III. LA MODIFICATION DU SYSTÈME DES REDEVANCES POUR SERVICES RENDUS : VERS UNE MEILLEURE PRISE EN COMPTE DES COÛTS ?

A. LA NATURE JURIDIQUE DES REDEVANCES AÉROPORTUAIRES

Les redevances aéronautiques sont définies aux articles R. 224-1 et R. 224-2 du code de l'aviation civile. Elles constituent un mode de financement primordial pour la société Aéroports de Paris.

Le régime juridique des redevances est fixé par les textes législatifs et réglementaires, qui encadrent aussi bien leur champ que leur mode de fixation, ainsi que par la jurisprudence, qui en encadre l'utilisation.

1. Les textes réglementaires fixent des garanties pour la fixation du niveau des redevances

a) Les principes généraux

L'article L. 410-2 du code du commerce fixe le principe de la liberté de fixation des prix , et ce dans tous les domaines. Cependant, son deuxième aliéna dispose que « toutefois, dans les secteurs ou les zones où la concurrence par les prix est limitée en raison soit de situations de monopole ou de difficultés durables d'approvisionnement, soit de dispositions législatives ou réglementaires, un décret en Conseil d'Etat peut réglementer les prix après consultation du Conseil de la concurrence ».

Ainsi, il est possible de mener une politique de régulation des prix, et ce même si le secteur relève par ailleurs du droit de la concurrence, pour des motifs qui relèvent de l'intérêt général. De fait, il s'agit de la base légale pour l'institution de redevances.

On peut noter que la possibilité pour ADP de percevoir des redevances est justifiée, au regard des critères de l'article L. 410-2 du code du commerce, par sa situation de monopole sur l'activité aéroportuaire en Île-de-France, et, de manière plus générale, par sa place toute particulière pour l'économie du pays.

L'article R. 224-1 du code de l'aviation civile fixe le cadre général relatif aux redevances aéronautiques. Ainsi, il dispose que « les redevances devront être appropriées aux services rendus ».

Il convient de noter que l'idée de proportion des coûts aux services rendus est au coeur de la distinction juridique entre taxe et redevance . En effet, une taxe s'entend d'une somme perçue à l'occasion de la fourniture d'un service, ce qui la rend très proche de la redevance, mais elle en diffère par deux points : les usagers potentiels mais non effectifs peuvent être amenés à la payer, et l'équivalence entre le montant perçu et la prestation de service effectuée n'est pas nécessaire.

De plus, une redevance ne peut servir à financer des misions qui relèvent du secteur régalien . Ainsi, suite à l'arrêt du 20 mai 1998 du Conseil d'Etat, il a été jugé que le financement de la sécurité dans les aéroports ne pouvait plus se faire par le prélèvement de redevances, mais par des taxes. En conséquence, la loi n° 98-1171 du 18 décembre 1998 relative à l'organisation de certains services et au transport aérien a institué une taxe d'aéroport, qui permet d'assurer le financement des investissements en matière de sécurité.

b) Le processus de fixation du niveau des redevances

Les redevances aéronautiques réglementées (passagers, atterrissage, stationnement, carburant, balisage) sont encadrées par l'article R. 224-2 du code de l'aviation civile, qui stipule que les taux des redevances sont fixés, pour ADP, par son conseil d'administration, après l'avis de la commission consultative économique (CCE).

Les taux sont fixés sur une base annuelle .

Les modalités de fonctionnement de la commission consultative économique sont déterminées par l'article D. 252-1 du code de l'aviation civile, modifié par l'arrêté du 25 novembre 1999.

Elle regroupe les membres suivants, nommés pour une durée de trois ans :

- les compagnies aériennes Air France, Corsair, British Airways, Fedex ;

- les organisations professionnelles : la CSTA (chambre syndical du transport aérien), le SCARA (syndicat des compagnies aériennes autonomes), l'association des représentants de compagnies aériennes en France, l'IATA (international air transport association), et la FNAM (fédération nationale de l'aviation marchande) ;

- des représentants d'Aéroports de Paris : le directeur général délégué finances, le directeur général délégué clientèle et services, le directeur d'Orly, le directeur de Roissy, le directeur des grands travaux, le chef du département finances.

Elle est présidée par un président désigné par arrêté pour une durée de trois ans.

La commission consultative économique (CCE) doit se réunir au moins une fois par an. Dans les faits, elle se réunit deux fois par an minimum. Préalablement à chaque séance, un dossier est envoyé aux membres.

La CCE ne peut valablement délibérer que si les deux tiers au moins de ses membres sont présents ou représentés.

Lors de la première séance doivent être présentés les éléments relatifs au trafic, aux comptes et résultats de l'année passée et de l'année en cours, ainsi que les investissements en cours et à venir d'ADP.

Au cours de la deuxième séance sont présentées les justifications et les propositions d'évolutions tarifaires pour l'année suivante, avec leur hausse par redevance en niveau et en structure (modulations tarifaires envisagées). En cours de séance, ADP peut être amené à proposer de nouvelles évolutions tarifaires plus en adéquation avec les demandes des membres.

La CCE donne son avis à la majorité des voix exprimées . En cas de partage, la voix du président est prépondérante.

L'avis de la CCE n'est pas déterminant en principe : c'est au conseil d'administration d'ADP qu'il revient de décider en dernier lieu. Dans les faits, l'avis de la tutelle (direction générale de l'aviation civile, ministère des finances) et de la CCE est prépondérant.

Après approbation par le conseil d'administration, les évolutions tarifaires sont transmises au ministre chargé de l'aviation civile et au ministre de l'économie . Les taux sont exécutoires de plein droit un mois franc après leur réception par les deux ministres, à moins que l'un d'entre eux n'y fasse opposition dans ce délai, ce qui n'est encore jamais arrivé.

Le mécanisme permet donc une concertation très large avec les principaux interlocuteurs, avec une décision finale qui reste du ressort d'ADP, mais un droit de veto d'un des deux ministres de tutelle . En pratique, cependant, les partenaires sont toujours parvenus à un accord au sein de la CCE, et le gouvernement n'a jamais exercé son droit de veto sur les décisions du conseil d'administration d'ADP.

2. Une utilisation encadrée par la jurisprudence administrative

Les redevances pour services rendues sont étroitement encadrées par la jurisprudence administrative. Il apparaît en effet que le système est faiblement défini par les textes législatifs comme réglementaires, notamment au regard de l'appréciation du « service rendu ».

a) La proportionnalité aux services rendus

Le Conseil d'Etat a été amené à préciser la portée de la notion, en vertu du principe d'égalité . Ainsi, dans un arrêt 14 ( * ) de 1958, il indique qu'une redevance pour services rendus doit être « demandée à des usagers en vue de couvrir les charges d'un service public déterminé ou les frais d'établissement et d'entretien d'un ouvrage public ». Cette règle est en fait transcrite dans l'article R. 224-1 du code de l'aviation civile, qui indique que « les redevances devront être appropriées aux services rendus ».

Il doit donc exister une stricte proportionnalité entre le service rendu et le paiement de ce service , ce qui suppose notamment des modes de tarification qui permettent de tenir compte des différences de prestation, par exemple entre gros porteurs et moyen porteurs, ou bien selon le nombre de passagers.

b) Les dérogations possibles au regard du principe d'égalité

Les redevances doivent respecter le principe d'égalité. Dans un arrêt 15 ( * ) de 1974, le Conseil d'Etat précise cependant que « la fixation de tarifs applicables, pour un même service rendu à différentes catégories d'usagers d'un service ou d'un ouvrage public implique, à moins qu'elle ne soit la conséquence nécessaire d'une loi, soit qu'il existe entre les usagers des différences de situation appréciables, soit qu'une nécessité d'intérêt général en rapport avec les conditions d'exploitation du service ou de l'ouvrage commande cette mesure ».

En conséquence, en application du principe général d'égalité, les usagers peuvent être traitées de façon différente si l'une au moins des trois conditions suivantes est observée :

- existence d'une loi qui permet de déroger au principe d'égalité ;

- des différences de situation objectives et appréciables entre les usagers ;

- un motif suffisant d'intérêt général .

Par combinaison avec l'article L. 410-2 du code du commerce, il apparaît qu'un décret en Conseil d'Etat, après consultation du Conseil de la concurrence, peut instaurer des redevances pour services rendus, dans les limites fixées par la jurisprudence administrative.

c) Une notion qui demeure cependant imprécise

Il apparaît cependant que cette notion est actuellement entendue de manière restrictive et souffre d'imprécisions. Deux points peuvent être évoqués.

D'une part, seuls les coûts comptables directement imputables peuvent être considérés et la prise en compte de la rémunération des capitaux investis est incertaine . En conséquence, il n'est pas certain qu'ADP ait la possibilité juridique de faire supporter aux compagnies aériennes une partie des coûts occasionnés par les investissements engagés, dans la mesure où la construction d'un futur terminal par exemple ne dégage pas, dans un premier temps, de service qu'il est possible de facturer.

D'autre part, la Cour des comptes, dans son rapport public pour 2002, souligne les insuffisances du concept sur la possibilité de modulation des tarifs de la redevance . Il n'est pas précisé si les services rendus s'apprécient « redevance par redevance », ou bien si les tarifs doivent être considérées pour les cinq redevances réglementées dans leur ensemble. A titre d'exemple, la Cour des comptes évoque ainsi le fait que « l'article R. 224-1 permet difficilement de moduler les redevances en fonction des coûts externes imputables aux utilisateurs des services d'ADP, par exemple les nuisances sonores ou la congestion du trafic occasionnée par les mouvements d'avions en heure de pointe ».

* 14 Arrêt du 21 novembre 1958, Syndicat national des transporteurs aériens.

* 15 Arrêt du 10 mai 1974, Denoyez et Chorques.

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