HARCÈLEMENT DE RUE ET AGISSEMENTS SEXISTES

La division de la Législation comparée a conduit une recherche sur la pénalisation du harcèlement de rue, en examinant le cas échéant s'il existait une incrimination plus générale de l'agissement sexiste, qui couvrirait notamment les cas de harcèlements sur le lieu de travail ou dans l'espace public. Elle a examiné les dispositions en vigueur en Belgique, au Portugal, au Royaume-Uni et en Suède pour l'Europe et en Argentine, au Chili, au Costa Rica et au Pérou pour l'Amérique latine.

Hors le cas de la Belgique qui définit globalement l'agissement sexiste afin de le pénaliser dans l'espace public, on privilégie en Europe un arsenal anti-discrimination à portée générale sans cibler une spécificité du sexisme. Un sort particulier peut être toutefois réservé à des situations particulières où les comportements incriminés sont considérés comme particulièrement fréquents ou préjudiciables, comme le lieu de travail.

Lorsque le harcèlement de rue est explicitement sanctionné comme au Portugal et en Amérique latine, la terminologie retenue fait une distinction avec le harcèlement sexuel sur le lieu de travail, alors que le français tend nominalement si ce n'est conceptuellement, à les regrouper sous une même catégorie générique de harcèlement.

Pays généralement considéré comme très en pointe en matière d'égalité entre les femmes et les hommes, et à ce titre choisi comme point utile de comparaison, la Suède ne réprime pas explicitement et spécifiquement les agissements sexistes qui sont toujours appréhendés comme un sous-ensemble des pratiques discriminatoires ou renvoyés au harcèlement sexuel, notamment dans le cadre des relations de travail. C'est là le droit commun à l'échelle européenne, issu notamment des directives 2002/73/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 septembre 2002 et 2004/113/CE du Conseil du 13 décembre 2004, en matière d'égalité sur le marché du travail et pour l'accès aux biens et aux services.

La loi suédoise du 5 juin 2008 sur la discrimination (Diskrimineringslag 2008 :567) 93 ( * ) prohibe la discrimination à raison du genre (kön) dans des termes conformes au droit communautaire et que l'on retrouve dans les autres pays de l'Union. Est, à ce titre, couverte la discrimination :

- directe, qui concerne « quiconque est désavantagé au moyen d'un traitement défavorable par rapport à la façon dont un autre est, a été ou serait traité dans une situation comparable, si le désavantage a un rapport avec le genre, l'identité ou l'expression sexuelle, l'origine ethnique, la religion ou autre conviction, le handicap, l'orientation sexuelle ou l'âge » (ch. 1, § 4-1 Diskrimineringslag 2008) ;

- et indirecte, qui touche « quiconque a été désavantagé au moyen de l'application d'une disposition, d'un critère ou d'une pratique qui semble neutre mais qui peut conduire, en particulier, à désavantager des personnes avec un certain genre, une certaine identité ou expression sexuelle, une certaine origine ethnique, une certaine religion ou autre conviction, un certain handicap, une certaine orientation sexuelle ou un certain âge, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique n'ait un objectif légitime et que les moyens utilisés soient appropriés et nécessaires pour atteindre cet objectif » (ch. 1, § 4-2 ) .

En outre, est prohibé le harcèlement, défini comme un comportement qui viole la dignité de quelqu`un et qui est lié à l'un des motifs de discrimination que sont le genre, l'identité ou expression sexuelle, l'origine ethnique, la religion ou autre croyance, le handicap, l'orientation sexuelle ou l'âge (ch. 1 § 4-4). Plus spécifiquement, est condamné le harcèlement sexuel, soit un comportement de nature sexuelle qui viole la dignité de quelqu'un (ch. 1 § 4-5).

En 2014, un cas de harcèlement sexuel sur le lieu de travail a été porté à la connaissance du médiateur de la discrimination, et transmis par ses soins au tribunal du travail en 2015. Les différents intervenants ont relevé, outre les propositions déplacées et commentaires désobligeants de nature sexuelle, l'existence de plaisanteries de mauvais goût de nature sexuelle (grova sexuella skämt) et d'un jargon sexiste sur le lieu de travail (sexistisk jargong på arbetsplatsen) . Dans ses conclusions du 21 septembre 2016, le tribunal a estimé que « lorsqu'il existe régulièrement des plaisanteries de mauvais de goût de nature sexuelle sur le lieu de travail, selon les circonstances, cela peut, [...], constituer un tel comportement à caractère sexuel qu'il peut porter atteinte à la dignité de quelqu'un au sens de la loi sur la discrimination » 94 ( * ) . Le juge du travail suédois élargit par ce biais le harcèlement sexuel pour sanctionner des comportements sexistes, sans avoir besoin d'une disposition spécifique. Il reste que n'est visé que le lieu de travail, à l'occasion d'actions régulières créant un climat préjudiciable. Dès lors, on ne peut dire qu'en général, via l'extension du harcèlement sexuel, le droit suédois sanctionne les agissements sexistes, notamment un comportement ponctuel sur la voie publique. La construction prétorienne du juge suédois aboutit, sans thématiser le sexisme, aux mêmes conséquences pratiques que l'art. L. 1142-2-1 du code du travail français qui emploie, lui, le concept d'agissement sexiste.

La division de la Législation comparée n'a pu trouver de dispositions législatives spécifiques réprimant le harcèlement de rue en Suède, Une recherche sur les questions parlementaires et sur les journaux suédois n'a pas donné de résultats probants, ce qui laisserait à penser qu'il ne s'agit pas non plus d'un sujet présent dans le débat public suédois.

Sans que l'absence de dispositions spécifiques signale nécessairement l'inexistence des problèmes, cela laisse penser que les règles sociales qui structurent la société suédoise condamnent déjà fortement à la fois les comportements explicitement misogynes et toutes les interpellations non désirées sur la voie publique pour qu'il ne soit pas perçu nécessaire de pénaliser le harcèlement de rue. À l'inverse, la pratique quasi-rituelle du piropo en Amérique latine, ainsi qu'au Portugal, une interpellation à connotation sexuelle très courante sur la voie publique, a pu conduire ces pays à prendre des mesures répressives spéciales en l'absence de contrôle social, sans qu'il ne faille surestimer l'efficacité concrète des sanctions.

Au Royaume-Uni , dans la lignée de la législation européenne, la loi sur l'égalité du 8 avril 2010 (Equality Act 2010) protège plusieurs caractéristiques des personnes, comme le sexe ( section 4 ) et prohibe ainsi toute discrimination fondée sur ce critère. Est interdit tout harcèlement défini comme une conduite non désirée à l'égard d'une autre personne en lien avec l'une de ses caractéristiques protégées, dès lors que cette conduite a pour intention ou pour effet de violer sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ( section 26(1) ). Sont également visés le harcèlement sexuel ( section 26(2) ), le harcèlement lié au sexe ou au réassignement de genre ( section 26(3) ). Solution classique en droit anglais, pour savoir si des faits constituent un cas de harcèlement, doit être prise en compte la perception de celui qui se présente comme victime, en examinant les circonstances de l'espèce et en vérifiant si l'agissement incriminé peut raisonnablement causer le préjudice allégué.

Parallèlement, la loi sur les comportements anti-sociaux du 13 mars 2014 (Anti-Social Behaviour, Crime and Policing Act 2014) sanctionne toute conduite qui a causé, ou qui est susceptible de causer harcèlement, crainte ou détresse à une personne.

S'il n'existe pas de disposition législative spécifique réprimant le harcèlement de rue et les agissements sexistes, le Royaume-Uni en restant au droit commun de l'Union, la police du comté de Nottingham a toutefois décidé, en avril 2016, d'inclure de tels comportements dans la catégorie des crimes de haine (hate crimes) pour y sensibiliser la population. D'autres polices ont suivi cet exemple : ainsi dans le Yorkshire du Nord, la police du comté a ajouté la catégorie « misogynie » à la liste des hate crimes potentiels, le 10 mai 2017 95 ( * ) .

Dans un hate crime , la victime est ciblée du fait de son identité entendue de la façon la plus large. La catégorie déborde très nettement les crimes au sens strict ; elle englobe aussi bien des injures, du bullying que des attaques contre des biens ou des personnes. La motivation de ce type d'incivilités ou d'agressions repose sur des préjugés qui englobent les facteurs classiques de discrimination comme l'origine ethnique, la religion, l'orientation sexuelle, le handicap, la transsexualité ou la misogynie mais qui peuvent aussi viser l'appartenance à une culture alternative (gothiques, punks, etc.) 96 ( * ) . Le document d'information sur l'égalité et la diversité (Equality and Diversity Information 2017) , publié par la police du Nottinghamshire, fait état, quant à lui, sur la période 2016-2017, de 63 « incidents » et 32 « hate crimes » relevant de la catégorie misogynie, sur un total de 2 045 « incidents and crimes » s'étant produits, sur la même période, dans le comté de Nottingham 97 ( * ) .

À un échelon national, le Ministère public (Crown Prosecution Service - CPS) indique que « la police et le CPS se sont accordé sur la définition suivante pour identifier et démarquer les crimes de haine : toute infraction pénale perçue par la victime ou toute autre personne comme étant motivée par l'hostilité ou les préjugés, basée sur le handicap de la personne ou son handicap perçu, son origine ethnique ou son origine perçue, sa religion ou sa religion perçue, ou son orientation sexuelle ou son orientation sexuelle perçue ou une personne transgenre ou perçue comme telle » 98 ( * ) . Le terme d'hostilité n'est pas juridiquement défini, c'est donc la compréhension quotidienne du mot qui est utilisée, ce qui inclut la malveillance, la rancune, le mépris, le préjugé, l'inimitié, la rivalité, le ressentiment et l'aversion. La grande diversité des situations empêche de les soumettre à une seule incrimination pénale précise. Le CPS décide de l'opportunité des poursuites et traite davantage la misogynie comme une potentielle circonstance aggravante 99 ( * ) .

La Belgique est allée au-delà de l'arsenal commun européen anti-discrimination et a mis en place une politique active de poursuite du sexisme dans l'espace public pour définir et pénaliser l'agissement sexiste.

Aux termes de la loi belge du 22 mai 2014 n° 586 tendant à lutter contre le sexisme dans l'espace public 100 ( * ) , est puni d'un emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende allant de 50 € à 1 000 €, ou de l'une de ces peines seulement, quiconque adopte un comportement sexiste (art. 3). Le sexisme est lui-même défini comme tout geste ou comportement qui a « manifestement pour objet d'exprimer un mépris à l'égard d'une personne, en raison de son appartenance sexuelle, ou de la considérer, pour la même raison, comme inférieure ou comme réduite 101 ( * ) à sa dimension sexuelle et qui entraîne une atteinte grave à sa dignité » (art. 2). Pour l'application de cette loi, le sexisme est expressément réprimé dans les circonstances prévues à l'article 444 du code pénal belge, qui réprime les atteintes portées à l'honneur ou à la considération des personnes dans des réunions ou lieux publics, dans un lieu recevant du public ou, en présence de l'offensé et devant témoins, dans un lieu quelconque.

Enfin, la loi de 2014 procède à un ajustement des dispositions de la loi belge n° 2098 du 10 mai 2007 tendant à lutter contre les discriminations entre les femmes et les hommes, qui transposait les directives européennes, pour pénaliser les discriminations directes et indirectes dans l'accès aux biens et aux services (art. 4) et dans les relations de travail (art. 5). La même peine est prévue que pour l'agissement sexiste dans l'espace public, de telle sorte que le dispositif pénal belge soit homogène et complet, quel que soit le lieu où se produit l'atteinte à la dignité de la femme et quelle que soit sa caractérisation juridique (sexisme ou discrimination).

L'arrêt n° 72/2016 du 25 mai 2016 de la Cour constitutionnelle belge saisie d'un recours en annulation apporte plusieurs éclaircissements intéressants. Sur l'appréciation de l'atteinte grave à la dignité de la personne, la Cour considère que cette notion ne peut dépendre des appréciations personnelles et subjectives de la victime, si bien qu'un éventuel consentement à l'agissement sexiste incriminé de la part de la victime ne saurait, à lui seul, exclure la responsabilité pénale de l'auteur (§ B.11.4). Il revient au juge saisi d'évaluer in concreto si les éléments constitutifs de l'infraction, y compris l'atteinte grave à la dignité humaine, sont réunis. Seuls les cas de sexisme les plus graves, qui ont des effets dégradants, sont pénalement sanctionnés. En outre, une ou plusieurs personnes déterminées doivent être visées et non l'ensemble des hommes ou des femmes de manière indéfinie, si bien que « la simple expression d'opinions relatives à la place et au rôle respectifs des sexes dans la société ne saurait être constitutive de l'infraction » (§ B.12.3). Enfin, la Cour a posé une réserve d'interprétation en insistant sur la nature dolosive de l'agissement : sans intention de nuire, pas d'infraction pénale. Seule la combinaison de l'atteinte grave à la dignité et d'une intention de mépriser ou de rabaisser rend punissable le comportement visé. La Cour en conclut qu' « il ne peut donc s'agir d'une infraction dont l'existence serait présumée dès lors que les éléments matériels en sont réunis. Il appartient à la partie poursuivante de prouver l'existence du dol spécial requis » (§ B.23.2).

Bien qu'il ne connaisse pas la catégorie d'agissement sexiste, le Portugal offre un exemple original puisque son système juridique pénalise à la fois le harcèlement sexuel et le harcèlement de rue, distingués sous les termes d' assédio sexual et d' importunação.

La loi portugaise n° 14/2008 du 12 mars 2008 102 ( * ) transpose la directive 2004/113/CE du Conseil pour interdire et sanctionner les discriminations directes et indirectes en fonction du sexe dans l'accès et la fourniture de biens et de services. On y retrouve inévitablement les mêmes définitions du harcèlement ( assédio ) et du harcèlement sexuel, qui ont été présentées plus haut sur les exemples de la Belgique, de la Suède et du Royaume-Uni et sur lesquelles il n'est pas nécessaire de revenir.

En outre, l'article 29 du code du travail portugais sanctionne le harcèlement sexuel en milieu professionnel. Il convient de noter une évolution de la législation portugaise dans ce domaine depuis l'adoption sur initiative parlementaire de la loi n° 73/2017 du 16 août 2017 103 ( * ) pour renforcer le cadre législatif de prévention du harcèlement. Des clarifications ont été apportées pour ne pas viser uniquement le harcèlement sur le lieu de travail, mais dans le travail, afin d'inclure le harcèlement à distance, par courriel ou par téléphone, jusqu'au domicile de la victime. Un droit explicite à l'indemnisation est reconnu à la victime, sans préjudice des responsabilités pénales. Est garantie la protection des témoins de harcèlement et des personnes qui portent plainte, contre les sanctions disciplinaires internes. La réparation des dommages causés à la santé des travailleurs par le harcèlement est imputée à l'employeur, de telle sorte que ces dommages puissent être couverts par la branche « accidents du travail - maladies professionnelles » de la sécurité sociale. L'Autorité des conditions de travail se voit confier la tâche de mettre au point une procédure de plainte en ligne pour le harcèlement dans les entreprises.

Par ailleurs, la loi n° 83/2015 du 5 août 2015 104 ( * ) modifiant le code pénal a frayé une voie nouvelle en transformant l'article 170 du code pénal portugais, qui visait initialement les attentats à la pudeur, pour sanctionner le fait d'importuner sexuellement une personne ( importunação sexual). Cette loi tendait à transposer en droit portugais la Convention d'Istanbul pour la prévention et la lutte contre les violences faites aux femmes et les violences domestiques du 11 mai 2011. Outre l'interdiction du harcèlement de rue, elle a prévu des sanctions pénales contre les mutilations génitales féminines (art. 144 code pénal portugais), la persécution (art. 154-A) et le mariage forcé (art. 154-B).

Le crime de persécution est plus grave et général que celui d' importunação ; il ne comporte aucune connotation sexiste ou sexuelle bien qu'il puisse couvrir les cas de stalking ; il couvre le fait de persécuter ou de harceler une personne, de manière répétée, par n'importe quel moyen pour provoquer chez elle de la peur ou de l'inquiétude ou pour porter atteinte à sa liberté d'agir ou de choisir ( liberdade de determinação ). Il est puni de trois ans de réclusion.

En revanche, l' importunação, qui vise essentiellement le harcèlement de rue sans que la formulation du code pénal portugais se restreigne à cette seule situation, fait partie des crimes contre la liberté sexuelle. Aux termes du nouvel article 170 du code pénal portugais, « qui importune une autre personne, en pratiquant devant elle des actes à caractère exhibitionniste, en formulant des propositions à teneur sexuelle ou en la contraignant à un contact de nature sexuelle, est puni d'une peine de prison allant jusqu'à un an ou d'une amende allant jusqu'à une valeur de 120 jours 105 ( * ) ». Lorsque la victime a moins de 14 ans, âge limite du consentement à une relation sexuelle au Portugal, le crime est requalifiée comme atteinte à l'autodétermination sexuelle 106 ( * ) et l'auteur est puni de trois ans de réclusion au maximum (art. 171). Il s'agit d'un crime dont la poursuite dépend d'une plainte (queixa) de la victime, sauf s'il est commis sur un mineur. L'extinction des poursuites a lieu 6 mois après les faits, si aucune plainte n'a été déposée.

Au cours du débat parlementaire ont été rejetées la création d'un nouveau chef d'incrimination plutôt qu'une extension d'une incrimination existante et la pénalisation du seul piropo 107 ( * ) , c'est-à-dire du harcèlement de rue au sens strict. Tous les espaces publics ou recevant du public, notamment les transports en communs, sont potentiellement concernés. Ce pourrait aussi être le cas des lieux de travail, mais la qualification de harcèlement sexuel prendrait alors le dessus. La portée de ces nouvelles dispositions pénales dépendra beaucoup du changement des perceptions sociales à l'égard de comportements répandus, mais aussi de l'interprétation des juges.

Selon Clara Sottomayor, juge du Tribunal suprême, « bien qu'étant un pas dans la bonne direction, cette modification du crime d' importunação , n'est pas ce qui est nécessaire. Interprétée en termes littéraux, elle couvre une intention de proposer ou de divulguer, de telle sorte que toutes les formes de harcèlement sexuel n'y sont pas englobées. Je doute qu'elle couvre toutes les situations de harcèlement de rue, elle me paraît plus adaptée aux propositions constitutives de harcèlement sexuel dans le travail » 108 ( * ) .

D'après le Ministère public portugais, en novembre 2017, 733 enquêtes avaient été menées après une plainte pour harcèlement de rue, 75 donnant lieu à une inculpation, aucune n'ayant encore abouti à une condamnation.

Les dispositifs juridiques de répression du harcèlement en vigueur en Amérique Latine se rapprochent de celui du Portugal.

Le Pérou distingue le harcèlement sexuel ( hostigamiento sexual ) et le harcèlement de rue ( acoso sexual en los espacios publicos ). Le code pénal du Pérou punit aux articles 170 et suivants le viol et les attentats à la pudeur 109 ( * ) , mais ne pénalise pas le harcèlement sexuel ou les agissements sexistes.

C'est la loi n° 27942 du 27 février 2003 110 ( * ) qui sanctionne le harcèlement sexuel ( hostigamiento ). Elle trouve à s'appliquer dès qu'existe une relation d'autorité ou de dépendance, quelle que soit sa forme juridique (art. 1). Elle couvre les relations de travail, expressément les entreprises privées et publiques, les établissements d'éducation, la police, les forces armées et toutes les personnes impliquées dans les relations de subordination non réglées par le droit du travail 111 ( * ) (art. 2). Aussi dénommé chantage sexuel, le harcèlement sexuel est défini par comme un propos ou un comportement répété de nature sexuelle, non désiré ou refusé, réalisé par une personne qui profite de sa position d'autorité ou d'une situation avantageuse contre une autre qui considère que cette conduite porte atteinte à sa dignité, ainsi qu'à ses droits fondamentaux (art. 4).

Les sanctions en cas de harcèlement sexuel dans le secteur privé ne relèvent pas directement de la répression pénale. La victime peut choisir (art. 8) entre :

- une action en cessation de l'acte hostile ( accionar el cese de la hostilidad ) pour demander au juge d'infliger une amende à l'employeur ;

- la rupture de la relation de travail en recevant la même indemnité qu'en cas de licenciement abusif. 112 ( * )

Par ailleurs, le Pérou est le premier pays d'Amérique Latine qui a pénalisé le harcèlement ( acoso ) de rue après l'adoption de la loi du 23 mars 2015 pour prévenir et sanctionner le harcèlement sexuel dans les espaces publics 113 ( * ) . Elle trouve à s'appliquer dans toutes les aires d'usage public constituées par les voies publiques et les zones de loisirs (art. 2), tels que les parcs publics ou éventuellement les galeries marchandes.

Sont punissables les propos ou les comportements non désirés, tenus dans un espace public qui présentent une nature ou une connotation sexuelle, dont la victime considère qu'ils portent atteinte à sa dignité et ses droits fondamentaux en suscitant intimidation, hostilité, dégradation, humiliation ou un environnement offensant. La caractérisation de l' acoso est proche de celle de l' hostigamiento sur le lieu de travail, si ce n'est l'absence d'un lien d'autorité et d'une condition de répétition des faits, mais la loi précise que, pour constituer une infraction pénale, il faut que l' acoso donne lieu à un rejet explicite de l'acte par la victime, sauf lorsqu'elle est mineure ou que les circonstances l'empêchent de l'exprimer (art. 5).

Le dispositif est extrêmement décentralisé. Il revient aux gouvernements régionaux, provinciaux et locaux d'adopter les mesures de prévention, la procédure de dépôt de plainte, les sanctions et les mesures d'aide aux victimes pour le harcèlement de rue (art. 7). La loi précise uniquement que les sanctions prennent la forme d'amendes, ce qui apparente le harcèlement de rue à une contravention et justifie qu'il ne trouve pas sa place dans le code pénal péruvien. On retrouve la même logique à l'oeuvre en Argentine.

Peu de districts ont adopté à ce jour les dispositions réglementaires nécessaires pour sanctionner le harcèlement de rue. On peut toutefois citer le cas de Miraflores, un district important de la province de Lima, qui a pris un arrêté municipal pour punir le harcèlement de rue en avril 2016 114 ( * ) . Est considéré comme comportement inapproprié, tout acte ou manifestation de nature sexuelle par des propos, des gestes ou des allusions. Est considéré comme du harcèlement sexuel de rue ( acoso sexual callejero ) tout comportement inapproprié imposé à une personne sur la voie publique ou des établissements commerciaux. Des exemples précis sont donnés tels qu'attouchements, masturbations publiques, exhibitionnisme ou filature à pied ou en véhicule (art. 2 de l'arrêté). Trois types d'infractions sont distingués : le harcèlement de rue « léger » (sifflements, phrases, etc.), le harcèlement de rue « grave » (attouchements, filatures, etc.) et le fait de ne pas afficher des panneaux contre le harcèlement de rue dans les établissements commerciaux (art. 9).

De même qu'au Pérou, si le code pénal en Argentine réprime les viols et les agressions sexuelles, en tant que les délits contre l'intégrité sexuelle, aucune de ses dispositions ne définit, ni ne sanctionne le harcèlement sexuel ou les agissements sexistes.

Il revient à la loi fédérale n°26.489 du 11 mars 2009 de protection intégrale des femmes 115 ( * ) de poser le principe du « droit des femmes à vivre une vie sans violence » (art. 2) et de déterminer les violences commises à l'encontre des femmes. L'Argentine se conforme ainsi à la jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l'homme qui, dans un arrêt de 2009 contre le Mexique 116 ( * ) , a rappelé l'obligation des États membres d'adopter des mesures contre les violences faites aux femmes, conformément à la Convention de Bélem do Para (Brésil) du 9 juin 1994 117 ( * ) .

Est visé tout comportement, action ou omission, envers les femmes qui de façon directe ou indirecte, dans le secteur public ou privé, fondé sur une relation inégale de pouvoir affecte leur vie, leur liberté, leur dignité, leur intégrité physique, psychologique, sexuelle, économique ou patrimoniale, ou encore leur sécurité personnelle (art. 4). Cette définition très large inclut le harcèlement sexuel, les discriminations au sens de la législation européenne et même les agissements sexistes au sens du code du travail français ou de la loi belge. Rien n'est toutefois précisé dans la loi fédérale au sujet du cas particulier du harcèlement de rue ou dans les lieux publics.

Une limite doit être cependant relevée : aucun régime pénal n'est prévu ; certes une procédure de plainte est décrite et des pouvoirs d'ordonnance en référé sont confiés au juge notamment pour protéger de façon préventive les femmes contre les violences domestiques, mais les seules sanctions prévues contre l'auteur en cas d'irrespect de l'ordonnance ou de réitération des actes restent limitées à pouvoir rendre publics les agissements, communiquer les faits de violences aux institutions, syndicats, associations, employeurs dont relève l'auteur, et lui ordonner de suivre des programmes éducatifs ou thérapeutiques pour modifier ses comportements violents (art. 32).

L'Argentine étant un pays fédéral composé de provinces autonomes qui ont compétence pour légiférer dans certains domaines et dans le respect de la loi fédérale, la division de la Législation comparée a analysé le cas de Buenos Aires, qui possèdent un statut autonome selon la Constitution et quasiment les mêmes fonctions qu'une province 118 ( * ) .

En effet, la ville de Buenos Aires est la première instance en Argentine à reconnaître légalement le harcèlement de rue ( acoso callejero ) 119 ( * ) en 2015. Puis, le harcèlement sexuel dans les espaces publics et privés d'accès public fut reconnu comme contravention par la loi locale n°5742 du 7 décembre 2016 120 ( * ) . La subtilité juridique vient de ce que les provinces sont compétentes en matière de contraventions, mais pas de crimes et délits. L'article 65 bis du code des contraventions de la cité autonome de Buenos Aires exclut explicitement de la qualification de harcèlement dans les espaces publics les faits constitutifs d'un délit. Si les faits de harcèlement sont trop graves, ils doivent être qualifiés d'agressions sexuelles au sens du code pénal argentin pour pouvoir être punis. Il existe donc potentiellement un espace entre le harcèlement de rue comme contravention et l'agression sexuelle comme délit, espace dans lequel certains agissements pourraient ne pas être sanctionnés. En considérant qu'il s'agit d'une infraction et non d'un délit, la ville de Buenos Aires a compétence pour légiférer en régime de contraventions contrairement, à la matière pénale.

Le harcèlement de rue est défini de la même manière qu'au Pérou à ceci près que la loi de Buenos-Aires précise que l'agissement mis en cause est « fondé sur le genre, l'identité sexuelle ou l'orientation sexuelle de la victime » (art. 2). La formulation péruvienne est plus neutre mais semble en réalité cibler plus étroitement les femmes. La formulation de Buenos Aires est destinée à n'écarter ni les homosexuels, ni les transgenres. Quelques exemples de comportements sont donnés par la loi : des commentaires sexuels sur le physique, y compris des allusions, des photographies et des enregistrements non consentis, un contact physique non consenti, des filatures et le fait de coincer une personne en lui fermant le passage, des gestes obscènes, masturbations et exhibitionnisme (art. 3). La sanction prévue est de 2 à 10 jours de travaux d'intérêt général et une amende de 200 à 1000 pesos (50 € environ) (art. 5).

En outre, la ville de Buenos Aires a mis en place une plateforme en ligne sur le harcèlement de rue 121 ( * ) , qui en décrit les manifestations et explique le droit applicable. Le site permet à la victime de porter plainte en ligne et d'être contactée pour un accompagnement psychologique et des conseils juridiques.

Enfin, en novembre 2017, un projet de loi fédéral sur le harcèlement de rue en Argentine 122 ( * ) a été approuvé par la commission de la législation pénale de la Chambre nationale des députés et attend d'être présenté en plénière. Il prévoit d'ajouter le harcèlement de rue comme un délit contre l'intégrité sexuelle dans le code pénal. Les amendes iraient de 5 000 à 25 000 pesos (1 200 € environ) et leur produit serait reversé à l'Institut national des femmes pour renforcer les programmes de prévention des violences.

Des projets de loi tendant à sanctionner le harcèlement de rue ont également été déposés devant les parlements du Chili en 2015 123 ( * ) et du Costa Rica en 2017 124 ( * ) . Le projet chilien introduit une nouvelle infraction spécifique dans le code pénal pour la punir d'une amende. Il est directement issu des travaux de l'Observatoire chilien contre le harcèlement de rue (OCAC) 125 ( * ) qui, créé en 2013, définit le harcèlement de rue comme des « pratiques à connotation sexuelle exercées par un inconnu dans un espace public comme la rue, les transports, les espaces privés à accès public (centres commerciaux, universités, places, etc.) qui provoquent une situation de malaise, d'embarras pour la victime. Ces actes ne sont pas consentis par la victime. » Adopté par l'Assemblée nationale chilienne, le texte n'a pas encore été examiné par la chambre haute. Le projet de loi costaricain, en revanche, ne modifie pas le code pénal et ne crée pas de nouveau délit mais, sur le modèle de la loi argentine de 2009 précitée, reconnaît le harcèlement de rue et donne au juge le pouvoir d'ordonner des mesures de protection de la victime.


* 93 http://www.riksdagen.se/sv/dokument-lagar/dokument/svensk-forfattningssamling/diskrimineringslag-2008567_sfs-2008-567

* 94 » Att det regelbundet förekommer grova sexuella skämt på en arbetsplats kan, beroende på de närmare omständigheterna, enligt Arbetsdomstolens mening vara ett sådant uppträdande av sexuell natur, som kan kränka någons värdighet i den mening som avses i diskrimineringslagen » ( http://www.do.se/globalassets/diskrimineringsarenden/arbetsdomstol/dom-arbetsdomstolen-anm-2015-97-sexuella-trakasserier-bageri.pdf , p.20)

* 95 https://northyorkshire.police.uk/news/misogyny-recognised-hate-crime-wednesday-10-may-2017/

* 96 https://www.nottinghamshire.police.uk/hatecrime

* 97 https://www.nottinghamshire.police.uk/sites/default/files/documents/files/Equality_and_Diversity_Information%202017_FINAL.pdf , pp. 16-18.

* 98 http://www.cps.gov.uk/victims_witnesses/hate_crime/

* 99 On peut également signaler que la commission des affaires intérieures (Home Affairs Committee) de la Chambre des Communes a mené une série d'auditions sur la question des crimes de haine, y compris la misogynie, mais le rapport final Hate Crime : Abuse, Hate and Extremism online est consacré au harcèlement sur les réseaux sociaux, notamment des jeunes filles https://publications.parliament.uk/pa/cm201617/cmselect/cmhaff/609/609.pdf ).

* 100 http://www.ejustice.just.fgov.be/cgi_loi/change_lg.pl?language=fr&la=F&table_name=loi&cn=2014052240

* 101 La version initiale de la loi précisait que la personne était, à cause de l'agissement sexiste, réduite « essentiellement » à sa dimension sexuelle. La Cour constitutionnelle belge dans son arrêt n° 72/2016 du 25 mai 2016 sur un recours en annulation contre la loi a supprimé cet adverbe, qui ne figurait que dans la version française et non dans la version néerlandaise, ce qui était susceptible de créer des difficultés d'interprétation contraire au principe de légalité des délits et des peines.

* 102 https://dre.pt/application/file/a/246959

* 103 https://dre.pt/application/file/a/108000750

* 104 https://dre.pt/application/file/a/69951045

* 105 On retrouve un mode de calcul des amendes en « jours-amendes » emprunté au droit allemand.

* 106 Autre emprunt conceptuel au droit allemand.

* 107 Terme commun à l'espagnol et au portugais qui se traduirait littéralement par « compliment de drague »

* 108 « Piropos já são crime e dão pena de prisão até três anos », Diário de Notícias, 28 décembre 2015

* 109 Código Penal http://spij.minjus.gob.pe/content/publicaciones_oficiales/img/CODIGOPENAL.pdf

* 110 ley n°27942, Ley de prevención y sanción del hostigamiento sexual, 27 de febrero de 2003 http://redin.pncvfs.gob.pe/images/ley/ley-n-27942-ley-de-prevencion-y-sancion-del-hostigamiento-sexual14.pdf

* 111 C'est le cas notamment des prestations de services régies par le code civil ou des apprentis en formation.

* 112 Ces dispositions sont précisées dans le décret législatif relatif à la productivité et à la compétitivité du marché du travail (art. 35).
Cf. Decreto Supremo n°003-97-TR, 27/03/1997, Ley de productividad y competitividad laboral http://www.mintra.gob.pe/archivos/file/normasLegales/DS_003_1997_TR.pdf

* 113 Ley n°30314, Ley para prevenir y sancionar el acoso sexual en espacios públicos, 26 de marzo de 2015 http://busquedas.elperuano.pe/normaslegales/ley-para-prevenir-y-sancionar-el-acoso-sexual-en-espacios-pu-ley-n-30314-1216945-2/

* 114 Ordenanza municipal n°251, Miraflores, 21 de abril de 2016 https://www.munimirafloresaqp.gob.pe/transparencia/datos%20generales/dispociciones_municipales/ordenanzas/2016/ordenanza%20municipal%20251.pdf

* 115 Ley 26.485, 11 de marzo de 2009, Ley de protección integral a las mujeres

http://servicios.infoleg.gob.ar/infolegInternet/anexos/150000-154999/152155/norma.htm

* 116 Corte IDH. Caso González y otras («Campo algodonero») vs México. Sentencia del 16 de noviembre del 2009, párrafo 258

* 117 https://www.cidh.oas.org/Basicos/French/m.femme.htm

* 118 Artículo 129 de la Constitución Nacional

http://servicios.infoleg.gob.ar/infolegInternet/anexos/0-4999/804/norma.htm

* 119 Ley 5.306, 2 de julio de 2015, «Día de Lucha contra el acoso Callejero», legislatura de la Ciudad de Buenos Aires

http://www2.cedom.gob.ar/es/legislacion/normas/leyes/ley5306.html

* 120 Ley 5.742, 7 diciembre de 2016, «Acoso Sexual en Espacios públicos o de Acceso Público», legislatura de la Ciudad de Buenos Aires

http://www2.cedom.gob.ar/es/legislacion/normas/leyes/ley5742.html

* 121 http://www.buenosaires.gob.ar/desarrollohumanoyhabitat/mujer/acoso-callejero/deteccion-y-prevencion

* 122 https://www.infobae.com/sociedad/2017/11/17/avanza-el-proyecto-de-ley-para-que-el-acoso-sexual-callejero-tenga-multas-de-hasta-25-mil/

* 123 http://www.respetocallejero.cl/images/proyecto-actual.pdf

* 124 Proyecto de ley contra el acoso sexual callejero expediente n°20.299 https://www.poder-judicial.go.cr/observatoriodegenero/wp-content/uploads/2017/06/PROYECTO-DE-LEY-LEY-CONTRA-EL-ACOSO-SEXUAL-CALLEJERO.pdf

* 125 https://www.ocac.cl/que-es/

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