N° 205

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2004-2005

Annexe au procès-verbal de la séance du 17 février 2005

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des Affaires économiques et du Plan (1) sur la proposition de loi, ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, portant réforme de l' organisation du temps de travail dans l' entreprise ,

Par Mme Elisabeth LAMURE,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Paul Émorine, président ; MM. Jean-Marc Pastor, Gérard César, Bernard Piras, Gérard Cornu, Marcel Deneux, Pierre Hérisson, vice-présidents ; MM. Gérard Le Cam, François Fortassin, Dominique Braye, Bernard Dussaut, Christian Gaudin, Jean Pépin, Bruno Sido, secrétaires ; MM. Jean-Paul Alduy, Pierre André, Gérard Bailly, René Beaumont, Michel Bécot, Jean Besson, Joël Billard, Michel Billout, Claude Biwer, Jean Bizet, Jean Boyer, Mme Yolande Boyer, MM. Jean-Pierre Caffet, Yves Coquelle, Roland Courteau, Philippe Darniche, Gérard Delfau, Mme Michelle Demessine, MM. Marcel Deneux, Jean Desessard, Mme Evelyne Didier, MM. Philippe Dominati, Michel Doublet, Daniel Dubois, André Ferrand, Alain Fouché, François Gerbaud, Alain Gérard, Charles Ginésy, Georges Ginoux, Adrien Giraud, Mme Adeline Gousseau, MM. Louis Grillot, Georges Gruillot, Mme Odette Herviaux, MM. Michel Houel, Benoît Huré, Mmes Sandrine Hurel, Bariza Khiari, M. Yves Krattinger, Mme Elisabeth Lamure, MM. Jean-François Le Grand, André Lejeune, Philippe Leroy, Claude Lise, Daniel Marsin, Jean-Claude Merceron, Dominique Mortemousque, Paul Natali, Ladislas Poniatowski, Daniel Raoul, Paul Raoult, Daniel Reiner, Thierry Repentin, Bruno Retailleau, Charles Revet, Henri Revol, Claude Saunier, Daniel Soulage, Michel Teston, Yannick Texier, Pierre-Yvon Trémel, Jean-Pierre Vial.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 12 ème législ.) : 2030 , 2040 et T.A. 378

Sénat : 181 et 203 (2004-2005)

Travail.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Promouvoir une société de libertés, telle est l'ambition que poursuit la majorité parlementaire depuis bientôt trois ans. Dans le domaine économique, elle a ainsi soutenu les projets du Gouvernement destinés, conformément aux orientations fixées par le Président de la République, à favoriser l'initiative individuelle tout en renforçant le dialogue social, à rétablir la valeur travail comme socle sur lequel sont fondées la reconnaissance et la promotion sociales, ou encore à susciter la souplesse des processus productifs afin de permettre à nos entreprises de lutter dans un contexte concurrentiel chaque jour plus exigeant. Tels ont été notamment les enjeux de la loi du 17 janvier 2003 relative aux salaires, au temps de travail et développement de l'emploi, de la loi du 1 er août 2003 pour l'initiative économique ou encore de la loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social.

Ces réformes législatives ont été nécessaires pour relancer une machine économique grippée par des rigidités souvent introduites au cours de la législature précédente. Au nombre de celles-ci figurent à l'évidence la fixation à 35 heures de la durée légale du travail des salariés des secteurs privé et public et l'édification d'un droit social propre au temps de travail dont la complexité le dispute à l'inégalité. Car en effet, la volonté d'appliquer par la loi un corpus d'obligations identiques quels que soient la taille, la situation ou le domaine d'activité des entreprises s'est heurtée au principe de réalité. Faute d'avoir su faire confiance à la négociation collective, le législateur s'est ainsi vu contraint d'instituer des régimes dérogatoires et de régler dans le détail des questions qui, traditionnellement, constituent le coeur même du dialogue social.

Ce faisant, la France s'est une fois de plus singularisée parmi les pays industrialisés. Si l'on ne peut nier que la diminution de la durée du temps de travail est une tendance séculaire caractéristique des économies développées, rendue possible par l'amélioration continue de la productivité, nulle part ailleurs elle n'a été brutalement décidée par le pouvoir politique, ni réalisée avec tant d'ampleur aussi rapidement. Si encore des résultats économiques et sociaux incontestables, et conformes aux objectifs annoncés par les promoteurs de ce dispositif, en avaient résulté ! Mais force est de constater, maintenant que les effets peuvent en être analysés dans la durée, que les bénéfices mis en avant sont souvent récusables et que les difficultés subies tant par les entreprises que par beaucoup de salariés demeurent nombreuses et très pénalisantes.

Parmi ces difficultés, on relève en particulier les conséquences de la modération salariale sur laquelle a été gagée une partie de la réforme des 35 heures, ainsi que les limites contraignantes imposées par le législateur aux salariés dans la gestion de leur temps. Quel étrange décalage entre discours et réalité que d'avoir prétendu leur donner un plus grand choix alors même qu'étaient réduites leurs facultés d'arbitrer entre leurs priorités, celle de disposer de davantage de temps libre ou celle de travailler plus pour gagner plus et augmenter leurs revenus ! Or, si plusieurs des aspects du bilan des 35 heures donnent toujours lieu à des controverses entre économistes, notamment au regard des objectifs que l'on fixe à la politique économique, personne ne peut nier que la réduction du temps de travail a directement affecté les revenus de dizaines de milliers de salariés, notamment parmi les plus modestes. A tel point qu'aujourd'hui, l'amélioration du pouvoir d'achat est redevenu la question primordiale de nos concitoyens. De plus, il est manifeste, quels que soient les sondages d'opinion auxquels on se réfère, que le taux de satisfaction des salariés relevant de la législation sur les 35 heures est loin d'atteindre les 100 %.

Dans ce contexte, la proposition de loi de nos collègues députés Patrick Ollier, Hervé Novelli, Pierre Morange et Jean-Michel Dubernard, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale le 9 février dernier, vient à point nommé. Contrairement aux raccourcis complaisamment diffusés, elle ne remet nullement en cause les 35 heures, dispositif législatif auquel se sont adaptées, malgré les difficultés, la plupart des entreprises françaises concernées qui, dorénavant, ont avant tout besoin de stabilité. Pour l'essentiel, cette proposition de loi ouvre simplement aux salariés des espaces de liberté nouveaux leur permettant, dans le cadre d'une protection individuelle garantie par des accords collectifs, d'exercer véritablement un choix de rythme de travail. A cet égard, les protestations qu'elle suscite ne laissent pas d'être surprenantes tant il est vrai que donner aux salariés la faculté d'arbitrer entre revenus supplémentaires ou temps libre devrait faire l'objet d'un vaste consensus.

A cet objectif social s'ajoute un intérêt économique qui justifie pleinement que votre commission des affaires économiques ait souhaité se saisir pour avis de la présente proposition de loi : en effet, les avantages que peuvent obtenir les salariés d'un assouplissement de la législation sur le temps de travail rejoignent, en l'espèce, les attentes des entreprises. En cela, la réforme proposée par nos collègues députés est susceptible de redonner à l'activité économique des marges de manoeuvre qui lui seront extrêmement utiles lors du retour prochain de la croissance.

I. LE TEMPS DE TRAVAIL CHOISI : L'INTÉRÊT DES SALARIÉS À LA RENCONTRE DE CELUI DES ENTREPRISES

Votre commission des affaires économiques a tout naturellement décidé d'inscrire sa saisine dans le cadre fixé le 14 juillet 2004 par le Président de la République, lequel a solennellement rappelé, lors de son intervention devant les Français, que si la durée légale du travail fixée à 35 heures était un droit acquis, il convenait toutefois de donner plus de liberté tant aux travailleurs, ceux qui veulent travailler plus pour gagner plus devant pouvoir le faire, qu'aux entreprises, afin qu'elles puissent mieux s'adapter aux marchés et aux développements.

Dès lors, il n'appartenait pas à votre rapporteur pour avis d'exposer dans le détail les conséquences, positives ou négatives, de la réduction du temps de travail dans son principe et dans son ensemble, pas davantage que de rappeler l'historique de cette législation, de la loi « Robien » de 1996 jusqu'à la loi « Fillon » de 2003, en passant par les lois « Aubry » I et II de 1998 et 2000 ( ( * )*). Au reste, de nombreux rapports ont, l'an dernier, examiné de manière très claire, exhaustive et pertinente, ces problématiques, en en présentant le bilan circonstancié. Tel a notamment été le cas, en avril 2004, du rapport d'information n° 1544 de la mission d'information commune de l'Assemblée nationale sur l'évaluation des conséquences économiques et sociales de la législation sur le temps de travail, présidée par M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques et du développement du territoire, et dont le rapporteur était M. Hervé Novelli. Mais des analyses convergentes ont également été développées tant dans le rapport, intitulé « Pour un code du travail plus efficace » , remis par M. Michel de Virville au ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité en janvier 2004, que dans celui établi par un groupe de travail présidé par M. Michel Camdessus ( ( * )**), remis en octobre 2004 au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et intitulé « Le sursaut, vers une nouvelle croissance pour la France » .

Tout au plus sera-t-il opportun de rappeler rapidement les quelques faits caractéristiques de la durée du travail en France, dont, au demeurant, la réalité n'est guère contestable, afin de bien saisir l'intérêt du contenu de la proposition de loi. Il s'agira ensuite d'observer en quoi ce contenu, bien que mesuré, est susceptible de constituer un facteur de souplesse appréciable permettant aux entreprises de se préparer au retour annoncé de la croissance.

A. LES 35 HEURES, UNE LÉGISLATION SINGULIÈRE AUX EFFETS CONTRASTÉS

Actuellement, la durée hebdomadaire collective moyenne du travail des salariés à temps complet s'établit en France à 35,64 heures , niveau qui a été atteint dès la mi-2002. Cette durée moyenne est d'autant plus faible qu'est importante la taille de l'entreprise :

Taille de l'entreprise

Durée en heures en fin de trimestre

Variation sur 3 mois (en %)

Variation sur 12 mois (en %)

Toutes tailles confondues

35,64

0,0

0,0

10 à 19 salariés

36,85

-0,1

-0,3

20 à 49 salariés

36,14

-0,1

0,0

50 à 99 salariés

35,73

0,0

0,0

100 à 249 salariés

35,58

0,0

0,1

250 à 499 salariés

35,37

0,0

0,2

500 salariés ou plus

35,17

0,0

0,1

Source : Enquête trimestrielle sur l'activité et les conditions
d'emploi de la main d'oeuvre (ACEMO), METCS-Dares

Ainsi, comme l'indique le tableau suivant, près de 80 % de ces salariés travaillent moins de 36 heures par semaine :

Durée hebdomadaire du travail des salariés à temps complet par taille de l'entreprise,
proportion de salariés à temps partiel et au forfait jours ( ( * )*) au 3ème trimestre 2004

Répartition des salariés à temps complet par tranche de durée (en %)

Taux de temps partiel (en %)

Taux de salariés au forfait (en %)

Taille de l'entreprise

Entre 32 et moins de 35 heures

Entre 35 et moins de 36 heures

Entre 36 et moins de 38 heures

Entre 38 et moins de 39 heures

Entre 39 et moins de 40 heures

40 heures ou plus

Toutes tailles confondues

5,4

73,9

7,9

2,7

8,4

1,7

14,0

8,2

10 à 19 salariés

0,6

52,8

4,6

2,8

35,6

3,7

16,1

2,3

20 à 49 salariés

1,6

67,1

8,4

5,1

15,2

2,6

14,8

4,4

50 à 99 salariés

3,1

75,0

9,9

3,4

6,4

2,3

13,3

7,2

100 à 249 salariés

5,2

76,2

9,8

2,9

3,8

2,1

11,8

8,5

250 à 499 salariés

7,7

78,5

8,0

2,0

2,1

1,6

11,6

10,2

500 salariés ou plus

8,3

80,5

7,6

1,7

1,4

0,7

14,4

10,9

Source : ACEMO

Votre rapporteur pour avis rappelle pour mémoire qu'à la fin de 1998, près de 90 % des salariés travaillaient plus de 38 heures par semaine , la durée moyenne étant de 38,68 heures et les proportions par tranche de durée les suivantes :

Toutes tailles confondues

1,8

4,5

4,4

22,3

59,5

7,4

Source : ACEMO

Ainsi, l'une des caractéristiques de la situation française est bien la brutale rapidité du changement intervenu en moins de quatre ans : sur une si brève période, ce sont trois heures de travail hebdomadaire par salarié qui ont disparu en moyenne. Quelle économie serait-elle en mesure de supporter un tel choc, même en tenant compte des gains de productivité résultant de l'intensification des procès de travail ? Au reste, le tableau ci-dessous démontre que le volume trimestriel d'heures travaillées dans l'ensemble des entreprises du secteur concurrentiel, sans distinction de taille, était en juin 2004 tout juste identique à celui observé quatre ans plus tôt.

Evolution de l'emploi trimestriel moyen et du volume d'heures travaillées

Source : ACEMO

Le pari des promoteurs d'une telle réduction obligatoire, par voie législative, de la durée du travail était précisément que ce choc serait absorbé par une diminution du taux de chômage, la réduction du temps de travail devant s'accompagner d'un partage de celui-ci. S'il est inutile de revenir sur un débat qui a déjà eu lieu, il convient cependant de rappeler que même pour ses thuriféraires, cette liaison vertueuse n'allait manifestement pas de soi. En effet, les lois Aubry ont été accompagnées de dispositifs d'aides incitatives puis d'allégements de charges sociales destinés à en favoriser la mise en oeuvre. Il n'est d'ailleurs pas contesté que le bilan quantitatif avancé par les socialistes résulte pour beaucoup, indépendamment de ce que l'on peut penser de sa réalité, notamment à long terme, et du contexte macro-économique international de croissance dans lequel s'est inscrite la réforme, de ces mesures financières prises en charge par la collectivité. Au reste, nombre d'économistes soulignent que la réduction des charges sociales sur les bas salaires permet, à elle seule, de lutter efficacement contre le chômage sans qu'il soit besoin par ailleurs d'accélérer de manière artificielle le rythme tendanciel de diminution de la durée du travail.

Certes, la réduction du temps de travail n'a pas été uniformément négative pour l'économie française. Les grandes entreprises des services et surtout du secteur industriel ont su tirer parti de la réorganisation des processus productifs rendus nécessaires par la réforme : elles ont pu rationaliser leur organisation, mettre en place des systèmes flexibles permettant d'adapter leur capacité productive aux fluctuations du marché, jouer avec la modulation pour augmenter leur productivité, prendre le temps de négocier avec les organisations syndicales, externaliser les activités qui devenaient trop onéreuses, maximiser le bénéfice des aides publiques associées à la réforme. Ce faisant, elles ont effectivement limité la perte de compétitivité résultant de l'enchérissement du coût du travail.

Ces nombreuses contreparties, en revanche, n'ont pas été accessibles à la plupart des petites et moyennes entreprises. Une large part du tissu des PME françaises a ainsi été profondément déstabilisée par la réforme, notamment la catégorie des entreprises soumises à la concurrence internationale. Mais les problèmes d'enchérissement général des coûts, d'incapacité à répondre en flux tendu aux évolutions de la demande et aux exigences de dernière minute des clients, de recrutement de cadres ou de main d'oeuvre qualifiée, toujours plus tentés de rejoindre des grandes entreprises, ont bien été partagés par la plupart des PME, quel que soit le secteur dont elles relèvent. En ce sens, la réduction du temps de travail a considérablement renforcé les inégalités entre les entreprises. C'est d'autant plus vrai que, pour tenir compte du principe de réalité, il a bien fallu réserver un traitement particulier aux plus petites d'entre elles, dont la taille même interdisait qu'elles rentrent immédiatement dans le cadre général.

Cette inégalité entre les entreprises s'est évidemment étendue aux salariés, soumis à de multiples contradictions. Près d'un tiers d'entre eux ne sont aujourd'hui pas soumis à la législation sur les 35 heures et tous ou presque sont employés par des PME : si la réduction du temps de travail est un avantage, alors force est de constater qu'il est loin d'être également partagé ! A l'inverse, bien des salariés passés aux 35 heures ont subi de plein fouet les conséquences de la modération salariale sur laquelle a été gagée une partie de la réforme, de la diminution des heures supplémentaires en raison de leur enchérissement, ainsi que des limites contraignantes imposées dans la gestion de leur temps, notamment par la flexibilité. Ainsi, la réduction du temps de travail a directement affecté la rémunération de dizaines de milliers de salariés, notamment parmi les plus modestes. A tel point qu'aujourd'hui, l'amélioration du pouvoir d'achat est redevenue la question primordiale de nos concitoyens.

Avec cette réforme, la France s'est singularisée parmi les pays industrialisés. Il est vrai que la diminution de la durée du temps de travail est une tendance séculaire caractéristique des économiques développées, notamment grâce à l'amélioration continue de la productivité. Mais il s'agit d'un mouvement spontané, régulé par les réalités économiques. Nulle part ailleurs qu'en France, la diminution n'a été brutalement décidée par le pouvoir politique, ni réalisée avec tant d'ampleur aussi rapidement. Au reste, aucun pays européens, même ceux dirigés par des partis socialistes ou des coalitions de gauche, n'ont jamais cherché à adopter une législation similaire.

Ainsi, comme en témoignent les tableaux figurant page suivante, en France, en 2002 et 2003 :

- la durée hebdomadaire moyenne de travail des salariés à temps complet était, avec 38,8 heures, la plus faible des quinze Etats membres de l'Union européenne ;

- le nombre annuel d'heures effectivement travaillées par les salariés (1.467 heures) figurait également parmi les plus réduits de l'Union, seuls les Pays-Bas (en raison de l'importance du travail à temps partiel dans ce pays, proche de 45 %), la Suède (du fait de longues absences pour maternité et maladie) et le Danemark connaissant des résultats plus bas ; on peut relever que le total français étant de 39 heures inférieur à la moyenne européenne, cela signifie que les salariés français travaillaient une semaine de moins que la moyenne de leurs collègues européens ;

- en outre, cet indicateur était inférieur de 18 % à la durée annuelle de travail des salariés américains (ce qui consiste en un différentiel de huit semaines de travail par an !) et de 20 % à celle des travailleurs nippons (plus de neuf semaines).

Reste que, malgré ces constats qui témoignent des entraves que semble s'être volontairement imposé notre pays pour aborder la compétition économique internationale, il ne saurait être envisagé aujourd'hui, plus de cinq ans après sa mise en oeuvre, de revenir autoritairement sur cette législation. Les corrections essentielles qu'il était nécessaire d'apporter rapidement au dispositif l'ont été par la loi n° 2003-47 du 17 janvier 2003 relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi. Aujourd'hui, l'enjeu n'est donc plus de supprimer les 35 heures : le nombre des entreprises et des salariés du secteur privé concernés par la réduction du temps de travail est en effet désormais trop important ( ( * )*) pour prendre le risque de bouleverser une fois de plus le fonctionnement des entreprises, qui ont besoin de stabilité législative pour développer leurs activités dans la sérénité.

En revanche, dans un cadre général maintenu, il reste possible de donner davantage de souplesse à quelques mécanismes en s'appuyant sur l'approfondissement du dialogue social autorisé par la loi n° 2004-391 du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social, et en donnant plus de libertés aux salariés pour arbitrer entre temps libre et rémunérations supplémentaires.

Durée du travail hebdomadaire habituelle pour les salariés et proportion de l'emploi à temps partiel dans les pays de l'Europe des 15 en 2003

Durée habituelle (1)

UE 15

BEL

DAN

ALL

GRE

ESP

FRA

IRL

ITA

LUX

P.BAS

AUT

POR

FIN

SUE

RU

Salariés à temps complet

40,0

39,0

39,2

39,6

41,0

40,9

38,8

39,5

38,7

40,3

39,0

40,1

40,1

39,2

39,9

43,1

Salariés à temps partiel

19,8

22,8

19,2

17,8

20,8

18,4

23,3

17,3

23,8

20,6

19,3

22,1

20,3

20,2

22,8

18,9

% de l'emploi à temps partiel (2)

18,0

20,3

20,6

21,2

4,0

7,9

16,5

16,5

8,4

13,2

44,6

18,7

11,3

12,6

21,9

24,2

Ensemble des salariés

36,4

35,7

35,1

35,0

40,2

39,1

36,2

35,8

37,4

37,7

30,2

36,7

37,9

36,8

36,2

37,2

Source : Eurostat, Enquête sur les forces de travail

(1) Il s'agit du nombre d'heures habituellement effectuées par semaine : sont incluses toutes les heures, y compris les heures supplémentaires, payées ou non, effectuées habituellement, mais sont exclus le temps de déplacement entre le domicile et le travail et les pauses pour le repas principal. Pour les personnes qui n'ont pas d'horaire habituel, on prend en compte la moyenne des heures réellement effectuées par semaine au cours des quatre dernières semaines.

(2) Emploi à temps partiel en pourcentage de l'ensemble de l'emploi.

Nombre annuel d'heures effectivement travaillées par les salariés en équivalent année pleine dans les pays de l'Europe des 15 en 2002

UE 15

BEL

DAN

ALL

GRE

ESP

FRA

IRL

ITA

LUX

P.BAS

AUT

POR

FIN

SUE

RU

Durée annuelle

1.506

1.497

1.410

1.480

1.816

1.639

1.467

1.585

1.533

1.582

1.223

1.497

1.688

1.491

1.349

1.546

Source : OCDE, à partir des résultats de l'Enquête sur les forces de travail et les données de l'EIRO

Nombre annuel d'heures effectivement travaillées par les salariés en équivalent année pleine dans les autres pays de l'OCDE en 2002 (*)

Canada

Corée

USA

Hongrie

Islande

Japon

Mexique

NZ

Pologne

Slovaquie

Rép Tch

Suisse

Norvège

Durée annuelle

1.730

2.410

1.784

1.766

1.740

1.825

1.945

1.759

1.979

1.960

1.896

1.586

1.339

(*) Pays dont les données sont disponibles en 2002 Source : OCDE

A. B. FAVORISER LA SOUPLESSE ET LA RÉACTIVITÉ DES ENTREPRISES

Tout en demeurant dans le cadre fixé par le Président de la République, le Gouvernement a légitimement cherché à modifier les dispositions les plus pénalisantes de la législation sur le temps de travail dans un équilibre qui satisfasse à la fois les aspirations des salariés à augmenter leurs revenus et les nécessités des entreprises à disposer de facilités supplémentaires pour s'adapter aux évolutions de leurs marchés. Ces assouplissements ont essentiellement été apportés par la loi « Fillon » du 17 janvier 2003, et complétés par celle du 4 mai 2004.

1. Les premières mesures prises en 2003 et 2004

La loi n° 2003-47 du 17 janvier 2003 a tout d'abord réformé plusieurs dispositions du régime des heures supplémentaires :

- en monétisant la majoration des quatre premières d'entre elles, sauf disposition conventionnelle prévoyant l'attribution de repos compensateur ;

- en laissant à la négociation collective la responsabilité de fixer le taux de majoration des heures supplémentaires, dans la limite d'un plancher de 10 % (à défaut d'accord de branche étendu s'appliquent les taux légaux, soit 25 % puis 50 % à compter de la neuvième heure supplémentaire) ;

- en étendant la mise en oeuvre des règles relatives à la majoration du repos compensateur au dépassement du contingent d'heures supplémentaires fixé par la négociation collective (dès lors qu'il est inférieur au contingent réglementaire) ;

- en appliquant aux entreprises comptant de onze à vingt salariés le régime transitoire prévu pour les très petites entreprises (TPE) de moins de onze salariés qui déroge aux règles de déclenchement du repos compensateur obligatoire en ne prévoyant pas l'automaticité de la majoration de 50 % à partir de la 42 ème heure au sein du contingent annuel d'heures supplémentaires et en limitant à 50 %, au lieu de 100 %, la majoration applicable aux heures supplémentaires dépassant le contingent conventionnel.

Par ailleurs, elle a prorogé jusqu'au 31 décembre 2005 le dispositif transitoire spécifique aux TPE de 20 salariés au plus qui limite à 10 % seulement le taux de majoration des quatre premières heures supplémentaires. Dans le même esprit et par souci de cohérence, la loi n° 2004-391 du 4 mai 2004 a également prolongé jusqu'à cette date la mesure prévoyant que, pour ces entreprises de vingt salariés ou moins, l'imputation sur le contingent des heures supplémentaires ne commence qu'à compter de la 37 ème heure.

On ajoutera que le volet « heures supplémentaires » de la loi de 2003 a été complété, en application du décret n° 2003-258 du 20 mars 2003, par le relèvement du niveau du contingent réglementaire de 130 à 180 heures par an, sous réserve de l'application d'un seuil minoré fixé à 130 heures en cas de modulation. Ce contingent a été de nouveau majoré et fixé à 220 heures annuelles par un décret n° 2004-1381 du 22 décembre 2004, conformément aux engagements annoncés le 9 décembre 2004 par le Premier ministre dans le cadre de son « contrat France 2005 » .

La loi Fillon a également entrepris un double mouvement destiné à simplifier et à mettre en cohérence à la fois le régime des aides financières et celui du salaire minimum.

S'agissant des allégements de charges, les dispositifs complexes des lois Aubry, dont le bénéfice était conditionné par la réduction du temps de travail, ont été remplacés par une ristourne dégressive de 26 % des cotisations patronales pesant sur les salaires inférieurs à 1,7 fois le SMIC ( ( * )*), attribuée indépendamment de toute considération relative à l'organisation du temps de travail dans l'entreprise.

Par ailleurs, il a été mis fin, de façon progressive, à la multiplicité des garanties mensuelles de rémunération (GMR) de manière à parvenir, au 1 er juillet 2005, au rétablissement d'un SMIC unique, cette convergence retrouvée conduisant à une augmentation 11,4 % du salaire minimum. Outre qu'à l'évidence, le maintien de rémunérations minimales différentes était d'une complexité redoutable, ce système était générateur d'inégalités entre les salariés qui, s'agissant précisément des travailleurs les plus nombreux et les moins bien rémunérés, étaient profondément choquantes par leur iniquité.

Enfin, la loi Fillon s'est attachée à simplifier et assouplir plusieurs autres dispositions de la législation sur la réduction du temps de travail.

Elle a ainsi monétisé le compte épargne-temps (CET), dispositif jusqu'alors exclusivement destiné à permettre aux salariés de gérer sur plusieurs années une partie des droits à congé, repos ou récupération dont ils avaient pu bénéficier en application de la législation.

Elle a par ailleurs procédé à des ajustements dans les régimes de travail applicables aux cadres, en particulier des cadres intégrés dont la spécificité à l'intérieur de l'entreprise a été distinguée par la reconnaissance du critère fonctionnel et la suppression de la condition liée à une durée de travail prédéterminée, ainsi que des cadres autonomes, désormais simplement définis comme les cadres disposant de la faculté d'organiser leur emploi du temps, sans référence à leurs fonctions ou responsabilités.

Elle a enfin étendu l'application du forfait annuel horaire aux salariés itinérants non-cadres en rendant alternatifs les deux critères nécessaires à la mise en oeuvre de ce régime, qui étaient jusqu'alors cumulatifs : impossibilité de déterminer la durée de travail de ces salariés et autonomie de ceux-ci dans l'organisation de leur emploi du temps.

2. Les compléments à apporter

Si cet ensemble de dispositions a rapidement permis aux salariés et aux entreprises de bénéficier des ajustements absolument nécessaires pour limiter les effets pénalisants de la législation sur les 35 heures, il semble encore possible, dans le cadre de la négociation collective rénovée par la loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social, d'ouvrir de nouvelles fenêtres de liberté afin en particulier de permettre aux salariés qui veulent gagner plus de travailler plus.

La loi du 4 mai 2004 a en effet considérablement enrichi les opportunités de développer un droit social conventionnel en ne soumettant plus, pour le cas général, les accords d'entreprise aux accords de branche, ni ces derniers aux accords professionnels. Dans le même temps, tant pour protéger les intérêts des salariés de toute perversion du dialogue entre les partenaires sociaux que pour responsabiliser ces derniers, les accords concernés devront être désormais signés par des organisations syndicales assurant, à leur niveau, une représentation majoritaire des salariés.

C'est dans ce cadre conventionnel rénové que pourraient s'inscrire les nouveaux assouplissements envisagés par la proposition de loi. Celle-ci, en effet, suggère de développer plus avant les pistes ouvertes par la loi Fillon du 17 janvier 2003 en ce qui concerne :

la gestion du compte épargne-temps

Actuellement, le CET est très peu utilisé : alors même que sa création remonte à plus de dix ans ( ( * )*), on estime à moins de 30 % la proportion des salariés du secteur privé susceptibles d'être en mesure d'en ouvrir un et à tout juste 5 % la part de ceux y ayant effectivement recours régulièrement. Il est vraisemblable que cette faiblesse résulte de sa complexité d'usage ainsi que des limitations posées à sa valorisation, notamment sous forme monétaire. Or, ce dispositif pourrait sans doute se développer s'il bénéficiait de simplifications nouvelles, en ce qui concerne tant ses modes d'alimentation que son utilisation.

le développement du temps choisi

L'un des effets pervers du mécanisme légal d'organisation du temps de travail dans l'entreprise est qu'il empêche les salariés qui le souhaitent individuellement de travailler plus pour augmenter leurs revenus. La modération salariale ayant accompagné le processus progressif de mise en oeuvre des 35 heures a ainsi contraint un certain nombre de travailleurs à subir la stagnation de leur pouvoir d'achat sans disposer de la faculté d'accroître leur rémunération par une augmentation de la durée de leur travail.

A l'inverse, nombre de petites entreprises se trouvent souvent conduites à refuser de répondre favorablement à une possibilité d'accroissement temporaire de leur activité. En effet, elles sont trop petites pour disposer d'un volant de main d'oeuvre permettant de jouer, par le jeu du contingent légal ou conventionnel des heures supplémentaires, avec les aléas de cette activité. Par ailleurs, l'accroissement conjoncturel de la demande ne saurait à lui seul justifier l'embauche d'un nouveau salarié. Enfin, la nature de la commande ou les caractéristiques du ou des emplois concernés interdisent souvent de pouvoir la satisfaire par le recrutement d'un intérimaire ou d'un salarié à contrat à durée déterminé.

On ne peut que déplorer cette situation paradoxale où la loi rend très difficile, en le pénalisant financièrement, l'accroissement temporaire de la durée du travail, quand bien même le salarié et le chef d'entreprise le souhaiteraient et y auraient intérêt.

De même, il convient de prendre en compte la situation de diverses catégories de cadres qui ne peuvent concilier l'organisation de leur travail et les impératifs de résultats auxquels ils sont soumis qu'en renonçant, sans contrepartie, à certains de leurs droits.

les dispositions propres aux entreprises de vingt salariés au plus

Malgré les délais laissés par les loi Aubry puis par la loi Fillon de 2003, un nombre significatif de petites entreprises de vingt salariés et moins n'ont pas encore été en mesure d'organiser, par la voie de la négociation collective, un régime propre de majoration des heures supplémentaires. Or, les conditions mêmes du dialogue social ont été substantiellement modifiées par la seconde loi Fillon de 2004, ce qui impose d'ouvrir un délai supplémentaire aux partenaires sociaux pour leur permettre de s'approprier et de mettre correctement en oeuvre ces nouvelles conditions.

En outre, par parallélisme avec les mesures d'assouplissement envisagées en ce qui concerne tant le compte épargne-temps que le développement du temps choisi, il semble opportun d'offrir aux salariés de ces très petites entreprises la faculté de valoriser, eux aussi, une partie des temps de repos dont ils disposent en contrepartie monétaire. Tout comme la mesure précédente, cette disposition ne pourrait être que temporaire, dans l'attente que des accords collectifs permettent le développement du CET dans les entreprises.

* (*) Loi n° 96-502 du 11 juin 1996 tendant à favoriser l'emploi par l'aménagement et la réduction conventionnels du temps de travail.

Loi n° 98-461 du 13 juin 1998 d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail.

Loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail.

Loi n° 2003-47 du 17 janvier 2003 relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi.

* (**) Entendu en audition par votre commission pour avis le mercredi 9 février 2005.

* (*) Nombre de salariés au forfait rapporté au nombre de salariés à temps complet.

* (*) Selon les statistiques fournies par le ministère délégué aux relations du travail, étaient passés aux 35 heures, au 30 juin 2003, 327.230 entreprises (dont notamment 82 % de celles de plus de 200 salariés et 55 % de celles de plus de 20 salariés) et 9.871.215 salariés, soit 58,4 % des salariés du privé.

* (*) Ce plafond a cependant été limité à 1,6 SMIC par l'article 129 de la loi de finances pour 2005.

* (*) Article 29 de la loi n° 94-640 du 25juillet 1994 relative à l'amélioration de la participation des salariés dans l'entreprise créant un article L. 227-1 nouveau du code du travail.

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