III. DISPOSITIONS RELATIVES À LA COMMUNICATION AUDIOVISUELLE

L'enjeu du débat proposé dans ce domaine au Parlement par le projet de loi est limité : nul ne met plus en doute la nécessité de faciliter la reprise en numérique de terre de chaînes du câble et du satellite actuellement détenues à plus de 49% par les opérateurs historiques de la télévision hertzienne terrestre, ni celle d'éclaircir le régime juridique des services rediffusés.

Le préalable de la constitutionalité du texte discuté une fois pris en compte, et l'on verra dans l'examen de l'article 13 que votre commission exprime plus que des doutes à l'égard des dispositions adoptées par l'Assemblée nationale, les deux difficultés relevées par le gouvernement dans la loi du 1er août 2000 seront donc résolues. Mais les questions essentielles n'auront pas été abordées pour autant. Le lancement du numérique de terre bénéficiera-t-il du cadre juridique nécessaire à un lancement rapide et à un développement harmonieux ?

Rien n'est moins sûr. Le débat sur les 49% cache une forêt d'autres problèmes. Prise en tenaille entre l'idéologie dirigiste qui imprègne son régime juridique et la complexe problématique économique et technique de son lancement, la télévision numérique de terre semble assez mal partie.

Votre commission tient à présenter quelques rappels à cet égard.

La télévision numérique de terre ne correspond pas a priori à un besoin du marché ni à une stratégie de développement élaborée par les opérateurs :

- les principaux diffuseurs privés ont axé leur développement sur le pari réussi du satellite. La télévision numérique de terre remet en question la rentabilité de cet investissement tout en suscitant d'importants besoins de financement ;

- les opérateurs du câble sont menacés par la perspective de la diffusion d'une offre de télévision qui pourrait être moins chère que la leur ;

- pour des raisons techniques, la télévision numérique de terre n'offre pas de perspectives aussi intéressantes que le satellite sur le marché émergent des services interactifs, qui nécessitent la disposition de capacités de diffusion importantes.

La télévision numérique de terre est donc d'abord un projet politique correspondant à une certaine vision de l'intérêt général.

D'une part en effet, le numérique de terre :

- implique, comme la diffusion analogique de terre, l'existence d'un réseau de relais implantés sur l'ensemble du territoire sous le contrôle des pouvoirs publics ;

- implique aussi, du fait de la relative rareté de la ressource de diffusion, le maintien d'un système d'autorisation qui permet de soumettre les services attributaires des fréquences à des obligations d'intérêt général.

Avec le numérique de terre, la France devrait conserver la disposition d'un instrument efficace de politique économique et culturelle.

D'autre part le numérique de terre peut aussi ouvrir la voie à un certain nombre d'évolutions socio-économiques souhaitables, dans la mesure où il devrait permettre :

- d'offrir au public le plus large un grand choix de programmes et de services innovants ;

- de favoriser le développement de la communication locale et de proximité ;

- de permettre aux opérateurs d'accroître à terme, grâce à la réduction de leurs coûts de diffusion, leur rentabilité et donc leur capacité investissement dans les programmes ;

- d'ouvrir un créneau de développement à la télévision publique, qui n'a pas su prendre le virage du satellite, et pour laquelle le numérique de terre apparaît comme un dernier moyen d'opérer la diversification thématique nécessaire pour suivre le fractionnement croisant de l'audience et éviter la marginalisation au sein du paysage audiovisuel.

C'est en fonction de l'ensemble de ces éléments que le Sénat avait pris l'initiative d'introduire dans le projet de loi devenu loi du 1er août 2000 un régime juridique susceptible de permettre le lancement du numérique de terre avec d'excellentes perspectives de succès.

Conscient du fait que le lancement de la télévision numérique de terre dépend de la mobilisation des opérateurs publics et privés, et du fait que la mobilisation du secteur privé dépend essentiellement de réalités économiques et financières sur lesquelles l'État a une prise limitée, le Sénat avait adopté, sur la proposition de votre commission, un régime juridique réaliste, souple et incitatif, susceptible d'assurer le concours de l'ensemble des acteurs de l'audiovisuel à la réussite de la télévision numérique de terre. Or le système mis en place sur la proposition du gouvernement par la loi du 1er août 2000 dessine un paysage numérique de terre rigide et largement administré.

Ce système fera en effet émerger à l'occasion des appels à candidatures une offre de programmes éclatée, qu'il appartiendra au CSA d'organiser de son seul chef, en s'inspirant éventuellement des souhaits exprimés par les éditeurs, afin de composer fréquence par fréquence une offre cohérente, attractive et susceptible de provoquer à terme la constitution d'une économie viable de la diffusion hertzienne numérique de terre.

En d'autres termes, le dispositif législatif confie au CSA le rôle d'ensemblier global de la diffusion numérique de terre, rôle crucial pour le lancement de ce marché comme il a été déterminant pour la réussite de la diffusion satellitaire (l'absence d'ensemblier a été en revanche largement responsable des pannes de l'économie du câble).

C'est ainsi, entre autres exemples, que :

- le distributeur de multiplexe, ensemblier naturel et véritable garant du lancement efficace du numérique de terre, en ce qui concerne particulièrement l'organisation et le développement de la diffusion, est réduit à un rôle purement technique et économiquement passif, les futures chaînes ne sachant pas, de leur côté, avec quels partenaires et sur quelles fréquences elles auront à s'entendre pour développer et optimiser leur diffusion ;

- une priorité est accordée aux chaînes gratuites alors que rien n'indique que le marché publicitaire pourra financer la création de plusieurs dizaines de chaînes nouvelles, nationales ou locales, alors que la pénétration du numérique de terre sera trop lente pour que soit possible le basculement vers le clair des chaînes payantes du câble et du satellite, et en dépit de l'essor que la constitution d'une offre payante significative donnerait à l'équipement des ménages en moyens de réception numériques (la présence d'une offre payante inciterait les distributeurs de multiplexe à subventionner largement l'équipement des ménages, comme ce fut le cas pour assurer le succès du Minitel, du satellite et du téléphone mobile) ;

- l'attribution pour 10 ans des autorisations service par service va figer le paysage numérique de terre alors d'une part que l'adaptabilité de l'offre est essentielle à son caractère attractif, alors d'autre part que l'évolution technologique va modifier en permanence les conditions d'une gestion optimale de la ressource disponible sur chaque fréquence, incitant à adapter de façon continue la composition optimale de l'offre de chaque multiplexe.

Votre commission estime que ces choix ont toutes les chances de freiner le lancement de la télévision numérique de terre, avec deux perspectives à la clé :

- un risque financier tout d'abord : la réticence manifeste des opérateurs privés les plus aptes à relever les défis de la télévision numérique de terre - réticence dont le débat sur le seuil de 49 % n'est qu'un indice - dessine à moyen terme la perspective d'un échec dont l'État portera la responsabilité politique du fait des choix idéologiques qui ont présidé à l'élaboration du régime législatif du numérique de terre.

L'État sera invité à prévenir l'échec en assumant certains coûts, on pense au financement des infrastructures de diffusion ou au coût du renouvellement des équipements de réception du public. Le cycle pervers de l'économie structurellement déficitaire et nécessairement subventionnée s'ouvrira ;

- un risque industriel ensuite : mise sous perfusion politique et financière par l'activisme des pouvoirs publics, la télévision numérique de terre atteindra vraisemblablement un stade de développement suffisant pour définitivement compromettre les perspectives de l'économie du câble, et pour infléchir la courbe de croissance du satellite. L'audiovisuel français pourrait ne pas sortir de l'aventure sans avoir laissé passer quelques chances de croissance plus sérieuses.

On comprendra dès lors que votre commission, si elle confirme son intérêt pour le numérique de terre en tentant de porter remède à l'inconstitutionnalité du dispositif proposé, aborde sans grand optimisme un déb at législatif un peu lacunaire.

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