TITRE V
SIMPLIFICATIONS RELATIVES
À LA VIE DE L'ENTREPRISE

Article 23
Société civile artisanale à responsabilité limitée

Cet article tend à créer une nouvelle forme sociale destinée à permettre l'exercice d'une activité de nature artisanale dans le cadre d'une société civile spécifique : la « société civile artisanale à responsabilité limitée » (SCARL).

L'instauration d'une forme particulière de société civile serait justifiée, selon l'exposé des motifs du présent projet de loi, par le souci « d'offrir un cadre juridique plus adapté aux besoins des artisans et d'inciter ces derniers, globalement attachés à l'entreprise individuelle, à faire le choix de créer une société qui permettra notamment la séparation du patrimoine personnel de l'entrepreneur de celui de l'entreprise. »

1. Les conditions actuelles d'exercice de l'activité artisanale

Depuis la loi n° 96-603 du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat, l'artisan est défini comme la personne physique ou morale, lorsque cette dernière n'emploie pas plus de dix salariés, qui exerce « à titre principal ou secondaire une activité professionnelle indépendante de production, de transformation, de réparation ou de prestation de service relevant de l'artisanat et figurant sur une liste établie par décret après consultation de l'assemblée permanente des chambres de métiers, de l'assemblée des chambres françaises de commerce et d'industrie et des organisations professionnelles représentatives . » 54 ( * )

A l'heure actuelle, les artisans sont encore nombreux à exercer leur activité sous forme individuelle . Selon les informations communiquées à votre rapporteur, en 2003 les entreprises artisanales étaient ainsi, pour 58 % d'entre elles, des entreprises individuelles .

Répartition des artisans (au 1 er janvier 2005) selon leur statut juridique


Ensemble

Dont ceux exerçant une activité artisanale à titre principal

Dont ceux exerçant une activité artisanale à titre secondaire

Entreprises individuelles

Sociétés

501 293

369 481

442 070

281 659

59 223

87 822

France entière

870 774

723 729

147 045

Source : Répertoire Sirène des entreprises artisanales au 1 er janvier 2005 - DCSPL [A1]

Ce mode traditionnel d'exercice n'est pas sans risque pour l'artisan. Compte tenu du principe de l'unicité du patrimoine des personnes juridiques, l'artisan personne physique ne connaît pas de séparation de ses droits et obligations, qu'ils soient attachés à son activité privée ou à son activité artisanale. Aussi, en l'absence de possibilité « d'affecter » une partie du patrimoine d'une personne physique exerçant une activité artisanale aux seuls besoins de son activité professionnelle, celle-ci peut être poursuivie sur la totalité de son patrimoine lorsque naissent des dettes contractées à titre professionnel.

La création d'une société peut, en revanche, permettre à l'artisan de protéger son patrimoine personnel . Dans ce cas, deux patrimoines distincts coexistent : le patrimoine de l'artisan personne physique et le patrimoine de la société dont il est l'un des associés, voire l'associé unique.

Le droit français présente aujourd'hui un éventail particulièrement large de formes sociales comportant des caractéristiques particulières liées notamment à l'engagement de responsabilité des associés au regard des actes accomplis par la société, ainsi que des modalités de fonctionnement, plus ou moins strictes, de cette dernière.

En fonction de l'objet de l'activité exercée, la société créée peut être une société civile ou une société commerciale.

La société civile , régie par les articles 1845 et suivants du code civil, permet l'exercice d'activités non commerciales. Elle convient donc tout à fait à l'activité artisanale, cette dernière n'ayant pas une nature commerciale, dans la mesure où l'artisan n'accomplit pas d'actes de commerce au sens de l'article L. 110-1 du code de commerce. Toutefois, ses associés sont responsables personnellement et indéfiniment des dettes sociales sur leur patrimoine personnel, sans que leur responsabilité soit limitée à la hauteur de leur participation dans le capital social. Si les patrimoines de l'artisan et de la société civile sont donc séparés, ils ne le sont pas pour autant de manière étanche, l'artisan pouvant être poursuivi sur son patrimoine propre parfois bien au-delà de son apport.

Le droit français présente une variété importante de sociétés commerciales qui permettent, pour certaines d'entre elles, de limiter l'engagement de responsabilité de ses associés à la hauteur de leur apport. 55 ( * ) Tel est notamment le cas de la société à responsabilité limitée (SARL) et des sociétés par actions que sont la société anonyme (SA), la société en commandite par actions (SCA) et la société par actions simplifiée (SAS). Ces formes se distinguent les unes des autres par certains caractères propres :

- la SARL est marquée par un intuitus personae important et se prête plus particulièrement, par ses modalités de fonctionnement, à l'activité des petites et moyennes entreprises. Non soumise à un capital social minimum, elle peut notamment être constituée par une seule personne et est alors communément dénommée « entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée » (EURL) ;

- la SA, dont les modalités d'organisation sont détaillées avec une grande précision au niveau législatif, permet notamment de faire appel public à l'épargne et est, de ce fait, plus adaptée pour les entreprises d'une certaine taille. Toutefois, elle peut également convenir à certaines PME, bien que les lourdeurs de son fonctionnement soient souvent dénoncées ;

- la SCA allie les avantages de la société de personnes et de capitaux. Elle institue deux catégories d'associés : les commandités, qui seuls peuvent être désignés associés gérants et qui sont responsables indéfiniment et solidairement du passif social ; et les commanditaires qui ne sont responsables qu'à hauteur du montant de leur apport. La coexistence de ces deux types d'associés, source d'une certaine lourdeur de fonctionnement, explique cependant le faible recours à cette forme sociale ;

- la SAS, dernière née des sociétés commerciales, est une forme extrêmement souple dans laquelle le contrat de société détermine l'essentiel de la vie sociale. Les actionnaires n'y répondent du passif que dans la limite de leur apport. La souplesse d'organisation de cette société explique qu'elle soit de plus en plus utilisée. Toutefois, sa constitution requiert un capital social minimum, ce qui peut constituer un frein à son utilisation par les petites entreprises.

Les artisans qui le souhaitent peuvent d'ores et déjà recourir à l'une quelconque de ces formes sociales, ce qui leur permet de protéger leur patrimoine personnel des conséquences que pourrait avoir l'exercice de leur activité. Toutefois, le choix de la société commerciale implique un certain nombre de contraintes, en particulier en matière de publicité des comptes sociaux. En outre, l'activité artisanale, civile par nature, est alors exercée par une personne morale commerciale par sa forme.

Le souhait de ne pas imposer aux artisans les contraintes inhérentes à la société commerciale tout en limitant la responsabilité de ces derniers à la hauteur de leur participation au capital social a donc conduit le Gouvernement à proposer de créer par le présent article une société civile à responsabilité limitée.

2. Les caractères de la société civile artisanale à responsabilité limitée

Le dispositif proposé par le projet de loi puise en réalité son inspiration dans les dispositions du code rural relatives aux sociétés civiles d'exploitation agricole (SCEARL) 56 ( * ) . La société civile artisanale à responsabilité limitée (SCARL) serait donc une société régie, pour l'essentiel, par le code civil, mais dans laquelle les associés ne seraient tenus au passif que dans les limites de leur apport.

? Constitution de la société et engagements des associés

En vertu du premier paragraphe (I) de cet article, le régime juridique de la SCARL serait, par principe, défini par renvoi aux dispositions des chapitres premier et II du titre IX du livre III du code civil. En conséquence, sous réserve des dispositions du présent article, ses modalités de constitution et de fonctionnement, et en particulier les pouvoirs de la gérance, les règles dans lesquelles sont prises les décisions collectives, les conditions d'information des créanciers, l'étendue de l'engagement de responsabilité des associés à l'égard des tiers, les conditions de cession des parts sociales ainsi que les effets du retrait ou du décès des associés, seraient régis par les articles 1845 à 1870-1 du code civil 57 ( * ) .

Par exception à ce principe, la SCARL présenterait certaines caractéristiques la distinguant du droit commun des sociétés civiles .

Ainsi, elle pourrait être constituée par une ou plusieurs personnes physiques .

Le souhait du Gouvernement étant que la SCARL puisse, le cas échéant, être dotée d'un seul associé a logiquement conduit à rendre inapplicables les dispositions de l'article 1844-5 du code civil prévoyant la dissolution judiciaire lorsque les parts de la société civile artisanale à responsabilité limitée sont réunies en une seule main.

Reprenant presque à l'identique la rédaction des deuxième et troisième alinéas de l'article L. 223-1 du code de commerce, applicable à la société à responsabilité limitée, le texte proposé prévoirait en outre que, dans l'hypothèse où la société civile artisanale à responsabilité limitée serait constituée par une seule personne, cette dernière, dénommée « associé unique » exercerait les pouvoirs normalement dévolus à l'assemblée des associés. La société serait désignée par une dénomination à laquelle pourrait être incorporé le nom d'un ou plusieurs associés, et qui devrait être précédée ou suivie immédiatement des mots « société civile artisanale à responsabilité limitée » ou des initiales « SCARL », ainsi que de l'énonciation du capital social.

Toutefois, en vertu du deuxième paragraphe (II) de cet article, la SCARL ne pourrait réunir plus de dix associés. Cette limitation revêt une certaine cohérence avec les dispositions de l'article 19 de la loi précitée du 5 juillet 1996 qui définissent l'entreprise artisanale comme une entreprise employant moins de dix salariés. L'entreprise artisanale est, par nature, une petite entreprise constituée de peu de personnes physiques et employant un personnel salarié restreint. A ce titre, cette limitation très stricte du nombre d'associés constituerait l'une des principales différences avec la société à responsabilité limitée qui peut désormais accueillir jusqu'à cent associés 58 ( * ) .

Par dérogation aux règles applicables aux sociétés civiles, les associés de la SCARL ne supporteraient les pertes de la société qu'à hauteur de leurs apports . Cette rédaction est empruntée de celle figurant au premier alinéa de l'article L. 223-1 du code de commerce, applicable à la société à responsabilité limitée.

Selon le texte proposé, la personnalité juridique de la société ne serait reconnue qu'à compter de son immatriculation au registre du commerce et des sociétés. Une telle précision ne s'imposait cependant sans doute pas dès lors que l'article 1842 du code civil, qui contient une règle similaire, serait pleinement applicable à la SCARL 59 ( * ) .

? Objet exclusif de la société

L'objet de la SCARL serait très strictement encadré par le II de cet article. Il serait limité à l'exercice d'activités artisanales au sens de l'article 19 de la loi précitée du 5 juillet 1996 . Ces activités sont énumérées, de façon limitative, par l'annexe du décret n° 98-247 du 2 avril 1998 relatif à la qualification artisanale et au répertoire des métiers.

Aux termes de ce texte, sont considérées comme artisanales des activités de natures très diverses, appartenant à l'une des quatre catégories de métiers suivantes :

- métiers de l'alimentation . Il s'agit, entre autre, des activités de boulangerie-patisserie, de fabrication de produits laitiers, de conservation et de transformation de produits de la mer, de fruits et de légumes ;

- métiers du bâtiment . Sont notamment concernées les activités de maçonnerie, de couverture, plomberie et chauffage, de menuiserie et serrurerie, d'installation électrique et d'isolation ;

- métiers de fabrication . Sont en particulier visées les activités de fabrication d'articles textiles, de vêtements ou chaussures de cuir, de travail du bois, de fabrication de matériel agricole ;

- métiers de service . Il s'agit notamment des activités de coiffure, de soins de beauté, de cordonnerie, de taxi, d'ambulance et de déménagement.

En conséquence, l'objet unique de la SCARL serait d'exercer une ou plusieurs de ces activités.

La rédaction retenue exclurait la possibilité d'exercer une activité de nature commerciale, quelle qu'elle soit. Aussi l'artisan qui se prêterait accessoirement à une activité commerciale à côté de son activité artisanale 60 ( * ) ne pourrait-il pas se constituer sous la forme d'une SCARL. Il devrait obligatoirement recourir à une société commerciale.

? Capital social

Les troisième à huitième paragraphes (III à VIII) de cet article comprendraient des dispositions spécifiques relatives au capital social et aux apports des associés. Celles-ci reproduiraient plus ou moins à l'identique les dispositions des articles L. 223-2, L. 223-7 à L. 223-9 du code de commerce, relatives aux SARL, ainsi que celles des articles L. 324-4 et L. 324-10 du code rural, applicables aux SCEARL.

Divisé en parts égales, le capital social ne serait pas soumis à un montant minimal . Les statuts fixeraient en toute liberté ce montant, ce qui rapprocherait la SCARL du nouveau régime de la société à responsabilité limitée qui, depuis la loi n° 2003-721 du 1 er août 2004 sur l'initiative économique, peut être constituée avec un capital d'un euro.

Toutefois, si la création d'entreprise doit être encouragée et si un capital social extrêmement réduit peut faciliter cette création, il faut être conscient qu'une société dotée de capitaux quasi-inexistants n'a, lorsque surviennent des difficultés, que peu de chances de résister, comme l'a souligné notre collègue Jean-Jacques Hyest dans son récent rapport au nom de la commission des lois sur le projet de loi de sauvegarde des entreprises 61 ( * ) . Aussi les dispositions du présent projet de loi définissent-elles précisément les conditions dans lesquelles ce capital est constitué.

Le capital de la SCARL pourrait être constitué par des apports en numéraire et par des apports en nature . Dans ce dernier cas, le texte proposé définit précisément les conditions d'évaluation de ces derniers.

Ainsi, l'évaluation de chaque apport en nature devrait figurer dans les statuts. Celle-ci se ferait au vu d'un rapport annexé aux statuts et établi sous sa responsabilité par un commissaire aux apports désigné à l'unanimité des futurs associés, ou, à défaut, par une décision de justice à la demande du futur associé le plus diligent. Toutefois, les futurs associés pourraient décider, à l'unanimité, que le recours à un commissaire aux apports ne sera pas obligatoire lorsqu'aucun apport en nature n'excède 7 500 € et que la valeur totale de l'ensemble des apports en nature non soumis à l'évaluation d'un commissaire aux apports n'excède pas la moitié du capital.

Lorsque la société est constituée par un associé unique, il reviendrait à ce dernier de désigner le commissaire aux apports.

Les associés solidairement, ou l'associé unique, seraient responsables pendant cinq ans, à l'égard des tiers, de la valeur attribuée aux apports en nature lors de la constitution de la société.

Une fois constitué, le capital social donnerait lieu à l'attribution de parts sociales selon une répartition établie par les statuts.

Ces parts devraient être souscrites en totalité par les associés. En revanche, les conditions de leur libération seraient variables selon la nature de l'apport qu'elles représentent :

- les parts représentant des apports en nature devraient être intégralement libérées ;

- les parts représentant les apports en numéraire n'auraient, en revanche, à être libérées que pour le cinquième de leur montant. La libération du surplus pourrait intervenir par la suite, en une ou plusieurs fois, sur décision du gérant, dans un délai ne pouvant excéder cinq ans à compter de l'immatriculation de la société. Toutefois, le capital social devrait être intégralement libéré avant toute souscription de nouvelles parts sociales à libérer en numéraire. Le non respect de cette règle entraînerait la nullité de l'opération de souscription.

Il reviendrait par ailleurs aux statuts de déterminer les modalités selon lesquelles pourraient être souscrites des parts sociales en industrie.

Les fonds provenant de la libération des parts sociales devraient alors être déposés dans des conditions et délais déterminés par décret en Conseil d'État.

Le texte préciserait les règles applicables en l'absence d'immatriculation de la société au registre du commerce et des sociétés .

Ainsi, les fonds provenant de la libération des parts sociales ne pourraient être retirés par le mandataire de la société avant l'immatriculation.

Dans l'hypothèse où la société ne serait pas constituée dans un délai de six mois à compter du premier dépôt de fonds ou n'aurait pas été immatriculée dans ce même délai, les apporteurs pourraient individuellement demander en justice l'autorisation de retirer le montant de leurs apports. Dans les mêmes cas, un mandataire représentant tous les apporteurs pourrait également demander directement au dépositaire le retrait des fonds.

Si, après l'expiration du délai susmentionné, les apporteurs décidaient malgré tout de constituer la société, il devrait être procédé à nouveau au dépôt des fonds.

? Droits de vote

En vertu du dernier paragraphe (IX) de cet article, les associés disposeraient de droits de vote proportionnels au nombre de parts sociales qu'ils détiennent.

3. La position de la commission

Tout en comprenant les objectifs ayant guidé le Gouvernement dans la création de la société civile artisanale à responsabilité limitée, votre commission n'est pour autant pas convaincue que cette nouvelle forme sociale se justifie .

En effet, elle considère qu'il existe déjà de nombreuses structures permettant actuellement l'exercice en société d'une activité artisanale .

En outre, cette société ne paraît pas apporter de grandes innovations dans la mesure où :

- si elle permet de séparer le patrimoine de l'entreprise du patrimoine propre du chef d'entreprise, elle ne répond pas aux attentes de certains artisans qui souhaiteraient voir reconnu l'affectation du patrimoine lorsqu'ils exercent en entreprises individuelles. Pour bénéficier des dispositions de la SCARL, il convient de se constituer en société ;

- s'il s'agit d'une société civile, elle n'est pas pour autant exclue de l'inscription au registre du commerce et des sociétés. La double immatriculation demeure donc ;

- les modalités de création et de fonctionnement ne sont pas beaucoup plus simples. Certes les artisans ne seraient pas soumis à la publicité des comptes annuels, mais votre commission considère que cette exigence doit demeurer une nécessité pour toute société. En effet, elle contribue à assurer une certaine transparence sur la situation financière de l'entreprise, ce qui peut permettre de mieux anticiper les éventuelles difficultés qu'elle rencontre.

En outre, conformément aux intentions affirmées par le Gouvernement et aux informations recueillies par votre rapporteur, la SCARL devrait uniquement concerner des sociétés exerçant des activités artisanales , en aucun cas commerciales. Seule la vente de leur propre production ou de prestations de service seraient possibles. Il existe en conséquence un risque que cette nouvelle forme sociale ne concerne que peu d'artisans. De plus, le chef d'entreprise serait tenu de changer la forme sociale de son entreprise dès lors qu'il déciderait d'exercer une activité commerciale propre.

Enfin, il n'est pas du tout assuré que cette nouvelle structure attire les artisans exerçant actuellement leur activité en entreprises individuelles, n'ayant pas choisi de se constituer en société commerciale .

A supposer que l'objectif soit uniquement de consacrer dans une nouvelle société le caractère civil de l'activité artisanale, tout en comprenant l'importance de cette revendication, votre commission considère qu'elle ne constitue pas pour autant une justification suffisante pour la création d'une forme sociale. Elle estime que, derrière l'apparence novatrice de la SCARL, la création de cette société ne répondrait pas aux véritables attentes des artisans et ne se distinguerait pas suffisamment de la SARL et de l'EURL.

Pour toutes ces raisons, votre commission, comme l'a fait votre commission des affaires économiques saisie au fond, vous soumet un amendement de suppression de l'article 23 .

Article 24
(art. L. 223-31 du code de commerce)
Approbation des comptes de la société à responsabilité limitée
dont l'associé unique est gérant

Cet article tend à supprimer l'obligation distincte d'approbation des comptes dans les sociétés à responsabilité limitée dotées d'un associé unique ayant la qualité de gérant. A cette fin, il modifierait l'article L. 223-31 du code de commerce.

L'article L. 223-31 du code de commerce prévoit des règles particulières de fonctionnement lorsque la société à responsabilité limitée ne comporte qu'un seul associé, c'est-à-dire apparaît comme une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL).

Dans ce cas, en effet, il n'est pas tenu d'assemblée, l'associé unique approuvant les comptes de la société et le gérant étant chargé d'établir ces derniers ainsi que le rapport de gestion et l'inventaire. Les décisions prises par l'associé unique au lieu et place de l'assemblée doivent être répertoriées dans un registre. Le non respect de ces obligations peut donner lieu à une annulation à la demande de tout intéressé.

Le présent article a pour but d'alléger le fonctionnement de l'EURL en supprimant la procédure de l'approbation des comptes lorsque l'associé unique est lui-même le gérant de la société.

Ainsi, la seule formalité du dépôt au registre du commerce et des sociétés tenu par le greffe du tribunal de commerce du rapport de gestion, de l'inventaire et des comptes annuels vaudrait approbation des comptes , à condition toutefois :

- d'une part, que ces documents soient revêtus de la signature du gérant-associé unique ;

- d'autre part, que ce dépôt intervienne dans les six mois de la clôture de l'exercice social .

Votre commission est favorable à cette mesure de simplification, dès lors que la même personne revêt les deux qualités d'associé unique et de gérant.

Elle vous soumet cependant un amendement afin de préciser que cette simplification est limitée au cas où l'associé unique est seul gérant de la société. En effet, aux termes de l'article L. 223-18 du code de commerce, plusieurs gérants peuvent être désignés. Dans l'hypothèse où l'EURL aurait plusieurs gérants, votre commission estime nécessaire de maintenir l'obligation d'approbation des comptes.

Votre commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 24 ainsi modifié .

Article 25
(art. L. 223-30 du code de commerce)
Quorum et majorité exigés pour les modifications statutaires
dans la société à responsabilité limitée

Cet article tend à instituer un quorum pour les assemblées de sociétés à responsabilité limitée ayant pour objet de modifier les statuts, tout en abaissant la règle de majorité à laquelle une telle modification peut être adoptée . A cet effet, il modifierait les dispositions de l'article L. 223-30 du code de commerce.

Déterminant les conditions dans lesquelles peut intervenir une modification statutaire dans la société à responsabilité limitée, l'article L. 223-30 du code de commerce prévoit trois situations distinctes :

- l'exigence d'une unanimité des associés pour changer la nationalité de la société ;

- la nécessité d'un vote représentant plus de la moitié des parts sociales pour décider de l'augmentation du capital par incorporation de bénéfices ou de réserves ;

- une décision à la majorité des trois quarts des parts sociales pour toute autre modification statutaire.

La modification proposée par la présente disposition ne concernerait que ce dernier cas.

? En vertu du de cet article, les modifications statutaires pourraient désormais intervenir, par principe, à la majorité des deux tiers au moins des parts sociales détenues par les associés présents ou représentés à l'assemblée .

Cet abaissement de la règle de majorité requise peut sembler, de prime abord, aller à l'encontre du caractère intuitu personae de la société à responsabilité limitée. Toutefois, il est justifié par le relèvement du nombre maximal d'associés de cette forme sociale, opéré par l'ordonnance précitée du 24 mars 2004.

Désormais, les sociétés à responsabilité limitée peuvent accueillir jusqu'à cent associés, alors qu'auparavant, la limite maximale était fixée à cinquante. Cette extension a nécessairement des conséquences sur la prise des décisions au sein de ces sociétés, la majorité des trois quarts étant plus difficilement atteinte lorsque le nombre d'associés est important.

En outre, la pratique a montré que la règle de majorité actuelle constituait une source de rigidité trop importante dans les SARL.

Or, il convient d'éviter les situations de blocage, les statuts de la société devant souvent être modifiés pour tenir compte de l'environnement économique et juridique de l'entreprise, par nature fluctuant. L'abaissement de la majorité nécessaire pour la modification des statuts aux deux tiers des parts des associés présents ou représentés devrait donc être de nature à réduire les risques de blocage.

En contrepartie, la nouvelle rédaction retenue supprimerait la disposition actuelle selon laquelle les modifications statutaires prévoyant une règle de majorité plus élevée que la majorité légale sont réputées non écrites. En conséquence, il faudrait en déduire, dans le silence du texte, que les statuts pourraient dorénavant durcir la règle de majorité imposée par l'article L. 223-30 dans sa nouvelle rédaction .

Le présent article prévoirait, en outre, l'introduction de règles de quorum pour que les assemblées des associés chargées de modifier les statuts puissent se prononcer valablement.

Le quorum est le nombre d'associés qui doivent être présents ou représentés lors d'une assemblée afin que celle-ci prenne des décisions valables. A défaut d'un tel quorum, l'assemblée ne délibère pas valablement et ses décisions sont soumises à un régime d'annulation ou de nullité.

L'institution d'une règle de quorum se justifie également par l'accroissement du nombre maximal d'associés et surtout par l'abaissement envisagé de la majorité qualifiée nécessaire pour procéder à des modifications statutaires. Dès lors que la majorité requise devient celle des associés présents ou représentés , et non plus l'ensemble des associés de la société, il convient que les décisions prises par l'assemblée des associés reflètent réellement la volonté d'une majorité d'entre eux. Le dispositif proposé s'inspirerait des règles applicables dans les sociétés anonymes, et qui devraient d'ailleurs être aménagées par le projet de loi pour la confiance et la modernisation de l'économie, qui sera prochainement examiné en première lecture par l'Assemblée nationale 62 ( * ) .

Ainsi, sur première convocation , l'assemblée des associés ne pourrait valablement se prononcer sur une modification statutaire que si les associés présents ou représentés possèdent au moins le quart des parts sociales. Le projet de loi propose un seuil bas pour limiter les risques de blocage dans la prise de décision.

A défaut d'atteindre un tel quorum, l'assemblée serait alors prorogée à une date postérieure de deux mois au plus à celle à laquelle elle avait été initialement convoquée. Elle se prononcera alors sans condition de quorum.

Votre commission est favorable à l'abaissement de la règle de majorité et à l'institution d'un quorum, ces solutions allant dans le sens d'un allègement des contraintes pesant sur les assemblées d'associés. Le dispositif proposé comporte une lacune puisque la prorogation de la seconde assemblée serait prévue alors qu'elle n'a pas été convoquée. En outre, une règle de quorum devrait être instituée pour la seconde convocation de l'assemblée des associés .

Votre commission souligne également que la société à responsabilité limitée doit pouvoir rester caractérisée par un intuitus personae marqué si les associés le souhaitent. Cette considération conduit à permettre d'adapter les règles de majorité et de quorum prévus par la présente disposition afin de les renforcer.

La commission des affaires économiques ayant adopté un amendement de réécriture globale du présent article, votre commission vous soumet deux sous-amendements tendant :

- pour l'un, à prévoir que, sur seconde convocation, le quorum est fixé au cinquième des parts sociales. Le régime des quorums serait ainsi aligné sur celui qui serait prévu dans la société anonyme par l'article 2 du projet de loi sur la confiance et la modernisation de l'économie ;

- pour l'autre, à préciser que les statuts peuvent prévoir un quorum ou une majorité plus élevés, sans toutefois pouvoir, pour cette dernière, exiger l'unanimité des associés .

? En vertu du de cet article , l'application des modifications proposées par le 1° serait limitée, en principe, aux sociétés à responsabilité limitée constituées après la publication de la présente loi .

Cette disposition d'application dans le temps est destinée à protéger les sociétés à responsabilité limitée préexistantes des conséquences que pourrait produire l'abaissement de la règle de la majorité. En effet, lorsque le contrat de société a été conclu, les associés ont pris en considération les conditions légales de majorité existantes au sein de la structure sociale nouvelle. Or, la modification des règles de majorité pourrait déstabiliser les équilibres ainsi créés.

En revanche, les associés peuvent souhaiter appliquer les nouvelles règles de quorum et de majorité introduites par le présent article. Aussi le présent paragraphe prévoit-il opportunément que les associés pourront, à l'unanimité, décider que la société se verra appliquer les règles prévues par le présent article. Votre commission juge ce dispositif équilibré et respectueux de la volonté des parties au contrat de société.

Votre commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 25 ainsi modifié .

* 54 Article 19 de la loi n° 96-603 du 5 juillet 1996.

* 55 La séparation des patrimoines peut cependant être mise à mal en pratique par l'exigence de certains créanciers d'obtenir des associés dirigeants de la société des garanties personnelles, telles que des cautions, dont la mise en jeu conduit à la poursuite de l'entrepreneur sur ses biens propres.

* 56 Articles L. 324-1 à L. 324-11 du code rural.

* 57 Articles 1845 à 1870-1 du code civil.

* 58 Voir l'article L. 223-3 du code de commerce dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2004-274 du 25 mars 2004 portant simplification du droit et des formalités de l'entreprise.

* 59 En outre, bien que le texte ne le précise pas, la SCARL serait soumise à une seconde formalité d'immatriculation. En effet, elle devrait être inscrite au registre des métiers et de l'artisanat en application de l'article 19 de la loi n° 96-603 du 5 juillet 1996, précitée.

* 60 Il s'agit d'une hypothèse couramment rencontrée en pratique : par exemple, le boulanger-pâtissier vendant des boissons dans sa boutique.

* 61 Rapport n° 335 (Sénat, 2004-2005), p. 29-30.

* 62 Voir l'article 2 du projet de loi n° 2249 (A.N. - XIIème lég.) pour la confiance et la modernisation de l'économie.

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