciés ou des problèmes disciplinaires et, surtout, de l'arbitraire trop longtemps toléré de la fouille au corps, pratique insupportable qui porte gravement atteinte à la dignité humaine. La commission des affaires sociales a proposé des amendements auxquels nous devons souscrire et que nous devons même renforcer. L'apport personnel du grand René Cassin à la Déclaration universelle des droits de l'homme n'est-il pas justement le respect de la dignité humaine, qui ne figurait pas dans la grande Déclaration de 1789 ? Ce principe majeur, qui doit gouverner notre approche de l'univers pénitentiaire, ne s'accommode pas des fouilles qui s'inscrivent dans toute notre histoire pénitentiaire.

Il en va de même pour la question de l'encellulement individuel, principe inscrit dans l'admirable rapport du vicomte d'Haussonville sur l'univers carcéral, qui l'a fait voter en 1874, à la veille de la IIIe République. Il devait s'appliquer aux prévenus et aux détenus condamnés à des peines de moins d'un an mais n'a jamais été respecté. Or, on ne peut transiger sur ce principe, inscrit dans les règles pénitentiaires européennes, tout en prenant en compte l'intérêt des détenus, dont beaucoup sont déprimés ou dont la personnalité est trop fragile pour supporter l'isolement. (M. Nicolas About, rapporteur pour avis, approuve)

Dans sa remarquable intervention, Alain Anziani a rappelé que les droits des détenus devaient être pris en considération au regard de ces principes, auxquels le président Hyest a ajouté celui de la décision du Conseil constitutionnel de janvier 1994 donnant à l'objectif de réinsertion du détenu valeur constitutionnelle.

Sur un autre volet, la discrétion de la plupart d'entre nous m'a étonné.

J'étais habitué à entendre les convictions s'exprimer avec plus de fracas. Car que propose le titre II ? De revenir à ce que nous n'aurions jamais dû perdre de vue : l'impératif d'individualisation des peines, le principe qui veut que l'emprisonnement reste le dernier recours et la faculté pour les magistrats, qui en ont la responsabilité au premier chef, de décider de mesures alternatives à la prison ou d'aménagement des peines -lesquelles ne comptent aujourd'hui que pour moins de 20 %. Quel changement de cap ! Quelle admirable conversion au regard de ce qui prévalait hier encore -peines planchers et emprisonnement ferme, y compris pour les mineurs ! Je salue ce changement avec satisfaction. Il est infiniment heureux. Cette deuxième partie du texte ne manquera pas de servir grandement la cause de l'humanisation des prisons. J'eusse aimé que l'on commençât par là.

Dernier aspect de ce texte : en posant dans la loi les principes qui doivent gouverner la condition pénitentiaire, nous allons permettre le développement du contrôle juridictionnel des conditions de détention et prendre acte du mouvement très convergent qui a vu, depuis quelques années, les autorités juridictionnelles chercher à s'assurer que les principes fondamentaux ne sont pas méconnus par les conditions mêmes faites aux détenus dans l'univers carcéral. C'est ainsi qu'en décembre dernier, la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme, dans le fameux arrêt Renolde du 16 octobre 2008, pour avoir infligé à un détenu psychologiquement fragile une sanction de 45 jours de cellule disciplinaire, qualifiée de traitement inhumain et dégradant. Plus important encore, les décisions de l'assemblée et de la section du contentieux du Conseil d'État de novembre et décembre 2008 qui marquent fermement que l'État de droit ne s'arrête pas à la porte des prisons et qu'il appartient aux juridictions administratives d'user de leurs compétences pour veiller au respect des principes. Sans parler de l'institution judiciaire et de la décision de la cour de Rouen qui a permis de dresser un constat en référé...

Cette loi sera une grande loi, et je souhaite, monsieur Lecerf, qu'elle porte votre nom (murmures approbateurs à droite) car elle est véritablement votre loi. Peu importe comment la nommeront les Dalloz, souvent infidèles, et les journalistes, souvent incertains, elle sera pour nous la loi Lecerf, qui marquera, dans l'histoire désolante de l'institution judiciaire, le moment où l'État de droit aura cessé de n'être qu'une référence pour devenir une réalité dans l'univers sombre dont tous ceux qui s'en approchent savent les difficultés quotidiennes. (Applaudissements à gauche ainsi que sur plusieurs bancs au centre et à droite)

Mme Muguette Dini.  - La prise en charge des soins des détenus, sur laquelle je concentrerai mon propos, a connu une profonde mutation avec la loi du 18 janvier 1994. Bref dans sa rédaction mais puissant dans son contenu, ce texte a profondément modifié l'organisation des soins dispensés aux personnes détenues, laquelle repose, désormais, sur une conception globale de la prise en charge des soins tant dans ses aspects somatique et psychique que dans sa dimension préventive et curative.

Il s'agissait d'assurer aux détenus une qualité et une continuité des soins équivalentes à celles dont bénéficie l'ensemble de la population, principe d'égalité qui ressort également de la loi du 4 mars 2002, laquelle rappelle les droits des patients sans distinction de la situation pénale du malade.

La prise en charge sanitaire des personnes détenues est ainsi passée de l'administration pénitentiaire au service public hospitalier tandis que tous les détenus étaient affiliés à l'assurance maladie et maternité du régime général de la sécurité sociale. La santé des détenus a donc quitté le code de la procédure pénale pour entrer dans ceux de la santé publique et de la sécurité sociale.

La médecine en prison, jusqu'alors humanitaire et de l'urgence, est devenue un mode normal de prise en charge hospitalière. En principe, les détenus bénéficient de soins délivrés par des professionnels hospitaliers, au sein des établissements pénitentiaires comme dans les établissements publics de santé, lors de consultations d'urgence, de consultations spécialisées et d'hospitalisations. Le président About a fort bien décrit le dispositif de soins en milieu pénitentiaire, autour notamment des unités de consultations et de soins ambulatoires, pour les soins somatiques, et des services médico-psychologiques régionaux, pour la prise en charge psychiatrique.

De nombreuses études et rapports officiels mettent en évidence les progrès apportés par la loi de 1994, en même temps qu'ils soulignent les difficultés qui persistent dans la mise en oeuvre au quotidien des soins et des activités de prévention en milieu carcéral. D'autant que de nouveaux besoins en santé des détenus se font jour, que nous devons prendre en compte.

Pour apprécier le chemin qui reste à parcourir, il est nécessaire d'analyser la situation sanitaire des détenus, qui demeure globalement dégradée si on la compare à celle de la population générale d'âge comparable. La population carcérale continue, en effet, à cumuler les facteurs de risque. Certains sont stables : précarité et faible accès aux soins, forte consommation d'alcool et de tabac, toxicomanie et phénomènes de violence. Mais des évolutions majeures sont à l'oeuvre : développement des polytoxicomanies, vieillissement de la population pénale -l'âge des entrants augmente de façon continue depuis vingt ans et l'allongement des peines touche plus fortement les condamnés déjà âgés-, baisse constante de la prévalence du VIH en prison mais avec un taux de personnes atteintes du VIH, malgré une baisse de la prévalence, supérieur à celui de la population générale, fréquence des hépatites B et C, très mal dépistées et donc rarement soignées avant l'incarcération, recrudescence inquiétante de la tuberculose -vous vous êtes, madame la ministre, récemment exprimée sur ce sujet, après l'annonce de la contamination par le bacille de Koch d'un détenu, puis de cinq surveillants de la prison de Villepinte.

Surtout, une forte proportion de personnes détenues nécessite une prise en charge psychologique ou psychiatrique. L'enquête de prévalence des troubles mentaux chez les détenus, menée par les professeurs Falissard et Rouillon, indique que, quels que soient la population et le type d'établissement, les personnes incarcérées présentent de lourds antécédents personnels et familiaux. Avant leur incarcération, plus du tiers d'entre elles ont déjà consulté un psychologue ou un psychiatre, tandis que 16 % des hommes ont déjà été hospitalisés pour raisons psychiatriques. La prison est le plus souvent facteur d'aggravation de ces troubles.

Au regard du niveau élevé de souffrance psychique d'un grand nombre de détenus, le dispositif de soins mentaux se révèle particulièrement inadapté. Les unités extérieures pour malades difficiles sont saturées, ce qui entraîne des délais d'attente importants. Même dans les prisons disposant d'un service médico-psychologique régional, il n'y a pas d'hospitalisation psychiatrique à proprement parler, puisque les cellules sont identiques aux autres cellules. Les soins dispensés correspondent le plus souvent à une hospitalisation de jour, inadaptée aux patients suicidaires dans la mesure où le cadre légal n'autorise pas une prise en charge sans consentement aux soins : l'hospitalisation d'office reste ainsi trop souvent le seul recours. Généralement trop courte, elle reste un simple palliatif en cas de crise aiguë, sans perspective de prise en charge à long terme pour les pathologies chroniques.

Les handicaps liés au vieillissement sont eux aussi sévères, particulièrement en établissements pour longue peine. Or, la vétusté des équipements des locaux de détention empêche tout déplacement, ce qui aggrave les problèmes d'hygiène. Les fins de vie liées aux cancers sont de plus en plus problématiques. La prévention et l'éducation pour la santé restent timides, alors même que la population pénitentiaire en a le plus grand besoin.

La construction d'un programme cohérent de santé publique s'impose.

L'hygiène, autant individuelle que collective, présente des lacunes importantes : manque de douches régulières, blanchissage inefficace, chauffage défaillant, éclairage déficient, insalubrité des locaux.

Enfin, on ne peut ignorer la misère sexuelle à laquelle sont confrontés les détenus et le silence qui l'entoure.

Sur tous ces problèmes, les commissions des lois et des affaires sociales ont proposé de véritables solutions, que nous soutiendrons en souhaitant qu'elles ne restent pas à l'état de voeux pieux. (Applaudissements au centre, à droite et au banc des commissions)

Mme Marie-Thérèse Hermange.  - Ce débat s'ouvre dans un contexte difficile et je souhaite rendre hommage à Mme la ministre en la félicitant pour son courage. Je salue également M. le rapporteur Lecerf pour son engagement obstiné en faveur d'une humanisation des conditions de détention, et M. le président About, qui s'est beaucoup investi dans ce projet.

L'institution pénitentiaire fut tristement placée au coeur de l'actualité au mois de janvier dernier, lorsque onze détenus se sont suicidés. Cette vague de suicides pour des raisons affectives et psychologiques, parce que la prison est trop souvent considérée comme un temps mort, un temps d'absence de la société. La France connaît un taux de 15 suicides pour 10 000 détenus, l'un des plus élevés d'Europe.

On parle souvent de « monde carcéral », expression inappropriée qui révèle le malaise que suscitent les prisons. Celles-ci ne constituent pas un autre monde, une galaxie éloignée de la nôtre : bien au contraire, les prisons concentrent certaines des caractéristiques et des faiblesses de notre société, parmi lesquelles l'incapacité à prendre soin des autres lorsqu'ils sont hors de notre champ de vision. Il en va ainsi des personnes qui sont victimes de troubles mentaux, face auxquelles les familles et l'État sont désemparés. De même, nous sommes aveugles aux séquelles de la prison, lieu de misère psychologique, affective et sociale, lieu de l'absence d'amour qui conduit trop souvent les détenus à la violence, à la drogue, à la dépression ou à la maladie.

Certes, le droit pénitentiaire s'est progressivement structuré autour d'objectifs tels que la resocialisation des personnes détenues. Il faut saluer la création des unités de visite familiale, des unités hospitalières sécurisées interrégionales, des établissements pour mineurs et des unités hospitalières spécialement aménagées, destinées à un public spécifique et qui permettent de mieux concilier la sécurité avec le respect des droits humains. Mais aujourd'hui, la fracture est béante entre l'hôpital et la prison, entre la détention et la remise en liberté. Ce projet de loi répond à certaines préoccupations ; mais à la suite de M. About, j'insisterai sur la nécessaire amélioration de la prise en charge médicale des détenus et sur l'impératif de réinsertion.

Qu'il ait été condamné à six mois, deux ans ou trente ans de prison, le détenu est un homme, voué à reprendre sa place au sein de la société. La manière dont l'État prend en charge l'état sanitaire des détenus est révélatrice de l'attitude de notre société envers ses membres les plus vulnérables. Si la prise en charge des affections somatiques en prison est assez satisfaisante, celle des troubles psychologiques l'est beaucoup moins, faute de moyens financiers et humains. Est-il normal qu'un psychiatre embauché à temps plein dans nos prisons n'y effectue pas l'intégralité de son service ? Est-il normal que les soins ne soient pas assurés le week-end ou la nuit, faute de surveillants ou à cause du refus de certains d'entre eux d'alerter les services compétents parce qu'ils savent mal évaluer l'urgence ?

Les chiffres parlent d'eux-mêmes : le comité national d'éthique relevait en 2006 que le taux de pathologies psychiatriques en prison était vingt fois supérieur à celui observé dans l'ensemble de la société. Vingt fois ! Les psychiatres se retrouvent en première ligne, mais ils manquent de moyens pour répondre aux besoins d'une population vulnérable, trop souvent conduite au suicide ou à la récidive. L'une des causes de cette carence est la reconnaissance de la responsabilité pénale de personnes dont le discernement est altéré par des troubles mentaux ; une autre est la baisse continue du nombre de lits dans les services hospitaliers de psychiatrie alors qu'à la Salpêtrière, des salles d'enfermement restent vides et pourraient être réaménagées. Il faut aussi tenir compte de la fragilisation psychologique qui résulte des conditions de détention.

Les services médico-psychologiques régionaux créés en 1986 et les unités hospitalières spécialement aménagées sont plus que jamais nécessaires, mais du fait de l'insuffisance des effectifs et des moyens financiers, les délais d'attente sont très longs, généralement supérieurs à six mois, sauf urgence. J'appelle sur ce point l'attention de la garde des sceaux et du ministre de la santé, dont je m'étonne de constater l'absence.

L'article 21, dans sa nouvelle rédaction, énonce l'impératif de qualité et de continuité des soins, à l'intérieur comme à l'extérieur de la prison, et prévoit que l'état psychologique des personnes détenues sera pris en compte lors de leur incarcération et tout au long de leur détention. Cette disposition primordiale vise à assurer que ces personnes fragiles ne ressortent pas de prison dans un état aggravé.

En ce qui concerne la prévention du VIH, le combat est loin d'être gagné même si nous avons fait des progrès. Les associations préconisent de poursuivre les actions de dépistage à l'entrée en prison, en améliorant le conseil et en renouvelant régulièrement les propositions de test. Elles insistent aussi sur la nécessité de préparer la sortie des détenus : un médecin chargé du suivi médical du VIH à Fleury a, par exemple, ouvert une consultation médicale post-pénale à la Pitié-Salpêtrière. Le problème est que c'est le même médecin qui doit assurer ces deux tâches ! Etes-vous prête, madame la ministre, à favoriser de tels dispositifs ?

J'en viens au problème des addictions. La prison manque de spécialistes dans ce domaine. Or 33 % des détenus font usage de substances illicites, et 31 % ont une consommation excessive d'alcool. La prison pourrait être l'occasion du premier accès à la santé pour nombre de prisonniers. Le voulons-nous vraiment ?

Pour que les traitements soient efficaces, il est indispensable qu'ils se poursuivent après la sortie de prison. Or les soins s'interrompent trop souvent du jour au lendemain, ce qui est contraire à l'objectif de santé publique énoncé par la loi de 1994, et potentiellement dangereux pour l'ancien détenu comme pour la société : je pense, par exemple, à l'interruption d'un traitement à la méthadone.

M. Nicolas About, rapporteur pour avis.  - Tout à fait.

Mme Marie-Thérèse Hermange.  - Voilà pourquoi un article additionnel après l'article 22, ajouté en commission, prévoit une visite médicale de sortie. Mais les soins apportés aux détenus ne doivent pas se limiter au milieu carcéral : il faut mieux coordonner les différents acteurs de la santé publique, y compris en dehors de la prison.

Cette coordination des actions dans les murs et hors les murs est également nécessaire dans les domaines du logement, de l'insertion professionnelle et de la famille. En ce qui concerne le logement, il faudrait dresser un bilan social complet du détenu à l'entrée en prison et lui apporter un soutien individualisé. Il conviendrait également de développer le dispositif des appartements-relais qui favorise la réinsertion et l'autonomisation. Faute d'une politique appropriée, les anciens détenus sont réduits à l'errance, à l'isolement, parfois à la récupération par des réseaux criminels et à la récidive. Il faut en finir avec les sorties sèches, à minuit à Fleury, à midi à Fresnes, avec pour tout viatique un préservatif fourni par l'administration pénitentiaire !

Pour ce qui est de l'insertion professionnelle, la prison pourrait être une opportunité fondatrice pour des personnes qui n'ont pas même les bases de l'instruction. Il convient donc de développer la formation en prison. Le nouvel article 11 ter fait obligation aux détenus d'exercer une activité afin de lutter contre l'oisiveté cérébrale.

Il faut également aider les détenus à maintenir des liens familiaux. En tant que ministre et mère, vous ne pouvez qu'être sensible, madame la garde des sceaux, au problème que constitue la rupture de tout lien entre des parents et des enfants de moins de 3 ans, rupture qui nuit au développement des uns et des autres. Pour faciliter leurs rencontres, la puissance publique devrait prendre en charge l'acheminement des enfants jusqu'au lieu de détention. Ces rencontres doivent avoir lieu dans des espaces spécialisés, selon un cahier des charges établi par la Protection maternelle et infantile (PMI).

Une personne détenue doit sortir de prison dans un état psychologique meilleur que lors de son incarcération, mieux consciente de son humanité. Elle doit nous entendre lui dire : « Tu as ta place dans notre société car nous croyons en toi. » (Applaudissements au centre, à droite et au banc des commissions)

Mme Alima Boumediene-Thiery.  - Je tiens d'abord à remercier M. le rapporteur Lecerf pour son engagement en faveur de l'humanisation de nos prisons.

Vous nous avez associés, monsieur le rapporteur, à vos nombreux déplacements et su nous prouver que la question des prisons dépassait les clivages politiques traditionnels. Vous avez montré que la sécurité ne justifiait pas éternellement de porter atteinte aux droits des détenus.

Sur de nombreux points, vous êtes allé aussi loin que l'on puisse aller. Je pense notamment à la responsabilité de plein droit de l'administration pénitentiaire pour les violences entre détenus ou aux procédures d'aménagement de peines propres à décongestionner nos prisons. Je pense également au renforcement du principe de l'encellulement individuel.

Cependant, je regrette que, sur de nombreux points, le texte n'aille pas assez loin. Je pense, en premier lieu, au principe de l'encellulement individuel obligatoire, dont le Gouvernement veut réduire la portée en le rendant facultatif. Non seulement il n'est plus question, comme dans le code de procédure pénale, de faire respecter le principe de l'encellulement individuel mais le Gouvernement voudrait redéfinir ce principe, qui ne serait plus un détenu par cellule mais un détenu par place ! C'est ouvrir la voie à tous les abus : l'administration jettera au sol des matelas et on appellera cela une place. On élèvera des montagnes de lits superposés dans une seule cellule et l'on dira que la dignité des détenus est respectée !

Il est urgent de mettre un terme à cette mascarade et d'affirmer le droit à une cellule individuelle. Ce n'est qu'à ce prix que le détenu concevra la prison autrement que comme une zone d'attente délabrée où la survie constitue un combat de chaque instant. Nous ne demandons pas que nos prisons se transforment en hôtel cinq étoiles mais seulement que les détenus n'aient pas à endurer, en plus de la détention, les atteintes continues à leurs droits fondamentaux à la dignité, à la santé, à l'intimité. Rien que le droit, mais tout le droit !

Le code pénal punit d'emprisonnement ceux qui fournissent un logement indigne ; pourquoi les détenus ne pourraient-ils pas bénéficier d'une telle protection ? II est temps que la France reconnaisse un véritable droit opposable à l'encellulement individuel ! Profitons de la caducité du moratoire pour enfin organiser, graduellement mais sûrement, la mise en place progressive de ce principe. Le cadre juridique existe, puisque vous avez pris, madame la ministre, un décret, le 10 juin 2008, pour mettre en oeuvre l'encellulement individuel. L'enjeu d'une application effective de ce principe n'est pas seulement arithmétique, il s'agit de faire respecter le droit à la dignité des détenus.

Je regrette d'ailleurs que la référence à la dignité du détenu ait disparu du texte. Le respect de la dignité du détenu ne va pas de soi, comme on l'affirme, et le détenu doit pouvoir désormais, comme n'importe quel citoyen, soumettre par voie préjudicielle au Conseil constitutionnel la protection effective de son droit au respect de sa dignité, et vous connaissez l'orientation englobante de la jurisprudence du Conseil. En supprimant toute référence à la dignité du détenu, on prive celui-ci de la possibilité de s'en prévaloir.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Comment cela ?

Mme Alima Boumediene-Thiery.  - Autre point sur lequel je souhaite insister, la santé des détenus. Il y a quelques mois, j'ai déposé une demande de commission d'enquête sur la prise en charge sanitaire des détenus et l'évaluation des risques suicidaires. Il y a eu 115 suicides en 2008 et 26 pour les seuls mois de janvier et février 2009. Or le projet de loi est muet sur cette question. Il ne contient rien non plus sur la prise en charge des détenus malades, ni sur l'aménagement des régimes de détention en fonction de l'état de santé, ni sur l'information des familles sur son état de santé. Autant dire que le détenu malade est traité comme les autres ! Nous souhaitons remettre la santé du détenu au coeur du parcours d'exécution de la peine. Elle doit être prise en compte dès l'incarcération et à toutes les phases de l'exécution de la peine, y compris lors de mesures disciplinaires.

La question de la prise en charge sanitaire des détenus a été oubliée depuis la grande loi de 1994. Quinze ans après, il est temps de faire un bilan pour les ministères responsables, et de repenser le soin dans ses rapports avec la peine. En prison, la demande de soins est beaucoup plus pressante qu'à l'extérieur et l'absence de soins y a des conséquences tragiques que nous avons mesurées ces derniers mois. Le taux de détenus présentant des troubles mentaux est impressionnant : on l'évalue à 25 %, dont 8 % atteints de psychoses graves. Nous devons sortir de cette escalade de la morbidité !

Il faut mettre un terme aux mélanges des genres et assurer aux détenus un service public hospitalier convenable. Cela nécessite des unités hospitalières spécialement aménagées afin de laisser aux SMPR, aujourd'hui saturées, la responsabilité effective des soins ambulatoires. Cela passe également par une remise à plat de la démographie psychiatrique.

Il faut surtout sortir de la contradiction entre une politique pénale répressive et une politique pénitentiaire censée favoriser la réinsertion et combattre la récidive. Nous abordons l'examen de ce texte avec optimisme, dans un esprit de collaboration ; nous vous soumettrons, madame la garde des sceaux, plusieurs propositions équilibrées avec l'espoir que vous saurez y adhérer et que nous pourrons peut-être voter cette loi. (Applaudissements à gauche)

M. Claude Jeannerot.  - Le pays des droits de l'homme attendait cette loi pénitentiaire avec impatience : nous savons tous que les prisons françaises ne sont pas dignes de notre démocratie et sont loin des exigences européennes. La déception est à la mesure des espoirs. Malgré certains progrès réels, ce projet de loi n'est pas à la hauteur des enjeux. Son insuffisance tient sans doute au contexte paradoxal, voire contradictoire, dans lequel il a été conçu : depuis 2002, on n'a de cesse de renforcer la dimension répressive de notre droit pénal, ce qui a eu pour effet mécanique d'accroître le surpeuplement de nos prisons. Le taux moyen est de 125 % d'occupation, ce qui veut dire qu'il dépasse souvent les 135 % dans les maisons d'arrêt.

La première raison d'être de ce projet de loi est de remédier à cette surpopulation, ce que nous approuvons, mais une grande loi pénitentiaire doit aller plus loin et porter très haut le droit à la dignité pour les détenus. Mettez à profit ce texte insuffisant et partiel pour faire progresser ce pays !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Vous semblez oublier qu'on discute le texte élaboré en commission !

M. Claude Jeannerot.  - La surpopulation a des effets désastreux sur la santé des détenus, malgré les énormes progrès accomplis grâce à la loi de 1994 qui a confié la prise en charge de la santé des détenus au secteur hospitalier. Mais cette loi n'est qu'insuffisamment appliquée, selon l'Académie de médecine, qui dénonce des carences graves de l'hygiène, une absence de permanence médicale la nuit, une violation fréquente du secret médical, une insuffisance de suivi à la sortie. Tout cela alors qu'un quart des détenus est atteint de troubles psychiques.

Ce projet de loi mérite donc encore d'évoluer. Les règles pénitentiaires européennes devraient servir de cadre de référence pour aller plus loin.

Le groupe socialiste proposera donc des amendements garantissant mieux ce droit à la santé, en cohérence avec les propositions du président de la commission des affaires sociales. Le rapporteur a lui-même reconnu la nécessité de retravailler à fond cette question : il serait dommage que ce texte ne la traite pas.

Le droit à la réinsertion doit être une préoccupation centrale. Elle s'opère grâce au maintien des liens familiaux, grâce au suivi médical et, surtout, par l'accès au travail et à la formation professionnelle. Pourtant, la proportion de détenus exerçant une activité en prison ne dépasse pas 40 %. Alors que 75 % des entrants n'ont pas le niveau du CAP et que la moitié sont illettrés, le temps de l'incarcération doit être un temps utile. Nous présenterons des amendements favorisant le travail en prison.

Dans la perspective de ce débat, j'ai visité la maison d'arrêt de Besançon, rencontré des détenus, une équipe de direction très professionnelle et un personnel soucieux d'assurer ses missions dans les meilleures conditions. En proposant à la vie pénitentiaire un cadre législatif ambitieux, nous valoriserons aussi le travail de ce personnel.

En 1981, en abolissant la peine de mort, la France se mettait en accord avec elle-même, elle qui avait été une des premières nations à éradiquer la torture et à supprimer l'esclavage. Faisons en sorte qu'elle ne soit pas la dernière à se doter de règles pénitentiaires dignes d'une démocratie. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Alain Fouché.  - En janvier 2000, le rapport de Véronique Vasseur devait aboutir à la constitution de deux commissions d'enquête parlementaires. Quelques mois plus tard, la commission des lois du Sénat poussa à l'adoption de la proposition de loi déposée par MM. Hyest et Cabanel. C'est dire le rôle majeur et précurseur du Sénat sur ce sujet. C'est aussi grâce à la pression permanente du rapporteur, M. Lecerf, et à son engagement personnel en faveur de la condition pénitentiaire que nous entreprenons l'examen de ce texte.

La commission des lois a fait un travail remarquable et, moi qui suis membre d'une profession juridique, je ne suis pas déçu par ce texte qui apporte de réels progrès. Ce projet de loi a de grands mérites. Et d'abord celui d'être courageux puisqu'il aborde, dans une période de crise, un sujet qui n'est pas au premier rang des préoccupations de la grande majorité des Français, qui considèrent que, lorsque quelqu'un a commis une faute, il doit en supporter les conséquences. « Vous n'allez pas leur faire des quatre étoiles ! » s'exclament-ils lorsqu'ils apprennent sur quoi nous légiférons...

Ce texte a aussi le mérite de placer la réinsertion au coeur du service public pénitentiaire, s'attaquant ainsi au « paradoxe pénitentiaire » qui fait souvent de la prison une école de la récidive. « La société a le droit de punir mais non de corrompre ceux qu'elle châtie » écrivait Alexis de Tocqueville. Il ajoutait qu'on jugeait de l'efficacité du système pénitentiaire à son taux de récidive. Ce texte propose de nombreuses avancées : prévoir par exemple, comme le propose le rapporteur, d'évaluer le taux de renouvellement de l'infraction par établissement pénitentiaire pour mesurer l'impact des conditions de détention sur la récidive ; ou éviter l'incarcération, en développant les alternatives et les aménagements de peines. En matière correctionnelle, l'emprisonnement ferme ne doit être prononcé qu'en ultime recours et la libération conditionnelle doit être, aussi souvent que possible, préférée aux réductions de peine, tant il est primordial d'éviter les « sorties sèches ». La réussite de la réinsertion étant conditionnée par les modalités d'exécution de la peine, nous devons prendre à bras-le-corps le problème de la surpopulation pénale. Notre majorité a fait de constants efforts, depuis bientôt trente ans, pour construire de nouvelles places de prison. Trois programmes ont été successivement mis en oeuvre : le programme Chalandon de 13 000 places avec la construction de 25 établissements, le programme Méhaignerie avec 4 000 places et la construction de six établissements et, enfin, la création de 13 200 places, décidée par la loi d'orientation et de programmation pour la justice initiée par Jean-Pierre Raffarin avec la construction d'une quinzaine d'établissements pénitentiaires et de sept centres pour les mineurs. Parallèlement, au sein des établissements existants, on a créé entre 2003 et 2008 près de 1 600 places de détention. C'est en poursuivant cette orientation que nous répondrons au double objectif de sécurité pour la société et d'humanisation de nos prisons.

En tant que membre de la profession juridique, je me félicite de la priorité accordée par ce texte à la réinsertion mais celle-ci ne peut être poursuivie pour tous ni de la même façon. A l'optimisme de la réinsertion s'opposera toujours le pessimisme vis-à-vis des inamendables. Il nous faudra toujours des prisons, mais des prisons dignes.

A cet égard, l'encellulement individuel doit rester une priorité avec, certes, de possibles assouplissements liés à la personnalité du détenu. Il faut s'en donner les moyens, comme propose de le faire le rapporteur pour le travail, la formation ou la sécurité des détenus. Il préconise un régime de responsabilité sans faute de l'État pour les décès en détention survenus du fait d'une agression commise par un détenu.

La même logique de moyens prévaut pour le statut des personnels pénitentiaires. Oui, il faut se donner les moyens de garantir l'effectivité des droits reconnus aux détenus. Ce projet de loi est porteur en la matière de certaines avancées : droit à la communication, visites, maintien des liens familiaux, notamment avec les unités de vie familiale.

Il en va de même du droit disciplinaire dont les principes fondamentaux sont désormais élevés au niveau législatif. Il faut limiter les fouilles corporelles, trop souvent indignes, et les accomplir en respectant la dignité des détenus qui sont des êtres humains comme vous et moi.

Pas plus que la prison ne peut être une zone de non-droit, elle ne saurait être une zone de non-soins. On lit dans certains journaux des chiffres extravagants sur la proportion de détenus malades mentaux. J'en parlai voici quelques jours avec le professeur Senon, psychiatre bien connu dans nos prisons. D'après lui, 4 à 7 % de malades sont des schizophrènes et des psychotiques, 10 à 20 % sont dépressifs et délinquants sexuels, la France étant le pays d'Europe où les auteurs de violences sexuelles sont les plus punis.

Il faut aussi considérer le cas des jeunes détenus, plus fragiles et qui risquent d'être entraînés à la récidive. Les unités pour malades difficiles sont trop peu nombreuses. Dans les années 90 on a supprimé des lits, si bien qu'aujourd'hui toutes les UMD ont des listes d'attente. La création proposée de quatre nouvelles répondrait aux besoins actuels. Au-delà, il importe de garantir à tous l'effectivité des soins, sans que les détenus aient à attendre plusieurs mois pour une consultation spécialisée, et de fixer des objectifs de santé publique en fonction des pathologies de la population carcérale. L'idée d'un numerus clausus, sous la forme de l'interdiction d'incarcération de nouveaux détenus dans un établissement ayant un taux d'occupation supérieur à 120 % de ses capacités, peut se justifier tant la surpopulation carcérale a des effets sanitaires désastreux. Assurer un suivi des soins après la sortie de prison est une idée qui tombe également sous le sens mais qui, pour être correctement appliquée, suppose de coordonner tous les acteurs. Une visite médicale obligatoire après la sortie amorcerait sans doute ce processus vertueux. La prise en charge médicale du détenu montre qu'il a besoin d'un accompagnement continu « dedans » et « dehors ».

Votre projet pose des fondements ; il répond à une volonté exprimée de tous les horizons mais, il faudra, c'est le plus difficile, dégager des moyens pour le mettre en oeuvre. (Applaudissements à droite et au centre)

La séance est suspendue à 19 h 45.

présidence de M. Bernard Frimat,vice-président

La séance reprend à 21 h 45.

Rappel au Règlement

M. Jean-Louis Carrère.  - Ce rappel au Règlement porte sur l'organisation de nos travaux, plus particulièrement sur ceux des commissions aux termes de l'article 16 de notre Règlement. Dans quelle République vivons-nous ? Des projets de loi attendus de longue date disparaissent de l'ordre du jour : le projet de loi de programmation militaire n'a été ni discuté ni voté, le projet de loi pour la sécurité intérieure n'a même pas été déposé sur le bureau de nos assemblées, le projet de loi sur la gendarmerie a été, si j'ose m'exprimer ainsi, à moitié discuté et à moitié voté et le Gouvernement déclare presque toujours l'urgence, cette ennemie du bicamérisme. On fait comme si les textes de loi étaient discutés, on fait comme si le Gouvernement respectait les droits du Parlement. Cette méthode du « comme si » est oublieuse de nos institutions. Les conseillers du Président de la République galopent pour porter la voix du maître dans les médias et remplacent les ministres qui ne savent pas. Lorsque les conseillers font défaut, ce qui n'est pas rare car ils ne peuvent être partout, on fait appel à des médiateurs. Adieu les ministres !

Cette confusion des rôles et des genres fragilise la République et nos institutions. Le Sénat s'apprête à rencontrer le conseiller diplomatique de l'Élysée, M. Jean-David Levitte, et le chef d'état-major particulier du Président de la République, M. Edouard Guillaud, à huis clos et -je vous le donne en mille !- sans que cette rencontre ne donne lieu à un compte rendu. Faut-il y voir le signe de la consécration des conseillers du Président aux dépens des ministres qui sont seuls responsables devant la représentation parlementaire ? Quelle étrange dérive que cette rencontre secrète quand le Gouvernement, sous la pression du Président de la République, s'engage dans une dangereuse aventure, celle de la réintégration de la France dans le commandement militaire intégré de l'Otan ? La décision est contestée à gauche, mais également au sein de la majorité, notamment par certains de ses éminents amis. Pour M. Alain Juppé, la France serait ainsi placée à la remorque d'une organisation dirigée par une puissance alliée aux dépens de la défense européenne. Nous refusons qu'un sujet d'une telle importance soit traité dans le cadre de réunions secrètes et demandons l'organisation d'un débat suivi d'un vote.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Très bien !

M. Jean-Louis Carrère.  - En signe de protestation, les sénateurs du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG n'assisteront pas à cette rencontre ! (Applaudissements à gauche)

M. le président.  - Je vous donne acte de ce rappel au Règlement.

Loi pénitentiaire (Urgence - Suite)

M. le président.  - Nous reprenons la discussion du projet de loi pénitentiaire.

Discussion générale (Suite)

Mme Rachida Dati, garde des sceaux.  - Messieurs le rapporteur et le président de la commission des lois, je vous remercie d'avoir rappelé les avancées de ce texte et salue votre contribution. Ce projet de loi fondamental organise le service public pénitentiaire de demain. Il représente une véritable Constitution pour la prison en ce qu'il avance une nouvelle conception de la prison, une prison moderne et digne, et propose la création d'une prison hors les murs avec le développement du bracelet électronique et de l'assignation à résidence. Notre politique est équilibrée : la fermeté n'exclut pas l'humanité, l'enfermement doit s'accompagner d'une politique de prévention et de réinsertion pour éviter la récidive. Je m'associe à l'hommage que vous avez rendu aux personnels pénitentiaires.

Monsieur le président About, vous avez rappelé que les prisons concentrent une population fragile et démunie. Je salue le progrès considérable qu'a constitué la loi du 18 janvier 1994 en confiant au ministère de la santé les soins dispensés aux détenus. En la matière, le Gouvernement a consenti des efforts réels et constants. J'en veux pour preuve que les personnels hospitaliers travaillant en milieu carcéral sont passés de 2 138 en 2006 à près de 2 400 aujourd'hui. L'ouverture prochaine d'unités hospitalières spécialement aménagées améliorera la prise en charge des prévenus souffrant de troubles psychiatriques. Les premiers de ces hôpitaux-prisons ouvriront à Lyon avec 60 places, puis à Rennes avec 40 places. L'ouverture de nouveaux établissements s'accompagnera de la fermeture des établissements les plus vétustes : en 2012, nous aurons fermé 37 maisons d'arrêt avec dortoirs sur 44.

Monsieur Buffet, ce texte ambitieux, attendu depuis vingt ans, conjugue effectivement humanité avec fermeté et je partage votre approche pragmatique de l'encellulement individuel.

Monsieur Mézard, ce texte, loin d'être une création ex nihilo, s'appuie pour 90 % de ses dispositions sur les travaux du comité d'orientation restreint. Le Gouvernement n'a pas attendu ce projet de loi pour élever la prison au rang de priorité. Le Conseil de l'Europe a d'ailleurs rappelé que la France est le premier État qui a appliqué les règles pénitentiaires européennes grâce à la détermination de l'administration pénitentiaire dont nous renforçons considérablement les moyens avec une hausse du budget qui lui est consacré de 6,4 % pour 2008, 4,1 % pour 2009, la création de 13 000 places d'ici 2012 et des emplois correspondants. L'administration pénitentiaire a pour rôle de protéger la société, elle est la troisième force de sécurité publique de la Nation.

Monsieur Anziani, comparer la prison à un trou à rats est irrespectueux envers les personnels pénitentiaires et les détenus.

Monsieur Zocchetto, le droit en prison progresse. Poursuivons cet effort en adoptant ce projet de loi qui nécessite, pour être mis en oeuvre, des moyens. Je me suis battue pour qu'ils soient inscrits dans le budget 2009 et remercie les sénateurs de leur soutien. Pas moins de 9 millions sont consacrés à l'application de cette loi pénitentiaire, dont 8 pour le bracelet électronique et 1 264 emplois créés en 2009, dont 170 dans les services d'insertion et de probation. La nécessaire modernisation du parc pénitentiaire se poursuit.

Madame Borvo Cohen-Seat, je ne peux vous laisser proférer des contre-vérités sur le manque de personnels pénitentiaires. En 2009, plus de 1 200 emplois seront créés et les effectifs des services d'insertion et de probation sont passés de 1 800 à 3 800 depuis 2002.

M. du Luart a souligné avec pertinence la nécessité d'offrir les moyens adéquats à l'administration pénitentiaire et salué dans le même temps les efforts du Gouvernement. Mme Escoffier a parlé avec éloquence du sens de la peine et de la réinsertion. Comme elle, je pense que l'emprisonnement ne doit pas être synonyme de mort sociale ni de bannissement ; c'est pourquoi le Gouvernement a généralisé les unités de vie familiale dans les nouveaux établissements, qui permettent le maintien des liens sociaux et familiaux. Comme elle, je sais que les sorties sèches favorisent la récidive ; le nombre de libérations conditionnelles -à mes yeux l'outil le plus pertinent- qui stagnait lorsque j'ai pris mes fonctions a augmenté de 20 % en deux ans. Celui des aménagements de peine a été multiplié par trois entre 2007 et 2008, pour concerner aujourd'hui 6 500 détenus. L'article 48 du projet de loi va encore plus loin, en organisant l'aménagement systématique de la peine quatre mois avant la sortie. Les expérimentations anticipées déjà menées sont un succès.

M. Badinter a raison, la France a trop attendu. Il a bien voulu reconnaître que le Gouvernement agit avec la mise en oeuvre des règles européennes, qui nous oblige à être concrets pour améliorer les conditions de détention, et le programme de construction le plus important que notre pays ait connu. Le texte a été élaboré dans la concertation la plus large, grâce notamment à la diversité du comité d'orientation restreint. M. Badinter a relevé les dispositions relatives à l'aménagement des peines ; il n'y a pas, pour moi, contradiction entre une politique ferme et protectrice de la société et le développement des aménagements de peine, ce sont les deux facettes d'une même action. La certitude de la sanction n'exclut ni l'adaptation de son exécution ni l'humanité.

Action et contrôle sont indissociables. Le contrôleur général était attendu depuis 2000, la fonction a été créée par la loi du 30 octobre 2007 ; le Gouvernement a même souhaité qu'il soit indépendant et que son action soit étendue aux 6 000 lieux de privation de liberté, hôpitaux psychiatriques, centres de rétention, locaux de garde à vue, centres éducatifs fermés et prisons. Ses constats et recommandations ne sont pas toujours agréables mais ils encouragent une action résolue pour rendre les conditions de détention plus dignes. L'administration pénitentiaire a rédigé récemment une circulaire rappelant aux personnels l'évolution de la jurisprudence du conseil d'État.

Mme Dini a évoqué les difficultés liées au vieillissement de la population carcérale, que le Gouvernement n'ignore pas. Le texte assouplit les conditions de libération conditionnelle des détenus de plus de 70 ans ; ces conditions l'avaient déjà été pour les détenus exerçant une autorité parentale. Les conditions de suspension de peine pour raison médicale des détenus en fin de vie ont également été assouplies. Ces dispositions traduisent le souci du Gouvernement de concilier la fermeté et une prise en charge humaine et individualisée des détenus.

Je sais Mme Hermange attachée à une prise en charge humaine des détenus et à leur réinsertion. Le texte permet une meilleure prise en compte de la situation actuelle des prisons. Il importe, comme elle l'a dit, que tous les acteurs intérieurs et extérieurs à la prison coordonnent leurs actions pour préparer au mieux la réinsertion de chaque personne détenue. C'est bien pourquoi le texte comporte des dispositions relatives à la formation professionnelle et au travail. Le temps de la prison doit être un temps utile. C'est pourquoi également les entreprises d'insertion pourront entrer dans les prisons.

M. Jeannerot a quelque peu caricaturé la situation de nos prisons, alors que les gouvernements que son groupe a soutenus n'ont pratiquement rien fait pour moderniser les établissements pénitentiaires. La construction de nouvelles places, le développement des aménagements de peine, le contrôleur général, c'est aux gouvernements de droite qu'on les doit.

Je connais l'implication de Mme Boumediene-Thiery pour ces questions et je rends hommage à sa connaissance du terrain. Je partage son avis sur la notion de dignité, je ferai des propositions sur les conditions d'encellulement. En 2008, 115 personnes ont mis fin à leurs jours en prison. Depuis 2003, l'administration pénitentiaire a engagé une politique volontariste de prévention du suicide, qui repose notamment sur la formation des personnels ; elle porte ses fruits. Je rappelle que le taux de suicide était de 23 pour 10 000 en 1999, il est aujourd'hui de 17 ; mais personne ne peut se satisfaire de cette diminution, le garde des sceaux moins que quiconque. Un seul suicide, c'est déjà trop. J'ai demandé à un collège d'experts de réfléchir à cette question et de me faire des propositions, qui fonderont un prochain plan d'action.

En 2009, monsieur Fouché, 5 130 places supplémentaires seront ouvertes, après les 2 800 de 2008. Nous ouvrirons en outre, en 2009, 60 places en unité d'hospitalisation spécialement aménagées à Lyon et 40 à Nancy ; 705 seront ouvertes d'ici 2011.

La discussion générale est close.

Question préalable

M. le président.  - Motion n°2, présentée par M. Mermaz et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi pénitentiaire (n°202, 2008-2009).

M. Richard Yung.  - Nous considérons qu'il y a de bonnes raisons...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - De ne pas délibérer ?

M. Richard Yung.  - ...de ne pas aller plus loin dans la délibération. Non pas à cause du sujet, qui est une des grandes questions sociales et humaines auxquelles notre pays est confronté. Non pas à cause du texte, qui comporte des propositions importantes et intéressantes. Pas davantage au regard des amendements déposés par les deux commissions. Et même pas à cause de ce curieux et incompréhensible recours à l'urgence... Si nous posons la question préalable, c'est que nous voyons une contradiction majeure entre les dispositions du projet de loi et la politique pénale du Gouvernement, qui privilégie le durcissement des peines et le recours à l'emprisonnement.

Il nous semble en effet paradoxal de demander en août 2007 au juge correctionnel d'incarcérer au nom de la lutte contre la récidive et en mars 2009 de demander à celui de l'application des peines de multiplier les aménagements de celles-ci -toujours au nom de la lutte contre la récidive. Cette contradiction révèle les limites d'une politique de répression dont l'élaboration doit moins à la prise en compte de l'intérêt général qu'à l'émotion populaire suscitée par tel ou tel fait divers.

Le texte comporte des dispositions favorisant les peines alternatives à la détention et les aménagements de peine, l'objectif affiché étant non de vider les prisons mais de préparer la sortie des détenus. Nous ne sommes pas dupes cependant. Nous savons qu'une logique comptable est à l'oeuvre, qui utilise les aménagements de peine pour réguler la gestion des flux de la population carcérale -ce que plusieurs associations ont qualifié hier dans la presse de « logique d'ajustement conjoncturel ». Cela n'aurait rien d'étonnant : l'application de la loi pénale remplit chaque jour davantage les prisons. Voici quelques chiffres tirés de l'excellent rapport de M. Lecerf. Le nombre de personnes mises en cause par les services de police et de gendarmerie a presque été multiplié par deux en vingt ans, passant de 600 000 à 1,1 million.

Le nombre de peines d'emprisonnement a augmenté de 26 % en quatre ans, de même que le nombre de comparutions immédiates. La conséquence en est un taux d'occupation des prisons de 125 %, et je rends hommage à l'administration pénitentiaire et à son personnel, qui doivent faire face aux difficultés et aux tensions nées de cette surpopulation.

Vous vous êtes récemment targuée d'avoir augmenté les aménagements de peine de plus de 47 % en un an et d'avoir relancé les libérations conditionnelles, mais vous savez bien que cette politique est insuffisante lorsqu'à l'autre bout de la chaîne pénale, on incarcère massivement. Vous avez prévu la création de 13 200 places supplémentaires d'ici 2012 pour atteindre un total de 63 000 mais il est clair que le nombre d'incarcérations progressera plus rapidement. L'administration pénitentiaire prévoit d'ailleurs à cette date une population pénitentiaire de 80 000 personnes, ce qui portera le taux d'occupation des prisons à 130 %. Nous n'allons pas dans la bonne direction, d'autant que cette surpopulation ne permet pas d'appliquer le principe de l'encellulement individuel, même à l'issue du moratoire de cinq ans prévu à l'article 58. Le programme de constructions prévoit d'ailleurs la création de nombreuses cellules doubles, qui demain pourront être triples ou quadruples...

La politique du tout-carcéral est incompatible avec l'article premier A, qui déclare que « la peine de privation de liberté concilie la protection effective de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de préparer la personne détenue à sa réinsertion ». La surpopulation en fait un voeu pieux car comment, dans ces conditions, le détenu peut-il travailler sur lui-même et préparer sa sortie ?

Votre politique est également en contradiction avec l'article 32, qui affirme le caractère subsidiaire de la peine d'emprisonnement en matière correctionnelle et prévoit que celle-ci doit être aménagée. Les peines planchers, prévues par la loi du 10 août 2007, généralisent la condamnation à de lourdes peines de prison ferme. Nous avons vivement combattu ce texte, qui consacre l'impossibilité de prononcer une peine autre que l'emprisonnement à la deuxième récidive pour un grand nombre de délits, dont les délits routiers, et remet en cause le principe de l'individualisation des peines.

Ce projet de loi pénitentiaire est également en contradiction avec votre pratique politique consistant à faire exercer des pressions sur les magistrats par les procureurs généraux, qui leur demandent des résultats chiffrés et les notent sur leurs capacités à condamner. Une instruction ministérielle récente aggrave cette situation. Et je rappelle l'introduction par la loi du 25 février 2008 de la « prison après la prison » avec la rétention de sûreté et la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Comme « l'homme dangereux » de Lombroso, des personnes sont mises au ban de la société non pour ce qu'elles ont fait mais pour ce qu'elles sont ou pour ce qu'elles pourraient faire. Ainsi, des présomptions conduiront à des peines à perpétuité ou de très longue durée.

Tous les professionnels, les syndicats de magistrats, les associations s'accordent pour dire que le préalable à ce texte est une politique pénale cohérente garantissant un maximum de sécurité juridique. Lors des rencontres parlementaires sur les prisons, le 11 décembre dernier, la présidente de l'Association nationale des juges d'application des peines usait d'une métaphore un peu vive pour illustrer ces contradictions : il serait préférable de « fermer le robinet au lieu d'utiliser la serpillière ».

Une grande loi pénitentiaire est nécessaire, qui s'attacherait à tous les aspects de la vie en prison, de la santé à la formation ou au logement, dans un cadre interministériel. La réforme du système pénitentiaire français n'a pas de sens si l'on mène une politique pénale consistant à recourir de manière presque compulsive à l'emprisonnement et à « préfectoraliser » la magistrature. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-René Lecerf, rapporteur.  - Cette unique motion de procédure -nous sommes habitués à en examiner plusieurs- a amené Richard Yung à un brillant d'exercice d'équilibre. Il déplore, comme nous, la surpopulation carcérale et reconnaît que certaines dispositions de ce texte, parfaitement pertinentes, permettent de lutter contre ce problème et d'aller vers un encellulement individuel, tout en affirmant qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération. Ainsi, il reproche à certaines mesures de se limiter à la gestion des flux. Les libérations conditionnelles quatre mois avant la libération, par exemple, relèveraient de la « grâce électronique ». Or, nous y avons réfléchi en commission et, pour rester logiques avec la suppression de la grâce présidentielle, avons assorti ces dispositions de garanties pour éviter cet écueil. La loi répond donc, sur ce point, aux préoccupations de Richard Yung.

Les signataires de la motion tentent ensuite de trouver des incohérences avec la politique gouvernementale mais il ne s'agit pas ici de la première loi de caractère libéral votée depuis les dernières échéances législatives et présidentielle. Ainsi, nous avons approuvé, dans notre grande majorité, la création d'un contrôleur général des lieux de privation de liberté et la nomination de Jean-Marie Delarue par le Président de la République. On ne peut non plus soutenir que les lois instaurant des peines planchers et luttant contre la récidive obligent le magistrat à prononcer des peines d'emprisonnement. Il peut prendre des décisions différentes et l'emprisonnement comme dernier recours n'est donc pas incompatible avec les textes votés. L'application aux récidivistes de peines plus lourdes qu'aux primo-délinquants relève du bon sens. Le temps d'épreuve pour les libérations conditionnelles a été modulé en conséquence, comme le prévoyait déjà une loi de 1992.

Vous souhaitez donc autant que nous prolonger la discussion et nous ne pouvons que rejeter votre question préalable.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux.  - Même avis.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Vous avez eu raison, monsieur le rapporteur, de souligner la grande intelligence des propos de M. Yung. Il est clair que son objectif n'est pas de mettre fin illico au débat...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Dès lors, à quoi bon cette question préalable ?

M. Jean-Pierre Sueur.  - ...mais bien de mettre l'accent sur la contradiction que porte cette loi. Vous avez dû recourir à bien des détours sophistiques pour tenter de convaincre que les peines plancher et la rétention de sûreté sont sans effet...

J'ai visité la maison d'arrêt d'Orléans, qui connaît un taux de surpopulation de 230 %, l'un des plus élevés de France. Il faut voir ce que cela signifie... Quatre-vingt-dix personnes au premier étage, souvent à trois par cellule, un gardien ; quatre-vingt-dix personnes au deuxième étage, trois par cellule, un gardien... J'ai rencontré le directeur adjoint, les représentants du personnel, qui ont tous souligné la contradiction : on remplit les prisons -et votre politique, madame le garde des sceaux, fait toujours davantage appel à l'incarcération- au risque de mettre en péril les missions, en particulier de réinsertion, des maisons d'arrêt.

Il eût été préférable de mettre en oeuvre une politique pénale de concordance avec la politique pénitentiaire que vous prônez aujourd'hui. Sans ce préalable, cette loi ne suffira pas à résoudre les problèmes.

Mme Josiane Mathon-Poinat.  - Ce texte est en totale contradiction, en effet, avec la politique pénale menée depuis 2002, qui a aggravé la surpopulation dans les prisons. A lire son exposé des motifs, qui qualifie l'incarcération d'« ultime recours » et l'aménagement des fins de peines de « meilleur outil de lutte contre la récidive », on a peine à croire qu'il émane du même gouvernement qui naguère créait les peines planchers et la rétention de sûreté. Poussez donc cette logique nouvelle jusqu'au bout, en abrogeant les lois par lesquelles vous avez instauré ces dispositions. Car depuis 2002, vous avez, par la loi, allongé la duré des peines et réduit les possibilités de leur aménagement. Pas moins de 62 774 personnes sont aujourd'hui détenues. Malgré la condamnation unanime des parlementaires, des personnels pénitentiaires, des magistrats, des associations et même du commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, nul n'a voulu s'attaquer au problème. Les prisons sont devenues des zones de non-droit où l'on prive les individus des droits fondamentaux de la personne humaine.

Et où est la traduction budgétaire de ce texte ? Pour 2009, vous n'avez fait que prévoir plus de places de prison. Quid des moyens humains ? Les services d'insertion et de probation ont besoin de personnel supplémentaire. La nouvelle maison d'arrêt de Roanne manque déjà de personnel, sans parler des mesures de sécurité douteuses...

C'est dire que ce projet est très largement perfectible. Or, vous avez déclaré l'urgence dans des conditions qu'il est inutile de rappeler... Nous doutons, dans ces conditions, que puisse sortir de votre projet la grande loi pénitentiaire dont notre pays a besoin. Les parlementaires de tous bords se sont pourtant investis, ils ont alerté l'opinion, ils ont interpellé le Gouvernement. Alors que deux lectures étaient loin d'être superflues, vous avez préféré, comme à votre habitude, sacrifier le travail parlementaire, et c'est pourquoi nous voterons cette question préalable.

A la demande du groupe socialiste, la motion n°2 est mise aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 326
Majorité absolue des suffrages exprimés 164
Pour l'adoption 139
Contre 187

Le Sénat n'a pas adopté.

Discussion des articles

M. le président.  - Nous allons aborder la discussion des articles, dans le texte résultant des travaux de la commission.

Titre préliminaire (avant l'article premier A)

Du sens de la peine de privation de liberté

M. le président.  - Amendement n°65, présenté par M. Anziani et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Au début de l'intitulé de cette division, ajouter les mots :

Des principes fondamentaux et

M. Alain Anziani.  - Le sens de la loi tient à certains principes, c'est pourquoi nous rectifions l'intitulé de ce titre.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur.  - Bien que cet amendement soit cohérent avec ceux qu'a ensuite déposés le groupe socialiste, la commission estime qu'il nuit à la lisibilité de ce titre préliminaire, relatif au sens de la peine, et anticipe sur le chapitre 3 du titre II, relatif aux droits des détenus. Retrait ou rejet.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux.  - Un principe fondamental est un principe constitutionnel. Or tous les principes énoncés par ce projet de loi ne sont pas garantis par la Constitution. Retrait ou rejet.

M. Alain Anziani.  - Il est maintenu.

L'amendement n°65 n'est pas adopté.

Articles additionnels

M. le président.  - Amendement n°67, présenté par M. Anziani et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Avant l'article 1er A, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Les personnes privées de liberté doivent être traitées dans le respect des droits de l'homme.

M. Alain Anziani.  - Oui, les principes fondamentaux ont valeur constitutionnelle. Parmi eux figure le respect des droits de l'homme. Nous proposons donc d'inscrire dans la loi que « les personnes privées de liberté doivent être traitées dans le respect des droits de l'homme », conformément à la première règle pénitentiaire européenne.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur.  - La commission préfère sa propre rédaction, notamment à l'article 10 qui dispose que « l'administration pénitentiaire garantit à tout détenu le respect de ses droits ». Avis défavorable.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux.  - La Constitution et la Convention européenne des droits de l'homme sont des textes d'application directe dans notre droit : point n'est besoin d'en rappeler les principes dans la loi. Avis défavorable.

M. Louis Mermaz.  - Nous avons assisté cet après-midi à la béatification du rapporteur par M. Badinter qui parlait d'or, au point de le compromettre. Mais nous constatons ce soir qu'il lui reste quelques progrès à faire avant sa canonisation... (Rires et applaudissements à gauche)

Un texte aussi limpide que celui de l'amendement constituerait une belle entrée en matière pour un texte qui se veut humaniste. Il est déplorable que nous ne sachions plus écrire la loi avec la même clarté que les grands révolutionnaires de 1789 et 1793 ! (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Pierre Sueur.  - Bravo !

L'amendement n°67 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°66, présenté par M. Anziani et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Avant l'article 1er A, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Les personnes privées de liberté conservent tous les droits qui ne leur ont pas été retirés selon la loi par les décisions les condamnant à une peine d'emprisonnement ou les plaçant en détention provisoire.

M. Alain Anziani.  - Cet amendement est essentiel : il reprend la règle pénitentiaire européenne n°2 et garantit aux détenus le respect de leurs droits de citoyens, de justiciables et d'usagers du service public pénitentiaire.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur.  - La loi n'a pas pour rôle de décliner des principes ni de transcrire intégralement les règles européennes. L'article 10 répond d'ailleurs à vos préoccupations. Retrait, sinon rejet.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux.  - Cet amendement reviendrait à ôter à l'administration pénitentiaire la faculté de restreindre occasionnellement les droits des détenus, par exemple de leur retirer un permis de visite s'ils se sont rendus coupables d'une infraction lors d'une visite précédente, ce qui peut pourtant s'avérer nécessaire à la sécurité du personnel et des détenus eux-mêmes. Avis défavorable.

M. Alain Anziani.  - Nous maintenons l'amendement. Je ferai deux observations. Depuis le début de l'après-midi, on veut nous faire croire que ce texte est l'application des règles européennes : on voit que c'est loin d'être le cas.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Mais il n'est pas besoin de rappeler ces règles !

M. Alain Anziani.  - En outre, nous assumons notre désaccord avec Mme la garde des sceaux : en toute chose ou presque, le pouvoir judiciaire doit pouvoir contrôler les décisions de l'administration pénitentiaire.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Nous soutenons évidemment la position de nos collègues socialistes. La réponse de Mme la ministre est significative : elle prétend que l'amendement empêcherait l'administration pénitentiaire de sévir contre des détenus coupables d'infractions. Mais en cas d'infraction, le coupable doit être jugé ! De deux choses l'une : soit il existe des droits fondamentaux intangibles et si une infraction a été commise, c'est au juge qu'il revient de statuer ; soit il n'existe que des droits octroyés par l'administration pénitentiaire et modulables en fonction des impératifs de sécurité, du contexte, et pas nécessairement en raison d'infractions commises par le détenu concerné. Il ne suffit pas que les décisions de l'administration puissent être évaluées a posteriori par le contrôleur général des lieux de privation de liberté. On touche là à un point essentiel qui nous montre qu'il existe bien deux philosophies pénitentiaires opposées.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Il est important de se référer aux règles européennes ; cependant, la loi n'a pas pour vocation de les décliner l'une après l'autre mais de déterminer les conditions pratiques de leur application : je pense par exemple aux nouvelles règles de domiciliation des détenus.

Je ne suis donc nullement défavorable aux règles européennes approuvées par la France et qu'elle a largement contribué à élaborer, mais je ne crois pas nécessaire de les inscrire dans la loi. Il nous revient de vérifier à la fin de la discussion parlementaire si ces règles sont bien respectées.

Je ne voterai donc pas l'amendement. C'est une question de conception de la loi, qui doit selon moi avoir un aspect concret et normatif plutôt que d'énoncer des principes généraux.

M. Claude Jeannerot.  - Je suis troublé par le raisonnement de M. le président Hyest. C'est bien sur le plan des principes que nous nous situons ! J'entends Mme la garde des sceaux invoquer les contraintes qui pèsent sur l'administration pénitentiaire ; mais j'attends précisément de ce débat qu'il m'éclaire sur les raisons qui nous conduisent à déroger aux règles européennes !

M. Patrice Gélard.  - Nous n'y dérogeons pas !

M. Claude Jeannerot.  - Pourquoi alors ne pas y faire référence explicitement ?

M. Patrice Gélard.  - Parce qu'elles ont déjà été approuvées ! (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat proteste)

L'amendement n°66 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°68, présenté par M. Anziani et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Avant l'article 1er A, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Les restrictions imposées aux personnes privées de liberté doivent être réduites au strict nécessaire et doivent être proportionnelles aux objectifs légitimes pour lesquelles elles ont été imposées.

M. Alain Anziani.  - Vous demandez pourquoi il est nécessaire de mentionner dans la loi les grands principes pénitentiaires européens : c'est parce que nous avons, dans ce domaine, beaucoup de retard. Toutes les grandes lois commencent d'ailleurs par des déclarations de principes, qui fixent le cadre des règles énoncées ensuite. (M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission, le conteste)

J'espère que nous aurons plus de chance avec l'amendement n°68, qui tend à préciser que « les restrictions imposées aux personnes privées de liberté doivent être réduites au strict nécessaire et doivent être proportionnelles aux objectifs légitimes pour lesquelles elles ont été imposées ». C'est la règle européenne n°3, qui constitue une sorte de mode d'emploi à l'usage de l'administration pénitentiaire. La loi doit certes fixer des normes, mais aussi des méthodes.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur.  - La commission reconnaît qu'il est indispensable que les restrictions apportées aux droits des détenus soient régies par les principes de nécessité et de proportionnalité. Cependant, elle est défavorable à l'amendement : la règle européenne est un guide, je dirais même une boîte à outil dans laquelle nous devons puiser. (M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission, approuve)

Lorsque nous avons proposé un amendement sur les fouilles, nous avons mis en oeuvre ce principe de nécessité et de proportionnalité. Nous utilisons ces règles européennes de manière concrète et pragmatique, nous ne tenons pas à les proclamer.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux.  - Défavorable : des dispositions comparables figurent à l'article 10.

L'amendement n°68 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°69, présenté par M. Anziani et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Avant l'article 1er A, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le manque de ressources ne saurait justifier des conditions de détention violant les droits de l'homme.

M. Alain Anziani.  - Comment pourrait-on ne pas applaudir des deux mains cet amendement ? Il signifie que ce que nous votons ici doit être suivi d'effet, en particulier en termes budgétaires.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur.  - Même réponse : cela va tellement de soi que l'on risquerait plutôt d'affaiblir cette évidence en l'inscrivant dans la loi. La commission des lois s'est inspirée de ce principe quand il s'est agi de l'indemnisation en nature ou en numéraire ; nous avons dit alors que le manque de ressources ne devait pas obliger le détenu à choisir entre travailler pour se procurer le nécessaire et recevoir une formation professionnelle.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux.  - Relisez l'article 10 ! Il satisfait cet amendement comme le précédent.

M. Alain Anziani.  - Il faut choisir son moyen de défense ! Ou bien vous refusez cet amendement parce que vous ne voulez pas de proclamations de principes, ou bien vous nous dites qu'il est satisfait par un article du projet de loi !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - C'est l'application du principe.

M. Alain Anziani.  - Nous souhaitons formuler des principes avant d'en décliner les applications.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission  - C'est une conception qu'on n'a jamais eue en France.

L'amendement n°69 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°213 rectifié bis, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC-SPG.

Avant l'article 1er A, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

La loi n°2007-1198 du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs est abrogée.

Mme Éliane Assassi.  - Dans l'exposé des motifs, le Gouvernement affirme que « l'incarcération doit, dans tous les cas, constituer l'ultime recours .Et, lorsqu'elle n'a pu être évitée, il convient d'en limiter la durée, en ayant dès que possible recours à des mesures alternatives ou des aménagements de peines ». Cela faisait bien longtemps que nous militions pour un changement de la politique carcérale. Nous répétons inlassablement que la privation de liberté doit constituer le dernier recours ; qu'elle doit être assortie d'une prise en charge sociale, éducative, psychologique. Nous dénonçons l'état scandaleux des prisons, les droits bafoués des personnes incarcérées, la criminalisation de la société, la bureaucratisation de la justice créant de l'arbitraire au détriment de l'individualisation des peines et de la réflexion au cas par cas. Bref, nous dénonçons sans cesse cette machine à punir qui fabrique des citoyens marginalisés, en rupture des règles élémentaires qui font société.

Mais comment concilier le revirement du Gouvernement avec le maintien de la loi du 10 août 2007 qui a instauré le principe des peines plancher ? Cette loi n'a fait qu'accentuer ce que le Gouvernement semble dénoncer aujourd'hui !

A l'époque, nous avions fermement dénoncé ce texte qui inversait notre logique judiciaire, voire notre philosophie pénale, dans le seul but de rassurer l'opinion et sacrifiait la spécificité de la justice des mineurs sur l'autel de la surenchère médiatique. Jusqu'à l'année dernière, le principe était que les magistrats doivent motiver leurs décisions, notamment les peines privatives de liberté. Avec la loi sur la récidive, le juge motive non plus la privation de liberté mais le maintien en liberté. Comment affirmer que l'incarcération doit être le dernier recours tout en conservant le principe d'automatisation de la peine ?

Il y a aussi un problème de compatibilité entre l'affirmation du principe de l'individualisation des peines et les conséquences de la loi sur la récidive d'août 2007. Selon la loi sur les peines plancher, en cas de première récidive, le juge peut déroger à une peine minimale si les circonstances de l'infraction, la personnalité de son auteur ou ses garanties d'insertion ou de réinsertion le justifient. En cas de nouvelle récidive, pour les crimes et les délits les plus graves, le juge ne pourra y déroger que si le prévenu présente des garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion. Et si dérogation il y a, obligation est de toute façon faite au juge de prononcer une peine d'emprisonnement. Le principe de l'individualisation des peines est donc devenu l'exception face à la quasi-automaticité de la sanction.

Il y a donc incohérence entre la loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs et le présent projet de loi.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur.  - Défavorable : la loi du 10 août 2007 n'a en rien transformé les juges en distributeurs automatiques de peines de prison.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux.  - L'article 137 du code de procédure pénale n'est pas modifié. Il n'est pas possible de mettre deux fois un sursis simple. La loi de 2007 ne crée pas une automaticité des peines de prison ; l'incarcération ne s'impose que lorsque toutes les autres voies ont été épuisées. Le Conseil constitutionnel a validé ce texte qui reconnaît le pouvoir d'appréciation des juges. Si des peines plancher sont prononcées, c'est que tous les critères juridiques y conduisent. Pensez que, dans les deux tiers des cas, les condamnés en cause le sont pour des faits de violence conjugale.

Bref, il n'y a pas d'incohérence avec ce texte ; défavorable donc à l'amendement.

L'amendement n°213 rectifié bis n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°214 rectifié, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC-SPG.

Avant l'article 1er A, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

La loi n°2008-174 du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental est abrogée.

Mme Éliane Assassi.  - Le dispositif de rétention de sûreté a anticipé le débat sur la loi pénitentiaire, compromettant les objectifs affichés de donner plus de droits aux détenus. Avec cette loi dictée à nouveau par l'émotion, il s'agissait, disiez-vous une fois de plus, de combattre la récidive. Or le taux moyen de récidive en 2005 était de 2,6 % pour les crimes et la récidive de crime à crime de 1 %. De plus, les dispositions ne manquent pas. La loi du 27 juin 1990 permet d'interner les malades mentaux, criminels ou non, même préventivement. Elle ne suffit pas au Président de la République, qui annonçait le 2 décembre un nouveau projet de loi qui mobilise contre lui les professionnels de la psychiatrie.

Aucun bilan de l'application de ces mesures n'a été fait ; on sait qu'il manque au moins 500 médecins pour le suivi socio-judiciaire et la prison est devenue le lieu d'enfermement des malades mentaux, ce qui bafoue tant la justice que la psychiatrie. On n'enferme plus à cause d'un acte mais au nom d'une dangerosité future, bafouant ainsi également le principe de la présomption d'innocence. Vous avez même, madame la garde des sceaux, tenté de revenir sur la non-rétroactivité des lois... La rétention de sûreté procède d'une logique d'élimination. Il faut abroger cette loi de février 2008 !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur.  - Avis défavorable. L'objet de ce projet de loi n'est pas d'abroger des lois récemment votées et que nous revoterions s'il fallait le refaire. La rétention de sûreté existe ailleurs, par exemple au Canada dont la politique pénitentiaire passe pourtant pour être libérale. Il y a dans ce pays la catégorie des « détenus dangereux » qui ne sortent jamais de prison, si bien que mieux vaut, au Canada, être condamné à perpétuité qu'être classé « détenu dangereux ». En France, au moins, le niveau de dangerosité est réexaminé chaque année. En outre, nous ne sommes plus au stade de l'incarcération mais après la peine. Enfin, cela ne concerne qu'une poignée de personnes qui ne sont pas forcément des malades mentaux.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux.  - Nous sommes en effet au-delà de la peine. De toute façon, même si on abrogeait la rétention de sûreté, au vu des expertises, ces personnes ne bénéficieraient pas d'aménagement de leur peine.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Monsieur le rapporteur, vous nous dites que les personnes dangereuses ne sont pas forcément des malades mentaux mais, pourtant, elles seront enfermées à vie sous surveillance psychiatrique... La rétention à vie existe, dites-vous, dans certains pays. Mais il en existe beaucoup d'autres, notamment en Europe, où elle n'existe pas ! La valeur d'exemple ne doit pas jouer que dans un sens.

L'amendement n°214 rectifié n'est pas adopté.

Article premier A

Le régime d'exécution de la peine de privation de liberté concilie la protection effective de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de préparer la personne détenue à sa réinsertion afin de lui permettre de mener une vie responsable et exempte d'infractions.

M. le président.  - Amendement n°70, présenté par M. Anziani et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Rédiger comme suit cet article :

L'exécution des peines privatives de liberté en matière correctionnelle et criminelle a pour objet de protéger la société et assurer la punition du condamné, mais aussi de favoriser l'amendement de celui-ci et préparer sa réinsertion ainsi que de veiller au respect des droits des victimes.

M. Richard Yung.  - Le président Badinter a parlé de « loi Lecerf ». Nous avons, avec cet article premier A, un exemple de l'empreinte de notre rapporteur sur ce projet de loi où manquait effectivement la définition des finalités de la peine privative de liberté. Nous sommes tout à fait d'accord sur le fond mais préférons nous inspirer de la définition donnée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 20 janvier 1994, définition plus courte, plus nerveuse et qui emporte plus l'adhésion.

M. le président.  - Amendement n°215, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC-SPG.

Rédiger comme suit cet article :

La peine de privation de liberté concilie les objectifs de protection effective de la société, de sanction et de réinsertion du condamné et de prise en compte des intérêts de la victime. Son régime d'exécution doit être individualisé.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Le texte d'origine du Gouvernement n'évoquait nulle part le sens de la peine. C'est pourtant essentiel dans une loi pénitentiaire. La peine privative de liberté n'a de sens que si elle vise la réinsertion. La prison doit protéger la société du condamné mais aussi préparer celui-ci à une sortie inévitable. L'opinion publique aurait tendance à demander des peines plus longues et à trouver que la justice est trop laxiste, ce que dément l'analyse des sanctions pénales. Cette distorsion montre bien que le sens de la peine n'est pas clair. Le Gouvernement aurait dû inscrire ce sens dans la loi. Il ne l'a pas fait et le rapporteur a voulu combler cette lacune mais sa rédaction est subjective et moralisatrice. Qu'est-ce qu'une « vie responsable » ? Notre rédaction insiste sur la nécessité d'individualiser la peine.

M. le président.  - Amendement n°216, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC-SPG.

A la fin de cet article, supprimer les mots :

afin de lui permettre de mener une vie responsable et exempte d'infractions

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Amendement de repli. Le qualificatif moralisateur de « responsable » n'a pas sa place dans la loi.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur.  - L'avis du rapporteur devient particulièrement difficile avec le nouvel article 42 car il ne peut plus présenter ses amendements ni ceux de ses collègues qui ont déjà été intégrés ; restent les amendements qui ont les plus fortes chances de recevoir un avis défavorable : il faudra s'y faire... (Sourires)

La commission avait voulu fixer de manière plus précise le sens de la peine et guider les décisions prises durant son exécution. Il m'était apparu opportun de reprendre exceptionnellement une décision européenne parce qu'à partir de là, on peut répondre à bien des questions. La généralisation du travail et de la formation professionnelle en milieu carcéral est-elle favorable « à une vie responsable et exempte d'infractions » ? La réponse est oui. La multiplication des fouilles corporelles intégrales est-elle favorable « à une vie responsable et exempte d'infractions » ? La réponse est non. Pour une fois que j'ai repris une règle pénale européenne, elle vous déplait ! Désolé, mais c'est mon opinion. Avis défavorable.

M. le président.  - Le rapporteur peut intervenir sur l'article pour signaler l'apport par rapport au texte initial.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux.  - Purement rédactionnel, l'amendement n°70 est satisfait...

M. Jean-Pierre Sueur.  - Il est plus nerveux.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux.  - Il est peut-être plus nerveux de ne pas écrire « le régime » de l'exécution des peines, mais cette expression est plus précise. Avis défavorable, ainsi qu'aux amendements n°215, parce que le principe de l'individualisation des peines apparaît déjà dans les articles 132-24 et 707 du code de procédure pénale, et n°216, pour les raisons qu'a dites le rapporteur.

M. Jean-Pierre Sueur.  - J'ai bien entendu le rapporteur, mais nous sommes ici pour faire la loi et il est permis d'améliorer la rédaction, même après qu'elle a été adoptée en commission. La rédaction issue de ses travaux n'est pas la meilleure pour trois raisons. En premier lieu, la notion de vie responsable n'est pas juridiquement pertinente : le concept est flou. Mieux vaux dire que l'objet est de préparer la réinsertion, c'est plus court, plus sobre et cela évite les dissertations sur ce qu'est une vie responsable. En deuxième lieu, s'il est bon de parler des victimes, en rester à leurs intérêts est restrictif ; il est préférable de parler, comme nous le proposons, de respect de leurs droits. En troisième lieu, l'adjectif « effective » me chagrine dans un texte normatif. A-t-on dit que la peine de mort était « effectivement » abolie ? Cet adjectif n'apporte rien. Pour ces trois raisons, je préfère la rédaction défendue par M. Yung et dont les termes sont meilleurs et mieux adaptés.

M. Louis Mermaz.  - Je ne suis pas enchanté par la « vie responsable » mais c'est le verbe « concilier » qui m'étonne. Comment concilier les intérêts des victimes avec la « vie responsable » de l'auteur de l'infraction ? Celui qui a été douloureusement atteint ne sera jamais consolé par le fait que le responsable s'amende. Ce mélange des plans ne relève plus du droit, mais de la magie. Je préfère la rédaction du Conseil constitutionnel car j'y retrouve cette clarté cartésienne qui restera, je l'espère, la qualité principale des Français.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur.  - Je peux admettre une critique mais pas les autres. L'expression « la vie responsable » est tout à fait intéressante et ceux qui visitent les prisons savent bien le risque d'infantilisation de personnes qui n'ont plus aucune responsabilité, au point de paniquer à l'approche de leur libération. Une « vie responsable » facilitera le passage du dedans au dehors.

Le verbe « concilier » ne me choque pas et les victimes, qui ne sont pas nécessairement individualisées, ont tout intérêt à la réinsertion du prisonnier.

Nous avions retenu l'adjectif « effective » par référence à d'autres dispositions du code de procédure pénale mais je ne suis pas hostile à son retrait.

M. le président.  - Puisque le texte résulte de votre amendement, vous pouvez le rectifier et supprimer l'adjectif à la deuxième ligne de l'article premier A.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur.  - Soit.

L'amendement n°70 n'est pas adopté, non plus que les amendements nos215 et 206.

L'article premier A, rectifié, est adopté.

Article additionnel

M. le président.  - Amendement n°71, présenté par M. Anziani et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

La coopération avec les services sociaux externes et, autant que possible, la participation de la société civile à la vie pénitentiaire doivent être encouragées.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Nous nous inspirons de la règle pénitentiaire n°7 qui met l'accent sur la coopération avec les services sociaux externes, le bénévolat et les visites.

Cette précision est très utile. Dans la maison d'arrêt que j'ai mentionnée tout à l'heure, une association, l'Espoir, visite les détenus et soutient leurs familles. Elle accomplit un travail remarquable dont le personnel et la direction se félicitent. Il serait juste, dans cette loi, de reconnaître l'action des associations et des bénévoles.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur.  - Cet amendement, dont la commission partage l'objectif, est satisfait par l'article 2 qui souligne le concours apporté par les associations et autres personnes publiques ou privées au service public pénitentiaire, et le nouvel article 2 sexies qui prévoit la représentation de ces associations dans les instances chargées d'évaluer le fonctionnement des établissements pénitentiaires. Retrait ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux.  - Même avis.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Compte tenu des explications de M. le rapporteur, je n'insiste pas.

L'amendement n°71 est retiré.

Article premier

Le service public pénitentiaire participe à l'exécution des décisions pénales. Il contribue à l'insertion ou à la réinsertion des personnes qui lui sont confiées par l'autorité judiciaire, à la prévention de la récidive et à la sécurité publique dans le respect des intérêts de la société, des droits des victimes et des droits des personnes détenues. Il est organisé de manière à assurer l'individualisation et l'aménagement des peines des personnes condamnées. Il garantit à tout détenu le respect des droits fondamentaux inhérents à la personne.

M. Louis Mermaz.  - Contrairement à mes collègues communistes, je continue de m'interroger sur la raison qui poussait le Gouvernement à mentionner que le service public pénitentiaire participe à la préparation des décisions pénales et à la préparation et à l'exécution des mesures de détention. N'est-ce pas du ressort de la seule autorité judiciaire ? Je me réjouis que la commission ait modifié cette rédaction ambiguë, qu'elle ait supprimé l'inutile référence à la mission d'insertion et de probation, rappelée dès la phrase suivante et consacrée par un amendement insérant un article additionnel au chapitre II, et qu'elle ait précisé que l'individualisation et l'aménagement des peines concerne les seules personnes condamnées ; j'y reviendrais. Par ailleurs, elle a légitimement observé que le service public pénitentiaire contribue non seulement à la réinsertion des détenus mais aussi, dans certains cas, à leur insertion car ils n'ont jamais été insérés. Enfin, elle a rappelé que le service public pénitentiaire s'exerce dans le respect des droits des victimes. Pour autant, l'enfermement de longue durée ne permet pas aux détenus de remplir l'obligation qui leur est faite de réparer financièrement le préjudice causé.

Pour autant, le groupe socialiste propose une rédaction plus claire avec l'amendement n°72 -« ce qui se conçoit bien s'énonce clairement... »-, complétée par l'excellent amendement n°73 qui reprend la règle pénitentiaire européenne 72-1. Il convient, de fait, de rappeler que le respect de la dignité humaine des détenus s'impose au surveillant comme au directeur de prison.

Cet article premier est aussi confus que celui de la loi du 22 juin 1987. Les missions et objectifs du service public pénitentiaire -participer à l'exécution des décisions pénales, contribuer à l'insertion et la réinsertion, participer à la prévention de la récidive, assurer la sécurité publique, procéder à l'individualisation et l'aménagement des peines- sont énumérés en vrac, si bien que l'administration pénitentiaire pourra déterminer ses propres priorités. Surtout, dans la rédaction du Gouvernement, aucune distinction n'était opérée entre personnes détenues et condamnées ; malheureuse maladresse de plume, que la commission a bien sentie, qui pouvait laisser croire que les personnes simplement détenues, soit 58 % des personnes entrées en prison en 2008, étaient présumées coupables. Cela aurait constitué une grave atteinte au principe de présomption d'innocence. Bref, réécrire cet article premier était une absolue nécessité.

Mme Jacqueline Alquier.  - Cet article premier pose la question des moyens des services d'insertion et de probation, dont le rôle est appelé à se développer avec l'individualisation et l'aménagement des peines. Comme d'habitude, aucune étude d'impact ne nous a été transmise pour évaluer les conséquences de ces nouvelles dispositions. (Marque de dénégation au banc du Gouvernement) Ce texte consacre donc le rôle central de ces services sans que leur réforme statutaire, qui provoque un large mécontentement depuis l'an dernier, ait abouti. Les personnels craignent que leur mission, qui a évolué au fil des lois pénales, ne se réduise à une gestion comptable des flux, sans considération pour le facteur humain et le facteur temps qui donnent seuls du sens à leur action. Aménager une peine, ce n'est pas seulement passer un bracelet électronique au bras du détenu, mais c'est aussi soutenir des personnes de plus en plus précaires, sans diplômes, sans famille, présentant des troubles psychologiques, voire psychiatriques. Les actes délictueux doivent être punis mais, pour éviter la récidive, il ne faut pas rater la sortie. La mission difficile de ces personnels, à mi-chemin entre travail social et application du droit, exige des moyens. Or former une équipe de deux personnes, ce qui est nécessaire pour prévenir les violences, est souvent impossible et les agents doivent souvent utiliser leur véhicule personnel pour effectuer des visites à domicile. Dans ma région, ces services comptent un seul psychologue, malgré la nécessité d'une approche pluridisciplinaire, et chaque agent doit traiter une centaine de dossiers. Ces conditions de travail inquiètent les personnels. Leur avis permettant aux juges de prendre leur décision, l'accomplissement de leurs missions nécessite du temps, de l'investissement et de la sérénité.

Ce texte ne permettra pas de résoudre le problème de la surpopulation carcérale. Loin d'engager une véritable politique de l'insertion et de la réinsertion et de la prévention de la récidive, il met l'accent sur la répression en s'appuyant sur la chronique judiciaire, chaque victime étant utilisé dans les médias pour justifier ce choix populiste.

Cette politique ne choisit pas la prévention. La protection judiciaire de la jeunesse et les acteurs du travail social auprès de l'enfance, réunis au sein d'un collectif, se sont mis en mouvement pour défendre les missions de service public aujourd'hui en danger, comme l'assistance éducative en milieu ouvert, alors que la sanction et l'enfermement des jeunes les plus difficiles sont privilégiés. Il est plus facile sans doute de montrer qu'on protège les citoyens en produisant des chiffres de passages au tribunal ou d'incarcérations plutôt que d'évaluer le travail d'accompagnement et de prévention auprès de ces jeunes et de leurs familles.

Remplir d'un côté, vider de l'autre : le Gouvernement réinvente à la fois le mouvement perpétuel, le tonneau des Danaïdes, le serpent qui se mord la queue et le cercle vicieux.

M. le président.  - Amendement n°72, présenté par M. Anziani et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Rédiger comme suit cet article :

Le service public pénitentiaire participe à l'exécution des décisions pénales dans l'intérêt de la sécurité publique avec la mission essentielle d'insertion et de réinsertion des condamnés.

M. Charles Gautier.  - Cet amendement est la traduction concrète des propos de M. Mermaz. L'article premier modifie la définition des missions du service public pénitentiaire issues de la loi du 22 juin 1987 ; en se bornant à énumérer, en les mêlant, des missions, des fonctions et des principes généraux, il accroît la confusion qui était déjà celle de 1987 et ne contribue pas à éclairer le sens de la peine. Nous estimons notre amendement plus rigoureux.

M. le président.  - Amendement n°217, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC-SPG.

I. - Dans la première phrase de cet article, après les mots :

participe à

insérer les mots :

la préparation et

II. - Au début de la troisième phrase du même article, après les mots :

Il est organisé

insérer les mots :

, dans les établissements pénitentiaires et dans les services d'insertion et de probation,

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - La commission a ôté des missions du service public pénitentiaire la préparation des décisions pénales, qui au premier abord relève de l'autorité judiciaire. Mais les SPIP peuvent conduire des enquêtes avant même la comparution, dans le cadre d'un contrôle judiciaire ou d'un placement en détention provisoire, ou encore préalablement à l'exécution d'une peine d'emprisonnement inférieure à un an. Il s'agit bien là de préparation à des décisions, dont l'objectif est d'accroître les chances de réinsertion et de prévenir la récidive. Comment privilégier l'aménagement de la peine ab initio, ce qui semble l'objectif du texte, si celui-ci ne définit pas comme il convient les missions des SPIP ?

En outre, la disparition de la référence aux missions d'insertion et de probation est regrettable ; elles font certes partie de l'exécution des décisions pénales mais leur exercice ne se limite pas à l'enceinte des prisons. La Commission nationale consultative des droits de l'homme suggère d'ailleurs une clarification : il faut, dit-elle, que soient conciliées les missions relevant de l'exécution des décisions pénales et celles, essentielles, d'insertion et de réinsertion.

M. le président.  - Amendement n°3 rectifié, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin, Voynet, MM. Desessard, Muller et Anziani.

Dans la deuxième phrase de cet article, après les mots :

contribue

insérer les mots :

, par des programmes appropriés,

Amendement n°4 rectifié, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin, Voynet, MM. Desessard, Muller et Anziani.

Compléter cet article par une phrase ainsi rédigée :

Il développe des programmes appropriés pour les personnes qui lui sont confiées par l'autorité judiciaire.

Mme Alima Boumediene-Thiery.  - On retrouve l'exigence de programmes appropriés dans plusieurs règles pénitentiaires européennes : la règle 25.1, qui prévoit que l'administration pénitentiaire met en oeuvre des programmes d'activité équilibrés ; la règle 105.4, qui vise la participation des détenus à un programme éducatif ; et la règle 106.1, qui relève la nécessité de mettre en place des programmes éducatifs systématiques. Mes amendements ont précisément pour objet de systématiser le recours à des programmes qui devront être appropriés aux objectifs de la détention, privation de liberté, certes, mais aussi réinsertion. Il faut d'autre part harmoniser les pratiques entre établissements ; la disparité actuelle conduit à une inégalité des détenus devant les possibilités de réinsertion. Je souhaite affirmer une exigence d'uniformité et d'efficacité de la prise en charge des détenus sur tout le territoire.

M. le président.  - Amendement n°73, présenté par M. Anziani et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Rédiger comme suit la dernière phrase de cet article :

Les établissements pénitentiaires doivent être gérés dans un cadre éthique soulignant l'obligation de traiter tous les détenus avec humanité et respecter la dignité inhérente à tout être humain.

M. Charles Gautier.  - La règle pénitentiaire européenne n°72 souligne l'aspect éthique de l'administration pénitentiaire. En l'absence d'éthique forte, une situation dans laquelle un groupe exerce un pouvoir substantiel sur un autre peut aisément conduire à des abus. Les responsables des établissements doivent faire preuve de discernement et de détermination pour assumer leur rôle dans le respect des plus hautes normes éthiques ; le personnel pénitentiaire doit faire appel à ses qualités humaines afin d'agir avec impartialité, humanité et justice.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur.  - La rédaction de la commission me semble plus complète que l'amendement n°72 ; elle fait notamment référence aux intérêts de la société, aux droits des victimes et, sur la suggestion de M. Portelli, au respect des droits fondamentaux inhérents à la personne. Retrait, sinon rejet. Je n'ai pas bien compris d'ailleurs les propos de M. Mermaz, qui a parfaitement défendu les amendements de la commission (sourires) avant, si j'ose dire, de se rétracter... L'amendement n°217 entretient la confusion entre le rôle du juge et celui de l'administration pénitentiaire. Que Mme Borvo Cohen-Seat soit cependant rassurée : nous précisons à l'article 4 ter les missions des personnels d'insertion et de probation.

Faire référence à des programmes appropriés paraît d'autant moins indispensable que la notion pourrait brider l'imagination dont il faut souvent faire preuve pour individualiser les peines. Avis défavorable aux amendements nos3 rectifié et 4 rectifié. L'amendement n°73 semble contradictoire avec le 72, à moins qu'il ne s'agisse d'une proposition de repli ; les préoccupations qu'il exprime sont satisfaites de façon plus générique par l'intégration dans le texte de la commission de l'amendement de M. Portelli. Retrait, sinon rejet.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux.  - Avis défavorable à l'amendement n°72, dont la rédaction n'intègre par exemple ni la prévention de la récidive ni la protection des victimes.

L'amendement n°217 précise que les missions du service public pénitentiaire s'étendent à la préparation des décisions pénales. Avis défavorable : cela reviendrait à restreindre ce champ d'intervention au seul service public pénitentiaire alors que des services de l'administration centrale interviennent également dans ce domaine.

Avis défavorable à l'amendement n°3 rectifié : les modalités de prise en charge de l'insertion et de la réinsertion ne relèvent pas de la loi.

Avis également défavorable à l'amendement n°73 : la rédaction du projet de loi définit un champ plus large, plus protecteur du droit des personnes.

Avis défavorable à l'amendement n°4 rectifié : ces dispositions ne relèvent pas de la loi.

L'amendement n°72 n'est pas adopté, non plus que les amendements nos217 et 3 rectifié.

M. Patrice Gélard.  - Je ne voterai pas l'amendement n°73, mais je vous signale qu'il s'agit d'un texte inspiré de l'anglais, langue peu faite pour le droit. Comme souvent quand il s'agit de normes européennes, ces règles pénitentiaires européennes sont de mauvaises traductions de l'anglais.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Revenons au latin !

L'amendement n°73 n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°4 rectifié.

L'article premier est adopté.

Article 2

Le service public pénitentiaire est assuré par l'administration pénitentiaire sous l'autorité du garde des sceaux, ministre de la justice, avec le concours des autres services de l'État, des collectivités territoriales, des associations et autres personnes publiques ou privées.

Les fonctions de direction, de surveillance et de greffe des établissements pénitentiaires sont assurées par l'administration pénitentiaire. Les autres fonctions peuvent être confiées à des personnes de droit public ou privé bénéficiant d'une habilitation dans des conditions définies par décret en Conseil d'État.

M. le président.  - Amendement n°218, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC-SPG.

Rédiger comme suit la première phrase du second alinéa de cet article :

Les fonctions de direction, de surveillance, de greffe des établissements pénitentiaires et des services d'insertion et de probation, ainsi que les fonctions de préparation, d'aménagement, de contrôle et de suivi des peines sont assurées par l'administration pénitentiaire.

Mme Josiane Mathon-Poinat.  - Le second alinéa de l'article 2, relatif à l'organisation du service public pénitentiaire, laisse supposer que des missions aussi importantes que la préparation, l'aménagement, le contrôle et le suivi des peines pourraient être confiées à des personnes privées. Ces missions doivent rester de la compétence exclusive de l'administration pénitentiaire et la loi doit garantir ce principe. L'exécution des décisions pénales comporte des mesures contraignantes et restrictives de liberté, nous l'avons vu dans le cadre des missions pré-sentencielles des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP), même si certaines sanctions s'exécutent en milieu ouvert. En outre, cela porterait atteinte au principe d'égalité de traitement dans l'exécution des décisions pénales, aujourd'hui garantie par le service public pénitentiaire.

Cette ambiguïté rédactionnelle semble trahir la tentation de pallier l'insuffisance des moyens dont souffrent les SPIP pour justifier, à terme, le recours à des personnes de droit privé. Il faut pourtant tirer les leçons de l'expérience. Ainsi, dans son rapport du 12 octobre 2005 intitulé « Juger vite, juger mieux ? », François Zocchetto a évoqué le fait que certains parquets confiaient la conduite des enquêtes à des associations. Ce transfert soulève selon lui certaines questions en créant une dépense non négligeable et en nuisant à l'appréhension correcte du passé pénal d'un délinquant. En outre, la viabilité des associations du secteur pénal est parfois aléatoire.

Le 6 novembre 2008, la Commission nationale consultative des droits de l'homme s'est prononcée en faveur de l'énonciation dans la loi du principe selon lequel les fonctions d'insertion et de réinsertion doivent être assurées par des agents de droit public. Nous souhaitons donc garantir que ces missions ne pourront être déléguées à des personnes privées.

M. le président.  - Amendement n°74 rectifié, présenté par M. Anziani et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Dans la première phrase du second alinéa de cet article, après le mot :

pénitentiaires

insérer les mots :

et des services pénitentiaires d'insertion et de probation, ainsi que les fonctions de préparation, d'aménagement, de contrôle et de suivi des peines

M. Charles Gautier.  - Seuls des fonctionnaires et agents de droit public sont responsables de la prise en charge des personnes détenues, nonobstant la nécessaire mobilisation « des autres services de l'État, des collectivités territoriales, des associations ou des personnes publiques ou privées ». Les fonctions régaliennes exercées par l'administration pénitentiaire ne sauraient en aucun cas être déléguées, comme l'indique la première phrase du second alinéa de l'article 2. Toutefois, il ne faudrait pas que la délégation de tout ou partie des fonctions d'insertion et probation à des personnes de droit privé nuise à la mobilisation des acteurs publics pour l'exécution des peines et la réinsertion des condamnés.

Le projet de loi prévoyant que la prison doit être la sanction de dernier recours, il faut crédibiliser les autres peines. Les décisions exécutées en milieu ouvert sont des sanctions pénales à part entière. Leur exécution relève des missions régaliennes de l'État et ne peut être déléguée. L'exercice de ces fonctions par des agents de droit privé ne pourrait se concevoir que sous le contrôle et la responsabilité d'agents de droit public.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur.  - Avis défavorable aux deux amendements : on ne peut réserver aux seuls SPIP le contrôle et le suivi de l'exécution des peines en milieu ouvert, aujourd'hui confiées à des associations qui font preuve de compétence et de fiabilité. Cette proposition contredit d'ailleurs l'amendement n°71, qui s'intéressait à la coopération avec les services sociaux externes et à la participation de la société civile à la vie pénitentiaire.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux.  - Je partage l'avis du rapporteur.

Je vous rappelle que l'action du secteur associatif est déjà très importante dans le domaine de la protection judiciaire de la jeunesse et de l'aide aux victimes. Les associations de réinsertion accomplissent également un excellent travail.

L'amendement n°218 n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°74 rectifié.

M. le président.  - Amendement n°75 rectifié, présenté par M. Anziani et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Après la première phrase du second alinéa de cet article, insérer une phrase ainsi rédigée :

Les fonctions d'insertion et de réinsertion sont assurées sous la responsabilité des personnes de droit public.

M. Charles Gautier.  - Amendement de repli.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur.  - Cet amendement précise la rédaction de l'article. Les fonctions d'insertion et de probation peuvent être assurées par des associations personnes de droit privé. Sagesse.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux.  - Avis défavorable. Cette rédaction pourrait prêter à confusion en disposant que les fonctions d'insertion et de réinsertion ne sont assurées que sous la responsabilité des personnes de droit public.

M. Charles Gautier.  - Je comprends la critique de Mme la ministre, mais nous ne proposons pas que ces fonctions ne soient assurées « que sous » la responsabilité des personnes publiques. Notre rédaction est plus simple et tout à fait claire : ces fonctions font l'objet d'une délégation.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux.  - Les services de l'Éducation nationale, par exemple, ne sont pas sous la responsabilité de l'administration pénitentiaire. Autre exemple, si le juge de l'application des peines choisit de confier une personne condamnée à une association, l'administration pénitentiaire pourrait en toute rigueur, si l'on adoptait votre amendement, refuser d'engager sa responsabilité.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur.  - Le problème effectivement se pose, non pour l'Éducation nationale, puisqu'il s'agit bien d'une personne de droit public, mais pour le mouvement associatif, dont la responsabilité peut être engagée sans engager pour autant celle de la personne publique. Avis de sagesse, donc, plutôt négatif. (Murmures sur les bancs socialistes)

L'amendement n°75 rectifié n'est pas adopté.

L'article 2 est adopté.

Prochaine séance, aujourd'hui, mercredi 4 mars 2009, à 15 heures.

La séance est levée à minuit et demi.

Le Directeur du service du compte rendu analytique :

René-André Fabre

ORDRE DU JOUR

du mercredi 4 mars 2009

Séance publique

A QUINZE HEURES ET LE SOIR

Suite du projet de loi pénitentiaire (n°495, 2007-2008).

Rapport de M. Jean-René Lecerf, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (n°143, 2008-2009).

Rapport supplémentaire de M. Jean-René Lecerf, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (n°201, 2008-2009).

Texte de la commission (n°202, 2008-2009).

Avis de M. Nicolas About, fait au nom de la commission des affaires sociales (n°222, 2008-2009).

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DÉPÔTS

La Présidence a reçu de :

- M. le Premier ministre un projet de loi ratifiant l'ordonnance n°2007-1434 du 5 octobre 2007 portant extension des première, deuxième et cinquième parties du code général des collectivités territoriales aux communes de Polynésie française, à leurs groupements et à leurs établissements publics ;

- MM. Auguste Cazalet, Albéric de Montgolfier et Paul Blanc un rapport d'information fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation et de la commission des affaires sociales sur l'Agence française de l'adoption ;

- M. Pierre Fauchon un rapport d'information fait au nom de la commission des affaires européennes sur les coopérations spécialisées : une voie de progrès de la construction européenne ;

- M. Jean-Claude Etienne, Premier vice-président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, un rapport sur l'évaluation de la stratégie nationale de recherche en matière d'énergie, établi par MM. Claude Birraux et Christian Bataille, députés, au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.