B. DES OBLIGATIONS DE SERVICE PUBLIC MAINTENUES

Cependant, compte tenu de l'importance des enjeux attachés au service public aéroportuaire, le régime de propriété choisi comporte certaines dispositions qui assurent la continuité de la mission de service public d'ADP.

La première de ces garanties est soulignée à l'article 2 du présent projet de loi, et vise à préserver dans le domaine public un certain nombre d'emprises.

La deuxième, fixée à l'article 3 du présent projet de loi, précise le régime des cessions d'actifs .

La troisième, fixée à l'article 6 , indique le cadre dans lequel la société exerce ses obligations de service public .

1. La préservation de certains terrains dans le domaine public

L'article 2 du présent projet de loi organise, à la date de la transformation de l'entreprise en société anonyme, le déclassement des biens du domaine public et leur transfert à ADP.

Cependant, certaines emprises sont destinées à demeurer dans le domaine public. L'article indique ainsi que l'ensemble des terrains est transféré, « à l'exception de ceux qui sont nécessaires à l'exercice par l'Etat ou ses établissements publics de leur mission de service public concourant à l'activité aéroportuaire et dont la liste est déterminée par décret en Conseil d'Etat ».

Concrètement, cette disposition vise principalement les tours de contrôle . En effet, l'activité aéroportuaire de conduite des avions, et plus généralement de « maîtrise du ciel », est du ressort exclusif de l'Etat, qui ne les délègue pas et les exerce par le biais des contrôleurs aériens. Ainsi, les infrastructures nécessaires à cet exercice doivent être conservées par l'Etat. Il est par ailleurs prévu un remboursement des sommes dues à Aéroports de Paris pour ses investissements réalisés à ce titre dans le passé. Cette disposition implique donc, de manière indirecte, que toute future amélioration des tours de contrôle sera désormais à la charge directe de l'Etat, ce dont il est tenu compte dans le projet de loi de finances pour 2005 au titre du budget annexe .

2. Les cessions d'actifs

L'article 3 prévoit la signature d'une convention entre l'Etat et ADP qui prévoit « les conditions dans lesquels, en cas de fermeture à la circulation aérienne de tout ou partie d'un aérodrome, ADP indemnise l'Etat en contrepartie de la valeur supplémentaire acquise par les immeubles qui lui ont été attribués ».

Cette convention, d'une durée de 70 ans au moins, permet de préserver le patrimoine de l'Etat . Il serait en effet anormal que ADP cède des terrains qui lui ont été attribués au titre de l'exercice de ses compétences en matière aérienne, et que l'Etat soit privé de tout bénéfice.

Ainsi, il est prévu que l'indemnité « ne peut être inférieure à 70 % de la différence existant entre la valeur de ces immeubles à la date de leur attribution à ADP, majorée des coûts liés à leur remise en état et à la fermeture des installations aéroportuaires, et leur valeur vénale, établie à la date de la fermeture à la circulation aérienne de l'aérodrome occupant les terrains ».

Il ressort de cette disposition, aux yeux des investisseurs, que la juste valorisation des terrains d'ADP doit être estimée en considérant leur affectation au service du transport aérien . Il serait donc peu rentable pour le conseil d'administration, et notamment, en cas d'ouverture du capital, des investisseurs privés, de mettre sur le marché le riche patrimoine immobilier de la société sachant que 70 % du bénéfice sera attribué à l'Etat.

On peut donc voir dans la future convention un double impact : d'une part, une préservation des intérêts de l'Etat, d'autre part, une forme de garantie sur l'affectation des terrains de la société une fois que son statut aura évolué.

3. Des obligations fixées par un cahier des charges

L'article 6 du présent projet de loi prévoit la réalisation d'un « cahier des charges approuvé par décret en Conseil d'Etat », et qui doit préciser l'ensemble des obligations qui incomberont à ADP au titre des ses missions de service public.

a) Un droit d'opposition sur certaines activités

Le premier alinéa de l'article L. 251-3 du code de l'aviation civile, tel qu'il est prévu à l'article 6 du présent projet de loi, pose des garanties en ce qui concerne l'affectation des terrains transférés en pleine propriété à ADP. Ainsi, il est indiqué que « lorsqu'un ouvrage ou terrain appartenant à Aéroports de Paris et situé dans le domaine aéroportuaire est nécessaire à la bonne exécution par la société de ses missions de service public ou au développement de celles-ci , l'Etat s'oppose à sa cession , à son apport, sous quelque forme que ce soit, à la création d'une sûreté sur cet ouvrage ou terrain, ou subordonne la cession, la réalisation de l'apport ou la création de la sûreté à la condition qu'elle ne soit pas susceptible de porter préjudice à l'accomplissement desdites missions ».

Les conditions d'application de cette clause sont déterminées dans le cahier des charges qui lie la société à l'Etat.

De plus, il est indiqué que « est nul de plein droit tout acte de cession, apport ou création de sûreté réalisé sans que l'Etat ait été mis à même de s'y opposer, en violation de son opposition ou en méconnaissance des conditions fixées à la réalisation de l'opération .

« En outre, les biens mentionnés au deuxième alinéa ne peuvent faire l'objet d'aucune saisie et le régime des baux commerciaux ne leur est pas applicable ».

Concrètement, le cahier des charges devra délimiter avec précision, au sein des emprises aéroportuaires transférées à ADP, les biens qui ne sauraient être dévolus à une activité annexe par rapport à l'aéroport , comme des centres commerciaux ou des parkings. Il s'agit donc d'une garantie qui limite les possibilités de gestion autonome de l'aéroport, et souligne que, pour relever de la domanialité privée, les biens transférés sont toujours contrôlés in fine par l'Etat.

Il semble que cette disposition suive la logique initiée par le Conseil d'Etat. Ce dernier, amené à s'exprimer sur le financement par crédit-bail du TGV Sud-Est 12 ( * ) , a estimé qu'une telle opération devait être assortie « des précautions propres à garantir la pérennité de l'affectation des biens en cause et à assurer le respect de la mission de la SNCF telle qu'elle est définie au premier alinéa de l'article 18 de la loi du 30 décembre 1982 ».

Le débat est d'autant plus important dans le cas présent qu'il ne s'agit pas d'un crédit-bail, ou l'Etat redeviendrait à terme propriétaire des infrastructures, mais d'un transfert en pleine propriété.

Ainsi, la question posée par cette clause est qu'il n'existe aucune garantie pour l'Etat de pouvoir récupérer des terrains aménagés et cédés (sous forme de bail par exemple) si, à la date où le contrat est conclu, ils ne font pas parti du cahier des charges. En conséquence, il reviendra à l'Etat d'être particulièrement vigilant lors de l'établissement de ce cahier des charges, et des cartes afférentes, afin de ne pas écarter des biens qui, dans l'avenir, pourraient s'avérer nécessaires à l'activité aéroportuaire.

b) Les missions de service public d'ADP

La jurisprudence constitutionnelle n'est pas opposée par principe au déclassement du domaine public et à son transfert en pleine propriété à une société privée . Le déclassement est cependant assorti d'une condition de continuité du service public. Par exemple, dans le cas des installations de France Telecom, il a été jugé 13 ( * ) que « il appartient aux autorités juridictionnelles et administratives de veiller strictement au respect par l'entreprise France Telecom des principes constitutionnels régissant le service public , notamment dans la gestion des biens transférés ».

L'article 6 du présent projet de loi prévoit donc un article L. 251-2 du code de l'aviation civile, et dont le deuxième alinéa précise qu' « un cahier des charges approuvé par décret en Conseil d'Etat fixe, notamment, les conditions dans lesquelles la société Aéroports de Paris assure les services publics liés à l'exploitation des aérodromes mentionnés ci-dessus, assure, sous l'autorité des titulaires du pouvoir de police, l'exécution de missions de police administrative , en particulier celles prévues par l'article L. 213-3 du présent code, et décide la répartition des transporteurs aériens entre les différents aérodromes qu'elle exploite et entre les aérogares d'un même aérodrome.

« Il fixe, le cas échéant , les modalités selon lesquelles la société apporte son concours à l'exercice des services de navigation aérienne assurés par l'Etat .

« Il détermine les modalités du contrôle par l'Etat du respect des obligations incombant à la société au titre de ses missions de service public et les conditions de l'accès des agents de l'Etat aux données comptables et financières de celle-ci .

« [...] Il fixe les conditions dans lesquelles l'Etat exerce son contrôle sur les contrats par lesquels Aéroports de Paris confie à des tiers l'exécution de certaines des missions mentionnées au deuxième alinéa du présent article .

« Il détermine les sanctions administratives susceptibles d'être infligées à Aéroports de Paris en cas de manquement aux obligations qu'il édicte » .

Comme on le voit, le rôle de ce cahier des charges est extrêmement large, puisque un grand nombre de conditions et de clauses devront préciser les conditions de gestion de l'aéroport.

On peut noter le point suivant : l'article indique que le cahier des charges fixe les conditions dans lesquelles la société « assure, sous l'autorité des titulaires du pouvoir de police, l'exécution de missions de police administrative , en particulier celles prévues par l'article L. 213-3 du présent code ». En conséquence, il n'est pas exclu qu'une participation, y compris financière, puisse être demandée à ADP pour l'exercice de ces missions.

En ce qui concerne la rédaction du cahier des charges, votre rapporteur pour avis a pu se faire communiquer les éléments suivants par les services de la DGAC. Il convient de relever qu'il ne s'agit à l'heure actuelle que d'un projet, susceptible de connaître d'importantes modifications, et qui n'a donc qu'une valeur indicative à ce stade.

« L'élaboration du cahier des charges de la société ADP est une démarche inédite dans la mesure où aucun document ne formalisait jusqu'à présent les obligations de l'établissement public. Elle a été initiée en parallèle avec les premiers travaux sur le projet de loi relatif aux aéroports. Pour diverses raisons, notamment les développements récents de la réglementation technique de droit commun sur l'exploitation des aérodromes, il n'a pas été jugé intéressant de s'inspirer du cahier des charges type des concessions aéroportuaires de 1997 (décret n°97-547 du 29 mai 1997 modifié).

« Le cahier des charges met principalement l'accent sur les services rendus aux usagers, sur la participation d'ADP aux missions de police administrative et sur les conditions d'exercice des missions de l'Etat sur les aéroports . Par ailleurs, l'insertion dans l'environnement fait l'objet d'articles spécifiques » .

Votre rapporteur pour avis déplore cependant, en dépit des intentions affichées, que la rédaction de l'article 6 laisse dans l'ombre de nombreux points, qui sont de facto renvoyés au cahier des charges .

En particulier, on peut regretter que de éléments aussi cruciaux que le principe de non discrimination , ou bien des indications plus claires quant aux obligations de service public ne soient pas inscrites dans la loi.

En effet, en ce qui concerne les biens transférés à ADP, plusieurs logiques sont susceptibles de s'affronter. D'une part, l'aéroport peut avoir intérêt à essayer de rentabiliser au mieux son patrimoine, ce qui est cohérent avec le statut de société anonyme, mais est susceptible, à terme, d'entrer en conflit avec les missions de service public. Il importe donc d'identifier très clairement, dans le texte de loi, les éléments qui devront impérativement figurer dans le cahier des charges et être, le cas échéant, portés à l'appréciation du juge . Votre rapporteur pour avis estime que cette inclusion sera de nature à garantir aux usagers et aux investisseurs une meilleure lisibilité sur l'avenir de la société et ses possibilités de développement.

Enfin, il conviendra de s'assurer de la réalité du contrôle par l'Etat des obligations de service public d'ADP. A ce titre cependant, une sanction pécuniaire est prévue au dernier alinéa de l'article L. 251-2 du code de l'aviation civile tel que proposé dans le présent projet de loi : « L'autorité administrative peut, en particulier, prononcer une sanction pécuniaire dont le montant est proportionné à la gravité du manquement, à l'ampleur du dommage et aux avantages qui en sont tirés, sans pouvoir excéder 0,1 % du chiffre d'affaires hors taxe du dernier exercice clos d'Aéroports de Paris, porté à 0,2 % en cas de nouvelle violation de la même obligation ».

En conséquence, votre rapporteur pour avis est favorable à la création d'une entité indépendante, qui recevrait une double compétence :

- d'une part, le contrôle du respect par ADP des engagements pris dans le cahier des charges ;

- d'autre part, un arbitrage lors de la fixation du niveau des redevances, ce point faisant l'objet de notre troisième partie.

* 12 Avis du Conseil d'Etat du 30 mars 1989, TGV Sud-Est.

* 13 Décision n° 96-380 DC du 23 juillet 1996, Entreprise nationale France Telecom.

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