CHAPITRE II -

LA MISE EN oeUVRE
DES SCHÉMAS DE SERVICES COLLECTIFS

A. LA PROCÉDURE

On rappellera brièvement la procédure qui a abouti à l'adoption des neuf schémas relatifs à l'enseignement supérieur et à la recherche, à la culture, à la santé, à l'information et à la communication, au transport de voyageurs, au transport de marchandises, à l'énergie, aux espaces naturels et ruraux et au sport.

Les schémas ont été élaborés, on le sait, par des équipes parfois interministérielles constituant des « comités stratégiques ».

Leur mise au point s'est effectuée en trois grandes étapes :

une première étape dite de « cadrage », menée au sein de l'administration centrale, qui a débouché sur un document fixant les grandes orientations et les priorités de l'Etat au milieu de l'année 1999 ;

une deuxième étape dite de « concertation » au niveau régional ; cette concertation -qui s'est appuyée sur le document de cadrage- a été conduite par les préfets dans le cadre des conférences régionales d'aménagement et de développement du territoire (CRADT) ;

une troisième étape qui s'est déroulée de la manière suivante :

la mise au point d'avant-projets de schémas combinant les travaux des comités stratégiques et les contributions régionales ; cette étape s'est achevée à la fin du mois d'octobre 2000 ;

la constitution d'un document unique réunissant les neuf schémas ;

une deuxième concertation régionale qui a permis de recueillir l'avis des conseils régionaux, des conférences régionales d'aménagement et de développement du territoire (CRADT) et des conseils économiques et sociaux des régions ; cette consultation s'est déroulée jusqu'à la mi-mai 2001 ;

l'examen au mois de juin 2001 du document regroupant l'ensemble des schémas par les délégations parlementaires à l'aménagement et au développement durable du territoire du Sénat (avis rendu le 19 juin dernier) et de l'Assemblée nationale et par le CNADT (avis rendu le 19 juin dernier) ;

enfin, la transmission des schémas au Conseil d'Etat en vue de leur approbation par décret.

B. L'AVIS DU CNADT (19 JUIN 2001)

Le CNADT a considéré que la présentation des schémas constituait une démarche positive et novatrice .

Il a approuvé la mise au premier plan de la demande de services, c'est-à-dire des attentes des habitants et des territoires, alors que les démarches passées partaient de l'offre. Il observe avec intérêt une « avancée réelle » vers une approche globale.

Le Conseil a néanmoins jugé que l'avenir du territoire national devrait être mieux mis en évidence, au risque de privilégier une vision trop « hexagonale et administrative », de même qu'une « expression trop timide » de l'objectif de cohésion territoriale.

Il a notamment estimé que « la réflexion à vingt ans était restée dans une approche tendancielle sans tenir compte des mutations profondes de la société, des dynamismes nouveaux de la demande et de la capacité d'intervention des acteurs ».

D'autre part, « les phénomènes qui pèsent sur l'évolution des territoires (métropolisation, concentration, etc...), sont décrits sans que soient analysées leurs causes (la mondialisation, la concurrence des territoires, les conséquences territoriales des politiques générales et sectorielles nationales et communautaires qui, visant le renforcement des points forts, renforcent également la fracture territoriale). D'où une réflexion insuffisante sur les marges de manoeuvre dont disposent les politiques publiques pour atteindre des objectifs volontaristes. »

Le CNADT a regretté l'insuffisante prise en compte de l'organisation et du développement des territoires dans les décisions à venir en évoquant notamment « l'inflexion nécessaire » des politiques communautaires de la concurrence et des services publics.

Le Conseil a aussi estimé que des lacunes devaient être comblées, des insuffisances corrigées et des ambiguïtés levées.

Il a formulé plusieurs critiques :

- « en ne traitant pas correctement de l'outre-mer, les projets de schémas prennent mal en compte la totalité du territoire national » ;

- « ces projets comportent aussi des insuffisances de nature réglementaire ; ils ne respectent pas toujours les dispositions de la loi d'orientation et de développement durable du territoire et des thèmes majeurs sont absents (culture scientifique et technique, indicateurs de développement durable, moyens du rééquilibrage des dépenses culturelles entre l'Ile-de-France et les autres régions) » ;

- « d'autres insuffisances sont de nature plus politique : les enjeux énergétiques sont insuffisamment pris en compte du fait de l'exclusion du nucléaire du projet de schéma relatif à l'énergie, les liens entre le projet de schéma relatif aux espaces naturels et ruraux et les autres schémas ne sont pas traités, le positionnement des schémas de services collectifs par rapport à l'espace européen et plus particulièrement au schéma de développement de l'espace communautaire n'est pas clairement affirmé. »

Le Conseil a, cependant, estimé que la « transversalité » par l'articulation entre les domaines concernés par les projets de schémas, aurait dû constituer une dimension majeure.

Il a jugé en conséquence que certaines « articulations » méritaient d'être explicitées (celle des nouvelles technologies de l'information et de la communication avec les autres schémas par exemple) et que d'autres devraient être complétées et précisées (liens entre recherche et énergie, espaces naturels et ruraux et sports).

Le CNADT a donc critiqué le manque de cohérence externe des projets de schémas en faisant valoir que l'absence de dispositions systématiques, précises et homogènes en matière de suivi et d'évaluation, privait les projets de schémas d'un aspect essentiel à la « bonne gouvernance ».

Il a encore constaté que les documents faisaient l'impasse sur la répartition des rôles, dans la conduite des politiques publiques, entre l'Union européenne, l'Etat national, les régions et les pouvoirs locaux en ne consacrant pas les développements nécessaires au principe de subsidiarité, à la décentralisation et à la péréquation des ressources entre les territoires.

Enfin, le CNADT a jugé ambigu le statut des ensembles interrégionaux annoncés par les projets de schémas.

C. L'AVIS DE LA DÉLÉGATION DU SÉNAT À L'AMÉNAGEMENT ET AU DÉVELOPPEMENT DURABLE DU TERRITOIRE (19 JUIN 2001)

La délégation du Sénat a confié chacun des neuf schémas à un rapporteur (à l'exception des schémas « transports de voyageurs » et « transport de marchandises » pour lesquels elle a désigné un seul et même rapporteur) qui a été chargé d'élaborer un projet d'avis. Ces avis ont été approuvés lors d'une réunion qui s'est tenue le 19 juin 2001.

a) Le schéma des services collectifs de l'enseignement supérieur et de la recherche (Mme Yolande Boyer)

La délégation a estimé que ce projet ne constituait qu'un premier essai qui méritait d'être « transformé ».

Cela suppose, a-t-elle souligné, que les ministères concernés se dotent des moyens humains et statistiques nécessaires pour engager de véritables réflexions prospectives.

Cela exige aussi un engagement politique fort de la part de l'Etat.

Elle a jugé indispensable que l'Etat poursuive les efforts budgétaires engagés depuis plusieurs années en faveur de la recherche et de l'enseignement supérieur (dont le budget a progressé en moyenne de 6 % par an à structure constante entre 1990 et l'an 2001).

Elle s'est, enfin, interrogée sur le calendrier et les modalités de révision du schéma, puis sur l'articulation de cette révision avec le bilan à mi-parcours des contrats de plan Etat-région 2000-2006.

b) Le schéma de services collectifs culturels (M. Alain Vasselle)

La délégation du Sénat s'est montrée quelque peu plus critique à l'égard de ce schéma. Les nombreuses mesures qu'il envisage, a-t-elle notamment relevé, ne sont déclinées que sur le mode de l'« optatif », et ne sont assorties d'aucune ébauche de calendrier ni d'aucun engagement précis, en particulier sur le plan financier ; une clarification des compétences et une coordination des interventions des différentes collectivités publiques seraient, pourtant, particulièrement nécessaires de même que des orientations plus précises devraient être fixées aux partenariats afin de « donner tout son sens à la contractualisation » ; enfin l'accumulation des priorités affichées lui a semblé estomper toute ligne de force.

c) Le schéma de services collectifs sanitaires (M. Gérard Larcher)

La délégation du Sénat a tout d'abord jugé que ce schéma était trop descriptif et insuffisamment prospectif . Elle a aussi estimé que les choix stratégiques annoncés n'étaient pas à la mesure des enjeux, ni par les moyens, ni par la façon envisagée de mettre ces derniers à la disposition des acteurs du système de santé autres que l'Etat.

Elle a relevé que ceux-ci étaient étrangement absents du schéma : « ni associés aux décisions, ni partenaires contractuels, ni acteurs de la mise en oeuvre de la politique de santé ».

En outre, a-t-elle souligné, le document souffre d'une lacune majeure : il a été élaboré hors de toute préoccupation de régulation fina ncière du système et de solvabilisation de la demande.

Enfin, la délégation a reproché son manque d'ambition au schéma de services collectifs sanitaire quand bien même, a-t-elle reconnu, il est difficile de raisonner à vingt ans en matière de santé.

d) Le schéma de services collectifs de l'information et de la communication (M. Claude Belot)

Après avoir relevé que ce schéma constituait un exercice de synthèse s'appuyant sur des analyses préexistantes, la délégation a porté un jugement fort critique sur ce document à l'heure où l'aménagement « numérique » du territoire apparaît comme une priorité essentielle.

La délégation a en particulier contesté certains objectifs du schéma (tels que « la liaison à 2 mégabits par seconde pour tous en 2005 ») en les jugeant soit timorés soit irréalistes.

Elle a, enfin, regretté ce qu'elle a considéré comme de graves lacunes, à savoir une analyse insuffisante :

- des évolutions du marché et de la demande en services de l'information, moins bien analysées que l'offre de technologies. Or, l'Etat doit, selon elle, jouer son rôle d'orientation du marché et de « fédérateur » d'une stratégie industrielle nationale ;

- de la convergence des secteurs informatique, audiovisuel et des télécommunications. Il s'agit pourtant, a-t-elle souligné, de la grande évolution à attendre d'ici à cinq ans.

e) Les schémas de services collectifs de transports de marchandises et de voyageurs (M. Jacques Oudin)

La délégation s'est montrée particulièrement sévère pour ces schémas dont elle a estimé qu'ils « faisaient l'impasse » sur :

- la notion de « schéma » , l'élément graphique et cartographique étant soit absent soit extrêmement insuffisant ;

- la notion de « services » très peu explicitée.

La délégation a notamment relevé les approximations, les insuffisances, voire les contradictions des schémas : absence de dimension européenne, absence de dimension territoriale et transfrontalière, vision excessivement centraliste, flou des objectifs, absence de moyens de financement.

Elle a aussi estimé qu'un certain nombre d'étapes essentielles étaient « manquantes » dans l'élaboration du document, la réalisation des objectifs étant subordonnée à des conditions qui ont été quelque peu oubliées par les auteurs du document : l'harmonisation européenne, la stratégie des chargeurs, la « métamorphose » de l'opérateur ferroviaire.

f) Le schéma de services collectifs de l'énergie (M. Bernard Piras)

L'attitude de la délégation a été plutôt positive par rapport à ce schéma.

Ce document lui est apparu comme mettant en lumière un certain nombre de problèmes majeurs :

- la contribution des collectivités locales au service public de l'énergie ;

- la prise en compte des besoins en investissements (stockages gaziers, liaisons électriques de secours) ;

- la pérennisation d'un service public local de l'énergie « de proximité » ;

- une desserte territoriale équilibrée en énergie.

La délégation a jugé cependant que deux thèmes (l'utilisation des « réseaux de chaleurs » et les techniques de production d'énergie renouvelable) étaient insuffisamment traités par le document.

Elle a plaidé prononcé pour une « ambition accrue » en matière de maîtrise de la demande d'énergie et de développement de toutes les énergies renouvelables.

g) Le schéma de services collectifs des espaces naturels et ruraux (M. Roger Besse)

Sur ce schéma, la délégation du Sénat a estimé que le développement économique était le « grand absent .

Il lui est apparu « très réducteur » de n'envisager la fonction économique au sein des espaces naturels et ruraux que sous le seul angle de l'agriculture ou du tourisme. Le schéma, a-t-elle souligné, est muet sur la présence et le rôle joué par l'artisanat, les PME ou encore les professions indépendantes. L'implantation d'activités économiques industrielles ou de services, commerciales ou artisanales, aurait dû, selon elle, être conciliée avec les enjeux environnementaux et paysagers.

La délégation a regretté l'absence d'engagements précis de l'Etat concernant le maintien des services publics en milieu rural alors que cette présence conditionne souvent la présence d'activités économiques ou le maintien des populations.

Selon elle, le document aurait du faire référence au projet de « maisons de services publics à caractère économique et financier ».

Elle a encore jugé qu'une réflexion sur la délocalisation de services publics en milieu rural aurait été bienvenue.

Le schéma, a-t-elle ajouté, n'aborde pas le problème des friches constituées par les équipements abandonnés à la suite du retrait de services publics, ce qui détériore le paysage et la qualité de l'environnement.

La délégation a aussi souligné que le document ne prenait pas suffisamment en compte la nécessité de maintenir l'existant et donc d'aider prioritairement la transmission-reprise des entreprises. Ceci -a-t-elle estimé- passe par la formation à la succession, par la mise en place d'un système de tutorat et par des aides aux entreprises qui veulent s'installer loin des grandes agglomérations.

h) Le schéma de services collectifs du sport (Mme Janine Bardou)

Enfin, la délégation du Sénat a jugé « décevant » le schéma de services collectifs du sport.

« L'ambition de se livrer à un effort de prospective à vingt ans d'un secteur en plein évolution, a-t-elle souligné, ne débouche que sur la constatation de tendances présentes généralement admises, et sur la récitation des objectifs traditionnels de la politique sportive du ministère de la jeunesse et des sports. Les mesures présentées comme les grands choix stratégiques se résument le plus souvent à l'évocation des adaptations engagées par des réformes législatives récentes, ou à des mesures de réorganisation administrative envisagées sous un angle très vague et général. Les seules mesures susceptibles d'une traduction concrète portent sur la création de commissions administratives et traduisent une fois de plus le penchant de ce ministère à la multiplication des comités ».

La délégation du Sénat à l'aménagement et au développement durable du territoire a vivement dénoncé les délais qui lui ont été impartis pour statuer sur les schémas de services collectifs. Ce délai d'un mois -certes prévu par la loi du 25 juin 1999 sur l'aménagement et le développement durable du territoire- est intervenu à la suite d'une concertation régionale qui s'est essentiellement déroulée au printemps 2001 c'est-à-dire dans une période d'élections municipales et cantonales qui n'a pas été, c'est le moins que l'on puisse dire, la plus favorable à une réflexion sereine sur les sujets proposés.

Le président de la délégation, M. Jean-Pierre Raffarin, a conclu l'introduction du rapport de la délégation, par les propos suivants :

« Sans vouloir minimiser la contribution utile de nos délégations parlementaires à la mise au point définitive des schémas de services collectifs, encore que le délai d'un mois imparti pour statuer sur les documents issus de la consultation régionale constitue manifestement une « anomalie », je voudrais insister sur le « déficit de démocratie » qui affecte (et qui en constitue, en quelque sorte, le « péché originel ») les schémas de services collectifs.

Au-delà des incertitudes sur la nature juridique des documents ou des discussions sur leur caractère plus ou moins normatif, il reste que l'avis consultatif de deux délégations parlementaires, s'ajoutant à d'autres avis mis sur le même plan, ne remplacera jamais le Parlement lui-même qui aurait seul pu valider et légitimer des choix et objectifs censés guider l'action de l'Etat dans les différents champs abordés par les schémas jusqu'en 2020 ».

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