c) Les observations générales de la commission

Si votre rapporteur ne peut qu'envisager avec sympathie les développements prévus pour donner un véritable essor à la validation des acquis, il souhaiterait néanmoins formuler quelques observations et faire part de ses inquiétudes sur certaines de ses modalités.

(1) Un consensus tout relatif

Alors que la réforme de la validation des acquis a été présentée, notamment par le gouvernement, comme faisant l'objet d'un véritable consensus 8 ( * ) de toutes les parties intéressées, le rapporteur pour avis de votre commission a constaté, à l'occasion de ses auditions 9 ( * ) , que cette unanimité de façade recouvrait en fait des oppositions au nouveau dispositif, des interprétations différentes sur sa portée, des divergences d'appréciation sur ses modalités, des doutes sur son efficacité, des inquiétudes quant à la préservation de notre système actuel d'enseignement, de formation et de certification.

Il a pu observer d'abord que le ministère chargé de l'éducation nationale n'était sans doute pas exactement sur la même ligne que celui chargé du travail et de l'emploi sur certaines modalités de la validation, que les représentants des métiers y étaient carrément hostiles et exprimaient la crainte que ce dispositif se substitue à leurs propres filières de formation et ne permette pas l'exercice d'un nécessaire contrôle par la profession au niveau même de l'entreprise artisanale, que certaines unions patronales, qui avaient mis en place un système efficace de certification, négocié entre partenaires sociaux, se refusaient à passer sous les fourches caudines de la lourde procédure d'homologation, et que l'enseignement professionnel envisageait avec méfiance la validation des acquis de l'expérience.

Enfin, et surtout, la plupart des interlocuteurs rencontrés ont souligné le caractère imprécis des dispositions du projet de loi concernant la validation des acquis, ont dénoncé le fait que nombre de ses modalités pourtant substantielles étaient renvoyées aux textes d'application, ainsi qu'aux autorités compétentes en matière de validation et ont stigmatisé la complexité de la procédure d'homologation.

(2) Une nécessaire délimitation des contours de l'expérience

En passant de la validation des acquis professionnels à la validation des acquis de l'expérience, le projet de loi ouvre des perspectives nouvelles.

Outre la validation de l'expérience professionnelle, qui devrait rester le noyau dur du dispositif, il apparaît en effet légitime de reconnaître des compétences acquises dans le cadre d'activités sociales, associatives ou bénévoles susceptibles d'être prises en compte dans la validation, notamment pour les femmes.

C'est le cas en particulier pour de nombreuses activités liées aux services de proximité, au travail social ou paramédical, au tourisme, à l'animation, voire à la sécurité.

Cette expérience peut recouvrir des réalités très diverses : par exemple, la reconnaissance des activités d'un président d'association, de type club sportif, qui devrait pouvoir faire valider ses compétences en matière financière et de gestion, de recrutement, voire de droit du travail.

Il pourrait en être de même pour des élus locaux, qui peuvent justifier de larges compétences dans de nombreux domaines.

Le champ de l'expérience susceptible d'être prise en compte dans la validation des acquis apparaît donc particulièrement large.

Il reste que des référentiels des titres ou diplômes postulés devront nécessairement être élaborés par les ministères compétents pour les activités sociales ou bénévoles susceptibles d'entrer dans la validation. En effet, les nouvelles possibilités de validation de l'expérience, acquises à l'occasion de trois années d'activité bénévole ou associative, ne manqueront pas de poser un problème de décompte et d'attestation du nombre d'heures nécessaires pour la recevabilité du dossier.

Votre rapporteur considère enfin que les compétences et les savoir-faire acquis dans le cadre d'activités sociales, associatives ou bénévoles ne sauraient recouvrir des tâches domestiques de type hobby, bricolage à la maison ou travail ménager d'une mère au foyer, dont l'évaluation serait particulièrement malaisée.

(3) La nécessité d'une expérience suffisamment longue

Votre commission considère que la durée de l'expérience susceptible d'être validée doit être suffisamment longue afin que le jury soit en mesure de se prononcer en toute connaissance de cause.

La durée minimale de trois ans finalement retenue par le projet de loi semble résulter d'un compromis entre les positions des ministères concernés, celui de l'éducation nationale ayant sans doute soutenu le maintien des cinq ans prévus par le dispositif de 1992, tandis que celui de la jeunesse et des sports avait proposé une expérience d'une seule année.

Votre commission estime cette période de trois ans trop courte, notamment au regard de la durée des formations requise pour acquérir les diplômes correspondants, même si celle-ci peut être diversement appréhendée pour les formations initiales.

Elle observe par ailleurs que les emplois jeunes, notamment les aides-éducateurs de l'éducation nationale, sont recrutés sur contrat de droit privé d'une durée de cinq ans, et qu'une centaine d'entre-eux ont d'ores et déjà bénéficié de l'expérimentation de la validation des acquis conduite récemment dans une dizaine de régions pour deux branches professionnelles, ce qui laisse à penser, ou à craindre, que ce mode de reconnaissance de l'expérience est susceptible d'être très largement utilisé pour consolider la situation de ces emplois jeunes.

Il convient également de noter que cette expérimentation a permis de valider des expériences d'une durée moyenne de sept ans, pour des intérimaires ayant bénéficié d'une qualification pourtant modeste d'agents de fabrication industrielle.

Enfin, dans la mesure où le système de validation est étendu à une expérience non exclusivement professionnelle, il importe de maintenir une condition de durée suffisante afin que celle-ci puisse être clairement évaluée et éventuellement validée.

(4) Vers une sortie précoce des lycéens professionnels et des apprentis ?

Compte tenu de l'actuelle pénurie de main d'oeuvre qui touche aujourd'hui plusieurs secteurs d'activités, du fait notamment de la reprise économique, on constate que nombre d'employeurs tendent à proposer à de jeunes lycéens professionnels en cours d'étude, et effectuant un stage en entreprise dans le cadre de la préparation de leur diplôme (CAP, BEP, baccalauréat professionnel), des emplois permanents en leur promettant une formation maison au sein de l'entreprise.

Il est à craindre que le nouvel élan envisagé pour la validation des acquis favorise encore plus cette " évaporation " des jeunes en cours de formation vers l'entreprise et contribue encore davantage à un phénomène de désaffection des élèves à l'égard de l'enseignement professionnel, qui est concerné, il convient de le rappeler, pour les deux tiers par la baisse démographique constatée à l'entrée au lycée 10 ( * ) .

Pour des " primo-sortants " soucieux de trouver un emploi immédiat et rémunéré, susceptible d'ouvrir la voie à une validation rapide de leur expérience, la tentation peut être grande d'abandonner le lycée professionnel en cours d'études, notamment pour ceux qui sont mal à l'aise dans un système scolaire, même professionnel, qui fait encore une part importante aux disciplines générales.

Votre commission estime que ce risque d'évaporation n'est pas négligeable et que la perspective de validation d'une courte expérience professionnelle -3 ans- est de nature à démobiliser de jeunes lycéens qui estimeront que leur diplôme peut être obtenu plus facilement par une voie non scolaire.

Une telle démarche ne serait pas sans danger, car l'entreprise d'accueil n'a pas vocation à apporter à ces jeunes une formation générale, qui leur sera en tout état de cause nécessaire en cas de changement d'emploi et pour s'adapter à de nouvelles activités résultant notamment de l'évolution technologique.

A tout le moins, votre commission estime que la durée de l'expérience, notamment professionnelle, doit être suffisamment longue -le retour à la condition des cinq ans lui apparaît souhaitable- et que les jurys de validation devront également prendre en compte l'acquisition d'un minimum de culture générale qui apparaît indissociable de l'obtention d'un diplôme, tel que celui-ci est attribué par l'éducation nationale, qu'il s'agisse d'un CAP 11 ( * ) , d'un BEP ou d'un bac pro, ou par la voie de l'apprentissage qui risque aussi d'être vidée d'une partie de ses apprentis.

La réussite de la validation des acquis de l'expérience passe ainsi nécessairement par une formation initiale minimale et réussie et par une professionnalisation durable des candidats à la validation.

(5) Des diplômes au rabais ?

Comme il a déjà été indiqué, certains acteurs de la formation craignent qu'un développement mal contrôlé de la validation des acquis de l'expérience conduise à la création de filières de formation à deux vitesses, l'une académique, l'autre fondée sur l'expérience conduisant à des diplômes au rabais. On peut craindre que ces diplômes ne bénéficient pas de la même considération des employeurs au moment d'une embauche, qu'il s'agisse aussi bien d'un CAP que d'un DESS.

Là encore, le rôle des jurys dans le processus de validation apparaît déterminant, notamment pour reconnaître la valeur incontestable de l'expérience de salariés justifiant d'une période suffisamment longue de présence dans une entreprise.

Une attitude laxiste dans la constitution du répertoire national des certifications, consistant à abandonner tout lien avec des diplômes, titres ou certifications à valeur nationale et à admettre des certificats de qualification de second rang, sonnerait le glas de tout système de validation : des " assignats " ne sauraient se substituer à la " bonne monnaie " des titres et diplômes existants et dûment reconnus.

Si l'on peut concevoir, comme le propose le projet de loi, que l'obtention d'un diplôme puisse être déconnectée de toute formation initiale, il faut à l'évidence que le jury de validation puisse ordonner des compléments de formation lorsque le niveau de culture générale ou l'expérience du candidat apparaît insuffisant.

(6) La consolidation des emplois jeunes par la validation des acquis de l'expérience ?

Comme on le sait, le gouvernement s'est engagé à trouver une sortie honorable aux quelque 350 000 emplois jeunes à l'issue de leur contrat de cinq ans, ce qui implique de pérenniser des fonctions atypiques en proposant des formations complémentaires aux intéressés et de leur assurer un avenir professionnel, qu'il s'agisse des 65 000 aides éducateurs recrutés par l'éducation nationale, des agents de sécurité dans la police ou des 78 000 emplois jeunes du secteur associatif.

Pour ceux qui souhaitent intégrer la fonction publique, il est envisagé d'instituer un concours de " troisième voie ", ni interne car les emplois jeunes n'y ont pas accès, ni externe car celui-ci ne prendrait pas en compte l'expérience professionnelle acquise.

Il paraît vraisemblable que la validation des acquis de l'expérience 12 ( * ) , convenablement adaptée à ces nouveaux métiers, sera largement utilisée pour consolider la formule des emplois jeunes ou faciliter leur sortie du dispositif ; on rappellera que les aides-éducateurs justifient le plus souvent d'une formation post-baccalauréat, en moyenne à bac + 2, et que les cinq ans de leur contrat leur permettent de justifier d'une véritable expérience professionnelle, notamment pour ceux qui se sont consacrés à la mise en place des nouvelles technologies dans les écoles et les établissements scolaires.

Si la validation des acquis est susceptible d'être utilisée pour assurer leur sortie d'un dispositif par nature transitoire, il ne saurait être question que celle-ci porte atteinte à la règle du recrutement par concours et se traduise par un gonflement des effectifs de la fonction publique alors que nombre de secteurs du privé souffrent de difficultés de recrutement.

(7) Les risques d'émergence d'un marché de la validation

Compte tenu de la rapidité des évolutions technologiques et organisationnelles, et de la mobilité accrue des salariés, il est vraisemblable que les demandes de validation des acquis seront de plus en plus nombreuses dans les années à venir.

Votre commission estime que le service public, et notamment l'éducation nationale à titre principal, a vocation à répondre à cette augmentation de la demande, à toutes les étapes de la validation.

Les risques d'émergence d'un marché de la validation sont en effet réels puisque des organismes privés démarchent d'ores et déjà les candidats potentiels pour leur proposer des accompagnements.

Votre commission considère ainsi que l'éducation nationale, qui bénéficie d'une véritable expérience dans les services ou dispositifs académiques de validation depuis 1993, est en mesure de jouer un rôle majeur en ce domaine et de répondre à l'augmentation de la demande de validation.

(8) La nécessité d'une expérimentation générale

Compte tenu des incertitudes subsistant quant à la portée du dispositif de validation, aux populations appelées à en bénéficier, aux titres et diplômes pouvant être obtenus, à la nécessité de préserver les titres et diplômes nationaux au regard d'une reconnaissance patronale des compétences, aux perspectives de création d'un grand marché privé de la validation des acquis susceptible d'échapper à la tutelle de l'Etat, aux conséquences qui pourront en résulter pour les formations initiales professionnelles... votre commission estime indispensable d'expérimenter en grandeur réelle le nouveau système de validation des acquis de l'expérience.

Tout en souscrivant au principe même du dispositif proposé, elle souhaiterait qu'un bilan de la réforme soit effectué après une période de cinq ans de mise en oeuvre et que celui-ci soit officiellement communiqué au Parlement qui sera alors en mesure, compte tenu des résultats enregistrés, soit de pérenniser le dispositif, soit de le modifier en conséquence.

* 8 Cette réforme aurait pourtant été approuvée à l'unanimité par le Conseil supérieur de l'éducation (CSE), le conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNSER) et le conseil national de l'enseignement agricole (CNEA).

* 9 Ont été entendus les représentants des cabinets ministériel concernés (formation professionnelle et enseignement professionnel), du SNEETA, de l'APCM et de l'UIMM.

* 10 On rappellera que les lycées professionnels qui accueillent aujourd'hui quelque 692 000 élèves ont perdu, pour la première année de BEP-CAP en deux ans, 6 000 élèves à la rentrée 1999 et 9 000 élèves à la rentrée 2000 ; pour la deuxième année de BEP-CAP en deux ans, 4 000 élèves en 1999 et 8 700 élèves à la rentrée 2000 ; pour le CAP en trois ans, 4 000 élèves à la rentrée 1999 et 4 150 élèves à la rentrée 2000. Quant au bac pro, si le nombre d'élèves a augmenté de 3 000 à la rentrée 1999, il s'est réduit de 1 450 à la rentrée 2000.

* 11 La table ronde ouverte en septembre 2000 par le ministre délégué à la formation professionnelle a abouti à une refondation consensuelle du CAP, premier " diplôme professionnel de référence " et devrait permettre son développement face aux entreprises et à leurs certificats de qualification professionnelle : le CAP serait obtenu, à partir de la rentrée 2002, à l'issue d'une préparation de durée variable d'un à trois ans, l'enseignement général serait rénové, le contrôle continu généralisé et les CAP seraient tous réorganisés en unités capitalisables, ce qui permettrait d'en favoriser l'accès aux salariés par la validation des acquis professionnels.

* 12 Au titre des expérimentations engagées dans plusieurs régions, et précédemment décrites, une centaine d'emplois jeunes ont d'ores et déjà bénéficié de la validation de leur expérience professionnelle.

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