B. LA CONSTRUCTION NAVALE CIVILE APRÈS LA FERMETURE DES ATELIERS ET CHANTIERS DU HAVRE

1. Un marché déstabilisé sur lequel l'Europe recule

a) Un marché mondial totalement ouvert et surcapacitaire

Aucune protection, ni douanière, ni géographique, n'encadre le marché de la construction des grands navires de commerce, marché mondial totalement ouvert à la concurrence. Un navire est en effet un bien qui peut circuler librement dans le monde entier. L'armateur peut prendre livraison à peu de frais (parfois même en rapportant du fret) d'un navire construit dans n'importe quel chantier du monde. Soumis lui-même à une vive concurrence internationale sur la plupart des trafics, l'armateur achète son navire au meilleur prix international. Cette situation est en outre favorisée par l'existence d'une flotte de libre immatriculation.

La construction navale civile est en outre caractérisée par une augmentation de la capacité de construction, due en particulier à la construction de nouvelles installations en Corée du Sud et en Chine , ainsi qu'à l'augmentation de la productivité.

D'après les prévisions, la capacité de construction navale mondiale, qui est déjà supérieure d'environ 20 % à la production effective , augmentera vraisemblablement d'environ 20 % en l'an 2005. Par contre, la demande mondiale de navires neufs devrait se ralentir au cours des prochaines années, aggravant le déséquilibre entre l'offre et la demande.

En 2005, l'écart entre la capacité et la demande pourrait alors atteindre 30 %.

b) Un marché déstabilisé par de fortes chutes de prix entraînant un recul de la part de marché européenne

Ce déséquilibre entre l'offre et la demande a conduit à la détérioration brutale des prix en 1998, lesquels étaient déjà en sensible diminution depuis de nombreuses années. Ceux-ci auront diminué de 25 % entre 1995 et 1999.

Cette baisse des prix est due principalement à l'attitude de la Corée du Sud, qui dans le contexte de la crise financière en Asie du Sud-Est, a offert des prix plus bas pour remplir son carnet de commandes, lequel a ainsi dépassé celui du Japon depuis le début de 1998. Ce comportement n'a pas manqué d'être qualifié de " dumping " par de nombreux observateurs.

En outre, l'évolution divergente, depuis 1997, entre le niveau du carnet de commandes mondial, qui augmente, et celui des prix des navires neufs, qui diminue, a généré des commandes de nature " spéculative ", anticipant la demande future pour profiter de prix bas. Cette anticipation pourrait générer un effet de correction et peser sur la demande à venir.

La part de l'Europe de l'Ouest dans les commandes mondiales, qui était de 26 % en 1998, est passée à 16,8 % en 1999, tandis que la Corée du Sud obtenait près du tiers du marché mondial (32,6 %) et le Japon un quart (26,2 %).

La répartition du carnet de commandes mondial montre le poids désormais écrasant du Sud-Est Asiatique dans la construction navale civile, et le recul corrélatif de la France :

CARNET DE COMMANDE MONDIAL DE LA
CONSTRUCTION NAVALE CIVILE A LA FIN 1999

Source : Chiffres du Lloyd's Register Of Shipping transmis par le ministère de l'industrie.

Les perspectives d'avenir sont assez inquiétantes dans ce secteur. La forte surcapacité -qui s'accentue notamment sous l'effet de la reconversion de nombreux chantiers militaires- et le ralentissement prévu de la demande vont encore aviver la concurrence entre les chantiers mondiaux, même dans le créneau des navires à plus haute technologie. Ceci est déjà le cas pour les méthaniers, pour lesquels la Corée et le Japon dominent à présent ce segment de marché.

2. L'embellie de la construction navale civile en France

a) Un secteur important pour l'emploi et l'aménagement du territoire

Au sens large, en incluant la réparation et les équipementiers, la construction navale 2 ( * ) civile représente en France 27.000 emplois et concerne de très nombreux départements.

Ainsi, pour la construction d'un grand paquebot de croisière par les chantiers de l'Atlantique, si la Loire-Atlantique et l'Ile-de-France sont les premières concernées, le chantier de Saint-Nazaire fait appel à des entreprises situées dans 70 départements.

S'agissant de la construction navale, elle est le fait de " petits " chantiers comme les Constructions mécaniques de Normandie (Cherbourg, 520 personnes et 434 millions de chiffre d'affaires) ; Alstom Leroux Naval (Lorient et Saint-Mâlo, 270 personnes et 833 millions de francs de chiffre d'affaires) ou les chantiers Piriou (Concarneau, 160 personnes et 388 millions de francs de chiffre d'affaires).

Mais ce sont les chantiers de l'Atlantique à Saint-Nazaire (filiale d'Alstom) qui disposent de la plus grande capacité : 3.900 personnes y travaillent, pour un chiffre d'affaires de 7,8 milliards de francs.

Exclusivement orientés vers la production de navires " de charge " (pétroliers jusqu'à 550.000 tonnes de port en lourd, porte-conteneurs, vraquiers...), les Chantiers de l'Atlantique se sont reconvertis depuis le milieu des années 1980 dans la construction de navires à haute valeur ajoutée (segment de marché relativement moins soumis à la concurrence des chantiers du Sud-Est asiatique) :

- paquebots : 10 paquebots sont en commande au 30 juin 2000 (17,2 % du tonnage mondial) et 30 paquebots ont été commandés depuis 1984 (20 % du tonnage mondial) ;

- navires de transport de gaz naturel liquéfié : 5 méthaniers de 135.000 m 3 ont été livrés à la Malaisie entre 1994 et 1997.

Actuellement, outre les effectifs propres au chantier, 1.500 personnes en sous-traitance travaillent pour le site de Saint-Nazaire et 6.000 personnes sont affectées au montage d'équipements maritimes et aux travaux d'aménagement.

Votre commission pour avis se félicite tout particulièrement de ce que les chantiers de l'Atlantique aient été choisis pour la construction du paquebot " Queen Mary II ", choix qui en font le leader mondial sur le segment de la construction des paquebots de croisière. Ce bâtiment, deux fois plus important que le " France ", sera construit en deux fois moins de temps, ce qui montre les gains de productivité importants réalisés par les chantiers.

b) Le bilan de la fermeture des ateliers et chantiers du Havre

Les Ateliers et Chantiers du Havre (ACH) ont livré leur dernier navire (2 ème chimiquier Stolt Nielsen) en novembre 1999. Ils ont ensuite été fermés.

Il faut dire que les pertes engendrées depuis 1996 par la construction de ces chimiquiers ont été considérables. Le total, supporté par l'Etat, s'élève à 2 milliards de francs.

Un accord est donc intervenu en juillet 1999 entre la direction de l'entreprise, les représentants du personnel et l'Etat pour la mise en oeuvre d'un plan social dont le coût (257 millions de francs) a, lui aussi, été intégralement pris en charge par les finances publiques.

Parallèlement, un chargé de mission auprès du Premier Ministre a été nommé pour mettre en oeuvre au Havre, un programme de développement industriel destiné en particulier à :

- faciliter le reclassement des personnels des ACH ;

- réunir les conditions permettant le développement d'un pôle industriel et naval autour, d'une part, de la réparation navale et, d'autre part, de l'essaimage de certaines activités des ACH susceptibles d'être continuées.

A la fin du premier semestre 2000, la mise en oeuvre de ce programme était la suivante :

- pour les personnels des ACH

Sur les 669 personnes licenciées entre août 1999 et juin 2000, une reconversion a été trouvée pour 485 personnes (72,5 % des licenciés). Mais très peu se sont portées volontaires pour un emploi aux Chantiers de l'Atlantique à Saint-Nazaire, qui avaient proposé d'embaucher environ 300 personnes des ACH. Seulement 135 personnes ont fait acte de candidature, 52 personnes ont été embauchées ou se sont vues proposer un contrat. Les autres candidatures soit ont été refusées, soit ne correspondent pas aux spécialités nécessaires ou soit ont annulé par la suite leur candidature ;

- pour la constitution du pôle industriel naval

L'essaimage réalisé à partir des activités des ACH susceptibles de développement (chaudronnerie, mécanique, bureau d'études, ingénierie) a permis la pérennisation de 80 emplois, devant être portés à environ 110 d'ici fin 2001.

Pour ce qui concerne la réparation navale (160 emplois directs existants au 30 juin 2000), une solution de reprise est en cours de négociation.

Il faut enfin souligner que, comme des travaux antérieurs de votre commission l'avaient fait remarquer, le cadre réglementaire de soutien à la construction navale civile a été significativement modifié par le règlement communautaire du 29 juin 1998, applicable du 1 er janvier 1999 au 31 décembre 2003, qui n'autorise les aides à la commande que jusqu'au 31 décembre 2000. Il permet également les aides à la fermeture partielle ou totale. Il étend à la construction navale les dispositifs applicables aux autres secteurs industriels concernant les aides à la recherche et au développement, au sauvetage et à la restructuration d'entreprises en difficulté, aux investissements pour innovation et à la protection de l'environnement.

En conséquence, le projet de loi de finances pour 2001 ne prévoit pas d'ouverture de nouvelles autorisations de programmes pour l'aide à la prise de commande de construction de navires neufs (contre 2,2 milliards ouverts en loi de finances initiale pour 2000). Sont, revanche prévus 203 millions de francs de crédits de paiement pour faire face aux besoins découlant des commandes enregistrées les années précédentes.

* 2 Hors navigation de plaisance.

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