N° 100

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2005-2006

Annexe au procès-verbal de la séance du 24 novembre 2005

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des Affaires culturelles (1) sur le projet de loi de finances pour 2006 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE ,

TOME IX

CINÉMA, AUDIOVISUEL,
EXPRESSION RADIOPHONIQUE LOCALE

Par MM. Serge LAGAUCHE et Louis de BROISSIA,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Jacques Valade, président ; MM. Ambroise Dupont, Jacques Legendre, Serge Lagauche, Jean-Léonce Dupont, Ivan Renar, Michel Thiollière, vice-présidents ; MM. Alain Dufaut, Philippe Nachbar, Pierre Martin, David Assouline, Jean-Marc Todeschini, secrétaires ; M. Jean Besson, Mme Marie-Christine Blandin, MM. Jean-Marie Bockel, Yannick Bodin, Pierre Bordier, Louis de Broissia, Jean-Claude Carle, Gérard Collomb, Yves Dauge, Mme Annie David, MM. Christian Demuynck, Denis Detcheverry, Mme Muguette Dini, MM. Louis Duvernois, Jean-Paul Émin, Mme Françoise Férat, MM. François Fillon, Bernard Fournier, Hubert Haenel, Jean-François Humbert, Mme Christiane Hummel, MM. Soibahaddine Ibrahim, Alain Journet, André Labarrère, Philippe Labeyrie, Pierre Laffitte, Simon Loueckhote, Mme Lucienne Malovry, MM. Jean Louis Masson, Jean-Luc Mélenchon, Mme Colette Mélot, M. Jean-Luc Miraux, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Bernard Murat, Mme Monique Papon, MM. Jean-François Picheral, Jack Ralite, Philippe Richert, René-Pierre Signé, André Vallet, Marcel Vidal, Jean-François Voguet.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 12 ème législ.) : 2540 , 2568 à 2573 et T.A. 500

Sénat : 98 et 99 (annexe n° 7 ) (2005-2006)

Lois de finances .

Les sujets relatifs aux programmes 712 « Industries audiovisuelles » et 713 « Soutien à l'expression radiophonique locale » sont traités dans l'avis budgétaire n° 100 (2005-2006) du tome VI « Médias » présenté par M. Louis de Broissia au nom de la commission des affaires culturelles.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

En dépit des préoccupations qui s'expriment dans le secteur du cinéma dans notre pays, il n'en reste pas moins que ce dernier - grâce au talent des professionnels mais aussi de l'important soutien public dont il bénéficie - fait preuve d'une grande vitalité, tant sur le marché français qu'à l'étranger.

Celle-ci trouve également sa consécration dans la réouverture, le 28 septembre dernier, de la Cinémathèque française. Son nouveau site du 51 rue de Bercy représente un lieu vivant de culture cinématographique, qui déploiera une offre culturelle nouvelle et variée, destinée à un large public.

Dans le présent rapport, outre l'examen des crédits qui leur seront consacrés, votre rapporteur s'est plus particulièrement penché sur les défis auxquels le secteur se trouve confronté. Ceux-ci constituent tout à la fois des menaces et des facteurs d'évolution sans précédent, qu'il s'agisse de la « révolution » numérique, de la lutte contre la copie illicite de films ou du développement de la vidéo à la demande.

L'année 2006 sera marquée par une nécessaire évolution des dispositifs de soutien aux industries cinématographiques, dont la gestion est confiée au centre national de la cinématographie.

L'avenir du secteur dépendra, par ailleurs et sans doute de façon croissante, de l'évolution de dossiers de dimension européenne, voire mondiale. A cet égard, votre rapporteur se réjouit tout particulièrement du récent accord politique partiel des ministres européens de la culture au programme MEDIA 2007, ainsi bien entendu que de l'adoption par l'UNESCO de la Convention sur la diversité culturelle.

I. OMBRES ET LUMIÈRES SUR LE CINÉMA FRANÇAIS ET EUROPÉEN

A. UNE BAISSE DE LA PRODUCTION ET DE LA FRÉQUENTATION

1. Une tendance à la baisse

• En 2004, 203 films ont été agréés , contre 212 l'année précédente qui avait, il est vrai, enregistré un record historique.

L'année est aussi marquée par la diminution du nombre de films dits « d'initiative française » (167 films, soit 16 de moins qu'en 2003) et, parmi ceux-ci, par la baisse des coproductions avec l'étranger initiées par un producteur français (36 % de l'ensemble des films produits, contre 50 % en 2003).

En revanche, et votre commission s'en félicite, la proportion de films d'initiative française tournés en langue française a sensiblement augmenté , atteignant 98 % en 2004 contre environ 90 % ces dernières années.

• Sur les neuf premiers mois de l'année 2005, les entrées dans les salles s'élèvent, selon les premières estimations du service des études du Centre national de la cinématographie (CNC), à 123,72 millions d'entrées, soit une baisse de 13,4 % par rapport à la même période en 2004.

Sur les neuf premiers mois de l'année 2005, la part de marché des films français est estimée à 37,4 %, contre 34,7 % sur la même période en 2004, celle des films américains est estimée à 54,7 % (contre 49,2 % sur la même période en 2004) et celle des films d'autres nationalités à 7,9 % (contre 16,1 % en 2004 sur la même période).

Il faut souligner que cette situation est partiellement due au mauvais étalement de sortie des films en salles. Mme Véronique Cayla, nouvelle directrice du CNC, a d'ailleurs demandé aux exploitants et aux distributeurs d'élaborer un code de bonne conduite pour tenter de « lisser » les sorties de films . Votre rapporteur ne peut que soutenir une telle démarche .

Par ailleurs, les festivals ont pour avantage de faire bénéficier de projections cinématographiques un large public et de créer du lien social. En revanche, les professionnels se plaignent de la multiplication de projections non commerciales et de leur possible impact sur leur propre activité. C'est pourquoi la directrice du CNC a commandé un rapport à M. Michel Berthod et proposera un mécanisme d'encadrement afin d'éviter une éventuelle concurrence déloyale.

2. Les difficultés spécifiques de certains secteurs

a) La fragilité du court métrage

Sont considérés comme films de court métrage, les oeuvres cinématographiques d'une durée de projection inférieure à une heure, titulaires d'un visa d'exploitation.

Ce secteur du cinéma est essentiel car il conditionne l'avenir : il représente le vivier où se renouvellent les générations de cinéastes, grâce à la découverte de nouveaux talents. Il est aussi un vecteur essentiel de recherche et de créativité.

Rappelons qu'en 1986, le « Marché du Film Court » de Clermont-Ferrand a été créé, sur l'initiative de l'association « Sauve qui peut le court » et avec la participation d'UniFrance et de l'Agence du court métrage. A cette date, aucune structure de ce type, dédiée au court métrage français et international, n'existait dans le monde. Son ambition est de développer l'économie du court métrage, tout en essayant de donner une égalité de chances à tous les films présentés.

Le CNC contribue au financement du court métrage sous des formes diverses, aux différents stades de l'écriture, de la production, de la promotion et de la diffusion des films courts. Il aide ainsi la moitié des films de court métrage produits.

Mais en dépit de ces soutiens, et bien que le nombre de films produits augmente (425 en 2003), une ombre plane aujourd'hui sur le court métrage. Le tissu économique des entreprises de court-métrage est en effet fragile : il est composé en majorité de sociétés indépendantes non intégrées à des sociétés de production de long métrage et d'audiovisuel. En outre, la production - il faut bien le reconnaître - reposait sans doute trop largement sur les dérives qu'a permis le système de l'intermittence. Il faut aujourd'hui consolider ce secteur, tout en sortant de l'économie souterraine.

A l'occasion du dernier festival international du court métrage de Clermont-Ferrand, le 29 janvier dernier , le ministre de la culture et de la communication, Renaud Donnedieu de Vabres, a jugé nécessaire le lancement « d'un véritable plan d'urgence » , dont il a alors ébauché les grandes lignes :

- renforcer la dotation à la production de films de court métrage du CNC, en réévaluant fortement l'aide moyenne par film, tout en maintenant le nombre de films soutenus ;

- inciter les régions à développer leur action en faveur de la production de court métrage en s'appuyant sur les conventions Etat/CNC/régions ;

- simplifier le cadre administratif de production des films de court métrage ;

- favoriser l'implication des producteurs de long métrage dans la production de films de court métrage ;

- mobiliser les ressources du mécénat ;

- mener une étude sur les conditions du bénévolat dans le secteur de la production associative ;

- étudier la possibilité d'une exonération de charges sociales au bénéfice des entreprises de court métrage ;

- étudier l'hypothèse d'une mobilisation des fonds dédiés à la formation au bénéfice de ce secteur.

Le ministre avait déclaré que ce plan devait être lancé avant l'été 2005, à l'issue d'un travail approfondi de réflexion et de concertation, « afin de définir les modalités d'affectation de nouvelles sources de financement pérennes ».

Partageant cette préoccupation, votre rapporteur s'inquiète cependant qu'aucune décision n'ait été annoncée jusqu'ici et qu'aucune disposition ne figure à ce titre dans le projet de loi de finances pour 2006. Il demandera par conséquent au ministre de préciser ses engagements concernant la recherche d'un financement pérenne pour les films de court métrage.

S'agissant du recours au mécénat , il faut souligner le rôle important que jouent les industries techniques du cinéma et de l'audiovisuel, qui mettent souvent des matériels ou laboratoires à la disposition d'étudiants ou de jeunes réalisateurs de court métrage. Votre rapporteur estime souhaitable que puisse être accompagné et soutenu leur projet de créer une fondation de court métrage pouvant bénéficier de dispositions fiscales favorables au mécénat . Ceci s'avère d'autant plus important que ce secteur a traversé, lui aussi, une période de turbulences.

b) Les industries techniques du cinéma et de l'audiovisuel

• En octobre 2002, M. Pierre Couveinhes a remis au ministre de la culture et de la communication un rapport sur ces industries techniques, secteur connaissant « de graves difficultés, qui résultent de la conjonction de plusieurs facteurs, à la fois structurels et conjoncturels » .

La baisse du volume d'activité observée en 2002, surtout pour ce qui concerne les prestataires de services pour la télévision, s'est confirmée en 2003, tant en termes de volume de commandes que de rentabilité.

Alors que 2003 a été une année de crise et de restructuration du secteur des industries techniques, 2004 peut être qualifiée d'année de convalescence, marquée par un redressement de l'activité, et l'année 2005 devrait permettre un retour à l'équilibre. Cette évolution positive résulte partiellement des mesures spécifiques prises en faveur du secteur à la suite du rapport précité de M. Pierre Couveinhes et de celui de M. Jean-Pierre Leclerc (remis en 2004). Ces mesures concernent pour l'essentiel la mise en place par l'IFCIC (institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles) d'un dispositif de garantie des créances, l'élargissement des conditions d'accès au fonds d'aide aux industries techniques géré par le CNC et la simplification des procédures (pour le dépôt des dossiers d'un montant inférieur à 23 000 €), le développement des fonds régionaux dans le cadre de conventions Etat-régions. Enfin, le secteur bénéficie pleinement de la relocalisation en France d'un certain nombre de tournages, phénomène auquel le crédit d'impôt cinéma contribue puissamment.

• Cette évolution mérite d'être confortée . Or, il faut rappeler que, compte tenu des difficultés du secteur, le Sénat avait voté, à l'occasion du projet de loi de finances pour 2004, un amendement tendant à alléger le poids fiscal des industries techniques en permettant aux collectivités territoriales d'exonérer totalement ou partiellement les entreprises du secteur de taxe professionnelle, ceci pour une période de temps fixée librement par elles. L'Assemblée nationale n'avait malheureusement pas suivi le Sénat à l'époque.

Votre rapporteur souhaite que cette disposition soit adoptée dans le cadre du présent projet de loi de finances.

On sait que les industries concernées sont assez largement concentrées dans la région Ile-de-France. Une telle mesure apparaît d'autant plus pertinente que cette région a été retenue pour la création d'un pôle de compétitivité « Image, multimédia et vie numérique », ce qui implique à la fois un certain soutien public et la recherche de synergies recherche-innovation-formation-emploi, essentielles pour le secteur.

B. L'ÉVOLUTION DES RELATIONS ENTRE CHAÎNES DE TÉLÉVISION ET CINÉMA

1. Une hausse du financement de la production et de la diffusion par les chaînes

• Le nombre de films d'initiative française financés par les chaînes de télévision généralistes progresse en 2004 (à 97 films, soit 7 de plus qu'en 2003). En outre, le volume global d' investissement de ces chaînes est en hausse par rapport à 2003 ( +13,3 % ).

Si les investissements de TF1 augmentent de 29,1 %, ceux de M6 de 51,7 % et ceux d'Arte de 32,1 %, on peut regretter que ceux de France Télévisions diminuent en revanche de 10,9 %. Cette évolution est essentiellement due à France 3, dont les apports se sont réduits de 20,1 %, ceux de France 2 baissant de 5,1 %.

Par ailleurs, la part des films achetés par Canal+ est en progression, alors qu'une tendance à la diminution était observée depuis plusieurs années : Canal+ a financé 68 % des films d'initiative française agréés en 2004 (contre 54 % en 2003). Les investissements de cette chaîne ont ainsi représenté 16,7 % des investissements français sur les films agréés en 2004.

• S'agissant de la diffusion , les chaînes nationales hertziennes ont diffusé 1 646 oeuvres cinématographiques en 2004, dont 73,5 % par les chaînes en clair, soit une hausse qui résulte notamment des comportements de programmation de Canal+, de France 3 et de France 2.

Votre rapporteur regrette cependant que les films soient de plus en plus diffusés en journée, à des heures de moins grande écoute, au détriment de la première partie de soirée (-5,2 % sur les chaînes en clair, soit une baisse de 24 films ). Il s'agit du plus bas niveau observé depuis 1992. L'offre cinématographique sur cette tranche horaire a été réduite de 14,8 % en dix ans. L'offre de films diminue également en deuxième partie de soirée (-6 films) ainsi que la nuit (-18 films), soit une évolution contraire à l'année précédente.

On observe a contrario un glissement de l'offre vers une diffusion diurne du cinéma, qui gagne 47 films en journée et atteint un niveau record avec 138 films, ce phénomène s'observant essentiellement sur France 3 et TF1.

2. L'impact positif du développement des chaînes de télévision numérique

• Outre les chaînes thématiques généralistes du câble et du satellite qui diffusent des films, certaines chaînes sont spécialisées dans la diffusion du cinéma. En octobre 2004, on dénombrait 19 chaînes cinéma, soit près d'une chaîne thématique sur cinq.

La multiplication des chaînes consacrées au cinéma et l'attraction exercée par les films envers les abonnés potentiels sont favorables à la diffusion des oeuvres cinématographiques sur ces chaînes. Bien que les montants des droits de diffusion payés par les chaînes thématiques restent sans aucune mesure avec ceux des chaînes hertziennes terrestres, en raison de l'audience potentielle concernée, celles-ci offrent néanmoins des perspectives nouvelles pour le cinéma. Ainsi, TPS Cinéma a participé au financement de 46 films agréés en 2004 (contre 16 en 2003 et 6 en 1997) pour un apport global de 31,87 millions d'euros (M€) (contre 8,74 M€ en 1997). De même, Ciné Cinéma a participé au financement de 48 films (contre 40 en 2003 et 19 en 2002) pour un apport de 9,41 M€.

• Apparue le 31 mars 2005 dans le paysage audiovisuel français, la télévision numérique terrestre (TNT) viendra également modifier l'intervention des chaînes de télévision dans le financement du cinéma.

L'enrichissement d'une offre cinématographique sur les chaînes de la TNT pourra permettre l'émergence de nouvelles ressources pour le cinéma. Certaines d'entre elles (celles qui ont décidé de diffuser plus de 52 films par an) sont en effet soumises à des obligations d'investissement dans la production cinématographique, avec montée en charge sur plusieurs années.

C. LA « RÉVOLUTION » NUMÉRIQUE

La « révolution » numérique qui est en cours dans le secteur du cinéma en modifie le modèle économique.

Les équipements numériques apportent une grande souplesse au moment du tournage ; ils permettent d'en abaisser les coûts ainsi que de généraliser l'usage des effets spéciaux. Ils permettent également de diminuer le coût de distribution, le coût des copies étant réduit d'au moins 50 % (chaque copie coûte aujourd'hui entre 1 000 euros et 1 500 euros).

La filière en amont étant aujourd'hui passée à la technologie numérique, le secteur de l'exploitation devra également l'adopter.

Le numérique présente, dans ce domaine également, de nombreux avantages :

- il apporte une grande souplesse en termes de programmation, en facilitant par exemple la programmation de séances pendant la journée ou l'exploitation d'une monosalle ;

- il devrait permettre d'abaisser les coûts de la publicité et donc favoriser le développement de la publicité sur ce support ;

- il pourrait favoriser de nouveaux usages, telle que la retransmission de grands événements sportifs par exemple ;

- il évite la détérioration du film.

Le coût de l'équipement est cependant élevé (environ 100 000 euros pour un projecteur numérique, contre 20 000 euros pour les projecteurs actuels dont la durée de vie dépasse la vingtaine d'années) et leur coût de fonctionnement est cinq fois plus élevé.

Il apparaît souhaitable que l'économie réalisée sur les copies contribue au financement de l'équipement des salles et que soit mis en place un modèle économique qui ne soit pas un outil de concentration du secteur cinématographique. La directrice générale du CNC, Mme Véronique Cayla a annoncé qu'elle nommerait prochainement un expert pour diriger un groupe de travail chargé d'étudier tous les aspects du passage au numérique en France.

Les pays étrangers ont également adopté des initiatives dans ce domaine. C'est ainsi, par exemple, que la loterie nationale britannique devrait financer l'équipement de 250 salles, que l'Irlande envisage un plan national pour équiper ses 400 salles.

Les Américains définissent des normes technologiques et construisent un modèle économique qui prévoit un transfert financier entre producteurs et exploitants (pour le premier équipement des salles) et comporte, pour éviter des distorsions de concurrence, un calendrier de développement du numérique dans les salles, zone géographique par zone géographique. Les 35 000 salles du pays devraient être équipées d'ici cinq à sept ans.

Votre rapporteur souhaite que soit rapidement mis au point un modèle économique permettant l'équipement des salles françaises. Celui-ci ne pourra sans doute être que progressif mais devra concerner tous les types de salles , y compris donc les salles d'art et d'essai qui fêtent leur 50 e anniversaire. Ne pourrait-on envisager l'expérimentation d'un dispositif inspiré de celui mis en place aux Etats-Unis, dans une région française ? Il conviendrait, par ailleurs, d'inciter les exploitants indépendants à développer la mutualisation.

D. LUTTE CONTRE LA PIRATERIE ET VIDÉO À LA DEMANDE : DEUX ACCORDS EN VUE

1. La lutte contre la copie illicite de films

a) Vers une « approche graduée »
(1) Une évaluation de l'ampleur du phénomène

Le CNC et l'Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (ALPA) ont reconduit en 2005 l'étude publiée pour la première fois en 2004 sur le développement des phénomènes de téléchargement illégal sur Internet.

Il ressort de cette analyse, conduite sur la période du 1er août 2004 au 31 juillet 2005 , les principaux éléments suivants :

- comme l'année précédente, plus de 92 % des films « piratés » et déjà sortis en salles sont disponibles sur les réseaux « peer to peer » avant leur sortie en DVD sur le territoire français ;

- près de 38 % des films sortis en salles sont disponibles en version française « pirate » sur ces réseaux. Toutefois, seulement 26,8 % des films français sortis en salles sont concernés, contre 72,7 % des films américains. Ces films génèrent cependant plus de 56 % des entrées des films français ;

- les films « piratés » sont disponibles en moyenne 45 jours après leur sortie en salles, ce délai étant de 3 mois et 25 jours pour les films français (contre 4 mois et 3 jours, l'année précédente) ;

- plus d'un tiers des films « piratés » sont disponibles avant leur sortie en salles. Toutefois, les films français ne sont pratiquement pas touchés par ce phénomène, alors que 53 % des films américains le sont ;

- la « piraterie » dans les salles françaises reste marginale.

(2) Le plan de lutte contre les téléchargements illégaux

L'année 2005 a permis d'enregistrer des progrès sur les trois volets indissociables de la lutte contre la « piraterie » audiovisuelle :

- l'information du public sur le caractère illicite et les conséquences pour les créateurs des téléchargements illégaux : des campagnes de sensibilisation ont été menées et une réflexion est engagée sur des actions en direction des jeunes d'âge scolaire ;

- l'encouragement de l'industrie cinématographique et audiovisuelle à développer des offres légales en ligne , ambitieuses et accessibles à des prix raisonnables : les représentants des organisations professionnelles et les fournisseurs d'accès à Internet poursuivent des discussions sur les principes et modalités de mise en oeuvre d'offres de vidéo à la demande (VOD) sur Internet. La difficulté tient à l'insertion de ce mode de diffusion dans la « chronologie des médias », c'est-à-dire sur le délai de diffusion des films ainsi proposés, ainsi que sur la définition à la fois des oeuvres dites « de catalogue » et des films « nouveaux ». Par ailleurs, cette offre serait plus attractive s'il lui était appliqué le taux réduit de la taxe sur la valeur ajoutée ;

- la répression des infractions au droit de la propriété artistique : la concertation entre professionnels semble à cet égard plus aboutie, les grandes lignes d'un accord ayant été récemment trouvées. Il s'agirait de mettre en oeuvre une « approche graduée » comportant trois stades successifs : des messages électroniques d'avertissement, suivis d'une lettre recommandée et enfin, une sanction pécuniaire.

Toutefois, cet accord se heurte aujourd'hui à des difficultés juridiques , compte tenu d'une récente décision de la Commission nationale informatique et libertés (CNIL), concernant la mise à disposition de musique sur des sites de pair à pair (ou P2P, « peer to peer », directement entre ordinateurs). En effet, la CNIL s'est opposée au repérage automatique, par des dispositifs informatiques, des internautes concernés ainsi qu'à l'envoi de messages de prévention à ces internautes, après détection par le biais des fournisseurs d'accès à Internet. Elle a rappelé une décision du Conseil constitutionnel selon laquelle « les données collectées à l'occasion des traitements portant sur les infractions aux droits d'auteur ne [peuvent] acquérir un caractère nominatif que sous le contrôle de l'autorité judiciaire ».

Elle a également estimé que les dispositifs de détection proposés n'étaient pas proportionnés à la finalité poursuivie, car ils pouvaient aboutir à une collecte massive de données à caractère personnel et permettaient la surveillance exhaustive et continue des réseaux d'échanges de fichiers de pair à pair.

Il conviendrait donc d'adapter le cadre législatif afin de permettre la mise en oeuvre d'une réponse graduée, ce qui pourrait être envisagé dans le cadre de l'examen du projet de loi sur le droit d'auteur et les droits voisins dans la société de l'information.

b) L'évolution observée aux Etats-Unis

On sait que le phénomène atteint une ampleur encore très supérieure aux Etats-Unis. La situation pourrait toutefois changer sous le double effet d'une évolution de la jurisprudence de la Cour Suprême et de l'alliance des studios américains pour lutter contre le « piratage ».

(1) L'évolution de la jurisprudence de la Cour Suprême : l'arrêt « MGM vs Grokster »

La Cour suprême des Etats-Unis a retenu, à l'unanimité, le 27 juin dernier, la responsabilité des éditeurs de logiciels de partage de fichiers par Internet pour infraction au droit d'auteur par les internautes.

L'affaire opposait 28 maisons de disques et studios de cinéma aux exploitants de Grokster et Morpheus, deux sites d'échanges de fichiers dits «peer-to-peer», devenus populaires après la fermeture de Napster en 2001.

Dans cet arrêt «MGM vs Grokster», la Cour suprême a ainsi infirmé la décision de Cour d'appel de Californie qui, dans son arrêt du 19 août 2004, avait fait une application stricte de la jurisprudence « Sony Betamax » de 1984 : elle avait, alors, en effet, estimé que la responsabilité des deux éditeurs était exonérée car la technologie employée permettait des usages licites (échange de fichiers légaux non protégés par le droit d'auteur) à côté des usages illicites.

Sans remettre en cause cette jurisprudence, la Cour Suprême considère que le fait qu'un produit revête un usage mixte n'exonère pas de toute responsabilité. Les éditeurs de logiciels de partage de fichiers sont responsables pour avoir encouragé par leur rôle actif les atteintes au droit d'auteur . Ce constat découle de trois éléments principaux :

- la volonté affichée par les deux sociétés de répondre à une demande de téléchargements illicites non satisfaite après la fermeture du site Napster,

- l'absence totale d'effort pour limiter les usages illégaux,

- et leur modèle économique, leur audience et donc leurs bénéfices réalisés par la vente d'espaces publicitaires dépendant des possibilités de contrefaçon offertes.

Les premières conclusions que l'on semble pouvoir tirer de cette décision sont les suivantes :

- cette décision est une victoire pour la création, car elle réaffirme la nécessité de protéger le droit d'auteur et confirme sans ambiguïté l'illégalité de l'échange en « pair à pair » sans autorisation d'oeuvres protégées ;

- elle ouvre la voie à un nouvel équilibre, ne faisant plus seulement reposer la responsabilité de la contrefaçon sur les internautes, mais permettent également de mettre en cause la responsabilité d'intermédiaires qui incitent les internautes à la contrefaçon par l'usage de logiciels et en tirent profit ;

- elle donne un signal clair à ces éditeurs de logiciels d'échanges « pair à pair », pour les inciter à s'inscrire dans la légalité en recherchant l'autorisation des titulaires de droits pour les contenus qu'ils veulent distribuer ;

- cependant la Cour Suprême n'a pas jugé nécessaire de retenir les demandes des titulaires de droits visant à fonder la responsabilité des éditeurs de logiciels « pair à pair » sur une quantification des usages illicites ou sur l'absence de mesures de filtrage protégeant les droits d'auteur.

(2) L'alliance des studios américains pour lutter contre la copie illicite de films

Les grands studios américains ont récemment décidé de regrouper leurs efforts de recherche contre la copie illicite et de créer à cet effet une association à but non lucratif (le « Motion picture laboratories » ou « MovieLabs »). Ils envisagent ainsi de développer leurs propres technologies pour empêcher l'enregistrement de films en salle par des caméscopes ainsi que pour contrôler les échanges de contenus et traquer les transferts illicites de films sur Internet via les réseaux P2P.

Cette organisation pour le développement de techniques de protection devrait avoir un impact sur le phénomène de copie illicite d'oeuvres culturelles.

2. La vidéo à la demande

L'apparition de diverses expériences de diffusion d'oeuvres cinématographiques sous forme de vidéo à la demande (VOD) a conduit les organisations professionnelles du cinéma et de l'audiovisuel, les diffuseurs et les opérateurs Internet à s'interroger sur les conditions dans lesquelles celle-ci doit trouver sa place, et donc sa valeur commerciale, par rapport aux autres modes d'exploitation des oeuvres.

En effet, ainsi qu'il a été relevé précédemment, la question de la « chronologie des médias » se pose dès lors que l'on considère la vidéo à la demande comme une nouvelle fenêtre d'exploitation des oeuvres cinématographiques. Son insertion harmonieuse dans la « chronologie des médias » serait de nature à favoriser le développement d'un nouveau marché .

Depuis 2002, les professionnels du cinéma et de l'audiovisuel, de la vidéo et les fournisseurs d'accès Internet ont engagé des discussions afin de déterminer par voie d'accord général les conditions du développement de cette offre de films. Ces discussions, complémentaires de celles engagées parallèlement pour sécuriser les réseaux et lutter contre la contrefaçon des oeuvres cinématographiques et audiovisuelles, se poursuivent activement et devraient pouvoir aboutir prochainement à la signature d'un protocole d'accord.

Par ailleurs, M. Jacques Valade, président de votre commission, et M. Louis de Broissia, ont proposé au Sénat -qui l'a adopté-un amendement au projet de loi en faveur des petites et moyennes entreprises examiné par le Parlement au printemps dernier, afin d'étendre aux supports vidéographiques (DVD et vidéocassettes) la prohibition des prix abusivement bas . Cette mesure vise à enrayer les pratiques commerciales préjudiciables aux intérêts légitimes des différents ayants droit et de restaurer une grille de prix cohérente et compréhensible pour le consommateur.

En effet, depuis une dizaine d'années, les phonogrammes et les disques bénéficient d'une protection spécifique contre la pratique des « prix abusivement bas » en application du dernier alinéa de l'article 420-5 du code de commerce. L'émergence du secteur du DVD et des vidéocassettes n'était alors pas prévisible. Or, le marché de la vidéo est confronté au développement de pratiques de prix très bas qui entraînent non seulement une dévalorisation des oeuvres, notamment cinématographiques et audiovisuelles, mais également une déstabilisation du marché. Il convenait donc d'étendre le dispositif à ce secteur.

Cette disposition figure à l'article 45 de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises.

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