2. La position du gouvernement français

Dès le Conseil du 11 juin dernier, le gouvernement français a également fait connaître ses plus grandes réserves sur le projet présenté par la Commission européenne. En effet, il a considéré que ce projet de réforme était beaucoup trop déséquilibré entre la nécessaire protection de la ressource et la non moins nécessaire prise en compte de la dimension sociale, économique et territoriale de la pêche . Il a également mis en garde la Commission contre les deux travers de sa démarche : sur la forme, une approche excessivement provocatrice à l'égard des professionnels du secteur de la pêche et, sur le fond, une trop grande brutalité dans la mise en oeuvre des solutions proposées. Il a clairement indiqué que la réforme de la PCP devait se faire avec les pêcheurs et non pas contre eux.

Il est piquant de rappeler, à ce propos, que la Commission européenne déplore elle-même que les parties prenantes aient été « insuffisamment associées à la définition de la politique » , ce déficit de participation influant négativement « tant sur l'adhésion aux mesures de conservation adoptées que sur leur respect » !

Concernant plus précisément les propositions de la Commission, le Gouvernement français a défini les principaux points qui ne lui semblaient pas acceptables :

- tout d'abord, la généralisation, à l'ensemble des stocks halieutiques, de plans de gestion pluriannuels , très draconiens, s'apparentant de facto à des plans de restauration. En effet, si l'on peut concevoir, pour les stocks réellement en difficulté sur un plan biologique, la mise en place de plans de restauration, en revanche, de tels dispositifs ne sauraient être acceptés pour des stocks où une simple mesure pluriannuelle de fixation des TAC est suffisante. La France a ainsi écarté toute approche trop globalisante de gestion de la ressource ;

- en second lieu, le transfert de compétences du Conseil vers la Commission en matière de fixation des autorisations de captures et des mesures techniques. En effet, la France a rappelé que dans ces domaines, les décisions sont politiques et non pas techniques ;

- enfin, la suppression brutale , dès le 1 er janvier 2003, de l'ensemble des aides publiques , nationales et communautaires, à la construction et à la modernisation des navires de pêche. En effet, démontrant, contrairement aux idées reçues, que les aides publiques n'étaient ni facteur de surcapacité, ni facteur de surpêche, ni facteur de distorsion de concurrence, le gouvernement français a souligné que ces aides constituaient un élément indispensable au maintien d'une flotte de pêche diversifiée et répartie harmonieusement sur l'ensemble de notre littoral.

ARGUMENTAIRE DU GOUVERNEMENT FRANÇAIS EN FAVEUR DU MAINTIEN DES AIDES PUBLIQUES A LA FLOTTE

La faculté d'aider la construction ou la modernisation des navires de pêche doit être maintenue dans le cadre de la réforme de la politique commune de la pêche.

Cette position repose sur deux arguments :

Sur un plan communautaire, l'objectif de voir maintenue la faculté de mobiliser des aides publiques dans le secteur de la pêche ne crée aucun dommage tant vis-à-vis de la ressource halieutique communautaire que vis-à-vis des Etats membres qui ne souhaitent pas utiliser cette faculté .

En effet, contrairement à ce qu'avancent leurs détracteurs, les aides publiques ne sont pas :

- un facteur d'encouragement à la surcapacité de la flotte de pêche communautaire

La PCP fixe, réglementairement, pour chaque Etat membre, un plafond de capacité de pêche. Ce plafond, exprimé en kW et en jauge, s'est traduit par la mise en place de programmes d'orientation pluriannuels. Dans le cadre de la proposition de règlement de la Commission, le principe de ce plafond de capacité imposé à chaque Etat membre est maintenu.

Dans ce cadre de capacité de pêche contrainte, il est trivial de comprendre que l'existence, ou non, d'aide publique à la modernisation ou au renouvellement des navires de pêche ne peut conduire à créer une surcapacité.

- un facteur d'encouragement à la surpêche

Afin d'assurer une gestion durable de la ressource, l'un des objectifs principaux de la PCP est de fixer des plafonds d'autorisation de capture par le biais de TAC et de quotas.

Ainsi, sur la base d'analyses et de recommandations scientifiques, l'Union européenne a mis au point, au fil des années, une politique de plus en plus sophistiquée d'encadrement des capacités de captures, par espèce, par zone de pêche et par Etat membre.

Cette politique a d'ailleurs consisté à étendre progressivement le régime des TAC et quotas au plus grand nombre d'espèces halieutiques, et systématiquement pour toutes celles qui accusaient des difficultés biologiques.

Dans ce cadre de possibilités de pêche contraintes pour chaque Etat membre, il est aisé de comprendre que les aides publiques à la modernisation et au renouvellement des navires de pêche ne peuvent conduire à une surpêche des stocks communautaires.

Si, par un défaut de contrôle, des phénomènes de surpêche devaient être constatés dans certains Etats membres, il est certain que tout bon expert des pêches communautaires reconnaîtrait très facilement que ces comportements de fraude sont tout aussi fréquents, sinon plus, au sein des Etats membres qui ont choisi de ne pas aider financièrement les investissements à leur flotte de pêche qu'au sein de ceux qui y ont recours.

Si d'aventure, tel n'était pas le cas, il serait utile que la Commission puisse donner aux Etats membres des indications chiffrées en ce domaine.

- un facteur de distorsion de concurrence entre les Etats membres

La distorsion de concurrence se définit comme le moyen, pour un acteur économique, de produire un bien à un coût de revient artificiellement bas (grâce à une subvention publique) afin d'accroître ses ventes (sa part de marché), en ayant la capacité de proposer un prix inférieur à son concurrent sans que cela nuise à la rentabilité de son entreprise.

Appliquée au secteur de la pêche communautaire, cette argumentation n'a pas de sens. En effet, le marché communautaire des produits de la mer a deux caractéristiques principales :

* le marché est globalement déficitaire : la consommation de produits de la mer par les Européens est deux fois supérieure à la production des pêcheurs communautaires. Le marché des produits de la mer est donc un marché de demande et non d'offre, sur lequel tout producteur communautaire est assuré de trouver un débouché ;

* les capacités de pêche de chaque Etat membre sont fixées annuellement de façon administrative par le biais des TAC et des quotas. En d'autres termes, la part de marché revenant à chaque Etat membre est fixée, a priori, en dehors de toute considération de capacité de pêche ou de coût de revient propre à chaque Etat membre.

Ainsi, compte tenu de ces caractéristiques fondamentales, il peut être affirmé que les aides publiques au renouvellement et à la modernisation des navires de pêche, n'ont aucune incidence sur les situations concurrentielles propres à chaque Etat membre.

Sur un plan national, les aides publiques sont des moyens d'action pour les Etats membres afin de conduire une politique volontariste de maintien d'une activité économique et sociale, culturellement très établie, sur l'ensemble du littoral.

Elles permettent également d'encourager les armateurs à initier des investissements tout à fait essentiels notamment en matière :

- de sécurité du navire , en accroissant notamment sa stabilité et les conditions de travail des hommes ;

- d'habitabilité du navire , pour accroître le confort de la vie de l'équipage ;

- de stockage et de traitement du poisson , afin d'accroître la qualité et donc la valorisation du produit. Ce dernier point est très important dans la mesure où l'évolution du chiffre d'affaires des entreprises de pêche ne peut pas provenir d'une augmentation des quantités pêchées (encadrement par les TAC et les quotas) mais seulement du prix de vente.

Votre rapporteur pour avis approuve entièrement cet argumentaire que les autorités françaises vont développer au cours des négociations communautaires du mois de décembre.

La France a affirmé qu'elle serait déterminée à faire aboutir une réforme positive, ambitieuse, qui ouvre de réelles perspectives d'avenir à l'ensemble de la pêche et de l'aquaculture communautaires.

Il est à noter, en outre, qu'à partir de contacts informels établis entre la France et l'Espagne, un groupe d'Etats membres, partageant la même philosophie sur l'avenir de la pêche en Europe, s'est peu à peu constitué. Il est aujourd'hui connu sous le nom du groupe des « Amis de la pêche ». Il regroupe six Etats membres : l'Espagne, la Grèce, l'Irlande, l'Italie, le Portugal et la France.

Ces six pays qui considèrent qu'une bonne politique des pêches est une politique sachant concilier une gestion durable de la ressource et une prise en compte de la dimension sociale, économique et territoriale de la pêche, ont établi une plate-forme commune de « contre-propositions » constructives dont votre rapporteur pour avis espère qu'elle infléchira le projet de la Commission.

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