PAYS-BAS

Il n'existe pas de loi spécifiquement consacrée à la protection des sources des journalistes aux Pays-Bas.

La question de la protection de ces sources y a cependant été abordée, notamment du fait que l'article 315 du Code de procédure pénale permet au juge qui supervise l'enquête (rechter commissaris) d'ordonner la « mise en détention pour refus d'obtempérer » (gijzeling) . La Cour européenne des Droits de l'Homme a jugé dans l'affaire Voskuil contre Pays-Bas que « l'ordre de révéler une source ne peut se justifier que par un impératif prépondérant d'intérêt public » 17 ( * ) .

Le régime juridique applicable à la protection des sources des journalistes résulte en conséquence des dispositions générales de la Constitution, de la Convention européenne des droits de l'Homme dont la Cour Suprême des Pays-Bas fait application, ainsi que de dispositions du Code de procédure pénale néerlandais, explicitées par une circulaire du Collège des Procureurs généraux.

Un projet de loi en cours de discussion tend à modifier certaines dispositions en vigueur pour améliorer la protection des sources.

1. Cadre général

Comme le rappelle la circulaire du Collège des Procureurs généraux du 27 février 2012 (désormais « la circulaire »), les fondements juridiques de la protection des sources résultent des articles 4 de la Constitution des Pays-Bas, qui proclame la liberté d'opinion, et 10 de la Convention européenne des droits de l'Homme.

2. Bénéficiaires du régime de protection

Considérant que « la profession de journaliste n'est pas un groupe professionnel fermé » et que « tout un chacun est libre de s'appeler journaliste » la circulaire considère quant à elle qu'indépendamment de l'existence d'un contrat de travail, il convient en premier lieu de prendre en considération le caractère de l'activité exercée.

Le journaliste est par conséquent, « la personne physique ou morale qui, à titre professionnel, s'occupe de réunir puis de diffuser l'information via les médias ». Il s'ensuit que les collaborateurs d'une rédaction, les cameramen et preneurs de son, les personnes qui disposent d'informations sur la source du fait de leur profession et sont concernées par la production journalistique peuvent invoquer l'article 10 de la convention européenne des droits de l'homme, de même que toute personne morale si elle exerce une activité journalistique. En outre, les journaux, les périodiques, la radio et la télévision, la vidéo diffusée en flux (streaming) , les sites d'information et les blogs, qui réunissent et diffusent de l'information, peuvent également bénéficier de la protection des sources des journalistes.

3. Portée du secret

La Cour Suprême des Pays-Bas (Hoge Raad der Nederlanden) a jugé, en application de la Convention européenne des droits de l'homme, qu'un journaliste a le droit de s'exempter (sich te verschonen) de répondre à une question qui lui est posée, sous le contrôle du juge, s'il risque de rendre publiques des sources.

4. Garanties procédurales

Afin de rendre sa décision sur la légitimité du refus de répondre opposé par un journaliste, le juge examine, en se référant à l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'Homme, si :

- il est question d'une « ingérence » (inbreuk / interference) visée par cet article ;

- cette ingérence a une base juridique ;

- l'ingérence ou la limitation a un but qui justifie une intervention des pouvoirs publics dans la liberté d'expression et/ou la collecte d'information ;

- et enfin, si cette ingérence est nécessaire dans un État de droit.

Selon la circulaire, le « coeur » du contrôle repose sur le point de savoir si « l'ingérence est nécessaire dans une société démocratique » ce qui revient à se demander si :

- l'intérêt de la recherche et de la poursuite pèse, in concreto , plus lourd que la liberté de collecte de l'information ;

- et si l'on peut se contenter d'autres moyens qui lèsent moins les conditions dans lesquelles s'effectue le travail journalistique.

Dans l'appréciation de ces deux données, le juge doit tenir compte d'un principe de proportionnalité, de sorte qu' « il ne suffit pas que la police et le ministère public exercent la compétence de s'ingérer d'une façon raisonnable et soigneuse. Il doit s'agir d'une nécessité absolue et proportionnée eu égard à l'intérêt juridiquement protégé ». Le juge ne peut en conséquence appliquer des mesures contraignantes telles que la saisie de matériel journalistique ou la réquisition de données sauvegardées telles que des adresses IP, dans le cas où un journaliste est considéré comme suspect que « [...] si cela est le seul moyen efficace concevable afin de rechercher et de prévenir un très sérieux délit. Il doit s'agir de délits dans lesquels il peut être sérieusement porté préjudice à la vie, la sécurité ou la santé des personnes ou qu'elles peuvent être mises en danger. Il pourra s'agir par exemple, en principe, de la découverte d'un suspect dont on considère que, s'il n'est pas arrêté, il commettra de nouveaux sérieux délits, ou de rechercher les traces d'une quantité d'explosifs dans le cas d'un attentat sur le point d'être commis ».

La circulaire précise que la saisie de matériel journalistique, ne peut être engagée qu'après autorisation d'un juge en mesure d'évaluer la proportionnalité de la mesure. La saisie doit être opérée de la façon la moins préjudiciable au journaliste auquel le matériel doit être restitué dès que possible.

Lorsque des images, des photos ou des enregistrements ont été réalisés dans l'espace public sans qu'une source journalistique ne soit en cause, le ministère public a la possibilité d'utiliser des moyens de contrainte à l'encontre de leur détenteur pour en obtenir communication. En revanche, lorsque le même matériel a été réalisé dans l'espace public parce qu'existe une relation de confiance d'un journaliste avec une source, la mesure de contrainte ne peut être envisagée que si elle respecte le principe de proportionnalité décrit supra .

La perquisition ne saurait, quant à elle, avoir lieu qu'après autorisation par un magistrat et sous son contrôle.

L'officier chargé de l'enquête peut demander communication d'une adresse IP ou de données contenues dans des ordinateurs, sous réserve de motiver sa demande de sorte qu'il apparaisse clairement que l'intérêt de la poursuite, pèse plus lourd que les intérêts journalistiques et la libre collecte d'information. Le journaliste peut contester la légalité de cette opération en saisissant le tribunal qui statuera dans la chambre du conseil. Dans ce cas, le ministère public ne peut ni prendre connaissance ni faire usage des données avant que le juge ait statué sur la légalité de l'opération.

5. Le projet de loi portant modification du Code de procédure pénale pour l'établissement du droit à la protection des sources à l'occasion de la libre collecte d'informations

L'article 218 du Code de procédure pénale en vigueur, qui permet aux détenteurs de secrets à raison de leur état ou de leur profession de refuser de répondre aux questions qui leur seraient posées en qualité de témoins, ne visent pas de façon spécifique les journalistes.

Déposé en septembre 2014, un projet de loi portant modification du Code de procédure pénale pour l'établissement du droit à la protection des sources à l'occasion de la libre collecte d'informations tend à :

- préciser que les journalistes peuvent invoquer leur profession pour être exemptés de témoigner, le magistrat pouvant rejeter cette demande s'il estime qu'elle est disproportionnée par rapport à la nécessité de protéger un intérêt social plus important ;

- permettre au juge qui envisage la mise en détention pour au plus douze jours, susceptible d'être prolongée du même délai, d'un témoin qui refuse d'obtempérer à l'injonction de témoigner que lui adresse un magistrat, de recueillir l'avis consultatif d'un représentant de la profession avant de statuer sur la recevabilité de l'exemption revendiquée par une personne qui se considère comme journaliste (ce représentant est aussi consulté en cas de prolongation) ;

- supprimer la possibilité pour un magistrat chargé d'une enquête, de procéder à la fouille des bureaux d'un journaliste ;

- et permettre au tribunal saisi d'une affaire concernant un journaliste de recueillir, lui aussi, l'avis consultatif d'un représentant de la profession avant de statuer sur la recevabilité de l'exemption revendiquée par une personne qui se considère comme journaliste.


* 17 L'arrêt n'existant qu'en anglais, on s'est reporté à la version française du communiqué du greffier de la Cour, n° 820 du 22 novembre 2007 pour les questions terminologiques.

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