II. LES ARTICLES DE LA CHARTE

Article 1er de la Charte de l'environnement -

Droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré
et respectueux de la santé

L'article 1 er du projet de loi constitutionnelle consacre, dans sa version initiale, le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et favorable à sa santé. Comme l'indique l'exposé des motifs, il s'agit d'un nouveau droit, de valeur constitutionnelle reconnu à toute personne physique, celui de vivre dans un environnement qui répond à certains critères qualitatifs. Il répond en cela à l'engagement du Président de la République, pris dans son discours prononcé à Orléans le 3 mai 2001 : « l'écologie, le droit à un environnement protégé et préservé doivent être considérés à l'égal des libertés publiques. Il revient à l'Etat d'en affirmer le principe et d'en assurer la garantie ».

Le Garde des Sceaux, ministre de la Justice et le ministre de l'Ecologie et du développement durable relèvent que ni le droit communautaire, ni le droit européen, ne connaissent de disposition équivalente à l'article 1 er de la Charte.

Cet article constitue donc un article fondateur pour la Charte de l'environnement, puisqu'il en constitue l'assise, permettant ensuite de décliner les mesures et dispositions permettant de garantir la reconnaissance de ce droit à l'environnement.

C'est pourquoi, dans leur grande majorité, les commentateurs de la Charte identifient ce droit à l'environnement comme un droit-créance, exigeant une action positive de l'Etat, au même titre que la plupart des droits inscrits dans le préambule de 1946, notamment les droits à la protection de la santé, à la protection sociale ou encore à la solidarité nationale.

Ainsi, lors de son audition devant la commission des Lois du Sénat, M. Louis Favoreu, professeur d'Université, « a considéré que le droit à l'environnement se rattachait plutôt à la catégorie des droits créances, qui nécessitaient pour être pleinement applicables, une intervention de l'Etat ».

S'agissant de l'environnement, reconnu en tant que « patrimoine commun des être humains », il incombe à l'Etat, et au premier chef au législateur, de garantir pour chacun, la préservation de ce bien collectif et sa qualité, car il contribue à la santé de tous.

La construction actuelle de notre droit de l'environnement fait application de ce principe, en intervenant sur chacun des éléments constitutifs de l'environnement, tels que rappelés par l'article L. 110-1 du code de l'environnement, à savoir, « les espaces, ressources et milieux naturels, les sites et paysages, la qualité de l'air, les espèces animales et végétales » qui participent de la diversité et des équilibres biologiques.

Ainsi, retrouve-t-on, dans plusieurs textes particuliers, une invocation du lien entre environnement et santé comme fondement des mesures qu'ils proposent :

- l'article L. 211-1 du code de l'environnement, indique que la gestion équilibrée de la ressource en eau doit permettre de satisfaire ou concilier, notamment, les exigences de la santé et de la salubrité publique ;

- l'article L. 220-1 du code précité affirme que la politique mise en oeuvre par les autorités publiques doit avoir pour « objectif la mise en oeuvre du droit reconnu à chacun de respirer un air qui ne nuise pas à sa santé » ;

- l'article L. 511-1 du code précité soumet à un ensemble de mesures d'autorisation ou de déclaration, toute activité pouvant présenter des dangers ou des inconvénients pour la santé ou la salubrité publique ;

- l'article L. 521-1 du même code introduit le contrôle des substances et préparations chimiques afin de protéger l'homme et l'environnement des risques que celles-ci peuvent induire ;

- l'article L. 541-2 du même code impose à toute personne qui produit ou détient des déchets, dans des conditions de nature à porter atteinte à la santé de l'homme et à l'environnement, d'en assurer l'élimination dans les conditions prévues par les textes ;

- l'article L. 571-1 du même code entend réglementer les émissions des bruits ou des vibrations de nature à nuire à la santé des personnes.

La reconnaissance, au niveau constitutionnel de ce droit à un environnement équilibré et favorable à la santé renforce les obligations du législateur et surtout lui impose de prendre en compte ce principe, dans tous les domaines qui, indirectement, concernent l'environnement tels l'urbanisme, l'aménagement du territoire ou encore les transports .

S'agissant précisément du droit à vivre dans un « environnement équilibré », le qualificatif employé renvoie sans qu'il soit besoin de le préciser, aux « équilibres naturels », cités dans le premier considérant de la Charte ou encore à « la diversité biologique » mentionnée dans le cinquième considérant. Cette mention permet de caractériser le bon état des milieux de vie, un faible niveau de pollution ou de dégradation artificielle, ainsi que le maintien tant de la biodiversité que de la diversité des espaces et paysages naturels comme l'indique la commission Coppens. Il appartiendra aux autorités compétentes de fixer des objectifs et des critères adéquats pour atteindre les résultats escomptés.

En ce qui concerne l'affirmation du droit à vivre dans un environnement favorable à sa santé, il faut relever les très nombreuses réticences à l'encontre de la rédaction retenue par le projet de loi initial, alors même que chacun reconnaît le lien indiscutable entre environnement et santé. En particulier, l'emploi du terme « favorable » qui sous-entend que l'environnement aurait un effet thérapeutique sur la santé d'un individu, ce qui est sans doute vrai pour certains d'entre eux ou dans certains cas particuliers, peut néanmoins difficilement être élevé au rang de principe à valeur constitutionnelle.

Par ailleurs, il a été jugé que le terme « sa » santé semblait laisser croire que l'article 1 er établissait une protection de la santé de chaque individu, alors même que l'effet de l'environnement sur la santé doit être envisagé dans sa dimension épidémiologique et non individuelle.

C'est pourquoi l'Assemblée nationale a adopté, sur proposition de la commission des Affaires économiques, un amendement substituant le mot « respectueux » au terme « favorable », et sur proposition de la commission des Lois, un amendement transformant le terme « sa santé » en « la santé », afin de conforter la dimension globale et non individuelle de l'impact de l'environnement sur la santé.

Article 2 de la Charte de l'environnement -

Participation à la préservation et à l'amélioration de l'environnement

Cet article constitue le pendant de l'article 1 er de la Charte de l'environnement, qui affirme le droit à un environnement équilibré pour chacun, en énonçant pour toute personne, un devoir fondamental de participer à la préservation et à l'amélioration de l'environnement.

Comme le souligne M. Michel Prieur, « l'énoncé d'un devoir dans une déclaration des droits, n'est pas fréquente en France ». La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 rappelle « à tous les membres du corps social leurs droits et leurs devoirs » et le Préambule de la Constitution de 1946 proclame que « chacun a le devoir de travailler et le devoir d'obtenir un emploi » 9 ( * ) .

L'article 2 traduit le souhait du Président de la République, exprimé dans son discours du 18 mars 2002 à Avranches, que la Charte « rappelle les droits et les devoirs de chacun à l'égard de l'environnement et vis-à-vis des générations futures ».

Comme le souligne également la commission Coppens, « la qualité du patrimoine commun du milieu naturel et les atteintes que chacun y porte par ses modes de consommation, de production et par ses comportements, fondent les devoirs envers l'environnement » . Il s'agit d'une responsabilité tant individuelle que collective et le choix du terme « toute personne » renvoie tant aux personnes physiques que morales, publiques ou privées. Il est bien entendu que la participation des personnes peut varier selon leurs capacités, leurs ressources et surtout leurs responsabilités.

Cet article élargit les devoirs inscrits au deuxième alinéa de l'article L. 110-2 du code de l'environnement, qui dispose « qu'il est du devoir de chacun de veiller à la sauvegarde et de contribuer à la protection de l'environnement », en s'inscrivant dans une démarche plus dynamique recherchant l'amélioration de l'environnement.

En tout état de cause et comme l'article 1 er , l'article 2 de la Charte a la portée d'un objectif de valeur constitutionnelle et il doit être mis en oeuvre par la loi et le règlement. En particulier, et comme le souhaite M. Michel Prieur, « ce devoir de préservation à l'égard de l'environnement » pourrait servir de fondement constitutionnel à un renforcement législatif du droit pénal de l'environnement en complément de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 sur le caractère évidemment nécessaire des peines. La sanction du non-respect de ce devoir devrait, en effet, être prévue par le Parlement et pourrait être l'occasion d'instituer enfin une incrimination pénale autonome et générale de destruction de l'environnement » 10 ( * ) . Il est bien entendu que cette évolution dépend de la volonté politique du législateur.

Article 3 de la Charte de l'environnement -

Devoir de prévention et de limitation des atteintes à l'environnement

Cet article se propose de constitutionnaliser le principe de prévention qui fonde d'ores et déjà tout le régime de police administrative déjà existant, à partir de la définition qu'en donne l'article L. 110-1 du code de l'environnement qui le retient parmi les principes généraux du droit.

Selon cet article, il s'agit d'un principe d'action préventive et de correction par priorité, à la source, des atteintes à l'environnement, en utilisant les meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable.

Comme le souligne le rapport de la commission Coppens, la prévention doit constituer le fondement et l'essentiel de l'action en faveur de l'environnement, afin d'éviter la survenance de dommages ou la réalisation de risques connus. La prévention doit être au coeur de l'action quotidienne face à un risque avéré, pour chercher à en minimiser l'impact sur l'environnement.

C'est en cela que la prévention diffère de la précaution, qui ne trouve à s'appliquer que dans des circonstances rares, face à un risque potentiel, mais dont l'impact sur l'environnement pourrait être grave et irréversible.

Le Conseil économique et social préconise que le principe de prévention soit plus strictement redéfini autour « des situations de risques, dont l'existence est scientifiquement établie et pour lesquelles la probabilité du risque peut être objectivement évaluée par l'analyse statistique ou par le raisonnement logique à travers un calcul de probabilités ».

Comme le souligne le dossier d'information du ministère de l'Ecologie et du développement durable sur la Charte de l'environnement, l'application du principe de prévention se traduit d'ores et déjà par la mise en oeuvre de plusieurs instruments parmi lesquels on peut citer :

- les études d'impact : elles sont prévues par la loi sur la protection de la nature du 10 juillet 1976. Il en existe de différentes catégories, couvrant des domaines plus ou moins larges : les « mini-notices d'impact » (consistant dans l'obligation de « respecter les préoccupations d'eau »), les notices d'impact (incidences sur l'eau à évaluer pour douze catégories de travaux et d'ouvrages qui échappent au régime de l'étude d'impact) ou encore les études d'impact (qui évaluent les conséquences des projets de travaux et ouvrages pour l'environnement mais aussi pour la santé) ;

- les autorisations préalables : système soumettant un certain nombre d'activités polluantes à des autorisations préalables à travers la réglementation sur les installations classées pour la protection de l'environnement ;

- la correction à la source pour réduire l'émission de pollution ou éviter la réalisation de dommages ;

- les éco-audits et le management environnemental auxquels les entreprises procèdent de leur propre chef pour améliorer, d'un point de vue environnemental, leurs installations ;

- les plans de prévention des risques tendant à la maîtrise de l'urbanisation conçus tout d'abord pour faire face aux risques naturels et que la loi du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels étend aux risques technologiques.

On peut à l'inverse relever que le principe de prévention en tant que tel n'est pas effectivement intégré dans des textes internationaux auxquels la France a souscrit. La prévention relève en fait d'autres formulations, comme par exemple celle de la Convention de Paris pour la protection du milieu marin de l'Atlantique du Nord-Est de 1992, qui retient que les parties contractantes « tiennent pleinement compte de la mise en oeuvre des derniers progrès techniques réalisés et des méthodes conçues afin de prévenir et de supprimer intégralement la pollution » et qu'elles font en sorte « de faire appliquer les meilleures techniques disponibles et la meilleure pratique environnementale ». La prévention s'illustre donc par la mise en oeuvre de normes. Ainsi, la Déclaration de Rio sur l'environnement et le développement de 1992 prévoit que « les Etats doivent promulguer des mesures législatives efficaces en matière d'environnement ».

Le droit communautaire retient également ce principe puisque l'article 174 du traité de Maastricht énonce que « la politique de la Communauté dans le domaine de l'environnement vise un niveau de protection élevé, en tenant compte de la diversité des situations dans les différentes régions de la Communauté. Elle est fondée sur le principe de précaution et d'action préventive, sur les principes de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement et sur les principes du pollueur-payeur ».

La Charte de l'environnement n'introduit donc pas de notion nouvelle, mais en conférant une valeur constitutionnelle au principe de prévention, elle en impose le respect par toutes les normes de droit, quelque soit leur domaine d'application, d'autant plus que la formulation retenue expose que « toute personne doit dans les conditions, définies par la loi, prévenir ou, à défaut, limiter les atteintes qu'elle est susceptible de porter à l'environnement ». Toutes les personnes -physiques ou morales, publiques ou privées- sont donc concernées.

Comme le souligne l'exposé des motifs, l'expression « dans les conditions définies par la loi » montre la volonté du Constituant de doter le législateur d'un véritable pouvoir d'appréciation pour la mise en oeuvre du dispositif, ce qui confirme le travail législatif déjà réalisé .

Ainsi, la loi pourra avoir à préciser qui doit supporter le coût des mesures de prévention, de l'Etat, des collectivités territoriales ou des entreprises, ou encore définir des instruments fiscaux, dérogeant au principe d'égalité devant l'impôt pour encourager des mesures de prévention ou de correction de la pollution à la source.

L'Assemblée nationale a adopté cet article, assorti d'un amendement déposé par le groupe communiste, qualifié « d'essentiellement stylistique ».

Article 4 de la Charte de l'environnement -

Réparation des dommages causés à l'environnement

Comme le relève l'exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle, cet article s'inscrit dans la suite logique de l'article 3 de la Charte de l'environnement, puisqu'il prévoit, en cas d'échec ou d'insuffisances des politiques de prévention mises en oeuvre, que la réparation incombe à l'auteur du dommage, dans les conditions définies par la loi.

A travers cet article, le principe de la réparation des dommages causés à l'environnement devient un principe constitutionnel et élargit, de ce fait, le champ d'application de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel qui avait admis, en 1999, que l'obligation de réparer les dommages causés à autrui était une exigence constitutionnelle 11 ( * ) . En effet, comme le souligne M. Michel Prieur, la Charte ne consacre pas l'obligation de réparer les dommages causés à autrui, mais de réparer les dommages causés à l'environnement, c'est-à-dire à des biens dont la plupart ne sont pas appropriés .

« L'obligation de réparer les dommages à l'environnement proclamée par l'article 4 s'impose à l'auteur d'un dommage et fonde juridiquement la mise en place d'un régime spécial de responsabilité applicable en matière d'environnement que le législateur est invité à mettre en place. Cette disposition qui ne remet en cause ni le droit commun de la responsabilité civile, ni le droit commun de la responsabilité administrative a pour but de permettre la réparation des dommages qui affectent l'environnement en lui-même, c'est-à-dire les éléments de l'environnement tels que la flore et la faune sauvage, l'eau ou l'air, les sites et paysages ou encore le sol » 12 ( * ) .

L'exemple très fréquemment utilisé renvoie aux conséquences écologiques des marées noires. Jusqu'à présent les coûts de traitement des oiseaux mazoutés ne pouvaient être imputés aux auteurs du dommage, ils le seront désormais du fait de la prise en compte de l'environnement, dans toutes ses composantes.

Lors des auditions tenues par votre rapporteur pour avis, deux critiques ont été principalement formulées à l'encontre de cet article, qui ne peuvent cependant pas être retenues.

D'une part, cet article serait en retrait par rapport à l'affirmation du principe pollueur-payeur inscrit à l'article L. 110-1 du code de l'environnement. Selon ce principe, « les frais résultant des mesures de prévention, de réduction de la pollution et de lutte contre celles-ci doivent être supportés par le pollueur ». Comme le relève l'exposé des motifs, les auteurs du projet de loi n'ont pas voulu reprendre l'intitulé du principe pollueur-payeur », dont la formulation ambiguë et surtout la compréhension qui en est faite par l'opinion publique semblent laisser entendre que son application reconnaît, schématiquement, à celui qui paye, le droit de polluer.

Sur le fond, cette appréciation est trop réductrice, puisque l'article L. 110-1 du code de l'environnement met à la charge du pollueur les coûts de prévention contre une pollution, les coûts exposés pour la réduire ou lutter contre elle. En réalité, l'application du principe pollueur-payeur découlera, pour la partie prévention, de la mise en oeuvre de l'article 3 de la Charte de l'environnement.

Il s'intègre également dans le mécanisme de réparation des dommages, tel qu'énoncé par l'article 4 de la Charte, par la mise en oeuvre du droit de la responsabilité, qui met à la charge de l'auteur d'un dommage, le coût de la réparation du fait dommageable.

Mais, votre rapporteur pour avis considère, avec M. Michel Prieur, que la rédaction proposée pour l'article 4 va au-delà de la seule application du principe pollueur-payeur, en posant la question « de l'application ou non d'un système généralisé de responsabilité sans faute, ou responsabilité objective, pour les dommages directs ou indirects à l'environnement » 13 ( * ) .

Dans ces conditions, et pour répondre à la seconde série de critiques, il apparaît indispensable que l'article 4 de la Charte n'impose pas systématiquement la prise en charge intégrale de la réparation du dommage par le pollueur et que la mise en oeuvre de ce principe soit définie par la loi .

En effet, dans le cas de pollutions ponctuelles et délimitées, le responsable du dommage étant identifié, il sera possible de mettre à la charge de celui-ci la totalité du coût de la réparation.

En revanche, lorsqu'il s'agit de pollution diffuse des eaux souterraines par les nitrates, ou de sols pollués du fait d'exploitations industrielles successives, il n'est pas équitable de faire supporter par le « dernier » exploitant connu l'intégralité de la réparation du dommage.

En outre, un régime particulier de responsabilité devra être défini pour un dommage résultant d'une activité, soumise à autorisation et ayant respecté toutes les obligations liées à cette autorisation.

Il faut d'ailleurs relever que la directive n° 2004-35 du 21 avril 2004 sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux ne met pas en place un régime unique de responsabilité couvrant l'ensemble des dégâts environnementaux .

A l'évidence, c'est en application de l'article 4 de la Charte que le législateur devra assurer la transposition de cette directive en droit interne, et votre rapporteur pour avis avait d'ailleurs, au nom de la commission des Affaires économiques, présenté une proposition de résolution sur le sujet en mai 2003, dans laquelle il faisait plusieurs recommandations, notamment sur la responsabilité subsidiaire de l'Etat et l'étendue du champ d'application de la proposition de directive, afin de ne pas remettre en cause la compétitivité des entreprises au sein de l'Union européenne 14 ( * ) .

En définitive, le texte adopté instaure un système novateur, en matière environnementale, mais relativement bien encadré, et qui prévoit des marges de modulation significatives qu'il appartiendra au législateur de définir .

- Définition du dommage couvert par la directive :

Il doit s'agit d'un dommage « mesurable », induisant une modification négative d'une gravité significative d'une ressource naturelle ou d'une détérioration d'un service lié à des ressources naturelles et survenant de manière directe ou indirecte ; a priori, les pollutions à caractère diffus sont exclues.

- Trois catégories de domaines composant l'environnement sont concernées :

les espèces et les habitats protégés par le réseau Natura 2000 ;

les eaux entendues au sens de la directive du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour la politique communautaire dans le domaine de l'eau ;

les sols contaminés du fait de l'introduction directe ou indirecte de substances, préparations, organismes ou micro-organismes ;

- Lorsqu'il sera possible de prévenir ou limiter le dommage, l'autorité publique établira des prescriptions, et elle pourra, de manière facultative, se substituer à l'exploitant ;

- Mise en place d'un régime hybride de responsabilité objective (pour les activités jugées dangereuses, relevant du régime des installations classées) et pour faute, pour les autres activités et seulement en cas de dommages aux espèces et habitats naturels protégés ;

- La réparation du dommage n'incombe pas, systématiquement, de manière intégrale, à l'auteur du dommage et les Etats-membres peuvent décider d'exonérations :

en cas d'émission expressément autorisée et respectant toutes les conditions liées à une autorisation accordée au titre de la réglementation ;

lorsque l'exploitant établit la preuve que l'émission à l'origine du dommage n'était pas considérée comme susceptible de le causer, au regard des connaissances scientifiques et techniques au moment où elle a lieu.

Article 5 de la Charte de l'environnement-

Principe de précaution

L'article 5 de la Charte de l'environnement, qui confère une valeur constitutionnelle au principe de précaution, a focalisé sur lui les critiques les plus sévères. Nombre des personnes auditionnées par votre rapporteur pour avis ont émis des réserves sur le bien fondé de ce dispositif et son impact direct ou indirect non seulement sur le plan contentieux, mais plus généralement sur les activités de recherche, voire sur l'activité économique elle-même.

Ont été ainsi fréquemment invoqués les risques de judiciarisation de la vie économique, à travers la multiplication des recours, la tentation de l'immobilisme pour l'administration, afin d'éviter tout risque de mise en cause, le durcissement, par contagion, des exigences imposées par application du principe de prévention, ou encore la recherche à tout prix du risque zéro, se traduisant par un principe d'abstention systématique.

Votre rapporteur pour avis a été très à l'écoute de ces préoccupations, qu'il juge légitimes, si on fait une lecture rapide de cet article, qui se doit, de par sa nature constitutionnelle, d'être concis. Mais l'examen approfondi de son contenu, étayé par les très nombreuses études qui existent sur le principe de précaution lui font considérer que le dispositif tel qu'il est proposé par l'article 5 de la Charte doit permettre, au contraire, de clarifier le contenu de ce principe et d'encadrer sa procédure de mise en oeuvre.

A ce sujet, les amendements adoptés par l'Assemblée nationale, adoptés tant sur cet article 5 de la Charte que pour modifier l'article 34 de la Constitution, contribuent très largement à cet encadrement.

Il est, en outre, essentiel d'avoir à l'esprit que quoique cet article étant d'application directe, ses procédures de mise en oeuvre devront être précisées par une ou plusieurs lois.

1. Un principe préexistant mais mal encadré

Historiquement on peut rappeler que le principe de précaution a été formellement explicité en 1987, dans la Déclaration ministérielle de la Deuxième Conférence internationale sur la protection de la mer du Nord, et il est ainsi énoncé : « Une approche de précaution s'impose afin de protéger la mer du Nord des effets dommageables éventuels des substances les plus dangereuses. Elle peut requérir l'adoption de mesures de contrôle des émissions de ces substances avant même qu'un lien de cause à effet soit formellement établi au plan scientifique ».

Cette nouvelle approche s'inspire très directement du « Vorsorge prinzip » apparu en Allemagne dès 1971, qui trouve son acception en français et en anglais à travers, respectivement, le principe de précaution et le « precautionary principle ».

Le principe de précaution a ensuite été consacré par de nombreux textes internationaux d'inégale valeur juridique, sans qu'il soit possible d'en dégager une définition unique. On peut citer, à titre d'exemple, la Déclaration de Rio sur l'environnement et le développement (1992), la Convention-cadre sur le changement climatique (1992) ou encore le Protocole de Carthagène sur la prévention des risques biotechnologiques (2000).

En matière de commerce international, il faut citer également l'Accord sur l'application des mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS) de l'Organisation mondiale du commerce (OMCE) destiné à encadrer l'utilisation de normes sanitaires phytosanitaires. Cet accord reconnaît aux membres de l'OMC la possibilité de protéger la santé et la vie des personnes et des animaux, ainsi que la protection des végétaux, sans pour autant que les mesures de protection puissent « constituer un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable entre les membres de l'OMC » ou soient « une restriction déguisée au commerce international » 15 ( * ) . Ces dispositions admettent une application du principe de précaution strictement encadrée notamment par l'article 5.7 de l'Accord SPS, sans que le terme soit explicitement utilisé.

En droit communautaire, la reconnaissance du principe de précaution est récente et il figure dans le traité de l'Union européenne de Maastricht à l'article 130-R devenu l'article 174 du Traité d'Amsterdam, qui dispose que : « La politique de la Communauté dans le domaine de l'environnement vise un niveau de protection élevé, en tenant compte de la diversité des situations dans les différentes régions de la Communauté. Elle est fondée sur les principes de précaution et d'action préventive, sur le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement et sur le principe du pollueur-payeur. »

On peut noter qu'il est fait référence au principe de précaution, sans qu'il en soit donné une définition précise.

La Commission européenne a adopté, le 2 février 2000, une communication sur le principe de précaution, dépourvu de valeur juridique, mais qui constitue un guide très complet de sa définition et de ses conditions de mise en oeuvre au plan communautaire.

Enfin, le Conseil européen de Nice, qui s'est tenu en décembre 2000, a adopté une résolution sur le principe de précaution, à travers laquelle il s'engage à mettre en oeuvre ce principe et invite la Commission à « appliquer de façon systématique ses lignes directrices sur les conditions du recours au principe de précaution, en tenant compte des spécificités des différents secteurs où elles sont susceptibles d'être mises en oeuvre. »

La Cour de justice des communautés européennes a invoqué ce principe pour la première fois en 1998 pour justifier le bien-fondé des mesures restrictives imposées par la Commission aux exportations de viande bovine à partir du territoire britannique 16 ( * ) .

Il convient donc de relever qu'en droit communautaire, l'application du principe de précaution qualifié de principe général du droit communautaire par la jurisprudence, dépasse le strict cadre de l'environnement pour s'appliquer à celui de la santé.

Dans notre droit national, la reconnaissance du principe de précaution résulte de la loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement et figure désormais à l'article L. 110-1 du code de l'environnement. Celui-ci dispose que les politiques environnementales doivent notamment s'inspirer, « dans le cadre des lois qui en définissent la portée », « du principe de précaution, selon lequel l'absence de certitude, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable ». Mais il faut bien noter qu'aucune loi n'est intervenue pour définir ce principe.

Comme le relève M. Michel Prieur 17 ( * ) , « s'agissant d'un principe nouveau, la jurisprudence est déjà substantielle. Elle limite clairement le champ d'application et l'enferme dans des règles procédurales maîtrisables ». Le principe est ainsi invoqué à l'occasion du contrôle de la légalité interne d'un acte administratif relatif à l'environnement ou encore dans le contrôle de l'utilité publique, à travers le bilan coût-avantage d'un projet. Dans son rapport annuel 2000, le Conseil d'Etat confirme l'intégration du principe de précaution dans la théorie du bilan, dans le domaine de l'environnement.

Force est de constater, en outre, que le Conseil d'Etat tend à faire application de ce principe dans le domaine de la santé publique en se référant notamment « aux mesures de précaution qui s'imposent en matière de santé publique » 18 ( * ) , ce qui revient quasiment au même.

En revanche, le rapport Kourilsky-Viney note que « les juridictions judiciaires paraissent jusqu'à présent, ignorer à peu près complètement le principe de précaution. » 19 ( * ) .

Au-delà de l'analyse de la jurisprudence, force est de constater que le principe de précaution tend à être pris dans un sens large. Comme le souligne le rapport Kourilsky-Viney, le principe de précaution a connu un succès d'opinion si notable que son usage en est devenu parfois « incantatoire ». Son invocation « s'explique aujourd'hui autant par les défaillances de la prévention que par l'émergence de nouveaux risques potentiels » 20 ( * ) .

Cet état de fait traduit indéniablement un manque de confiance des citoyens envers leurs institutions en charge de la prévention mais aussi les différents acteurs sociaux concernés, qu'il s'agisse des chercheurs, des experts, des industriels, des médias ou des administrateurs.

Il apparaît donc nécessaire de clarifier cette situation juridique en recadrant l'application du principe de précaution dans le domaine de l'environnement.

2. Le contenu du principe de précaution

Plusieurs éléments cumulatifs sont exigés pour justifier son déclenchement :

- La prise en compte à un stade précoce d'un dommage incertain en l'état des connaissances scientifiques . Cette expérience fonde la différence entre le champ de la prévention qui doit intervenir en cas de risque avéré et celui de la précaution, qui prend en compte un risque potentiel . L'incertitude porte sur le ou les effets d'une activité ou d'un produit sur un ou plusieurs mécanismes naturels, et donc sur l'hypothèse même du risque. Elle doit néanmoins s'appuyer sur des données scientifiques les plus réalistes.

Il est à noter que l'article 5 de la Charte ne prend en compte que les seules connaissances scientifiques, et non les connaissances techniques également visées par l'article L. 110-1 du code de l'environnement, ce qui limite le champ potentiel de mise en oeuvre du principe de précaution.

La prise en compte précoce de ce type de risques doit rester exceptionnelle, car dans la plupart des cas, les risques à envisager sont des risques avérés, ce qui entraîne la mise en oeuvre de mesures de prévention.

Il en est ainsi des risques industriels, dans leur très grande majorité, de l'impact des infrastructures, sur la faune ou la flore, de la pollution de l'eau par les nitrates ou le déversement de certaines substances.

De même, la gestion des déchets radioactifs relève désormais de la prévention car les risques sont clairement identifiés.

En revanche, la conduite à l'égard des organismes génétiquement modifiés (OGM) doit être guidée au cas par cas, et par catégorie d'OGM, par la mise en oeuvre du principe de précaution.

A notre sens, il en est de même à l'égard du réchauffement climatique. En effet, s'il existe une corrélation remarquable entre climat et gaz carbonique, il subsiste de nombreuses incertitudes, notamment sur l'effet des molécules de dioxyde de carbone issues des activités humaines et surtout sur le rythme du réchauffement attendu.

L'adoption et la mise en oeuvre du protocole de Kyoto traduit l'engagement des Etats signataires pour des actions volontaires, sans moratoire ni interdiction généralisée.

- L'exigence d'un dommage grave et irréversible . Ce caractère cumulatif entre les deux qualificatifs se trouve déjà dans la rédaction de l'article L. 110-1 du code de l'environnement et il convient qu'il soit maintenu afin d'éviter tout risque de blocage en matière d'innovation. En matière d'environnement, il faut reconnaître que le caractère irréversible d'un dommage incite à reconnaître sa gravité.

- L'exigence du caractère environnemental du dommage . L'article 5 de la Charte limite très clairement le champ d'application du principe de précaution aux cas de dommages à l'environnement, sans mentionner la santé. La combinaison de l'article 1 er et de l'article 5 de la Charte ne permet pas de dire que l'article 5 pourrait également concerner un dommage en matière de santé. En revanche, de manière indirecte, la santé pourra être prise en compte si outre un dommage grave et irréversible à l'environnement, on envisage un risque potentiel en matière de santé publique.

L'article 5 de la Charte désigne ensuite précisément les acteurs de la procédure et définit leur rôle.

- Le déclenchement de la procédure incombe aux autorités publiques , c'est-à-dire aux personnes morales publiques dotées d'un pouvoir normatif. Il s'agit de l'Etat et des collectivités territoriales, et au niveau de l'Etat, les autorités administratives, mais aussi le juge ou le législateur. Cette rédaction est plus restrictive que celle retenue pour l'article L. 110-1 du code de l'environnement, qui concerne également les personnes privées.

L'Assemblée nationale a fort heureusement précisé que les autorités publiques interviennent « dans leurs domaines d'attributions » quant à l'application du principe de précaution. Ceci contribue à rassurer les élus locaux, notamment des petites communes qui craignaient de se voir contraints sur tous les sujets.

- La mise en oeuvre du principe de précaution doit être conduite selon deux axes distincts liés dans leur application . Selon l'ordre adopté par l'Assemblée nationale en première lecture, on citera d'abord :

la mise en oeuvre de procédures d'évaluation des risques. Comme le souligne Olivier Godard, « l'expertise scientifique est l'un des deux piliers de la mise en oeuvre du principe de précaution ». Il s'agit d'éclairer les décideurs publics sur les mesures de précaution à prendre en l'absence de certitudes scientifiques. Il faut noter que la Résolution sur le principe de précaution adoptée par le Conseil européen de Nice en décembre 2000 invite la commission et les Etats membres à attacher une importance toute particulière au développement de l'expertise scientifique. Selon les termes employés, il est recommandé « une expertise pluridisciplinaire, contradictoire, indépendante et transparente » ;

l'adoption de mesures provisoires et proportionnées. Il ne s'agit pas d'exiger en toute circonstance l'adoption des mesures les plus extrêmes, mais bien au contraire de choisir des mesures proportionnées et inscrites dans une logique de révision en fonction de l'avancement des connaissances scientifiques et empiriques des risques. Le qualificatif « proportionné » impose de prendre en compte le niveau de gravité des dommages possibles, l'objectif de sécurité poursuivi, le coût direct et d'opportunité des mesures de précaution et le niveau de consistance des hypothèses de danger.

Les mesures adoptées peuvent aller d'une simple préconisation, à la recherche de solutions alternatives, ou encore un moratoire.

L'exigence de proportionnalité écarte donc la recherche du risque zéro, à travers l'application du principe de précaution ;

- dans le texte initial du projet de loi constitutionnel, l'objectif assigné à ces mesures était d'éviter la réalisation du dommage , ce qui avait fait l'objet de nombreuses critiques. Les autorités publiques se voyaient fixer une obligation de résultat dans un état des connaissances scientifiques incertaines, ce qui contribuait à l'évidence à encourager la recherche du risque zéro. L'Assemblée nationale a substitué les termes « parer à » au verbe « éviter », pour signifier que tout ce qui pouvait être fait devait être mis en place, sans pour autant qu'il en résulte une obligation de réussir. Il s'agit d'un principe relativement proche du principe ALARA utilisé dans le domaine nucléaire qui exige en définitive que tout soit mis en oeuvre pour parvenir à un risque « aussi faible qu'il soit possible de le concevoir ».

De cette analyse détaillée de la mise en oeuvre du principe de précaution, on peut donc confirmer qu'il s'agit bien d'un principe d'action précoce, qui pour être efficient devra s'appuyer sur la recherche et l'expertise.

3. Les conséquences de la constitutionnalisation du principe de précaution

A l'exclusion de tous les autres, seul l'article 5 de la Charte de l'environnement constitue un principe constitutionnel d'application directe, en raison de l'usage des termes « par application du principe de précaution », selon les explications du Garde des Sceaux, ministre de la Justice.

Ceci est justifié par le fait que l'usage du principe de précaution doit permettre d'appliquer des procédures pour répondre à des situations d'incertitude grave, et par conséquent l'adoption d'une loi tendant par exemple à énumérer les cas de déclenchement du principe de précaution serait par nature incomplète et source de critiques.

En revanche, et comme le rappelle fort justement M. Michel Prieur, dans son étude précitée 21 ( * ) , « l'invitation du constituant n'est pas nécessaire pour que le législateur intervienne. Il peut le faire de lui-même, sous la réserve évidente de ne pas dénaturer le principe constitutionnel, sous le contrôle du juge constitutionnel ». C'est ainsi que le Conseil Constitutionnel a considéré que c'était au législateur de déterminer les conditions de mise en oeuvre du 8 e alinéa du Préambule de 1946 alors même que ce dernier ne renvoyait aucunement à la loi.

« Considérant, d'autre part, que, si le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 , confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958, dispose en son huitième alinéa que « tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises », l'article 34 de la Constitution range dans le domaine de la loi la détermination des principes fondamentaux du droit du travail et du droit syndical ; qu'ainsi c'est au législateur qu'il revient de déterminer , dans le respect des principes qui sont énoncés au huitième alinéa du Préambule, les conditions de leur mise en oeuvre , ce qu'il a fait dans le cas de l'espèce.

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'article 4 de la loi soumise à l'examen du Conseil Constitutionnel n'est contraire à aucune disposition de la Constitution non plus qu'à aucune autre disposition ayant valeur constitutionnelle, à laquelle la Constitution se réfère dans son Préambule » 22 ( * ) .

Le libellé de cette décision tranche dans un sens positif l'interrogation essentielle soulevée par beaucoup de nos interlocuteurs à propos de la possibilité ou non pour le législateur d'intervenir pour préciser les conditions de mise en oeuvre de l'article 5 de la Charte de l'environnement, car elle lui est pleinement transposable.

Tel qu'adopté par l'Assemblée nationale, le projet de loi constitutionnelle, à travers un article additionnel, modifie en effet l'article 34 de la Constitution, en rangeant dans le domaine de la loi la détermination des droits fondamentaux en matière de préservation de l'environnement. A ce titre, il revient au législateur de déterminer dans le respect des principes qui sont énoncés à l'article 5 de la Charte, les conditions de leur mise en oeuvre .

Nul n'est donc besoin de prévoir expressément l'intervention d'une loi et il convient surtout de solliciter un engagement solennel du Gouvernement sur le dépôt d'un ou plusieurs textes de lois pour faciliter la mise en oeuvre de cet article.

Il conviendrait ainsi de préciser les conditions d'organisation de l'expertise, de définir sans doute le statut de l'expert, ou encore les standards à utiliser pour établir des mesures proportionnées. Il pourrait être également envisagé de légiférer sur certaines catégories de risques.

On peut ainsi considérer que la transposition à venir de la directive 2001/18/CE sur la dissémination des OGM devra être l'occasion de déterminer les mesures appropriées nécessaires pour garantir la ségrégation, seule à même d'assurer le respect des cultures traditionnelles et biologiques.

En ce qui concerne les pouvoirs du juge s'agissant de l'appréciation de décisions prises par les pouvoirs publics sur le fondement du principe de précaution, la constitutionnalisation de celui-ci ne devrait pas entraîner de modification substantielle. Le Conseil d'Etat s'est prononcé en faveur d'un contrôle restreint 23 ( * ) , celui de l'erreur manifeste d'appréciation, le contrôle exercé par le juge étant essentiellement procédural. Au titre de ses obligations procédurales figure une obligation d'information qui incombe à l'administration.

S'agissant de l'intervention du juge en cas d'urgence, on peut considérer, comme M. Bertrand Mathieu, que « c'est peut-être dans le domaine du référé-suspension que le principe de précaution est susceptible de connaître ses plus importants développements » 24 ( * ) . En effet, les mesures prises par le juge dans le cadre du référé-suspension prévu par l'article L. 521-1 alinéa du code de justice administrative s'inscrivent dans la logique du principe de précaution : les mesures sont provisoires, elles sont motivées par l'urgence et il y a une incertitude quant à la légalité de l'acte.

Mais en revanche, il convient de citer également Mme Cécile Castaing qui considère qu'à l'inverse du sursis à exécution, le nouveau référé-suspension ne confirme pas le rôle primordial du principe de précaution dans le contentieux de l'urgence. Selon elle, l'immédiateté requise exigée pour qualifier le préjudice porté par la décision attaquée interdit au juge de prendre en compte des effets à long terme caractérisant le principe de précaution 25 ( * ) .

Enfin, une affirmation mérite très clairement d'être combattue, s'agissant de l'éventuelle mise en cause de la responsabilité pénale des autorités publiques du fait de la constitutionnalisation du principe de précaution 26 ( * ) .

- D'une part, il convient de rappeler que le droit pénal ne connaît le risque que si celui-ci est avéré. L'article L. 121-3 du code pénal sanctionne une imprudence ou un manquement à une obligation de prudence et de sécurité face à un risque connu ou susceptible d'être connu par l'auteur de la faute.

- De plus, le délit non intentionnel ou délit d'imprudence prévu par cet article du code pénal doit être établi spécialement par la loi, entendue au sens strict. Il faudrait que le législateur intervienne pour créer une nouvelle incrimination pénale délictuelle ou criminelle fondée sur un manquement au principe de précaution.

- En outre, l'application de l'article 223-1 du code pénal réprimant le délit de mise en danger délibérée d'autrui réprime le manquement à un risque réel.

Ainsi, en ce qui concerne la responsabilité pénale des élus et des fonctionnaires, on peut affirmer avec M. Michel Prieur qu'« il résulte des lois du 13 mai 1996 et du 10 juillet 2000 qu'elle ne pourrait être engagée pour faute de non précaution dans la mesure où, parmi les conditions posées par la loi, figure l'exigence d'une faute caractérisée exposant autrui à un risque qu'on ne pouvait ignorer. Le risque incertain est donc exclu.

En conclusion de cette analyse détaillée de l'article 5 de la Charte de l'environnement, justifiée par l'ampleur des inquiétudes légitimes que sa rédaction initiale soulevait, votre rapporteur pour avis considère que tel qu'issu du vote de l'Assemblée nationale, il définit « une version pondérée, réservée et délibérative du principe de précaution ». Votre commission des Affaires économiques s'est en effet préoccupée de vérifier que la reconnaissance de ce principe au niveau constitutionnel n'induise pas d'entrave supplémentaire aux capacités d'innovation de nos entreprises.

A la suite de MM. Dominique Bourg et Kerry H. Whiteside, on est en droit d'espérer que « cette version est susceptible de rassembler un maximum d'acteurs autour d'une nouvelle idée de la façon d'assumer nos responsabilités face aux risques majeurs, notamment globaux, dans un contexte d'incertitude » 27 ( * ) .

En outre, votre rapporteur pour avis est convaincu que les entreprises qui auront su intégrer la prise en compte de l'environnement dans une stratégie de développement durable y gagneront un crédit et des marchés supplémentaires, ce qui constitue autant d'atouts dans le contexte actuel d'une concurrence économique exacerbée.

Enfin, il réitère le souhait, à l'instar de la très grande majorité de votre commission des Affaires économiques, de l'intervention rapide d'une loi permettant de lever toutes les équivoques.

Article 6 de la Charte de l'environnement -

Promotion du développement durable

L'article 6 de la Charte de l'environnement définit le développement durable comme un objectif constitutionnel devant guider l'ensemble des politiques publiques.

Il consacre de façon explicite la philosophie de la Charte résumée dans les considérants eux-mêmes, qui mettent en avant le lien indissociable entre l'homme et l'environnement, l'influence croissante des activités humaines, la nécessité de préservation de l'environnement et le devoir de solidarité entre les peuples et avec les générations à venir.

D'une part, l'article 6 de la Charte affirme que les politiques publiques doivent promouvoir le développement durable, ce qui répond au principe d'intégration consacré par le principe 4 de la Déclaration de Rio selon lequel pour parvenir au développement durable, il faut intégrer l'environnement dans le processus de développement.

Cette obligation correspond aussi à des exigences d'intégration figurant à l'article 6 du traité instituant la communauté européenne, selon lequel : « les exigences de la protection de l'environnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en oeuvre des politiques et actions de la Communauté (...), en particulier afin de promouvoir un développement durable ».

Elle s'inspire également de l'article 37 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne qui dispose qu'« un niveau élevé de protection de l'environnement et l'amélioration de sa qualité doivent être intégrés dans les politiques de l'Union et assurés conformément au principe du développement durable.

Par rapport à l'une et l'autre de ces formulations, on peut relever que l'article 6 de la Charte de l'environnement est plus exigeant puisqu'il vise non seulement la protection mais aussi la mise en valeur de l'environnement.

En droit interne, la constitutionnalisation du principe d'intégration ainsi réalisée par cet article, élargit les obligations inscrites à l'article L. 110-1 du code de l'environnement, à l'ensemble des politiques publiques, puisque cet article n'assignait un objectif de développement durable qu'aux seules politiques environnementales.

La commission Coppens a explicité dans son rapport les modalités de prise en compte du principe d'intégration dans les politiques économiques et sectorielles, afin de contribuer à modifier les comportements de production et de consommation :

- la prise en compte, par les politiques économiques et sectorielles, des considérations environnementales dans les instruments de régulation des marchés concernés ;

- l'évaluation des impacts sur l'environnement, sur l'usage des milieux ou sur la santé des politiques et décisions publiques, pour améliorer l'efficacité et la transparence des choix publics ;

- l'attribution d'une valeur aux ressources naturelles en accès libre ou d'un coût à la vie humaine ou une « valeur d'option » au maintien de choix possible lorsqu'on est en présence d'irréversibilités afin que l'analyse coûts-avantages intègre les impacts sur l'environnement ;

- la définition, par la puissance publique, du niveau de qualité de l'environnement jugé acceptable par la société.

Source : Rapport de la commission Coppens de préparation de la Charte de l'environnement (page 24).

D'autre part, l'article 6 de la Charte explicite la nécessaire conciliation entre les trois piliers du développement durable, à savoir le développement économique, le progrès social et la qualité de l'environnement.

La formulation de cet article dans la version initiale du projet de loi constitutionnelle, à savoir « les politiques publiques prennent en compte la protection et la mise en valeur de l'environnement et les concilient avec le développement économique et social » a fait l'objet de nombreuses critiques fondées d'ailleurs sur des interprétations qui divergeaient sur le sens à donner à cette rédaction .

Pour les uns, la protection et la mise en valeur de l'environnement se trouvaient subordonnées aux exigences du développement économique et social, trahissant ainsi l'esprit du développement durable. Pour d'autres, au contraire, l'environnement étant cité en premier lieu et faisant l'objet d'une consécration constitutionnelle à travers la Charte, cet impératif risquait systématiquement d'être privilégié au détriment du développement économique et social.

Or, l'objet de l'article est bien d'assurer la conciliation de ces trois piliers, sans établir de hiérarchie, même si l'un d'entre eux vient seulement de recevoir une consécration constitutionnelle.

Pour appuyer cette interprétation, l'Assemblée nationale a judicieusement, sur proposition de la commission des Lois, modifié la rédaction de l'article 6 pour préciser que les politiques publiques « concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social ».

Votre commission des Affaires économiques réaffirme l'importance qu'elle accorde au concept de développement durable dans lequel doit s'inscrire une politique ambitieuse de protection et de mise en valeur de l'environnement .

En effet, de l'ensemble des auditions tenues par votre rapporteur pour avis, il apparaît qu'une grande partie des inquiétudes et des objections exprimées pourraient être levées, si on veut bien observer que toute l'articulation de la Charte de l'environnement découle de l'affirmation de l'impérieuse nécessité du développement durable, pour en décliner les différents outils.

Article 7 de la Charte de l'environnement -

Droits d'accès aux informations relatives à l'environnement
et participation à l'élaboration des décisions publiques
ayant une incidence sur l'environnement

L'article 7 de la Charte de l'environnement consacre un droit constitutionnel d'accès aux informations relatives à l'environnement détenues par les personnes publiques et de participation à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement.

Comme le soulignent, tant le rapport de la commission Coppens, que l'exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle, il s'agit de répondre à une demande forte émanant de nos concitoyens, s'agissant d'une meilleure information sur les conséquences de leurs comportements et sur les impacts des politiques publiques sur l'environnement .

Ces dispositions sont la concrétisation et la mise en oeuvre directe du droit à l'environnement inscrit à l'article 1 er et de la Charte et du devoir de veiller à la préservation et à l'amélioration de l'environnement prévu par l'article 2.

Il convient de faire valoir que ce droit à l'information et à la participation en matière d'environnement est déjà largement reconnu tant en droit international que communautaire que par le corpus juridique national.

- Ainsi le principe 10 de la Déclaration de Rio sur l'environnement et le développement, adoptée le 13 juin 1992 expose que « la meilleure façon de traiter les questions d'environnement est d'assurer la participation de tous les citoyens concernés, au niveau qui convient. Au niveau national, chaque individu doit avoir dûment accès aux informations relatives aux substances dangereuses dans leurs collectivités et avoir la possibilité de participer aux processus de prise de décision... ».

- Plus récemment, la Convention sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement a été signée à Aarhus le 25 juin 1998. Elle est entrée en vigueur en France le 6 octobre 2002, après la promulgation de la loi en autorisant la ratification le 1 er mars 2002.

PRÉSENTATION DE LA CONVENTION D'AARHUS

Cet instrument international fait expressément obligation aux parties d'associer davantage le public au règlement des questions relatives à l'environnement et de veiller à ce qu'il puisse facilement saisir la justice si ces droits ne sont pas reconnus. Il prévoit une diffusion efficace de l'information relative à l'environnement et plus de transparence au niveau des procédures de prise de décisions. Ces mesures se traduiront par une augmentation de la masse d'informations mises à la disposition du public, ce qui ne pourra que contribuer à l'amélioration du processus décisionnel et à la création d'un environnement plus sain. Avec cette convention, la CEE-ONU a fait un grand pas en avant dans l'optique non seulement de la préservation de l'environnement mais aussi du renforcement de la démocratie.

1) Le droit de savoir

Dans une démocratie, la population a le droit de savoir et devrait avoir facilement accès à l'information. Il est nécessaire de faire un effort de sensibilisation auprès du public et de veiller à ce qu'il participe réellement au règlement des questions qui le concernent. Longtemps, l'information sur l'état de l'environnement ou les effets de certaines activités sur l'environnement a été recouverte du voile du secret. Dorénavant, la Convention demande à toutes les parties de lever ce voile et d'informer clairement le public.

2) Le droit de participer

La participation du public contribue à responsabiliser davantage les décideurs et à rendre plus transparent le processus de prise décisions en matière d'environnement. Dans le passé, elle a souvent été refusée ou évitée pour des motifs économiques, politiques et quelquefois sociaux. Désormais, la Convention demande à toutes les parties de prendre des dispositions pour assurer la participation du public et ainsi de mieux tenir compte des considérations environnementales dans les processus décisionnels gouvernementaux. On sait bien que la participation du public à ces processus permet de prendre de meilleures décisions et en facilite l'application. Chacun devrait avoir la possibilité de faire part de ses préoccupations et d'exprimer son avis et les pouvoirs publics devraient en tenir dûment compte.

3) Le droit d'accès à la justice

Pour que l'accès à l'information et la participation du public à la prise de décisions soient effectifs, il est nécessaire de prévoir des recours administratifs ou judiciaires. Seul un mécanisme de recours permet de contester la validité des décisions des autorités et d'assurer la bonne application de la Convention. Toutes les parties doivent donc faire en sorte que chacun ait facilement et librement accès à une procédure de recours devant une instance judiciaire ou un autre organe indépendant et impartial.

Source : Commission économique des Nations unies pour l'Europe (CEE-ONU).

En droit national, ce principe a été progressivement introduit :

- la loi du 2 février 1995 définissait un principe de participation, codifié à l'article L. 110-11 du code de l'environnement, selon lequel « chacun doit avoir accès aux informations relatives à l'environnement, y compris celles relatives aux substances et activités dangereuse s » ;

- l'article 4 de la loi n° 96-1236 du 30 décembre 1996 sur l'air et l'utilisation de l'énergie codifié à l'article L. 221-6 du code de l'environnement fait application de ce droit à l'information en organisant la publication d'un certain nombre de documents relatifs à la pollution atmosphérique et à la qualité de l'air ;

- l'article 132 de la loi n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité modifie l'article L. 110-1 du code de l'environnement pour compléter le contenu du principe d'information par « et le public est associé au processus d'élaboration des projets ayant une incidence importante sur l'environnement ou l'aménagement du territoire » ;

- les dispositions relatives à la Commission nationale du débat public ont été également considérablement renforcées par l'article 134 de la loi du 27 février 2002 précitée.

Tel qu'il est libellé par l'article 7 de la Charte de l'environnement, le principe de participation est entendu tout à la fois plus largement mais également dans des conditions plus strictes que celles posées par l'article L. 110-1 du code de l'environnement.

- le terme « toute personne » comme cela a déjà été expliqué à l'article 2 de la Charte renvoie expressément à toute personne physique ou morale, publique ou privée et il est donc plus large que le terme « chacun » et plus précis que le mot « public », s'agissant du volet participation. En tout état de cause, les collectivités territoriales sont déjà largement concernées par l'application de ce principe, s'agissant notamment de tout projet d'infrastructure ou d'aménagement ayant une incidence sur l'environnement ;

- l'accès aux informations est strictement limité aux informations détenues par les « autorités publiques » contrairement à l'article L. 110-1 du code de l'environnement qui ne précisait rien, ce qui paraît plus compatible avec le respect d'autres dispositions, notamment le secret industriel et commercial. Néanmoins, comme le souligne l'exposé des motifs du projet de loi, cette restriction du droit d'accès aux informations détenues par certaines entreprises privées, notamment afin de tirer les conséquences de conventions internationales ;

- l'application du principe de participation porte sur l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement et non plus seulement sur le processus d'élaboration des projets ayant une incidence importante sur l'environnement ou l'aménagement du territoire. Mais il convient de relever que la reconnaissance de ce droit n'a pas d'effet direct, puisque l'article 7 de la Charte précise que ce droit s'exerce « dans les conditions et limites définies par la loi ».

S'agissant des décisions ponctuelles ayant une incidence sur l'environnement, l'arsenal juridique national est déjà conséquent, si on veut bien prendre en compte les moyens et le champ d'intervention de la Commission nationale du débat public, ou encore les modalités de participation du public notamment pour l'élaboration et la révision des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux.

M. Michel Prieur, dans son étude précitée, va plus loin en considérant que l'article 7 de la Charte conduira le législateur à introduire un mécanisme de participation à l'élaboration des actes réglementaires, afin de renforcer la démocratie participative à ce niveau de prise de décisions.

En tout état de cause, l'inscription du principe de participation dans la Charte de l'environnement pourrait concerner progressivement l'ensemble des politiques sectorielles, voire, comme le suggère le dossier d'information du ministère de l'Ecologie et du développement durable, la politique économique elle-même, dès lors qu'une décision a un impact sur l'environnement.

Article 8 de la Charte de l'environnement -

Education et formation à l'environnement

L'article 8 de la Charte de l'environnement consacre le lien entre éducation et formation à l'environnement et la faculté pour chacun d'assumer les devoirs et de bénéficier des droits contenus dans la Charte.

Comme le souligne la commission Coppens, « chacun a besoin, pour adopter un comportement qui ne porte pas atteinte à l'environnement, voire y soit favorable, de connaître les conséquences de ses gestes et choix. L'homme bien informé peut prendre des mesures pour modifier ses comportements, ses modes de consommation et de production de manière à assurer la sauvegarde et l'amélioration de la qualité de son cadre de vie et de celui des générations futures» 28 ( * ) .

Sont concernées par l'article 8 de la Charte l'éducation et la formation, ce qui couvre l'ensemble du cycle de la formation initiale, du scolaire à l'universitaire, mais également la formation continue.

Cette inscription d'une obligation en matière d'éducation à l'environnement dans la Charte n'aboutit pas à une définition autoritaire du contenu des programmes, mais elle garantit une offre minimale et surtout elle donne un cadre aux nombreuses initiatives prises dans ce domaine. Ainsi, une telle disposition devrait favoriser la cohérence entre les politiques territoriales conduites par les régions, les départements voire les communes et les politiques nationales.

Article 9 de la Charte de l'environnement -

Rôle de la recherche et de l'innovation en matière de préservation
et de mise en valeur de l'environnement

Cet article, qui peut s'apparenter également à une déclaration de principe, complète l'article précédent en indiquant que la recherche et l'innovation doivent apporter leur concours à la préservation de l'environnement et à sa mise en valeur.

L'une des applications les plus directes de cette déclaration de principe concerne la mise en oeuvre de l'article 5 de la Charte, à travers l'obligation d'évaluation des risques potentiels encourus, par application du principe de précaution.

Comme le souligne la commission Coppens, il est bon de rappeler le rôle indispensable de la recherche et de l'innovation en matière de préservation de l'environnement et du développement durable :

- en premier lieu, la démarche scientifique doit apporter un éclairage indispensable à la prise de conscience des populations et à la prise de décisions par les autorités publiques. Pour y parvenir, il convient notamment de favoriser le décloisonnement des disciplines scientifiques entre elles, car « la caractéristique de toute recherche sur les problèmes économiques réside dans sa complexité qui exige une approche faisant appel à de nombreuses disciplines scientifiques, devant apprendre à dépasser leurs cloisonnements habituels pour produire collectivement des représentations au plus proche des phénomènes réels », parfois à partir « d'une construction scientifique théorique reposant sur un vaste ensemble conceptuel » 29 ( * ) ;

- deuxièmement, la recherche et la technologie peuvent contribuer à la définition de solutions innovantes permettant de définir des modes de production et de consommation qui économisent les ressources, réduisent les atteintes à l'environnement et préservent la biodiversité. Ceci concerne notamment l'énergie, les transports, les industries de grande consommation et la santé.

Curieusement, parmi les personnes auditionnées par votre rapporteur pour avis, beaucoup d'entre elles se sont inquiétées d'un « risque d'asservissement » de la recherche et de l'innovation aux seuls impératifs de l'environnement et de sa protection.

Il n'en est rien et la volonté du constituant est bien de reconnaître, au plus haut niveau des normes juridiques nationales, l'importance de la recherche et de l'innovation dans le cadre du développement durable .

Les textes législatifs qui seront pris par la suite sur le fondement de la Charte de l'environnement ne devraient d'ailleurs pas, selon votre rapporteur pour avis, manquer de le souligner.

La rédaction retenue par l'article 9 de la Charte, qui vise « la recherche et l'innovation », en tant que termes génériques, permet donc d'affirmer qu'il ne s'agit pas, à travers cet article, de définir le contenu des programmes de recherche.

Ceci serait d'ailleurs incompatible avec le principe constitutionnel de liberté de la recherche établi par la jurisprudence du Conseil Constitutionnel. Dans sa décision 83-165 DC, il a considéré que la libre expression et l'indépendance des professeurs d'université constituait un principe fondamental reconnu par les lois de la République et constitutionnellement protégé.

Enfin, le choix des termes « doivent contribuer » implique que soient adoptées des mesures d'application, notamment par voie législative. Il ne s'agit en aucun cas d'une injonction impérative à valeur normative autonome.

Article 10 de la Charte de l'environnement -

Action européenne et internationale de la France

L'article 10 de la Charte de l'environnement dispose que celle-ci « inspire l'action européenne et internationale de la France ».

Comme le rappelle la Commission Coppens, « la science, la technique et le développement économique donnent à l'humanité, pour la première fois dans son histoire, les moyens d'influer durablement sur les milieux naturels, de façon positive ou négative, et d'en altérer les équilibres à l'échelle non plus seulement locale mais aussi planétaire » 30 ( * ) .

Il est donc logique que la Charte de l'environnement prenne en compte la dimension européenne et internationale des actions à mener en matière d'environnement et de développement durable.

L'impact international de la Charte apparaît déjà à travers les références faites dans les considérants à « l'humanité », « au patrimoine commun des êtres humains », « aux sociétés humaines » et « aux autres peuples », et il trouve son aboutissement à l'article 10 de la Charte qui définit un principe d'action.

Il est clair en effet que l'environnement est déjà largement pris en compte au niveau international, non seulement à travers des déclarations universelles non contraignantes, telle que la déclaration de Stockholm de 1972 sur l'environnement, mais également aujourd'hui la France est également partie à plus de 120 accords internationaux en matière d'environnement, tant bilatéraux que régionaux ou multilatéraux au niveau de l'ONU.

Au niveau communautaire, et même si la compétence de l'Union européenne a été progressivement reconnue en matière d'environnement, celle-ci dispose désormais de pouvoirs étendus qui lui permettent d'être à l'origine de l'essentiel des dispositions nationales en ce domaine.

Tel que rédigé, l'article 10 invite à ce que les principes de celle-ci guident les négociateurs français afin de promouvoir tant au niveau communautaire qu'international les exigences en matière de préservation et de mise en valeur de l'environnement dans une approche de développement durable .

Au-delà de ce principe d'action, il convient de souligner que l'article 10 de la Charte ne remet pas en cause les relations juridiques existantes entre le droit international et le droit français telles qu'elles résultent du titre VI de la Constitution et de la jurisprudence, notamment l'article 55 qui ne reconnaît la supériorité des traités que par rapport à la loi et non par rapport à la Constitution elle-même.

Néanmoins, les risques de conflits entre les nouvelles normes constitutionnelles françaises et le droit communautaire ayant une valeur normative sont extrêmement peu probables, comme le souligne le rapport d'information de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne sur la Charte de l'environnement et le droit européen 31 ( * ) après une analyse minutieuse des différentes hypothèses envisageables.

D'une part, le projet constitutionnel de la Charte de l'environnement reprend les grands principes directeurs du droit de l'environnement inscrits dans le traité et mis en oeuvre par le droit dérivé.

D'autre part, en cas d'évolution ultérieure du droit communautaire, on ne peut exclure que certaines dispositions de la Charte ne soient plus conformes aux normes communautaires. Mais on peut considérer que le système juridique français dispose de procédures de prévention des conflits, permettant, a priori, d'exclure ou de limiter fortement les possibilités d'introduction en droit français de normes communautaires incompatibles avec les dispositions constitutionnelles de la Charte de l'environnement.

Votre commission vous propose de donner un avis favorable à l'adoption de cet article sans modification.

Article additionnel après l'article 3 -
(article 34 de la Constitution)

Extension du champ de compétences du domaine de la loi

L'Assemblée nationale a adopté un amendement présenté par M. Francis Delattre et Mme Valérie Pécresse complétant la liste des matières relevant du domaine de la loi défini par l'article 34 de la Constitution.

En application de cet article, la loi détermine les principes fondamentaux de la préservation de l'environnement.

Il convient de souligner que l'absence de cette mention n'a pas empêché le législateur d'intervenir en matière environnementale et le Conseil Constitutionnel n'a jamais censuré de telles initiatives.

A travers sa jurisprudence, la compétence législative en matière d'environnement a été « rattachée » à diverses rubriques de l'article 34, et principalement les principes fondamentaux du régime de la propriété et des droits réels, ou encore les principes fondamentaux de la libre administration des collectivités territoriales.

Néanmoins, l'introduction de cette disposition à l'article 34 de la Constitution conforte le rôle du Parlement, en lui reconnaissant une compétence générale en matière d'environnement.

On peut rappeler que plusieurs initiatives parlementaires proposaient d'assurer une base explicite à la compétence du législateur 32 ( * ) . La commission Coppens recommandait également de modifier l'article 34 de la Constitution, pour consacrer l'émergence du droit de l'environnement.

S'agissant plus particulièrement de la mise en oeuvre de l'article 5 de la Charte, la modification de l'article 34 de la Constitution l'autorise à adopter, par voie législative, des textes précisant les procédures à mettre en oeuvre, les modalités de l'évaluation à respecter, comme cela a été exposé à l'occasion de l'examen de cet article.

En indiquant que la loi fixe les principes généraux en matière de « préservation de l'environnement », ceci laisse un espace nécessaire au pouvoir réglementaire autonome pour intervenir en matière d'environnement.

Votre rapporteur pour avis voit également un autre avantage à cette reconnaissance constitutionnelle du législateur en matière d'environnement. A travers les saisines du Conseil Constitutionnel qui pourraient en résulter, se dessineront les contours d'une jurisprudence qui, en application de l'article 62 de la Constitution, s'imposeront à toutes les autorités juridictionnelles.

Votre commission vous propose de donner un avis favorable à l'adoption de cet article sans modification.

*

* *

La commission a, conformément aux conclusions de son rapporteur, émis un avis favorable à l'adoption sans modification du projet de loi constitutionnelle relatif à la Charte de l'environnement.

* 9 M. Michel Prieur - Les conséquences juridiques de l'intégration de la Charte de l'environnement. Etude pour la commission des Affaires économiques du Sénat (mai 2004).

* 10 Idem.

* 11 Conseil Constitutionnel - Décision 99-419 du 9 novembre 1999.

* 12 M. Michel Prieur - Les conséquences juridiques de l'intégration de la Charte de l'environnement. Etude pour la commission des Affaires économiques du Sénat (mai 2004), p. 42.

* 13 M. Michel Prieur - Les conséquences juridiques de l'intégration de la Charte de l'environnement. Etude pour la commission des Affaires économiques du Sénat (mai 2004), p. 42.

* 14 Rapport n° 317 (2002-2003) de M. Jean Bizet - La responsabilité environnementale : pour une application européenne raisonnée.

* 15 Préambule de l'Accord SPS.

* 16 Arrêts 5 mai 1998 National Farmers' Union C.A. et Royaume Uni/Commission.

* 17 M. Michel Prieur « Les conséquences juridiques de l'intégration de la Charte de l'environnement. Etude pour la commission des Affaires économiques du Sénat (mai 2004).

* 18 CE. 24 février 1999, Pro-Nat.

* 19 Kourilsky-Viney. Le principe de précaution. Rapport au Premier ministre. Ed. Odile Jacob - 2000. P.133.

* 20 Kourilsky-Viney. Le principe de précaution. Rapport au Premier ministre. Ed. Odile Jacob - 2000. P. 133.

* 21 M. Michel Prieur - Les conséquences juridiques de l'intégration de la Charte de l'environnement. Etude pour la commission des Affaires économiques du Sénat (mai 2004).

* 22 Décision CC-77-79 du 5 juillet 1977.

* 23 Arrêt Barbier du 21 avril 1997 ; arrêt Association Greenpeace France du 25 septembre 1998.

* 24 M. Bertrand Mathieu - Les conséquences juridiques de l'intégration de la Charte de l'environnement au niveau constitutionnel. Etude pour la commission des Affaires économiques du Sénat (mai 2004).

* 25 Cécile Castaing - La mise en oeuvre du principe de précaution dans le cadre du référé-suspension - AJDA (décembre 2003), p. 2293.

* 26 M. Michel Prieur « Les conséquences juridiques de l'intégration de la Charte de l'environnement. Etude pour la commission des Affaires économiques du Sénat (mai 2004).

* 27 MM. Dominique Bourg et Kerry H. Whiteside - Précaution : un principe problématique mais nécessaire - Le Débat (mai 2004).

* 28 Rapport de la commission Coppens de préparation de la Charte de l'environnement, p. 22.

* 29 Rapport de la commission Coppens de préparation de la Charte de l'environnement, p. 23.

* 30 Rapport de la commission Coppens de préparation de la Charte de l'environnement, p. 10.

* 31 Rapport d'information sur la Charte de l'environnement et le droit européen - Bernard Deflesselles n° 1372 (Assemblée nationale) (janvier 2004) p. 149 et suivantes.

* 32 Proposition de loi constitutionnelle tendant à inclure le droit à l'environnement dans la liste des matières dont la loi fixe les règles, déposée par M. André Santini (juin 1990).

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page