L'organisation des États fédéraux :
démocratie, répartition des compétences,
État de droit et efficacité de l'action publique

Allemagne - Brésil - États-Unis - Inde - Mexique - Suisse

Cette note a été publiée à la demande de M. Pierre BERNARD-REYMOND, dans le cadre du rapport d'information : « L'Union européenne : du crépuscule au nouvel élan » , fait au nom de la commission des Affaires européennes, n° 407 (2013-2014)

Ce rapport est disponible sur internet à l'adresse suivante :

www.senat.fr/notice-rapport/2013/r13-407-notice.html

AVERTISSEMENT

Les notes de la division de Législation comparée se fondent sur une étude de la version en langue originale des documents de référence cités dans l'annexe.

Elles présentent de façon synthétique l'état du droit dans les pays européens dont la population est de taille comparable à celle de l'Hexagone ainsi que dans ceux où existe un dispositif législatif spécifique. Elles n'ont donc pas de portée statistique.

Ce document constitue un instrument de travail élaboré à la demande des sénateurs par la division de Législation comparée de la direction de l'Initiative parlementaire et des délégations. Il a un caractère informatif et ne contient aucune prise de position susceptible d'engager le Sénat.

NOTE DE SYNTHÈSE

Cette note concerne la répartition et l'étendue des compétences entre et dans les États membres des fédérations.

Elle se fonde sur les exemples observés dans six États dotés d'une structure fédérale : l'Allemagne, le Brésil, les États-Unis d'Amérique, l'Inde, le Mexique et la Suisse.

Reposant avant tout sur la lecture des textes constitutionnels, elle ne détaille pas les conditions dans lesquelles le régime fédéral a été institué dans chacun des pays étudiés.

• Quel concept de fédération ?

S'il est clair que le fédéralisme est « un mode de gouvernement qui repose sur une certaine manière de distribuer et d'exercer le pouvoir politique dans une société, sur une base territoriale » 1 ( * ) , la doctrine donne diverses définitions de concepts auxquels il est pourtant souvent fait référence tels que ceux d'« État fédéral », de « fédération » ou de « fédération d'États ». Aussi rappellera-t-on quelques-unes de ces définitions avant d'entrer dans le vif du sujet.

Pour Georges Scelle, l' « État fédéral [...] réalise l'intégration fédérative maxima. C'est un véritable État qui absorbe au point de vue international, tous les États particuliers qui en sont les associés. Il a son territoire, ses sujets, son gouvernement, ses administrations propres ; la souveraineté intérieure qu'il partage avec les États membres, la souveraineté extérieure qu'il détient seul [...] . Il agit directement, non seulement sur les États associés, mais sur les citoyens » 2 ( * ) .

Selon R. L. Watts, le « système politique fédéral » fait référence à « un vaste ensemble de systèmes politiques dans lesquels, à la différence de l'unique source centrale d'autorité politique et légale des systèmes unitaires, existent deux ou plusieurs niveaux de gouvernement, combinant par conséquent des règles communes [...] par l'intermédiaire d'un gouvernement commun et d'un auto-gouvernement régional [...] pour les gouvernements des unités qui le constituent » 3 ( * ) .

Le même auteur estime que les traits communément admis des fédérations consistent en :

- au moins deux niveaux de gouvernement, l'un pour la fédération dans son ensemble et l'autre pour chaque unité régionale, chacune exerçant leur pouvoir directement sur les citoyens ;

- une répartition constitutionnelle des compétences législatives et exécutives et une répartition des ressources entre les deux niveaux de gouvernement qui préservent des champs de compétences propres pour chacun d'entre eux ;

- des dispositions permettant la représentation des intérêts distincts des États membres au sein des institutions fédérales, d'ordinaire par le biais d'une seconde chambre ;

- une Constitution suprême écrite qui ne peut être amendée unilatéralement, et dont la modification suppose l'assentiment d'une proportion significative des unités constituantes ;

- un arbitre (tribunal, possibilité de recourir au référendum, chambre haute dotée de compétences spéciales) ;

- ainsi que des procédures et des institutions destinées à faciliter la collaboration intergouvernementale dans les domaines où les responsabilités sont partagées ou inévitablement superposées 4 ( * ) .

D'après K. C. Wheare, le gouvernement fédéral serait « un système de gouvernement qui repose sur « une division de pouvoirs entre les autorités fédérales et fédérées (general and regional authorities) qui, chacune dans son champ de compétences, est coordonnée avec les autres et indépendantes par rapport à elles » 5 ( * ) .

En dernière analyse, la notion de fédération implique, selon Elizabeth Zoller, que : « là où rien n'est réservé à l'État membre, où rien de ce qu'il est ou de ce qu'il a n'est à l'abri d'un pouvoir d'évocation par le centre, il n'y a ni fédération d'États, ni processus fédératif, il n'y a qu'un système décentralisé » 6 ( * ) . Cette formule - qui met l'accent sur une conception du fédéralisme qui protège les droits et, par conséquent, l'indépendance des États fédérés - correspond, du reste, à celle d'un juge de la Cour suprême indienne d'après lequel la caractéristique du régime fédéral est que sa constitution « prévoit une répartition des pouvoirs telle que le gouvernement fédéral (general) et le gouvernement fédéré (regional) sont, chacun dans leur champ, substantiellement indépendants l'un de l'autre » 7 ( * ) .

• Situation dans l'Union européenne

L'Union européenne (UE), qui n'est ni une fédération ni une confédération, se présente comme une construction sui generis s'apparentant à une « fédération d'États-nations » selon la formule de M. Jacques Delors. Si la comparaison de l'UE avec les États fédéraux ne peut s'opérer qu'avec prudence, on relève dans l'organisation de la première certaines ressemblances avec celle des seconds : personnalité juridique européenne, existence d'institutions permanentes (exécutif, législatif et judiciaire), principes de répartition des compétences entre Union et États-membres figurant dans le Traité sur l'Union européenne, primauté du droit communautaire sur les droits nationaux et « applicabilité directe » dans le droit interne des États-membres, existence d'un budget alimenté par des ressources propres et monnaie commune. On peut également y ajouter la protection des droits fondamentaux dans l'UE depuis que le Traité de Lisbonne a donné à la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne un caractère juridiquement contraignant.

Le débat entre « Europe des États » et « Europe fédérale » a, du reste, été relancé par le président José Manuel Barroso dans son allocution sur l'état de l'Union en 2012 où il a appelé à la création d'une « fédération d'États-nations ».

• Observations sur les législations étudiées

Non dénué d'équivoques, le concept de fédération permet de faire référence à des réalités très diverses qui résultent d'évolutions historiques propres à chacun des six États objets de cette étude. Il serait donc vain de chercher parmi eux un modèle « pur » de fédéralisme. Les exemples considérés montrent des situations dans lesquelles existe un « nuancier » de solutions institutionnelles où s'entremêlent parfois les caractéristiques d'un régime fédéral et les traits d'un État unitaire. Le propre des régimes fédéraux considérés serait donc d'être marqués par le pragmatisme et l'esprit de compromis permettant de résoudre les difficultés - de nature très diverse - et de s'adapter à la situation singulière de chaque pays. Ces six entités sont d'ailleurs aussi différentes par la localisation géographique (situés sur trois continents) que par la taille de la population (8 millions d'habitants pour la Suisse, 1,241 milliard pour l'Inde), ou encore par l'étendue du territoire (41 000 km 2 pour la Suisse et 21,8 millions pour les États-Unis d'Amérique). Cette variété des situations s'exprime aussi dans l'économie générale des constitutions de ces six pays : 8 articles et 27 amendements pour les États-Unis d'Amérique, 136 articles pour le Mexique, 146 pour l'Allemagne, 297 pour le Brésil et 395 pour l'Inde.

Malgré ces différences, ces six États présentent tous une triple structure institutionnelle conforme à la théorie de la séparation des pouvoirs avec un pouvoir exécutif fédéral, un pouvoir législatif bicaméral et un pouvoir judiciaire indépendant, placé sous le contrôle d'une ou de plusieurs cours suprêmes.

Compte tenu de ces éléments, on évoquera ci-après, de façon synthétique :

- la place des États fédérés dans les institutions fédérales ;

- la nature et l'étendue des normes fédérales régissant les États fédérés ;

- la valeur juridique du droit fédéral, la protection des droits fondamentaux et l'indépendance du juge constitutionnel ;

- et les règles de modification de la Constitution fédérale.

• États fédérés et institutions fédérales

On s'intéresse à ce titre :

- à la représentation et aux pouvoirs des États fédérés au sein des institutions législatives fédérales ;

- au mode de désignation du chef de l'exécutif fédéral ;

- et aux mécanismes de coopération entre centre et périphérie au sein de la fédération.

Représentation et pouvoirs des États fédérés dans les institutions législatives fédérales

Au sein des institutions fédérales, les États fédérés et leur population sont représentés de façon non strictement proportionnelle à la population dans l'une des chambres du Parlement :

- soit directement par des ministres de leurs gouvernements, à l'instar des membres du Bundesrat allemand ;

- soit indirectement parce que :

les législatures des États fédérés élisent les membres d'une des deux assemblées délibérantes (« Chambre des États » de l'Inde),

la population élit un nombre de membres de l'une des chambres égal pour chaque État fédéré quelle que soit la population de celui-ci (2 aux États-Unis et en Suisse 8 ( * ) , 3 au Brésil) et 3 au Mexique, composant les trois quarts de la seconde chambre 9 ( * ) .

Les compétences de la chambre qui représente les États peuvent être :

- identiques (Brésil, États-Unis, Inde et Suisse) ;

- en partie limitées (en Allemagne où l'on distingue les lois nécessitant l'approbation du Bundesrat ) et celles susceptibles de faire l'objet d'opposition 10 ( * ) ;

- ou encore, en fonction des matières qu'elles traitent, pour partie partagées avec l'autre chambre et pour partie exclusives (Mexique).

Mode de désignation du chef de l'exécutif fédéral

À l'exception de la Suisse, dont l'exécutif fédéral a un caractère collégial, les cinq autres États désignent un président fédéral au suffrage universel, que celui-ci soit :

- direct comme au Brésil ou au Mexique ;

- indirect :

dans le cadre d'une assemblée ad hoc de grands électeurs (États-Unis),

par les deux assemblées fédérales et les législatures des États (Inde),

ou par l'une des assemblées (le Bundestag en Allemagne) ou par les deux assemblées fédérales en Suisse (organe exécutif collégial pour 4 ans et chef de l'exécutif collégial pour 1 an).

Coopération et collaboration au sein de la fédération

Plusieurs des constitutions étudiées font référence à des mécanismes de coopération et de collaboration tels que :

- l'application des lois fédérales par les États fédérés, le cas échéant dans le cadre de prescriptions que leur adresse la fédération (Allemagne et Inde) ;

- l'aide du Bund aux Länder allemands lorsque celle-ci est nécessaire ou en matière de compétences concurrentes (amélioration des conditions de vie, protection de base des demandeurs d'emploi, promotion de la recherche) ;

- une coopération institutionnalisée des exécutifs réunissant des membres des gouvernements des États fédérés (« conseil Inter-États en Inde, « dialogue confédéral » en Suisse).

• Normes fédérales et États fédérés

On considèrera à ce titre :

- les principes constitutionnels applicables à l'organisation des États fédérés en vertu de la Constitution fédérale ;

- la répartition des compétences entre fédération et États fédérés ;

- et les grands principes de la gestion des finances publiques.

Principes constitutionnels applicables à l'organisation des États fédérés

La portée des dispositions des constitutions fédérales relatives à l'organisation des États fédérés consiste d'une part en des obligations telles que le respect de certains principes essentiels (par exemple la forme républicaine des institutions et l'élection au suffrage universel (Allemagne, Mexique et Suisse).

Ces dispositions peuvent préciser l'organisation institutionnelle de ces États en :

- prévoyant l'existence d'un parlement monocaméral et d'un gouvernement (Brésil) ;

- déterminant de façon très détaillée leur organisation (Inde), de même que celle des communes (Mexique).

La Constitution peut aussi prohiber positivement certains actes aux États fédérés, à l'instar de celle du Mexique qui leur interdit notamment de conclure des traités avec des puissances étrangères, émettre monnaie, limiter la liberté d'aller et venir, instituer des droits de douane ou contracter des emprunts à l'étranger.

La possibilité peut être reconnue à la fédération d'intervenir directement dans les affaires des États fédérés, lors de circonstances exceptionnelles afin de :

- maintenir l'intégrité nationale ou protéger la forme républicaine du gouvernement (Brésil) ;

- ou assurer, par des mesures d'urgence, l'administration d'un État lorsque celle-ci est défaillante (Inde).

Répartition des compétences entre fédération et États fédérés

Les constitutions des six fédérations étudiées comportent un mécanisme de répartition des compétences entre centre et périphérie qui consiste en :

- une clause générale de compétences étatiques au bénéfice des États fédérés (Allemagne, États-Unis et cantons Suisse) et, par conséquent, une compétence d'attribution de la fédération ;

- ou une répartition explicite des compétences sous la forme :

d'une triple liste des compétences de la fédération d'une part, des États fédérés de l'autre, et enfin des compétences partagées entre la première et les seconds (Inde) ; de la fédération d'une part, de la fédération et des États d'autre part, et enfin de la fédération, des États et des autres collectivités publiques (Brésil),

d'une liste des compétences d'attribution de la fédération, les autres compétences relevant des États qui la composent (Mexique).

Gestion des finances publiques

À l'autonomie des États dans la gestion de leurs finances publiques (Allemagne, États-Unis), s'ajoutent notamment des dispositions telles que :

- l'énumération des impôts que la fédération et les États peuvent instituer ainsi que les règles de répartition de leur produit (Allemagne, Brésil, Inde) ;

- le vote du budget fédéral par la seule chambre qui ne représente pas les États fédérés (Mexique) ;

- ou la fixation du principe selon lequel les ressources cantonales doivent avoir un caractère suffisant, être harmonisées et péréquées (Suisse).

• Valeur juridique du droit fédéral, protection des droits fondamentaux et indépendance du juge constitutionnel

La primauté du droit fédéral

La primauté du droit fédéral est assurée par la création d'une cour constitutionnelle dotée de la compétence nécessaire pour faire respecter les lois fédérales dans cinq des fédérations étudiées. En Suisse, le Tribunal fédéral veille au respect par les cantons du droit fédéral mais ne peut statuer sur la conformité d'une loi fédérale à la Constitution.

Les membres de ces tribunaux sont :

- nommés par le chef de l'exécutif fédéral (Inde) après accord de l'assemblée désignée pour garantir les droits des États fédérés (Brésil, États-Unis, Mexique) ;

- élus par le Parlement :

pour moitié par le Bundestag et pour moitié par le Bundesrat en Allemagne,

par l'assemblée fédérale suisse compte tenu de critères linguistiques, régionaux et politiques.

Protection des droits fondamentaux

Les six constitutions étudiées comportent, outre des listes des droits fondamentaux protégés, des dispositions tendant à :

- interdire toute modification de la loi fondamentale qui porterait atteinte à ces droits (Allemagne, Brésil) ;

- permettre un contrôle par la cour constitutionnelle de leur application, le cas échéant sous réserve du respect de règles procédurales spécifiques telles que l'épuisement des autres voies de recours, en Allemagne ;

- voire l'obligation, pour chaque État fédéré, de créer un organisme spécifique chargé de la protection des droits de l'homme (Mexique).

• Modification de la Constitution fédérale

Les règles de modification de la Constitution fédérale laissent une part importante à la représentation des États fédérés vu la nécessité d'adopter une loi :

- aux 3/5 èmes des membres de chacune des chambres au Brésil ;

- aux 2/3 du Bundestag et aux 2/3 du Bundesrat en Allemagne, laquelle ne peut porter atteinte ni à l'organisation de la fédération en Länder , ni au principe de la participation des Länder à la législation ;

- aux 2/3 des présents et votants de chaque chambre en Inde à laquelle s'ajoute la ratification de la moitié des États si le projet concerne l'élection du président fédéral, l'étendue du pouvoir législatif ou la répartition des compétences entre l'Union et les États ;

- aux 2/3 des présents des deux chambres du Congrès général et à la majorité des législatures des États fédérés au Mexique ;

- et enfin par les 3/4 des législatures des États aux États-Unis.

Le système suisse laisse, quant à lui, une large part à la votation populaire sans que les organes des cantons ne soient associés à la modification constitutionnelle fédérale. Dans ce pays, le projet de révision élaboré par les deux chambres de l'Assemblée fédérale n'entre en vigueur qu'après avoir été approuvé par un vote du peuple et des cantons.


* 1 Maurice Croizat, Le fédéralisme dans les démocraties contemporaines , 3 e éd., Montchrestien, Paris 1999, p. 18.

* 2 Georges Scelle, Précis de droit des gens. Principes et systématique , I et II, Éditions du CNRS, Paris 1984 [impression anastatique des éditions de 1932 et 1934], p. 192.

* 3 Ronald L. Watts, Comparing federal systems , 3 e éd., McGill-Queen's University Press, Monreal & Kingston 2008, p. 9.

* 4 Idem , p. 9.

* 5 K. C. Wheare, Federal Government , Oxford University Press, Londres, 3 e éd., 1961, p. 32-33.

* 6 Elizabeth Zoller, « Aspects internationaux du droit constitutionnel : Contribution à la théorie de la fédération d'États » dans Recueil des cours de l'Académie de droit international , tome 294, 2002, p. 73.

* 7 Opinion du juge Subba Rao dans l'affaire State of West Bengal v. Union of India citée par R. K. Chaubey, Federalism, Autonomy and Centre-State relations , Satyam Books, New Delhi 2007, p. 27.

* 8 Les anciens demi-cantons n'ont toutefois qu'un seul représentant.

* 9 Le quart restant des membres est élu sur des listes nationales au suffrage universel direct.

* 10 Le vote des autres lois fédérales nécessite son assentiment.

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