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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Reconnaissance de l'État de Palestine

M. Gilbert Roger, auteur de la proposition de résolution

Mme Éliane Assassi

M. Aymeri de Montesquiou

M. Christian Cambon

M. Didier Guillaume

Mme Esther Benbassa

M. Hervé Marseille

M. Roger Karoutchi

Mme Bariza Khiari

Mme Joëlle Garriaud-Maylam

M. Jean Germain

M. Yvon Collin

M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des affaires européennes

Protection de l'enfant

Discussion générale

Mme Michelle Meunier, auteure de la proposition de loi et rapporteure de la commission des affaires sociales

M. François Pillet, rapporteur pour avis de la commission des lois

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie

Mme Hermeline Malherbe

Attentat à Kaboul

Questions d'actualité

Suicides en Guyane

M. Jean Desessard

Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer

Loi Macron (I)

M. Pierre Laurent

M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique

Loi Macron (II)

M. Didier Guillaume

M. Manuel Valls, Premier ministre

Parc naturel des forêts

Mme Anne-Catherine Loisier

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche

Projet de loi de santé publique

Mme Catherine Deroche

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie

Inondations (I)

M. Pierre-Yves Collombat

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur

Montée de l'antisémitisme

M. Yannick Vaugrenard

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur

Loi Macron (III)

M. Didier Mandelli

M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique

Inondations (II)

M. Alain Marc

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur

Nouveau lanceur spatial

M. Antoine Karam

Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche

Échec en CMP

Accord en CMP

Engagement de la procédure accélérée

Risques technologiques

Mme Marie-France Beaufils, auteure de la proposition de résolution

Mme Annick Billon

Mme Élisabeth Lamure

Mme Nelly Tocqueville

M. Joël Labbé

Mme Évelyne Didier

M. Pierre-Yves Collombat

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget

Décision de l'Assemblée nationale sur un engagement de la procédure accélérée

Décisions du Conseil constitutionnel

Loi de finances rectificative pour 2014

Rappel au Règlement

M. Vincent Delahaye

Discussion générale

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur de la commission des finances

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances

M. Vincent Delahaye

M. André Gattolin

Mme Marie-France Beaufils

M. Yvon Collin

M. Francis Delattre

M. Jean Germain

M. Vincent Capo-Canellas

M. Richard Yung

M. Jacques Chiron

M. Christian Eckert, secrétaire d'État

Ordre du jour du vendredi 12 décembre 2014

Analyse des scrutins publics




SÉANCE

du jeudi 11 décembre 2014

40e séance de la session ordinaire 2014-2015

présidence de Mme Françoise Cartron, vice-présidente

Secrétaires : M. Christian Cambon, M. Serge Larcher.

La séance est ouverte à 9 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Reconnaissance de l'État de Palestine

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution sur la reconnaissance de l'État de Palestine, présentée en application de l'article 34-1 de la Constitution.

M. Gilbert Roger, auteur de la proposition de résolution .  - C'est avec émotion que je monte aujourd'hui à la tribune. Notre débat est attendu, car la voix de la France, pays fondateur de l'Union européenne, membre du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations unies, amie du peuple israélien et du peuple palestinien, est entendue. Elle compte, sur la scène internationale. La France est forte quand elle défend un intérêt général supérieur à elle-même.

Depuis la Révolution française, jusqu'au général de Gaulle et à François Mitterrand, la France, chaque fois qu'elle porte les aspirations de ceux qui peinent à peser sur le cours des choses, a toujours conservé une influence supérieure à son poids réel : c'est sa spécificité, c'est sa grandeur.

Le rêve issu des accords d'Oslo - qui ont valu à Yitzhak Rabin et à Yasser Arafat le prix Nobel de la paix, anéanti, ne verra jamais le jour si personne n'incite les parties au conflit à s'entendre. De longues négociations ont encore échoué au printemps et l'été a été marqué par le conflit à Gaza qui a fait 2 160 morts dont 83 % de civils du côté palestinien. L'échec de la diplomatie laisse la place au compromis militaire et aux conférences de reconstruction, une fois encore, une fois de trop.

La France défend la reconnaissance de l'État palestinien depuis les déclarations de François Mitterrand au Parlement israélien en 1982. Depuis, tous les présidents de la République ont suivi cette voie. Le président François Hollande prend aujourd'hui des initiatives fortes pour que soit réunie une conférence internationale. La cheffe de la diplomatie européenne a dit, elle aussi, qu'elle serait heureuse si, au terme de son mandat, l'État de Palestine existait.

La France doit reprendre l'initiative. Jusqu'ici, on a toujours considéré que la reconnaissance de l'État palestinien dépendait de négociations bilatérales et d'un accord sur les frontières et sur le statut de Jérusalem. Mais aujourd'hui, cet argument perd de sa force après l'échec de la médiation américaine, aucun préparatif de pourparlers ne se dessine. Que la France prenne donc ses responsabilités, comme le ministre des affaires étrangères l'y appelait récemment.

La colonisation à marche forcée des territoires occupés ampute le futur État de Palestine : 400 hectares ont été annexés depuis la rentrée, 1 000 nouveaux logements doivent être construits, des maisons palestiniennes ont été confisquées.

Il faut donc inverser la procédure actuelle, qui exclut l'ONU et reconnaître dès à présent l'État palestinien. Ne pas le faire, c'est accepter que le climat actuel de violence et d'insécurité perdure. C'est ainsi que nous inciterons Israéliens et Palestiniens à négocier. Et cette reconnaissance serait conforme au droit international. Le législateur doit se tenir du côté du droit. Au nom du droit à l'autodétermination le peuple palestinien est fondé à se doter d'un État conforme aux normes de la communauté internationale qui ont présidé à la création de l'État d'Israël.

Selon l'ambassadeur d'Israël en France, toute reconnaissance unilatérale serait perçue comme une stratégie d'évitement des négociations par les Palestiniens. Mais depuis la mort d'Yitzhak Rabin, aucun processus de paix sérieux n'a été engagé. La colonisation menace la viabilité même du futur État palestinien. Enfin, invoquer le droit à l'autodétermination n'est pas s'opposer aux négociations. La Palestine ne peut continuer à être une exception aux normes internationales mais les dirigeants palestiniens ne pourront se soustraire aux choix difficiles qu'ils auront à faire pour définir les relations entre les deux États, s'agissant de Jérusalem, des colonies et des frontières.

Pour certains, la reconnaissance ne serait que symbolique. Je crois, au contraire, qu'elle a du sens, que c'est la seule option pour promouvoir la paix. C'est un acte politique fort.

Initiative prématurée ? Voilà quarante-sept ans que les territoires palestiniens sont occupés, trente-deux ans que François Mitterrand est monté à la tribune de la Knesset, vingt ans que le processus d'Oslo est au point mort, quinze ans que le Conseil de l'Union européenne a déclaré : « Le moment est venu ! ». Oui, il est temps d'agir, avant qu'il ne soit trop tard.

Unilatéralisme ? Non : la reconnaissance de la Palestine est un soutien aux démocrates des deux camps. Ce ne serait pas aux parlementaires de se prononcer ? La représentation nationale est souveraine.

La France, pays de tolérance, refuse toute instrumentalisation de ce conflit sur son territoire. Elle doit rappeler que ce conflit n'est pas une guerre de religion, mais un conflit territorial.

Mmes Michelle Demessine et Éliane Assassi.  - Parfaitement !

M. Gilbert Roger, auteur de la proposition de résolution.  - Que toute forme de racisme, d'antisémitisme et de terrorisme est intolérable. (Applaudissements sur la plupart des bancs de la gauche à la droite)

Par ce vote, la Haute Assemblée adresserait un message aux démocrates palestiniens et israéliens, pour adresser un soutien au camp de la paix et pour sauver la solution des deux États.

M. le ministre des affaires étrangères et du développement international a proposé un changement de méthode, que nous soutenons, avec la convocation d'une conférence internationale. La reconnaissance est un élément de cette nouvelle dynamique. Il appartiendra au Gouvernement de décider du moment opportun pour reconnaître l'État palestinien. À mes yeux, le moment est venu.

J'ai souhaité consulter les députés, pour que le Parlement français parle d'une voix cohérente, et m'entendre avec les groupes CRC et EELV, pour déposer un texte commun. Merci aussi au président Jean-Pierre Raffarin d'avoir présidé mercredi dernier aux auditions et aux échanges de grande qualité en commission, ouverts à tous les sénateurs et à la presse, et au président Gérard Larcher que j'ai tenu, dès le début, informé de mon initiative. Le ministère des affaires étrangères et du développement international a été longuement consulté, pour que cette proposition de résolution vienne en appui de la politique étrangère du Gouvernement.

Le texte qui vous est soumis est plus consensuel qu'initialement : j'ai souhaité un compromis entre tous les groupes politiques. (Murmures à droite) J'ai donc accepté des amendements du président Raffarin, en accord avec nos collègues des groupes CRC, écologiste et socialiste.

Le Sénat doit marquer sa volonté de sortir de l'impasse sur la question palestinienne en approuvant cette proposition de résolution, au-delà des clivages partisans. Je vous invite à le faire largement pour que le message envoyé au Gouvernement et au reste du monde soit clairement entendu. (Applaudissements sur les bancs CRC, socialistes et écologistes)

Mme Éliane Assassi .  - Après l'Assemblée nationale, le Sénat est appelé à un vote historique. La reconnaissance de l'État palestinien a pour seul objectif de contribuer à l'instauration d'une paix juste et durable. Je suis heureuse que les groupes CRC, socialiste et écologiste aient pu s'entendre. (M. Jean-Louis Carrère applaudit) et je remercie le président Raffarin qui a permis que ce débat se déroule dans un climat serein et responsable.

La reconnaissance de l'État palestinien est une exigence de longue date : nous avions déposé la même proposition de résolution en juin 2011, mais il aurait été regrettable d'agir en ordre dispersé. Un mouvement se dessine : le gouvernement suédois, la Chambre des communes britannique se sont prononcés en ce sens. Beaucoup appellent à changer de méthode pour trouver enfin une solution à ce conflit vieux de soixante ans. Faire dépendre la paix de la bonne volonté des deux parties ne saurait suffire. La guerre menée contre la population à Gaza cet été, la poursuite de la colonisation sont aujourd'hui les principaux aliments du conflit. Un ministre palestinien vient encore d'être tué au cours d'une manifestation pacifique. Le morcellement des territoires palestiniens par les colonies israéliennes, que les dirigeants du pays multiplient, rend le futur État palestinien non viable et voue les négociations à l'échec. Israël ne cherche pas à maintenir le statu quo mais à le modifier par la force. La crise politique actuelle traduit une fuite en avant suicidaire du gouvernement israélien dans un durcissement identitaire, avec l'affirmation de la nature religieuse de l'État, et dans une spirale sécuritaire.

Il n'est plus possible de laisser Israéliens et Palestiniens dans ce face-à-face déséquilibré et sans issue. La solution existe : c'est la coexistence de deux États dans les frontières de 1967, avec Jérusalem comme capitale partagée. Il faut faire respecter les résolutions de l'ONU, dont la première date de 1947. Sans volonté politique de la communauté internationale, il n'y aura pas de paix.

À mes yeux, le principal moyen de pression diplomatique est la reconnaissance de principe de l'État palestinien. Il existe un peuple, un territoire et un gouvernement - même s'il est en partie contesté : les conditions de la reconnaissance d'un État sont donc réunies. Cette reconnaissance rendrait illégale l'occupation du territoire d'un État souverain.

Gênerait-on ainsi les initiatives diplomatiques du Gouvernement ? Non, elles sont complémentaires de la nôtre même si l'on peut craindre, d'après les récentes déclarations de M. Fabius, que cette reconnaissance ne soit encore repoussée. (Mme la présidente invite l'oratrice à conclure, tandis qu'on appelle à droite au respect du temps de parole) Le moment est historique ! (Marques d'encouragement sur les bancs CRC, d'impatience à droite) Notre vote irait dans le sens de la résolution que M. Abbas va déposer à l'Assemblée générale des Nations unies, appelant Israël à se retirer des territoires occupés depuis 1967.

La voix des membres permanents du Conseil de sécurité est déterminante.

La reconnaissance de l'État palestinien ne serait pas une faveur, mais un droit.

Pendant des décennies, les peuples palestiniens et israéliens ont été meurtris par l'Histoire. Nous sommes nombreux à rêver que les enfants israéliens et palestiniens grandissent un jour côte à côte, en paix. Donnons enfin une chance à la paix. (Vifs applaudissements sur les bancs CRC, socialistes et écologistes)

Mme la présidente.  - J'appelle chacun à respecter son temps de parole.

Mme Éliane Assassi.  - Le moment est historique, tout de même. (Marques d'approbation sur les bancs CRC)

M. Roger Karoutchi.  - Nous dépasserons autant que vous ! (On approuve à droite)

M. Aymeri de Montesquiou .  - Quel que soit notre vote, nous aspirons tous à ce que cesse un conflit source de destructions, de deuils et de haine. La peur et le sentiment d'injustice suscitent des réactions violentes. Les Israéliens éprouvent un sentiment obsessionnel mais compréhensible d'insécurité. Les Palestiniens ont été meurtris par le désastre, la Nakba, qu'a constitué la reconnaissance internationale d'Israël, d'autant qu'Israël ne respecte pas les résolutions de l'ONU.

Il ne faut pas céder à l'émotion mais chercher à apaiser par des solutions pragmatiques et justes. Quelle est la situation des Palestiniens de Cisjordanie ? La colonisation, le mur, les entraves à la circulation, l'abattage des oliviers, la confiscation de l'eau et la destruction des maisons rendent leur quotidien insupportable.

M. Roger Karoutchi.  - C'est équilibré !

M. Aymeri de Montesquiou.  - À Gaza, après 1 400 morts en 2009, le conflit de cet été a provoqué 2 200 morts, essentiellement civils, dont beaucoup d'enfants. Personne ne peut souhaiter que la situation perdure.

Aujourd'hui, le chef du Hamas et le Premier ministre israélien défendent des positions qui rendent la paix inaccessible. Les États-Unis opposeront leur veto à toute proposition de résolution du Conseil de sécurité qui irait contre les intérêts d'Israël. Alors, que faire ?

Les initiatives du ministre des affaires étrangères vont dans le bon sens. Israël a été reconnu par l'OLP et en août dernier, le Hamas, en reconnaissant la création de l'État palestinien dans les frontières de 1967 a implicitement reconnu Israël.

M. Roger Karoutchi.  - Implicitement !

M. Aymeri de Montesquiou.  - Cette reconnaissance doit être formalisée. La paix est le seul moyen de mettre un terme à la propagation insupportable de l'antisémitisme.

Comme certains collègues de l'UDI-UC, je voterai pour cette proposition de résolution tout en regrettant que, pour des raisons sémantiques dérisoires, le Sénat n'ait pas su s'entendre sur un texte commun. (Applaudissements sur les bancs CRC, socialistes et écologistes)

Mme Esther Benbassa.  - Bravo !

M. Aymeri de Montesquiou.  - Cette proposition de résolution n'est pas hostile à Israël, mais au statu quo. Après quarante-sept ans, avons-nous le droit de dire aux Palestiniens que ce n'est pas le moment ? Pour la paix, tous les moments sont propices. (Vifs applaudissements sur les bancs CRC, socialistes et écologistes)

Mme Esther Benbassa.  - Bravo ! Très bien !

M. Christian Cambon .  - Une résolution incitant le Gouvernement français à reconnaître l'État palestinien suffira-t-elle à mettre fin à ce vieux conflit ? Nous ne le croyons pas.

M. Daniel Reiner.  - Nous si !

M. Christian Cambon.  - Tentant de déchiffrer « l'Orient compliqué », selon la formule du général de Gaulle, la nouvelle majorité sénatoriale et la commission des affaires étrangères ont préféré l'écoute. Or nos auditions n'ont pas démontré l'intérêt de cette proposition de résolution pour la paix. (Exclamations socialistes)

M. Roger Karoutchi.  - Eh oui !

M. Christian Cambon.  - Tout d'abord, la diplomatie est du ressort du Gouvernement à qui il appartiendra de reconnaître, le moment venu, l'État palestinien.

On nous a opposé la vertu du symbole. Que cette proposition de résolution apporte un symbole apaisant à la communauté musulmane de France heurtée par vos réformes de société. (M. Roger Karoutchi le confirme, tandis que l'on proteste vigoureusement à gauche)

Comme l'a dit M. Fabius, ce vote n'apporte aux Palestiniens qu'une reconnaissance d'un État de papier : les Palestiniens méritent mieux que cela.

La solution des deux États, nous la partageons tous. Comme beaucoup d'amis d'Israël, nous n'approuvons pas les confiscations de terres qui attisent le conflit. Mais comme amis des Palestiniens nous considérons que la paix ne sera possible que si cesse le terrorisme et si la sécurité d'Israël est garantie.

Il faut reconnaître pour négocier. Immobilisme ? Les parties et la communauté internationale ont failli aboutir à plusieurs reprises. Le contexte a beaucoup évolué depuis soixante ans. Nous ne nous satisfaisons évidemment pas de ces résultats partiels, mais seules les négociations peuvent aboutir à une reconnaissance mutuelle.

Pour vous, la reconnaissance unilatérale de l'État palestinien serait un instrument de la paix. Quel cynisme ! C'est vouloir exercer une pression unilatérale sur Israël. D'ailleurs, votre proposition ne lève aucun des obstacles qui ont empêché jusqu'ici la reconnaissance.

M. Jean-Louis Carrère.  - Ce n'est pas son objet !

M. Christian Cambon.  - Le Hamas appelle toujours à détruire Israël, c'est inacceptable.

Si le Gouvernement appliquait votre résolution à la lettre, la France perdrait tout crédit. C'est en conservant une position équilibrée que nous continuerons à exercer une influence sur Israël.

Votre proposition de résolution ne répond qu'à des fins de politique intérieure. Elle déséquilibrerait la diplomatie française telle que pratiquée depuis le général de Gaulle et l'affaiblirait.

Nous avons essayé de trouver un compromis. (M. Daniel Reiner le conteste) Quel serait le sens d'une initiative diplomatique qui ne surmonte pas les clivages politiques ?

Le ministre des affaires étrangères lui-même a appelé de ses voeux un texte rassembleur.

M. Didier Guillaume.  - C'est celui-ci. (M. Roger Karoutchi le conteste)

M. Christian Cambon.  - Le prétendu mouvement européen en faveur de la reconnaissance de l'État palestinien est illusoire. En Espagne, la résolution votée a fait l'objet d'un consensus politique, et elle ne fait de la reconnaissance qu'une conséquence et non l'instrument de la négociation. Le sens du compromis du PSOE fait défaut visiblement au parti socialiste. (Exclamations à gauche)

M. Didier Guillaume.  - De telles polémiques, sur un tel sujet !

Mme la présidente.  - Concluez, monsieur Cambon.

M. Christian Cambon.  - Un compromis était possible. (Exclamations à gauche, où l'on souligne que l'orateur a largement épuisé son temps de parole) Nous ne voterons pas cette proposition de résolution, qui n'apporte aucune solution utile pour une paix durable. (Applaudissements à droite, sur la plupart des bancs au centre ; huées sur les bancs CRC)

M. Didier Guillaume .  - Je veux m'adresser aux Français qui nous regardent. L'enjeu de ce débat n'est pas politicien. Comment penser contribuer à résoudre le conflit israélo-palestinien, si l'on cède ainsi à la polémique ? (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Nous venons d'assister à un nouveau drame. Je souhaite que la lumière soit faite sur les circonstances de la mort de Ziad Abou Ein, ministre palestinien. Nous sommes tous pour la paix. Les extrémistes de tout poil sont nos ennemis. Nous ne pouvons tolérer que, sous prétexte de religion, ces fanatiques tuent des hommes et des femmes. Ces fanatiques ne vivent que de la terreur.

Notre vote, aujourd'hui, peut leur montrer que la France est déterminée à choisir la paix. C'est la position équilibrée de la France qui l'a toujours fait écouter. Conservons ce juste équilibre.

Il appartient aux parlementaires de s'exprimer, de s'engager. Nous appelons de nos voeux la reconnaissance des deux peuples, vivant côte à côte en paix. La France est l'amie des Israéliens comme des Palestiniens. Nous combattons tous les amalgames. Nous ne pouvons ignorer les débordements qui se multiplient en France même : le pays de la Révolution française, de la Résistance, de Jaurès, de de Gaulle, ne peut accepter la progression du racisme et de l'antisémitisme. Ce qui s'est passé à Créteil est insupportable. (Applaudissements à gauche) Je soutiens le Premier ministre, lorsqu'il dit que sans les Juifs de France, la France ne serait pas elle-même.

Cette résolution poursuit le mouvement international en faveur d'un État palestinien : les 135 pays qui se sont déjà prononcés en faveur de la reconnaissance de l'État palestinien souhaitent que soient prises des initiatives de grande ampleur. Martin Schulz, président du Parlement européen, a déposé une résolution qui sera prochainement débattue.

En votant cette proposition de résolution, le Sénat dira son désir de paix, dans la tradition de la France. Je regrette que la commission des affaires étrangères ne s'exprime pas ce matin. Je salue le travail de Gilbert Roger en son sein. Ce n'est pas cette résolution qui mettra un terme au conflit immédiatement, mais il faut agir, maintenant, pour que ne se perpétuent plus ces actes inacceptables. Je ne veux plus voir ces enfants qui meurent, ces familles qui pleurent ! (Vifs applaudissements à gauche)

Après soixante ans d'impuissance, ce texte soutiendra l'action du Gouvernement pour la paix, après l'échec du processus d'Oslo. Conférer le statut d'État souverain aux Palestiniens, c'est faire vivre les paroles de François Mitterrand devant la Knesset, paroles que tous ses successeurs ont reprises à leur compte. Cet équilibre constitue la ligne constante de notre politique extérieure, pour un État souverain, en paix et en sécurité, aux côtés d'Israël.

Cette résolution prend acte de l'impasse actuelle. C'est un changement de méthode. C'est en Républicains responsables, convaincus d'une juste cause, soucieux de notre démocratie, que nous souhaitons une expression juste, digne et forte, en solidarité avec les peuples palestinien et israélien. C'est un symbole de paix.

Il y a un an disparaissait Nelson Mandela. Nous disons avec lui à nos amis israéliens que « pour faire la paix avec un ennemi, on doit travailler avec cet ennemi, et cet ennemi devient votre associé ». Et nous disons avec lui à nos amis palestiniens qu'« être libre, ce n'est pas seulement se débarrasser de ses chaînes, c'est vivre d'une façon qui respecte et renforce la liberté des autres ». Le droit à la sécurité d'Israël est aussi inaliénable que le droit souverain des Palestiniens à disposer d'un État. Il appartient à la France, parce qu'elle est l'amie de ces deux peuples, de poser, avec d'autres, les jalons de cette paix durable. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Pierre Raffarin.  - Le Règlement veut que les commissions ne soient pas saisies des propositions de résolution, qui sont l'affaire des groupes politiques. Notre commission a tenté un accord politique. Celui-ci n'étant pas possible, la commission a fait un choix, celui de ne pas parler pour exprimer un désaccord. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Jean-Louis Carrère.  - C'est dommage ! Nous préférons la commission aux partis.

Mme Esther Benbassa .  - Les fondateurs du sionisme eurent pour objectif de normaliser et sécuriser le peuple juif. Mais la question juive posait une question arabe. Martin Buber rapporte l'anecdote suivante : lorsque Max Nordau, qui soutenait le projet sioniste, apprit que vivait en Palestine une population arabe, il courut chez Theodor Herzl pour lui dire que si c'était vrai, ils commettaient une injustice !

Herzl et ses successeurs, imprégnés par l'idéologie coloniale du XIXe siècle, s'imaginèrent qu'en apportant les « bienfaits de la civilisation », ils réussiraient à convaincre les Arabes d'accepter une implantation juive massive. Dans son récit Altneuland, paru en 1902, Herzl imagine la Palestine vingt ans après la création d'un état juif, et il fait dire à l'un de ses héros arabes que « L'immigration juive fut une bénédiction ». Pourtant, dès 1891, le publiciste juif russe Ahad Ha'Am avait lancé une claire mise en garde : « il ne faut pas nous cacher que nous allons vers une guerre difficile ». La revendication d'un « droit historique » sur la terre biblique occulta longtemps, aux yeux de ses promoteurs, la réalité d'une présence arabe qui pouvait, elle, se prévaloir d'un « droit national » tout aussi légitime, sur cette même terre.

On ne reviendra pas en arrière. L'État d'Israël est né en 1948, et nul ne conteste son droit à l'existence et à la sécurité.

M. Roger Karoutchi.  - Certains, si !

Mme Esther Benbassa.  - Ce qui, pour beaucoup de Juifs, après l'épreuve tragique de l'extermination, a marqué le temps d'une renaissance, a ouvert, pour les Palestiniens, le temps du déracinement, puis de l'occupation à partir de 1967.

Martin Buber rêvait d'un État binational. « Nos destinés nous forcent à vivre ensemble, sur le même sol, sur la même terre », disait plus modestement Yitzhak Rabin. La coexistence de deux États est la seule issue à des décennies de déni mutuel.

N'abandonnons pas le terrain aux extrémistes des deux bords. Messianisme et irrédentisme mènent au désastre. Remettons-nous en à la raison.

En 1976, Yeshayahou Leibowitz, penseur israélien religieux écrivait : « Il se peut que l'histoire des relations israélo-arabes de ces dernières décennies soit un "chaos irréparable". D'évidence, dans la situation créée à la suite de la conquête par les Juifs de tout le territoire de la Palestine au cours de la guerre des Six Jours, il est impossible que les Juifs et les Arabes ne viennent à s'entendre pour la partition du pays entre les deux peuples et qu'ils le fassent de leur plein gré. C'est pourquoi il faut souhaiter une solution imposée aux deux parties par les superpuissances ».

Je n'y crois pas. J'ai longtemps vécu en Israël. J'ai consacré une grande part de mes travaux à l'histoire du sionisme. Je fus témoin des souffrances quotidiennes du peuple palestinien. Les écologistes voteront unanimement cette proposition de résolution dont ils sont tous signataires. (« Très bien ! » sur les bancs socialistes) Nous aurions tout à perdre à laisser se propager les amalgames inacceptables, terreau de l'antisémitisme dont le hideux visage nous fut montré, il y a quelques jours, à Créteil. N'hésitons pas à appeler le Gouvernement de la France à reconnaître enfin l'État de Palestine. (Vifs applaudissements sur tous les bancs à gauche)

M. Hervé Marseille .  - Texte de circonstance, déséquilibré. Il a des relents d'électoralisme.

M. Jean-Louis Carrère.  - Dont vous n'êtes pas capables !

M. Hervé Marseille.  - Oh ! Je compte sur vous ! Le groupe socialiste est arrivé en tête de la course de vitesse entre groupes de gauche.

M. Didier Guillaume.  - Franchement !

M. Jean-Louis Carrère.  - La vulgarité n'est pas d'un parti...

M. Hervé Marseille.  - C'est ainsi, ne vous en déplaise !

Mme la présidente.  - Poursuivez, je vous prie.

M. Hervé Marseille.  - On peut encore s'exprimer tout de même ! Texte électoraliste, oui, qui cherche à vous faire retrouver les bonnes grâces d'électeurs que vous avez perdus. (Protestations sur les bancs socialistes ; on approuve sur les bancs UMP)

Ce type de gesticulation ne fera pas avancer d'un iota la résolution du problème, dont on sait très bien qu'elle est le fruit d'un accord global qui est loin d'être en vue.

Il eût fallu faire droit aux recommandations du président de la commission des affaires étrangères, pour aboutir un texte qui est pour le moment unilatéral, qui ignore le Hamas, l'accord de réconciliation entre celui-ci et le Fatah, la question de Jérusalem.

M. Didier Guillaume.  - Elle y est.

M. Hervé Marseille.  - Votre texte est incantatoire. Il n'appartient pas au Parlement d'intervenir ainsi dans la politique internationale de la France. Que le Gouvernement, que le président de la République, s'ils en ont le courage, reconnaissent l'État palestinien. Qu'ils le fassent, nous les soutiendrons.

Quand il s'agit du génocide arménien on nous dit de ne pas voter. Roger-Gérard Schwartzenberg à l'Assemblée nationale a parlé d'injonction courtoise.

M. Didier Guillaume.  - C'est une incitation.

M. Hervé Marseille.  - Non, une injonction.

Des femmes qui pleurent, des enfants qui meurent, il y en a partout, dans le monde, tous les matins. (On s'indigne sur les bancs socialistes) Cela ne vous plaît pas, mais je le rappelle tout de même. Le Parlement montre sa division, cela aide-t-il le président de la République, le gouvernement d'un pays qui compte la plus grande communauté juive et la plus grande communauté musulmane d'Europe. Je ne voterai pas ce texte...

Mme Éliane Assassi.  - Dommage.

M. Hervé Marseille.  - ... qui ne fait pas avancer la paix. (Applaudissements sur la plupart des bancs au centre et à droite)

M. Roger Karoutchi .  - Je vais changer mon propos, après avoir écouté le président Guillaume. Cela ne changera pas mon vote.

Mme Bariza Khiari.  - Dommage !

M. Roger Karoutchi.  - Qu'est-ce que ce débat vient faire au Parlement ?

Mme Éliane Assassi.  - Il en a le droit.

M. Roger Karoutchi.  - Je n'ai interrompu personne !

M. Roger Karoutchi.  - En 2008, lors du débat constitutionnel, je me souviens des arguments provenant du groupe socialiste : pas de résolution dans les domaines régaliens, comme la défense et les affaires étrangères. Vérité en 2008 ne l'est plus en 2014...

M. Gaëtan Gorce.  - C'était Sarkozy !

M. Roger Karoutchi.  - C'est au Gouvernement, en matière de diplomatie et d'affaires étrangères, d'avoir, seul, la main. Car il détient beaucoup d'éléments dont le Parlement n'a pas connaissance, et heureusement, sinon à quoi servent les ambassadeurs, la diplomatie ? L'interférence n'a pas de sens. C'est une première raison de voter non.

Monsieur Guillaume, votre propos était plus admissible que cette proposition de résolution, car vous avez rappelé que le Hamas est une organisation terroriste, qui envoie des missiles sur Israël, une organisation avec laquelle il est difficile de négocier. Il y a un problème : on dit qu'il faut reconnaître l'État palestinien et je suis pour les deux États, mais deux États avec chacun un territoire, un vrai pouvoir.

La mort de qui que ce soit est un drame, des deux côtés. Mais pour faire la paix, il faut être deux.

Mme Éliane Assassi.  - Justement !

M. Roger Karoutchi.  - Le Hamas dit qu'il ne participera pas aux conférences internationales, qu'il effacera Israël de la carte. On peut soutenir qu'il n'appliquera pas sa charte, mais qu'il commence par l'abroger, ce serait un pas en avant.

Cette proposition de résolution est beaucoup trop unilatérale pour que nous puissions la voter. Elle dit la responsabilité d'Israël, que je ne conteste pas, mais pas celle d'un mouvement terroriste, qui existe bel et bien. Alors, prenons des initiatives, oui, mais pas ainsi, car ce n'est pas acceptable. Oui, monsieur Guillaume, les sénateurs réfléchissent, mais nous réfléchissons ici en démocrates, issus des Lumières. Acceptent-ils qu'un peuple soit sous la menace d'une organisation terroriste ? Non.

Nous avons une responsabilité collective. Elle peut s'appuyer sur la compassion inutile. Mais elle s'exerce en premier lieu à l'égard des citoyens français. Personne ne peut ignorer les drames, les tensions, le climat qui prévaut dans notre pays. Le gaulliste que je suis souhaite l'unité nationale. Il faut des signes. N'allons pas émettre un signe qui serait perçu comme négatif par une communauté qui se sent menacée. En tout cas, il risque fort d'être interprété ainsi, fût-ce à tort. Nous sommes depuis des mois dans une situation critique dénoncée à juste raison par MM. Valls et Cazeneuve. Faut-il en rajouter ? Les parlementaires que nous sommes sont là d'abord pour tisser du lien social. Nous devons d'abord dire que tous les Français doivent se sentir bien ici. (Applaudissements sur la plupart des bancs au centre et à droite)

Mme Bariza Khiari .  - Cette résolution est une tentative pour contribuer à la paix juste et durable. Notre vote positif exprimerait la volonté du Sénat, qui n'a pour lui que la puissance des mots, de voir cesser ce conflit. Il s'agit bien de la voix de la France, où vit la première communauté juive d'Europe, où la marque des conflits passés est profonde, la France qui sait, comme le disait Aimé Césaire, que « La colonisation déshumanise l'homme, même le plus civilisé ». Je pense au ministre palestinien mort hier.

L'Europe a sombré moralement en laissant prospérer en son sein les haines qui aboutirent à la Shoah. La France de Vichy a contracté vis-à-vis de ses citoyens juifs une dette de sang. Mais cette dette, ce n'est pas aux Palestiniens de la payer.

Ceux qui craignent l'importation du conflit israélo-palestinien en France se trompent, car ce conflit fait depuis toujours partie de notre Histoire.

La ligne de fracture n'oppose pas les uns aux autres comme le bien et le mal. Elle passe au sein même de nos consciences, c'est un conflit de principes. La bienveillance pour Israël, née en raison de la faute de Vichy, se nourrit aussi de l'extraordinaire vitalité de la société civile israélienne. Ce capital de sympathie n'interdit pas de prendre conscience de l'asymétrie des forces et de l'injustice faite aux Palestiniens.

Notre conscience politique, née de l'histoire récente, fait que toute entreprise coloniale suscite notre réprobation. Or Israël poursuit sa politique de colonisation jusque dans Jérusalem. Tous les parlementaires qui sont allés sur place ont pu constater cette évolution, contraire au processus d'Oslo. Le constat est terrible : le dialogue se révèle impossible. Rarement, l'avenir aura été aussi sombre, la détresse si forte, dans cette région.

Ranimons la flamme de la paix. La position de la France, en faveur d'un État en Palestine, a été affirmée et réaffirmée constamment, tant par la droite que par la gauche. La situation actuelle présente un réel danger pour Israël. L'espoir peut servir d'antidote à la violence. Israël, parce que c'est une démocratie, suscite de notre part plus d'exigence, envers le respect de la vie humaine en particulier.

Ce n'est pas en votant contre cette résolution que l'on mettra fin aux actes antisémites qui nient notre pacte républicain. Je dénonce la faiblesse des réactions après le drame de Créteil, aussi bien que l'apathie face aux actes islamophobes. (Applaudissements sur les bancs CRC et sur certains bancs socialistes)

Je regrette que nous ayons perdu notre capacité d'indignation parce que, comme le disait saint Augustin, à force de tout banaliser, on finit par tout supporter ; à force de tout supporter, on finit par tout tolérer ; à force de tout tolérer, on finit par tout accepter et à force de tout accepter, on finit par tout approuver.

Contribuons par notre vote à soutenir tous ceux qui, en Israël, en Palestine, ailleurs dans le monde, en dépit de tous les drames, oeuvrent pour la paix. Cette vision n'est pas utopique. Il n'y a pas de fatalité. La France et le Royaume-Uni, membres permanents du Conseil de sécurité, peuvent se prévaloir, aux Nations unies, du soutien de leurs parlements. Le moment est venu. Allons d'une paix froide en bas d'un parchemin, à une réconciliation des coeurs, entre Israéliens et Palestiniens. Il appartient à la France de faire cesser ce tête-à-tête sans issue. Soyons, par notre vote, à la hauteur. (Applaudissements à gauche)

M. Roger Karoutchi.  - Je suis décidément le seul à avoir respecté mon temps de parole...

Mme Joëlle Garriaud-Maylam .  - Pour une fois, je donne raison à Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, quand elle a parlé d'indifférence coupable et d'inaction meurtrière. On ne peut rester inactif, face à ce conflit. La communauté internationale a une responsabilité majeure pour établir une paix durable.

Comment agir, donc ? Le groupe socialiste nous propose, par une résolution sans valeur contraignante, d'inviter le Gouvernement à agir ? Pourquoi passer par le Parlement, alors qu'il s'agit d'une prérogative de l'exécutif et du président de la République.

M. Christian Cambon.  - Absolument.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam.  - En 2011, par la voix du président Sarkozy, la France a soutenu l'adhésion de la Palestine à l'Unesco, puis son entrée à l'ONU en 2012. Depuis, plus rien. Cette résolution n'est-elle pas une entreprise de whitewashing pour dissimuler sous un maquillage l'immobilisme diplomatique de la France ? (Protestations sur les bancs socialistes) Je ne peux que vous faire part de nos doutes. Retarder de deux ans supplémentaires une initiative diplomatique forte serait meurtrier. En 2008, avec d'autres parlementaires, nous avions rencontré tous les dirigeants sur place. Rien n'a changé. Les lignes n'ont pas bougé.

Depuis 1988, pas moins de 135 pays, deux tiers des membres de l'ONU, ont reconnu la Palestine, avec des conséquences nulles sur l'avancée de la paix. Je suis convaincue que la paix durable suppose la coexistence de deux États indépendants dans les frontières de 1967. C'est aussi la doctrine traditionnellement affirmée par notre diplomatie. Mais, au-delà des mots, il faut adopter une attitude beaucoup plus ferme, car la passivité internationale s'apparente à un véritable permis de tuer. La Cour internationale de justice a déclaré le mur de séparation contraire au droit international. Cet été, le Conseil de sécurité a été contraint d'appeler au respect du droit international humanitaire et à la protection des civils à Gaza. La poursuite du processus de colonisation est illégale, et le non-respect de la liberté de circulation des Palestiniens porte atteinte à leurs droits fondamentaux.

Pourquoi la France, si prompte à condamner la Russie, tient-elle des prises de position aussi tièdes sur ce dossier ? Cela pourrait passer par une réduction de la coopération et des échanges avec Israël. Ce serait une action beaucoup plus tangible que la reconnaissance diplomatique. La France ne doit jamais se faire complice des exactions du Hamas : surveillons les circuits de financement de cette organisation.

L'adhésion de la Palestine à la Cour internationale de justice, proposée par Dominique de Villepin, aurait un impact beaucoup plus concret qu'une simple reconnaissance diplomatique. Enfin, une initiative européenne aurait beaucoup plus de poids.

Convaincue de la nécessité de reconnaître l'État de Palestine, je considère que cette proposition de loi ne contribuera pas à la relance du processus de paix...

M. Daniel Reiner.  - Quelle contorsion !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam.  - ... elle n'est qu'un maquillage de votre immobilisme diplomatique. Nous vous avons proposé de la récrire, vous avez refusé. Je ne la voterai pas. (Applaudissements au centre et sur quelques bancs de l'UMP)

M. Jean Germain .  - Nous sommes nombreux à être éclairés, via les groupes interparlementaires d'amitié, par nos contacts avec les pays arabes et du Proche-Orient. Ceux-ci disent trop souvent « les Israéliens » plutôt que « Israël ». Inversement, on dit plutôt « les Palestiniens » que « la Palestine ». Ce n'est pas indifférent. Les mots ont du sens : il faut que les mots « Israël » et « Palestine » soient utilisés pour que leur réalité soit reconnue.

Si notre pays, qui jouit d'un grand prestige au Proche-Orient parle de Palestine, d'autres pays parleront plus volontiers d'Israël. L'histoire, les valeurs et les intérêts de notre pays nous poussent à reconnaître l'État de Palestine à côté de celui d'Israël. Ne cédons pas aux adeptes des théories du déclin !

Loin d'être une injonction, ce que la Constitution ne permettrait pas, cette proposition de résolution procède d'un constat partagé, au-delà de la gauche, au Sénat, à l'Assemblée nationale et dans le pays tout entier. Elle est équilibrée.

M. Roger Karoutchi.  - Mais non !

M. Jean Germain.  - Nos relations sont très étroites avec le Proche-Orient. Un ancien ministre français, devenu souverainiste, déclarait, il y a quelques années, que l'Europe ne devait pas accueillir en son sein d'autres pays que ceux qui appartenaient jadis à l'Empire romain.

M. Didier Guillaume.  - Karoutchi !

M. Jean Germain.  - Or je rappelle que celui qui présida aux célébrations du millénaire de Rome, en 247, s'appelait Philippe l'Arabe et était né au sud de Damas.

M. Didier Guillaume.  - Un agrégé d'histoire devrait le savoir !

M. Jean Germain.  - Les Palestiniens auraient-ils plus de raison que tout autre peuple libre de s'effacer ? Je crois que non. L'histoire s'est faite de conquêtes, de spoliations, d'atteintes aux droits des personnes. Cela n'est plus légitime. La France, monsieur Karoutchi, monsieur Marseille, a joué un rôle historique dans l'affirmation des droits de l'homme. (Applaudissements sur les bancs socialistes et écologistes) Elle doit faire entendre sa voix, qui est attendue. Beaucoup d'Israéliens influents soutiennent notre démarche.

Mme Bariza Khiari.  - Oui.

M. Jean Germain.  - Combien de nos concitoyens réalisent-ils que le Liban est une démocratie arabe présidée par un chrétien ?

Mme Bariza Khiari.  - Oui.

M. Roger Karoutchi.  - Quelle belle démocratie !

M. Jean Germain.  - La France, sa diplomatie, ne manquent pas de perspectives. Certaines d'entre elles sont tracées depuis longtemps. Soutenons notre diplomatie, soutenons la place de la France, libre de tout alignement sur les États-Unis.

M. Jean-Noël Cardoux.  - Temps écoulé depuis plus de deux minutes ! (On renchérit à droite)

M. Jean Germain.  - La France sera écoutée. La paix au Proche-Orient est notre avenir, dans un monde ouvert.

Plusieurs voix à droite.  - C'est fini !

Mme la présidente.  - Concluez !

M. Jean Germain.  - Oui, cette résolution revêt un intérêt stratégique pour notre pays. Soyons à la hauteur de la France, de son histoire, de ce moment. (Applaudissements à gauche)

M. Yvon Collin .  - Dès 1949, la France fut l'un des premiers pays à établir des relations diplomatiques avec Israël. Malgré l'intransigeance d'Israël vis-à-vis des Palestiniens, les relations sont toujours restées courtoises, et François Mitterrand a rappelé en 1982 devant la Knesset que la France était l'amie d'Israël. La France est aussi depuis longtemps l'amie de la Palestine, et a approuvé en 2011 son adhésion à l'Unesco. De même, les gouvernements successifs ont toujours déploré les colonies illégales ; ils n'ont jamais cessé d'être au côté des Palestiniens dans les moments les plus difficiles - la France est l'un des principaux contributeurs à l'aide destinée aux territoires palestiniens, avec 43 millions d'euros en 2013.

La France, qui compte les communautés juive et musulmane les plus importantes d'Europe, ne peut qu'être attentive à la situation du Proche-Orient. Fidèle à ses valeurs humanistes et de solidarité, à ses traditions diplomatiques, elle a toujours recherché le chemin de la paix ; celui-ci s'est malheureusement transformé en impasse. Toujours l'assassinat répond à l'assassinat, et des deux côtés du mur de séparation, les mères pleurent leurs fils...

Le consensus international est fondé sur les résolutions 242 et 1860 du Conseil de sécurité ; il reconnaît l'existence d'un État de Palestine dans les frontières de 1967 avec Jérusalem-Est comme capitale. Afin de relancer le processus de paix, initié par les accords de Camp David et d'Oslo, mais aujourd'hui en échec, la Suède a reconnu l'État palestinien, les députés britanniques et espagnols ont voté des résolutions en ce sens et le Parlement belge s'apprête à faire de même. Certains y verraient, en France, une injonction inconstitutionnelle au Gouvernement, mais laissons de côté ce débat juridique. Il s'agit de prendre une position politique.

Cette proposition de résolution est une incitation à reprendre les négociations de paix, aussi la majorité des membres du RDSE la soutient-elle. M. Fabius soutient lui-même l'adoption par le Conseil de sécurité d'une résolution appelant à aboutir d'ici deux ans. L'ensemble du groupe soutient cette démarche.

Mais rien ne sera possible si les deux parties ne font pas obstacle aux extrémistes. L'intransigeance du Hamas, le renvoi de deux ministres israéliens modérés, la mort hier d'un ministre palestinien, la poursuite de la colonisation inquiètent...

Dans son dernier discours, Yitzhak Rabin se disait sûr que la majorité des Israéliens étaient prêts à prendre des risques pour la paix. Le pire ne serait-il pas de perdre tout espoir ? (Applaudissements à gauche)

M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des affaires européennes .  - Le ministre des affaires étrangères et du développement international est retenu à Lima par la COP20, le dernier rendez-vous international avant la grande conférence Paris Climat 2015. Il m'a chargé de vous exprimer ses regrets et ses excuses.

L'exceptionnalité de la procédure choisie répond à l'exceptionnalité de la situation. Vous exprimez ainsi votre désir de paix, face à la dégradation dramatique de la situation sur le terrain. Une invitation au Gouvernement n'est en rien contraire à la Constitution, comme l'a montré M. Fabius (M. Jean-Louis Carrère applaudit) même si la reconnaissance d'un État relève bien de l'exécutif.

Nos seuls ennemis au Proche-Orient sont les fanatiques, les extrémistes des deux bords qui entravent le processus de paix. La France a toujours défendu la solution à deux États, un État palestinien aux côtés de l'État d'Israël. Le 29 novembre 1947, elle a apporté une voix décisive à l'adoption de la résolution 181 de l'ONU. Elle fut l'une des premières à reconnaître le jeune État d'Israël avec la Russie et les États-Unis. Cela ne l'a pas empêché de reconnaître le bien-fondé de l'aspiration légitime du peuple palestinien à avoir un État, du général de Gaulle à François Mitterrand, devant la Knesset et depuis lors. Le règlement définitif du conflit passe par la coexistence de deux États vivant dans la paix et la sécurité dans des frontières sûres et reconnues. C'est pourquoi la France reconnaîtra l'État palestinien, qui est de droit, et affirme que la sécurité d'Israël n'est pas négociable.

En vingt ans, un long chemin a été parcouru. Le président de la République disait devant le Parlement israélien « que des mots imprononçables hier sont devenus communs », que le statu quo était intenable, que « la paix requérait plus de courage sans doute que de faire la guerre. ». La question est avant tout celle de la méthode.

M. Christian Cambon.  - Oui !

M. Harlem Désir, secrétaire d'État.  - Comment et quand reconnaître l'État palestinien ? Ce débat témoigne de notre sentiment d'urgence, alors que la solution des deux États semble s'éloigner. Tous, nous devons refuser le fatalisme et l'inertie. Il faut reprendre l'initiative. La viabilité même d'un État palestinien est menacée par la poursuite illégale de la colonisation tandis que le Hamas continue de rejeter l'existence d'Israël et n'a pas renoncé à la terreur. Assassinats dans une synagogue, mort hier d'un ministre palestinien, relance du processus sans cesse suivi de rechutes : l'escalade de la violence est chaque fois plus amère. Une étincelle peut conduire à l'embrasement.

La seule issue est pourtant connue : la coexistence de deux États vivant dans la paix et la sécurité, sur le fondement des frontières de 1967, avec Jérusalem pour capitale commune. Comment la France peut-elle défendre le plus efficacement la cause de la paix ? Depuis longtemps, nous appelons à une résolution globale et négociée du conflit. Nous voulons donner aux négociations une chance d'aboutir, un changement de méthode : le face-à-face entre Israël et la Palestine a montré son peu d'efficacité.

Après plus de soixante ans de conflits, plus de vingt ans de négociations sans issue, il faut un accompagnement, un engagement déterminé - certains diront une pression - de la communauté internationale pour aider les deux parties à franchir le pas ultime. C'est ce à quoi la diplomatie française s'emploie. Le Gouvernement travaille en ce moment à une proposition de résolution du Conseil de sécurité de l'ONU, appelant à la reprise immédiate des négociations, qui devront aboutir d'ici deux ans. Le compromis sera aussi difficile à trouver que l'accompagnement de la communauté internationale est indispensable. La France est prête à accueillir à cette fin une conférence internationale.

Si cette ultime tentative échouait, la France devrait assumer ses responsabilités en reconnaissant l'État palestinien. Nous y sommes prêts.

Nous ne cèderons ni sur les droits des Palestiniens, ni sur le droit à la sécurité d'Israël. Nous refusons l'importation en France du conflit : la lâche et odieuse agression de Créteil nous renforce dans notre détermination à combattre l'antisémitisme et à lutter contre le racisme.

Nous avons un cap : rechercher la paix. Votre vote n'opposera pas ceux qui soutiennent Israël et ceux qui soutiennent les Palestiniens. La reconnaissance d'un État palestinien est nécessaire pour assurer durablement le développement et la sécurité d'Israël ; elle devrait être soutenue par tous les amis d'Israël. Être l'ami d'Israël, ce n'est pas être l'ennemi de la Palestine. C'est cette vérité que votre vote doit exprimer.

Le Gouvernement ne ménagera pas ses efforts. Le temps est compté pour ceux qui veulent la paix. La France ne tient qu'un seul cap : elle n'aura de cesse d'agir jusqu'à la paix. (Applaudissements à gauche)

À la demande du groupe UMP, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.

Mme la présidente - Voici le résultat du scrutin n° 73 :

Nombre de votants 323
Nombre de suffrages exprimés 299
Pour l'adoption 153
Contre 146

Le Sénat a adopté.

(Mmes et MM. les sénateurs des groupes CRC, socialiste et écologiste se lèvent et applaudissent longuement)

La séance, suspendue à 11 h 30, reprend à 11 h 35.

Protection de l'enfant

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi relative à la protection de l'enfant.

Discussion générale

Mme Michelle Meunier, auteure de la proposition de loi et rapporteure de la commission des affaires sociales .  - Déposée par Mme Dini et moi-même en septembre, cette proposition de loi fait suite à notre rapport d'information sur le sujet. Nous sommes toutes deux familières du sujet et vice-présidentes chargées de l'enfance et de la famille dans nos départements. Nous nous sommes aussi inspirées des préconisations de nombreuses instances dédiées à l'enfance, mais aussi du Défenseur des droits, du GIP qui gère le 119 ou d'associations et organisations professionnelles.

Ce texte, qui n'est pas révolutionnaire, vise à mettre l'intérêt de l'enfant au centre des préoccupations. Des dysfonctionnements inter-institutionnels peuvent entraîner le martyr et la mort d'enfants, comme le récent cas tragique de la petite Marine. Je pense aussi aux enfants en attente d'adoption. On n'a encore rien trouvé de mieux qu'une famille pour élever un enfant.

La loi du 5 mars 2007 est une bonne loi, qui mérite cependant d'être complétée. Près de 300 000 jeunes sont chaque année pris en charge par les services de l'Aide sociale à l'enfance (ASE) à laquelle les départements consacrent 7 milliards d'euros. Malgré des avancées majeures depuis sept ans, des inégalités territoriales persistent, ainsi que des retards et des inerties.

Cette proposition de loi améliore d'abord la gouvernance de la protection de l'enfance, car le cloisonnement reste fort entre les acteurs. Il manque à cette politique un cadre autorisant une impulsion nationale.

L'article premier crée un Conseil national de la protection de l'enfance, chargé de proposer au gouvernement les orientations nationales, d'en évaluer la mise en oeuvre et de promouvoir les bonnes pratiques. L'article 2 tend à rendre effective l'obligation de formation initiale et continue des acteurs de la protection de l'enfance pour faire émerger une culture commune ; les observatoires départementaux de la protection de l'enfance auront une mission de programmation et d'évaluation des formations. Il faut apprendre à repérer précocement les signes de négligence ou de maltraitance. Les professionnels de santé sont des acteurs de proximité indispensables ; pourtant, les médecins sont à l'origine d'un très faible nombre de signalements, en raison de la méconnaissance des procédures, de l'isolement professionnel, de la crainte de poursuites pour dénonciation calomnieuse... Aussi l'article 4 crée-t-il, dans chaque service départemental de PMI un médecin référent pour la protection de l'enfance.

D'autres mesures tendent à sécuriser le parcours de l'enfant protégé. Le projet pour l'enfant, outil de coordination entre les acteurs, est la principale innovation de la loi de 2007. Mais les services départementaux y voient trop souvent une lourdeur administrative. Réaffirmons-en l'importance. Le projet devra être régulièrement réactualisé et un comité de suivi veillera à sa mise en oeuvre. Tel est l'objet des articles 5 à 7. L'étude de la situation de l'enfant protégé doit être pluridisciplinaire et la décentralisation poussée jusqu'au bout - car la responsabilité du président du conseil général est considérable, même si elle est encore parfois méconnue. Certains craignent une obligation chronophage, mais on évitera ainsi que des situations ne se compliquent. La situation de jeunes dans l'impasse mobilise beaucoup de temps professionnel et d'argent public.

La commission des affaires sociales a voulu limiter la saisine obligatoire de la commission aux cas préoccupants et aux enfants en bas âge. Les actes usuels de l'autorité parentale pourront être exercés par les assistants familiaux. L'article 9 enrichit le contenu du rapport annuel par une analyse de l'état de santé physique et psychologique de l'enfant, de son développement, de sa scolarité ou encore de sa vie sociale. La commission des affaires sociales a prévu un référentiel commun établi par décret.

D'autres dispositions du texte tendent à garantir une plus grande stabilité du parcours des enfants pris en charge par l'ASE. En France, l'éloignement du domicile familial n'est envisagé qu'en dernier recours ou en cas de maltraitance. Pourtant, certaines familles ne sont plus en mesure d'élever leurs enfants ; dans d'autres, le maintien des liens peut être néfaste. Les enfants sont alors placés pour une durée longue, mais leur parcours est très instable, et il est très difficile de faire évoluer leur statut juridique. Il est indispensable d'encadrer le changement de lieu d'accueil. La proposition de loi vise à garantir à l'enfant plus de stabilité en requérant dans certains cas l'avis du juge ; celui-ci pourra se saisir d'office s'il l'estime nécessaire au regard de l'intérêt de l'enfant. Il arrive que l'ASE confie l'enfant à une nouvelle famille d'accueil, ce que ni lui ni la famille où il est accueilli ne souhaitent... Une délégation d'autorité parentale, voire une adoption, pourront, le cas échéant, être envisagées.

Il s'agit ensuite de défendre les droits de l'enfant dans le cadre de la procédure d'assistance éducative. Le juge peut désigner un administrateur ad hoc. Or ceux-ci sont peu nombreux ; dans les faits, ce sont le plus souvent les services du conseil général qui sont désignés par défaut. L'article 17 exige la désignation d'un administrateur indépendant du service gardien, chargé de veiller au rappel des droits de l'enfant.

Pour se construire, ces enfants, durablement voire définitivement éloignés de leur famille d'origine, ont besoin de développer une relation d'attachement, d'appartenance à une autre famille. En France, l'adoption comme modalité de protection de l'enfant n'est que très peu entrée dans les mentalités. Elle permet pourtant de construire des projets de vie adaptés à la situation de certains enfants. Plusieurs articles de la proposition de loi initiale visent donc à encourager cette démarche.

Pour promouvoir l'adoption comme dispositif de protection de l'enfance, l'article 12 visait à rendre l'adoption simple irrévocable pendant toute la durée de la minorité de l'enfant, sauf motif grave. L'article 14 ouvrait en outre la possibilité de ré-adopter par la voie de l'adoption plénière des enfants déjà adoptés sous ce régime mais devenus pupilles de l'État. Très peu d'enfants sont concernés. La commission avait supprimé ces deux articles ; elle a finalement donné un avis favorable aux amendements qui les rétablissent.

Parallèlement, l'article 15 prévoit d'améliorer la prise en compte de l'intérêt de l'enfant dans la procédure d'adoption.

L'article 18 substitue à la procédure de la déclaration judiciaire d'abandon une procédure de déclaration judiciaire de délaissement parental, fondée sur des critères plus objectifs. En l'état actuel du droit, la déclaration judiciaire d'abandon est peu mise en oeuvre ; la rédaction ambiguë de la loi dissuade souvent les services sociaux de déposer une requête, la notion de « désintérêt manifeste » des parents étant sujette à interprétation.

Enfin, l'article 20 incite au développement du recours au retrait total de l'autorité parentale. La procédure est rarement utilisée, les professionnels étant réticents à envisager une rupture du lien de filiation biologique. L'article prévoit le retrait de l'autorité parentale dès lors que le parent s'est rendu coupable d'un crime ou délit sur la personne de l'autre parent ou de l'enfant. Sur ma proposition, la commission des affaires sociales a adopté un amendement qui laisse une marge d'appréciation au juge, conformément aux principes constitutionnels.

La proposition de loi comporte plusieurs articles qui ne sont pas directement issus du rapport d'information mais qui répondent eux aussi à l'objectif d'une meilleure prise en compte de l'intérêt de l'enfant.

L'article 13 impose un accompagnement médical, psychologique et éducatif lorsqu'un enfant né sous le secret est reconnu par au moins un de ses parents. Il répond à une préconisation du Défenseur des droits.

L'article 19 renforce la sécurité juridique du recours contre l'arrêté d'admission en pupille de l'État en définissant de façon plus précise les membres de la famille ayant qualité pour agir.

L'article 22 propose d'inscrire expressément dans notre code pénal l'inceste sur mineur comme une infraction à part entière.

Par un heureux hasard, nous examinons cette proposition de loi à quelques semaines du 25e anniversaire de la Conférence des Nations unies relative aux droits de l'enfant. J'y vois un heureux présage. (Applaudissements sur la plupart des bancs)

M. François Pillet, rapporteur pour avis de la commission des lois .  - Nombre de dispositions de ce texte concernent le code civil et le code pénal, ce qui justifie la saisine de la commission des lois sur treize articles. Je tiens à souligner la parfaite entente dans laquelle j'ai travaillé avec Mme Meunier. Nous avons rédigé ensemble plusieurs amendements que la commission a adoptés.

La commission des lois a reconnu la pertinence du diagnostic établi par Mmes Meunier et Dini : la loi de 2007, due à Philippe Bas, alors ministre, est une très bonne loi. Elle mérite des ajustements sans que sa construction en soit bouleversée ni nuise à ses objectifs.

La commission des lois a exprimé son attachement aux grands principes de la protection de l'enfant en droit français : protéger l'enfant et faire prévaloir son intérêt, prendre en compte autant que possible le point de vue des familles, refuser tout systématisme, distinguer le rôle des services sociaux de celui des juges.

Sur bien des points, nos deux commissions se sont rejointes. Elles ont par exemple rejeté la remise en cause des modalités d'adoption simple ou plénière, qui ne serait envisageable que dans le cadre d'une réforme globale. Sur la procédure d'abandon, la commission des affaires sociales s'est rangée à l'avis de la commission des lois.

Hélas, la commission des affaires sociales est revenue sur certains de ses choix. J'ai ainsi redéposé des amendements qu'elle n'avait pas adoptés sur deux points principaux : le retrait de l'autorité parentale et la création d'une surqualification pénale d'inceste.

L'article 20 de la proposition de loi prévoyait initialement de rendre automatique le retrait de l'autorité parentale pour les parents coupables de crimes ou de délits sur la personne de leur enfant ou de l'autre parent. Cette automaticité serait contraire au principe de l'individualisation des peines, à notre Constitution et à nos engagements internationaux. Ce serait revenir cinquante ans en arrière. La grande loi de 1970, qui a modernisé la notion d'autorité parentale, l'a supprimée. La meilleure protection que l'on peut apporter à un enfant doit correspondre à sa situation individuelle, loin de tout simplisme, de tout automatisme. Il est préférable, parfois, dans l'intérêt de l'enfant, que le juge renonce au retrait de l'autorité parentale. Tous les crimes, tous les délits, y compris une blessure involontaire, une simple atteinte à la vie privée de l'autre parent, seraient concernés ! Pourquoi montrer tant de défiance envers les juges ? Gardons-nous de légiférer sur le fondement de craintes, d'angoisses qui ne sont pas justifiées. La justice doit prendre les mesures nécessaires. Les représentants des avocats, des magistrats et de certaines associations familiales se sont tous inquiétés de cet article, qui modifie une disposition déjà examinée en août dernier, dans le cadre du projet de loi sur l'égalité réelle entre les femmes et les hommes. À la place, nous avons adopté une mesure raisonnable sur laquelle il ne convient pas de revenir, six mois après.

De même, votre commission des lois, après de longs débats, vous propose de renoncer à la pénalisation de l'inceste. Ce n'est pas du tout une opposition de principe à l'insertion de l'inceste dans le code pénal. Cependant, la censure du Conseil constitutionnel en 2010 nous conduit à veiller à la précision de notre législation. Nos auditions ne nous permettent pas de nous prononcer sur la question définitivement. Ce serait prématuré. Gardons-nous des risques d'une nouvelle censure constitutionnelle, et des déceptions qu'elle ne manquerait pas de provoquer, à nouveau.

Ce thème entraîne nécessairement beaucoup d'affect, d'émotion. Astreignons-nous à réfléchir avec objectivité, à nous extraire de nous-mêmes, pour rechercher les meilleurs mesures, en faveur de l'intérêt de l'enfant. Débattons avec sérénité, objectivité, prudence. Si nous nous trompons dans la rédaction de ce texte, nous échouerons, mais de surcroît, nous fragiliserons l'équilibre de la loi de 2007.

La commission des lois a, sous réserve de ces observations, donné un avis favorable à cette proposition de loi. (Applaudissements)

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales .  - Cette proposition de loi prolonge la loi du 5 mars 2007, qui mettait l'accent sur la prévention, affirme le rôle central du département et élargit les modes de protection traditionnels de l'enfant, en plaçant en son coeur l'intérêt de l'enfant.

Cette proposition de loi tient compte des travaux récents, dont le rapport d'information de la commission des affaires sociales, celui de la députée Michèle Tabarot ou le rapport de février 2014 du groupe de travail présidé par Mme la professeure Gouttenoire, tous travaux tendant à rendre effectifs les droits de l'enfant, affirmés il y a vingt-cinq ans par la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE).

La proposition de loi va selon moi dans le bon sens, en privilégiant la recherche de la stabilité affective de l'enfant. Je souligne trois aspects positifs : la création du CNPE, s'il lui est imparti un rôle fonctionnel et s'il ne fait pas double emploi avec d'autres organismes ; la précision du contenu du projet pour l'enfant, qui définira les objectifs des interventions ; la sécurisation des parcours de protection de l'enfant, afin qu'il soit stabilisé avec plus de cohérence dans les actions mises en place. Ainsi, les personnes qui accueillent les enfants peuvent accomplir les « actes usuels » de l'autorité parentale sans formalités préalables.

Le texte de la commission des affaires sociales institue aussi plus de modération dans le changement des structures d'accueil, sans automaticité. Lorsque le placement, en principe provisoire, se prolonge, au-delà d'une durée à définir par décret, la proposition de loi améliore aussi le dispositif existant. Mais il est difficile de trouver des solutions pérennes. Nous regrettons que les deux commissions ne soient pas parvenues, à l'article 18 de ce texte, à récrire l'article 350 du code civil, introduit par la loi de 1966, rédigé par Simone Veil, alors magistrate à la Chancellerie.

Lorsqu'un enfant est délaissé ou abandonné par ses parents, et l'on peut concilier ces deux termes, l'abandon est constaté par le juge au moyen de la « déclaration judiciaire d'abandon ». Le délaissement caractérise la situation de l'enfant. Inscrire la notion d'abandon ou de délaissement volontaire dans le texte n'est pas satisfaisant. J'avais défendu l'abrogation de la notion de « grande détresse ». Introduire la notion d'abstention volontaire, c'est méconnaître la vocation de la déclaration judiciaire d'abandon, qui ne se limite pas à établir une intention des parents, c'est détourner nos regards de l'enfant lui-même, pour ne considérer que les adultes et leur responsabilité. Des enfants placés à l'âge de quelques semaines, en l'absence de tout contact avec leurs parents, deviennent pupilles de l'État en cinq ou six ans. Les dossiers sont bien documentés et il y a rarement besoin d'enquête supplémentaire. Le législateur de 1993 a mis en conformité la loi française avec la CIDE. Il a veillé à établir un délai de six mois avant que l'adoption soit prononcée, alors que l'enfant est déjà accueilli : ce délai a valeur incitative.

Il nous parait préférable de nous abstenir - volontairement - de modifier une nouvelle fois l'article 350 du code civil. Sur la révocabilité de l'adoption, je regrette que la commission soit revenue sur deux amendements, même si je reconnais que les arguments du rapporteur pour avis sont fondés et cohérents. L'adoption est une mesure de protection de l'enfant. Simple ou plénière, elle lui donne une nouvelle identité et une nouvelle filiation. L'adoption simple crée un lien de filiation pérenne, qui a vocation à se perpétuer de génération en génération. La jurisprudence est rigoureuse, quant aux demandes de révocation, qui sont nombreuses, mais plus des deux tiers sont rejetées. Il faudrait limiter la possibilité d'agir en révocation aux plus proches parents. Il semble inimaginable que des cousins germains puissent agir.

De même, l'article 14 visait initialement à protéger les enfants adoptés une première fois, qui ont vécu un échec, en leur donnant une deuxième chance d'être adoptés dans une nouvelle famille.

C'est la raison pour laquelle une seconde adoption plénière est possible en cas de décès des premiers adoptants pléniers et même une adoption simple après une adoption plénière, en cas d'échec de celle-ci. Jean-François Mattei avait proposé un dispositif, qui a permis, en dix-huit ans, l'adoption, une seconde fois, de dizaines d'enfants, qui n'ont été nullement déstabilisés.

Il n'est pas besoin d'attendre je ne sais quelle réforme globale de l'adoption pour retoucher notre législation, ainsi que le recommande le Conseil supérieur de l'adoption. Notre droit de l'adoption continue à servir de référence dans de nombreux pays. Il faut revoir les conditions d'admissibilité de l'enfant à la qualité de pupille de l'État. Le Conseil constitutionnel a récemment censuré la procédure de recours contre l'arrêté d'admission pris par le conseil général, prévu à l'article L. 224-8 du code de l'action sociale et des familles. Comme l'a jugé la Cour de cassation, un délai de recours ne peut commencer à courir, lorsqu'une décision est prise de façon non contradictoire et sans que chaque partie soit informée. La loi du 26 juillet 2013, votée dans la précipitation, pèche encore sur ce point.

La loi ne prévoit pas les modalités d'un recours effectif. Les services départementaux, en l'absence de filiation établie, sont confrontés à des difficultés insurmontables : comment informer des personnes dont on ne connaît ni l'identité ni l'adresse ? Cependant, celui qui se prétend apparenté à l'enfant juridiquement, peut intenter un recours : on imagine les fraudes à l'état civil qui pourraient en résulter. À un texte inconstitutionnel s'est substitué un autre, tout aussi inadapté. Le texte proposé limite le droit à agir aux très proches parents de l'enfant, qui ont manifesté leur intérêt pour l'enfant lorsqu'il était pupille à titre provisoire. Il serait nécessaire de l'aménager. D'où mon amendement rédactionnel à l'article 19.

Je ne peux conclure sans mentionner les enfants dits de kafala qui sont les grands oubliés du droit français. Dans certains pays la seule filiation reconnue est la filiation procréatrice dans le mariage. La France est le seul pays européen à avoir reproduit dans son propre droit les observations des pays qui prohibent l'adoption, essentiellement l'Algérie et le Maroc. Ce texte est discriminatoire. Or une récente circulaire du ministère de la justice, du 22 octobre 2014, clarifie enfin la situation de ces enfants. Elle reconnaît pour la première fois que l'enfant recueilli en kafala - ou recueil légal - peut être adopté. Si cette adoption suppose le recueil du consentement des personnes habilitées à l'exprimer, c'est un progrès. Mais il leur faudra attendre encore cinq ans. En effet, un enfant recueilli et aidé par une personne de nationalité française ne peut le réclamer avant ce délai. Il est opportun, madame la ministre, de réduire ce délai, à deux ans, ce qui serait raisonnable. Il s'agit encore d'une disposition protectrice de l'enfance qui mérite de figurer dans cette proposition de loi. (Applaudissements)

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie .  - Mme Dini a cosigné avec vous, madame Meunier, cette proposition de loi. Je suis particulièrement heureuse qu'elle commence son parcours législatif au Sénat. Les conseils généraux sont en effet depuis la loi de 2007 confirmés dans leur rôle de chef de file de la protection de l'enfance, au plus près des familles, des enfants. Ils sont les piliers, les pivots de la politique de l'enfance. Le temps nous manquera aujourd'hui pour étudier votre proposition de loi dans sa totalité. Ne manque-t-il pas toujours pour aider les enfants à grandir, pour « protéger l'enfant du monde et lui y donner accès » comme disait Hanna Arendt ? Pour protéger l'enfant, il faut pousser des portes, bien verrouillées ; celles que passent chaque jour les professionnels pour accéder à des informations ; celles, symboliques, qu'avait érigé le code Napoléon, reproduisant l'antique modèle du pater familias.

Il fallut attendre les années 1960 et l'historien Philippe Ariès pour que l'enfant devienne, enfin, sujet d'histoire.

La protection de l'enfance a toujours fait l'objet de réflexions : la première loi fut adoptée en 1889 après huit ans de débat.

Gardons-nous de tout manichéisme. Interrogeons nos propres pratiques. Oui, la maltraitance institutionnelle existe aussi, et pas que dans les médias. Elle est vécue, exprimée par les premiers concernés. Travaillons donc pour « le meilleur intérêt de l'enfant ». Nous nous retrouvons ici en effet sur les valeurs portées par la Convention internationale des droits de l'enfant, qui a vingt-cinq ans, et que la France fut l'une des premières à signer. J'eus l'honneur de me rendre à l'ONU à l'occasion de ce vingt-cinquième anniversaire pour signer le troisième protocole à cette convention, qui - outre les avancées procédurales - remet l'enfant à sa place, le restitue comme un sujet de droit, entend sa parole. La position de la France était attendue, pour que progressent encore les droits de l'enfant. Nous devons montrer l'exemple. C'est une nouvelle approche des droits de l'enfant que nous promouvons ainsi, non seulement pour notre image internationale, mais aussi pour nos propres pratiques au quotidien.

De nombreux rapports ont pavé ce chemin. Il n'est plus nécessaire d'en commander davantage, mais de passer à l'acte, d'harmoniser et de faire évoluer nos pratiques, mais aussi de faire évoluer la loi, quand c'est nécessaire. L'État doit veiller à assurer l'égalité de la protection de l'enfance, sur tout le territoire, où, nous le savons, des disparités existent : certains départements privilégient le placement, d'autres le maintien des liens affectifs. Le rôle collectif de la société, le rôle des pouvoirs publics, car c'est une mission régalienne, c'est de promouvoir « le développement complet de l'enfant », comme l'entend François de Singly. L'enjeu de la bientraitance se traduit dans notre politique de l'éducation, de la jeunesse. La lutte engagée par le Gouvernement contre le décrochage scolaire illustre cette cohérence, de politiques concrètes, pour améliorer la protection de l'enfance.

Les conseils généraux sont chefs de file, cela fut confirmé par la loi de 2007. L'État doit, pour sa part, assurer la coordination des acteurs.

La loi de 2007 comporte des avancées considérables notamment les commissions de recueil des informations préoccupantes (Crip). Pour autant, il convient de changer les pratiques, pour un meilleur partage des informations entre professionnels et départements.

Les travaux les plus récents des psychiatres, psychanalystes et pédopsychiatres, montrent que la priorité doit être accordée à la stabilité des figures d'attachement. Or notre protection de l'enfance est encore trop tournée vers les droits des parents. Que l'on ne se méprenne pas ! Je ne pointe nul doigt accusateur envers eux ! C'est un dur métier que celui de parent !

M. Jean Desessard.  - Absolument !

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État.  - Je vois qu'il y a de l'expérience dans cet hémicycle. (On le confirme sur divers bancs)

Adressons un signal en adoptant ici un texte qui aura rassemblé le Sénat. Votre Haute Assemblée peut aboutir à ce consensus. Il faut, pour cela, voir les angles morts.

Mon intuition est que si les juges des enfants et l'Aide sociale à l'enfance (ASE) parviennent à bien travailler ensemble, tout le monde suivra : normalement, tel est le sens du projet pour l'enfant (PPE), élément central de cette proposition de loi.

J'ai engagé il y a quelques semaines une grande concertation avec les anciens mineurs de l'ASE, les magistrats, les associations. Je verrai aussi les parents, les assistants familiaux et tous les acteurs, pour mettre de l'huile dans les rouages de la protection de l'enfance. Il fallait améliorer la loi de 2007. Je rends hommage à Philippe Bas qui l'a portée. Sept ans, c'est l'âge de raison, le temps nécessaire pour confronter loi et pratique. Le rapport d'information de Mmes Meunier et Dini, tend à conforter le cadre national de la protection de l'enfance, traduit par le CNPE, l'importance du médecin référent, pour la protection de l'enfance, dans chaque département.

Il faut parler des non-dits. Réfléchissons à ce que nous pouvons faire quand l'enfant n'est plus suffisamment protégé. Ne faut-il pas repenser l'autorité parentale ? Les anciens mineurs de l'ASE m'ont dit : « j'avais un père et un papa ; ma mère m'a mis au monde, ma maman m'a élevé ». Ne soyons pas psychorigides, sachons adapter nos principes.

Je souhaite que nos débats soient apaisés, mus par le seul souci de l'intérêt de l'enfant.

Si les amendements du Gouvernement n'ont pu être examinés en commission, c'est en raison de la concertation que j'ai engagée. Je préfère que nous les étudiions ensemble, d'ici la prochaine séance, pour construire ce consensus que j'appelle de mes voeux. (Applaudissements)

Mme Hermeline Malherbe .  - Le 4 juin dernier, j'ai eu l'honneur en tant que présidente du GIP Enfance en danger, de publier son neuvième rapport qui montre que fin 2011, près de 2 % des moins de 18 ans, soit plus de 275 000 mineurs, étaient pris en charge au titre de la protection de l'enfance. Je recommandais ainsi la construction d'un référentiel national des besoins de l'enfant, le suivi des décisions des parquets, l'écoute des parents et des familles. Je me félicite que le rapporte de Mmes Dini et Meunier, que je salue pour leur excellent travail, reprenne ces pistes.

Depuis la loi de 2007, les conseils généraux se sont mobilisés, à moyens constants, dans un contexte de travail, déjà tendu. Ils ont constitué des cellules « Enfance en danger », appelées Crip. Je suis fière du travail accompli par les professionnels du service public de la protection de l'enfance, même si nous avons tous à coeur d'améliorer notre travail. Éducateurs, acteurs sociaux et médico-sociaux, assistants familiaux, je salue toutes ces personnes qui oeuvrent chez eux parfois, ou en établissements ; ils sont parfois injustement décriés.

Refusons tout dogmatisme, toute dualité entre droits des enfants et droits des parents. La proposition de loi améliore la gouvernance nationale et locale de la protection de l'enfance, en respectant l'équilibre entre les partenaires. Je rappelle l'importance des missions du GIP « Enfance en danger » : le fonctionnement du 119, l'observation et l'évaluation des politiques publiques.

Il faut considérer l'enfant, non selon son statut, mais dans sa globalité. Il faut interroger la finalité du PPE. Quelles actions mener pour permettre à l'enfant de devenir un adulte autonome, s'insérant socialement avec des repères affectifs ?

Les délaissements et abandons devront être mieux repérés. L'adoption est souvent identifiée comme un dispositif à part, devant répondre à la situation des couples sans enfant. Le pire, pour les enfants, est de ne pas savoir pendant cinq, dix, voire quinze ans s'ils sont abandonnés ou pas.

Croisons les regards pour construire ensemble la protection de l'enfance, cette proposition de loi devra y contribuer, afin qu'elle puisse être mise en oeuvre. C'est un bon support législatif pour améliorer la loi de 2007. (Applaudissements à gauche)

M. Jean Desessard.  - Très bien !

Mme la présidente.  - Je rappelle que la suite de l'examen de cette proposition de loi aura lieu le mercredi 28 janvier 2015.

La séance est suspendue à 13 heures.

présidence de M. Gérard Larcher

La séance reprend à 15 heures.

Attentat à Kaboul

M. le président.  - Nous venons d'apprendre que le lycée français de Kaboul a été attaqué par un kamikaze ; il y aurait au moins un mort et d'autres victimes. Nous tenons à exprimer notre indignation, et pensons aux victimes et à leurs familles.

Questions d'actualité

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement. Vous connaissez la règle : deux minutes trente par intervenant.

Suicides en Guyane

M. Jean Desessard .  - Ma question porte sur le plan de lutte contre les suicides en Guyane. Le taux de suicide des populations autochtones est en effet de 1 pour 200 habitants sur le Haut-Maroni, contre 1 pour 5 000 en métropole, soit vingt-cinq fois plus élevé, selon l'association Ader.

Madame la ministre, interrogée sur ce sujet par Aline Archimbaud, vous avez rappelé, le 16 avril dernier, l'existence du plan suicide, la création d'écoles de proximité, la prise en compte des langues amérindiennes, pour lutter contre l'acculturation, source de mal-être. Huit mois après, où en est-on ? Le mois dernier, au moins trois suicides d'Amérindiens ont été recensés. Le problème semble loin d'être résolu.

Il existe pourtant des solutions. La commission des affaires sociales a identifié les bonnes pratiques mises en place au Québec : travail sur les causes, suivi personnalisé, mise en place d'un réseau sentinelle... Elles ont fait leurs preuves : le taux de suicide a diminué de 38 %.

Si le plan français est inefficace, comptez-vous faire en sorte de l'améliorer ? Et quand ? (Applaudissements sur les bancs écologistes)

Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer .  - J'adresse mes condoléances aux familles de La Réunion, récemment endeuillée par un grave accident.

Le nombre de suicides dans la communauté amérindienne nous préoccupe. À la suite de la question de Mme Archimbaud, nous avons approfondi le dialogue avec les populations, avec l'aide de psychiatres et de pédopsychiatres, et mis en place des groupes de parole. Nous avons encore beaucoup à faire. Une mission sera commandée à l'inspection générale ; elle fera un bilan sur place.

J'ai prévu de rencontrer le Conseil consultatif des peuples amérindiens lors de mon prochain voyage en Guyane pour les associer à notre politique de suivi régulier.

L'accès à l'école est un vrai sujet. Les jeunes doivent souvent être scolarisés en internat, loin de leur famille. Il faudrait parvenir à scolariser les enfants plus près de chez eux. Si un groupe de travail est créé pour étudier le sujet, je serais contente que les sénateurs y soient associés. (Applaudissements sur les bancs socialistes et écologistes, ainsi que sur les bancs centristes)

Loi Macron (I)

M. Pierre Laurent .  - Monsieur Macron, votre projet de loi présenté hier consacre la déréglementation sociale à tous les étages, conformément aux voeux du Medef. Pourquoi persister dans l'erreur et « l'échec » pour reprendre vos propres mots ? Pourquoi asservir encore plus les salariés aux exigences des patrons, en les obligeant à travailler le soir et le dimanche ? Pourquoi ouvrir la concurrence dans le transport en autocar au détriment du chemin de fer ? Pourquoi privatiser nos aéroports et non entreprises de défense ? Pourquoi mettre en cause les prud'hommes et dépénaliser l'entrave ?

Rien contre le travail détaché illégal, en revanche. Rien sur la renationalisation des autoroutes qui gavent les groupes de BTP. Votre loi va diviser la France, les travailleurs et la gauche. La trahison de vos électeurs aura de graves conséquences. J'appelle les sénateurs de gauche à refuser ce recul de la civilisation. (Protestations socialistes) Entendez la colère de toute la gauche et du monde syndical ! (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique .  - À tous vos « pourquoi », j'étais tenté de répondre par autant de « parce que » si la caricature n'était pas telle. Je me demande même si vous avez lu notre texte. (Rires à droite) Vous ne trouvez rien contre le travail détaché ? Nous prévoyons des sanctions en la matière. Vous ne les avez pas vues, preuve que vous n'avez pas lu.

De quelle France parlez-vous ? Quelle gauche voulez-vous ? 30 % des Français travaillent déjà le dimanche, sans compensation ; ce projet de loi impose une compensation partout où c'est possible. De même, ouvrir une ligne d'autocar pour desservir les zones enclavées, c'est une mesure de justice et d'activité qui bénéficiera à ceux que le train ne dessert pas.

La véritable gauche ne regarde pas vers le passé, elle regarde la France telle qu'elle est, dans le monde d'aujourd'hui, et elle s'attache à créer plus de droits réels, non aux vieilles lunes !

Les prud'hommes, c'est une justice trop lente, aux résultats incertains, au fonctionnement injuste. Oui, c'est une belle idée, mais qui ne marche pas. Nous conservons le principe paritaire mais réduisons les délais et formons les magistrats.

Plus d'égalité, plus de justice, c'est cela la gauche ! (Vifs applaudissements sur tous les bancs hormis du CRC. Marques d'ironie à droite)

Loi Macron (II)

M. Didier Guillaume .  - Monsieur le Premier ministre, beaucoup trop de Français souffrent, car il y a trop d'inégalités, sociales et territoriales. Depuis deux ans, ce Gouvernement a déjà fait beaucoup. (Exclamations à droite) La lutte contre les inégalités est au coeur du mouvement de gauche. Vous avez souhaité en faire le marqueur de la seconde moitié du quinquennat. La France est bloquée, figée : 84 % de Français soutiennent l'idée de réforme, de changement, de rénovation. Ils sont prêts à accompagner des réformes justes, protectrices, qui aient du sens. Quelle est la feuille de route du Gouvernement pour lutter contre les inégalités et rétablir la confiance ? (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Manuel Valls, Premier ministre .  - En effet, nous avons présenté hier la grande orientation du projet de loi pour la croissance et l'activité. Il vise à utiliser tous les leviers pour la croissance, l'investissement et l'emploi. S'il y a une inégalité en France, c'est bien le chômage. Pour libérer les énergies et stimuler l'économie, il faut ouvrir un certain nombre de secteurs, simplifier les procédures. Nous devons lutter contre les conservatismes, contre la rente. Je suis étonné d'entendre certains à gauche défendre la rente ! (Exclamations CRC)

Avec François Hollande, nous avons beaucoup fait pour lutter contre l'immobilisme, pour faire bouger le pays, pour l'égalité : la retraite à 60 ans pour ceux qui ont commencé à travailler jeune, le compte pénibilité, la modulation des allocations familiales, la refondation de l'école de la République, la réforme des rythmes scolaires, le rétablissement des postes de gendarmes et de policiers détruits sous la droite, alors que l'insécurité touche d'abord les plus faibles ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Le classement Pisa montre l'effondrement de notre école, sous le précédent quinquennat. Quand vous refusez de voter le projet de loi de finances qui refait du budget de l'éducation nationale le premier de la Nation, monsieur Laurent, comment prétendre donner des leçons ? (Applaudissements sur les bancs socialistes) Nous entendons lutter contre les inégalités à la racine, dans les domaines du logement, de la santé, de l'éducation.

Demain, je présenterai l'agenda des réformes jusqu'à la fin du quinquennat. Hier midi, je présentais la loi Macron. Le soir, je défendais l'égalité. La gauche marche sur ses deux jambes, c'est ainsi que nous retrouverons la confiance des Français ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Parc naturel des forêts

Mme Anne-Catherine Loisier .  - Ma question porte sur le projet de parc naturel des forêts de Champagne-Ardenne et de Bourgogne, adopté par 90 % des acteurs locaux.

M. Simon Sutour.  - C'est une question du mardi matin !

Mme Anne-Catherine Loisier.  - Ce parc est le premier grand parc national forestier de feuillus d'Europe. Fruit d'une volonté large, il n'a finalement pas été jugé assez ambitieux.

Dans sa lettre de recadrage, la ministre de l'écologie a dénoncé une insuffisance du projet ; or la filière bois locale joue un rôle majeur dans l'économie régionale. Le mécontentement du monde agricole et forestier est grand face à l'intégration autoritaire de terres agricoles et de forêts communales au coeur du parc. Dans les zones intermédiaires, les agriculteurs ont besoin de recourir aux engrais et aux intrants. Ils ne peuvent supporter de nouvelles contraintes environnementales.

Peut-on revoir le périmètre, respecter la libre volonté des acteurs locaux, limiter les contraintes et ne pas fragiliser l'économie de ces territoires ? Allez-vous prendre en compte les attentes des agriculteurs, respecter la libre adhésion des communes forestières ?

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche .  - Mme Royal se trouve à Lima : veuillez excuser son absence.

La loi Grenelle I contraint le projet à passer par un groupement d'intérêt public. La consultation s'achèvera en janvier prochain. En l'état, aucune décision n'est prise ; le projet du groupement consiste à créer une filière bois locale. L'union des communes forestières de Côte d'Or, que vous présidez, a fait des propositions. Le périmètre du parc doit être cohérent, et ne pas se composer que de forêts domaniales, ni ressembler à une peau de léopard. Chasse et agriculture n'ont pas vocation à en faire partie. (M. Jean-Louis Carrère approuve)

Le groupement d'intérêt public n'est que l'instrument d'organisation de la concertation ; les critiques dont il fait l'objet ne sont donc pas justifiées. Le parc est une chance. Nous le soutiendrons. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Projet de loi de santé publique

Mme Catherine Deroche .  - Madame la ministre des affaires sociales, le monde de la santé est en ébullition. Fait rare, un front uni des médecins généralistes et spécialistes, des secteurs public et privé, de Paris et de province, se dresse devant vous. Non par corporatisme, mais pour exprimer son inquiétude profonde face à votre projet de loi de santé publique : tiers payant, pouvoirs des ARS, avenir de l'hôpital public, financement du secteur privé, avenir des internes... Remettre le patient au coeur du parcours de soins, privilégier la prévention, réduire les inégalités, c'est bien, mais le dialogue semble rompu avec les professionnels. Leur adresserez-vous des signaux de confiance ? (Applaudissements sur les bancs UMP)

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie .  - Nous voulons lutter contre les inégalités sanitaires. Par la prévention d'abord, par l'information des patients et la création d'un médecin traitant pour les enfants. Un numéro de garde unique est créé, le rôle des associations de patients reconnu.

Lutter contre les inégalités, c'est aussi faire tomber les barrières financières, en généralisant à terme le tiers payant.

Nous avons entendu, ici ou là, des inquiétudes.

Mme Catherine Procaccia.  - Ici ou là ?

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État.  - Il s'agit en général de malentendus ou de contrevérités. Mme Touraine reçoit une à une les organisations pour les lever, tout en gardant le cap. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Inondations (I)

M. Pierre-Yves Collombat .  - À la suite des inondations catastrophiques qui ont frappé le Var, les Pyrénées-Orientales, l'Aude, l'Hérault ou l'Aveyron, vous vous êtes rendu, monsieur le ministre de l'intérieur, à la satisfaction générale, à La Londe-les-Maures le 29 novembre. Notre dispositif de secours est efficace mais on ne peut en dire autant de la prévention et surtout de la gestion de l'après-crise. La procédure de catastrophe naturelle est enclenchée et une réflexion engagée pour moderniser le dispositif de soutien de l'État aux collectivités locales, si j'en crois le compte rendu du Conseil des ministres du 3 décembre. Le Sénat y réfléchit depuis deux ans et a même adopté, il y a un an, des dispositions relatives à la gestion de l'après-crise et à la sensibilisation de la population. À quand leur inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale ? Allons-nous continuer à déplorer ou avancer ? (Applaudissements sur les bancs RDSE et socialistes)

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur .  - Vous connaissez bien la question, monsieur le sénateur... Je me suis en effet rendu à La Londe-les-Maures pour constater les dégâts engendrés par les inondations - un an après la précédente catastrophe. Je propose de fusionner les deux fonds destinés à l'indemnisation des collectivités territoriales et des entreprises - fonds calamités et fonds catastrophe naturelle - et de ne leur appliquer aucun gel, afin d'allouer aux collectivités territoriales, en fin d'exercice, les financements nécessaires à leurs travaux. Deuxième décision : le relèvement du plafond des avances aux collectivités locales, porté de 15 à 25 %, comme vous le proposiez.

Troisième point : après les dégâts, il faut six mois d'enquête administrative avant de pouvoir indemniser. C'est beaucoup trop. Nous entendons simplifier, raccourcir les délais.

Enfin, il faut trouver un bon équilibre entre environnement et urgence en ce qui concerne les travaux sur les cours d'eau. Mme Royal a envoyé une mission d'inspection à ce sujet à La Londe-les-Maures. Sur tous ces sujets, votre contribution aura été déterminante. (Applaudissements sur les bancs socialistes ; M. Alain Bertrand applaudit aussi)

Montée de l'antisémitisme

M. Yannick Vaugrenard .  - Monsieur le ministre de l'intérieur, le 1er décembre à Créteil, un couple se faisait sauvagement agresser et la femme a été violée. Le caractère antisémite de cet acte odieux ne fait pas de doutes. C'est la démocratie, la République qui sont insultées, nos valeurs qui sont bafouées.

Nous vivons une période socialement et économiquement difficile. Il y en eut d'autres. L'histoire ne se répète peut-être pas, mais elle bégaie... Prenons garde dans ce contexte si particulier aux discours populistes qui ciblent des boucs émissaires, y compris quand ils manient l'humour. Le risque de banalisation de propos intolérants nous impose une vigilance de tous les instants, car ces propos peuvent armer les mains de personnes particulièrement fragiles...

Depuis le début de l'année, le nombre d'actes antisémites a bondi de 91 %. Ce mal qui ronge notre pays exige un sursaut collectif autant qu'une prise de conscience individuelle. L'aspect répressif va de soi mais ne suffit pas. Ne faudrait-il pas engager, avec l'éducation nationale et le monde médiatique, une action pour endiguer le fléau de l'intolérance qui mine notre société ? La banalisation de l'horreur, l'indignation à géométrie variable sont inacceptables. Le racisme est un, la lutte contre toutes les formes qu'il prend, indivisible. Rappelons l'inscription qui est à l'entrée d'Oradour-sur-Glane : « L'humanité n'est pas un état à subir mais une dignité à conquérir ».

Le respect dû à chacun, la liberté, l'égalité, la fraternité ne sont pas négociables dans le pays des droits de l'homme. (Applaudissements)

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur .  - Vous avez rappelé avec force que la haine ronge la République de l'intérieur. Je me suis rendu à Créteil dimanche pour participer à la manifestation organisée par la communauté juive : j'y ai vu des hommes et des femmes abattus, dans tous les regards une immense tristesse et une grande inquiétude. L'histoire a déjà parlé de façon monstrueuse avec la déportation de millions de Juifs, hommes, femmes, enfants, personnes âgées. La communauté juive ne comprend pas qu'on puisse ne pas se souvenir.

Une mobilisation générale s'impose, surtout quand on voit ce qui est diffusé dans l'espace numérique. Les digues ont cédé. Les tweets et leurs phrases courtes sont trop souvent mis au service d'idées plus courtes encore.

La délégation interministérielle de lutte contre le racisme et l'antisémitisme, rattachée au Premier ministre, mobilise tous les ministères, au premier rang desquels celui de l'intérieur, qui protège les lieux de culte et porte plainte à chaque acte de haine raciste ou antisémite ; celui de l'éducation nationale qui porte l'ambition de laïcité et de respect des valeurs de la République à l'école ; ceux de la jeunesse et de la ville qui portent un message de tolérance. Oui, il faut une mobilisation totale de toute la société. À Créteil, nous n'étions que 1 500 ; à d'autres époques nous aurions été plus nombreux, les intellectuels se seraient exprimés, les forces sociales se seraient mises en mouvement. Frantz Fanon disait : « Lorsque vous entendez dire du mal des Juifs, tendez l'oreille : on parle de vous ». (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Loi Macron (III)

M. Didier Mandelli .  - Hier, c'était une journée « justice morte » en France. Les six organisations des professionnels du droit avaient appelé à manifester, études et cabinets étaient fermés. La colère monte contre votre projet de loi, monsieur le ministre de l'économie.

Vous voulez libérer l'économie française, soit. Pourquoi agir dans la précipitation, sans concertation ? Le Conseil d'État a émis des réserves sur la liberté d'installation des notaires et huissiers : il y voit une rupture d'égalité devant les charges publiques. Entendez les professionnels du droit. Pourquoi le Premier ministre vous a-t-il confié la réforme des professions juridiques ? Pourquoi ne pas intégrer les articles qui les concernent dans le projet de loi sur la justice du XXIe siècle que nous examinerons au printemps prochain ? En vous donnant le temps du dialogue, vous éviterez la cristallisation des oppositions et les blocages. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique .  - Je respecte et j'entends les professionnels du droit, je les ai reçus avec la garde des sceaux. Je débattais hier soir avec les huissiers. Je suis toujours prêt au dialogue. Je m'étonne cependant que l'on manifeste sur un projet de loi le jour de son dépôt, sans en avoir pris connaissance.

Mme Catherine Procaccia.  - Il a été déposé : tout le monde le connaît !

M. Emmanuel Macron, ministre.  - Des réformes, vous en voulez toujours plus, mais vous vous récriez toujours quand nous en présentons.

M. Jean-Pierre Raffarin.  - Non ! Nous voulons de bonnes réformes !

M. Emmanuel Macron, ministre.  - Sans doute celles que vous n'avez pas faites pendant dix ans ! C'est toujours : « des réformes d'accord, mais pas chez moi ! ». Chez les salariés, oui, mais pas les professions réglementées ! (Exclamations à droite)

Ce projet de loi vise à débloquer la société française partout où c'est possible. Il n'est pas porté par Bercy mais par le Premier ministre et tout le Gouvernement. Il a été préparé avec la garde des sceaux.

Mme Catherine Procaccia.  - Ce n'est pas ce qu'elle écrit dans Le Monde !

M. Emmanuel Macron, ministre.  - Vous défendez des intérêts acquis.

M. Jean-Pierre Raffarin.  - L'emploi !

M. Emmanuel Macron, ministre.  - La liberté d'installation créera de l'activité - des offices notariaux nouveaux seront ouverts -, l'emploi, l'égalité d'accès à l'emploi. (Mouvements divers à droite)

M. Emmanuel Macron, ministre.  - On peut préserver l'égalité, la sécurité juridique et créer de l'activité.

M. Alain Gournac.  - Et vous y croyez ?

M. Emmanuel Macron, ministre.  - L'effort ne vaut que s'il est partagé par tous. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Inondations (II)

M. Alain Marc .  - L'Aveyron a connu, comme d'autres départements du sud, des intempéries d'une violence inouïe. Je salue l'action des pompiers et gendarmes, ainsi que des bénévoles. La ville de Saint-Affrique a subi des inondations jamais vues auparavant. Merci de votre réactivité, monsieur le ministre. Toutefois, dix communes de mon département n'ont pas bénéficié de l'arrêté de catastrophe naturelle en raison de problèmes technocratiques semble-t-il. Elles ont pourtant subi des dégâts très conséquents, qui se chiffrent à plusieurs millions d'euros - 3 ou 4 millions pour le seul conseil général au titre des dégâts sur les routes. Vous avez annoncé une augmentation de la dotation d'équipement aux territoires ruraux (DETR) ; peut-elle être fléchée vers les départements qui ont été touchés par les intempéries, même si ce n'est pas sa vocation première ? (Applaudissements à droite et au centre)

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur .  - Certaines communes de l'Aveyron ont été particulièrement touchées, en effet. L'arrêté de catastrophe naturelle a été pris au plus vite pour que l'indemnisation soit rapide. 23 communes ont été inscrites, il en reste quelques autres, c'est vrai. Il sera procédé à l'examen attentif de leur situation, pour qu'aucune ne reste au bord du chemin.

La DETR augmentera en 2015, vous l'avez dit. Il appartient au préfet de déterminer l'allocation de ces fonds en concertation avec les élus. Cette dotation peut être cumulée avec le fonds calamités et le fonds catastrophes naturelles, dans la limite d'un taux de subvention de 80 %. Cela doit permettre une indemnisation dans de bonnes conditions. À cela s'ajoute une réforme du processus de catastrophe naturelle pour réduire les délais d'instruction, augmenter les avances aux collectivités territoriales et garantir une indemnisation rapide. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Nouveau lanceur spatial

M. Antoine Karam .  - Madame la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, le Conseil ministériel de l'Agence spatiale européenne (ESA) vient de décider le développement d'un nouveau lanceur, Ariane 6. Je salue l'engagement de l'Europe. Mais c'est aussi grâce à la station de Kourou, en Guyane, que nous pouvons nous prévaloir d'avoir le lanceur le plus fiable du monde.

L'agenda stratégique horizon 2020 a restauré l'État stratège. Le succès de Philae a montré que l'Europe est à la pointe dans le domaine spatial.

La Guyane attend davantage d'engagements de l'État, les Guyanais ont besoin d'actes concrets - à quelques kilomètres de Kourou, beaucoup d'entre eux n'ont toujours pas l'eau potable ni l'électricité ; et la moitié des jeunes Guyanais sont sans emploi.

On ne comprendrait pas qu'Ariane 6 soit toujours, comme le disait François Mitterrand, une « fusée lancée sur fond de bidonvilles », et que le déséquilibre territorial entache l'image de la réussite. Quelles sont les retombées à attendre en matière d'emplois et de compétitivité des entreprises guyanaises ? (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche .  - Je félicite les équipes d'Arianespace et du Cnes pour le soixante-troisième succès d'Ariane. (Applaudissements)

Le 2 décembre à Luxembourg a été prise la décision de réaliser un nouveau lanceur, Ariane 6, sans passer par Ariane 5 ME. C'est le fruit d'un engagement sans faille des acteurs publics et privés que nous avons réunis, avec MM. Le Drian et Macron, dans le CoSpace. Le nouveau lanceur modulaire qui servira à la fois pour des vols scientifiques, stratégiques ou commerciaux, nous permettra de rester parmi les leaders mondiaux, dans un environnement très concurrentiel. Après un effort de conviction auprès des Allemands, l'investissement sera de 8 milliards sur dix ans, 4 milliards pour la seule filière et Ariane 6.

Le centre spatial de Kourou est en effet une enclave sur le territoire. 75 % de ses 9 000 emplois sont occupés par des Guyanais ; 30 % à 40 % des appels d'offres bénéficient à des entreprises locales. 600 millions d'euros seront investis directement en Guyane grâce à Ariane 6. Avec l'IUT de Kourou, présidé par le directeur du centre spatial, l'université de Guyane renforce la formation dans cette grande filière d'avenir. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

La séance est suspendue à 15 h 55.

présidence de M. Claude Bérit-Débat, vice-président

La séance reprend à 16 h 15.

Échec en CMP

M. le président.  - J'informe le Sénat que les commissions mixtes paritaires chargées de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 et du projet de loi de finances pour 2015 ne sont pas parvenues à l'adoption d'un texte commun.

Accord en CMP

M. le président.  - J'informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière est parvenue à l'adoption d'un texte commun.

Engagement de la procédure accélérée

M. le président.  - En application de l'article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l'examen du projet de loi pour la croissance et l'activité, déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale.

Risques technologiques

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution relative à un moratoire sur la mise en oeuvre des plans de prévention des risques technologiques issus de la loi n°2003-699 du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages et des lois subséquentes, présentée en application de l'article 34-1 de la Constitution.

Mme Marie-France Beaufils, auteure de la proposition de résolution .  - AZF, Seveso, Bhopal, ces noms sont aussi ceux de drames industriels qui ont traumatisé les salariés et détruit des familles entières. Ils n'ont pas résulté de la fatalité ; ils auraient pu être évités. Les 8 millions de nos concitoyens qui côtoient le risque industriel ne sont aucunement responsables des risques industriels qu'on leur fait encourir.

Je me félicite de l'inscription à l'ordre du jour de cette proposition de résolution. C'est justice pour tous les riverains de sites dangereux. L'information, la prévention, les mesures de sécurité, la réglementation, l'investissement, l'écoute des riverains comme l'information des salariés sont insuffisants. Les sociétés sont guidées par la recherche du profit, et se préoccupent peu des risques environnementaux, sociaux, humains.

L'urbanisation galopante a concentré l'habitat autour des usines. Il était utile de réglementer.

Après une série de rapports et de commissions d'enquête, une loi de prévention des risques naturels et de réparation des dommages a été adoptée à l'été 2003. Aujourd'hui nous sommes encore loin du compte.

La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 garantit le droit de jouir de sa propriété à l'industriel qui ne doit pas porter atteinte à celle d'autrui.

La directive Seveso 3, applicable le 1er juin 2015, rappelle la responsabilité des industriels. L'exploitant doit prendre toute mesure pour limiter les dangers. La Déclaration des droits de l'homme impose encore en cas d'atteinte à la propriété pour cause d'utilité publique le versement d'une juste et préalable indemnité. La loi Bachelot a complété le dispositif en imposant aux collectivités et aux riverains des dépenses pour mettre en sécurité leurs biens. Mais elle n'a pas répondu aux attentes des associations de riverains.

L'objectif de 95 % de plans de prévention des risques technologiques (PPRT) n'est pas atteint, et ne le sera pas. La loi doit être revue. Le moratoire permettrait d'analyser les raisons des difficultés rencontrées et de définir les modifications à apporter. Cette année supplémentaire laisserait le temps de régler les 20 % de situations difficiles.

Les collectivités territoriales ne voient pas pourquoi leur participation financière est nécessaire dès lors que leur responsabilité n'est pas engagée. Le partage un tiers des frais pour les entreprises, deux tiers pour les collectivités et les riverains n'est pas sans évoquer le pâté d'alouette...

Pourquoi laisser la notion de « travaux économiquement acceptables » prendre le pas sur celle de « danger acceptable » ? Si l'industriel est tenu de financer tous les moyens d'alerte, c'est qu'il est seul responsable de ce qui se passe dans ses usines. Faudra-t-il construire des bunkers autour des sites industriels ?

Dans ma ville de Saint-Pierre-des-Corps, les riverains du site de stockage de Primagaz devront renforcer leurs portes et fenêtres pour qu'elles résistent à des pressions de 50 à 140 millibars. Mais, faute de matériaux sur le marché susceptibles de résister à plus de 15 millibars, les travaux nécessaires ne protègeront, en cas d'explosion, ni les personnes ni les biens. Et ceux qui se trouveraient dans le jardin ? Nier ces évidences peut être qualifié de mise en danger de la vie d'autrui...

Les travaux imposés aux habitants devraient être totalement pris en charge par l'industriel ; des pistes de relogement devraient leur être proposées. L'absence d'analyses techniques et économiques des risques renforce le sentiment d'injustice.

La directive Seveso 3 définit le danger sur une base statistique ; c'est celui-ci qu'il faut diminuer à la source - non le risque.

À Saint-Pierre-des-Corps, une rupture de canalisation entraînerait un effet domino ; des bouteilles de gaz seraient projetées sur les habitations. Le danger serait limité si celles-ci étaient stockées au nord-est de l'usine, dans une zone sans maisons riveraines. Mais l'indemnisation coûterait moins cher qu'une restructuration du site...

Partons de la directive Seveso 3 et de sa transposition pour faire évoluer le cadre juridique. Posons également la question du déplacement des activités industrielles.

Le maquis des financements est aussi obscur que celui du droit, depuis la loi Bachelot. Donnons la possibilité aux riverains de faire appel à des experts indépendants pour s'y retrouver.

Le moratoire donnerait le temps d'étudier les pistes de financement. Le plus souvent, l'unique solution proposée, c'est l'expulsion : le riverain paye le prix fort. Dans ma ville, 106 maisons sont concernées et je connais un couple d'octogénaires qui risque d'être exproprié du logement qu'il occupe depuis des décennies. Ce drame humain est aussi un drame social : l'indemnité ne lui permettrait pas de trouver un logement dans l'agglomération tourangelle.

La loi Bachelot est injuste, qui fait financer des travaux aux habitants qui ne sont pas responsables alors qu'il s'agit de grosses sociétés qui peuvent supporter les coûts d'une limitation des risques.

Il est temps que les riverains soient entendus. Ils comptent sur les parlementaires pour que les entreprises prennent les mesures adéquates pour leur protection et celle de l'environnement.

Les innombrables circulaires et règlements montrent que la quantité de droit ne suffit pas à faire appliquer la loi.

Les quelques rustines posées à la hâte ne suffisent pas ; il faut mettre entre parenthèses l'application de la loi Bachelot.

Réduire les dangers à la source, c'est réduire les dangers pour les habitants. C'est utile pour la croissance, l'emploi, l'économie.

L'investissement dans la sécurité des usines relève des entreprises, au service de l'intérêt général. Il est temps de réfléchir à produire autrement pour respecter les hommes et l'environnement. Trop de nos concitoyens vivent dans l'inquiétude.

La révision des PPRT est une véritable épée de Damoclès. La recherche et l'innovation doivent être utiles socialement, économiquement et écologiquement, et pas seulement guidées par la quête du profit. (Applaudissements sur les bancs CRC ; M. Pierre-Yves Collombat applaudit aussi)

Mme Annick Billon .  - La gestion et la prévention des risques industriels et technologiques se sont brutalement imposées à nous avec l'accident de l'usine AZF en 2001.

La loi Bachelot de 2003 a amélioré la prévention des risques et l'indemnisation des victimes.

Le législateur a souhaité responsabiliser tous les acteurs, sachant que le risque zéro n'existait pas. Parmi les mesures phares de la loi Bachelot, l'obligation de réaliser des PPRT.

Ceux-ci doivent trouver un équilibre entre protection de l'emploi, des habitants et de l'environnement.

La proposition de résolution est excessive. Le groupe CRC estime qu'il faut revoir la législation, redéfinir les modes de financement et substituer la notion de danger à la source à celle de risque. Mais un moratoire serait nuisible aux riverains, aux industriels, aux collectivités territoriales comme à la sécurité en général. L'insécurité juridique serait grande.

Une adaptation de la loi de 2003 est nécessaire, mais dans le cadre d'une réflexion plus large.

Une circulaire du 25 juillet 2013 fixe les modalités d'élaboration des PPRT et les règles applicables aux grandes plates-formes industrielles. Un amendement au projet de loi de simplification adapte ces PPRT aux activités économiques. Les entreprises riveraines des sites à risque pourront mettre en oeuvre des mesures alternatives à l'expropriation et au délaissement. Les obligations de travaux des entreprises riveraines pourront être assouplies. Ces adaptations, qui ont permis d'approuver 300 PPRT sur les 407 à réaliser, vont dans le bon sens. Plutôt qu'un moratoire, je propose que le Sénat se saisisse du sujet sous forme d'un rapport de contrôle et formule des propositions.

Le groupe UDI-UC votera contre cette proposition de résolution.

Mme Élisabeth Lamure .  - En septembre 2001, l'explosion de l'usine AZF a fait prendre conscience à la France des risques industriels majeurs présents sur son territoire. Récemment un dégagement accidentel à l'usine Lubrizol près de Rouen, dont l'odeur s'est sentie jusqu'à Paris, a provoqué la panique. Depuis douze ans, les plans, les décrets et circulaires se sont multipliés, une culture de la prévention et du risque s'est développée.

La directive Seveso distingue deux types d'établissements : à seuil haut et à seuil bas. L'étude de danger constitue la clé de voûte du dispositif, pour prévoir l'organisation des secours avec les collectivités.

Les industriels doivent également travailler de concert. En France et en Europe, les politiques de gestion des risques industriels se construisent d'accident en accident...

L'usine AZF, classée Seveso 2, a été totalement détruite, dépolluée et un cancéropole s'y est installé. La loi Bachelot a fixé un nouveau cadre méthodologique : les PPRT délimitent un cadre destiné à prévenir les risques d'accident industriel et de pollution. Après une phase d'évaluation des risques à la source, la notion de dangers semble privilégiée.

Des mesures foncières peuvent être prises par les communes et les EPCI. Un plan ministériel vise à limiter la vulnérabilité des zones industrielles. 407 PPRT avaient été validés en 2008 ; en 2013, un tiers d'entre eux seulement ont été mis en place. Après l'incident Lubrizol, le 11 avril 2013, un nouveau plan d'action a été mis en oeuvre, avec pour objectif de réaliser 75 % des PPRT, fin 2013, et 95 % fin 2014.

Mais les études préalables sont trop complexes à mener, malgré l'investissement des industriels pour réduire les risques. Les collectivités territoriales de taille modeste n'ont pas toujours les compétences pour accompagner les entreprises.

Un amendement au projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine du développement durable (DDADUE) a porté à 90 % la prise en charge des travaux de rénovation imposés aux riverains : 40 % pour l'État, 25 % pour les industriels comme pour les collectivités territoriales. Nous pourrions également mobiliser le 1 % logement, le PTZ, etc.

Il faut éviter que les règles d'élaboration des PPRT ne limitent l'activité économique. Peu avant son limogeage, Delphine Batho a signé le 25 juin une circulaire précisant la doctrine du ministère, qui peine à se traduire concrètement sur le terrain. La mise en place des PPRT est complexe et nécessite un travail de concertation.

Le risque zéro n'existe pas, sauf à vivre dans un environnement confiné et à refuser tout développement. Les PPRT sont indispensables ; ils permettent aux industriels de poursuivre leur activité, de protéger les riverains et de réduire le risque à la source.

Le groupe UMP votera contre cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les bancs UMP)

Mme Nelly Tocqueville .  - Les nombreux drames industriels qu'a connus le monde depuis l'accident de Bhopal ont coûté la vie à des milliers de personnes. La catastrophe d'AZF a conduit en France à la création des PPRT par la loi Bachelot. Ces plans sont un outil de maîtrise des risques, en délimitant des périmètres d'exposition au risque, et en protégeant les riverains.

311 PPRT ont été approuvés. Dans ma région, sur les 14 prévus, tous ont été prescrits, et 6 ont été approuvés. Les concertations sont parfois insuffisantes ; l'instruction des dossiers est très longue. Bref, la mise en oeuvre des PPRT est difficile, il y a un manque d'accompagnement des élus.

La paupérisation des zones concernées est à craindre du fait de la délocalisation des entreprises; d'autant que les riverains, bien que non responsables, sont souvent conduits à réaliser eux-mêmes des travaux coûteux.

Des mesures foncières, des travaux, des restrictions d'accès peuvent être imposées dans le cadre des PPRT. Le financement des travaux de protection des habitations doit être tripartite, au bénéfice des riverains, alors qu'avant ils en supportaient seuls la charge. En Seine-Maritime, les riverains approuvent le partage en deux parts égales de la ventilation des collectivités territoriales et des industriels.

Le plan Batho a été engagé à la suite de l'accident de l'usine Lubrizol Les dispositifs qu'il prévoit faisaient cruellement défaut. Il s'inscrit dans une stratégie partenariale, et de mutualisation des ressources.

Autre évolution positive : celle de la circulaire du 25 juin 2013, qui permet au préfet de réserver un traitement spécifique aux entreprises qui ont une culture du risque technologique.

La loi DDADUE va également dans le bon sens : droit de délaissement pour les habitants, financement tripartite pour les démolitions et les travaux, simplification de la procédure d'enquête publique.

Les riverains pourront bénéficier des aides de l'Anah. Le Sénat a adopté récemment un amendement du Gouvernement à la loi de simplification de la vie des entreprises, qui autorise le Gouvernement à prendre par ordonnances les mesures d'assouplissement des PPRT ; le groupe CRC l'avait voté.

Il serait malvenu d'occulter les évolutions qui sont intervenues dans la confection des PPRT. Un moratoire ne se justifie pas. Il nuirait même aux communes, aux riverains et aux industriels. Réfléchissons plutôt à la cohabitation entre entreprises à risque et habitants, et accompagnons-les sur le terrain.

M. Joël Labbé .  - Nos collègues du groupe CRC ont inscrit cette proposition de résolution à l'ordre du jour : je les en remercie. Je me suis renseigné sur le site de la préfecture du Morbihan. Dans ma commune, nous ne sommes concernés que par le transport de matières dangereuses sur la ligne Paris-Quimper qui traverse son territoire de part en part.

Pour le département, les risques majeurs sont liés au transport de matières dangereuses, aux fuites industrielles, à la présence de dépôts de carburants, de gaz, de produits phyto... Les situations dangereuses sont en effet nombreuses.

Approuver et appliquer les PPRT sont deux choses différentes. La concertation laisse souvent à désirer. C'est pourtant un préalable indispensable. Le Gouvernement appelle à plus de transparence, à une meilleure association des citoyens et au raccourcissement des délais : nous le rejoignons.

L'enquête publique n'est plus l'outil de démocratie locale adapté. Dépassons cet horizon.

Le financement tripartite réduit au tiers la part du principal responsable, à savoir l'entreprise, au détriment des intérêts financiers de l'État et des collectivités territoriales. Il faut reconnaître la responsabilité de l'État et des collectivités territoriales lorsqu'il y a lieu.

Les riverains supportent malheureusement des frais de mise en conformité alors qu'ils ne sont pas responsables.

Le PPRT, prescrit sur un périmètre déterminé, prévoit des mesures foncières, des travaux, des restrictions sur l'urbanisme futur, des obligations d'information.

Les écologistes soutiennent le processus d'élaboration des plans, ainsi que la démarche du groupe CRC. Les riverains ne doivent pas payer seuls. Mais mieux qu'un moratoire, poursuivons l'amélioration du droit. Nous nous abstiendrons.

Mme Évelyne Didier .  - Le groupe CRC a déposé cette proposition de résolution afin de demander un moratoire des PPRT. Plus de dix ans après son adoption, la loi Bachelot n'a pas eu l'effet escompté : en 2013, la moitié seulement des PPRT avaient été approuvés. Au 1er août 2014, 75 % des plans ont été approuvés. C'est mieux, mais il reste beaucoup à faire. Et les crédits budgétaires accordés à la prévention des risques diminuent...

Outre les manoeuvres dilatoires de certains industriels, les élus locaux, les riverains, les associations ont alerté les autorités sur les problèmes posés par les PPRT. La réalisation par l'exploitant d'une étude de danger est une étape indispensable imposée par la législation. La notion de « coût économiquement acceptable » limite la réduction du danger à la source alors qu'en cas d'accident, les coûts sont bien plus importants. La logique économique ne tient pas. À la définition du principe de précaution donnée à Rio, la loi du 2 février 1995 a ajouté les notions de réaction « proportionnée » visant à prévenir un risque, à « un coût économiquement acceptable ». C'était oublier que la Constitution incorpore désormais la Charte de l'environnement, dont l'article 5 énonce que l'incertitude du risque n'empêche pas le principe de précaution de s'appliquer. Le droit européen va dans le même sens. La notion d'« économiquement acceptable » n'y figure pas. La directive fait obligation aux exploitants de prendre toutes les mesures qui s'imposent pour prévenir les accidents majeurs et en limiter les conséquences. Le seul objectif est d'assurer un niveau de protection élevé ; aucune mention de l'« économiquement acceptable », qui protège les industriels au détriment de la société.

Venant d'un département qui souffre encore des conséquences de l'exploitation minière, je sais combien les populations sont touchées. Vous le savez aussi, monsieur le ministre !

D'où cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Pierre-Yves Collombat .  - Il semble plutôt contradictoire de militer pour la protection des populations et en même temps de demander un moratoire sur les PPRT. Mais ceux-ci atteignent-ils leurs objectifs ? La conception et la mise en oeuvre de ces plans posent les mêmes problèmes que celles des plans de prévention des inondations ou des risques naturels : mise en place laborieuse, plans de financement complexes, voire hasardeux, relevant uniquement de l'administration. C'est l'exploitant lui-même qui est chargé de l'étude de danger ! Cela pose la question de l'obsolescence de la capacité de l'État dans ses missions d'expertise...

C'est une fois que la messe est dite que débute la concertation. D'où un étrange échange de risques contre des droits à construire... La procédure patine et s'éternise. Il faudrait que les collectivités territoriales et leurs experts soient associés à la définition des risques. L'accord peut plus facilement se faire sur des éléments objectifs. L'administration refuse pourtant cette démarche : seuls les savants et la bureaucratie céleste sont habilités à dire ce qu'ils convient de dire et de penser. J'en ai fait l'expérience avec ma proposition de loi qui n'a été adoptée qu'après avoir été expurgée et qui est encore en attente d'inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.

En matière de financement, la taxe instaurée par la loi Mapam est bienvenue. Il faut changer la façon de poser la question du risque, élargir le sujet à l'aménagement du territoire. Les questions posées par les auteurs de la proposition de résolution sont pertinentes mais je ne suis pas convaincu qu'un moratoire soit de bonne méthode, c'est pourquoi mon groupe s'abstiendra.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget .  - Veuillez excuser Mme Royal, qui est à la conférence de Lima. La sécurité des sites industriels français est un impératif ; l'accident de Toulouse en 2001 et, plus près de nous, l'incendie d'une raffinerie au Venezuela et l'explosion meurtrière d'une usine de fabrication d'engrais au Texas nous le rappellent. La bonne maîtrise des risques industriels est un facteur de compétitivité pour les entreprises. Le Gouvernement est mobilisé afin d'assurer le meilleur niveau de sécurité aux populations et d'accompagner les industriels.

Les PPRT sont des outils efficaces pour intégrer les sites industriels dans leur environnement. Ils ont été instaurés après l'accident d'AZF. Les responsabilités étaient partagées, la loi fait porter la charge des actions à mener de manière équilibrée - seul, et encore, un arrêt de toute activité industrielle nous rapprocherait du risque zéro, le danger est inhérent à toute activité. Le classement Seveso prévoit toute une palette de mesures, de l'expropriation aux travaux, ou à la restriction de l'urbanisation future autour des sites.

D'ores et déjà, 313 des 407 PPRT ont été approuvés ; les autres sont en bonne voie, la très grande majorité devraient être approuvés fin 2015. Le dispositif est maintenant largement applicable. Pour autant, votre proposition de résolution pose des questions légitimes.

Obligation est faite aux industriels de réduire les risques à la source grâce aux mesures techniques disponibles « à un coût économiquement acceptable ». Je ne partage pas votre analyse de cette notion, madame Didier. Ce principe découle de principes constitutionnels, au même titre que le principe de précaution. Le principe de prévention figure ainsi à l'article L. 110-1 du code de l'environnement.

L'appréciation du caractère « économiquement acceptable » des mesures à prendre n'est pas laissée à l'industriel mais soumise à l'État, dont l'avis s'impose à l'industriel. Ce sont ainsi 2 000 études de danger qui ont été instruites, les investissements des industriels pour réduire le risque ont atteint de 200 à 300 millions d'euros par an les premières années. Des mesures foncières ne sont prises que si toutes les solutions relevant de la responsabilité des industriels ont été épuisées. Le déplacement de sites est possible si cela est moins coûteux que les mesures foncières.

La loi de 2003 prévoit les modalités de financement. Pour les mesures foncières ou de réduction du risque à la source - les plus coûteuses, autour d'un milliard d'euros - il s'agit d'un financement tripartite. Pour les constructions dans le voisinage, les particuliers peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt et d'aides des collectivités territoriales et des industriels, à hauteur de 90 % dans la limite de 20 000 euros. Cela me paraît équilibré.

Le cas particulier des entreprises riveraines des sites à risque pose des difficultés, c'est vrai. Le Gouvernement pourra légiférer par ordonnances grâce à l'amendement au projet de loi de simplification de la vie des entreprises, actuellement en cours de navette. Cela offrira plus de souplesse.

L'accompagnement de la mise en oeuvre des PPRT est un enjeu fondamental, vous l'avez dit. Le Gouvernement s'emploie à organiser une mise en oeuvre structurée des PPRT en particulier pour ce qui est des travaux nécessaires dans plus de 30 000 logements. Le Gouvernement expérimente également un dispositif d'accompagnement collectif des riverains, en lien avec l'Anah.

Enfin, le ministère de l'écologie mettra en place un accompagnement des collectivités locales concernées dès 2015.

En conclusion, le Gouvernement n'est pas favorable à cette proposition de résolution. Après des débuts laborieux, le dispositif est désormais applicable ; le remettre en cause retarderait la mise en sécurité des riverains et pourrait nuire à l'activité économique du pays.

À la demande du groupe UMP, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici le résultat du scrutin n° 74 :

Nombre de votants 338
Nombre de suffrages exprimés 326
Pour l'adoption   18
Contre 308

Le Sénat n'a pas adopté.

La séance est suspendue à 17 h 45.

présidence de M. Claude Bérit-Débat, vice-président

La séance reprend à 21 h 30.

Décision de l'Assemblée nationale sur un engagement de la procédure accélérée

M. le président.  - M. le président de l'Assemblée nationale a informé M. le président du Sénat que la Conférence des présidents de l'Assemblée nationale, réunie ce jour, a décidé de ne pas s'opposer à l'engagement de la procédure accélérée sur le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République.

Décisions du Conseil constitutionnel

M. le président.  - Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du 11 décembre, le texte de deux décisions du Conseil constitutionnel qui concernent la conformité à la Constitution de la loi relative à la désignation des conseillers prud'hommes et de la résolution modifiant le Règlement de l'Assemblée nationale.

Loi de finances rectificative pour 2014

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2014, adopté par l'Assemblée nationale.

Rappel au Règlement

M. Vincent Delahaye .  - Mon rappel au Règlement est fondé sur l'article 29 ter. La Conférence des présidents a limité à une heure trente la discussion générale sur ce projet de loi de finances rectificative, examiné hier matin en commission. Délai très court... On veut aller vite - les vacances sont proches - mais je trouve dommage qu'on passe autant de temps sur le budget et aussi peu sur le projet de loi de finances rectificative. Je tenais à protester contre cette réduction du temps et du délai qui nous est donné pour examiner ce texte si important.

M. le président.  - Acte vous est donné de votre rappel au Règlement.

Discussion générale

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget .  - Ce collectif de fin d'année est un exercice obligé et utile, qui mesure les décalages entre les objectifs fixés en loi de finances initiale et les ajustements de fin de gestion. Il permet de vérifier si les engagements pris en matière de norme de dépenses sont tenus. Il a enfin vocation à accueillir des mesures fiscales et budgétaires, souvent techniques, qui peuvent être significatives, comme cette année en matière de lutte contre la fraude - j'y reviendrai.

Ce projet de loi comporte un ensemble de mouvements de crédits, destinés à financer nos priorités, tout en assurant le respect des objectifs fixés par la loi de finances initiale de 2014, depuis modifiée par le collectif de juillet. En définitive, les dépenses sous norme ont baissé de 1,6 milliard par rapport à la loi de finances initiale, et de 3,1 milliards par rapport à l'exécution en 2013. Elles atteignent, hors charge de la dette et pensions, 276,9 milliards d'euros.

Nous anticipons certaines insuffisances de crédit. L'existence de tels dépassements est habituelle en fin d'année. Tous les collectifs de fin d'année ont vocation à gager ces écarts, pour cette fin d'année à hauteur de 2,2 milliards d'euros, décret d'avance compris. Cela s'explique d'abord par les Opex, pour 605 millions d'euros - la provision prévue en loi de finances initiale était de 450 millions d'euros. Les dépassements sont courants sur les Opex. Il faut y ajouter, au bénéfice du ministère de la défense, 250 millions d'euros de redéploiements de crédits du PIA. Comme le projet de loi de finances 2015, ce projet de loi de finances rectificative respecte la loi de programmation militaire.

La masse salariale hors Opex nécessite une ouverture de 540 millions d'euros concentrés par deux ministères, l'éducation nationale et la défense, les autres étant en situation de gager les dépassements.

Le dynamisme des interventions sociales, en période de crise, justifie une ouverture de 656 millions d'euros de crédits.

Enfin, le quatrième facteur de dépassement tient aux refus d'apurement communautaire au titre de la PAC, pour 352 millions d'euros.

En contrepartie, les annulations de crédits reposent sur deux principes : l'auto-assurance, pour chaque ministère ; la solidarité qui met à contribution tous les ministères. Nous constatons une économie de 1,6 milliard d'euros sur la charge de la dette, affectée bien entendu à la réduction du déficit budgétaire, pratique vertueuse mais rarement suivie à d'autres époques...

Ce projet de loi de finances rectificative actualise aussi les prévisions de recettes fiscales. Les modifications sont marginales par rapport au projet de loi de finances 2015. Les recouvrements du STDR sont revus ; le sont aussi à la hausse, pour 500 millions, les remboursements et dégrèvements d'impôt sur les sociétés. Les recettes fiscales nettes sont ainsi fixées à 272,9 milliards, en baisse de 303 millions par rapport au projet de loi de finances 2015.

Par rapport à la prévision du collectif de juillet, la moins-value est de 6,1 milliards d'euros. La prévision d'impôt sur le revenu net en loi de finances initiale s'élevait à 74,4 milliards d'euros, elle est revue à 68,3 milliards d'euros, pour trois raisons : l'exécution 2013 a été inférieure de 1,8 milliard à la prévision, entièrement reprise en base en 2014 ; le coût des mesures nouvelles, dont la réduction d'impôt exceptionnelle votée en juillet s'établit à un milliard d'euros ; nous anticipons enfin une importante moins-value sur les revenus des capitaux mobiliers, les plus-values mobilières, les BIC et les BNC. Les chiffres devront être ajustés en fonction des résultats définitifs.

Quant à la TVA, on note une moins-value d'1,7 milliard d'euros, ses recettes s'établissant à 137,8 milliards contre 139,5 milliards en loi de finances initiale, due à la conjoncture économique, faible inflation et chute de la construction immobilière.

L'impôt sur les sociétés est désormais prévu à 34,9 milliards d'euros, la réduction de 3,3 % du bénéfice fiscal est due en grande partie à la chute de celui des sociétés financières.

Au total, après le vote de l'Assemblée nationale, la prévision du déficit public est inchangée à 4,4 % du PIB. Le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) n'en a pas contesté le réalisme.

En matière fiscale, nous donnons de nouveaux moyens à l'administration pour combattre la fraude à la TVA. Pour le logement, de nouvelles mesures tentent de combattre la pénurie de logements dans les zones tendues avec l'augmentation de la taxe d'habitation sur les résidences secondaires, pour l'ancien, et une incitation à la mise sur le marché des terrains constructibles pour le neuf.

Ce projet de loi de finances rectificative constitue une première étape de la réforme de l'aide aux travailleurs modestes, avec la disparition de la prime pour l'emploi (PPE) au 1er janvier 2016. En 2015, les contribuables percevront la PPE suite aux droits ouverts en 2014. La PPE ne donne guère satisfaction, non plus que le RSA-activité. Le Gouvernement propose d'y substituer un dispositif nouveau. Il n'y aura donc aucune rupture dans le bénéfice du dispositif. Cette réforme incitera davantage à l'activité, en redistribuant du pouvoir d'achat aux travailleurs les plus modestes au mois le mois et non, comme pour la PPE, l'année suivante. Ce dispositif sera ouvert aux actifs dont la rémunération est voisine du Smic. Il comportera une part liée à l'activité et une part familialisée. Les jeunes travailleurs de moins de 25 ans y seront éligibles. Les prestations seront servies par les CAF. Cette réforme se fera par redéploiement des moyens actuellement consacrés au RSA et à la PPE, pour environ 4 milliards d'euros.

Telles sont les grandes lignes de ce projet de loi de finances rectificative, cohérent et équilibré. (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE)

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur de la commission des finances .  - Ce projet de loi de finances rectificative est un exercice traditionnel. Nous n'avons pas eu le temps d'expertiser de façon satisfaisante les très nombreuses dispositions fiscales qu'il contient. Des amendements du Gouvernement ont été déposés, soit par lui-même, soit par des députés de la majorité, qui procèdent à des réformes fiscales importantes, sur les casinos ou le tabac, par exemple. Cette pratique n'est pas nouvelle mais a pris une ampleur sans précédent. Elle nuit au travail parlementaire et à la sérénité de nos débats. Surtout, elle peut déstabiliser les acteurs économiques, alors que certaines de ces dispositions sont applicables au 1er janvier 2015, dans deux semaines... Ainsi, le secteur de la grande distribution découvre une surtaxe de 200 millions d'euros qui répond à une logique de pur rendement et dont l'impact n'est pas mesuré. Je pense aussi à la réforme de la taxation des services de télévision payante en complément d'une offre triple play.

Ce projet de loi de finances rectificative remet de nouveau en cause les engagements du Gouvernement en matière de fiscalité, ce qui dégrade la crédibilité de la parole publique. D'où les amendements de suppression de la commission des finances.

L'avis de la Commission européenne sur le budget de la France n'est pas sans lien avec certaines dispositions purement comptables de ce projet de loi de finances rectificative. Cela ne sera pas suffisant. Nous partageons l'impatience de la Commission de voir mener des réformes structurelles. Le Parlement n'a pas été informé des négociations avec Bruxelles qui ont conduit au chiffre de 3,6 milliards...

Vous justifiez l'absence de redressement des comptes publics par la faiblesse de la croissance et de l'inflation. Nous ne nions pas ces éléments mais l'échec de la politique économique du Gouvernement y est aussi pour quelque chose.

M. Daniel Raoul.  - Ben voyons !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur.  - La question est moins celle du rythme de l'ajustement que sa crédibilité et sa pérennité. La Commission européenne dit que la France a accompli des progrès limités et appelle à des réformes, notamment celle du marché du travail, et à la simplification de notre système fiscal. Et d'ajouter un risque de non-conformité avec le pacte de stabilité... Elle réexaminera la situation début mars 2015. M. Moscovici souhaite que ce temps ne soit pas perdu. Demain, le Premier ministre présentera le calendrier des réformes pour les deux années à venir. Peut-être en saurons-nous davantage... Monsieur le ministre, pouvez-vous nous préciser les thèmes de travail de l'administration ?

Ce texte permet un aperçu de l'exécution de la loi de finances de l'année. Il illustre un dérapage des dépenses de l'État de 4,3 milliards de plus que prévu en loi de finances rectificative du 8 août 2014. Les dépenses sont certes tenues mais les arbitrages de fin de gestion illustrent les difficultés à contenir leur dynamisme en l'absence de réformes. Une nouvelle baisse des recettes fiscales de 10 milliards est entérinée.

Le décret d'avance est un outil traditionnel de fin de gestion. Les mouvements sont plus importants que par le passé et correspondent principalement aux rémunérations et à des dépenses dites de guichet. La masse salariale hors Opex nécessite une ouverture de crédits de 540 millions d'euros. À effectif constant, elle ne peut être contenue. Ce constat plaide en faveur des mesures que nous avons adoptées, et que vous avez refusées, en première lecture du projet de loi de finances : baisse des effectifs, jours de carence, ralentissement de l'avancement des fonctionnaires.

Le Gouvernement arrive à maintenir les dépenses de l'État, mais subit le dynamisme de certaines dépenses qui devraient être limitées au profit des investissements.

De nouveaux modes de consommation, sur Internet notamment, échappent à l'impôt ; les marges de progrès sont importantes. Je pense aussi à la fuite des cerveaux. La conjoncture peut être évoquée, bien sûr, mais aussi une fiscalité excessive, qui encourage les comportements d'évitement et désincite à produire des richesses. Nous en tirons des leçons : n'attendons pas le retour de la croissance et interrogeons-nous davantage sur les assiettes fiscales que sur les taux d'imposition.

Nous ne pouvons nous réjouir de ces déconvenues. Nous ne considérons pas que la réponse faite aux exigences de la Commission européenne est adaptée à la hauteur des enjeux. La commission des finances a proposé d'adopter ce projet de loi de finances rectificative, assorti des amendements qu'elle propose. (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances .  - Les objectifs des collectifs budgétaires de fin d'année évoluent en fonction de la crise, mais aussi d'une tendance à en faire la troisième partie de la loi de finances. Celle-ci ne peut se comprendre qu'avec celui-là.

Le commissaire européen chargé des affaires économiques doit publier ces jours-ci un rapport d'évaluation des nouvelles règles de gouvernance budgétaire ; il pourrait avoir un impact sur les décisions des États membres.

Cette année, sur les 2,9 milliards d'euros d'ouvertures de crédits, 1,3 milliard sont inscrits dans un décret d'avance. La commission des finances a publié son avis sous forme de rapport d'information du rapporteur général, le 24 novembre, compte tenu de l'importance de la somme.

Le projet de loi de finances rectificative est traditionnellement le réceptacle d'une foule de mesures fiscales ; est-il raisonnable de conserver cette vocation aux lois de finances rectificatives ? Le gonflement du texte à l'Assemblée nationale - 77 articles de plus - ne nous préoccuperait pas si notre calendrier n'était pas si contraint. Il ne faut pas empêcher un examen sérieux de ces dispositions. Paradoxalement, nous étudions dans de meilleures conditions les dispositions fiscales des projets de loi de transition énergétique et sur l'activité économique.

Les moins-values de recettes de l'ordre de 10 milliards, sont partiellement compensées par 5 milliards de dépenses en moins ; c'est un effort remarquable, qui, à lui seul, assure la crédibilité de notre politique budgétaire, dont la confiance des investisseurs reste le meilleur indicateur.

Faut-il reprocher au Gouvernement de ralentir le rythme de réduction des déficits ? Les discussions européennes ne sont pas faciles. La majorité sénatoriale est hélas silencieuse sur le sujet. (Exclamations au centre) Je considère que la France, qui représente 20 % du PIB de la zone euro, rend service à l'ensemble de la zone en refusant des mesures trop récessives. Car la zone euro inquiète, tant le FMI que l'OCDE ou la Commission européenne elle-même, qu'il s'agisse de la croissance, moins forte que dans les pays avancés, ou de l'inflation, plus faible. Il ne faut donc pas s'étonner de l'appel à relancer la croissance en Europe, ni que les chefs d'État et de gouvernement du G20 aient réclamé des mesures énergiques.

La politique monétaire est un levier. Pour autant, M. Draghi a appelé en août dernier à ce que la politique budgétaire l'accompagne. Cela plaide en faveur d'un certain ralentissement de l'effort de redressement des comptes publics. Le FMI lui-même a souligné que la politique budgétaire de la zone euro ne devait pas être rendu plus stricte si la croissance ne s'améliore pas.

L'ajustement structurel, bien que réduit, reflète un effort budgétaire important, qui ne pouvait être difficilement accru. Ajouter l'austérité à l'apathie de l'activité serait coupable, à l'égard des Français, mais aussi de nos partenaires européens. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Vincent Delahaye .  - Il est vrai que nous avons l'impression d'examiner ce projet de loi de finances rectificative au pas de course... En commission hier matin, en séance publique aujourd'hui et demain. Je souhaite que l'on change de méthode, en passant peut-être moins de temps sur le budget, un peu virtuel, au profit d'un texte plus réel. Je préconise aussi plus de temps sur la loi de règlement, avec une audition de chaque ministre sur l'exécution de chaque mission.

Le projet de loi de finances rectificative est significatif de nos problèmes budgétaires. Le premier, c'est l'optimisme permanent sur la croissance. Vous nous avez dit à l'automne 2013 : 1 %, c'est réaliste ; en juillet 0,7 %, ce l'était toujours. Nous aurons 0,4 %... Relisez nos interventions et mes appels à la prudence, même si je ne suis pas devin.

Ce budget témoigne aussi du dérapage de nos finances publiques. Avec un déficit de 88 milliards, soit 30 % de nos recettes fiscales, nous vivons à crédit depuis la mi-septembre, aux frais des générations futures. Il faut redresser nos finances publiques. Le déficit de 2014 est de 13 milliards d'euros au moins supérieur à celui de 2013. Ce n'est donc pas un redressement. J'aimerais, monsieur le ministre, des précisions sur certains éléments d'explication que vous venez de nous apporter, comme sur les moins-values de recettes.

Ce projet de loi de finances rectificative est une preuve supplémentaire du bricolage budgétaire. Avec 77 articles additionnels sur un texte initial de 35, dont la moitié en provenance du Gouvernement, on a un sentiment d'improvisation. Pourquoi supprime-t-on d'un coup la PPE, votée en deux jours, sans étude d'impact ni simulation ? L'évaluation du dispositif est une gageure. Qui en est capable ici ? Je ne m'engagerai pas.

Les dépenses publiques sont augmentées de 16 milliards d'euros en 2014 et le budget de l'État de 2 milliards d'euros, malgré une ponction sur les collectivités territoriales d'1,5 milliard. Ce n'est plus de la maîtrise qu'il nous faut, monsieur le ministre, mais des économies. Si la dépense publique était bonne pour l'économie, nous serions champions du monde de la croissance. (Exclamations sur les bancs CRC) La seule bonne dépense, c'est celle d'investissement et l'État n'investit plus, seules les collectivités territoriales le font encore. Il y a des réformes structurelles à entamer, monsieur le ministre, et vite. Sinon, les bonnes nouvelles que sont la baisse des prix du pétrole et du cours de l'euro, le taux d'épargne élevé des Français, nous n'en profiterons pas. Les amendements adoptés sur ce projet de loi de finances rectificative détermineront notre vote. (Applaudissements au centre et à droite)

M. André Gattolin .  - Les interventions se succèdent et se ressemblent... Les gouvernements successifs ont pris l'habitude de faire du projet de loi de finances rectificative une voiture-balai fiscale. Le comble du raffinement est atteint quand des réformes fiscales profondes y sont introduites par amendement, ce qui exonère le Gouvernement d'une étude d'impact et de l'avis du Conseil d'État. Le projet de loi de finances rectificative a été examiné hier en commission, les amendements déposés aujourd'hui... Nous ne pourrons les étudier que cette nuit... Or le nombre d'articles a triplé à l'Assemblée nationale. Le Gouvernement a fait porter nombre d'entre eux par certains députés. Agir ainsi, monsieur le ministre, ne permet pas au Parlement de travailler comme il le devrait. Il y a de quoi encore éroder la confiance des Français dans nos institutions. J'en conçois, monsieur le ministre, un grand dépit...

Notre économie s'atrophie, comme le montrent les pertes de recettes de près de 11 milliards d'euros. Les dépenses publiques sont entaillées, avec d'inévitables coupes récessives. Le budget de l'écologie est malmené cette année comme il l'a été l'an dernier : il a perdu 1,65 milliard d'euros depuis 2012 et vu disparaitre 1 641 emplois. Les crédits du PIA ont été rabotés deux fois cette année, 220 millions d'euros transférés vers la recherche nucléaire lors du projet de loi de finances rectificative de l'été, 146 millions aujourd'hui vers le CEA et les industries de nanotechnologie. Quand on vole un portefeuille, on entend crier : où est la police ? Je demande : où est l'Ademe ? Où est la ministre de l'écologie ? Ne peut-on donc jamais investir dans l'écologie ?

La TVA est l'objet de fraudes massives, pour 10 milliards d'euros selon Bercy. Elle est parfois encaissée et non restituée, ce qui est particulièrement choquant. Lorsqu'on voit qu'une bonne part des effectifs des services fiscaux est mobilisée pour le CICE, on se dit qu'on pourrait faire plus pour lutter contre la fraude.

Un mot de la non-déductibilité de la contribution des banques au fonds de résolution unique européen, que vous refusiez... Je constate que mes préoccupations sont désormais prises en compte. Mais pourquoi avez-vous fait le choix d'éteindre progressivement la taxe systémique nationale à compter de 2019 ? Le FRU ne sera totalement abondé qu'en 2023... Espérons qu'une nouvelle crise ne frappera pas entre-temps le monde bancaire ou assurantiel.

Nous n'avons pu, à cette heure, prendre connaissance des quelque 240 amendements déposés sur ce texte. Nous attendons l'issue de la discussion pour déterminer notre vote. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Marie-France Beaufils .  - La loi de finances initiale se plaçait résolument dans la trajectoire de réduction de la dépense publique. Le déploiement du CICE a été de pair avec le nouvel accroissement des taxes sur la consommation. Échec, car 2,9 milliards d'euros de recettes de TVA manquent à l'appel. C'est la conséquence d'une croissance atone, qui pose le problème de l'efficacité de certains engagements de l'État, notamment du CICE. Les chiffres sont accablants, le nombre de chômeurs a progressé de 328 000 inscrits depuis la création du CICE. Il y a loin de l'engagement à la réalité.

Il est facile d'accuser le Gouvernement de tous les maux. Certains le font néanmoins, oubliant leurs piètres résultats passés. Les promesses de Pierre Gattaz - qui sont nombreuses - n'engagent que ceux qui les écoutent... Aucune des soi-disant recettes du Medef n'a produit d'effet sur la situation de l'emploi.

Nous fêterons en 2015 le trentième anniversaire de la loi sur la flexibilité du travail, qui a eu les conséquences que l'on sait : travail de nuit, le dimanche, au domicile de l'employeur... Selon la Dares, en 2013, les CDD ont constitué 84,2 % des embauches, pour une durée médiane de dix jours - ils représentaient 66 % des contrats d'embauche en 2000... La précarité pèse sur tous ces salariés et met en cause leur participation au redressement de la France. Le gaspillage de ce potentiel explique la réduction de notre taux de croissance.

Le nombre de salariés travaillant le dimanche a augmenté de 25 % à 29 % entre 2002 et 2012, la croissance étant passée de 3 % à 0,4 % aujourd'hui. Ce projet de loi de finances rectificative porte les stigmates d'une situation sociale et économique qui n'évolue pas, malgré le CICE, malgré l'ANI imposé au Parlement par un vote bloqué. La politique économique du Gouvernement conduit à une baisse des recettes et accroît les dépenses d'interventions. Nous proposerons des amendements pour inverser la tendance.

L'outil budgétaire, via la fiscalité, ne résoudra pas le problème de la protection de l'environnement, mais nous pouvons influencer les comportements. Une fiscalité privilégiant les comportements responsables conjuguée à des choix économiques positifs, voilà qui constituerait la base d'une politique plus équilibrée et plus propice à la croissance.

L'excédent budgétaire pour 2015 tel qu'il apparaît après les votes du Sénat est artificiel. Il faut améliorer les recettes, contribuer à infléchir les choix des agents économiques, renforcer les droits des travailleurs, soutenir l'action des collectivités territoriales. Obtenir aussi que la BCE propose un plan de refinancement des dettes souveraines. Ce ne sont pas les orientations du Gouvernement. Le rapporteur général ne les propose pas non plus. Nous ne pouvons adopter ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Christian Eckert, secrétaire d'État.  - Dommage !

M. Yvon Collin .  - Ce collectif fait évoluer la mise en oeuvre de la loi de finances initiale 2014 et propose des ajustements. Je ne reviendrai pas sur son contenu. Je relèverai simplement que les effets de la politique du Gouvernement commencent à se faire sentir : le coût salarial horaire de notre pays se rapproche de celui de l'Allemagne.

En 2014 la reprise annoncée n'a pas été au rendez-vous. Le risque déflationniste existe, qu'il ne faut pas négliger. Le Gouvernement a fait le choix de soutenir la demande et la compétitivité des entreprises, de maîtriser la dépense. Ses prévisions sont conformes à celles des grandes institutions.

Ce collectif compense les moins-values des recettes de TVA, d'impôt sur les sociétés et d'impôt sur le revenu. Le contexte économique a contrarié les rentrées fiscales, nous le savons.

Le projet de loi retrace en outre les engagements du Gouvernement auprès de la Commission européenne et la hausse des efforts de 3,6 milliards. L'amélioration du solde public serait permise par trois leviers : une nouvelle estimation des recettes et des dépenses - baisse de la charge de la dette, du prix du pétrole ; l'approfondissement de la lutte contre la fraude et l'optimisation fiscale - mais comment concilier cet objectif avec la baisse des crédits de la mission « Gestion des finances publiques » ? ; enfin, de nouvelles mesures fiscales pour 1,18 milliard d'euros, comme la hausse de la taxe sur les résidences secondaires perçue par les communes ou de la taxe sur les surfaces commerciales au profit de l'État.

Ce projet de loi de finances rectificative ouvre des crédits supplémentaires pour les Opex, dont la sous-dotation est chronique. Les engagements de la France au Mali, en Centrafrique ou en Syrie l'exigent.

La lecture du texte à l'Assemblée nationale a fait enfler le texte. Je suis bien sûr favorable au droit d'amendement des députés, mais le projet de loi de finances rectificative n'est pas le véhicule approprié à la réforme des droits sur le tabac, par exemple.

La quasi-totalité des membres du groupe RDSE se retrouvent dans ce texte. Nous déposerons néanmoins quelques amendements qui, je l'espère, seront adoptés. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Francis Delattre .  - Votre gouvernance se fait crédit. Mais du crédit, vous n'en avez plus guère...

M. Daniel Raoul.  - Oh !

M. Francis Delattre.  - Une très large majorité de Français, 93 %, pensent nécessaire de faire des réformes, 65 % qu'il faut faire des économies budgétaires. Ils se demandent également où en est le Gouvernement, où en est la majorité.

Outil d'ajustement pour le Gouvernement, le projet de loi de finances rectificative est pour nous un moment de vérité. Vous brandissez en effet un certain nombre d'engagements et banalisez vos échecs ! La dépense publique a augmenté de 16 milliards d'euros. Le solde s'est dégradé ; le déficit est à 4,4 % du PIB, au lieu des 3,6 % attendus. Et, plus inquiétant, les recettes fiscales plongent de 11 milliards d'euros dont 6,1 milliards pour l'impôt sur le revenu. La dette publique dépasse 2 000 milliards d'euros, soit 30 000 euros par habitant. Le ratio de dépenses publiques passe à 54,5 % du PIB... Comment parler dans ce contexte de réduction des dépenses publiques ? Est-ce vraiment là la démonstration que nous sommes sur la bonne voie ? Depuis 2012, vous n'êtes arrivés à faire baisser le déficit que de quelques dixièmes de points...

Vous semblez assumer pleinement l'échec. Votre laxisme, qui menace l'équilibre de la zone euro, ne donne lieu qu'à marchandages et rabotages. Cela ne fait pas une politique budgétaire. Vous hésitez entre légèreté et schizophrénie...

M. Daniel Raoul.  - C'est la sulfateuse !

M. Francis Delattre.  - Vous écartez de l'impôt sur le revenu 3 millions de Français, alors que c'est un élément de la citoyenneté. Passons à un impôt à base large. La France est surclassée par ses voisins européens. L'Espagne aura 1,2 % de croissance. Même en Grèce, avec 2,9 %, la croissance sera supérieure à la nôtre en 2015, 0,4 %.

M. Jean Germain.  - Vu d'où ils partent, c'est facile !

M. Francis Delattre.  - Vous ne répondez pas sur le fond. Vous trouvez in extremis plusieurs milliards d'euros pour sauver les meubles en alourdissant la fiscalité sur les entreprises, au risque de dégrader leur compétitivité, quoi que vous déclariez par ailleurs.

Les 3,6 milliards d'euros reposent sur des effets d'aubaine ; la lutte contre la fraude fiscale est une bonne chose, mais bien difficile à étayer par des documents probants.

Vous avez jusqu'en mars pour convaincre l'Europe, le FMI, la Commission européenne, l'opposition... Voici des pistes : réforme du marché du travail, simplification, réduction des dépenses publiques... Le rapport Pisani-Ferry-Enderlein propose de passer à la flexisécurité, et d'indexer le smic sur l'évolution de la productivité, de transformer l'obligation annuelle de négociations salariales en obligation triennale...

Vous vous glorifiez d'avoir baissé les dépenses. Artifice de langage ! Elles croissent simplement moins vite. Votre marque de fabrique, en dépit de tous nos efforts de communication, apparaît de plus en plus clairement, c'est le renoncement. Avec la non-déductibilité de la taxe sur les risques systémiques, vous persistez dans l'erreur. (MM. Richard Yung et André Gattolin protestent !)

En France, les banques assurent 90 % des investissements des entreprises, petites ou grandes. Nous n'avons pas de fonds de pension ! Après Bâle III, vous les asséchez, par idéologie. Votre dispositif n'aboutira qu'à tuer l'emploi dans l'oeuf.

Les négociations sur le pacte de responsabilité ont été suspendues. M. Macron a raison de dire que c'est un échec ! Non du fait du patronat, mais du Gouvernement. Les allègements du CICE sont loin des 20 milliards d'euros annoncés depuis deux ans : 7,2 milliards. (Mle secrétaire d'État lève les bras au ciel) Acceptez que l'on ne soit pas d'accord avec vous ! Et les charges continuent à tomber en rafale sur les entreprises !

Le logement est en panne. Nous sommes loin des 500 000 constructions promises par le candidat François Hollande. Il est temps de se rendre compte des dégâts des lois Duflot. Le choc de complexification est réel : de nombreux bailleurs sont effrayés ; les investisseurs fuient.

On nous compare souvent avec l'Allemagne. En France, le coût moyen du logement est 50 % plus élevé qu'outre-Rhin...

M. Daniel Raoul.  - Non : 30 % !

M. Francis Delattre.  - C'est autant en moins pour la consommation. Reconnaissons que le sujet n'est pas simple. Les allocations aux personnes et à la pierre sont plus élevées que partout ailleurs, et les résultats plus mauvais... Une réforme s'impose, à l'évidence. Ce n'est pas une hausse de la taxe sur les résidences secondaires qui va changer quoi que ce soit ; d'ailleurs cette mesure n'a vocation qu'à faire plaisir à la maire de Paris, où le niveau de taxe d'habitation est relativement faible et les propriétaires de résidences secondaires aisés. Une taxe supplémentaire sur le dos des classes moyennes... Le président de la République a annoncé sur TF1 l'arrêt des hausses d'impôts à compter de 2015. Depuis, c'est une véritable avalanche !

Et voilà l'augmentation de la Tascom (la taxe sur les surfaces commerciales) au profit de l'État : nous devrions ici nous y opposer tous fermement. Sans oublier l'amendement inspiré, à l'Assemblée nationale, qui taxe les autoroutes, après la suppression de l'écotaxe. L'État y gagnera 60 millions d'euros, mais les sociétés d'autoroutes ne manqueront pas de les répercuter sur les automobilistes...

Le taux du versement transport des entreprises est relevé pour financer le passe Navigo à tarif unique : le cadeau à la veille des élections régionales a prévalu sur toute réflexion !

Un mot enfin, monsieur le ministre sur l'AME, parce que je n'ai pas eu le temps de vous répondre l'autre jour.

M. Daniel Raoul.  - Il ne manquait plus que ça !

M. Francis Delattre.  - Oui à l'AME, indispensable, pour l'accès aux soins urgents des étrangers en situation irrégulière. Mais non à un guichet ouvert. Faisons comme nos voisins : revoyons les critères d'accessibilité. Vous avez parlé de tri : allez dans les salles d'attente des hôpitaux voir comment ça se passe monsieur le ministre ! La dette de la Cades de 160 milliards d'euros, les 34 milliards dont a besoin l'Acoss incitent à la modestie... (M. Richard Yung s'exclame)

Voyez les chiffres de l'industrie manufacturière : elle réduit ses investissements. Avec un outil industriel vieillissant elle ne regagnera pas de parts de marché. Moins de paperasse, moins de normes, ferait gagner beaucoup.

Ce moment de vérité n'est pas facile à entendre pour vous mais j'ai pris soin de vous expliquer notre part de vérité. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Richard Yung.  - C'est très clair !

M. Jean Germain .  - Si M. Delattre était peintre, ce ne serait pas un impressionniste ! (Sourires)

M. Francis Delattre.  - Je suis né près d'Auvers-sur-Oise !

M. Jean Germain.  - On pourrait traiter de l'équilibre budgétaire de façon académique, si nous n'étions pas dans la zone euro, l'une du monde où la croissance est la plus faible. Elle ralentit dans les pays émergents, mais est partout plus forte que chez nous - Angleterre comprise. Il y a bel et bien une singularité européenne. L'économiste et l'homme de la rue sont également perplexes : l'euro baisse face au dollar, le pétrole dégringole, l'inflation est faible... Tous les obstacles à la reprise sont levés. Mais nous avons une inflation - notamment sous-jacente - faible pour de mauvaises raisons : baisse des salaires, des marges, des prix des produits manufacturés, perte de confiance, anticipations négatives des ménages... Nous devons trouver une explication crédible. À défaut, nous entrerons en déflation.

Les mesures prises par le Gouvernement ne peuvent être toutes bonnes. Mais elles vont dans le bon sens. La baisse des dépenses publiques, le ratio des 3 % sont-ils l'alpha et l'oméga ? Je ne le crois pas. Il y a quelques mois, on prédisait l'entrée au paradis avec la baisse de l'euro et des taux d'intérêt. Ce n'est pas le cas dans la zone euro, ni en Angleterre, hors zone euro, qui est à 5,6 % de déficit. Quant à l'Italie, malgré des réformes à tout-va, elle est endettée à 133 % du PIB !

Ce projet de loi de finances rectificative comprend des mesures sociales, économiques et fiscales. Nous sommes favorables à la suppression de la prime pour l'emploi remplacée par un nouveau dispositif et à la lutte contre la fraude fiscale. Les nouveaux outils fiscaux pour la politique du logement sont opportuns ; la contribution au Fonds de résolution européen est bien calibrée ; la réforme du versement transport est encore un point positif. La taxe sur les résidences secondaires nous satisfait.

L'augmentation de 50 % sur la Tascom nous inquiète davantage. Tous les secteurs sont concernés ; les distributeurs étrangers sont en revanche épargnés.

Nous combattrons résolument ce qui va contre la sanctuarisation de la fiscalité locale.

Nous ne pouvons nous déterminer sur les casinos en quelques heures. Ce n'est pas qu'un sujet fiscal : c'est aussi un sujet moral. La stabilité fiscale est parfois nécessaire. Certains mécanismes, modifiés à la va-vite, sans une concertation suffisante, peuvent susciter des frustrations.

Nous voterons néanmoins ce projet de loi de finances rectificative. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Vincent Capo-Canellas .  - Le rabot sévissant autant sur les temps de parole que sur les crédits, je serai bref.

Le projet de loi de finances rectificative a sa part de classicisme : ajustements, rectification du solde. Les indicateurs se dégradent. Vous ne maîtrisez pas la situation. Le déficit dépassera de 13 milliards celui de 2013 et de 6 milliards la prévision. Ce dépassement est singulier en Europe. Notre souveraineté budgétaire est en cause. Les recettes chutent de 12 milliards par rapport aux prévisions, dont 6 milliards pour le seul impôt sur le revenu. L'impôt sur les sociétés rapporte 4 milliards de moins que prévu, conséquence de la baisse d'activité et de nombreux mitages de l'assiette.

Baisse du prix du pétrole, des taux, de l'euro : il y a néanmoins des bonnes nouvelles. Mais l'état du pays n'incite pas à l'optimisme.

Ce projet de loi de finances rectificative prévoit des mesures nouvelles : en matière de taxes, vous faites le plein. Le rapporteur général a souligné que les nombreux ajouts de l'Assemblée nationale, sans doute pilotés...

M. Christian Eckert, secrétaire d'État.  - Pas tous !

M. Vincent Capo-Canellas.  - ... obèrent le texte.

Les mesures prises par ce Gouvernement posent question. L'ANI, le CICE, le pacte de responsabilité ne produisent pas les effets escomptés. Erreur de calibrage ? Manque de recul ? Nous ne pouvons pas nous résoudre à attendre la croissance...

Évitons le décrochage économique complet. Je doute que la loi Macron suffise. Nous voterons contre. (MM. Yves Pozzo di Borgo, Francis Delattre et Philippe Dominati applaudissent)

M. Richard Yung .  - Je me bornerai à quelques remarques ponctuelles.

M. Gattolin avait déposé un amendement au projet DDADUE visant à rendre les contributions des entreprises au futur Fonds de résolution non déductibles. J'avais hésité parce que ce n'était pas un texte fiscal. La République allemande a jugé que cette non-déductibilité posait problème.

M. Francis Delattre.  - Ce n'est pas ce que disait le rapporteur à la tribune, il y a peu...

M. Richard Yung.  - J'ignore à quoi vous faites référence. L'idée reste d'éviter d'utiliser l'argent du contribuable pour renflouer les banques.

En tant que représentant des Français établis hors de France, je me félicite des conclusions du groupe de travail sur la fiscalité de nos résidents à l'étranger : l'harmonisation du régime des plus-values immobilières et le plafonnement du quotient familial vont dans le bon sens.

Le dossier CSG-CRDS passera bientôt devant la CJUE. Avez-vous une idée du calendrier, monsieur le ministre ?

De nombreux mécanismes sont méconnus par nos concitoyens. Il faut y remédier. L'autoliquidation de la TVA est une bonne chose, qui limitera la fraude. C'est un facteur important d'attractivité des ports français.

Enfin, comme président du Comité national anti-contrefaçon, je me réjouis de l'interdiction de la vente de tabac à distance qui va limiter le recours aux marchés parallèles et la consommation de cigarettes de contrefaçon, encore plus nuisibles pour la santé.

Un mot sur la fiscalité des brevets : ouvrons la réflexion sur le sujet des patent boxes, car nos voisins européens ont pris de l'avance.

Le contexte macroéconomique a dégradé nos finances. Nous avons fait le choix du sérieux budgétaire et de l'adaptation du rythme d'ajustement budgétaire : c'est heureux.

Nous avons besoin de plus de croissance. C'est pourquoi je voterai le projet de loi de finances rectificative. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Jacques Chiron .  - Je ne reviens pas, faute de temps, sur les grands équilibres de ce texte. En ce qui concerne la fiscalité, je mettrai l'accent sur la lutte contre la fraude. Depuis 2013, dans ce domaine, le Gouvernement avance, sur la base des recommandations de l'OCDE.

Nous nous félicitons des ajouts adoptés par l'Assemblée nationale sur les prix de transferts, en particulier, problème souvent évoqué dans cet hémicycle. J'ai participé à la commission d'enquête sur la fraude et l'évasion fiscales.

Des dispositions visant à mettre un terme aux exemptions fiscales dont bénéficient les sociétés concessionnaires d'autoroute ont également été introduites à l'Assemblée nationale, mais le Gouvernement est en cours de négociation. Je me rangerai à la position qu'il estimera la plus sage. Je rappelle que nous nous retrouvons dans cette situation du fait d'une cession de gré à gré faite par le gouvernement précédent.

Pour ce qui est du régime fiscal des organisateurs d'événements sportifs exceptionnels, en particulier l'UEFA qui organise l'Euro 2016, il s'agit de confirmer la parole de la France, certes, mais j'avoue une forme de gêne face à ce contournement de l'impôt. La position adoptée est équilibrée : d'accord pour confirmer l'engagement de la France, mais pas de pérennité pour une telle niche fiscale géante. Il faudra y réfléchir au plan international pour éviter que ces évènements laissent des pays au bord de la faillite comme la Grèce après les jeux Olympiques, ou au bord de la guerre civile comme le Brésil après la coupe du monde de football.

J'évoque enfin un amendement sans dépense ni recette qui vise à alléger une contrainte administrative pesant sur les business angels qui sont très présents dans ma ville, Grenoble. Lorsqu'elle développe un projet innovant, la jeune entreprise est accompagnée par le tutorat d'un comité d'investisseurs, structure légère, réactive, sans salariés, qui consacre l'intégralité des sommes collectées à l'investissement. La BPI, a relevé le fort impact de ce type d'aides. L'assouplissement des conditions d'investissement proposé par ce texte me semble salutaire. Ce texte traduit l'esprit de responsabilité du Gouvernement. Je le soutiendrai, avec mes collègues socialistes. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Christian Eckert, secrétaire d'État .  - Je serai bref.

M. Richard Yung.  - Il faut répondre à M. Delattre.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État.  - Excusez-moi de n'être pas là demain, devant être présent à l'Assemblée nationale, mais vous gagnerez au change.

Le projet de loi de finances rectificative dans sa version initiale était connu depuis longtemps. Je regrette que des articles nouveaux aient compliqué votre travail. Je ne suis pas responsable de tout non plus, s'il est vrai que certains amendements ont été inspirés...

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur.  - Faute avouée, à demi pardonnée.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État.  - Pas tous et pas tous par Bercy, car d'autres ministres, vous le savez, convainquent parfois les parlementaires. Monsieur Delattre, vous n'êtes ni mon maître ni mon élève, et je ne suis ni votre juge ni votre professeur, mais vos chiffres sont faux et comparés sur une base fausse.

Mme Michèle André.  - Cela fait beaucoup d'erreurs !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État.  - Le CICE a un coût estimé en année pleine à 20 milliards d'euros. En 2014, nous l'avons estimé à 12 milliards d'euros.

M. Jean Germain.  - Nous l'avons dit en commission.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État.  - Ces 7,2 milliards sont à comparer aux 12 milliards, pas aux 20 milliards d'euros ! Vous savez que le CICE est soit versé à l'entreprise qui ne paie pas d'impôt, soit sous forme de supplément, à celle qui en paye, soit pour les grandes entreprises, versé avec un décalage dans le temps et lissé sur trois ans. Donc, entre le coût de 12 milliards et ce qui est effectivement inscrit au budget, il y a une partie qui n'est pas une dépense, mais une moindre recette. En additionnant les deux, on arrive à 10,6 milliards. Donc, ne comparez pas 7,2 milliards à 20 milliards, mais 10,6 milliards, chiffre provisoire, à 12 milliards.

M. Daniel Raoul.  - Voilà qui est clair !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État.  - Sachant que les entreprises ont trois ans pour réclamer les sommes dues au titre du CICE, le dispositif va encore évoluer. C'est pourquoi j'ai marqué un peu d'irritation, en vous entendant avancer vos chiffres et non sur le fond de votre discours, très mesuré, comme d'habitude. (Sourires sur les bancs socialistes)

M. Francis Delattre.  - Très vrai !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État.  - Sur la non-déductibilité de la taxe systémique, supposons qu'une banque doive contribuer au fonds de résolution pour 3 milliards d'euros par exemple. Si la taxe est déductible, elle économisera un milliard d'euros d'impôt sur les sociétés.

M. Jacques Chiron.  - Payés par nous !

M. Richard Yung.  - Eh oui !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État.  - Trouvez-vous cela juste ? La France devant apporter 15 milliards, si les banques n'en paient que les deux tiers, ce sont les contribuables qui y seront de 5 milliards. Ce raisonnement à lui seul devrait vous convaincre.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État.  - Cela a été discuté avec les Allemands et concerté avec la profession. La FFB n'a pas applaudi mais la discussion a abouti à la sortie progressive de la taxe. Vous pouvez expliquer au contribuable ce qui se passe.

M. Francis Delattre.  - C'est dans son intérêt, car cela garantit l'argent déposé à la banque.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État.  - J'ai passé du temps, à l'Assemblée nationale, à essayer de persuader les députés de ne pas voter l'amendement qui ne concerne pas que les sociétés d'autoroute, mais toutes les concessions : baux emphytéotiques, partenariats public-privé. Les contrats signés à l'époque sont clairs. La disposition en question a peu de chances de passer le contrôle du Conseil constitutionnel. Elle n'atteint pas son objectif et le Gouvernement étudie toutes les solutions, y compris la dénonciation de certains contrats, qui ont prévu que toute modification de la fiscalité serait répercutée sur les péages. Nous avons eu une réunion entre ministres et responsables de sociétés concernées. Il ne me paraît pas opportun de tirer cette cartouche, qui ne pèse au demeurant que 60 millions d'euros.

M. Francis Delattre.  - Elle a été votée.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur.  - Le Sénat la supprimera.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État.  - Ce n'est pas le Gouvernement qui l'a inspirée. Lisez le compte rendu des débats de l'Assemblée nationale. Il y a eu une suspension de séance avant le vote, pendant laquelle j'ai rencontré les parlementaires de la majorité pour les en dissuader.

Je tenais à corriger ces erreurs ce soir. Demain, vous aurez d'autres réponses de ma collègue. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Prochaine séance demain, vendredi 12 décembre 2014, à 9 h 30.

La séance est levée à 23 h 50.

Jean-Luc Dealberto

Directeur des comptes rendus analytiques

Ordre du jour du vendredi 12 décembre 2014

Séance publique

À 9 h 30, à 14 h 30, le soir et, éventuellement, la nuit

Présidence : M. Thierry Foucaud, vice-président M. Jean-Pierre Caffet, vice-président

Secrétaire : Mme Catherine Tasca

- Suite du projet de loi de finances rectificative pour 2014, adopté par l'Assemblée nationale (n° 155, 2014-2015)

Rapport de M. Albéric de Montgolfier, fait au nom de la commission des finances (n° 159, tomes I et II, 2014-2015)

Analyse des scrutins publics

Scrutin n° 73 sur l'ensemble de la proposition de résolution, présentée en application de l'article 34-1 de la Constitution, sur la reconnaissance de l'État de Palestine

Résultat du scrutin

Nombre de votants :323

Suffrages exprimés :299

Pour :153

Contre :146

Le Sénat a adopté.

Analyse par groupes politiques

Groupe UMP (143)

Pour : 4 - M. Michel Bouvard, Mme Caroline Cayeux, MM. François Grosdidier, Jean-Pierre Vial

Contre : 124

Abstentions : 8 - MM. René Danesi, Michel Fontaine, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Jacques Legendre, Jean-Baptiste Lemoyne, Philippe Marini, Alain Milon, Jean-Pierre Raffarin

N'ont pas pris part au vote : 7 - M. Gérard Larcher, président du Sénat, MM. Alain Chatillon, Bernard Fournier, Alain Joyandet, Mmes Fabienne Keller, Élisabeth Lamure, M. Claude Malhuret

Groupe socialiste (112)

Pour : 106

Abstention : 2 - MM. Luc Carvounas, Simon Sutour

N'ont pas pris part au vote : 4 - Mme Nicole Bricq, MM. Gérard Collomb, Jean-Pierre Masseret, Jean-Marc Todeschini, membre du Gouvernement

Groupe UDI-UC (42)

Pour : 7 - M. Michel Canevet, Mmes Nathalie Goulet, Sylvie Goy-Chavent, MM. Pierre Jarlier, Aymeri de Montesquiou, Christian Namy, Henri Tandonnet

Contre : 17

Abstentions : 9 - MM. Daniel Dubois, Vincent Dubois, Jean-Marc Gabouty, Mmes Françoise Gatel, Anne-Catherine Loisier, MM. Jean-François Longeot, Jean-Claude Luche, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Yves Pozzo di Borgo

N'ont pas pris part au vote : 9 - Mme Annick Billon, M. Jean-Léonce Dupont, Mmes Jacqueline Gourault, Teura Iriti, M. Jean-Jacques Lasserre, Mme Valérie Létard, MM. Pierre Médevielle, Gérard Roche, Jean-Marie Vanlerenberghe

Groupe CRC (18)

Pour : 18

Groupe du RDSE (13)

Pour : 8 

Contre : 2 - MM. Gilbert Barbier, Philippe Esnol

Abstentions : 3 - MM. Joseph Castelli, François Fortassin, Jean-Claude Requier

Groupe écologiste (10)

Pour : 10

Sénateurs non inscrits (9)

Contre : 3

Abstentions : 2 - Mme Mireille Jouve, M. Robert Navarro

N'ont pas pris part au vote : 4 - MM. Philippe Adnot, Jean Louis Masson, David Rachline, Stéphane Ravier

Scrutin n° 74 sur l'ensemble de la proposition de résolution relative à un moratoire sur la mise en oeuvre des plans de prévention des risques technologiques issus de la loi n° 2003-699 du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages et des lois subséquentes, présentée en application de l'article 34-1 de la Constitution

Résultat du scrutin

Nombre de votants :338

Suffrages exprimés :326

Pour :18

Contre :308

Le Sénat n'a pas adopté.

Analyse par groupes politiques

Groupe UMP (143)

Contre : 141

N'ont pas pris part au vote : 2 - M. Gérard Larcher, président du Sénat, M. Michel Bouvard

Groupe socialiste (112)

Contre : 111

N'a pas pris part au vote : 1 - M. Jean-Marc Todeschini, membre du Gouvernement

Groupe UDI-UC (42)

Contre : 42

Groupe CRC (18)

Pour : 18

Groupe du RDSE (13)

Contre : 11

Abstentions : 2 - MM. Pierre-Yves Collombat, Robert Hue

Groupe écologiste (10)

Abstentions : 10

Sénateurs non inscrits (9)

Contre : 3

N'ont pas pris part au vote : 6 - MM. Michel Amiel, Jean-Noël Guérini, Mme Mireille Jouve, MM. Robert Navarro, David Rachline, Stéphane Ravier