C. UN NÉCESSAIRE RENFORCEMENT DU SYSTÈME D'AIDES AUX ÉTUDIANTS

Tirant les conséquences de la démocratisation de l'enseignement supérieur, le Président de la République a prôné dès 1995 la création d'un statut étudiant plus juste et plus généreux que le système actuel des aides, des bourses et des prêts. Cette idée a été reprise par le Premier ministre, M. Lionel Jospin en 1997 et s'est traduite par la mise en place d'un plan social étudiant à la rentrée 1999.

1. La réalité de la pauvreté et de la précarité dans le monde étudiant

a) Le rapport Dauriac : 100 000 étudiants en dessous du seuil de pauvreté ?

Rédigé à la demande du précédent ministre chargé de l'enseignement supérieur, M. Claude Allègre, le rapport controversé de M. Jean-Francis Dauriac, directeur du CROUS de Créteil sur la situation sociale des étudiants a été rendu public le 14 février 2000.

Dans un constat sans complaisance, il estimait à 100 000 le nombre potentiel d'étudiants vivant en-dessous du seuil de pauvreté c'est-à-dire avec le seul montant des bourses de niveau 5, soit 1600 francs par mois.

Le rapport formulait plusieurs propositions et notamment l'institution d'une allocation annuelle de 20 000 francs destinée à tous les étudiants de niveau bac + 3 ou bac + 4 ne résidant pas chez leurs parents.

Il préconisait aussi une majoration de 25 % des bourses sur critères sociaux lors du passage en deuxième cycle et la création d'un revenu étudiant s'ajoutant aux bourses actuelles.

Le rapport rappelait que la paupérisation de certains étudiants était la conséquence de la démocratisation des études supérieures et soulignait la persistance d'une " sélection par l'argent ", celle-ci se traduisant par le fait que les étudiants les moins favorisés n'avaient " d'autre choix que de limiter leurs ambitions à des études courtes " : les étudiants de familles dont le revenu est supérieur à 30 000 francs par mois auraient ainsi deux fois plus de chances d'accéder en deuxième et troisième cycles que ceux dont les parents perçoivent entre 5 000 et 10 000 francs.

Ces conclusions alarmantes ont été immédiatement qualifiées de fantaisistes par le ministère, qui a minimisé la portée des chiffres avancés en soulignant que ceux-ci ne reposaient sur aucune étude statistique approfondie et rappelé que M. Dauriac n'avait été chargé que d'un rapport technique sur les conditions de mise en place des allocations académiques d'études.

Une contre-étude a alors été demandée à M. Claude Grignon, sociologue, président du comité scientifique de l'observatoire de la vie étudiante (OVE)

b) Le rapport Grignon : 23 000 étudiants en situation de pauvreté

Rendu public à la fin du mois de mai dernier, le rapport de l'OVE, intitulé " Etudiants en difficulté, pauvreté, et précarité ", estime pour sa part que 23 000 étudiants seraient en situation de pauvreté.

Ce rapport s'appuie sur des enquêtes réalisées en 1994 et en 1997 et distingue les situations de pauvreté et de précarité des étudiants.

(1) Les étudiants " pauvres "

Comme critères d'identification des situations de pauvreté chez les étudiants, l'OVE retient les demandes d'aide sociale exceptionnelle (fonds de solidarité universitaire, prêts d'honneur). En 1997, le pourcentage d'étudiants inscrits ayant demandé une aide publique exceptionnelle était de l'ordre de 4 %, soit entre 65 000 et 80 000 étudiants.

Le rapport indique que le recours aux services sociaux est plus fréquent dans les UFR de lettres, en droit et en sciences économiques ainsi qu'en STS. En outre, plus les étudiants prennent du retard dans leurs études, plus ils font appel à l'aide sociale. L'OVE estime que " seule une minorité des demandeurs est privée des éléments de confort standard ", soit entre 20 000 et 25 000 étudiants.

La majorité des demandes se fait de façon ponctuelle lors de la rentrée universitaire. L'observatoire estime que le nombre d'étudiants en situation de pauvreté structurelle est de l'ordre de 23 000.

(2) Les étudiants en situation précaire

Pour l'OVE, la précarité se caractérise par la " fragilisation des études " et l'accroissement des risques d'échec ou d'abandon. Les étudiants " précarisés " sont aussi ceux qui s'attardent le plus dans leurs études, c'est-à-dire, pour la plupart, des étudiants qui exercent une activité salariée.

En 1997, 63 % des étudiants n'exerçaient aucune activité salariée pendant l'année universitaire, tandis que 5,8 % travaillaient à plein temps toute l'année. L'OVE souligne que les activités occasionnelles se rencontrent plutôt chez les étudiants favorisés.

L'observatoire retient comme étudiants " assujettis à un travail rétribué susceptible de compromettre leurs études ", ceux qui travaillent à mi-temps au moins six mois par an et dont l'activité n'est pas intégrée à leurs études : 100 000 étudiants, soit 6,8 % des effectifs seraient concernés. Ceux-ci sont souvent âgés, vivent fréquemment en couple, sont en retard dans leurs études, inscrits dans des filières où les exigences en matière d'assiduité et de travail personnel sont moindres et cumulent activité professionnelle et études.

L'enquête ne permet toutefois pas de distinguer l'autonomie forcée, imposée par la faiblesse des ressources familiales, de l'autonomie choisie.

Votre commission se gardera d'arbitrer entre les conclusions de ces deux rapports et se contentera de rappeler que 470 000 étudiants travaillent pour financer leurs études et que quelque 200 000 étudiants seraient issus de familles disposant de moins de 10 000 francs mensuels.

Elle ne peut que constater que le nombre d'étudiants en situation précaire augmente chaque année, ce qui pose le problème de l'adaptation des aides sociales à cette situation de précarité.

(3) Les aides apportées aux étudiants les plus défavorisés

Les étudiants les plus démunis sont naturellement destinataires des bourses et de l'allocation d'études mais peuvent aussi bénéficier d'aides spécifiques :

- les aides du fonds de solidarité universitaire géré par les CROUS : 36 millions de francs ont été consacrés à ces aides en 1999 ;

- l'aide sociale : du fait du versement d'une partie des droits d'inscription au Fonds d'amélioration de la vie étudiante, les étudiants eux-mêmes contribuent à l'aide sociale. Un tiers des crédits du Fonds ont été utilisés à ce titre en 1998, pour un montant d'environ 19 millions de francs ;

En outre, certains CROUS et certaines universités peuvent distribuer des tickets de restaurants universitaires aux étudiants nécessiteux et mènent des actions communes pour détecter plus efficacement la précarité étudiante.

(4) L'allocation d'études

Depuis la rentrée 1999, une allocation d'études a été mise en place : elle est attribuée par une commission académique, présidée par le recteur, qui s'est substituée à l'ancienne commission régionale des bourses.

Cette commission est d'abord chargée de l'attribution de bourses sur critères sociaux à des étudiants dont la situation n'a pas pu être prise en compte par la réglementation des bourses universitaires (étudiants habitant chez leurs grands-parents, étudiants dont les parents sont en situation de surendettement ou subissent une baisse de revenus du fait de situations exceptionnelles...).

Elle peut également attribuer une allocation d'études aux étudiants se trouvant en situation attestée de rupture familiale, de reprise d'études, d'isolement sur le territoire français ainsi qu'à des étudiants inscrits en première année de troisième cycle ne pouvant bénéficier d'une bourse universitaire, mais ayant obtenu auparavant une aide directe de l'Etat.

Au cours de la dernière année universitaire, 5 368 étudiants se trouvant dans des situations financières difficiles ont bénéficié d'une allocation d'études, le taux moyen de cette allocation s'élevant à 16 400 francs.

2. Le plan social étudiant : 30 % d'étudiants aidés

L'objectif du plan social étudiant était d'améliorer de manière significative et quantitative les conditions de vie étudiante.

Ce plan visait à créer les conditions d'une meilleure reconnaissance de la place des étudiants dans la société et à leur apporter les bases d'une plus grande indépendance. L'objectif principal de ce plan était, sur une période de quatre ans, de porter à 30 % le pourcentage d'étudiants aidés.

a) Les mesures mises en oeuvre à la rentrée universitaire 1998 :

- augmentation de 6 % du plafond des ressources pour les bourses du premier échelon ;

- revalorisation de 5 % de la bourse de 5 ème échelon et de 3 % pour les autres échelons. Le montant des bourses sur critères universitaires (DEA, DESS, agrégation, service public) a augmenté de +3 % ;

- relance de la promotion sociale dite républicaine, par l'attribution de 200 bourses de mérite d'un montant de 40 000 francs aux étudiants bacheliers ayant obtenu une mention très bien, issus des familles les plus modestes qui se destinent aux études menant vers les concours des écoles nationales d'administration ou de la magistrature.

410 367 étudiants ont bénéficié de bourses en 1998 contre 397 187 en 1997, soit 24 % des effectifs.

b) Les mesures mises en oeuvre à la rentrée universitaire 1999 :

- augmentation de +6 % du plafond des ressources du premier échelon ;

- création d'une bourse de premier cycle permettant aux étudiants en situation d'échec ou en réorientation, jusque-là exclus du dispositif des bourses, et renvoyés sur celui des aides individualisées exceptionnelles, d'en bénéficier. Cette bourse a permis d'augmenter le nombre d'étudiants aidés en premier cycle (13 620) ;

- institution d'une bourse à taux zéro : 12 639 étudiants supplémentaires ont bénéficié de cette aide sous la forme d'une exonération du paiement des droits d'inscription et de sécurité sociale ;

- mise en place de 7 000 allocations d'études destinées aux étudiants rencontrant des difficultés financières et ne trouvant pas de réponse dans le cadre du dispositif boursier ;

- création de 200 bourses de mérite supplémentaires destinées aux bacheliers ayant obtenu la mention " très bien " et s'engageant à préparer l'ENA ou l'ENM, les concours d'entrée dans une grande école scientifique ou s'engageant dans des études de médecine. Ces bourses ont été également allouées aux étudiants titulaires du baccalauréat avec mention et d'un diplôme de second cycle avec mention, inscrits dans 6 centres de préparation à l'ENA : 193 étudiants ont bénéficié de cette bourse en 1999-2000.

c) Les mesures mises en oeuvre à la rentrée universitaire 2000 :

- mise en place d'une bourse de second cycle permettant à des étudiants, en situation d'échec ou en réorientation, jusque-là exclus du dispositif des bourses et renvoyés sur celui des aides individualisées exceptionnelles de conserver le maintien de la bourse durant une année universitaire (7 750 étudiants bénéficiaires prévus) ;

- augmentation de 2 % du plafond des ressources et de 3,5 % du taux des bourses ;

- création de 2 000 allocations d'études, de 1 000 bourses sur critères universitaires et de 200 bourses de mérite supplémentaires.

d) La réalisation des objectifs du plan social étudiant

La mise en oeuvre des étapes successives du plan social étudiant a permis d'augmenter le pourcentage des étudiants aidés :

Rentrée 1998 : 24 % constatés ;

Rentrée 1999 : 27 % constatés ;

Rentrée 2000 : 29 % prévus ;

Rentrée 2001 : 30 % prévus.

Pour l'année 1999-2000, à la suite du relèvement du plafond des ressources, de la mise en place des bourses à taux " zéro " et des bourses de premier cycle, 439 785 étudiants ont bénéficié d'une bourse sur critères sociaux, dont 9 320 d'aides individualisées exceptionnelles, 13 657 d'une bourse sur critères universitaires, 5 368 d'une allocation d'études et 368 d'une bourse de mérite.

e) Le financement des mesures du plan social étudiant

Les crédits affectés aux bourses d'enseignement supérieur ont évolué comme suit :

- 1998 : 6,08 milliards de francs ;

- 1999 : 7,13 milliards de francs ;

- 2000 : 7,81 milliards de francs ;

- 2001 : 8,45 milliards de francs prévus, dont 251 millions de francs de mesures nouvelles pour la rentrée universitaire 2001.

f) Les autres mesures sociales
(1) L'hébergement et la restauration

L'augmentation des capacités d'hébergement et de restauration se poursuit depuis cinq ans, portant, pour l'année 2000, à 143 400 le nombre d'étudiants logés en résidences universitaires et à 187 000 le nombre de places dans les restaurants universitaires. A la rentrée 2000, 500 logements supplémentaires doivent être mis en service. Le prix du repas est de 15,30 francs depuis le 1 er août 2000.

(2) Les transports à coût réduit

Depuis la rentrée 1998, l'Etat a mis en place, en collaboration avec la région Ile-de-France, une carte annuelle étudiante. Ce titre annuel permet à tous les étudiants âgés de moins de 26 ans de voyager avec 40 % de réduction par rapport au tarif carte orange.

En 1999-2000, 250 000 étudiants ont bénéficié de ce titre de transport. Le ministère de l'éducation nationale participe au financement de cette mesure pour un montant de 75 millions de francs.

g) Les observations de la commission

Votre commission tient à faire observer que les crédits consacrés à l'action sociale en faveur des étudiants progresseront de 6,8 % en 2001 et s'élèveront à 10,25 milliards de francs, soit près du cinquième du budget de l'enseignement supérieur.

Si cet effort doit être salué, il convient de remarquer que cette forte progression est due pour l'essentiel à l'augmentation des crédits affectés aux bourses (+ 8,3 %) qui s'élèveront à 8,45 milliards de francs, mais aussi de constater que les moyens consacrés aux oeuvres universitaires sont en légère réduction (- 0,2 %) et ne représenteront que 1,24 milliard de francs en 2001.

Si l'évolution des aides directes peut être considérée comme relativement satisfaisante, votre commission ne peut que regretter, comme elle le fait d'ailleurs depuis plusieurs années, qu'aucune action n'ait été engagée pour remédier au caractère " anti-redistributif " du système d'aide sociale aux étudiants, qui avait été dénoncé en 1997 par le rapport Cieutat, et notamment pour réduire la part trop importante des aides indirectes qui sont attribuées sans conditions de ressources.

Elle regrette aussi qu'aucune suite n'ait été donnée au projet de statut étudiant et appelle à une refonte globale des aides, ce qui implique sans doute un aménagement délicat des aides fiscales et des aides au logement, et suppose, outre une concertation entre ministères concernés, une intervention du législateur.

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