IV. LES PERSPECTIVES D'ÉVOLUTIONS INSTITUTIONNELLES OU STATUTAIRES

1. Une revendication d'évolution institutionnelle

Les deux missions d'information conduites en 1999-2000 par la commission des Lois afin de préparer l'examen du projet de loi d'orientation pour l'outre-mer 15 ( * ) , ont montré la revendication par les départements français d'Amérique d'un statut « cousu main ». Ils considèrent en effet que le statut de département d'outre-mer issu de la loi du 19 mars 1946 constitue un carcan juridique, en raison notamment de l'interprétation restrictive donnée par le Conseil constitutionnel de l'article 73 de la Constitution 16 ( * ) .

La loi n° 2000-1207 d'orientation pour l'outre-mer du 13 décembre 2000 a permis plusieurs avancées en matière institutionnelle.

Tout d'abord, elle reconnaît aux quatre départements d'outre-mer « la possibilité de disposer à l'avenir d'une organisation institutionnelle qui leur soit propre » (article 1 er ) et définit une nouvelle méthode d'évolution institutionnelle des départements d'outre-mer, dont l'aboutissement reste cependant indéterminé.

Ainsi, elle permet la création d'un congrès des élus départementaux et régionaux dans les régions d'outre-mer monodépartementales 17 ( * ) , réunion des membres du conseil général et du conseil régional ainsi que des parlementaires, chargé de formuler des propositions d'évolution institutionnelle, de transfert de compétences de l'Etat ainsi que de toute modification de la répartition des compétences entre la région et le département 18 ( * ) .

Ces délibérations, sans caractère décisionnel , sont ensuite adoptées par le conseil général et le conseil régional, puis transmises au Premier ministre, qui décide des suites à donner. Le Gouvernement peut alors préparer un projet de loi organisant la consultation des populations intéressées, notamment sur ces propositions.

Les congrès ont été rapidement réunis dans les départements français d'Amérique .

En revanche, La Réunion s'y opposait, opposition consacrée dans la loi d'habilitation n° 2001-503 du 12 juin 2001 autorisant le Gouvernement à prendre des ordonnances d'adaptation outre-mer, sur laquelle le Conseil constitutionnel n'a pas eu à se prononcer. En effet, elle souhaite conserver son statut de département d'outre-mer . La loi d'orientation avait d'ailleurs reconnu dans son article 1 er « l'attachement des Réunionnais à ce que l'organisation de leur île s'inscrive dans le droit commun ».

Concernant Mayotte , la loi du 11 juillet 2001 l'a transformée de « collectivité territoriale » en « collectivité départementale ». Une clause de rendez-vous , prévoit qu'il sera fait en 2010 le bilan de l'application de ce nouveau statut et que le conseil général pourra alors proposer (à la majorité des deux tiers) au Gouvernement de nouvelles évolutions institutionnelles. Sa situation ne devrait donc pas être modifiée à court terme.

(1) Des réflexions très avancées en Guyane

Bien avant la loi d'orientation, la Guyane avait engagé un processus de réflexion sur son évolution institutionnelle, ce département se caractérisant en effet par de multiples spécificités : son étendue, sa population dispersée et pluriethnique 19 ( * ) et des difficultés de communication.

Le 27 février 1999 a donc été adopté à 80 % 20 ( * ) par les assemblées régionale et départementale de Guyane réunies en « congrès » un « pacte de développement pour la Guyane », qui préconise l'instauration d'une collectivité territoriale unique, de quatre provinces et d'un pouvoir législatif et réglementaire local autonome, ainsi que des transferts de compétences de l'Etat vers la collectivité territoriale.

Parallèlement, M. Georges Othily, sénateur de la Guyane, déposait le 23 janvier 2001 une proposition de loi constitutionnelle sur le statut de la Guyane n° 197 (2000-2001) prévoyant de transformer la Guyane en un « pays d'outre-mer », dont l'assemblée délibérante serait habilitée à prendre des « lois du pays », soumises au contrôle du Conseil constitutionnel avant leur publication, et définissant une citoyenneté guyanaise autorisant des discriminations positives.

La première réunion du congrès le 29 juin 2001 a vu l'adoption à une forte majorité (38 voix sur 50 pour, aucune voix contre) d'un avant-projet, qui s'inspire très largement du pacte de développement de février 1999.

Le département et la région seraient supprimés au profit d'une nouvelle « Collectivité Territoriale de Guyane » , composée d'une assemblée et d'un conseil exécutif. Quatre districts seraient créés sur le territoire de la Guyane.

En outre, l'avant-projet propose de conférer à l'assemblée de la collectivité un pouvoir d'initiative pour l'adaptation ou la modification des textes à caractère législatif ou réglementaire afin de tenir compte des spécificités locales. S'inspirant des institutions de la Nouvelle-Calédonie, il prévoit également la possibilité pour l'assemblée territoriale d'adopter des lois de pays dans des activités ou domaines qui par leur nature seraient spécifiques à la Guyane, cette collectivité demeurant cependant dans le cadre de l'Europe et de la République.

Est également prévu un transfert significatif de compétences , la collectivité territoriale de Guyane étant notamment compétente en matière d'aménagement du territoire, de fiscalité locale, de coopération régionale, d'enseignement primaire et d'action sanitaire et sociale,  le domaine foncier de l'Etat étant transféré aux collectivités.

Des compétences partagées interviendraient s'agissant de l'organisation administrative de la justice et du droit coutumier, de la sécurité publique (la collectivité territoriale de Guyane, les districts et les communes étant associés à la définition et à l'exécution de la politique de police et de sécurité), de la réglementation et du contrôle de l'immigration, de l'enseignement du second degré et de l'enseignement supérieur.

Le document, prévoyant également une consultation populaire, a été remis au secrétaire d'Etat à l'outre-mer le 18 septembre 2001 21 ( * ) . Le 26 octobre 2001, M. Jacques Chirac, président de la République, avait signifié son accord, en le subordonnant à une révision constitutionnelle fixant un cadre pour des évolutions de l'outre-mer.

Le 16 novembre 2001, le Gouvernement acceptait le principe d'une collectivité territoriale unique et de districts, l'octroi d'un pouvoir réglementaire et la possibilité pour l'assemblée territoriale de Guyane d'être habilitée par la loi, dans ses domaines de compétences et à son initiative, à prendre, pendant un délai déterminé, des mesures qui sont normalement du domaine législatif .

Les délibérations adoptées par l'assemblée de Guyane entreraient en vigueur dès leur publication, mais un projet de loi de ratification devrait être déposé avant une certaine date. Les dispositions qui, dans ce cadre, ne seraient pas ratifiées par le Parlement, garderaient valeur réglementaire et pourraient être déférées au juge de l'excès de pouvoir.

La question du transfert du foncier de l'Etat à la nouvelle collectivité et des mesures de rattrapage restait cependant encore à débattre, tandis que les dispositions relatives au corps électoral spécial pour la consultation de la population sur l'avenir de la Guyane étaient supprimées.

Un accord politique avec le Gouvernement, puis le dépôt d'un projet de loi organisant la consultation de la population guyanaise étaient donc attendus, ce processus nécessitant cependant une révision constitutionnelle .

(2) Les départements antillais

Après la Guyane en juin 2001, la Guadeloupe en décembre 2001, puis la Martinique en mars 2002 ont successivement voté un projet de création d'une nouvelle collectivité supprimant le département et la région avec mise en place d'une assemblée unique.

§ Réuni une première fois le 18 juin 2001, le Congrès de Guadeloupe a adopté une résolution finale le 17 décembre 2001.

Le congrès s'est prononcé pour la création d'une « nouvelle collectivité de Guadeloupe , dans le cadre de la République française et de l'Union européenne » remplaçant le département et la région et dotée d'une assemblée unique, élue pour 5 ou 6 ans et disposant d'un pouvoir législatif local dans ses domaines de compétences, sous le contrôle du Conseil constitutionnel, avec un conseil exécutif issu de l'assemblée composé de 11 membres élus au scrutin majoritaire à trois tours.

Outre les compétences actuelles du département et de la région, les compétences propres de la nouvelle collectivité s'exerceraient en matière de fiscalité, régime douanier, formation professionnelle, aménagement du territoire, patrimoine foncier et agricole, tourisme, culture, gestion de la fonction publique territoriale, sport, transports intérieurs et inter-îles, énergie, eau et coopération régionale.

La nouvelle collectivité territoriale partagerait avec l'Etat les compétences en matière d'éducation, recherche, sécurité civile, politique de l'immigration, nomination des hauts fonctionnaires, transports aériens et maritimes internationaux, télécommunications et audiovisuel.

Resteraient de la compétence exclusive de l'Etat, outre les compétences régaliennes traditionnelles, la santé, la législation sociale, les statuts de la fonction publique territoriale, les libertés publiques, le droit des personnes et la nationalité.

En outre, le congrès a apporté son soutien aux revendications des îles du Nord, Saint-Barthélémy et Saint-Martin, qui souhaitent bénéficier d'une large autonomie par rapport à la Guadeloupe.

§ La première session du Congrès de Martinique s'est déroulée les 20, 21 et 23 février 2002. Au terme de ces journées ont été proposées la création d'une nouvelle collectivité territoriale et la suppression du département et de la région, ainsi que la création d'une assemblée unique bénéficiant des compétences dévolues précédemment au département et à la région, mais également de nouvelles compétences.

A l'issue de la seconde session a été adoptée une résolution le 4 mars 2002 prévoyant une assemblée unique de 75 à 85 membres élue au scrutin proportionnel (avec un seuil de 5% des suffrages exprimés et dans le cadre d'une circonscription unique). S'agissant de l'exécutif, l'assemblée choisirait en son sein une conférence permanente élue à la proportionnelle et un président élu au scrutin uninominal.

Cette assemblée regrouperait les compétences des deux collectivités existantes, mais aussi des compétences nouvelles en matière de définition et de gestion de la politique du logement et de l'habitat, de développement économique, de régime de la propriété, de planification et d'urbanisme, d'adaptation des politiques d'aménagement, de participation à l'élaboration de la politique des transports aériens, maritimes et terrestres, de consultation pour la délivrance des droits de trafic maritime et aérien, de politique culturelle et sportive et d'association à la négociation des traités dans l'espace caribéen.

L'assemblée unique partagerait avec l'Etat un certain nombre de compétences en matière sociale, de sécurité civile, de relations extérieures, d'éducation et de fiscalité.

Un conseil des communes assurerait la représentation du territoire. Il serait doté d'un rôle consultatif obligatoire sur les questions de sa compétence.

Par ailleurs les élus ont revendiqué le pouvoir d'adaptation ou de modification des décrets d'application des lois votées par le Parlement, ainsi qu'un pouvoir de proposition de décrets d'application en cas de retard. De plus, la nouvelle collectivité se verrait attribuer un pouvoir propre d'adoption de décrets dans les domaines de compétences de l'assemblée . Elle aurait enfin un pouvoir législatif dans les domaines de compétences de l'assemblée après habilitation .

Le 5 avril 2002, les dix résolutions du congrès sur la réforme institutionnelle ont été largement adoptées par les conseillers généraux présents. Si la question de la reconnaissance du peuple martiniquais a été approuvée, celle de la nation martiniquaise a été rejetée. Le 9 avril, les conseillers régionaux ont adopté l'ensemble des motions du congrès.

L'adhésion des populations guadeloupéennes, et surtout martiniquaises à une réforme de leur statut paraît cependant plus incertaine 22 ( * ) .

* 15 L'une de douze jours menée par M. le président Larché en Guyane, en Martinique et en Guadeloupe, ainsi qu'une autre à Mayotte et à la Réunion, conduite par M. José Balarello.

* 16 Conseil constitutionnel DC n° 82-147 du 2 décembre 1982 : Les mesures d'adaptation « ne sauraient avoir pour effet de conférer aux départements d'outre-mer une organisation particulière, prévue à l'article 74 de la Constitution pour les seuls territoires d'outre-mer. »

* 17 Article L. 5911-2 du code général des collectivités territoriales - Le Sénat était opposé à une telle création, six des huit assemblées locales concernées ayant émis un avis défavorable, et cette procédure risquant d'aboutir en fait à la création d'une troisième assemblée locale au rôle ambigu. Le Conseil constitutionnel a, dans sa décision n° 2000-435 DC du 7 décembre 2000, validé cette création, considérant que le congrès ne pouvait être défini comme une troisième assemblée.

* 18 Article L. 5915-1 du code général des collectivités territoriales.

* 19 Amérindiens dans la forêt, orpailleurs, descendants de Noirs marrons ainsi que des créoles, auxquels s'ajoutent de nombreux étrangers souvent en situation irrégulière originaires de Haïti et du Surinam, du Brésil et du Guyana voisins.

* 20 Document contesté par les deux députés (Mme Christiane Taubira-Delannon, du parti Walwari, demandant d'abord un bilan de la décentralisation et M. Léon Bertrand, RPR, étant favorable à une bidépartementalisation).

* 21 Après son adoption par le conseil général et le conseil régional, respectivement par 13 voix contre 19 et 25 voix pour et une abstention, les 30 et 20 juillet.

* 22 Ainsi, un sondage réalisé par l'Institut Louis Harris au mois de décembre 2001 montrait que 92 % des Martiniquais souhaitaient que la Martinique reste un département français, 67 % considérant que ce statut garantit le mieux les droits acquis des Martiniquais, notamment en matière d'égalité sociale, de droit à la santé et de droit à l'éducation.

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