B. LA RÉFORME ANNONCÉE DE LA LOI D'ORIENTATION DU 30 JUIN 1975 : UNE RÉVOLUTION COPERNICIENNE

1. Une attente de plus en plus forte des personnes handicapées et de leurs familles

La loi d'orientation du 30 juin 1975 a, sans conteste, constitué une étape fondamentale pour la reconnaissance des droits des personnes handicapées et pour l'amélioration de leur prise en charge.

Il reste que les attentes des personnes handicapées et de leurs familles ont changé, tant vis-à-vis des modalités de la prise en charge institutionnelle que dans le domaine de l'égalité des droits et des chances. Cette évolution des attentes s'est traduite par la revendication d'un droit nouveau, le droit à compensation.

Celui-ci, reconnu par l'article premier de la loi du 4 mars 2002 20 ( * ) , n'est à ce jour pas défini dans son contenu. Lors du débat parlementaire sur ce texte, votre commission s'était engagée à en préciser les contours à l'occasion de la réforme annoncée et attendue de la loi d'orientation du 30 juin 1975 en faveur des personnes handicapées.

Ce chantier, engagé par le précédent gouvernement, a connu une impulsion nouvelle, à la demande du Président de la République, qui a fait de l'intégration des personnes handicapées une des trois priorités de son quinquennat.

D'après les informations transmises à votre rapporteur, la future loi relative à l'égalité des chances des personnes handicapées devrait comporter trois axes 21 ( * ) :

« - rendre effectif l'accès à la Cité pour une pleine participation, en généralisant à l'ensemble des secteurs de la vie sociale le principe d'accessibilité, en organisant chaque fois que nécessaire l'indispensable adaptation des institutions ou des procédures, en développant l'accompagnement et la personnalisation des aides ;

« - créer les conditions financières d'une vie autonome digne pour toute personne handicapée, en donnant un contenu au droit à compensation et en garantissant des ressources suffisantes de manière à permettre aux personnes handicapées de former leur projet personnel de vie ;

« - organiser les institutions et les procédures de réalisation de ces objectifs dans un souci de simplification et de clarification administratives, de transparence et d'efficacité en même temps que de participation des intéressés, de leurs familles et de leurs associations aux décisions qui les concernent. »

Au-delà des nécessaires créations de places prévues dans les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2003 et 2004, des progrès ont d'ores et déjà été réalisés sur ces trois axes, chaque fois que les mesures proposées pouvaient être mises en oeuvre par la voie réglementaire ou à l'occasion d'une loi sectorielle. On notera en particulier les mesures suivantes :

- en matière d'accessibilité, la loi n° 2003-590 du 2 juillet 2003 portant diverses dispositions relatives à l'urbanisme, à l'habitat et à la construction facilite les travaux de mise en accessibilité des parties communes dans les copropriétés ;

- un module de formation à la problématique de l'accessibilité des personnes handicapées ou à mobilité réduite, expérimenté en 2003, sera généralisé à la rentrée 2004 dans les écoles d'ingénieurs et d'architectes ;

- un plan de rattrapage pour le sous-titrage des programmes télévisés a été lancé avec pour objectif de porter de 15 % à 50 % d'ici 2006, dans le service public télévisuel, la part des programmes sous-titrés.

Le projet de loi de finances comporte également des mesures qui vont dans le sens des orientations retenues pour la réforme de la loi du 30 juin 1975 :

- il rend éligible au crédit d'impôt pour dépenses d'équipements de l'habitation principale les travaux d'installation d'équipements spécialement conçus pour les personnes âgées ou handicapées ;

- il pérennise le statut des auxiliaires de vie scolaire et transfère la responsabilité de leur recrutement et de leur financement à l'éducation nationale.

Votre rapporteur ne peut que se féliciter de ces mesures dont un certain nombre figurait, d'ailleurs, dans les propositions du rapport de notre commission du 26 juillet 2002 22 ( * ) et qui contribuent à améliorer, au quotidien, la vie de nos concitoyens handicapés.

Il reste que la réforme de fond, celle de la loi du 30 juin 1975 se fait attendre : de multiples propositions ont déjà été faites, notamment par notre commission ; il convient de les convertir en actes car l'attente des personnes handicapées est désormais à son comble .

2. Vers la création d'une « cinquième branche » de protection sociale : le plan « Vieillissement et solidarité »

Initialement promis pour les personnes âgées, suite à la catastrophe sanitaire de l'été dernier, le plan « Vieillissement et solidarité », rendu public le 6 novembre 2003 par le Premier ministre, a été étendu aux personnes handicapées.

Tout en reprenant les orientations annoncées dans le cadre de la future réforme de la loi d'orientation du 30 juin 1975, il s'inscrit dans une perspective nouvelle, celle de la création d'une nouvelle branche au sein de notre protection sociale, avec la création d'une Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA).


La réforme de solidarité pour les personnes dépendantes du 6 novembre 2003 dans son volet « Handicap »

De nouveaux droits personnalisés :

- prise en charge des surcoûts de toute nature liés au handicap dans le cadre d'un plan personnalisé de compensation du handicap ;

- promotion de la participation des handicapés dans la vie sociale et accès aux droits (accessibilité, emploi, éducation) ;

- mise en oeuvre d'un plan pluriannuel de création de places en CAT et en MAS.

Un accès aux droits simplifié :

- décentralisation dès 2005 des auxiliaires de vie, des CAT et des centres de rééducation professionnelle ;

- réforme de la tarification des établissements ;

- mise en place d'un « guichet unique », à travers la création de maisons départementales des personnes handicapées.

La création d'une Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie :

- chargée de rassembler en un lieu unique les moyens mobilisables par l'État et l'assurance maladie pour prendre en charge la dépendance des personnes âgées et handicapées, de veiller à l'égalité de traitement sur le territoire, de fixer les orientations nationales et de mener les études, recherches et évaluations sur les phénomènes de dépendance ;

- gérée de façon décentralisée, par la délégation aux départements des outils de prise en charge de la dépendance ;

- financée par une journée de solidarité : les entreprises seront soumises à une cotisation supplémentaire de 0,3 %, compensée par une journée de travail supplémentaire. Les revenus du capital seront également soumis à cette contribution.

Source : Dossier de presse - services du Premier ministre

Le plan prévoit une mise en oeuvre de la contribution de solidarité à compter du 1 er juillet 2004, avec un rendement de 980 millions d'euros à mi-année et de 1,9 milliard d'euros en année pleine. Serait également transférée à la future caisse la part du produit de la CSG actuellement affectée par l'État au fonds de financement de l'APA.

L'ensemble de ces ressources serait, dans un premier temps, en 2004, affecté au financement des mesures d'urgence pour les personnes âgées, à la pérennisation de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et au remboursement de l'emprunt contracté en 2003 pour financer cette même allocation.

Dès 2005, et sous réserve de l'adoption de la réforme de la loi d'orientation du 30 juin 1975, le volet « personnes handicapées » serait doté de 850 millions d'euros. Ces ressources serviraient à financer la future prestation de compensation du handicap dont l'objet serait de prendre en charge « les surcoûts liés aux aides nécessaires pour compenser les conséquences des handicaps, qu'il s'agisse d'aides humaines ou techniques, d'aides à l'aménagement du logement, d'aides juridiques ou techniques, d'aide aux aidants ou d'autres aides. » 23 ( * )

Votre rapporteur approuve totalement la définition retenue pour la future prestation de compensation, dont les contours rejoignent ceux de l'« allocation compensatrice individualisée » qu'il appelait de ses voeux dans ses précédents rapports et qu'il s'était attaché à définir dans sa proposition de loi du 13 mai dernier.

Le périmètre exact des missions de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie devrait être précisé d'ici mai 2004, en fonction des recommandations du rapport demandé par le Premier ministre à MM. Briet, conseiller maître à la Cour des Comptes et Jamet, directeur général des services du département du Rhône.

A ce stade, votre rapporteur tient à souligner les interrogations soulevées par le dispositif et qui devront être clarifiées à l'occasion du texte qui sera soumis au Parlement aux fins de création de la CNSA.

A l'évidence, les ressources affectées à la caisse pour financer l'APA en régime de croisière, soit 400 millions d'euros par an, ne concernent que la participation de l'État à ce financement. Le coût total de cette prestation est en effet estimé à 1,2 milliard d'euros en 2003. Par conséquent, la création de la caisse ne remet pas en cause le financement de l'APA, à titre principal, par l'aide sociale départementale.

De la même manière, et dans la mesure où les dépenses prévisibles en matière de compensation du handicap devraient être au moins égales au coût de l'APA, il sera nécessaire, pour financer cette nouvelle prestation, de faire appel à des financements complémentaires . Il est donc vraisemblable que la création de la caisse s'accompagnera, si ce n'est d'un maintien de l'actuelle ACTP, tout au moins d'un transfert des sommes qui y étaient jusqu'ici consacrées par les départements, à savoir 560 millions d'euros en 2002 24 ( * ) , à la prise en charge d'une partie de la nouvelle allocation de compensation.

Ces interrogations ne remettent assurément pas en cause l'appréciation très positive de votre rapporteur vis-à-vis de cette réforme ambitieuse qui apporte une réponse bienvenue à la question du financement du droit à compensation.

3. Les recommandations de votre commission

a) Rapprocher les COTOREP et CDES des futures « maisons départementales du handicap »

L'une des demandes les plus fortes des personnes handicapées et de leurs familles est de voir leur projet de vie reconnu et que les réponses apportées à ce projet ne fassent plus l'objet d'un traitement fractionné, par des autorités totalement déconnectées les unes des autres.

La définition d'un plan personnalisé de compensation des handicaps, proposé par le Gouvernement, et son élaboration en partenariat avec une équipe pluridisciplinaire, vont incontestablement dans ce sens et constituent l'aboutissement de la démarche engagée avec la création des sites pour la vie autonome.

Votre rapporteur tient toutefois à rappeler que la compensation du handicap va au-delà de l'attribution d'aides financières à l'acquisition de matériels adaptés ou à la rémunération d'auxiliaires de vie. Il estime notamment qu'elle doit également pouvoir inclure, selon les besoins de la personne, une orientation vers un établissement adapté, l'accès à un service d'accompagnement ou encore une mesure de protection juridique.

C'est la raison pour laquelle, afin que le projet de vie de la personne puisse être apprécié dans sa globalité et pour unifier le dispositif d'évaluation du handicap, il paraît nécessaire de rapprocher les instances d'orientation que sont les COTOREP et les CDES des futures « maisons départementales des personnes handicapées ».

Il s'agirait également d'une simplification administrative importante pour les bénéficiaires : dans la mesure où la porte d'entrée sur le monde du handicap est bien souvent la décision de reconnaissance de ces commissions, il convient de pouvoir, dès ce stade, donner une information complète aux familles et amorcer immédiatement une démarche de compensation.

b) Rendre enfin effective la rénovation des établissements sociaux et médico-sociaux

La loi n° 2002-2 rénovant l'action sociale et médico-sociale, votée à l'unanimité par la Haute Assemblée, a profondément modifié la partie législative du code de l'action sociale et des familles relative à la mise en oeuvre de l'action sociale et médico-sociale par des établissements ou services.

Elle a prévu des dispositions essentielles en matière de participation des usagers aux décisions qui les concernent et de qualité de la prise en charge. A ce titre, elle contribue à la reconnaissance des personnes handicapées comme citoyens à part entière.

Il reste que, bientôt deux ans après la publication de la loi, celle-ci reste encore largement inapplicable : 41 articles, soit près de la moitié du texte, attendent toujours des mesures réglementaires d'application .

Ce retard est une source d'insécurité juridique pour les professionnels du secteur et il pénalise la pleine prise en compte des droits des usagers : ainsi, les dispositions relatives au livret d'accueil, au médiateur, au conseil de la vie sociale, au règlement de fonctionnement et au projet d'établissement restent inapplicables et les établissements « pilotes » qui tentent par eux-mêmes une définition de leur contenu courent le risque de voir leurs efforts réduits à néant lors de la parution des décrets.

La commission d'enquête sur la maltraitance des personnes handicapées accueillies en établissements sociaux et médico-sociaux a pourtant montré l'importance de ces dispositions, notamment dans le domaine de la lutte contre la maltraitance institutionnelle. C'est la raison pour laquelle, d'ailleurs, dans son rapport en date du 12 juin 2003, elle demandait « instamment au Gouvernement de prendre rapidement les mesures nécessaires à assurer la pleine effectivité des dispositifs adoptés par le Parlement, le 2 janvier 2002. » 25 ( * )

A la veille de la réforme de la seconde loi de 1975, votre rapporteur ne peut que s'associer encore une fois à cette demande, en insistant sur le fait que la prise en compte des aspirations des personnes handicapées accueillies en établissements participe du droit à compensation.

c) Prendre en compte les attentes nouvelles des personnes handicapées et de leurs familles à l'égard de l'accueil institutionnel

Lors du vote des deux lois de 1975, l'urgence résidait dans le développement de structures d'accueil jusqu'alors presque inexistantes. Cette logique institutionnelle, légitime à l'origine, a peu à peu pris le pas sur les attentes des personnes handicapées elles-mêmes, la pénurie de places conduisant bien souvent à des orientations par défaut.

Aujourd'hui, c'est au monde institutionnel de s'adapter aux nouveaux besoins des personnes handicapées. Votre rapporteur estime que cette adaptation pourrait suivre trois axes :

• Développer l'accueil de jour et l'accueil temporaire

Une évolution dans ce sens est déjà en marche dans le domaine de l'enfance : ainsi, sur les 108.235 places installées dans les établissements d'éducation spéciale, 58,4 % sont des places de semi-externat ou d'externat. Cette orientation reste, en revanche, à développer s'agissant des adultes.

Or, et peut-être plus encore dans le cadre de l'accompagnement d'un adulte handicapé, les familles ont besoin de pouvoir prendre des temps de repos. Ces « pauses » permettraient certainement, comme le soulignait le rapport de la commission d'enquête sur la maltraitance des personnes handicapées, d'éviter que l'épuisement des aidants conduise à des situations de violence plus ou moins larvées.

Toute la difficulté de l'accueil temporaire, dans un contexte de pénurie de places, consiste, pour les établissements, à ne pas transformer ces places en places d'accueil permanent. Comme il le faisait valoir dans son avis de l'an passé, votre rapporteur observe que la préservation de places d'accueil temporaire au sein des établissements suppose l'acceptation, par les autorités de tutelle, que ceux-ci ne fonctionnent pas, comme c'est le cas actuellement, à plein régime, avec des budgets fondés sur des taux d'occupation de 98 %.

• Développer l'intégration par le logement

Pour un certain nombre de personnes handicapées, notamment handicapées mentales, vivre seul à domicile est inimaginable. Les solutions classiques de compensation du handicap, à travers la mise à disposition d'une auxiliaire de vie, sont, pour ces personnes, impraticables.

La solution alternative doit-elle, dès lors, être impérativement le foyer collectif ? Votre rapporteur estime que des solutions intermédiaires doivent être trouvées, notamment pour des travailleurs en CAT faisant preuve d'une autonomie suffisante. Des expériences originales de résidences, doublées d'un service d'accompagnement à la vie sociale, existent déjà. Il convient de les encourager et de les amplifier.

Ces établissements d'un type nouveau constitueraient également une transition adaptée aux personnes handicapées ayant toujours vécu à domicile, avec leurs parents et qui, du fait du vieillissement de ceux-ci, doivent rejoindre le monde institutionnel.

• Améliorer la prise en charge des personnes handicapées vieillissantes

Ni les établissements, ni la collectivité n'avaient anticipé que les personnes handicapées bénéficieraient, comme le reste de la population, et dans de telles proportions, de l'allongement général de la durée de la vie. Pourtant, aujourd'hui, les personnes handicapées âgées de plus de 40 ans représentent plus de 30 % des résidants en établissement.

Le vieillissement des personnes handicapées n'est pourtant pas tout à fait comparable à celui observé dans la population générale : il est souvent plus précoce (aux alentours de 55 ans) et a pour conséquence des pathologies surajoutées particulières qui demandent une réponse spécifique.

Votre rapporteur s'est déjà plusieurs fois prononcé en faveur du développement de sections spécifiques au sein des établissements pour adultes handicapés. Il estime en effet que c'est dans ces structures que la connaissance des particularités du handicap est la meilleure et que la continuité de la prise en charge, dans un milieu familier, est préférable pour des personnes fragilisées.

De telles sections existent d'ores et déjà mais il est évident que leur développement demande qu'il soit mis fin à la barrière d'âge à 60 ans opposée aux établissements en termes d'agrément. Aujourd'hui cette contrainte est levée au cas par cas. Il serait sans doute préférable de prévoir un dispositif réglementaire général et permanent à cet effet.

* 20 Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.

* 21 Ministère de la santé, de la famille et des personnes handicapées, note d'orientation sur le projet de loi relatif à l'égalité des chances des personnes handicapées, avril 2003.

* 22 Rapport d'information n° 369 (2001-2002) de la commission des Affaires sociales « Compensation du handicap : le temps de la solidarité ».

* 23 Dossier de presse sur le plan « Vieillissement et solidarité », services du Premier ministre.

* 24 Dernière année connue.

* 25 Commission d'enquête sur la maltraitance des personnes handicapées accueillies en établissements ou services sociaux ou médico-sociaux, rapport n° 339 (2002-2003) de M. Jean-Marc Juilhard.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page