N° 77

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002

Annexe au procès-verbal de la séance du 15 novembre 2001

AVIS

FAIT

au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, relatif à l'accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l' État ,

Par M. Jean-Louis LORRAIN,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Nicolas About, président ; MM. Alain Gournac, Louis Souvet, Gilbert Chabroux, Jean-Louis Lorrain, Roland Muzeau, Georges Mouly, vice-présidents ; M. Paul Blanc, Mmes Annick Bocandé, Claire-Lise Campion, M. Jean-Marc Juilhard, secrétaires ; MM. Henri d'Attilio, Gilbert Barbier, Joël Billard, Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Jean Chérioux, Mme Michelle Demessine, M. Gérard Dériot, Mme Sylvie Desmarescaux, MM. Claude Domeizel, Michel Esneu, Jean-Claude Étienne, Guy Fischer, Jean-Pierre Fourcade, Serge Franchis, Francis Giraud, Jean-Pierre Godefroy, Mme Françoise Henneron, MM. Philippe Labeyrie, Roger Lagorsse, André Lardeux, Dominique Larifla, Jean-René Lecerf, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Mme Valérie Létard, MM. Jean Louis Masson, Serge Mathieu, Mmes Nelly Olin, Anne-Marie Payet, M. André Pourny, Mme Gisèle Printz, MM. Henri de Raincourt, Gérard Roujas, Mmes Janine Rozier, Michèle San Vicente, MM. Bernard Seillier, André Vantomme, Alain Vasselle, Paul Vergès, André Vézinhet.

Voir les numéros :

Sénat : 352 (2000-2001), 65 et 72 (2001-2002)

Famille.

Nous naissons pour ainsi dire provisoirement quelque part et c'est peu à peu que nous composons en nous le lieu de notre origine pour y naître après coup et chaque jour de plus en plus définitivement.

Rainer Maria Rilke

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

L'objet de la loi relative à l'accès aux origines personnelles est en apparence d'une grande simplicité : faciliter l'accès des enfants nés dans l'anonymat à la connaissance de leurs origines.

Chaque jour les médias narrent la chronique de retrouvailles émouvantes.

Chaque jour, des enfants nés sans origines ou, plus justement, élevés dans l'ignorance de leurs origines, viennent plus nombreux réclamer de pouvoir vivre dans la vérité.

Chaque jour, en écho, des mères ou des associations défendent leurs droits et rappellent les raisons du choix, fait un jour par ces femmes, de donner la vie dans le secret et de vivre par la suite préservées. Et ce droit, nul ne peut le nier, est antinomique du précédent.

Il n'est de pire conflit que celui de deux droits légitimes qui s'opposent frontalement. Sous cette pression, le Parlement doit trancher. Ce projet de loi est donc avant tout une affaire d'équilibre. Sans se dérober, le législateur est appelé à fixer celui-ci pour qu'il soit synonyme d'équité, qu'il parvienne d'une certaine façon à concilier l'inconciliable.

Afin que, sans remettre en cause une faculté maintenant bicentenaire, celle ouverte aux femmes de donner la vie dans l'anonymat, le projet de loi propose de créer une instance de médiation ayant vocation à faciliter la réconciliation de deux histoires, celle de la mère de naissance et celle de l' « enfant né sous X » .

Deux réserves doivent néanmoins être formulées à cet égard.

La recherche de ses origines ne doit pas tomber dans la recherche de « la vérité à tout prix ». L'accès à la connaissance n'est pas une fin en soi, la transparence dont certains se font les encenseurs doit se garder d'aboutir à la destruction d'existences parfois déjà tourmentées.

Un quotidien du soir 1 ( * ) écrivait en outre qu' « au ministère de la famille, on ne se cache pas de vouloir faire de l'accouchement anonyme une exception avant, peut-être dans un second temps, d'en prévoir l'extinction » . Une telle démarche serait nécessairement contraire à ce qui est l'esprit de ce projet de loi, à savoir trouver un équilibre entre deux droits reconnus également légitimes. Annoncer la consécration à terme de l'un aux dépens de l'autre n'aurait pour seul effet que de raviver des tensions qu'il est justement proposé de pacifier.

Pour sa part, votre rapporteur a estimé que votre commission des Affaires sociales ne saurait rester à l'écart de ce débat sur l'accès aux origines personnelles, tout en regrettant toutefois la multiplication des projets et propositions de loi qui conduisent inévitablement à une réforme émiettée du droit de la famille par touches techniques successives.

En effet, un projet cohérent et complet aurait donné lieu probablement à une saisine pour avis de votre commission qui lui aurait alors permis de faire valoir sa lecture globale d'une telle réforme et les conditions dans lesquelles celle-ci s'inscrit dans la politique familiale, alors qu'une présentation fractionnée et échelonnée ne saurait justifier une telle intervention.

I. LA TENSION DE DEUX DROITS APPAREMMENT INCOMPATIBLES

A. LA NAISSANCE DANS L'ANONYMAT : UN FAIT SOCIAL

1. Un problème ancien

Quelle que soit l'époque, conscients de ces difficultés, les pouvoirs publics ont cherché à doter la France de moyens adaptés susceptibles de répondre à des situations dramatiques.

Dès la seconde moitié du XVI e siècle, un décret d'Henri II obligeait toute femme à déclarer sa grossesse afin de prévenir d'éventuels infanticides.

Au début du XVIII e siècle, la création du « tour » a organisé l'abandon d'enfants dans des conditions de confidentialité permettant de préserver le secret des origines et la santé physique de l'enfant.

Lors d'un entretien donné à un quotidien national 2 ( * ) , Mme Ségolène Royal a pu déclarer qu'il « ne faut pas oublier l'origine idéologique de l'accouchement sous X : c'est un décret-loi du régime de Vichy qui représentait le pendant de la peine de mort pour les femmes qui avortaient ». Cette affirmation, qui tend à discréditer cette procédure, n'est pas exacte, car l'organisation de l'accouchement et de l'abandon dans l'anonymat est d'origine républicaine. C'est en effet, par un décret-loi du 28 juin 1793 que la Convention nationale a institutionnalisé la procédure. Chaque district aurait désormais obligation de se doter d'une maison où « la fille enceinte pourra se retirer secrètement pour faire ses couches » tout en prévoyant qu' « il sera pourvu par la Nation aux frais de gésine et à tous les besoins pendant le temps de son séjour et que le secret sera gardé sur tout ce qui la concerne » . C'est l'acte juridique fondateur de l'accouchement sous X.

La période suivante voit se succéder peu d'évolutions. En 1860, est créé un bureau d'admission où les mères sont encouragées à garder leur enfant par le biais d'allocations. Au début du siècle, il devint possible de remettre son enfant à toute heure du jour ou de la nuit par la création d'un « bureau ouvert ».

L'évolution juridique de cette procédure est intervenue en plusieurs étapes : un décret-loi du 2 septembre 1941, des décrets du 29 novembre1953, du 7 janvier 1959 et du 14 janvier 1974, puis, enfin, les lois du 8 janvier 1993 et du 5 juillet 1996.

Alors qu'il s'élevait à plus de 10.000 au début des années 1970, notamment avant la loi de 1975 sur l'interruption volontaire de grossesse, le nombre d'accouchements sous secret décroît fortement, puisqu'on ne compte plus qu'environ 780 cas au début des années 1990, pour 560 en 1999. Les flux sont aujourd'hui de faible ampleur, mais la question « d'un stock » demeure entière, les personnes nées dans l'ignorance de leurs origines se sont aujourd'hui organisées pour réclamer la suppression de cette procédure.

* 1 Le Monde, vendredi 15 décembre 2000, p.13

* 2 Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille, à l'enfance et aux handicapées, Libération, 17 janvier 2001.

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