B. UN COMBAT À MENER EN FRANCE

Votre rapporteur s'est réjoui, dans son précédent rapport, de la publication de la circulaire du 14 février 2003 par laquelle le Premier ministre invitait l'ensemble des membres de son Gouvernement à conduire « une politique ambitieuse, déterminée et renouvelée en faveur de la langue française ».

Il a relevé avec satisfaction que le chef du Gouvernement assignait à cette politique deux objectifs complémentaires : assurer la primauté du français sur le territoire national, affirmer la place du français sur la scène internationale. Pour votre rapporteur, ces deux objectifs sont indissociables.

Il souhaite, à cet égard, rappeler les propos qu'a tenus M. Boutros Boutros-Ghali, alors secrétaire général de la francophonie, lors de sa réception solennelle au Palais du Luxembourg, le 3 mai 2000. Celui-ci avait insisté sur le fait que la langue française serait d'autant mieux respectée dans le monde qu'elle jouirait, en France, d'un statut respectable. Il nous invitait en conséquence à donner l'exemple et à faire preuve d'une nouvelle forme de civisme : « le civisme francophone ».

1. Le bilan de la loi Toubon

La loi du 4 août 1994 sur l'emploi de la langue française, dite « loi Toubon », constitue depuis dix ans l'instrument juridique privilégié de la défense de notre langue sur notre territoire.

A l'occasion du dixième anniversaire de cette loi fondamentale aux yeux de votre rapporteur, le ministre de la culture et de la communication a confié à M. Hubert Astier, inspecteur général de l'administration des affaires culturelles, la mission d'évaluer , « au regard des évolutions institutionnelles, économiques et internationales, la pertinence et l'actualité des principes qui inspirent » la loi, et de dresser un « bilan de son application, compte tenu notamment des exigences du droit communautaire ».

Votre rapporteur se montrera très attentif aux conclusions de cette mission et aux recommandations qu'elle pourra formuler pour améliorer notre dispositif juridique de défense de la langue française.

Le compte rendu que trace, chaque année, la DGLFLF des actions menées par diverses instances pour assurer le respect de la loi illustre la nécessité de ne pas relâcher notre vigilance.

a) L'information du consommateur : l'annulation de la circulaire du 20 septembre 2001

Les dispositions relatives à la protection du consommateur sont, dans l'ensemble, bien appliquées, grâce au contrôle opéré par les services de la Direction générale à la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), de la Direction des douanes et des droits inhérents (DGDDI) et grâce à la vigilance des associations agréées de défense et de promotion de la langue française.

Les contrôles opérés par la DGCCRF montrent que les manquements constatés sont, en général, de faible gravité, et donnent lieu davantage à des rappels de la réglementation qu'à des procédures contentieuses.

Les actions conduites par la Direction de douanes, qui ont progressé de 60 % en 2003, témoignent d'une nouvelle diminution des infractions qui se situent au taux historiquement bon de 0,8 %.

Ces chiffres montrent qu'une action déterminée des pouvoirs publics peut susciter de bons résultats. Il convient donc de ne pas baisser la garde, notamment en affaiblissant la portée de nos instruments juridiques. A ce titre, votre rapporteur se réjouit de l'annulation par le Conseil d'Etat d'une partie de la circulaire du 20 septembre 2001 qui constitue le dernier épisode d'un feuilleton aux multiples rebondissements du problème de l'étiquetage des denrées alimentaires au regard du droit européen.

Dans un précédent avis 2 ( * ) , votre rapporteur avait consacré des développements approfondis aux incidences du droit communautaire en matière d'étiquetage des denrées alimentaires. Il avait relevé que, pour répondre à une mise en demeure de la Commission européenne, le Gouvernement avait publié une circulaire en date du 20 septembre 2001 « précisant » que l'article 2 de la loi Toubon ne ferait pas obstacle à la possibilité d'utiliser d'autres moyens d'information du consommateur comme, par exemple, des dossiers, symboles ou pictogrammes. Ceux-ci, indiquait-elle, peuvent être accompagnés de mentions en langue étrangère non traduites en français.

Votre rapporteur s'était interrogé sur la conformité de cette circulaire avec le dispositif de l'article 2 de la loi Toubon. Il avait également adressé une question écrite au Gouvernement le 25 juillet 2002 pour lui demander s'il envisageait de rapporter cette circulaire.

Il se réjouit donc que ses doutes aient été partagés par la juridiction administrative et que le Conseil d'Etat dans une décision du 30 juillet 2003 ait annulé l'avant-dernier alinéa de ce texte.

Dans sa décision, le Conseil d'Etat juge que les auteurs de la circulaire « ne se sont pas bornés à interpréter la loi du 4 août 1994 et qu'ils ont fixé une règle nouvelle, de caractère impératif, qu'ils n'avaient pas compétence pour édicter ». Il a également estimé que les dispositions critiquées de la circulaire excédaient « par la généralité de leurs termes, les mesures nécessaires pour atteindre les objectifs poursuivis » par les directives européennes.

b) Le secteur de l'audiovisuel : la nécessité d'une attitude vigilante

Le contrôle des obligations envers la langue française, inscrites aux cahiers des missions et des charges des sociétés nationales de radio et de télévision, et dans les conditions annexées aux décisions d'autorisation des diffuseurs privés, est confié au Conseil supérieur de l'audiovisuel.

Les comptes rendus effectués par ce dernier montrent que ce secteur mérite une attention particulièrement soutenue car la tentation de recourir à des termes étrangers, et principalement anglo-saxons, dans les programmes de radio et de télévision, voire dans les titres des émissions, fait preuve de soudains accès de virulence.

Votre rapporteur souhaite insister sur le fait qu'en matière d'information, le choix du vocabulaire n'est pas neutre, particulièrement lorsqu'il s'agit de rendre compte de certains grands événements internationaux.

2. L'enseignement des langues : les orientations contestables du rapport sur l'avenir de l'école

Dans le rapport qu'il a présenté, l'année dernière, au nom de votre commission sur l'enseignement des langues étrangères en France, votre rapporteur s'est alarmé du fort rétrécissement de l'offre linguistique dans le système scolaire français qui aboutit aujourd'hui à une hégémonie du couple anglais-espagnol dans l'apprentissage des langues vivantes.

Les chiffres en ce domaine sont éloquents :

- de dominant, l'anglais est en passe de devenir hégémonique : 97 % des élèves l'étudient en langue vivante 1 ou 2 ; le poids de l'anglais est particulièrement écrasant en langue vivante 1 où il concerne plus de 90 % des collégiens et près de 89 % des élèves des lycées d'enseignement général ;

- l'espagnol consolide d'année en année sa position de langue vivante 2 majoritaire : 62 % des lycéens de filières générales et technologiques optent en faveur de l'espagnol, et près de 70 % des collégiens, ce qui laisse présager un renforcement de la tendance dans les années à venir.

Ces proportions sont encore plus marquées dans les lycées professionnels.

Cette évolution a pour conséquence de laisser une part de plus en plus réduite aux autres langues :

- la place de l'allemand ne cesse de reculer : 5 % des collégiens seulement le choisissent comme 1 e langue vivante, et 13 % en langue vivante 2 ; dans les lycées d'enseignement général, ces proportions s'établissent respectivement à 10 % et 20 % alors qu'elles étaient de 13,5 % et 29 % en 1995 ;

- l'italien résiste à la pression hispanique mais la situation du russe s'est beaucoup dégradée puisqu'il a perdu 54 % de ses effectifs en 10 ans, alors que la Russie s'ouvre sur l'Europe !

- enfin, seuls 2,32 % des effectifs du second degré apprennent une première langue autre que l'anglais, l'allemand ou l'espagnol .

On est donc très loin de l'offre théorique de langues vivantes que propose l'éducation nationale :

- en LV1, les élèves ont en principe le choix entre 12 langues étrangères ;

- cette liste est enrichie du turc et d'une douzaine de langues régionales en LV2 ;

- enfin, 44 langues peuvent être présentées au bac.

L'écart entre cette offre a priori exemplaire en Europe, et une réalité très monochrome illustre l'échec de notre politique de diversification de l'enseignement des langues étrangères .

Pour y remédier, il faut d'abord gagner l'opinion publique à la cause du plurilinguisme et résister à un certain nombre de tentations comme, par exemple, celle de rendre l'anglais obligatoire à l'école. Cette tentation est récurrente depuis quelques années. On se souvient des propos de M. Claude Allègre, lors de l'université d'été du parti socialiste en 1997, déclarant qu'il ne fallait plus compter l'anglais comme une langue étrangère, ou encore ceux tenus par M. Luc Ferry, dans « die Zeit » : « Il faut considérer l'anglais comme une langue à part. Une possibilité : on apprend l'anglais à l'école primaire et on passe à deux autres langues dans le secondaire ».

Votre rapporteur ne partage évidemment pas ce point de vue. Il juge au contraire essentiel de maintenir l'objectif de diversification des langues enseignées en parallèle avec la généralisation de l'apprentissage précoce. Il partage pleinement le jugement du linguiste Claude Hagège qui estime que « l'introduction de l'anglais en primaire ménagerait une sorte de tunnel extrêmement redoutable, qui aboutirait à la précarisation, à l'extinction à longue échéance des grandes langues européennes ».

C'est donc avec consternation qu'il a constaté la résurgence de cette tentation monolinguiste dans le rapport de la commission présidée par M. Claude Thélot sur l'avenir de l'école .

Ce rapport fait figurer la capacité à « s'exprimer (y compris en anglais de communication internationale) » parmi les enseignements communs à tous, qui doivent constituer « le socle commun des indispensables ».

Pour justifier son point de vue, la commission présidée par M. Thélot explique que l'anglais de communication internationale « n'est plus une langue parmi d'autres, ni simplement la langue de nations particulièrement influentes » mais qu'il est devenu « la langue des échanges internationaux, que ce soit sur le plan des contacts scientifiques, ou techniques, commerciaux ou touristiques ». Elle ajoute, pour enfoncer le clou, que « ne pas être capable de s'exprimer et d'échanger en anglais de communication internationale constitue désormais un handicap majeur , en particulier dans le cadre de la construction européenne . »

Votre rapporteur souhaite rappeler de la façon la plus solennelle que le combat pour la diversité linguistique et culturelle est un, et qu'il doit se mener en parallèle sur la scène internationale et à l'intérieur de nos frontières, y compris dans notre système d'enseignement, si nous ne voulons pas courir le risque d'être taxés d'inconséquence et de légèreté. Partisan convaincu de la construction d'une Europe plurilingue, il ne peut accepter qu'un rapport officiel reconnaisse à « l'anglais de communication internationale » un statut privilégié dans la construction européenne, allant à contre-courant de la politique qu'ont défendue les gouvernements français successifs auprès des instances communautaires.

* 2 Avis n° 69 tome XIV (2002-2003) sur le projet de loi de finances pour 2003.

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