b) Des questions en suspens
(1) Double filière ou diplômes au rabais ?

En plusieurs occasions, depuis la fin de l'année 2000, le ministre délégué à l'enseignement professionnel a déclaré que le nouveau droit à validation des acquis devait donner " accès à des diplômes et à des titres professionnels reconnus, c'est-à-dire fermement garantis par l'Etat ".

Ces propos de M. Jean-Luc Mélenchon, prononcés à l'occasion d'un séminaire européen, organisé conjointement par le secrétariat d'Etat à la formation professionnelle et par la Commission européenne reprenait les mêmes inquiétudes exprimées quelques jours plus tôt lors d'un colloque organisé par l'éducation nationale à Nice où le ministre délégué semblait redouter l'apparition de " diplômes maison " conduisant à brader notre patrimoine éducatif.

Ces inquiétudes ministérielles semblent avoir été levées, comme en témoignent ses déclarations le 11 janvier 2001 : " ... je demande à l'Assemblée nationale de comprendre combien il est important, au regard de nos traditions séculaires, de reconnaître que la vie elle-même est une école " 7 ( * ) .

Il reste que ces craintes initiales sont encore partagées par certains qui redoutent que ne se développe une sous-filière " pratique " du CAP au DESS au détriment des CAP et DESS " académiques ", celle-ci risquant de dévaloriser les diplômes traditionnels par " capillarité terminologique ".

Selon le directeur de l'unité de formation et de recherche de gestion à l'université Paris I : " en inscrivant une sorte de droit naturel au diplôme et en occultant l'effort à fournir pour l'obtenir, le texte crée un effet d'annonce démagogique ".

M. Bernard Descomps, père de la filière d'ingénieurs éponyme créée en 1990, estime pour sa part que " les plus hostiles à la professionnalisation ne sont pas les grandes institutions, mais les plus récentes " : les ingénieurs issus de cette filière ont ainsi été rebaptisés il y a deux ans " ingénieurs des techniques de l'industrie " pour les distinguer des ingénieurs issus des grandes écoles.

(2) Le contrôle nécessaire des homologations

Comme il a été dit, le projet de loi devrait permettre à chacun d'accéder directement, ou à travers un complément de formation, à une certification professionnelle en cours de carrière.

Il convient de rappeler, dans un paysage français où se perpétue le règne de la " diplômite ", que l'éducation nationale occupe de loin la première place sur le marché de la certification puisque 70 % du nombre total des diplômes ou de titres délivrés le sont par son intermédiaire : le reste relève des autres ministères (travail, santé, agriculture...) pour 24 %, des certificats de compétence délivrés par les chambres de commerce et d'industrie pour 5 %, et des certificats de qualification professionnelle octroyés par les branches professionnelles pour seulement 1 %.

Devenues parties prenantes sur ce marché de la certification, les branches professionnelles et les chambres consulaires sont naturellement soucieuses de préserver leurs acquis ; c'est notamment le cas pour les CCI qui devront se plier à la nouvelle procédure de la commission nationale de la certification professionnelle, qui se substituera à l'actuelle commission d'homologation, et qui craignent de devoir freiner leurs initiatives en ce domaine en étant obligées de soumettre les composantes des titres à l'avis de la nouvelle commission pour les faire figurer au répertoire national des certifications professionnelles.

La création d'un référentiel national, contrôlé par une structure d'instruction suscite ainsi des interrogations : si les représentants du patronat et de l'artisanat sont favorables à la création d'un tel référentiel, dans la mesure où les diplômes valident des fondamentaux, ils réclament aussi un système complémentaire de validation des salariés au travail qui pourrait être assuré par les certificats de qualification paritaires mis en place depuis un an dans certaines branches.

Le rôle de la future commission nationale de la certification professionnelle sera donc particulièrement délicat : à la fois juge et partie, elle sera en effet l'instance d'instruction des dossiers, la gardienne du référentiel et celle qui en dénoncera les dérives éventuelles, comme la multiplication de diplômes faisant double emploi sous couvert de complémentarité.

(3) Une évaluation des candidats à préciser

Comme il est indiqué au deuxième alinéa du nouvel article L. 613-4 du code de l'éducation, tel que modifié par l'article 42 du projet de loi précisant le régime de la validation des acquis pour les diplômes et titres de l'enseignement supérieur, la demande de validation est appréciée par le jury à l'issue d'un entretien avec le candidat portant sur un dossier constitué par ce dernier ; le jury se prononce sur l'étendue de la validation et sur la nature des compétences et aptitudes devant faire l'objet d'un contrôle complémentaire, en cas de validation partielle.

Votre commission tient à noter que la composition du jury appelé à se prononcer sur la validation des acquis, pour les diplômes et titres à finalité professionnelle, prévu à l'article 41 est renvoyée à un décret en Conseil d'Etat, tandis que pour la validation applicable aux diplômes et titres de l'enseignement supérieur, prévue à l'article 42, il est précisé que le jury est composé d'enseignants chercheurs en majorité, et des personnes compétentes pour apprécier la nature des acquis, notamment professionnels.

Elle tient à rappeler que la conférence des présidents d'université, par la voix de son premier vice-président redoute que, faute de moyens, " des expériences mal évaluées ne se substituent à de la formation initiale ".

A cet égard, il convient de rappeler que la réforme pédagogique des premiers cycles universitaires a conduit les universités à prendre en compte les unités de valeur capitalisables et les moyennes annuelles de leurs étudiants, ce mode d'évaluation mixte s'accordant mal, à l'évidence, aux rythmes propres de la vie professionnelle.

Selon le président de l'université de Lyon III, et en l'absence de tout aménagement des textes sur l'organisation des études, les universitaires seront en fait appelés à trancher en cas de litiges : " C'est la porte ouverte à des contentieux que les étudiants gagneront à tous les coups ".

(4) Les enseignants dépossédés ?

Force est de constater que le principe même de la validation des acquis de l'expérience laisse bon nombre d'enseignants perplexes, qu'il s'agisse des professeurs de lycée professionnel ou des universitaires.

Le directeur de l'UFR de gestion à l'université Paris I s'interroge ainsi : " Si l'on accorde la totalité d'un diplôme sur la base de l'expérience, à quoi sert-on ? On ne peut pas faire l'impasse sur l'acte pédagogique pour transformer des compétences de terrain en aptitudes professionnelles ".

Le père de la filière Descomps lui répond : " L'enjeu véritable de la loi se situe au niveau des CAP. Et là, ce n'est pas la réussite à une dictée qui est déterminante mais le fait que l'on reconnaisse à l'individu la faculté de s'exprimer dans d'autres contextes que celui de l'école ".

Devant l'Assemblée nationale, le ministre délégué à l'enseignement professionnel a rappelé que l'éducation nationale était le premier opérateur de formation continue en France : si elle n'attribue que 25 % des 3 000 titres nationaux, elle décerne 70 % des diplômes ; elle a par ailleurs initié et mis en oeuvre la loi de 1992 en mettant à la disposition de la validation des acquis son réseau d'établissements.

Il a indiqué que " les maîtres qui ont l'habitude de décerner des diplômes, de reconnaître des compétences en dispensant une formation, vont adopter leur culture professionnelle et se faire les experts qui valident ce qui a été appris en dehors d'eux ".

Votre commission rappelle que l'éducation nationale, à la différence d'autres ministères ou organismes valideurs, dispose de corps d'inspection et de structures de concertation paritaires, telles que les commissions professionnelles consultatives, qui élaborent le contenu des diplômes professionnels. L'éducation nationale a donc vocation à jouer un rôle important dans la validation des acquis de l'expérience.

(5) Un financement encore flou et une expérimentation trop partielle

Il convient d'abord de noter que le projet de loi reste muet sur le financement de la validation des acquis de l'expérience, le ministère en charge de l'emploi se bornant à indiquer que la réussite de la réforme devait passer par la mise en réseau des acteurs de terrain (ANPE, AFPA, centres de bilan de compétences). Le montant des frais de présentation des dossiers serait laissé à l'appréciation des institutions concernées tandis que le financement des formations complémentaires serait fixé par les partenaires sociaux.

On notera par ailleurs qu'une expérimentation partielle du nouveau dispositif a d'ores et déjà été engagée dans une dizaine de régions et dans deux branches professionnelles : à la demande du ministère de l'emploi, la nouvelle validation des acquis a été testée par l'AFPA, maître d'oeuvre de l'opération, pour quelque 25 métiers classés par blocs de compétences, la décision finale de validation relevant d'un jury constitué de salariés et d'employeurs.

Sur près de 1 000 actifs concernés par cette expérimentation, le taux de réussite aux " certificats de compétences professionnels " a été de 80 % pour les salariés et de 63 % pour les demandeurs d'emploi ; pour un certain nombre de candidats, le titre a pu être obtenu uniquement par validation des acquis.

La validation des acquis a ainsi permis à des salariés ou des chômeurs qui ont souvent connu l'échec scolaire, d'obtenir une reconnaissance sociale.

S'agissant des entreprises, l'expérimentation engagée a permis par exemple à des intérimaires, au bout de sept ans d'expérience, d'obtenir une qualification d'agents de fabrication industrielle, d'anticiper des mobilités internes dans le cas de grands chantiers de travaux publics, d'évaluer des personnels militaires avant une reconversion, de qualifier des personnels en place dans une perspective de mobilité (Eurodisney) comme agents de loisirs.

En dépit de ces résultats encourageants, enregistrés cependant sur un échantillon trop réduit pour en tirer des conséquences définitives, votre commission considère qu'une expérimentation en grandeur réelle, sur une période suffisamment longue, est nécessaire pour apprécier le bien fondé d'une telle réforme.

(6) Un droit à congé pour la validation de l'expérience ?

Le gouvernement a exprimé le souhait que soit institué un congé destiné à préparer la validation des acquis de l'expérience.

L'inclusion de la validation des acquis dans le cadre du congé individuel de formation (CIF) devrait être examinée par les partenaires sociaux dans le cadre de la négociation interprofessionnelle sur la formation continue qui est susceptible d'aboutir au début de l'été 2001.

Une autre formule consisterait à aligner ce congé sur celui du bilan de compétences institué par la loi du 31 décembre 1991 : sa durée est de 24 heures prises sur le temps de travail et serait sans doute trop brève pour préparer un dossier de validation.

Il convient de noter que l'UIMM considère qu'un tel congé devrait s'imputer sur le temps libéré par la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail.

* 7 D'après les informations recueillies par le rapporteur de votre commission, il ne semble pas que le cabinet du ministre délégué à l'enseignement professionnel ait été associé à une quelconque concertation interministérielle pour déterminer les modalités de la VAE ; il lui a été indiqué que l'éducation nationale avait été saisie d'un avant-projet de loi déjà " bleui ", c'est-à-dire ayant fait l'objet d'un arbitrage interministériel sous la direction d'un " ministère-pilote ", celui de l'emploi. Une telle procédure peut apparaître singulière, compte tenu du fait que l'éducation nationale est appelée à jouer un rôle considérable dans la gestion de la VAE, et que cet arbitrage s'est traduit notamment par une réduction de cinq à trois ans de la durée de l'expérience requise pour la validation des acquis, qui est jugée trop courte pour nombre d'observateurs autorisés.

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