Journée du 19 mars (Suite)

M. le président.  - Nous reprenons la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir et du recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc.

Discussion des articles (Suite)

Article premier (Suite)

M. Gérard Longuet .  - Je voterai contre cet article tout en mesurant, monsieur le rapporteur, que le débat sur la fin de la présence militaire française en Algérie, cinquante ans après, mérite du tact, de l'attention, de la compréhension et une réflexion approfondie. Cette proposition de loi y contribue.

Tout le monde connaît ma position. J'ai été sifflé à Perpignan devant le cercle algérianiste qui rassemble nos compatriotes d'origine pied noir pour avoir évoqué la réconciliation entre la France du général de Gaulle et l'Allemagne d'Adenauer. Il faut croire que j'étais en avance sur mon temps. J'apprécie, monsieur le ministre, que vous ayez rappelé le refus d'une repentance généralisée -seule la droite vous a applaudi.

Je comprends qu'hommage doit être rendu aux appelés du contingent, qui ont vécu le 19 mars comme la fin de l'inquiétude qu'ils nourrissaient pour leur avenir, tant la République avait du mal à régler le conflit. Rassembler dans un même texte Algérie, Tunisie et Maroc ne me semble, soit dit en passant, guère pertinent. Mais nous vous demandons de ne pas faire de cette date un événement pour le pays tout entier.

Ancien ministre de la défense, je sais que le 19 mars fut, pour les militaires, un déchirement entre respect de la discipline et respect de la parole donnée, au point que certains y ont sacrifié leur carrière. Si Pierre Messmer, ce formidable combattant de la liberté, eut un regret, ce fut celui d'avoir donné l'ordre d'abandonner ceux qui avaient accompagné l'armée française. En vérité, personne ne croyait alors que ce départ serait irréversible...

Notre pays est riche de sa diversité, de ses anciens combattants d'Afrique du nord, de ses pieds noirs qui ont réussi en métropole, riche du regard de nos compatriotes sur la formidable oeuvre accomplie par les uns et par les autres sur la terre d'Afrique, à commercer par la libération du 15 août 1944. Les Français d'origine algérienne aujourd'hui présents sur notre sol, aux côtés des pieds noirs, des anciens combattants sont nos frères, mais ils ont une autre histoire.

M. Jean-Louis Carrère.  - Cela suffit ! Vous dépassez votre temps de parole !

M. Gérard Longuet.  - je ne veux pas que le fossé se creuse entre eux. Au nom de la cohésion du pays, il faut refuser la date du 19 mars.

M. Jean-Louis Carrère.  - Vous n'êtes plus ministre de la défense ! Respectez le temps de parole !

M. le président.  - Sur des sujets aussi sensibles, nous ne pouvons procéder en expert-comptable...

M. Jacques Legendre .  - Ce débat, nous l'évoquons tous avec passion et douleur. Le 19 mars, grâce à l'armistice, je ne suis pas parti ; la paix a évité à toute une génération de connaître les douleurs de l'engagement en Algérie. Je comprends que celle qui est partie veuille rappeler cette épreuve. Elle est représentée par de nombreuses associations. Certaines d'entre elles rendent hommage aux anciens combattants le 19 mars, d'autres non. Ce choix leur appartient. Mais ce que vous demandez aujourd'hui, c'est autre chose : la commémoration par la nation.

La France ne peut commémorer une défaite, qui fut diplomatique et non militaire. Nous n'aurions pu nous maintenir que par la force des armes.

M. Jean-Louis Carrère.  - Quel rapport ?

M. Jacques Legendre.  - Le général de Gaulle nous a engagés sur le chemin courageux de l'indépendance de l'Algérie, un chemin que nous avons suivi avec déchirement. Ce déchirement, faut-il le célébrer ? Fête-t-on le 23 juin 1940, lorsque les Français étaient sur les routes et nos armées dispersées ?

M. Guy Fischer.  - 1940, c'était autre chose !

M. Jacques Legendre.  - Laissons à cette génération le soin de fixer la date. Que la France ne retienne pas celle qui est choisie de l'autre côté de la Méditerranée comme celle de la victoire ! Mieux aurait valu faire l'économie de ce débat. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Alain Néri, rapporteur .  - Merci à M. Longuet d'avoir évoqué, pour la première fois depuis ce matin, les appelés et le contingent -30 000 morts, personne n'en a parlé ! (Protestations à droite)

Mme Marie-Thérèse Bruguière.  - Et M. Garrec ?

M. Alain Néri, rapporteur.  - J'ai trouvé cruel, injuste, indigne qu'on n'évoque pas ces morts, ces blessés, ceux qui sont revenus traumatisés à vie, la douleur des mères qui voyaient partir leur gosse après avoir vu partir leur mari. Une première fois, la troisième génération du feu a répondu à l'appel de la nation tous les deux mois pour une guerre dont elle ne partageait pas les raisons ; elle y a répondu une deuxième fois pour sauver la République du putsch des généraux.

Monsieur Garrec, le 11 novembre, nous l'avons voté. En revanche, je refusais qu'il devienne un memorial day. Chaque conflit doit avoir sa date pour rappeler le sacrifice des générations précédentes. Le memorial day ne correspond pas à notre culture. Nous voulons le 11 novembre, le 8 mai, le 19 mars.

M. René Garrec.  - Nous n'avons pas demandé un memorial day !

Mme Catherine Procaccia.  - Tant que vous y êtes, un jour férié ! (Protestations sur les bancs socialistes)

M. Alain Néri, rapporteur.  - Le 5 décembre n'a rien réglé. Que dire à nos petits-enfants quand ils nous interrogent sur le 5 décembre ? Ce n'est pas la fin de la guerre, comme le 11 novembre, ou la fin de la barbarie nazie, comme le 8 mai ; c'est un trou dans le calendrier du président de la République. Le 19 mars doit être un phare, diront les Bretons, ou un beffroi, pour les gens du Nord, autour duquel rassembler tous ceux qui ont cru et croient en la République. Ce sera la date du souvenir, du sanctuaire, du rassemblement et de la commémoration. (Applaudissements à gauche)

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par M. Carle et les membres du groupe UMP.

Supprimer cet article.

M. René Garrec.  - Je n'ai aucune leçon de patriotisme ni d'histoire à recevoir. J'ai été appelé ; lors d'une opération en Algérie, tous mes camarades ont trouvé la mort ; j'en ai été le seul survivant. Mon frère et mes trois oncles ont été tués pendant la guerre de 1940.

Ce texte divisait il y a dix ans, il divise encore aujourd'hui. Il méritait, comme l'avait souhaité François Mitterrand, un consensus. Les blessures ne sont pas cicatrisées.

Le ministre s'était engagé à s'en remettre à la sagesse du Parlement ; quinze jours après, le texte est inscrit à l'ordre du jour réservé.

Par souci d'apaisement, nous retirons l'amendement n°2 rectifié.

L'amendement n°2 rectifié est retiré.

M. Michel Berson .  - Nous voterons cet article premier car il faut partager une mémoire pour construire un avenir. Après François Mitterrand, que j'ai si souvent entendu citer ici, évoquons de Gaulle...

M. Roger Karoutchi.  - Restons calmes !

M. Michel Berson.  - Devant M. Lacouture, le grand homme s'agaçait d'être réduit à l'homme du 18 juin. Eh quoi ! disait-il. Et le 25 août 1944 ? Le 8 janvier 1959 ? Et le 19 mars 1962 qui mit un point final à la guerre ?

Personne ne conteste que des morts ont eu lieu après le 19 mars, que les blessures restent vives et les mémoires plurielles. A quoi se sont ajoutées les souffrances du déracinement et de l'exil des rapatriés et des harkis.

A nous, législateurs, de tourner cette page douloureuse de notre histoire, de retisser les liens de la fraternité entre tous ceux qui ont eu à souffrir des conditions de la décolonisation. Rien ne serait pire que d'opposer l'espoir d'une paix durable au sentiment d'abandon de ceux qui redoutaient les conséquences d'un désengagement de la France. Rien ne serait pire que d'opposer une mémoire à une autre, monde combattant et civils, soldats et appelés, Français d'Algérie et harkis ! Il nous appartient de retisser les fils de cette histoire éclatée autour du 19 mars en rendant hommage aux victimes militaires et civiles d'Algérie, de la Tunisie et du Maroc.

Nous voterons le message de paix et d'espoir de l'article premier. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Jean-Jacques Mirassou .  - A ce stade du débat, constatons notre désaccord.

M. Henri de Raincourt.  - Jusque-là, ça va !

M. Jean-Jacques Mirassou.  - Personne ne conteste le caractère historique de la date du 19 mars. La troisième génération du feu a incontestablement besoin d'une date mémorielle ; à défaut se trouverait dévaluée la valeur de son engagement, souvent aux meilleures années de la vie.

Ensuite, avec lucidité et sincérité, nous voulons apaiser esprits et consciences par la reconnaissance du 19 mars. De votre côté, cette cicatrice, vous ne semblez pas vouloir la refermer. Je ne m'explique pas pourquoi. Il y a peut-être là quelques arrière-pensées... (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. David Assouline .  - Quelques mots. Une date doit marquer la vie d'une nation. Et pour être forte, elle doit se raccrocher à un événement historique. Le 19 mars, c'est l'armistice ; le 5 décembre, c'est quoi ?

Cette dernière date ne résout d'ailleurs pas le problème des morts d'après. Ces victimes ne sont pas écartées par une date mais par le discours politique. En l'occurrence, il y a consensus. Je me suis battu pour qu'on reconnaisse ce que la France a fait en Algérie ; je me bats avec la même force pour faire reconnaître la singularité de la souffrance de toutes les victimes d'après le cessez-le-feu. Pour eux, il faut une date, sauf à les déposséder de cette singularité. Le combat doit continuer pour faire la vérité sur leur histoire, car tout n'a pas été dit, loin de là !

M. Guy Fischer .  - Toutes les agglomérations françaises, à la fin de la guerre, ont dû faire face, avec les zones d'urbanisation prioritaire voulues par le général de Gaulle, au défi de l'urbanisation, de la réindustrialisation et de l'accueil conjoint des harkis et des pieds noirs.

M. Henri de Raincourt.  - Dans les villages, aussi. Quarante familles chez moi !

M. Guy Fischer.  - Nous avons été nombreux à militer pour le cessez-le-feu. Qu'il est difficile de parler sereinement de notre histoire coloniale et de sa fin ! A vous entendre, on croirait que la guerre d'Algérie n'est pas terminée ... J'avais porté le combat contre l'article 4 de la loi de février 2005 qui louait « l'oeuvre civilisatrice » de la France. Mettons un terme à ce débat en donnant une date à la troisième génération du feu : le 19 mars.

M. Jacky Le Menn .  - J'ai raconté mon histoire devant la commission des affaires sociales. Le 9 octobre 1958, j'ai rejoint l'armée française ; très vite, j'ai compris que ce n'était pas du maintien de l'ordre mais une guerre, avec ses horreurs de part et d'autre.

Alors, le 9 octobre 1961, après 1 095 jours de ma jeunesse, après avoir vu tant de camarades tombés et d'Algériens tués, je ne désirais qu'une chose : que ça s'arrête. Lorsque l'armistice a été annoncé le 19 mars, j'ai ressenti non de l'humiliation mais un grand soulagement et une grande joie. (Applaudissements à gauche)

A la demande du groupe socialiste, l'article premier est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 337
Majorité absolue des suffrages exprimés 169
Pour l'adoption 181
Contre 156

Le Sénat a adopté.

Article 2

M. Jean-François Humbert .  - La question de la mémoire est délicate pour un parlementaire, on l'a encore vu aujourd'hui, parce que l'histoire est abordée à l'aune de telle ou telle histoire individuelle, sous le regard de telle ou telle organisation.

Nous constatons tous que les cérémonies devant nos monuments aux morts sont peu fréquentées, notamment par les jeunes générations. Pourtant, le devoir de mémoire, la transmission de notre patrimoine historique et de nos valeurs font partie de notre socle républicain. La force des commémorations républicaines tient à leur capacité de rassemblement des générations.

Et nous nous déchirons autour d'une date. Le rôle d'un parlementaire n'est pas de réécrire l'histoire, je le dis en tant que membre de la commission de la culture. Mon souci est d'abord d'apprendre aux jeunes l'histoire, ses affres, sa réalité et ses malheurs, la chance qu'ils ont de vivre en paix. Je le dis d'autant plus facilement qu'en 1962, j'étais en CM2...

Pour la mémoire, faut-il voter cette proposition de loi clivante exhumée après avoir été votée il y a dix ans et huit mois par une assemblée nationale entièrement renouvelée deux fois depuis lors ? Faut-il vraiment faire rejaillir des toutes ces douleurs ? N'aurait-il pas fallu recevoir toutes les associations représentatives de l'ensemble du monde combattant ?

M. Philippe Bas.  - Bien sûr !

M. Jean-François Humbert.  - Peut-on ignorer la loi de 2003, qui est source d'apaisement et de sérénité ? Notre rôle d'élus est de rassembler autour de symboles républicains et d'événements fédérateurs à l'heure où la jeunesse est en manque de repères et où le communautarisme et l'extrémisme progressent.

Le président François Mitterrand craignait, avec raison, que le 19 mars ne jette la « confusion dans la mémoire de notre peuple ». (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Roger Karoutchi.  - On applaudit Mitterrand maintenant !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam .  - Le 11 novembre 1918 et le 8 mai 1945 marquent la fin effective de deux terribles conflits. Le 19 mars est la date de l'arrêt unilatéral des combats -et aussi celle de l'intensification des exactions du FLN contre les populations civiles et les militaires français. Choisir le 19 mars, c'est considérer que le conflit était alors achevé ; c'est une injure faite à la mémoire de tous ceux pour qui les accords d'Évian ont signifié le début des massacres. Entre 1962 et 1964, plus de 500 soldats français sont morts ; 80 % des victimes civiles, harkis et pieds noirs, ont péri après le 19 mars.

Le travail des historiens doit se poursuivre. Cette date du 19 mars ne vaut que pour l'Algérie, pas pour la Tunisie, ni pour le Maroc, ni pour l'Indochine. Le massacre d'Oran eut lieu après le 19 mars.

Gérard Longuet, lorsqu'il était ministre de la défense...

M. Jean-Louis Carrère.  - Il ne lui reste plus de temps de parole.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam.  - ...expliquait que la date du 5 décembre ne clivait pas.

Cette proposition de loi tente une nouvelle fois de nous enfermer dans une polémique et une repentance excessive au lieu de faire prévaloir une mémoire apaisée. La troisième génération du feu a servi la nation, au même titre que celles de 1914-1918 et 1939-1945. Pourquoi ne pas les réunir en une même date ? Instaurer une nouvelle date commémorative, indépendante ou chômée, reviendrait à lui accorder une moindre valeur. (Protestations à gauche)

M. Guy Fischer.  - C'est tordre le bâton !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam.  - Je rappelle le refus de la date du 19 mars par une commission regroupant les principales associations, présidée par l'historien Jean Favier. (Applaudissements à droite)

Mme Marie-Thérèse Bruguière .  - Le monde des anciens combattants est bouleversé par l'inscription de cette proposition de loi à l'ordre du jour avec quelques jours d'avance.

Monsieur Néri, les appelés, le contingent, nous ne les oublions pas !

Mon mari a fait trente-six mois trente-six jours. Parti en 1958, il est rentré en 1961. Un habitant de mon village y a laissé la vie. Son nom figure sur le monument aux morts, pas derrière, mais bien devant.

En exhumant cette proposition de loi, dix ans après, vous niez tout ce qui a été accompli depuis en matière de commémoration.

M. Jean-Louis Carrère.  - Ce n'est pas original !

Mme Marie-Thérèse Bruguière.  - ...mais vrai :

Cette proposition de loi relance un débat sur une date qui est loin de faire l'unanimité. Elle est synonyme de douleurs et de drames. Ne semons pas le trouble dans les consciences. Une majorité de Français en ont assez de ces lois mémorielles et de cette repentance permanente. Unissez les Français au lieu de les diviser !

M. Jean-Louis Carrère.  - Il fallait le dire à Chirac !

Mme Marie-Thérèse Bruguière.  - Après cette date, la guerre a continué avec ses atrocités, faisant tant de victimes chez les harkis comme chez nos compatriotes d'Algérie. Le 19 mars ne fut pas synonyme de paix en Algérie.

L'article 2 précise que cette journée ne sera ni fériée ni chômée. Avec qui se fera-t-elle ? (Protestations sur les bancs socialistes) Nous avons encore du monde le 11 novembre parce que c'est un jour férié.

M. Jean-Louis Carrère.  - Elle dépasse son temps de parole !

M. le président.  - Parce qu'elle est interrompue ! Poursuivez, madame.

Mme Marie-Thérèse Bruguière.  - Une telle loi mémorielle serait légale mais inopportune. Seule une mémoire partagée oeuvrerait en faveur de la cohésion sociale ! (Applaudissements à droite)

M. Jean-Louis Carrère.  - Ha ! Ha !

Mlle Sophie Joissains.  - Les conclusions des entretiens d'Évian portent le nom de déclaration, sans valeur juridique reconnue au plan international. Le cessez-le-feu fut mis en oeuvre par le gouvernement français qui l'imposa à ses troupes. Les combattants du FLN ont continué de massacrer ceux que la France avait désarmés. 3 000 pieds noirs ont été enlevés et n'ont jamais été retrouvés. C'est dire le déchaînement de violence qui a suivi cette date. 386 militaires français ont été recensés par le ministère de la défense comme ayant trouvé la mort après le 19 mars 1962. Quelle paix ! Ce fut un déchaînement de violence où le cynisme l'a disputé à l'horreur.

Mlle Sophie Joissains.  - Aucun président de la République, François Mitterrand compris...

M. Jean-Louis Carrère.  - Ça ne vous écorche pas la bouche de prononcer son nom ?

Mlle Sophie Joissains.  - Pas sur ce sujet ! ...n'a voulu commémorer cette date.

Le 7 mars 2012, nous avons voté à l'unanimité la proposition de loi présentée par Raymond Couderc. Doit-on réveiller à présent des conflits malsains pour la cohésion nationale ?

M. Jean-Louis Carrère.  - Ha ! Ha !

Mlle Sophie Joissains.  - Nous devons rassembler nos concitoyens. La date du 19 mars n'est pas une date d'armistice mais la date de départ d'une guerre civile meurtrière...

M. Jean-Louis Carrère.  - C'est fini !

Mlle Sophie Joissains.  - Ne m'interrompez pas !

M. Jean-Louis Carrère.  - Rappelez-vous comment vous avez interrompu Fabius cinquante fois lorsqu'il lisait la déclaration de politique générale.

Mlle Sophie Joissains.  - Oui parce qu'il a été l'acteur d'un scandale sanitaire.

M. Alain Néri, rapporteur.  - C'est honteux et hors sujet !

M. David Assouline.  - Il y a eu une décision de justice.

M. Jean-Jacques Mirassou.  - Rappel au Règlement ! Ou bien vous retirez ce que vous venez dire à l'encontre de M. l'ancien Premier ministre, ou bien nous quittons la séance.

M. David Assouline.  - C'est honteux, en effet.

M. Jean-Jacques Mirassou.  - Je demande au groupe UMP si vos propos engagent votre groupe.

Mlle Sophie Joissains.  - Ils n'engagent que moi ! Le groupe UMP n'y est pour rien ! Je dis ce que je pense.

M. le président.  - L'incident est clos.

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales.  - Voire !

Mme Christiane Kammermann .  - Je regrette le climat de ce débat.

M. Jean-Louis Carrère.  - C'est original !

Mme Christiane Kammermann.  - Merci ! Un sujet aussi sensible suscite des réactions épidermiques.

La date du 19 mars reste chez beaucoup de militaires et de rapatriés un traumatisme.

Notre devoir est de rassembler nos concitoyens dans la sérénité. Je rends hommage à toutes les associations d'anciens combattants qui transmettent quotidiennement notre patrimoine mémoriel aux jeunes qui ont plus que jamais besoins de repères.

Pourquoi ajouter des troubles et des clivages ? J'ai vécu à Beyrouth la guerre du Liban. Soyons vigilants face à l'évocation du passé. A quoi aboutirons-nous ? Que se passera-t-il devant les monuments aux morts ?

Monsieur le ministre, vous avez déclaré ne pas vouloir faire de distinction entre les générations du feu. Fort bien, mais pourquoi céder aux exigences de reconnaissance de votre homologue algérien ? Quel manque de responsabilité, au plus haut niveau de l'État !

Mme Christiane Kammermann.  - Le vent des printemps arabes souffle encore au Maghreb. En Algérie, la succession du président Bouteflika est ouverte.

Vous avez déclaré, monsieur le ministre, qu'il ne fallait pas raviver les tensions. Que faisons-nous ici alors ?

M. Jean-Louis Carrère.  - On vote !

Mme Christiane Kammermann.  - Il s'agit de trouver de nouvelles synergies entre nos deux pays plutôt que d'entretenir les rancoeurs par la repentance. (Applaudissements à droite)

M. Gaëtan Gorce .  - J'ai été frappé par l'appel au consensus, à droite, que contredisent vos propos, votre perte de sang-froid dans le cas de Mme Joissains. Vous parlez de la guerre d'Algérie comme si vous regrettiez l'époque où la France pensait construire son avenir sur la colonisation et l'oppression d'un peuple. Le 11 novembre marque la fin d'une guerre qui a saigné les peuples d'Europe ; le 19 mars ne fut ni une victoire ni une défaite, mais une décision courageuse, approuvée par la représentation nationale qui a mis fin à un conflit choquant et sans issue. Nous avons libéré des peuples de l'emprise coloniale

Je vois peu à peu s'éloigner de nous la mémoire du gaullisme de la Résistance pour voir croître une mémoire de la revanche, qui distingue entre les nations, pour distiller l'idéologie de la haine et de l'affrontement. Je vous mets en garde ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. François-Noël Buffet .  - J'ai du mal à accepter ce qu'a dit M. Mirassou, qui a laissé entendre que la lucidité et l'intelligence étaient l'apanage de son côté de l'hémicycle.

M. Jean-Jacques Mirassou.  - C'est une extrapolation !

M. François-Noël Buffet.  - Quant à ce que vient de déclarer M. Gorce, c'est hors sujet. Je suis maire d'une commune où il y a un square du 19 mars. Je vais à toutes les manifestations. Le 11 novembre est toujours un succès dans ma commune. Tous les anciens combattants viennent. Il y a moins de monde le 19 mars. Les anciens combattants, volontaires ou pas, portent un regard différent sur la façon dont se sont déroulés ces événements. J'ai toujours veillé à ce que la commémoration ait lieu dans l'unité.

M. Jean-Louis Carrère.  - Très bien !

M. François-Noël Buffet.  - Choisir une date, c'est engager la nation, alors qu'une partie de ceux qui ont participé à ces événements sont divisés. Notre responsabilité est d'assurer l'unité nécessaire. En forçant le passage...

M. Jean-Louis Carrère.  - C'est la démocratie !

M. François-Noël Buffet.  - Vous semez la discorde, je le regrette.

L'amendement n°3 rectifié est retiré.

M. Christian Cointat .  - Ce débat me laisse un goût amer. Pour moi, le devoir de mémoire est celui de la nation tout entière, dans la sérénité et le calme. « Le véritable tombeau des morts est dans le coeur des vivants » : l'hommage à ceux qui sont morts ne peut être rendu que si l'on a le coeur serein. Ce ne sera pas le cas avec ce texte...

M. Jean-Louis Carrère.  - C'est la démocratie !

M. Christian Cointat.  - Non ! La démocratie, c'est une voix de plus ; l'hommage aux morts ne peut être rendu par une partie de la France ; c'est toute la nation qui doit le faire!

Tous les arguments de droite et de gauche comportent des éléments pertinents. Mais le problème, c'est l'unité, qui fait ici défaut. Quand bien même la date du 19mars serait légitime, elle crée des conflits. Ce n'est pas convenable. Pour cette seule raison, je voterai contre cet article.

M. Jean-Louis Carrère.  - Parlementaire depuis de nombreuses années, je préside une commission ; je n'ai pas d'attachement plus fort que celui qui me lie à la démocratie, au suffrage universel, au vote. Ce débat que vous avez qualifié de pertinent sera sanctionné par un vote ; il est représentatif de la démocratie.

M. Philippe Bas .  - Qui conteste votre conception de la démocratie ? Nous la partageons tous ! Mais vous n'avez eu de cesse de proclamer que le 19 mars était une date consensuelle qui rassemblerait les Français alors que c'est faux. Il ne suffit pas d'avoir de bonnes intentions pour que la réalité s'y plie. Vous n'effacerez pas cette division autour de la date du 19 mars en votant cette loi.

M. Jean-Louis Carrère.  - C'est rhétorique !

M. Philippe Bas.  - Le 19 mars est une date de division et non de rassemblement. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs UMP)

A la demande des groupes socialiste et CRC, l'article 2 est mis aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 337
Majorité absolue des suffrages exprimés 169
Pour l'adoption 181
Contre 156

Le Sénat a adopté.

Mise au point au sujet d'un vote

Mme Hélène Lipietz.  - Mme Leila Aïchi s'est abstenue sur l'article premier et M. Jean-Vincent Placé a voté pour.

Interventions sur l'ensemble

M. Robert Tropeano .  - Grâce à la ténacité de plusieurs familles politiques, dont celle des radicaux de gauche, l'Assemblée nationale a adopté cette proposition de loi en 2002. Aujourd'hui, au Sénat, nous sommes face à nos responsabilités : localement, nous avons déjà choisi la date du 19 mars, dans de nombreuses communes, pour commémorer le cessez-le-feu.

Oui, des atrocités ont suivi cette date. Personne ne souhaite oublier les blessures indélébiles infligées aux rapatriés et aux harkis. L'Algérie était, pour les premiers, la terre natale ; pour les seconds, la terre ancestrale. La France leur doit un respect éternel. Désormais, il faut avancer vers la réconciliation nationale. C'est l'objectif tacite de cette proposition de loi. Tous les anciens combattants marqués dans leur chair et dans leur coeur attendent cette réconciliation que nous devons aussi aux jeunes générations et à l'Histoire, ainsi qu'à l'Algérie contemporaine. C'est le voeu de la réconciliation qu'a exprimé François Hollande à Dakar, comme l'avait fait François Mitterrand, en 1981, à Alger.

En 1999, nous avons rendu son nom à la guerre. Rendons à toutes les victimes une mémoire dépouillée de tous les traumatismes. C'est grâce aux appelés du contingent et au général de Gaulle que le putsch d'Alger n'a pas abouti. J'étais de ces appelés, qui ont sauvé les institutions républicaines.

Le groupe du RDSE votera majoritairement cette proposition de loi. (Applaudissements à gauche)

Mme Hélène Lipietz .  - Ce texte a pour seul objet de rendre un hommage, il ne se substitue pas à celui du 5 décembre, qui seul a droit aujourd'hui au drapeau, au préfet ou à la préfète ; en un mot au décorum. Désormais, il y aura aussi le 19 mars. Cette proposition de loi n'encombrera pas notre calendrier historique, déjà plein de guerres gagnées ou perdues. Suffit-il de 365 jours pour 1 300 d'histoire ? Nous n'aurons jamais assez de jours pour rappeler avec le poète Prévert « Quelle connerie la guerre ! ».

Je voterai cette proposition de loi avec onze sénateurs écologistes. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. François-Noël Buffet .  - Les positions n'ont guère évolué pendant ce débat. Le groupe UMP votera contre ce texte, à l'exception de quelques collègues. Il demeure fondamental de rassembler nos concitoyens autour du souvenir de toutes les générations du feu de 1918 à nos jours.

M. Jean-Jacques Mirassou .  - Nous avons eu un débat passionné, passionnel, de bonne tenue, à quelques exceptions près. Le 19 mars est une date incontournable pour la troisième génération du feu. Il y a ceux qui s'apprêtent à voter ce texte, avec sincérité ; il y a aussi une forme de nostalgie ambiguë chez certains. Nous, nous faisons le pari de l'avenir. Dès que cette date sera inscrite dans le patrimoine mémoriel de notre pays, la pédagogie jouera son rôle auprès des jeunes générations. (Applaudissements)

M. Guy Fischer .  - N'opposons pas le 5 décembre, le 11 novembre et le 19 mars ! La première date est une imposture, due au hasard de l'agenda d'un président de la République. Toutes les victimes civiles et militaires méritent une date ayant un lien avec ce qu'elles ont vécu. Laissons le 11 novembre aux héros et victimes de la Grande guerre ! Le précédent gouvernement nous fit voter à la hâte un projet de loi prémédité pour faire obstacle au 19 mars et en venir à une date unique de commémoration de toutes les guerres et à une version aseptisée de l'histoire.

Cette proposition de loi ne prétend en aucun cas instaurer une hiérarchie entre les victimes. Cette guerre aura fait 25 000 morts et 65 000 blessés dans les rangs de l'armée française, plusieurs dizaines de milliers de morts chez les harkis, 150 000 dans les rangs du FLN et des milliers de victimes civiles. Je souhaite évoquer les victimes de l'OAS, et en particulier le commissaire d'Alger, Roger Gavoury, assassiné le 31 mai 1961, dont le fils, présent dans nos tribunes, se bat pour que soit reconnu le tribut payé à l'OAS par les forces de l'ordre et pour que les revanchards et nostalgiques de l'Algérie française ne récrivent pas l'histoire et n'érigent pas des mausolées aux bourreaux.

La mémoire a besoin d'un point d'ancrage. Des deux côtés, des exactions furent commises après le 19 mars 1962. De même, après le 11 novembre 1918 et le 8 mai 1945, il y eut des victimes à déplorer.

Oui, le 19 mars est, qu'on le veuille ou non, la date que l'Histoire légitime. Elle est celle de la troisième génération du feu. Nous voterons ce texte, identique à ceux que nous avons si souvent déposés. (Applaudissements à gauche)

Mme Joëlle Garriaud-Maylam .  - Notre devoir de parlementaires est de maintenir la cohésion nationale, non de créer artificiellement des tensions et des polémiques.

Trop de soupçons pèsent sur cette procédure législative. Nous saisirons le juge constitutionnel. En privant l'Assemblée nationale du débat, vous privez ce texte de légitimité, ce texte dont vous dites qu'il est pourtant capital. « Le brouillage démocratique affaiblit la cohérence politique de nos institutions », avait dit un ministre lors d'un précédent débat. Ne faisons pas de la mémoire l'alpha et l'oméga de notre relation bilatérale à l'Algérie, entachée de sang jusqu'au massacre des moines de Tibéhirine en 1996. Elle doit se tourner vers l'avenir et le nécessaire partenariat stratégique. Monsieur le ministre délégué, votre déclaration sur le refus de la repentance m'a frappée ; je la salue. Elle a été applaudie de ce côté-ci de l'hémicycle. Lutterons-nous mieux contre Al-Qaïda au Maghreb islamique et la sécurité au Sahel avec ce texte ? Ne faut-il pas plutôt répondre aux demandes des associations des anciens combattants ?

M. Alain Néri, rapporteur.  - Qu'avez-vous fait ?

Mme Joëlle Garriaud-Maylam.  - Réfléchissez en votre âme et conscience avant de voter, pour la sérénité de notre pays et la mémoire de toutes ces victimes ! (Applaudissements sur les bancs UMP)

Mme Leila Aïchi .  - Peut-on légiférer sur la mémoire ? Ce débat pose question. Le pouvoir ne doit jamais dicter l'histoire, fût-ce pour des raisons louables. Cela pourrait nous mener à un certain relativisme historique.

Certes, il faut comprendre le passé pour créer une mémoire collective et le vivre ensemble. La période de 1830 à 1962 est encore pomme de discorde entre la France et l'Algérie ; n'en rajoutons pas à l'heure actuelle où nous devons construire un partenariat stratégique avec les pays méditerranés et lutter avec eux pour la sécurité dans le Sahel.

Ne confondons pas mémoire individuelle, subjective par nature et faite d'émotions, avec l'histoire, une discipline qui vise à l'objectivité scientifique et relève de la rationalité. En tant que personne, j'ai le plus grand respect pour la mémoire de chacun ; en tant qu'élue de la nation, je suis opposée à toute instrumentalisation de l'histoire.

Sans douter de la sincérité de notre rapporteur, il est douteux de placer sous la même date du 19 mars les combats d'Algérie, de Maroc et de Tunisie. Et pourquoi pas ceux d'Indochine ? Ce qui me gêne le plus, c'est l'indifférenciation entre les victimes civiles et militaires. Il est illégitime de mettre sur un pied d'égalité acteurs civils et militaires, qui constitueraient une masse indiscriminée. Peut-on décemment comparer d'une part les morts de l'OAS et d'autre part les pertes civiles, les combattants du FLN, les jeunes hommes du contingent tombés pour une cause détestable ?

Sereinement, sans tomber dans la vulgarité de certains à droite, et après mûre réflexion, je m'abstiendrai. Je ne rendrai pas, moi, hommage au général Bigeard. « En politique, il faut guérir les maux, jamais les venger ». Ce que la jeunesse attend, c'est une France audacieuse, qui assume son passé et, surtout, qui regarde vers l'avenir ! (Applaudissements sur quelques bancs UMP)

A la demande des groupes socialiste et CRC, la proposition de loi est mise aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 336
Majorité absolue des suffrages exprimés 169
Pour l'adoption 181
Contre 155

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements à gauche)

M. Alain Néri, rapporteur.  - Voilà, au bout d'un long cheminement, le 19 mars fixé comme date pour se souvenir de toutes les victimes de la guerre d'Algérie. Il aura fallu cinquante ans pour que la nation, la République, la France reconnaissent la troisième génération du feu. Elle qui naquit durant la guerre, souffrit des privations, connut un père à 5 ans -dans le meilleur des cas. A ceux qui ont eu 20 ans dans les Aurès, aux harkis honteusement abandonnés, à ceux qui ont dû quitter la terre qui les a vus naître, à ceux qui sont morts pour la République, à tous, nous devons rendre hommage.

M. Kader Arif, ministre délégué.  - Sans interférer dans ce débat passionné, je prends acte de ce vote et vous remercie pour la qualité des échanges, malgré la délicatesse de ce sujet mémoriel. Merci à M. Valls pour sa présence et sa patience !