SERVICE DES ETUDES JURIDIQUES (Janvier 2006)

BELGIQUE

La Constitution ne prévoit aucune disposition similaire à l'état d'urgence pour faire face à une situation de crise, mais le législateur peut déléguer au Roi de larges pouvoirs (3 ( * )) , en adoptant des lois de « pouvoirs spéciaux » ou de « pouvoirs extraordinaires ».

Contrairement aux lois d'habilitation ordinaires, les lois de pouvoirs spéciaux - et plus encore les lois de pouvoirs extraordinaires - donnent à l'exécutif une très grande liberté d'action, car leurs objectifs sont rédigés en termes très généraux.

Les arrêtés pris en vertu d'une loi de pouvoirs extraordinaires ont force de loi, alors que ceux pris sur la base d'une loi de pouvoirs spéciaux restent des actes réglementaires, à moins d'être ratifiés par le législateur, la loi d'habilitation pouvant prévoir une telle confirmation. Dans ce cas, en l'absence de ratification, les arrêtés de pouvoirs spéciaux cessent de produire leurs effets. En revanche, lorsqu'une telle ratification n'a pas été prévue, les arrêtés de pouvoirs spéciaux restent en vigueur, mais ils sont soumis au même contrôle juridictionnel que les autres arrêtés, bien qu'ils soient dotés d'une valeur juridique supérieure, puisqu'ils peuvent abroger, compléter, modifier ou remplacer des dispositions législatives dans les domaines dans lesquels les pouvoirs spéciaux ont été octroyés. Les lois de pouvoirs spéciaux sont valables pendant une durée limitée, en général comprise entre six mois et un an.

La dernière loi accordant des pouvoirs extraordinaires au Roi date de 1949. En revanche, les lois de pouvoirs spéciaux sont plus fréquentes : elles ont été utilisées à plusieurs reprises dans les années 80, toujours « pour assurer le redressement économique et social ».

ESPAGNE

L'article 116 de la Constitution , inclus dans le titre consacré aux relations entre le gouvernement et le Parlement, prévoit trois dispositifs pour faire face aux situations de crise : l'état d'alerte, l'état d'exception et l'état d'urgence .

La loi organique 4/1981 du 1 er juin 1981 sur les états d'alerte, d'exception et d'urgence a précisé les dispositions constitutionnelles relatives aux situations d'exception. La mise en oeuvre de cette loi est subordonnée à la survenance d'événements extraordinaires qui empêchent les pouvoirs publics de maintenir une situation normale par le seul recours à leurs pouvoirs ordinaires.

L'état d'alerte permet de faire face aux catastrophes naturelles, aux crises sanitaires, à la paralysie des services publics essentiels et au défaut d'approvisionnement en produits de première nécessité. L'état d'exception constitue une réponse aux perturbations de l'ordre public qui empêchent le fonctionnement normal des institutions démocratiques et des services publics. Quant à l'état de siège, il peut être déclaré en cas de menace contre la souveraineté, l'indépendance, l'intégrité territoriale ou le régime constitutionnel de l'Espagne.

Dans les trois cas, les mesures adoptées doivent être « strictement indispensables » au rétablissement d'une situation normale, adaptées aux circonstances et limitées dans le temps.

L'état d'exception et l'état de siège entraînent une suspension de certains droits fondamentaux, limitativement énumérés par la Constitution. De plus, pendant l'état de siège, certaines fonctions peuvent être déléguées aux autorités militaires.

L'état d'alerte et l'état d'exception sont déclarés par décret pris en conseil des ministres. Le premier ne nécessite pas l'accord du Congrès des députés, à la différence du second. Quant à l'état d'urgence, il est proclamé par le Congrès des députés, à la majorité absolue et sur proposition du gouvernement.

Le texte ci-après analyse les dispositions législatives relatives à l'état d'exception , car ce sont les plus proches de celles qui sont prévues par la loi française n° 55-385 du 3 avril 1955.

1) Les conditions d'application

L'état d'exception peut être proclamé lorsque la stabilité et la continuité des institutions sont affectées .

La loi organique 4/1981 prévoit en effet que l'état d'exception peut être prononcé en cas de perturbation grave apportée à l'exercice des droits et libertés des citoyens, au fonctionnement normal des institutions démocratiques, à celui des services essentiels pour la collectivité ou à tout autre élément constitutif de l'ordre public.

2) La procédure

La déclaration de l'état d'exception relève de la compétence du gouvernement . Elle est faite sous la forme d'un décret pris en conseil des ministres , après autorisation du Congrès des députés.

La demande d'autorisation présentée par le gouvernement précise les droits dont la suspension est envisagée, les mesures que cette suspension permet, ainsi que le territoire concerné et la durée de l'état d'exception. Le Congrès des députés peut amender le texte du gouvernement. Ainsi, l 'autorisation parlementaire porte non seulement sur le principe, mais également sur le détail du dispositif.

Si le Parlement ne siège pas (4 ( * )) , il est immédiatement convoqué. Lorsque le Congrès des députés a été dissous ou que son mandat est expiré, c'est la députation permanente (5 ( * )) qui assume ses compétences.

L'état d'exception est déclaré pour une durée maximale de trente jours .

Si, pendant la durée de l'état d'exception, le gouvernement souhaite modifier les mesures prises, il doit préparer un nouveau décret, qui doit être adopté selon la même procédure. Il peut être mis fin à l'état d'exception avant la fin de la période prévue, par un décret pris en conseil des ministres qui est immédiatement porté à la connaissance du Congrès des députés.

En cas de besoin, l'état d'exception peut être prolongé , la prorogation s'effectuant pour la même durée et selon la même procédure que la déclaration initiale. La doctrine estime qu'une seule prolongation est possible.

3) Les effets

Les mesures doivent être proportionnelles à la gravité de la situation et limitées au strict minimum, tant en ce qui concerne leur étendue que leur durée et le territoire sur lequel elles s'appliquent.

Certains droits fondamentaux ne peuvent faire l'objet d'aucune restriction :

- les réunions des organes statutaires des partis politiques, des syndicats et des associations patronales ne peuvent être interdites ni soumises à autorisation préalable ;

- les détenus conservent le droit d'être informés de leurs droits et des raisons de leur détention, ainsi que d'avoir l'assistance d'un avocat dans les cas prévus par la loi.

Les droits fondamentaux affectés ne peuvent être que ceux prévus à l'article 55-1 de la Constitution. Il s'agit du droit à la liberté et à la sûreté, de l'inviolabilité du domicile, du secret des communications, de la liberté de circulation et de résidence, de la liberté d'expression et d'information, du droit de réunion et du droit de grève.

La loi précise dans quelle mesure chacun de ces droits peut être suspendu :

- la détention d'une personne soupçonnée de vouloir troubler l'ordre public peut être portée à dix jours, mais le juge compétent doit être informé de cette détention dans le délai de 24 heures ;

- des perquisitions domiciliaires peuvent être ordonnées suivant un ordre écrit, pour « éclaircir des faits présumés délictueux ou pour le maintien de l'ordre public », en présence de l'occupant ou au moins d'une personne majeure de sa famille et de deux voisins, les résultats de la perquisition devant être communiqués immédiatement au juge compétent ;

- la décision de lever le secret des communications postales, télégraphiques et téléphoniques doit être communiquée immédiatement au juge compétent ;

- tous les types de transport et leur chargement peuvent être contrôlés ;

- la liberté de circulation peut être suspendue en certains lieux et à certaines heures, les déplacements des personnes peuvent être contrôlés et des zones de protection avec accès restreint peuvent être délimitées ;

- un changement de résidence peut être imposé pour des motifs sérieux, les mesures nécessaires devant être prises pour assurer le déplacement et l'hébergement des personnes concernées ;

- les publications écrites, les émissions de radiodiffusion et de télévision peuvent être suspendues, des publications peuvent être saisies, cette saisie ne pouvant en aucun cas constituer une censure préalable ;

- les salles de spectacle et les débits de boisson peuvent être fermés ;

- à l'exception des réunions des organes statutaires des partis politiques, des syndicats et des associations patronales, qui ne peuvent faire l'objet d'aucune restriction, les réunions et manifestations doivent être préalablement autorisées, mais toute intervention dans les locaux où a lieu une réunion doit être autorisée par écrit, sauf en cas de flagrant délit ou en cas de perturbation grave de l'ordre public ;

- le droit de grève peut être suspendu, à condition que l'autorisation donnée par le Congrès des députés inclue explicitement cette possibilité.

Les personnes ayant subi un préjudice du fait des mesures prises pendant la durée de l'état d'exception peuvent saisir les tribunaux pour demander une indemnisation, suivant les règles du droit commun.

Pendant la durée de l'état d'exception, le fonctionnement des institutions ne peut pas être affecté. Ainsi, le Congrès des députés ne peut pas être dissous, le principe de la responsabilité gouvernementale continue à s'appliquer et la Constitution ne peut pas être révisée.

* *

*

La loi organique 4/1981 du 1 er juin 1981 sur les états d'alerte, d'exception et d'urgence n'a jamais été mise en oeuvre.

* (3) En vertu de l'article 105 de la Constitution, selon lequel « Le roi n'a d'autres pouvoirs que ceux que lui attribuent formellement la Constitution et les lois particulières portées en vertu de la Constitution . »

* (4) Les Chambres se réunissent de septembre à décembre et de février à juin.

* (5) La députation permanente est un organe composé à la proportionnelle des groupes. Elle est présidée par le président du Congrès et est composée de 21 députés. Elle veille au respect des pouvoirs du congrès lorsque celui-ci n'est pas réuni et assume certaines de ses compétences dans les situations exceptionnelles.

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